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1. Introduction

Les aptitudes scolaires se sont transformées en un objet d’étude privilégié dans les différentes universités qui ont implanté le développement de programmes de formation extracurriculaire comme faisant partie de leurs stratégies pour établir des liens avec le milieu de même qu’en matière de responsabilité sociale.

Il existe actuellement six programmes gérés par les universités chiliennes: le Programme DeLTA à l’Université catholique du Nord (Universidad Católica del Norte), Antofagasta; le Programme BETA de l’Université pontificale catholique de Valparaiso (Pontificia Universidad Católica de Valparaíso), Valparaiso; le Programme PENTA de l’Université pontificale catholique du Chili (Pontificia Universidad Católica de Chile), Santiago; le Programme Talentos UdeC de l’Université de Concepción (Universidad de Concepción), Concepción; le Programme PROENTA de l’Université de la Frontière (Universidad de La Frontera), Temuco et le Programme ALTA-UACH de l’Université australe du Chili (Universidad Austral de Chile), Valdivia.

Ces programmes ont pour objectif de répondre aux besoins de développement cognitif et socio-émotionnel des étudiantes et étudiants ayant des aptitudes scolaires élevées, par le biais d’une offre pédagogique à la hauteur de leurs capacités et compétences qui soit compatible et complémentaire au programme d’éducation régulier.

La présente recherche a été réalisée dans la région de Valparaiso auprès d’étudiantes et d’étudiants participant au Programme BETA de l’Université pontificale catholique de Valparaiso. Son objectif était d’établir les effets sur la conduite prosociale (CPS) et de responsabilité sociale (RS) chez les étudiants participant au programme et chez ceux d’un groupe contrôle d’intelligence similaire.

2. Cadre de référence

Les programmes de formation extracurriculaire pour étudiantes et étudiants ayant un bon niveau d’apprentissage constituent une opportunité pour ceux provenant de secteurs socialement vulnérables et qui présentent un potentiel académique élevé leur permettant de renforcer leurs habiletés ou leurs capacités intellectuelles en milieu universitaire.

Ces capacités supérieures les distinguent essentiellement comme personnes ayant des aptitudes élevées dans le domaine scolaire, et étant donné leur niveau d’habileté sur le plan cognitif, elles peuvent analyser et lier les événements qui se présentent avec un degré plus élevé de complexité que ne le feraient leurs pairs, ce qui laisse supposer le développement précoce d’un jugement moral, de questionnements sur des thèmes plus «adultes» de même qu’une sensibilité socio-émotionnelle plus exposée aux contingences de la vie quotidienne. Cette compréhension de la réalité peut donner forme à une série de caractéristiques, attitudes et comportements qui leur permettent de comprendre que les actes eux-mêmes font partie d’un chaînon social supérieur, établissant la juste nature de ces actes de manière de plus en plus cohérente, ce qui, selon Kohlberg (1992, cité dans Aguirre, 2009), permet un développement important.

Le maintien ou la poursuite de ces comportements souhaitables pour la convivialité sociale serait davantage favorisé dans un milieu qui privilégie leur développement en les intégrant à l’offre des programmes d’étude des institutions éducatives, ce qui impliquerait la nécessité de développer des stratégies destinées à encourager ces conduites.

Ainsi, les aptitudes scolaires des étudiantes et étudiants seraient ainsi reconnues, de même que les conduites prosociales associées à l’exercice de la responsabilité sociale qui, en soi, constitue une compétence souhaitable pour la formation de personnes responsables, actives et conscientes de leur environnement.

2.1 Conduite prosociale et responsabilité sociale

La conduite prosociale peut être appréhendée comme une façon de surmonter l’acte pour son bénéfice personnel, une forme d’égoïsme atavique et d’individualisme personnel, une autonomie liée aux autres qui ne fait pas nécessairement partie de l’environnement immédiat composé de la famille et des amis (Oliner et Oliner, 1988).

La compréhension de ce que sont les facteurs déterminants dans la conduite sociale constitue un sujet prépondérant lorsqu’il s’agit de la nécessité de produire des savoirs empiriques et théoriques sur la culture et sur l’agir social de l’être humain. Tel que l’indique Einolf (2010), il s’agit d’un thème revêtant un grand intérêt en sciences, entre autres en biologie, en économie, en sciences politiques et en psychologie.

Le comportement prosocial a été défini comme tout acte qui profite à une personne ou à un groupe, considéré par une partie importante de la population comme une action de service et de soutien (Batson, van Lange, Ahmad et Lishner, 2003; Dovidio et Penner, 2001; Dovidio, Piliavin, Schroeder et Penner, 2006). Il est également défini comme un comportement altruiste, juste, partagé ou généralement empathique (Eisenberg et Fabes, 2000, cité dans Navarro, 2006).

Sáez (2001) affirme qu’être socialement responsable c’est avoir la capacité et l’obligation de répondre devant la société, considérée comme un tout, en fonction de cette capacité d’action; le développement de conduites socialement responsables peut être plus ou moins important. Navarro (2006) abonde dans le même sens en indiquant que cette responsabilité sociale plus ou moins élevée dépendra des ressources disponibles. Cette responsabilité doit être exercée et se concrétiser dans le cadre d’une conduite morale. En d’autres mots, il ne suffit pas de connaître le concept; ce dernier doit s’inscrire à l’intérieur d’une action délibérée et préalablement raisonnée par la personne qui l’exerce.

Pour ce qui est du développement et de l’exercice de la responsabilité sociale, les facteurs intervenant dans une conduite de coopération altruiste doivent être considérés, entre autres comme «l’habilité de raisonnement général, le jugement ou le raisonnement moral, l’adoption d’une perspective sociale et les facteurs affectifs tels que l’empathie et la faute» (Vigneaux, 1990, cité dans Navarro, 2006, p. 81).

Ceci nous amène à la possibilité d’établir des paramètres de médition de la responsabilité sociale à travers l’accomplissement d’actions concrètes de conduite prosociale.

2.2 Aptitudes scolaires

La plupart des auteurs reconnaissent les aptitudes élevées comme étant une habileté ou un investissement exceptionnel dans une dimension générale (le domaine social ou intellectuel) ou dans un champ spécifique à l’intérieur de cette dimension d’ordre général, qu’il s’agisse du domaine intellectuel, scientifique, informatique ou académique.

Bralic et Romagnoli, 2000, cité dans Flanagan et Arancibia, 2005, p. 122

Dans l’ensemble, les aptitudes scolaires correspondent à une «habileté significativement supérieure que possède une personne en rapport avec ses pairs, dans le milieu scolaire» (Monks, 2000, cité dans López, Bralic et Arancibia, 2002, p. 184), laquelle se manifeste comme «une capacité élevée de réalisation dans tous les domaines, en général, ou dans un champ spécifique comme le langage, la biologie ou les mathématiques, entre autres» (Rimm, 1994, cité dans Flanagan et Arancibia, 2005, p. 122). Cette définition d’aptitudes scolaires est celle qui est utilisée dans la présente recherche du fait qu’elle est celle qui est la plus largement admise et la plus compréhensible.

2.3 Aptitudes scolaires et conduite prosociale

En procédant à une synthèse des aspects émotionnels et sociaux des étudiantes et étudiants dotés d’habiletés élevées, Borges et al. (2011) ont réalisé une recension exhaustive de diverses études qui rendent compte des recherches portant sur la relation qui existe entre ajustement socio-émotionnel et aptitudes scolaires. Les auteurs signalent, d’une part, que certains affirment que la question des étudiantes et étudiants ayant des aptitudes élevées par rapport à leurs pairs est peu traitée dans la littérature, et d’autre part, qu’il n’existe pas de différence entre ceux-ci et leurs pairs dits d’intelligence normale.

Dans le cas du Chili, une grande partie de la recherche portant sur les étudiantes et étudiants ayant des aptitudes élevées a fait ressortir le succès des programmes de formation extracurriculaire. Ces programmes visent à améliorer et à maximiser le niveau cognitif en obtenant irréfutablement des résultats positifs dans ces dimensions. Ce sont les conclusions auxquelles plusieurs auteurs sont parvenus (Narea, Lissi et Arancibia, 2006; Alegría et al., 2008; Conejeros et Cáceres, 2008; Guzmán et García, 2009), parvenant ainsi à générer, en milieu éducatif, des occasions pour que ces étudiantes et étudiants puissent s’exprimer et évoluer dans un contexte adéquat.

Néanmoins, peu de recherches ont été réalisées en lien avec les aspects socio-émotionnels, comme le mentionnent García-Cepero, Muñoz, Proestakis, López et Guzmán (2010). Malgré tout, il existe, entre autres dans les recherches menées à l’international, des visions opposées concernant le développement de cette dimension, en particulier les travaux réalisés par l’équipe Talentos de l’Université de Concepción (Merino, Mathiesen, Mora, Castro et Navarro, accepté pour publication). Ceux-ci n’ont pas relevé de changements significatifs chez les étudiantes et étudiants ayant des aptitudes élevées et qui ont participé au programme de cette université, en comparaison avec le groupe contrôle ayant des aptitudes similaires, en ce qui a trait aux variables telles que la responsabilité sociale, la conduite prosociale ou l’adaptation socio-émotionnelle.

Par ailleurs, Conejeros, Cáceres et Oneto (2011), qui mettent l’accent sur les milieux familial et scolaire, ont signalé que les enfants et les adolescents ayant des aptitudes élevées ne présentent pas, en moyenne, de difficultés importantes en ce qui a trait à leur intégration avec leurs pairs. Ils soulignent toutefois la nécessité de leur offrir une aide qui tienne compte de leurs habiletés sur le plan scolaire, mais également un accompagnement aux niveaux social et émotionnel.

Le programme Buenos Estudiantes con Talento Académico (Bons étudiants ayant des aptitudes scolaires) de l’Université pontificale catholique de Valparaiso (BETA-PUCV), «est un programme d’enrichissement, parallèle et complémentaire à l’éducation formelle qui a pour objectif le développement intégral des étudiantes et étudiants ayant des aptitudes élevées de la région de Valparaiso qui proviennent surtout de secteurs socio-économiques faibles, en leur offrant des expériences de qualité en milieu éducatif» (Escuela de Ingeniería Civil Química/École d’ingénierie civile chimique, 2013, n. p.).

Il s’agit d’un programme sous la responsabilité du vice-rectorat à l’enseignement et aux études de l’Université pontificale catholique de Valparaiso, élaboré et mis en oeuvre en 2005 au moyen d’un processus de transfert du Programme d’études et de développement d’aptitudes scolaires PENTA-UC.

L’objectif général du programme était de «construire un contexte éducatif qui offre de bonnes occasions de contribuer au développement intégral, aux comportements prosociaux et aux habiletés de niveau supérieur d’enfants et de jeunes de la région de Valparaiso ayant des aptitudes scolaires» (Programa Educacional para Talentos Académicos BETA-PUCV/Programme éducatif pour les étudiants ayant des aptitudes scolaires BETA-PUVC, n. p.).

Comme l’objectif général du programme BETA permet de le constater, ce dernier intègre déjà, parmi ses préoccupations fondamentales, non seulement le fait d’optimiser les habiletés et les aptitudes scolaires des étudiantes et étudiants participants, mais également leur développement intégral, afin de former des «jeunes participatifs, sensibles et critiques, qui utilisent leurs connaissances et habiletés, de même que leur esprit créatif et leurs opinions pour élargir à la fois leurs possibilités de réalisation et leur apport à la communauté (Escuela de Ingeniería Civil Química/École d’ingénierie civile chimique, 2013, n. p.).

L’objectif de cette recherche est donc de mesurer l’effet du Programme BETA sur la CPS des étudiantes et étudiants qui y participent et sur celle du groupe contrôle formé d’individus ayant des aptitudes similaires et qui ne sont pas inscrits à ce programme.

3. Méthodologie

Une approche quantitative a été utilisée pour cette recherche, qui consiste en l’application d’un modèle méthodologique quasi expérimental appelé régression sur discontinuité. Ce modèle utilise une stratégie d’identification basée sur l’exogénéité qui survient en comparant les groupes contrôles formés par la discontinuité du point de coupure des valeurs sur une variable de répartition.

La recherche considère qu’il est possible de baser une inférence causale sur la prémisse de l’existence d’un scénario contrefactuel alors qu’un individu ou une unité d’analyse qui expérimente le traitement ou développe une action particulière et qu’un autre individu ou unité d’analyse aux caractéristiques similaires ne reçoit pas le traitement. Le résultat non observé s’appelle, pour cet individu, le résultat contrefactuel.

3.1 Choix de l’échantillon

Le Programme BETA de la PUCV est composé de 328 étudiantes et étudiants au total, répartis en enseignement primaire et secondaire. Pour participer à cette recherche, nous avons présélectionné les étudiantes et étudiants provenant du Programme BETA-PUCV en 2011, alors qu’ils étaient en première année du secondaire dans des collèges municipaux.

La participation des étudiantes et étudiants à ce type de programme est volontaire. Par conséquent, la présélection réalisée par les professeurs des établissements d’enseignement participants parmi leurs élèves possédant les meilleurs rendements académiques en vue de l’application subséquente du Test des matrices progressives de Raven (2003) considère un groupe plus large que celui qui sera éventuellement couvert par le programme.

À partir de cette sélection, l’échantillon réel obtenu était de 108 étudiants en enseignement, répartis en un groupe de traitement de 51 étudiants appartenant au Programme BETA-PUCV et un groupe contrôle de 57 étudiants.

3.2 Caractéristiques de l’échantillon

Les scores au Test de Raven ont constitué la variable de répartition entre les groupes et le point de coupure a été établi à 51 points. Ainsi, le groupe de traitement était composé d’étudiantes et d’étudiants qui ont obtenu un maximum de 59 points et un minimum de 51 points, et le groupe contrôle (des postulants au programme qui les suivaient en ordre de préséance aux scores au Test de Raven) avait un maximum de 50 points et un minimum de 47 points. La moyenne des scores du groupe de traitement était de 54 points et son mode de 55 points, tandis que le groupe contrôle était de 49 points et le mode se situait à 50 points.

L’échantillon était composé principalement d’étudiantes et d’étudiants provenant d’établissements municipaux (92,59 %), ce qui correspond à la population qui participe en général à ce type de programmes. Un petit nombre de participants provenait d’établissements privés subventionnés. Les deux groupes étaient très similaires en ce qui a trait au type d’institution d’origine.

En ce qui a trait au sexe des participants, la répartition d’hommes et de femmes dans le groupe de traitement était très similaire, tandis que le groupe contrôle comptait 63 % de femmes et 37 % d’hommes. Quant à l’âge des participants, la majorité avait 17 ans (58,33 % du total de l’échantillon).

3.3 Caractéristiques des instruments utilisés

Des questionnaires autoadministrés, que nous décrivons ci-après, ont été employés pour la recherche, lesquels consistaient en trois échelles de type Likert, utilisées et validées au cours de la recherche réalisée pour le Projet FONDECYT n° 1100260 développé par l’équipe du Programme Talentos de l’Université de Concepción (Mathiesen, Merino, Mora, Navarro et Castro, 2010-2011).

Teenage Inventory of Social Skills (TISS)/Inventaire des habiletés sociales des adolescents, de Inderbitzen et Foster (1992, cité et reproduit dans Inderbitzen et Garbin, 1992). La version en espagnol est tirée de Roa (2010). Il s’agit d’un questionnaire de type Likert, comportant 40 affirmations, 20 de comportements prosociaux et 20 antisociaux, sur lesquelles le répondant doit indiquer à quel degré il possède ces comportements au collège. Les possibilités vont de «pas du tout» (1) à «plusieurs fois» (5), en passant par «un peu», «parfois» et «souvent» et comportant 2, 3 et 4 points respectivement. En inversant les items, l’échelle peut être utilisée avec les 40 items de comportement prosocial total et/ou comme une échelle prosociale et une autre antisociale, de 20 items chacune.

L’étude psychométrique réalisée a montré des alpha de 0,78 pour l’échelle totale, de 0,78 pour celle du comportement antisocial et de 0,85 pour le comportement prosocial. Quatre items de l’échelle totale ne sont pas corrélés significativement avec le total, tandis que tous les items des deux sous-échelles sont corrélés avec le total, ce qui justifie l’utilisation des sous-échelles plutôt que l’échelle totale, tel que le recommandent Mathiesen et al. (2010-2011).

Questionnaire de comportements socialement responsables. Il s’agit d’une liste de 19 comportements associés à la responsabilité sociale et pour lesquels le sujet doit indiquer la fréquence avec laquelle il les expérimente, les réponses allant de jamais (0) à toujours (4). Une étude psychométrique de ce questionnaire a également été réalisée qui montre sa fiabilité, avec un alpha de Cronbach de 0,82 et des corrélations hautement significatives de tous ses items avec le total de l’échelle (Mathiesen et al., 2011).

4. Procédures pour la collecte des données

Durant le premier semestre de 2012, les données pertinentes au Programme BETA ont été recueillies de l’Université pontificale catholique de Valparaiso, ce qui correspond aux cohortes des étudiantes et étudiants ayant intégré le programme de même qu’à ceux qui n’en faisaient pas partie.

Une fois obtenue cette information, nous avons entrepris la coordination, avec les établissements d’enseignement, des demandes respectives de permis nécessaires à la mise en oeuvre du projet. Il n’a pas été possible de terminer ce processus en 2012 en raison de la dispersion géographique des établissements, de la difficulté d’identifier des cas qui soient compatibles avec l’échantillon et en raison également des démarches qui s’imposaient avec la direction de chacune des institutions concernées.

Finalement, la mise en oeuvre du projet a pu être entreprise au cours du deuxième semestre de 2013 auprès des étudiantes et étudiants appartenant au groupe contrôle, lesquels avaient été identifiés au préalable en fonction de leur score respectif. La coordination du projet auprès des étudiantes et étudiants du groupe de traitement a été réalisée par le biais du Programme BETA durant la deuxième semaine de janvier, au cours de l’été 2014, sous la responsabilité de chacune des universités. Des lettres de consentement éclairé ont été remises à chacun des participants, pour lecture et approbation, avant que ces derniers ne remplissent les questionnaires.

Le processus d’analyse de l’information a été réalisé à partir d’une base de données SAS, à l’aide du logiciel correspondant (Statistical Analysis System, version 9.1.2; licence de l’Université de Concepción, École des diplômés, SITE 050543001). Les résultats présentés dans cette recherche ont été programmés et analysés à l’aide de cette base de données.

5. Présentation des résultats

Avant de présenter les résultats spécifiques, il importe de comprendre les prémisses à respecter pour une analyse adéquate, étant donné que, comme c’est le cas dans d’autres modèles contrefactuels d’inférence causale en régression sur discontinuité, il est nécessaire de compter sur un modèle statistique qui inclut un terme pour le prétest, un autre pour le postest et une variable muette (dummy) avec codification pour représenter l’appartenance au programme (Trochim, 2001; Murnane et Willet, 2011, cité dans Merino et al., accepté pour publication).

Sur cette base, Trochim (2006) relève cinq prémisses pour atteindre un modèle adéquat de régression sur discontinuité, parmi lesquelles nous mentionnons les suivantes:

  1. Le critère de coupure. Il doit être respecté sans exception, puisqu’il permet l’assignation et la différenciation des sujets dans les groupes et donne à l’expérimentation sa validité interne. Dans le cas de la présente recherche, l’assignation est réalisée sur la base d’une valeur établie par le biais d’un mécanisme exogène, tel que l’application du Test de Raven, qui permet de séparer les groupes entre, d’une part, ceux qui participent au Programme Beta (traitement) et d’autre part, ceux qui n’atteignent pas le score nécessaire pour accéder à ce programme (contrôle). À partir de là, une variable muette est générée (0/1) pour représenter l’appartenance au groupe de traitement (1) ou au groupe contrôle (0).

  2. La distribution pré-post du modèle doit pouvoir être décrite à l’aide d’une fonction polynomiale. Si la relation entre les variables est d’un autre type, par exemple, logarithmique, exponentiel ou autre, elle doit être examinée attentivement afin d’éviter l’existence de courbes. Pour éviter ce problème, il est nécessaire d’inclure les variables qui sont nécessaires afin d’augmenter leur précision et atteindre une surspécification du modèle pour le rendre linéaire. La norme est de former deux ordres de polynômes plus élevés, en surestimant les résultats de l’inflexion relevés dans la distribution prétest-postest (Lee et Lemieux, 2009, Trochim, 2006).

La spécification du modèle est importante pour déterminer avec précision les estimations de l’impact réel du programme et pour se protéger des estimations partielles ou erronées. C’est pourquoi nous avons dû procéder à des ajustements jusqu’à l’obtention d’un modèle ne comportant pas de biais et jusqu’à ce que les termes inutiles aient été éliminés.

Un autre concept de base dans le modèle de régression sur discontinuité est la valeur de centrage, soit la différence entre le point de coupure et les autres valeurs de la variable. Cette transformation ramène l’ordonnée à l’origine à zéro, en établissant l’intersection là où devrait se refléter l’impact de l’intervention.

Dans ce cas spécifique, tous les liens pré-post se sont avérés linéaires, ce qui fait que l’analyse statistique a été entreprise avec un modèle de polynômes quadratiques basé sur le score obtenu par le centrage et le score au Test de Raven (point de coupure) jusqu’à parvenir à un modèle final ayant une spécification adéquate et des estimations sans biais et efficaces de l’effet du traitement.

Tableau 1

Régression sur discontinuité de l’effet du Programme BETA sur la conduite prosociale de ses participants

Régression sur discontinuité de l’effet du Programme BETA sur la conduite prosociale de ses participants

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5.1 Comportement prosocial (CPS)

Le tableau 1 présente les résultats obtenus par les différences entre le groupe expérimental et de contrôle sur la sous-échelle de conduite prosociale appartenant à l’Inventaire des habiletés sociales, ou TISS, qui ne présente pas de différence significative, (sig. <,05).

On observe que le tableau de régression indique un intercept (3,544 points), un score au Test de Raven (-0,00978) et le prédicteur Traitement (0,29895 points). Les valeurs qui sont incluses dans l’interprétation sont l’intercept et le coefficient de régression estimé pour le prédicteur Traitement. Le résultat au Test de Raven est la variable utilisée comme critère d’assignation, centrée sur le point de coupure pour ordonner en deçà de 51 les valeurs du groupe contrôle et au-dessus de 51 les valeurs du groupe de traitement (centrage).

L’interprétation est que l’effet de la participation au Programme BETA-PUCV ne génère pas de différences significatives, la probabilité d’erreur observée étant dix fois plus élevée que le seuil conventionnel en sciences sociales.

La probabilité d’obtenir une valeur t de cette taille est de 32 %, ce qui est largement supérieur au seuil d’erreur conventionnel de 5 %. Le programme BETA-PUCV n’aurait donc pas d’impact sur le développement de la conduite prosociale de ses étudiantes et étudiants.

Le tableau 2 rapporte les résultats à la sous-échelle de conduite sociale et montre que le programme n’a pas non plus eu d’effets du point de vue d’une diminution de la conduite antisociale.

Tableau 2

Régression sur discontinuité de l’effet du Programme BETA sur la conduite antisociale de ses participants

Régression sur discontinuité de l’effet du Programme BETA sur la conduite antisociale de ses participants

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Comme on peut l’observer, le coefficient de régression de la variable de traitement indique qu’il n’y a pas d’impact à ce niveau (35 %).

5.2 Responsabilité sociale (RS)

L’analyse correspondant au Questionnaire de comportements socialement responsables montre l’existence d’un impact marginal du point de vue statistique (11,91 %), mais qui ne pourrait pas être accepté comme tel du fait qu’en deux occasions il dépasse le maximum permis d’erreurs qui est de 5 % (voir tableau 3).

Tableau 3

Régression sur discontinuité de l’effet du Programme BETA sur la responsabilité sociale de ses participants

Régression sur discontinuité de l’effet du Programme BETA sur la responsabilité sociale de ses participants

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On ne parvient donc pas à établir de relation significative entre les différentes variables de l’étude qui pourraient confirmer qu’il existe un effet démontrable de la participation au Programme BETA-PUCV des étudiantes et étudiants ayant des aptitudes scolaires élevées en comparaison avec leurs pairs du groupe de contrôle, tant en ce qui a trait à leur comportement prosocial qu’à leur responsabilité sociale.

6. Discussion

Sur la base des résultats obtenus par le biais de la régression sur discontinuité, aucune des variables à l’étude n’a montré de signification statistique. Même en élargissant le seuil d’acceptation des résultats à 10 %, la différence reste toujours résiduelle et non probante.

À partir de ces résultats, on peut conclure que la CPS et la RS des participants au programme ne diffèrent pas de celles des pairs, lesquelles ne reflètent pas non plus une tendance distincte dans les variables analysées. En général, les résultats des analyses tendent à être homogènes malgré des différences minimes; on ne peut pas affirmer qu’ils soient propres à des étudiantes et étudiants très différents les uns des autres, qui démontrent des difficultés similaires aux niveaux social et émotionnel.

Considérant ce qui précède, l’hypothèse nulle ne peut être rejetée, car il n’a pas été possible de démontrer que les étudiantes et étudiants qui participent au programme BETA-PUCV ont un comportement prosocial et de responsabilité sociale significativement supérieur à ceux du groupe de contrôle ayant des aptitudes similaires, qui ne font pas partie de ce programme.

Il convient de rappeler que les instruments utilisés ont été appliqués dans d’autres recherches et ont démontré une fiabilité et une validité adéquates. Ce sont d’ailleurs les mêmes questionnaires qui ont été utilisés dans le projet FONDECYT n° 1100260 mené par l’équipe du programme Talentos de l’Université de Concepción et dont les données obtenues correspondent à celles rapportées par Merino et al. (accepté pour publication). Ces derniers n’ont pas non plus relevé d’évidences statistiques qui pourraient démontrer qu’un tel programme pourrait parvenir à avoir un impact sur l’une ou l’autre des dimensions psychosociales analysées. Les données correspondent également aux conclusions auxquelles Carter, Mujica et Salinas (2012) sont parvenues dans la phase quantitative de leurs travaux, où ils évaluaient la prosocialité des étudiantes et étudiants participant au Programme BETA en 2011. Ces auteurs n’avaient pas noté de différences significatives chez les étudiantes et étudiants qui avaient participé au programme.

Existe-t-il alors la possibilité que les programmes ne répondent pas adéquatement à l’approche de la dimension socio-émotionnelle des étudiantes et étudiants ayant des aptitudes élevées?

Narea et al. (2006) indiquent que les programmes ont un impact positif du point de vue socioaffectif chez les étudiantes et étudiants ayant des capacités élevées, qui utilisent diverses stratégies pour s’adapter au contexte, et qu’en de rares occasions ils montrent des conduites d’isolement social. Par conséquent, nous pourrions tout d’abord mentionner que la détection, ou non, des différences dans la conduite prosociale des étudiantes et étudiants ayant des aptitudes scolaires plus ou moins élevées dépendra également du type de mesure utilisé. À ce sujet, Conejeros et al. (2011) obtiennent des résultats positifs pour ce qui est des traits socio-émotionnels de l’effectif scolaire ayant des aptitudes élevées lorsque les étudiantes et étudiants réalisent un travail mixte d’analyse quantitative-qualitative. Narea et al. (2006), Alegría et al. (2008) ainsi que Guzmán et García-Cepero (2009) en arrivent également aux mêmes conclusions. Pour ce qui est de ces recherches, on obtient une meilleure réponse de l’impact sur la base de l’utilisation des techniques propres à la méthodologie qualitative, telles que des entrevues en profondeur et des focus groups.

On peut trouver une seconde explication dans la recherche d’autres variables socio-émotionnelles qui aient davantage de signification pour caractériser et prouver l’existence de changements démontrables et vérifiables chez des étudiantes et étudiants ayant des aptitudes scolaires.

Si nous considérons que les variables analysées n’ont pas donné de résultats quant à l’objectif poursuivi par la présente recherche, il se peut que, effectivement, il existe d’autres conditions socio-émotionnelles qui soient passées inaperçues et qui soient présentes chez ces étudiantes et étudiants ayant des résultats positifs. Conejeros et al. (2011) ont identifié d’autres attributs socio-émotionnels liés au social ou au relationnel, par exemple, l’estime de soi ou sa gestion devant les difficultés interpersonnelles, pour lesquels l’étudiante ou l’étudiant démontre un niveau d’adéquation acceptable, un bon niveau d’estime de soi et peu de problèmes à établir des liens avec les autres individus, sauf dans des cas spécifiques comme c’est le cas des femmes en relation avec le sexe opposé, ou encore avec des étrangers.

Des exemples de ce qui précède peuvent être extraits des résultats obtenus en RS –  bien que leur impact soit modeste et secondaire – et pourraient servir de base pour poursuivre dans cette voie, non pas pour déterminer un résultat en lien avec les variables à l’étude, autre que celui décrit, sinon pour explorer d’autres aspects qui permettent de caractériser et de travailler plus efficacement ces dimensions des étudiantes et étudiants ayant des aptitudes élevées.

Les attentes élevées que génère, au sein de leur famille, leur participation à ce type de programmes d’appui universitaire ne sont pas à négliger. Qu’il suffise de rappeler qu’une grande partie des étudiantes et étudiants participant au programme passent d’abord par un processus de sélection. Par conséquent, la possibilité de se projeter dans un contexte qui les renforce dans leur condition de «bon(ne) élève», est un prédicteur pour poursuivre des études supérieures et améliorer la réalité socio-économique de leur famille. En contexte socio-économique faible, l’adolescente ou l’adolescent ayant des aptitudes élevées est en mesure d’évaluer par lui-même les coûts importants et à long terme, de façon prudente et réaliste, du fait qu’il ou elle est beaucoup plus pragmatique et fait preuve de plus de maturité dans sa façon d’être (Flanagan et Arancibia, 2005). Il s’agirait d’une question qui mériterait d’être analysée dans des recherches futures.

Enfin, il est important de mentionner qu’une grande partie de la réussite de ces élèves passe par leur développement cognitif élevé. Par conséquent, l’étude des variables liées à la résilience, à l’attitude face à la frustration, à la faible tolérance à l’échec ou au contrôle de soi serait plus déterminante pour soutenir leur développement socio-émotionnel futur.

7. Conclusion

Depuis 2011, le Programme BETA-PUCV a entraîné de nouvelles façons de développer les habiletés socio-émotionnelles de ses étudiantes et étudiants ayant des aptitudes élevées, en l’intégrant à sa gestion de la formation. Sur la base des résultats obtenus, il n’a pas été possible de démontrer si ces interventions ont permis de susciter des changements notables chez les participants à ce programme de formation. En effet, il n’a pas été établi qu’il existe des différences significatives du point de vue de la conduite prosociale et de la responsabilité sociale entre les étudiantes et étudiants ayant des aptitudes élevées qui ont participé au Programme et ceux qui n’y ont pas participé.

Les efforts réalisés pour intégrer la dimension socio-émotionnelle dans le Programme BETA-PUCV de même que des expériences similaires conduites dans d’autres programmes de formation extracurriculaires des universités sont certes louables, néanmoins, les résultats ne se sont pas révélés concluants de ce point de vue.

Les instruments auxquels nous avons eu recours pour démontrer de façon empirique l’impact du programme sont composés d’échelles utilisées dans des recherches précédentes ayant montré des résultats similaires; leur efficacité et leur validité ont donc déjà été démontrées antérieurement.

Les raisons du peu de succès dans le développement du domaine prosocial peuvent être attribuées à des facteurs propres aux étudiantes et aux étudiants ayant des aptitudes élevées, lesquels pourraient se sentir davantage motivés à prioriser le développement de leurs forces cognitives en tant qu’élément distinctif de leur personnalité, ces forces étant un facteur qui les remplit de satisfaction personnelle et qui les incite à accomplir leurs objectifs académiques et professionnels futurs. Pour cette raison, il apparaît d’autant plus essentiel d’étudier les variables reliées à ces domaines qu’une vérification empirique est nécessaire pour confirmer leur lien.

En conclusion, la conduite prosociale et la responsabilité sociale, bien qu’elles soient mentionnées dans les objectifs et les fondements du Programme BETA-PUCV comme faisant partie de l’aspect socio-émotionnel, n’ont pas démontré de façon probante l’impact qu’elles ont dans la formation personnelle de ses étudiantes et étudiants. Il existe donc une brèche entre l’aspect cognitif et socio-émotionnel qui mériterait d’être étudiée et analysée en lien avec l’intervention auprès des étudiantes et des étudiants ayant des aptitudes élevées.