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Introduction

La consultation pour l’avenir du Grand Paris, lancée en 2008 par le ministère de la Culture et de la Communication, visait à réfléchir sur ce que pourrait être une métropole post-Kyoto ainsi qu’à esquisser le futur de l’agglomération parisienne dans cette perspective de développement durable. Consultation de « recherche et développement » (DAPA et DGUHC, 2007 : 1) destinée à produire les matériaux d’une « réflexion prospective et stratégique » (Ibid. : 2) préalables à toute démarche de projet, elle émanait d’une double dynamique. Tout d’abord une dynamique de recherche, puisque cette réflexion sur le cas parisien intervenait à mi-chemin d’un programme de recherche quadriennal portant sur « l’architecture de la grande échelle » et qui avait trois objectifs : penser le logement dans sa « dimension territoriale », c’est-à-dire articulé au problème de la mobilité, penser les outils institutionnels et pratiques du projet urbain, et proposer des outils « projectuels » articulant théorie et pratique. Après deux ans de travaux axés sur des zones précises et menés par des équipes internationales, l’idée de travailler spécifiquement sur l’agglomération parisienne émergea et c’est le Bureau de la recherche architecturale urbaine et paysagère (BRAUP), du ministère de la Culture et de la Communication, qui fut en charge de la rédaction de l’appel d’offres pour ce projet international de recherche. L’autre dynamique était d’ordre politique puisque l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy profita de l’inauguration de la Cité de l’architecture et du patrimoine, en septembre 2007, pour se saisir de cet enjeu institutionnel et pour affirmer la nécessité d’une réflexion sur le futur de l’agglomération parisienne. Du fait de ce double élan, dix équipes constituées d’architectes urbanistes, mais également de centres de recherche en sciences sociales et en sciences dures se lancèrent dans cette réflexion prospective portant sur les métropoles vertes, en général, et sur le « territoire du Grand Paris », en particulier, territoire que le cahier des charges de la consultation laissait le soin aux équipes de définir.

Confrontées à la programmation des conditions de durabilité des métropoles, ainsi qu’à leur application dans le cadre du Grand Paris, les équipes ont proposé des projets d’envergure s’étendant globalement de la ville-centre à la très grande couronne parisienne, soit touchant l’ensemble de la région Île-de-France. Si de la « ville paysage » d’Antoine Grumbach aux rhizomes de Christian de Portzamparc, ces projets avaient une logique et une cohérence globales destinées à s’imprimer sur la grande échelle, ils s’attachaient cependant à matérialiser les principes d’aménagement formulés dans des situations locales et concrètes.

Du fait de l’ampleur de l’agglomération et de cette approche multiscalaire, les situations rencontrées ont été nombreuses, de la ville-centre compacte aux espaces périurbains de la « ville diffuse » (Secchi, 2001). Ainsi a-t-on été traité, parmi la multiplicité des problématiques abordées, le problème des franges, définies ici comme espaces peu denses et à mixité d’occupation des sols en bordure d’un secteur construit (Pacione, 2001), dont les formes urbaines variées et à définir précisément sont issues des logiques de périurbanisation (Barattucci, 2006 ; Merlin, 2009) et des cycles fonciers (Conzen, 1960).

Ces situations de bords et d’incertitude quant aux catégories d’urbain, de périurbain ou de rural sont nombreuses dans l’agglomération parisienne qui, comme de nombreuses métropoles européennes, connaît un phénomène d’étalement le long des axes de son développement réticulaire, ainsi qu’à l’intérieur des vallées (APUR, 2008 ; Burgel, 2008 et 2012).

Saisissant le caractère hybride de ces espaces et les tensions liées aux diverses logiques fonctionnelles qui les animent, notamment dans la fréquente opposition entre rural et urbain, les équipes ont tenté d’établir des projets qui constitueraient les caractéristiques de la frange comme des qualités. Les franges ont été réinvesties de nouvelles fonctions, notamment liées au monde rural, ce qui a eu des conséquences au niveau des morphologies et des tracés. Ont été promues également des fonctions liées à des objectifs de durabilité, entendue principalement ici au sens d’une préservation de l’environnement, ainsi qu’à des objectifs de mise en place des conditions d’égalité et de paix sociale (Brundtland, 1987). C’est-à-dire que la frange, emblème du tiers espace (Vanier, 2005) a été envisagée comme un territoire de projets à dimension écorurale, et non plus comme un réservoir d’urbanisation.

Cet article propose d’étudier ces propositions et de voir, notamment, comment à travers elles a été renouvelée la figure de la « limite » entre des espaces caractérisés, au profit d’une hybridation tendant à brouiller cette limite, conçue comme séparation morphologique et fonctionnelle. Par ailleurs, en faisant de ces espaces le point de départ de véritables projets urbains, ces travaux prospectifs ont apporté de nouveaux éléments de réflexion et de projection quant à la dynamique des tissus métropolitains.

Dans le cadre de la consultation, deux dossiers ont été menés jusqu’à la maîtrise d’ouvrage, en 2008 et 2009, répondant à la question de la métropole post-Kyoto, en général, puis à l’agglomération parisienne, en particulier. C’est sur l’analyse précise de ces volumineux dossiers de rendu, constitués de discours explicatifs et argumentatifs ainsi que de documents graphiques variés, que nous nous appuyons ici, considérant le projet d’urbanisme comme effectivement porteur de connaissances (Viganò, 2012).

Notre première partie consistera en un très bref rappel des caractéristiques de l’agglomération parisienne concernant les franges, suivi par une esquisse de typologie fondée à partir de quelques exemples de ce contexte particulier.

Nous nous attacherons ensuite à décrire trois types de propositions faites dans le cadre de la consultation, qui sans correspondre exactement à un type de frange, en avaient cependant quelques caractéristiques. Notre démarche comparative relèvera les points communs des traitements réalisés par les équipes, considérant que leurs différences venaient plus des types de franges envisagés que de leur traitement. Surtout, notre examen montrera les objectifs de durabilité qui ont guidé ces propositions de réforme et la façon dont elles ont finalement abouti à un enrichissement de la pensée urbaine quant aux franges.

Le Grand Paris et ses franges

Le contexte parisien

Dans le cadre de la consultation, à aucun moment n’ont été définis par la maîtrise d’ouvrage, ni ce à quoi correspondait le « Grand Paris », ni le concept de « territoire » (alors que le cahier des charges n’hésite pas à mobiliser la « pensée » ou la « présence territoriale » (DAPA et DGUHC, 2007 : 5), ni les problématiques sur lesquelles les équipes auraient dû se concentrer. C’est-à-dire que ces dernières n’ont pas été guidées, que l’encodage de la consultation a été volontairement flou, ceci afin de laisser au soin des équipes, la définition des périmètres d’intervention et, surtout, les problématiques et axes de travail sur lesquels se pencher. Le « Grand Paris » ne correspond donc à aucune réalité morphologique ou géographique fixée et clairement définie. À titre indicatif, la carte de la figure 1 rappelle le découpage en aire urbaine établi par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en 2010, ainsi que les délimitations administratives de la région Île-de-France.

Figure 1

Le périurbain francilien

Le périurbain francilien

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Il n’est pas question ici de prétendre définir l’ensemble des caractéristiques de l’agglomération parisienne et des enjeux qui la concernent. Parmi les nombreuses études dont elle fait l’objet, nous renvoyons le lecteur aux travaux de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR, 2008 et 2010) qui, depuis 1967, s’emploie à décrire et analyser les évolutions de la métropole, de même qu’à l’importante base de données de l’Institut d’urbanisme et d’aménagement de la région d’Île-de-France. Il s’agit ici de rappeler quelques éléments de contexte qui peuvent être pertinents quant à l’analyse des franges.

Début 2008, la région compte 12 millions d’habitants et regroupe 18,3 % de la population française. Depuis 2006, la population francilienne a augmenté de 0,5 % par an. L’Île-de-France compte parmi les régions les plus jeunes du territoire français et reste la plus attractive pour la population âgée de 25 à 29 ans, même si cette tendance s’est quelque peu inversée ces deux dernières années, participant ainsi du solde migratoire négatif qui concerne également les populations plus âgées (INSEE, 2011). Rareté, coût des loyers et recherche d’un cadre de vie amélioré entraînent l’étalement urbain. La frange impliquant la proximité avec des espaces peu denses, nous reproduisons la répartition des densités dans la région Île-de-France (figure 2).

figure 2

Densité de la population, région Île-de-France

Densité de la population, région Île-de-France

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Transport, habitat, emploi sont structurés par une logique radiocentrique qui oppose centre et périphérie, zones denses et non denses. L’Île-de-France contribue pour 30,1 % au produit intérieur brut métropolitain, en 2012, grâce en particulier à la présence de nombreuses entreprises multinationales et à une forte densité de sièges sociaux : un tiers des 500 plus grands groupes mondiaux possèdent un siège en Île-de-France. La majorité des activités sont concentrées dans l’agglomération dense, mais l’emploi y stagne et se diffuse dans la grande couronne et près des pôles de compétitivité éloignés de la ville dense (figure 3).

Figure 3

Pôles d’activités de la région Île-de-France

Pôles d’activités de la région Île-de-France

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Les difficultés liées au manque de logements, au temps passé dans les transports ou à l’accès aux espaces verts dans la ville-centre entraînent une diminution de son attrait, à laquelle s’ajoute l’inflation des pôles secondaires qui stimule la périurbanisation. L’observation du rythme de l’urbanisation ainsi que du mode d’occupation des sols (MOS) montre la prégnance de l’habitat individuel ainsi que la part toujours importante des activités dans les taux d’occupation des sols (IAURIF, 2009). Tous ces facteurs aboutissent à la création d’un espace périurbain assez important au regard des autres métropoles européennes (APUR, 2008).

Esquisse d’une typologie des franges

On a parfois souligné l’absence de réflexion théorique et d’ambitions pratiques à propos de la notion de frange urbaine (Whitehand et Morton, 2004) ; sont souvent regroupées sous ce terme des réalités typomorphologiques et sociales bien différentes. On s’accorde cependant sur le statut spécifique de ces réalités et sur la nécessité de ne pas en faire une simple illustration des dynamiques de périurbanisation (Gallent et al., 2004 ; Jindrich, 2010). La frange urbaine est considérée comme une zone aux contours flous et mobiles, animée de dynamiques multiples et pluriscalaires qui la rendent difficile à appréhender (Sullivan et Lovell, 2006 ; Rauws et De Roo, 2011). Dans l’ensemble, la pensée urbaine théorique l’a plutôt considérée comme une altérité négative, la qualifiant de « mosaïque hétérogène » (Allen, 2003), de « paysage chaotique » (Gant et al., 2011) ou comme l’une des figures par excellence du « tiers espace » (Vanier, 2005). Seuls les récents travaux de Gallent (2006) ont considéré comme réservoir de projets ce paysage hétéroclite qui pose problème aux catégories d’urbain et de rural, tant dans l’analyse de ses formes que dans les projets d’aménagement le concernant.

Au sein d’une multitude de situations diverses, il convient cependant de tenter un typage provisoire de certaines configurations morphologiques récurrentes, typage qui devra s’étoffer de travaux et d’enquêtes plus élargies. Le typage que nous proposons ne sera qu’une heuristique afin d’étudier les projets du Grand Paris. Nos types ont été établis à partir du croisement de critères morphologiques, de densité et de mode d’occupation des sols, sur un corpus essentiellement parisien.

Le premier type de frange consiste en un espace à faible densité, constitué essentiellement de parcs, d’aires de stationnement et d’institutions, et parcouru par un réseau viaire dispersé, cet espace en venant à jouer le rôle de creux, ou de barrière à la circulation (Vilagrasa, 1990 ; Rodrigo-Cervantes, 1999 ; Whitehand et Morton, 2004). Correspondant à une pause dans le processus d’urbanisation, et plus précisément à une pause dans la mécanique des cycles fonciers (Conzen, 1960 ; Whitehand, 1967), cet espace est progressivement rejoint par l’urbanisation et devient un tampon qui sépare deux zones d’habitat aux caractéristiques architecturales distinctes. Ces ceintures limitrophes en viennent finalement à constituer des sortes de vides au sein du tissu urbain, qui continue à s’étendre par ailleurs (Conzen, 1960 ; Whitehand, 1967 et 1994 ; Whitehand et Morton, 2006).

L’exemple archétypique de ce type de frange est Berlin, analysé par Conzen (1960) et repris par Whitehand qui, lui, s’intéressera plus particulièrement au cas de Birmingham (Whitehand et Norton, 2006). À Paris, on trouve ce type de frange en lieu et place des anciennes fortifications devenues boulevards des Maréchaux et surtout entre les Maréchaux et le boulevard périphérique, une bande qui contient de nombreux parcs et terrains de sport ainsi que de nombreuses institutions (ministère de la Défense, Archives de la Ville de Paris, Cité universitaire internationale, Parc de la Villette…) (figure 4).

Figure 4

Zone du boulevard périphérique entre la porte de Vanves et la porte de Gentilly

Zone du boulevard périphérique entre la porte de Vanves et la porte de Gentilly

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Cependant, ces espaces n’ont pas nécessairement besoin de constituer une ceinture et on pourrait très largement intégrer, à ce type 1, les friches industrielles et manufacturières, progressivement rattrapées par l’urbanisation, puis délaissées du fait de l’évolution du cycle foncier et qui, avant d’être réhabilitées, constituent des vides urbains au sein de la ville dense (figure 5). À Paris, c’est le cas des quais de Bercy, restés pendant 10 ans un ensemble de terrains vagues et de hangars désaffectés autour de la bibliothèque nationale. On pourrait également y intégrer les quais d’Issy les Moulineaux, objet d’une récente réhabilitation, mais qui sont restés quasi abandonnés pendant plus de 15 ans. L’ensemble regroupant le parc de l’île Saint-Germain, les anciens hangars des usines Renault et l’île Seguin a constitué une frange intra-urbaine très importante (figure 6).

Figure 5

Schéma des franges de type 1

Schéma des franges de type 1

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Figure 6

Petite couronne parisienne, banlieue sud-ouest, Issy les Moulineaux et Boulogne Billancourt

Petite couronne parisienne, banlieue sud-ouest, Issy les Moulineaux et Boulogne Billancourt

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Le deuxième type de frange que nous proposons est établi à partir de critères fonctionnels (figure 7). Il est essentiellement constitué par des usines, des stationnements, des centres commerciaux, des entreprises et des instituts de recherche ou des parcs technologiques (Gallent et al., 2004, Gallent, 2006) (figure 8). De même, au sein de ces franges, de nombreux espace résiduels, en friche, en attente d’être occupés ou reconvertis, mais aussi des interstices entre les magasins ou les entreprises sous la forme de bandes arborées et d’espaces de nature délaissés (figure 9).

Figure 7

Schéma de principe du type 2

Schéma de principe du type 2

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Figure 8

Bry-sur-Marne, Commune de l’est parisien, au coeur de l'agglomération et non loin du centre de Paris

Bry-sur-Marne, Commune de l’est parisien, au coeur de l'agglomération et non loin du centre de Paris

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Figure 9

Est parisien, communes d’Emerainville et Lognes

Est parisien, communes d’Emerainville et Lognes

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Ce type de morphologie est issu d’une logique d’étalement urbain et d’extension de l’agglomération par cercles concentriques. Ces morphologies appartiennent donc à l’espace périurbain, devenu banlieue accolée et intégrée à l’agglomération. Dans ce cas, les zones commerciales, parfois jouxtant des zones d’activités (ZA) ou zones industrielles (ZI) sont aux marges de l’agglomération et en constituent l’entrée, le long des « boulevards urbains ». Ce sont les entrées de ville issues de la dilution et de l’émergence de la ville européenne, soulignée depuis un certain temps déjà (Dubois-Taine et Chalas, 1997). Dans ce cas, la frange que constituent ces zones peut jouxter des espaces ouverts, lambeaux d’espaces ruraux non encore urbanisés mais, beaucoup plus souvent, elle jouxte d’autres zones habitées de l’agglomération, c’est-à-dire que la frange est une zone tampon entre deux zones d’habitat, une sorte de vide, non pas dans la ville compacte comme au type 1, mais dans la banlieue urbaine issue d’un développement aréolaire (Claval, 1981).

Ce type de frange s’explique aussi par la structure en archipel de la géographie de la compétitivité (De Portzamparc, 2009). Les pôles d’excellence se sont déplacés en grande couronne, déplaçant du même coup les franges.

Un troisième type de frange, très répandu en Europe (Gallent, 2006), se caractérise précisément par la frontière qu’il constitue avec l’espace rural, ceci lui conférant son caractère hybride et spécifique (Hogart, 2005) (figure 10). Par espace rural, nous entendons ici un espace peu dense, au bâti discontinu et au parcellaire agricole (Diry, 1999). Au contraire du deuxième type, cette frange n’est pas issue d’une logique d’étalement urbain depuis la ville-centre par mouvements concentriques, mais d’une logique de périurbanisation, soit de desserrement, qui conduit à créer une forme urbaine éloignée et discontinue vis-à-vis de l’agglomération, créant un jeu de pleins et de vides avec l’espace rural (Prost, 2001 ; Lévy et Lussault, 2003). Conséquence de l’imposition de certains modèles d’habiter (Secchi, 2001 ; Berque et al., 2006) et du développement des transports (Beaucire, 2005), la périurbanisation peut être plus justement appelée rurbanisation (Bauer et Roux, 1976) quand elle est assumée par les communes rurales en tant que modèle de développement communal. Elle génère des morphologies particulières dans lesquelles les vides sont très présents.

Figure 10

Schéma de principe du type 3

Schéma de principe du type 3

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La carte du périurbain francilien de la figure 1, établie par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, permet de localiser ces situations de franges. La carte identifie les franges d’agglomération qui correspondent au type 2, les types 3 se trouvant à la frontière avec les communes rurales.

Un premier sous-type consiste en une lisière entre rural et urbain, et plus particulièrement entre terrains agricoles et zones d’habitat. Ces situations devraient être localisées à la frontière des communes au plus fort gradient de ruralité. En France, et notamment en région parisienne, les situations de coprésence et de frontalité entre espaces agricoles et zones pavillonnaires ou immeubles d’habitation sont nombreuses. Ces deux espaces se font généralement face et le lien ne s’effectue le plus souvent qu’à travers la figure du « sentier » qui longe l’espace cultivé et les stationnements des immeubles. Ce type de lisière est le fait archétypal de la diffusion de la ville, puisqu’il est le plus souvent la conséquence du passage d’espaces agricoles en zone constructible, sous la pression démographique (figure 11).

Figure 11

Frontalité des espaces agricoles et périurbains

Frontalité des espaces agricoles et périurbains

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Dans le cas où le développement de ces communes anciennement rurales se poursuivrait, l’ancien centre-ville et les zones d’habitat se voient augmentés, selon les logiques de l’urbanisme commercial, par des centres commerciaux à l’extérieur de la commune selon une logique réticulaire (Mathieu, 1998 ; Vanier, 2003). La lisière confronte alors espaces commerciaux et espaces agricoles, rejoignant partiellement les franges du deuxième type, avec cette différence notable qu’ici ces zones jouxtent un espace « très » rural ou infra-urbain (Lévy, 1999) si l’on adopte le point de vue du gradient d’urbanité. La lisière, comme la zone commerciale embryonnaire, font face au grand paysage.

On le voit, la notion de frange en tant que forme urbaine physique et sociale recouvre des réalités diverses qui, certes, peuvent correspondre à des périodes historiques différentes d’un même espace mais qui, néanmoins, n’en présentent pas des caractéristiques spécifiques à chaque fois. Nous allons voir à présent comment ces espaces ont été traités dans les dossiers du Grand Paris.

Les franges du Grand Paris

La consultation devait s’organiser en plusieurs étapes ou « chantiers », le premier visant à définir les principes d’une métropole respectueuse de l’environnement (2008), le deuxième ancrant ces réflexions dans la réalité de l’agglomération parisienne (2009), sans négliger les problématiques propres à la métropole, notamment celles du transport et du logement.

Nous reproduisons au tableau 1 le nom et la composition de chacune des équipes, ainsi que les titres donnés à chacun des documents rendus et, enfin, le type de frange traité dans les dossiers. Bien évidemment, aucun des projets ne correspond exactement aux franges que nous avons décrites ; la réalité morphologique défie toujours la classification exacte et il s’agira de « tendance » plutôt que d’une correspondance exacte.

Tableau 1

Tableau récapitulatif des franges traitées par équipe

Tableau récapitulatif des franges traitées par équipe

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Urbaniser les franges du Grand Paris

Prenant appui sur les vides que constituent les franges dans la ville diffuse, les équipes ont proposé la densification du bâti en bordure des parcs, forêts ou zones agricoles enserrés dans le tissu urbain. Considérant que la durabilité ne pouvait être atteinte que par la construction d’une ville compacte, les équipes se sont appuyées sur ces vides en tant que centralités vertes (Corajoud, 2003 ; Chalas, 2010) afin de justifier et motiver la construction de nouveaux quartiers. Quant à l’appréhension des vides intra-urbains, c’est la figure du « bord » qui a émergé et qui s’est affirmée comme prégnante dans la projection des morphologies nouvelles. Ce type de projet est motivé par une équivalence entre densité et durabilité ; le vide urbain et, en particulier, les franges urbaines sont le moyen de faire accepter cette densité (Emelianoff, 2007), en même temps que de l’orienter, de lui donner une centralité et un équipement structurel fort en la présence du vide.

Les figures 12 et 13, prises dans cinq dossiers distincts, illustrent ce principe de densification des bords, nécessaire à la construction d’une ville compacte.

Figure 12

La densification des bords (LIN)

La densification des bords (LIN)

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Figure 13

La densification des bords (MVRDV)

La densification des bords (MVRDV)

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La figure 12 est extraite du dossier de l’équipe LIN, dont l’orientation écologique était très forte. Le projet s’articulait autour de grands principes comme la création d’une infrastructure verte à l’échelle de la métropole organisant la ville dense et la ville légère, la création d’un maillage isotrope de micromobilités ainsi que la promotion de la polyfonctionnalité et de la résilience des espaces naturels périurbains (LIN, 2009). C’est dans ce cadre de la promotion de la ville « intense » qu’est proposé ce travail sur les franges de type 1. Cette première image ne renvoie pas à une situation précise dans l’agglomération, mais vient incarner un principe que l’équipe a adopté, une recommandation morphologique que les aménageurs se devront de suivre. Il s’agit de faire coexister espaces naturels et zones urbaines denses. On voit que, d’une part, la « naturalité » est un contrepoint à la densité et que, d’autre part, elle donne du sens à cet espace, elle l’oriente grâce à la présence du vide vert. Ces vides sont potentiellement ceux des franges à l’intérieur de ce que l’équipe appelle la « ville légère », c’est-à-dire la ville diffuse requalifiée et réinvestie, justement à partir de ces vides.

La figure 13 est extraite du dossier de l’équipe emmenée par MVRDV. Globalement, le projet pour le Grand Paris est animé par un principe d’intensification bien incarné par le nom du dossier (Paris plus). Plus particulièrement, ce sont les chercheurs rattachés à l’École nationale d’architecture de Paris Malaquais qui ont promu l’intensification des bords, notamment des forêts et des grands vides parisiens (MVRDV, 2009). Cette figure est aussi une illustration de ce principe d’intensification, appuyé par une justification dans le discours : « Dans les stratégies d’aménagement de la métropole parisienne, la possibilité d’urbaniser certains bois et forêts, partiellement et sur leurs limites, permettrait de réfléchir à de nouvelles continuités territoriales, à des re-densifications ponctuelles, à une nouvelle forme d’habitat, de confort urbain et naturel. » (Ibid. : 255)

Les figures 14 et 15 portent plus précisément sur le parc de la Courneuve en Seine-Saint-Denis. Ce dernier correspond aux franges de type 1 dans la mesure où c’est un espace vert de taille assez conséquente, relativement mal desservi et isolé du reste de la ville, et dans la mesure où lui-même isole les quelques cités avoisinantes. Il joue bien le rôle d’espace tampon, de vide progressivement rejoint par l’urbanisation. Plusieurs équipes ont décidé de le réinvestir en densifiant ses bords, l’équipe Castro voulant en faire un Central Park autour duquel l’habitat se concentrerait et avec lui tout un ensemble de services.

Figure 14

Le Central Park de la Courneuve

Le Central Park de la Courneuve

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Figure 15

Densification du parc de la Courneuve

Densification du parc de la Courneuve

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Le projet de l’équipe Castro est animé d’ambitions sociales : le Grand Paris est celui du « devoir d’urbanité » servi par huit grands principes au sein desquels la « génération poétique » du projet et la « densité-compacité », qui sont à l’origine de ce travail sur les franges. L’équipe a par la suite continué à travailler sur ce projet du Central Park dans le cadre de l’atelier international du Grand Paris, ce projet devant in fine voir le jour à l’horizon 2016.

L’équipe AJN, Cantal-Dupart, AREP s’est également intéressée au parc de la Courneuve (figure 15). Son projet global s’articule plutôt autour de lieux, d’espaces caractéristiques de la métropole comme la ville-centre ou les grands ensembles, au sein desquels les franges sont une problématique particulière traitées dans le chapitre « Lisières, franges, bords, interférences » (AJN et al., 2009 : 17).

Pour l’équipe AJN et al., l’objectif est le même que chez Castro : faire de cet espace de frange auparavant délaissé le point de départ d’un projet urbain. On retrouve les mêmes dynamiques dans les projets de l’équipe autour du parc des Ardoines ou de l’aérodrome de Villacoublay (AJN et al., 2009 : 103 et 104). A Villacoublay, la frange constituée par les espaces boisés, l’aérodrome et la base militaire, infrastructure de transport à l’empreinte assez forte, sont requalifiés, notamment en parc, et le bord de cet espace est densifié avec des habitations et des services. Ces projets constituent les forêts, les parcs et les vides agricoles en tant que centralités à partir desquelles la densité va s’organiser (Ibid. : 104). Comme nous l’avons dit, le projet AJN et al. consacre une partie spécifique de son travail aux franges, lisières et bords ; aussi n’est-il pas surprenant de voir traité un nombre aussi important d’espaces de type 1 dans les dossiers.

Le projet global de l’équipe dirigée par De Portzamparc pour l’agglomération parisienne s’articule autour de la figure du rhizome, mobilisée afin de promouvoir une nouvelle sorte de connectivité et une remise en cause du principe de hiérarchisation et d’arborescence. Contre la ville uniformément compacte, le rhizome permet une alternance de zones denses et moins denses (2009 : 79), il « associe des territoires en mutation, combine des flux économiques » (De Portzamparc, 2009 : 5). L’équipe définit des zones d’intervention dans l’agglomération, qui sont autant de rhizomes.

Ainsi, dans sa proposition concernant le « rhizome sud » (Ibid. : 56), et plus particulièrement celui qui concerne le plateau agricole de Saclay, Christian de Portzamparc se donne trois objectifs, qui sont le maillage et l’ouverture des territoires, l’intégration de nouveaux équipements, et le désenclavement du tissu existant. Ce plateau situé en banlieue sud de Paris, pris entre le développement aréolaire de plusieurs communes et l’influence de plusieurs pôles d’enseignement d’excellence comme Polytechnique ou des centres de recherche, est l’illustration même de la frange urbaine à l’échelle de la métropole. Le plateau agricole est relativement isolé et bordé par des instituts de recherche, eux-mêmes quelque peu isolés (Bredif, 2009). Ce plateau relève du premier type, dans la mesure où il est progressivement rejoint par l’urbanisation des communes avoisinantes, mais sa proximité avec des espaces plus ruraux (ou à faible gradient d’urbanité) le rapprocherait du second, voire du troisième.

Afin d’atteindre ses objectifs et de donner cohérence à son projet, l’architecte s’appuie sur le plateau de Saclay, en entier conçu comme « une clairière géante vouée à la nature et à l’agriculture » (De Portzamparc, 2009 : 125). Le territoire agricole est conservé, mais traversé d’allées boisées et de deux parcs qui devront jouxter les instituts de recherche. De même, ces parcs proposent une situation de bord qui permet une densification grâce à une urbanisation en damier.

Une redéfinition du tissu à partir du plateau agricole a donc été préférée au mitage progressif de ce vide, qui devient la matrice même du projet : « Donner à toutes les installations des universités et laboratoires des situations de bord de parc dans une unité générée par le tracé de ce bord apporte les qualités d’identité et de cadre de vie différentes de celles du milieu urbain. » (De Portzamparc, 2009 : 125). La frange urbaine constituée principalement d’espaces agricoles et d’instituts de recherche éparpillés devient le point de départ d’un nouveau projet urbain de densification.

Résilience des franges

Aucun projet exposé lors de la consultation ne correspond exactement aux types de franges que nous avons proposés en première partie. Les franges ont souvent été abordées de façon indirecte, à travers une problématique tierce qui touchait ces espaces particuliers. La résilience, entendue comme la possibilité pour un système d’évoluer et de changer d’état afin de continuer à exister (Holling, 1973 ; Gunderson et Holling, 2001), a été abordée par plusieurs équipes qui ont tenté de l’appliquer au système urbain métropolitain. Or, la mise en place de cette résilience, caractéristique de la durabilité, s’est justement appuyée sur certains espaces des franges, notamment celle du deuxième type. Comme nous l’avons dit, cette frange est majoritairement constituée de centres commerciaux, de stationnements, de parcs d’activités technologiques ou techniques ainsi que d’un ensemble de terrains résiduels et interstitiels où la nature a partiellement repris ses droits.

Certains projets, comme ceux des équipes Studio 08-09 et LIN, prennent justement appui sur les espaces résiduels de « nature » très présents dans les franges afin de construire une ville durable à l’échelle de l’agglomération. Mis en réseau avec les autres espaces vides de la ville diffuse, ces espaces résiduels tendent à constituer un système urbain résilient.

Ainsi, l’équipe de Bernardo Secchi et Paola Viganò commence par un recensement systématique de ces espaces, ce qu’ils nomment le dross et qui contient non seulement les espaces vides de la frange, mais également les bords de voies ferrées, les parcs, jardins et espaces récréatifs de la ville diffuse. Une fois établie la carte de ce drossscape, qui constitue la « porosité » inhérente au territoire de la ville contemporaine, il s’agira d’organiser ces espaces afin de proposer des perspectives d’aménagement. L’étude de la « connexité » et de la « porosité » des espaces est la base conceptuelle et pratique de l’ensemble de la proposition de l’équipe, une matrice plutôt qu’un projet, un schème d’appréhension du territoire plutôt qu’un modèle (Studio 08, 2008). Au sein des nombreuses applications de ce dispositif, on observe la mise en réseau des espaces poreux dans le but de favoriser la résilience et de créer de la biodiversité, deux dimensions spécifiques de la durabilité.

Ainsi, pour des zones urbaines soumises au risque d’inondation d’une hauteur comprise entre 30 cm et 1 m, l’équipe propose la mise en place de milieux humides et de zones tampons destinées à protéger la ville et élaborées justement à partir de la mise en réseau de certains éléments du dross : « Plutôt que d’attendre un désastre, ces superficies pourraient être conçues pour admettre des inondations, augmentant ainsi la superficie des zones humides, et des zones de loisirs et d’agréments » (Studio 08 : 101). Ce qui constituait auparavant une surface indéterminée devient, par une logique de connexion et d’intégration réticulaire, un élément de résilience environnementale, car les espaces interstitiels des franges urbaines sont mobilisés non seulement afin d’éviter l’inondation, mais également de s’y s’adapter en mettant en place une résilience fonctionnelle (Davoudi, 2012 ; Gey, 2013a). En effet, la connexion réticulaire d’espaces poreux, la percolation, permettra la gestion naturelle de la crue et la création de nouveaux espaces de loisirs. Le projet de plaine polyfonctionnelle de l’équipe LIN obéit aux mêmes objectifs d’adaptation à la crue, avec la volonté de mettre en place un espace qui puisse évoluer de la base de loisirs à la plaine de décantation, ou à un espace de production de biomasse en fonction de l’évolution du système hydraulique (LIN, 2009). Cette possibilité d’évolution fonctionnelle des espaces au gré des circonstances climatiques incarne une première dimension du concept d’oscillation, dans la mesure où la fonction d’un espace n’est pas fixée définitivement, mais où elle évolue et oscille entre deux possibilités. Plus limitée que l’idée d’« évolutivité » dans le sens où l’évolution est circonscrite à deux états, ce qui semble déjà considérable, et plus réaliste, concernant l’évolution des espaces urbains, l’oscillation n’exprime pas moins l’idée d’un processus à l’oeuvre dans la construction des spatialités. De plus, l’idée d’oscillation implique l’évolution d’un espace qui resterait de même nature, alors que les récents développements du concept de résilience (Davoudi, 2012), assimilant identité et fonction, plaident pour la possibilité d’un changement d’identité du système et de ses éléments.

Cependant, ce réseau établi à partir de la connexion des espaces poreux de la ville diffuse n’obéit pas qu’à l’objectif de résilience, mais permettrait également la stimulation des cycles naturels de l’eau. Ainsi, l’équipe Nouvel promeut-elle également la mise en place de cet hydrosystème écologique : « Des espaces interstitiels pour retrouver le cycle naturel de l’eau (phytoépuration, lagunage, infiltration…) ou pour produire des énergies renouvelables » (AJN et al., 2008 : 195). On voit, ici également, la nécessité de construire ces espaces naturels de l’épuration en dessinant un nouveau réseau et en y insérant des plantes afin que ces processus s’accélèrent : « Nouvelles cultures de plantes réparatrices, indispensables pour assainir les sols pollués, l’air vicié ou chargé de substance nocives, l’eau usée ou impropre aux usages courants (lavage, culture, loisirs...) » (Ibid.).

De la même manière, l’équipe Studio 09 propose un travail sur le sol, sur son dessin et sa sculpture, afin de favoriser et d’organiser les flux pour prévenir la pollution des rivières sans l’insertion d’un appareillage technique en bout de réseau :

Les zones humides fourniraient aussi une capacité de traitement de l’eau supplémentaire pour de nouvelles zones urbanisées, réduisant ainsi la dépendance d’une infrastructure de traitement de l’eau surchargée dans la région parisienne.

Studio 08, 2008 : 100

Ces références aux capacités d’autoépuration des cours d’eau et à la mise en place de stratégies de ralentissement et de zones humides dans le périurbain s’appuient sur des techniques écologiques éprouvées, notamment sur le Low Impact Development (LID) (Leopold, 1968 ; Davis et Mc Cuen, 2005). Ce type d’aménagement est d’abord une technique de gestion des eaux de pluies qui permet d’éviter le ruissellement, de favoriser l’évapotranspiration et la filtration de ces eaux avant leur retour dans le système hydrologique. Les projets des équipes en présence ont tenté de systématiser ce type d’intervention et de l’appliquer à l’échelle de l’agglomération, c’est-à-dire à l’échelle des vallées qui constituent le territoire du Grand Paris. Retrouvant partiellement les travaux de Mc Hargh (1995), les équipes ont promu l’établissement d’un système d’autoépuration sur toute la longueur des franges, et non pas seulement à certains points sensibles de l’hydrosystème.

Enfin, la mise en réseau des espaces vides des franges sert également à la création de biotopes de qualité destinés à la régénération des espèces végétales et animales. L’équipe 08-09 met par exemple en place un système de classement de 1 à 3 permettant de déterminer les espaces et de les classer selon leur potentiel de régénération de l’eau ou de la biodiversité qui leur est associée, avec l’ambition de « créer » de la nature (Studio 08, 2008 : 105). L’équipe LIN promeut également les plaines polyfonctionnelles comme lieux de stimulation de la biodiversité, en y adjoignant tout un ensemble d’espaces tels que les bords de rivière ou les étangs, qui sont pléthores dans les vallées composant le bassin parisien.

Ces propositions, qui s’appuient sur les acquis de l’écologie urbaine, réintègrent donc les espaces vides des franges dans des stratégies durables en les constituant plutôt comme des potentiels, des espaces ouverts et donc en oscillation, plutôt que comme des espaces à vocation unique ou comme réservoirs d’urbanisation future.

Refonder les lisières agricoles

Les lisières des espaces périurbains qui mettent face à face les espaces agricoles et les zones d’habitat ont fait l’objet d’un traitement particulier dans la consultation. Image archétypale de la « ville diffuse » (Secchi, 2001), la lisière était conçue le plus souvent comme une ligne de partage entre deux espaces aux logiques fonctionnelles et sociales qui s’ignoraient. Un front urbain qui voit s’opposer deux espaces a priori irréconciliables, générateurs de nuisances mutuelles.

Nous allons voir que certains projets ont tenté de s’appuyer sur cette tension et de prendre le parti de l’hybridité en proposant des modes d’occupation spécifiques de ces espaces de lisière. Aux niveaux morphologique et fonctionnel, c’est la figure du « tissage » qui s’est substituée à celle de la ligne, dans le dessin des zones d’occupation des sols. Ceci conduisant à la production de morphologies originales permettant la durabilité, entendue au sens de bien-être spatial, puisque orientée par une quête de ruralité. Nous verrons, dans un second temps, comment l’épaississement de la lisière a été conduite au nom de la durabilité envisagée cette fois en termes économiques et sociaux.

Morphologies et fonctions des lisières

La lisière agricole a d’abord été le lieu d’un travail sur le tissu urbain, défini comme le rapport du bâti au parcellaire et au viaire (Panerai et al., 1999). Nous analysons ici les propositions de l’équipe Descartes, qui s’est beaucoup intéressée à la problématique des franges et des fronts urbains dans la grande couronne parisienne (Groupe Descartes, 2009 : 113). Le travail sur les franges est intégré à l’un des cinq grands impératifs que s’est fixés l’équipe pour réformer le Grand Paris : celui du logement, « Le Grand Paris du logement » (Ibid. : 93).

Quant au parcellaire, l’équipe a eu pour ambition de supprimer la frontalité liée à la figure de la ligne en proposant une diversification des statuts juridiques des espaces. À la simple opposition entre public et privé, l’équipe a proposé la création de jardins « privés, semi-privés ou familiaux », afin de brouiller cette dualité et de diversifier les logiques d’action dans la lisière. Quant au dessin du parcellaire, l’équipe a procédé par croisement et entrelacement plutôt que par confrontation. Ainsi, la lisière est composée de bande de terrains agricoles ou jardiniers, qui croisent les bandes d’habitat collectif. La ligne qui, auparavant, séparait espace d’habitat pavillonnaire ou collectif et exploitation agricole est dispersée, étalée, épaissie. Dans des schémas de principe illustrant les situations de bords (Groupe Descartes, 2009 : 113), on voit comment des bandes de jardins privés, semi-privés, collectifs et familiaux viennent s’intercaler entre les bandes d’habitat. Plus loin, le plateau maraîcher est occupé par des agriculteurs de métier, alors que le parc maraîcher a une vocation pédagogique et récréative, diversifiant par là-même l’approche et la fonction de ce type d’activités.

De la même manière, ce sont les espaces en lien avec l’activité agricole qui font office de microespaces publics au sein de ces bandes vertes et grises. Les marchés, points de ventes de graines et produits agricoles ou jardiniers et jardins partagés, sont promus en tant que lieux d’interaction et de contact. On voit la création d’un véritable tissu en lieu et place de l’ancienne ligne séparatrice, objectif qu’on retrouve dans le projet de « périmètre habité » de Studio 08-09 pour qui tous les bords, et notamment les lisières agricoles, doivent être réinvestis par l’habitat, et non plus considérés comme de simples chemins de promenade (Studio 09, 2009 : 149). Au niveau architectural et paysager, le but est également la diversification morphologique. Ainsi, la frange s’épaissit de zones humides, de massifs boisés, de buissons, de pelouses, de plans d’eau ou de jardins familiaux. À cette large déclinaison d’espaces naturels, allant du domestiqué au « sauvage », s’ajoute une typologie d’habitat propre à chaque bord. Chaque type d’espace à composante naturelle génère un type de bâtiment (Ibid. : 106). C’est de ce dialogue que résulte l’épaississement de la ligne. Par ailleurs, ce travail sur la lisière s’accompagne également d’un accroissement de la porosité du tissu à travers la déclinaison de ces multiples espaces naturels, eux-mêmes parcourus par des cheminements multiples qui permettent le passage entre le périurbain, la lisière et l’espace agricole. La multiplicité des passages, cheminements et pistes annule la frontalité des espaces agricoles et périurbains (figure 16).

Figure 16

Diversification et épaississement de la lisière agricole

Diversification et épaississement de la lisière agricole

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De la même manière, la diversification architecturale et fonctionnelle peut porter sur les bâtiments en lien avec l’activité agricole. Ainsi, l’équipe Nouvel multiplie-t-elle les serres, jardins familiaux, marchés ou ateliers afin de diversifier la typologie architecturale de la lisière et de croiser les logiques d’action et d’interaction.

On voit ici la même stratégie d’interpénétration des espaces par une diversification. Les serres horticoles et les jardins familiaux font office de transition entre cet espace exploité et fonctionnel qu’est le champ et la zone d’habitat ou d’activités qui le jouxte. S’opère une véritable logique de tissage des espaces entre eux, et non plus une simple juxtaposition des espaces, comme c’est le cas actuellement dans les franges du périurbain rural.

Le travail de l’équipe LIN incarne une tentative de réflexion sur le réseau viaire dans les territoires de la ville étalée. L’équipe propose la création de « rues agricoles » qui seraient comme de nouvelles illustrations de la ville linéaire, fondées sur la présence des espaces de production et des commerces agricoles (figure 17). Au-dessus de ces commerces, ou en alternance avec eux, pourraient être installés des immeubles d’habitation. Ceci, comme l’ensemble des propositions d’épaississement des lisières, obéit bien à des objectifs de durabilité. D’abord parce que zones de consommation et de production sont rapprochées et, ensuite, parce que ces morphologies originales contribueront au bien-être spatial. Les éléments de la ruralité, d’une ruralité choisie, idéalisée (Hervieu et Viard, 2001 ; Donadieu, 2002 ; Giusepelli, 2006 ; Poulot et Rouyres, 2007), que sont les exploitations agricoles de proximité sont les moteurs de la spatialité et des morphologies. Le rural n’implique pas forcément le durable, on le sait puisque c’est justement la recherche de ce cadre de vie qui a conduit en partie à la diffusion de la ville et au mitage du paysage. Cependant, le choix du terrain agricole comme vecteur de structuration morphologique de l’habitat ne limite plus la ruralité à un cadre de vie, mais l’identifie à une activité, une fonctionnalité qui lui est inhérente.

Figure 17

Illustration d’une rue agricole

Illustration d’une rue agricole

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On voit donc ici l’hybridation d’une typologie issue du patrimoine de la pensée prospective urbaine, la ville linéaire (Sorria y Matta, 1979), dans le cadre spécifique de l’espace rural. Ce type de morphologie pourrait constituer un modèle d’extension périurbaine, diversifiant le développement aréolaire ou la densification.

Avec ces exemples, on assiste à la tentative de créer un véritable tissu en lieu et place de ce qui, auparavant, se réduisait à une limite. Le tissu tend lui-même à évoluer, puisqu’au viaire s’est substitué partiellement un réseau de chemins, et au parcellaire, un espace multifonctionnel et hybride. Toutes ces propositions illustrent bien cette dynamique d’épaississement de la lisière à travers une logique d’oscillation entre privé et public, travail et loisir, logique environnementale et habitante (figure 18).

Figure 18

Schématisation des types de tracés

Schématisation des types de tracés

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La ligne est à la fois une réalité morphologique et fonctionnelle, tout comme l’oscillation qui correspond à cette dynamique de tissage.

Outre cette volonté de repenser la ligne d’un point de vue morphologique, ces propositions répondent également aux objectifs de développement durable en termes économiques et sociaux.

Durabilité économique et sociale

Accomplissant et reprenant un mouvement de fond en aménagement, le travail sur les franges obéit à la volonté de stimuler l’agriculture périurbaine en favorisant l’autoproduction et les circuits cours (Donadieu et Fleury, 1997a et b ; Howe, 2002 ; Morgan, 2009 ; Steel, 2009 ; Grewal et Grewal, 2012) :

Chartes agricoles destinées à améliorer la rentabilité des cultures maraîchères, jardins partagés, ateliers de citoyens, gestion partenariale de projets comme des parcs agraires, développement du tourisme agricole, organisation de circuits courts.

Grumbach, 2009 : 103

Des potagers en lisière sur 100 mètres de profondeur. 1 kilomètre de jardins ouvriers = 500 tonnes de fruits et légumes par an. Cela permet de limiter l’usage des transports automobiles associés aux besoins alimentaires. 30 % de la longueur de la lisière correspond à 10 millions de m2 de jardins ouvriers et de maraîchages.

AJN et al., 2009 : 182

La lisière deviendrait ainsi le lieu par excellence de cette production et de cette commercialisation locales. On remarque au passage que la frange est réinvestie des rêveries utopiques d’autosuffisance alimentaire complète, négligeant la mise en pratique effective de ces propositions et surtout la réalité quantitative de ces productions (Bredif et Pupin, 2012). L’autosuffisance alimentaire est particulièrement revendiquée par l’équipe Descartes, qui se livre même à de savants calculs afin de savoir quelle quantité de terres agricoles serait nécessaire afin de nourrir le Grand Paris :

Considérant qu’il restera, en 2030, 11 608 km2 de surface strictement agricole (déduction faite de l’extension des forêts) et que 4108 km2 de cette surface sera consacrée à l’agriculture urbaine (surface définie à l’aide d’un rayon de 60 km autour de Paris), plus de 16 millions de Franciliens pourraient alors être des localiers !

Groupe Descartes, 2009 : 227

L’équipe Grumbach est moins ambitieuse : « Selon divers consultants, l’agriculture de proximité est capable de fournir au minimum 15 % des approvisionnements des agglomérations, souvent 30 %. » (Grumbach, 2008 : 2)

Au-delà de l’examen réaliste de ces propositions, il est important de noter à quel point la lisière suscite l’engouement des architectes et la réactualisation de schèmes arcadiens (Donadieu, 2000) d’exploitation de la nature. Outre la dimension économique du développement durable, principalement incarnée dans cette agriculture de proximité, la lisière agricole est également le moyen de favoriser la création d’une communauté biotique englobant les hommes et la nature.

Le développement durable, dans son volet social, implique la création d’une communauté solidaire, équitable et soucieuse des générations à venir (Jonas, 1999). La construction de cette communauté ne peut se faire sans le partage et la transmission de certaines valeurs et d’un rapport renouvelé à la nature. Les projets du Grand Paris ont très largement promu cette transmission de valeurs (Gey, 2013b), et ce, justement grâce aux réformes des lisières rural-urbain.

Les équipes ont ainsi mis en avant la nécessité d’une expérience directe de la nature dans la transmission de ces valeurs et de ces connaissances : « En tant que représentation de la nature, ils [les espaces agricoles] ont un intérêt pédagogique pour les jeunes générations qui y découvrent les mécanismes de la vie » (AJN et al., 2008 : 102). De même, les lieux en lien avec l’activité agricole peuvent devenir eux-mêmes des espaces à vocation pédagogique : « Jardins scientifiques : jardins botaniques, arboretums, serres…jardins pédagogiques, classes vertes, jardins d’apprentissage, jardins d’initiation » (AJN et al., 2009 : 19). Certaines équipes proposent même que les acteurs du monde agricole, agriculteurs ou agents de l’Office national des forêts, assurent ce rôle de pédagogue.

Faire reconnaître la valeur environnementale, culturelle, paysagère et récréative du territoire, c’est permettre sa connaissance, assurer son respect et encourager son partage. Les pratiques rurales devraient être expliquées aux citadins, et l’agriculture intégrée dans le projet urbain des communes.

Groupe Descartes, 2009 : 203

De même, les fermes proches des zones périurbaines participeraient de cette transmission de valeurs avec une activité d’exposition du système alimentaire alternatif qu’essaye de créer la ville territoire durable. Outre l’objectif didactique associé à ces dispositifs, la publicisation de ce maillon essentiel du système alimentaire qu’est la ferme répond à la volonté d’exposer le changement économique effectif qui a cours (Grumbach, 2008 ; AJN et al., 2009 ; Groupe Descartes, 2009). La ferme est paradoxalement le moyen de la construction d’une nouvelle urbanité faite de proximité et de complémentarité avec le rural.

Le marché revêt également un rôle symbolique des plus importants. Il est destiné, dans un premier temps, à montrer et à exposer le fruit du travail de la terre en la présence des fruits et légumes. C’est donc un rôle symbolique et didactique qui lui est dévolu.

Faire revenir par exemple l’agriculture au coeur des zones urbaines sera économiquement négligeable, mais symboliquement primordial, car faire percevoir ce qu’elle produit comme le fruit d’une maturation ou comme le simple résultat d’un dispositif de production – voilà deux visions bien différentes de la civilisation.

LIN, 2009 : 25

La visualisation de ces produits permettra l’instauration d’un temps long dans nos économies de la vitesse et de la surconsommation. Le marché devient le lieu de la publicisation de l’activité agricole et d’un rapport authentique à la terre qui s’exprime notamment à travers les aliments. Cette présence de produits « géographiques » (Charvet, 2008) est l’illustration de cette dynamique de reterritorialisation que connaît depuis peu l’agriculture (Brand et Bonnefoy, 2011). Après avoir illustré un processus de déterritorialisation à travers la mondialisation des échanges et la possibilité d’obtenir n’importe quel type de produit à tout moment de l’année, le bien agricole produit à proximité du lieu de vie illustre un processus de reconquête du territoire. Le bien devient le vecteur d’une identité territoriale et n’est plus l’agent d’une dilution identitaire dans un flux de marchandise homogène.

Deuxièmement, le marché favorise le lien social en incarnant un espace de partage et d’échanges (AJN et al., 2009 : 19). En réinstaurant une production locale et des circuits courts de consommation dont le marché serait le noyau fort et structurant, l’agriculture urbaine devient un vecteur de sociabilité de proximité.

Les marchés créent du lien social. Situés en zone urbaine dense, on s’y rend le plus souvent à pied. Les variations de prix en font des lieux de grande mixité sociale.

Groupe Descartes, 2009 : 256

Les activités agricoles peuvent, de même, générer du lien social et de la coopération entre les usagers. Ainsi, les équipes ont noté l’importance des cueillettes et ramassages collectifs pour la constitution du collectif.

Les activités de cueillette et de fermes ouvertes pourraient être développées. L’exemple du réseau d’agriculteurs « Bienvenue à la ferme » est à souligner. Cette offre privilégie un tourisme d’échange et de proximité au travers duquel les agriculteurs transmettent leur passion, proposent de visiter leur exploitation et offrent ainsi une transparence sur les pratiques agricoles.

Groupe Descartes, 2009 : 231

Pour l’équipe Nouvel, le ramassage collectif et les cueillettes permettront l’entraide et la constitution du groupe (AJN et al., 2009 : 156). Le travail de la terre retrouvée permettra la reconstitution communautaire à travers l’effort collectif. Il est assez intéressant de voir comment la notion de travail, sous l’influence du développement durable, redonne un attrait au travail pénible de la terre, et ce, notamment grâce à cette nouvelle division du travail social que permettrait l’agriculture périurbaine. Ces ambitions communautaires ne sont pas sans rappeler les projets de cités jardins d’Howard pour qui « coopération » était le maître mot (Howard, 2003). Dans la cité jardin, projet politique et social avant tout, le travail agricole collectif avait ce même rôle de stimulant communautaire. Aujourd’hui dans les projets du Grand Paris, on retrouve ce désir d’unité, auquel est adjoint celui de la nature, dans le but de créer une communauté biotique. De plus, les agriculteurs eux-mêmes seraient inscrits dans cette communauté, non seulement par leur rôle de « pédagogues », mais également parce que le travail de la terre par les citadins aura contribué à réviser leur représentation de l’espace rural en général, et du champ en particulier. Ce dernier ne sera probablement plus considéré comme extériorité ou paysage, voire espace de prédation, mais simplement comme une illustration de leur propre rapport à la terre à une échelle plus grande. L’agriculture périurbaine a donc un rôle pivot dans la constitution de la lisière en tant que point de départ de projets de développement social durable.

Conclusion

De nouvelles perspectives sur la frange semblent donc avoir été ouvertes par ce qui pourrait être considéré comme une incarnation de l’urbanisme vert. Depuis la densification des bords d’entités naturelles et paysagères fortes, accomplissant l’idée d’une durabilité équivalente à la compacité, jusqu’à la construction de morphologies hybrides destinées à la création de circuits agricoles courts, voire d’un nouveau système alimentaire, en passant par l’organisation des vides stimulateurs de biodiversité, cette figure caractéristique de la ville diffuse semble être totalement réinvestie et renouvelée. D’un espace de transition, devenu lui-même tiers espace, on en arrive à un espace de projection.

Surtout, le travail concernant les franges urbain-rural montre un très large changement de perspective quant à l’appréhension de cette zone anciennement délaissée. En effet on voit bien que la frange n’est plus considérée, à partir d’une perspective « urbano-centriste », comme un potentiel d’urbanisation, un réservoir d’espace vides qu’il faudra bientôt combler et qui présenterait un degré moindre d’urbanité (Augé, 1992). Au contraire, on a pu voir que les projets du Grand Paris tentaient de créer des sortes de « communautés agraires » aux échos howardiens, ainsi que toute une gamme d’espaces naturels à vocation thérapeutique ou écologique, c’est-à-dire des projets réactualisant une certaine idée de la ruralité, conçue comme espace de production et de coopération agricole ainsi que comme ressource paysagère. En cela, ces projets participent d’un mouvement récent qui adopte une perspective plutôt rurale à propos des espaces de la frange, les considérant comme des territoires à réinvestir d’une conception renouvelée de la ruralité et de la durabilité (Rauws et De Roo, 2011 ; Scott et Carter, 2011 et 2012). Les équipes se sont appuyées sur les qualités de la ville diffuse, en général, et de la frange en particulier, afin de proposer une typologie de la ville durable qui puisse s’appliquer de façon pertinente à ces territoires.

Enfin, nous avons vu que ces projets d’urbanisme durable menés dans les franges avaient conduit au renouvellement de la figure de la ligne au profit de celle de l’oscillation. Oscillation entre des statuts juridiques d’abord : privés, collectifs, publics ; mais également entre des morphologies, va et vient entre habitat et agriculture ; entre des fonctions, écologiques, récréatives, économiques ou sociales. Toutes ces réformes conduisent finalement à s’interroger sur le sens et le statut de la « limite » en urbanisme, à l’heure où les espaces de la « ville diffuse » comme les franges deviennent eux-mêmes des « lieux » et non plus les marques de « la fin de la ville ». Dans cette structure isotrope qu’est la ville étalée à l’échelle de l’agglomération, la frange ne peut prétendre à réinstaurer de la « centralité », mais plutôt ce qui tiendrait de « l’intensité ». En effet, à partir du moment où l’étalement urbain contribue à mettre sur le même plan tout un ensemble de territoires auparavant distincts, l’urbain généralisé comme le veut l’expression consacrée, il devient difficile d’établir clairement ce qui est central ou pas dans cette « marée de l’urbain » (Choay, 2006). Face à cette situation bien connue de la ville contemporaine, les projets du Grand Paris ne prétendent pas réinstaurer des centralités et fabriquer ainsi de nouvelles limites, mais plutôt fabriquer un régime d’intensités par un jeu d’addition ou de soustraction d’éléments de centralité choisis, voire renouvelés puisque s’appuyant sur des activités du monde rural.

Certes, les ambitions globales des équipes, les grandes structures métropolitaines imaginées (APUR, 2009) n’ont été que peu reprises par la suite et certains architectes ont critiqué l’absence de retombées concrètes d’un tel chantier prospectif. Cependant, les travaux de l’Atelier international du Grand Paris créé en 2010 ont fait vivre ces propositions et plusieurs équipes appartiennent au conseil scientifique de l’Atelier, et sont impliquées dans l’aménagement effectif de certaines zones précises. Si on peut déplorer le caractère localisé de certains des 650 projets du Grand Paris en construction, d’autres, de grande envergure comme le projet Bercy-Charenton ou la cité Descartes dans le grand Est parisien, sont animés par l’esprit de ces propositions, prouvant ainsi que la consultation a constitué un moment fort d’hybridation et de production des savoirs et des techniques urbaines.

La ville diffuse durable est en construction et le travail de repérage et de description de ses formes est l’une des tâches auxquelles doit s’atteler la recherche en urbanisme. La figure de l’oscillation proposée par les travaux pour l’avenir du Grand Paris devra être confirmée par l’étude d’autres projets établis à l’échelle métropolitaine.