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Le débat portant sur le niveau d’analyse en matière de politique étrangère constitue encore de nos jours l’objet de nombreuses recherches. Ce nouveau livre d’Elisabetta Brighi, maître de conférences à l’Université de Westminster, est une contribution assez originale à cet égard. En s’intéressant aux relations entre la politique étrangère, la politique nationale et la politique internationale, Brighi apporte une contribution à la fois théorique et empirique dans l’analyse de la politique étrangère qu’elle définit comme l’ensemble des relations d’un acteur indépendant (souvent l’État) par rapport à son environnement extérieur (p. 2). En effet, à travers les cinq chapitres de ce livre, Brighi expose d’abord la manière dont les différentes théories en Relations internationales présentent l’interaction entre la politique étrangère, la politique nationale et internationale, pour ensuite mieux illustrer comment l’approche stratégique relationnelle permet de comprendre la manière dont la politique nationale et les relations internationales ont influencé la politique étrangère de l’Italie depuis plus d’un siècle.

Concernant le débat théorique présenté dans le premier chapitre, l’auteure distingue trois grands ensembles de modèles théoriques généralement utilisés dans l’analyse de politique étrangère. Il y a d’abord les approches monocausales qui réduisent les déterminants de la politique étrangère à la politique internationale (le néoréalisme par exemple) ou à la politique nationale (la théorie de la paix démocratique, par exemple) (p. 27). Il y a ensuite les approches dualistes (le jeu à deux niveaux, par exemple) qui s’opposent aux approches monocausales et qui considèrent que les actions en matière de politique étrangère résultent de la combinaison de facteurs à la fois nationaux et internationaux (p. 28). Il y a enfin les approches dialectiques qui abordent l’interaction entre la politique nationale et la politique internationale comme un phénomène assez complexe avec des actions et rétroactions entre les différents niveaux que sont l’agent et la structure (p. 33).

Ces approches dialectiques sont l’approche morphogénétique et l’approche stratégique relationnelle. Pour l’approche morphogénétique développée par Margaret Archer, la relation entre l’agent et la structure ne serait pas co-constitutive comme le présente notamment le constructivisme ; elle serait plutôt séquentielle. Ainsi, la structure qui précède l’agent se trouve dans un domaine temporel différent de celui-ci et constitue l’environnement dans lequel les agents sont en interaction. Cette interaction peut aboutir à une reproduction de la structure (morphostasis) ou à une transformation de celle-ci (morphogenesis) (p. 34).

Quant à l’approche stratégique relationnelle sur laquelle se base l’auteure et qui a été développée par Bob Jessop, Colin Hay et David Marsh, elle postule que l’interaction entre la structure et l’agent est non seulement relationnelle, c’est-à-dire co-constitutive, mais elle est également dialectique, c’est-à-dire qu’on ne peut pas la réduire à la somme des facteurs structurels et agentiels analysés séparément. Cette dynamique s’opère à travers un processus de « double internalisation » (p. 36) de l’agent par la structure et de la structure par l’agent. Ainsi, l’agent qui est un acteur stratégique ayant des intérêts et des préférences opère dans un contexte de sélectivité stratégique qui favorise certaines stratégies par rapport à d’autres. Selon cette approche, le discours constitue le facteur intermédiaire entre les acteurs et leur environnement. Par conséquent, c’est en interprétant le contexte dans lequel ils évoluent que les acteurs vont adopter la stratégie parmi celles qui sont disponibles pour réaliser leurs préférences. L’élaboration de la politique étrangère d’un État repose donc sur l’interaction dialectique entre les stratégies des acteurs au niveau national, le contexte international et le discours. Pour Brighi, la pertinence de l’approche stratégique rationnelle pour analyser l’interaction entre la politique étrangère, les relations internationales et la politique nationale réside dans le fait qu’elle est à la fois systémique et relationnelle. De plus, contrairement aux approches monocausales et dualistes, elle permet de comprendre le changement de politique étrangère.

Dans les quatre chapitres suivants, l’auteure étudie la politique étrangère de l’Italie durant quatre périodes : l’âge libéral (1901-1922), la double décennie fasciste ou ventennio fascista (1922-1943), la première République (1943-1992) et la seconde République (1992-2011). Pour chacune de ces périodes, Brighi expose la manière dont la politique étrangère italienne a été la résultante de l’interaction dialectique entre les relations internationales et la politique nationale italienne par le discours. Il en ressort pour l’auteure que l’approche stratégique relationnelle est la meilleure approche pour saisir toute la complexité de l’élaboration et de l’application de la politique étrangère de l’Italie durant un siècle à travers l’interaction entre les relations internationales et la politique nationale.

S’il y a un mot qui pourrait qualifier l’ouvrage d’Elisabetta Brighi, c’est le mot originalité. Originalité dans le cas simple étudié, mais aussi dans la présentation et l’application de l’approche stratégique relationnelle. Il faut également rappeler que, pour chaque période, l’auteure présente la manière dont chacune des trois approches (monocausale, dualiste et dialectique) aborde la politique étrangère italienne, ce qui permet au lecteur de comprendre davantage les différences entre ces approches. Toutefois, on peut regretter l’absence de tableaux récapitulatifs des déterminants de la politique étrangère italienne à chaque période, ainsi que celle d’une partie précisant et justifiant davantage la méthodologie.

En définitive, au-delà de la multicausalité et de la complexité de la politique étrangère qu’il présente, cet ouvrage lance le débat sur la contribution épistémologique de l’approche stratégique relationnelle qui souligne l’influence de facteurs matériels et idéationnels dans la définition de la politique étrangère. Dans ce sens, ce livre peut être considéré comme une contribution au débat entre positivisme et postpositivisme.