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Introduction

L’analyse d’une situation vécue dans un pays africain, en utilisant les schèmes de référence des Occidentaux, risque de bloquer l’ouverture à la compréhension de la situation dans son altérité, sa différence, sa spécificité. Par contre, un risque inverse se trouve dans le fait de parcourir le terrain à l’étude sans clarifier certains concepts qui servent à délimiter l’objet de recherche. En effet, si le chercheur ne met pas au clair la sensibilité théorique avec laquelle il approche le phénomène qu’il étudie, cette sensibilité théorique risque d’intervenir inconsciemment et alors fausser sa compréhension en imposant une précompréhension du phénomène sans que les données soient la source première de son interprétation.

Nous avons délimité l’objet de recherche à partir d’écrits scientifiques portant sur le passeur culturel ainsi que sur les concepts qui lui sont reliés, c’est-à-dire les concepts de culture, de culture première, de culture seconde, d’identité culturelle, de langue, d’enculturation, d’assimilation, d’acculturation et d’inculturation. La définition de ces concepts nous a permis de déterminer la perspective avec laquelle nous sommes arrivée sur le terrain. Ainsi, ces termes ont été adoptés comme concepts sensibilisateurs (sensitizing concepts) selon la perspective propre à la méthodologie de la théorisation enracinée (Charmaz, 2005; Corbin & Strauss, 2008; Glaser, 1978; Glaser & Strauss, 1967; Strauss, 1987), dans la lignée de la sociologie de l’École de Chicago (Blumer, 1969; Van den Hoonaard, 1997). Selon Plouffe et Guillemette, « ces concepts sensibilisateurs favorisent une plus grande acuité dans la lecture des données et permettent au chercheur de reconnaître ce qui émerge des données » (2012, p. 96). Les concepts sensibilisateurs nomment les paramètres du phénomène que l’on veut étudier. Ils permettent de préciser l’objet de recherche, de même que les objectifs de recherche (Schwandt, 2001). Ainsi, notre recherche ne porte pas sur l’enseignant togolais, mais bien sur son rôle de passeur culturel. Il y a un risque à laisser l’objet de recherche dans une définition trop large. Toute expérience humaine est tellement complexe qu’on ne peut pas l’étudier dans toutes ses dimensions. Les concepts sensibilisateurs identifient les dimensions choisies comme objet d’étude. Comme le rappelle Patton,

bien que la nature inductive de la recherche qualitative souligne l’importance d’être ouvert à tout ce qu’on peut apprendre, une certaine façon d’organiser la complexité de l’expérience est pratiquement un prérequis pour la perception elle-même[1] [traduction libre]

Patton, 2015, p.359

Dans un contexte de recherche interculturelle, l’ouverture à ce qui émerge des données est particulièrement importante pour prévenir l’imposition de préconceptions qui proviennent de la culture du chercheur. Dans notre recherche, il nous fallait donc préciser les concepts sensibilisateurs de notre approche avant même de nous attaquer à ce que vivent les enseignants togolais dans leur propre culture.

On se trouve ici en présence d’un certain dilemme qui ne peut pas être résolu en choisissant une option au détriment de l’autre. En d’autres mots, il faut à la fois demeurer dans une ouverture optimale et clarifier le mieux possible la perspective – la lunette – avec laquelle on observe le phénomène. On parlera alors de sensibilité théorique avec ces deux dimensions, comme l’explique Guillemette (2006) :

D’une part, il s’agit d’être ouvert à (dans le sens d’« être sensible à ») ce qui émerge des données. […] D’autre part, il s’agit d’approcher les données avec une certaine sensibilité, c’est-à-dire avec une disposition de lecture avec laquelle le chercheur peut s’immerger dans les données. […] Avoir une sensibilité théorique signifie être capable de donner du sens aux données empiriques et être capable de dépasser l’évidence de premier niveau pour découvrir ce qui semble caché au sens commun. Pour ce faire, il faut posséder (ou se procurer) un outillage fait de concepts riches et nombreux, ce qu’on appelle en anglais les « sensitizing concepts » (Blumer, 1969; Glaser & Strauss, 1967; Glaser, 1978, 2005; Strauss, 1987). Comme le rappelle Charmaz (2004), ces concepts sensibilisateurs doivent favoriser une plus grande acuité pour reconnaître ce qui émerge des données

Guillemette, 2006, p. 42

Cet article vise à montrer les liens entre les concepts sensibilisateurs que nous avons utilisés et ce qu’ils nous ont permis de comprendre sur l’objet de notre recherche.

Nous débuterons en expliquant le terme central de cette recherche qui porte sur le concept de passeur culturel.

1. Le passeur culturel

L’auteur Jean-Michel Zakhartchouk propose une métaphore pour présenter le rôle de l’enseignant en tant que passeur culturel. Il affirme que le passeur culturel invite les élèves à participer à un voyage :

Non un voyage sans retour, mais un voyage qui peut transformer celui qui accepte l’offre du guide, si toutefois il ne se contente pas d’un rôle passif, s’il est convié, même, à prendre la rame. Un voyage où il ne s’agit pas de renoncer aux charmes de la rive de départ vers laquelle on revient continuellement, mais qui ne sera jamais tout à fait la même quand on aura goûté les fruits d’un monde plus vaste, plus riche

Zachartchouk, 1999, p. 19

Toujours selon Zakhartchouk (1999), le terme passeur est un vieux mot déjà utilisé à l’époque du Moyen Âge qui désignait celui qui fait franchir un obstacle. Ainsi, le passeur culturel est cette personne qui, par divers moyens, permet l’accès des élèves à la culture. Cette action de faire passer vers une « culture qui vaut la peine » (Zachartchouk, 1999, p. 20) est en elle-même empreinte de traits culturels. Dans cette perspective, l’enseignant s’inscrit dans un rapport vivant avec la culture et propose un réinvestissement historique, social et culturel des savoirs scolaires (Sorin, Pouliot, & Dubois, 2007). Dans notre recherche sur les enseignants togolais, le passage s’effectue au cours d’une traversée entre le « rivage » d’où part l’élève et la terre qui constitue la finalité de l’apprentissage culturel.

Pour leur part, l’Association canadienne de l’éducation de langue française (ACELF), la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF) et la Fédération canadienne des directions d’écoles francophones (FCDEF) proposent une définition synthèse qui englobe les divers éléments inclus dans la notion de passeur culturel :

Le passeur culturel accompagne la personne, élève ou adulte, dans la construction de son identité culturelle en créant des occasions signifiantes de découverte et d’expression de la culture tout en étant ouvert sur les autres cultures. Par des interventions qui éveillent les sentiments d’appartenance, de compétence et d’autonomie, le passeur culturel encourage une démarche de réflexion sur le rapport à soi, le rapport à l’autre et le rapport à l’environnement. Le passeur culturel amène donc la personne à faire des choix éclairés qui contribueront au développement et à l’affirmation de son identité

ACELF, FCCF, & FCDEF, 2009, p. 10

Ce concept de passeur culturel nous a aidée à délimiter précisément l’objet de notre recherche et plus spécifiquement l’objet de notre collecte de données. Plus encore, ce concept sensibilisateur nous a rendue attentive d’emblée au contexte du système scolaire africain qui porte une problématique particulière, notamment parce que le « rivage » de départ, en réalité, n’est pas celui qu’il devrait être. En effet, les enseignants ne « partent » pas sur la base du contexte culturel familial de l’élève. Le « rivage » de départ en classe n’est pas le réel lieu d’où l’élève part parce que concrètement les curricula et la langue de transmission à l’école ne correspondent pas à la culture première des jeunes. Ainsi, Noyau souligne plusieurs défis qui se présentent au passeur culturel africain. Elle en parle en termes de « passage » entre deux points :

s’appuyer sur les connaissances linguistiques et culturelles des enfants dans leur milieu, acquises hors de l’école, pour créer des ponts entre le monde social et culturel auquel ils appartiennent et le monde de l’école avec ses savoirs calibrés

Noyau, 2004, p. 477

Mais encore faut-il que ce « milieu » culturel soit pris en compte concrètement. C’est là le problème auquel nous avons été « sensibilisée » grâce au concept de passeur culturel.

D’autres auteurs parlent de médiateur culturel plutôt que de passeur culturel. Tardif et Mujawamariya affirment que

l’enseignement est médiation à la culture du présent, médiation qui s’impose comme tâche d’éducation et d’instruction des nouvelles générations aux connaissances et aux normes sociales contemporaines qui président à l’exercice de la citoyenneté, c’est-à-dire au savoir-vivre ici et maintenant dans notre société

2002, p. 5

L’intégration d’éléments culturels à l’école par un médiateur a pour conséquence d’amener l’élève à parfaire son identité culturelle. Ainsi, « la construction identitaire est un processus hautement dynamique au cours duquel la personne se définit et se reconnaît par sa façon de réfléchir, d’agir et de vouloir dans les contextes sociaux et l’environnement naturel où elle évolue » (ACELF et al., 2009, p. 14). Dans un contexte scolaire où il y a discordance entre les acquis du milieu familial et ceux du milieu éducatif, une fragilisation de cette structure identitaire pourrait survenir et ainsi avoir un effet négatif sur l’apprenant dans l’intégration des caractéristiques de l’un ou l’autre des groupes culturels auxquels il appartient.

Plus spécifiquement dans le contexte du système scolaire togolais, déchiré entre l’omniprésence de la culture française, héritée de l’époque coloniale, et l’usage de la culture et des dialectes africains dans la vie quotidienne des élèves, le rôle de passeur culturel porte des enjeux et des questionnements particuliers. Nous y reviendrons.

Avant d’aller plus loin sur le concept de passeur culturel et pour mieux comprendre cette notion, il nous faut clarifier la notion de culture afin de lui rendre explicitement sa fonction de concept sensibilisateur.

2. Le concept de culture

Le concept de culture est étudié depuis plusieurs années par des chercheurs de différentes disciplines telles la sociologie, l’anthropologie et la psychologie. Il existe plusieurs définitions, mais nous pensons pouvoir dire que, en général, le concept de culture comporte une double acception : d’un côté, nous retrouvons une vision plus classique ou humaniste qui concerne les « personnes de culture » et, de l’autre, une visée plus anthropologique ou sociologique, une définition fondée sur la « psychologie collective » ou sur le mode de vie spécifique d’un groupe humain (Carrier, 1992, p. 138). C’est évidemment la deuxième acception que nous utilisons dans notre recherche.

Spécifiquement, nous empruntons la définition bien connue de l’anthropologue britannique Edward Burnett Tylor. Celui-ci est un des premiers chercheurs à avoir proposé une définition du terme culture dans un sens sociologique ou ethnologique. Il définit la culture comme un « tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société » (Tylor, 1871, p. 1).

Cuche (2004) précise que cette définition se veut plus descriptive que normative. Il ajoute :

Par ailleurs, elle rompt avec les définitions restrictives et individualistes de la culture : pour Tylor, la culture est l’expression de la totalité de la vie sociale de l’homme. Elle se caractérise par sa dimension collective. Enfin, la culture est acquise et ne relève donc pas de l’hérédité biologique. Cependant, si la culture est acquise, son origine et son caractère sont en grande partie inconscients

p. 18

3. Les concepts de culture première et de culture seconde

Dumont (1968) propose une distinction entre la culture reçue dans le milieu familial – qu’il appelle culture première – et la culture seconde reçue à l’école. Pour lui, la culture première est constituée de « tout un réseau par où l’on se reconnaît spontanément dans le monde comme dans sa maison » (Dumont, 1968, p. 51). Cette culture première, au sens dumontien, est donc d’abord familiale parce qu’elle provient du quotidien du milieu dans lequel nous naissons et grandissons dans les premières années de notre vie (Fornara, 2006).

Toujours pour Dumont, la culture seconde est intrinsèquement liée à la culture première. Elle y est enracinée. Dans les mots de ce sociologue, la culture seconde se construit dans une explicitation du sens qui se trouve dans la culture première (Dumont, 1968). Cette culture seconde est constituée de savoirs et de systèmes symboliques qui proviennent davantage de la société que de la famille, même si la famille agit en tant que vecteur de la culture seconde de toute la société. Dans l’apprentissage de la culture seconde, l’école joue un rôle prépondérant. En effet, pour Forquin (1996), la culture seconde constitue la raison d’être de l’école et la substance de l’enseignement scolaire.

La culture première sert d’ancrage aux contenus éducatifs offerts par l’école. Elle doit donc être connue par les enseignants qui ont comme responsabilité de permettre l’arrimage entre la culture première et la culture seconde. Que ce soit sur le plan académique, sur le plan personnel ou sur le plan social, l’intégration de la culture seconde ne doit pas se faire au détriment des connaissances déjà acquises par l’enfant, mais plutôt se faire en continuité avec la culture première (Noyau, 2006).

Ce couple conceptuel (culture première et culture seconde) nous a rendue sensible au contexte togolais dans lequel l’identité culturelle, c’est-à-dire « la culture telle qu’elle est vécue par chacun de nous, à un moment spécifique de notre vie » (Gratton, 2009, p. 35), est en constante confrontation avec une autre construction identitaire, celle d’une culture étrangère qui cherche à s’imposer. La culture seconde devrait toujours être seconde de la culture première, mais ce n’est pas ce qui arrive dans les écoles togolaises. Si la culture seconde n’est pas dans le prolongement de la culture première, elle ne peut pas « passer ».

Dans notre recherche, nous avons découvert que les enseignants togolais ne peuvent pas être des passeurs culturels d’une culture étrangère parce que cette imposition d’une culture étrangère, surtout si elle ne prend pas en compte la culture première réelle, est en contradiction avec le rôle de passeur culturel. Avec ces concepts sensibilisateurs comme outils d’appréhension de ce que vivent les enseignants togolais, nous avons pu être « sensibles » aux problématiques particulières qu’ils vivent dans leur rôle de passeur culturel et aux processus de résolution de dilemmes qu’ils vivent aussi.

4. Le concept d’enculturation

Un des premiers processus de socialisation qui touche l’individu est la transmission des traits de sa propre culture par sa famille et son entourage immédiat. En effet, si l’enculturation est un processus de socialisation au sein d’une société particulière (Bayili, 2014), c’est d’abord au sein de la famille que les éléments culturels sont transmis d’une génération à l’autre (Sabatier & Dasen, 2001). Les auteurs Camilleri et Vinsonneau (1996) précisent la définition de ce concept en indiquant que l’enculturation est « l’ensemble des opérations par lesquelles les sujets s’approprient cette culture de leur propre groupe » (p. 20). L’enculturation correspond aux « mécanismes inconscients ou partiellement conscients » de la transmission des traits culturels du groupe d’appartenance vers un individu, orientant ainsi les différents « aspects de sa personnalité dans un sens commun » (Camilleri, 1985, p. 24), c’est-à-dire un sens partagé par les autres membres du même groupe.

Ainsi, on comprend que le concept d’enculturation est très lié au concept de culture première et donc, que l’enseignant – en tant que passeur culturel – doit prendre en compte la base même du processus de « passage », base qui se constitue par l’enculturation. Dans le contexte scolaire togolais, le passeur culturel ne peut pas tenir pour acquis que cette base est prise en compte dans les curricula et les ressources comme les manuels. Il y a donc une problématique que l’enseignant ne peut absolument pas esquiver. Et la manière de traiter cette problématique n’est pas du tout évidente. Nous verrons plus loin ce que vivent les enseignants togolais sur ce plan.

5. Les concepts de triangle pédagogique et d’inculturation en lien avec le concept de passeur culturel

Dans ses écrits, Zakhartchouk (1999) parle de trois éléments qui s’articulent autour du concept de passeur culturel, soit l’enseignant, l’élève et la culture. Dans le dessein de bien cerner le rôle et les relations existantes entre chacune de ces composantes du concept de passeur culturel, nous expliciterons les liens entre elles à l’aide d’un modèle théorique qu’on appelle le triangle pédagogique, puis nous verrons la cohérence avec le concept d’inculturation.

Legendre (1988, 2005) propose une compréhension du triangle pédagogique qu’il intègre à son modèle SOMA. Tout d’abord, nous retrouvons les trois pôles du triangle, soit le sujet, l’objet et l’agent. Chacun d’eux est relié à l’autre par une « relation biunivoque » (Mvondo Mvondo, 2013, p. 24).

Figure 1

Triangle pédagogique

Triangle pédagogique

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Selon Legendre (1988, 2005), la première composante est le « sujet » ou « l’apprenant » dans une situation d’apprentissage (désigné par S). Le second pôle constitue « l’objet » (O) ou « l’ensemble des objectifs d’une situation pédagogique » (Legendre, 2005, p. 962). Le troisième pôle est « l’agent » (A), c’est-à-dire « l’ensemble des ressources humaines, matérielles et pédagogiques offertes au sujet dans une situation pédagogique » (Legendre, 2005, p. 34). Rézeau (2001) reprend le triangle de Legendre et nomme les pôles différemment : le sujet est l’apprenant, l’agent est l’enseignant et l’objet est le savoir. Pour faire le lien entre le triangle pédagogique et le modèle du passeur culturel, nous n’avons qu’à considérer que l’objet (O), ou le savoir, est la culture, et plus précisément la culture seconde.

Dans cette perspective, le concept d’inculturation constitue aussi un modèle triangulaire à trois pôles. Il a vu le jour dans les années 80 dans le domaine de la théologie. Ce modèle a d’abord été élaboré à deux pôles, ceux-ci étant le message (la culture seconde) et le sujet, ou plus précisément la culture de ce sujet. On parlait alors d’adapter le message à la culture du récepteur. Cette bipolarité contribuait à la confusion sémantique entre les notions d’acculturation et d’inculturation. En effet, la notion d’acculturation désigne un type de relations entre deux cultures : « l’acculturation est le processus par lequel une culture mise en contact avec d’autres cultures s’adapte à elles et, à partir de ses propres racines, en assimile certains éléments » (Bayili, 2014, p. 22). Le terme acculturation, avec cette signification, existe en anthropologie depuis le début du XXe siècle (Herskovits, 1938; Redfield, Linton, & Herskovits, 1936). Il est dual et non trine (Bhatia & Ram, 2001). La plupart des définitions impliquent une réciprocité d’influence entre deux cultures (Poirier, 1972; Vinsonneau, 2002). Dans ce processus d’échanges, un des deux groupes culturels (ou individus) opère « une sélection, une combinaison, un renforcement, ou un rejet des traits culturels » de l’autre (Carrier, 1992, p. 34).

Nous voulons ici souligner le fait que le concept d’acculturation est toujours dual et que, lorsque le concept d’inculturation est synonyme d’acculturation, cette dualité demeure dans la compréhension de l’inculturation. Ainsi, cette sémantique à deux pôles paraissait insuffisante pour Carrier (1987), Peelman (1989, 2007) et Schineller (1989) dans leurs études sur l’inculturation. Ils lui ont préféré la triangularité afin d’exprimer la complexité existante dans la relation entre le médiateur (le catéchète ou le missionnaire) et la personne (le sujet) apprenant à s’approprier le message (la culture seconde). Ainsi, le modèle théorique de l’inculturation qui est construit à trois pôles (Guillemette, 1995) rejoint le modèle du triangle pédagogique et, en même temps, permet de mettre en lumière la médiation du passeur culturel qui est une médiation entre la culture seconde et la culture première. Pour être plus clair, précisons que, dans la notion d’inculturation, les trois pôles sont l’enseignant, l’apprenant et la culture à apprendre (donc, la culture seconde). Dans ce modèle théorique, la culture première se situe dans le pôle de l’apprenant. Ainsi, l’inculturation est un processus d’appropriation d’une culture seconde par l’apprenant, processus qui inclut la médiation de l’enseignant.

C’est ainsi que le concept d’inculturation nous apparaît préférable à celui d’acculturation dans le contexte de l’enseignement parce qu’il permet de prendre en compte les trois éléments essentiels de l’enseignement – les mêmes trois éléments que l’on retrouve dans le concept de passeur culturel – et parce qu’il permet de voir les relations entre ces trois éléments comme on les voit dans le triangle pédagogique.

Si nous reprenons le triangle qui se trouve dans le concept d’inculturation, on dira que ce sont les domaines d’apprentissage et les programmes disciplinaires qui constituent la culture seconde (ministère de l’Éducation du Québec & ministère de la Culture et des Communications, 2003) et qu’ils forment le pôle « objet » (O) dans le modèle de Legendre. L’enseignant est perçu comme un guide dans la relation entre l’apprenant et la culture. La Figure 2 illustre le triangle pédagogique en lien avec le concept de passeur culturel de Zakartchouk (1999) et les relations entre les différentes composantes. La tâche de l’enseignant passeur culturel s’insère dans ces relations à double mouvement, ou relations réciproques, que nous retrouvons dans le concept d’inculturation (Guillemette, 1995). Pour cette étude, nous nous concentrons davantage sur les relations entre la culture et l’enseignant ainsi que celles vécues entre l’enseignant et l’élève. Le rapport dans la troisième relation, soit entre l’élève et la culture, est tout aussi important dans ce modèle, mais il ne permet pas d’approfondir la compréhension de la façon dont l’enseignant togolais vit son rôle de médiateur entre la culture togolaise et l’apprenant.

Figure 2

Modèle provisoire des relations existantes dans le modèle du passeur culturel

Modèle provisoire des relations existantes dans le modèle du passeur culturel

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La première relation que nous décrivons ici est celle existant entre la culture et l’enseignant. La culture s’insère dans l’enseignant comme l’enseignant s’insère dans la culture à enseigner. Cette culture est présente dans des objectifs scolaires et des programmes d’enseignement. Le mouvement de l’objet vers l’agent correspond à la connaissance que ce dernier acquiert de ces programmes et des domaines d’apprentissage empreints de la culture seconde nationale. Le mouvement inverse se rapporte aux adaptations de ces programmes effectuées par le passeur culturel. Pour Tardif et Lessard,

les enseignants n’appliquent ni ne suivent mécaniquement les programmes scolaires; au contraire, ils se les approprient et les transforment en fonction des contraintes situationnelles qu’ils rencontrent, de leur expérience antérieure, ainsi que de diverses autres conditions, telles que leur compréhension de la matière, leur interprétation des besoins des élèves, les ressources disponibles, l’évolution du groupe, leurs préférences et valeurs, etc.

2004, p. 252

La seconde relation décrite se situe entre l’agent et le sujet. Le double mouvement que nous retrouvons dans cette relation permet de dire que l’enseignant transmet à l’élève des repères culturels tout en apprenant de lui, ce qui occasionne une perpétuelle mouvance dans cette relation. On peut ici utiliser le concept d’acculturation pour exprimer cette relation entre deux identités culturelles qui s’influencent réciproquement. Le mouvement de l’enseignant vers l’élève constitue l’enseignement des savoirs et des connaissances à l’élève. Pour ce qui est du mouvement de l’élève vers l’enseignant, il est actualisé lorsque l’enseignant apprend à mieux connaître l’élève et lorsque celui-ci participe aux interactions avec l’enseignant. Tardif et Lessard (2004) expliquent que « l’enseignant doit s’engager dans un processus d’interaction et d’ouverture avec autrui – avec un autrui collectif – de façon à lui donner accès à sa propre maîtrise » (p. 356). Ce transfert de connaissances laisse place au passage de la culture « qui vaut la peine » (Zakartchouk, 1999, p. 20) où l’enseignant et l’élève se verront transformer dans cette relation réciproque d’acculturation.

6. Les enseignants togolais comme passeurs culturels

Dans cette dernière partie de l’article, nous présentons le vécu des enseignants que nous avons rencontrés dans notre processus de recherche sur leur expérience de passeurs culturels. Ainsi, nous illustrons l’utilité de la clarification des concepts sensibilisateurs dans notre appréhension du phénomène.

Cette expérience des enseignants togolais ne peut être comprise que si l’on garde à l’esprit le contexte de conflit culturel dans lequel se trouve l’école togolaise. En effet, le Togo fait partie de ces pays qui ont été conquis par des gens qui se considèraient comme porteurs d’une culture universelle. Lors de la colonisation du Togo par les Français au début du XIXe siècle, ceux-ci ont imposé leur façon de vivre aux Africains, notamment en prescrivant des lois qui ne respectaient pas la culture togolaise et en imposant la culture française dans les écoles. Ces colonisateurs visaient, en quelque sorte, l’assimilation de la population locale, ce qui « implique pour un groupe la disparition totale de sa culture d’origine et l’intériorisation complète de la culture du groupe dominant » (Cuche, 2004, p. 12). Ainsi, encore aujourd’hui, le Togo se caractérise par une situation diglossique (français/langues africaines) où les dialectes africains ne sont pas utilisés à l’école. Pour Cuche, « langue et culture sont dans un rapport étroit d’interdépendance : la langue a, entre autres fonctions, celle de transmettre la culture » (2004, p. 14). De son côté, Lévi-Strauss (1958) soulève la complexité des rapports entre langage et culture, en désignant trois façons différentes de voir ces rapports. Premièrement, il considère que la langue est un « produit » de la culture. Alors, « une langue en usage dans une société reflète la culture générale de la population » (Lévi-Strauss, 1958, p. 78). Deuxièmement, cet auteur souligne que la langue fait partie intégrante de la culture, comme un « élément » parmi d’autres éléments, c’est-à-dire qu’elle n’en est pas le seul élément (Lévi-Strauss, 1958, p. 79). Troisièmement, il fait remarquer que la langue est une « condition » de la culture (Lévi-Strauss, 1958, p. 79). Autrement dit, c’est avec le langage que l’individu s’approprie la culture de son milieu d’origine.

À la lumière de ces précisions conceptuelles, nous pouvons constater que l’usage d’une langue étrangère à l’école ne favorise pas le développement cognitif des élèves, surtout dans le cas où cette langue n’est pas connue par ces derniers et qu’ils doivent en faire l’apprentissage initial. L’enseignant togolais, jouant un rôle important dans la construction de l’identité culturelle de ses élèves, se voit dans l’obligation d’utiliser une langue étrangère en classe. On pourrait décrire la situation en expliquant ainsi la dualité : d’un côté, les codes valorisés appris au sein du milieu familial et, de l’autre, le mépris de ces mêmes références par les gens « cultivés ».

Parmi les enseignants rencontrés pour notre recherche lors de séjours dans un village togolais, Selom, Mensah et Élolo[2] expliquent que les documents pédagogiques qu’ils utilisent dans leur enseignement doivent être en lien avec les coutumes, les traditions et surtout les réalités du pays. Selom utilise un document de vocabulaire écrit et imprimé par des gens de son pays. Pour lui, « un étranger ne peut pas parler de la culture d’une autre localité ». Le document de français qui est le plus répandu dans le pays est « Le Flamboyant ». Cette collection est une adaptation du contexte des pays d’Afrique francophone produite par un éditeur français. Il est utilisé dans plusieurs pays. Les enseignants togolais s’interrogent tout de même sur l’absence d’un contenu culturel spécifiquement togolais dans ces documents pédagogiques.

À ce propos, le choix des contenus des manuels scolaires découle de la description des programmes de formation qui, eux-mêmes, suivent l’orientation prise par le curriculum pédagogique. Les grandes orientations de ce curriculum sont prises en fonction des besoins et des aspirations du pays. Donc, prenant en considération les finalités de l’éducation au Togo portant, entre autres, sur le renforcement de l’identité culturelle, nous devrions retrouver des repères culturels propres à la culture togolaise dans les documents utilisés par les élèves et les enseignants. Cela n’est malheureusement pas le cas. Sorin mentionne l’apport de la littérature en classe comme un outil afin de favoriser « la construction identitaire par la transformation du rapport de l’élève à la culture, à l’Autre et au monde » (2006, p. 237). De plus, elle ajoute qu’une telle approche culturelle doit s’harmoniser avec le contenu des manuels scolaires.

L’élaboration des manuels scolaires doit être faite en tenant compte des besoins des apprenants et des traits culturels des individus ciblés par l’utilisation des documents. Il est nécessaire de faire appel aux ressources humaines locales pour cette élaboration. Souvent, les difficultés économiques des pays d’Afrique, tel le Togo, ne permettent pas la production locale de ces manuels. Cette situation oblige les concepteurs à faire appel à une « équipe mixte » qui est composée d’experts locaux et d’experts étrangers. L’apport des étrangers peut se traduire par l’appui d’une maison d’édition ou par une collaboration entre institutions (Bérard, 1995). Dans un tel cas, l’auteur précise que l’équipe doit être en accord avec certains éléments de base tels que la conception de la langue à enseigner, le traitement des aspects socioculturels ainsi que la conception méthodologique. Cette façon de procéder peut être coûteuse pour l’État ainsi que pour la maison d’édition. C’est pour cette raison que les contenus, sur le plan culturel, sont épurés afin de répondre à un public plus large. Dans le contexte éducatif qui nous concerne, le manuel scolaire est un outil indispensable pour les enseignants qui, souvent, ont peu ou pas de formation pédagogique et didactique. La pénurie d’enseignants qui règne au Togo ne facilite pas les choses, car les directions d’école doivent avoir recours à des enseignants volontaires. Ces derniers, malgré leur engagement généreux, manquent de formation et d’expérience. Donc, pour ces personnes, le manuel scolaire est plus que nécessaire.

Cette situation est ce qui motive les enseignants togolais consultés à adapter les contenus et à modifier les documents scolaires fournis par l’État. Pour eux, utiliser des situations de la vie courante des enfants ainsi que des situations qui les interpellent favorise l’appropriation par l’élève de sa culture locale. Un rapport produit par le Ministère togolais des enseignements primaire et secondaire (2004) mentionne qu’afin d’augmenter la qualité de l’éducation et de réduire le taux de redoublement et d’abandon scolaire, les autorités compétentes devront faire, entre autres, « l’adaptation du matériel didactique et du contenu des manuels scolaires de manière à rendre l’enseignement dispensé aux apprenants plus pertinent » (Ministère togolais des enseignements primaire et secondaire, 2004, p. 18). L’enseignant Afi explique que, dans le manuel mis à disposition, la leçon portant sur « la toilette » suggère des éléments qui sont peu connus des élèves : « on a dessiné dans le document le lavabo, des choses qui ne sont pas familières aux enfants. Donc, on essaie d’adapter. On peut laisser les lavabos de côté et exploiter une situation proche des enfants ».

L’adaptation des manuels scolaires est une tâche de l’enseignant passeur culturel. Cette tâche complexe s’inscrit dans la relation entre le pôle « objet » (la culture inclue dans les programmes) et le pôle « agent » (l’enseignant). Par contre, afin de bien adapter les contenus des manuels accessibles en classe, l’enseignant doit connaître la culture de ses élèves. En ce sens, l’enseignant est au service de la relation entre le pôle « Objet » (les contenus des programmes scolaires) et le pôle « Sujet » (les élèves).

Pour les enseignants consultés, les leçons d’histoire, en particulier, ont une grande importance dans la formation culturelle des élèves et donc dans le rôle de passeur culturel. Afin de mieux comprendre les réalités actuelles sur les plans politique, géographique, économique, culturel, etc., il est nécessaire de connaître la dimension historique de ces aspects de la vie. De plus, l’enseignement de l’histoire constitue une manière incontournable de transmettre l’héritage culturel. Comme le soulignent le MEQ et le MCC,

sans qu’ils soient considérés comme des objets particuliers d’étude, l’exploitation en classe des repères culturels permet à l’élève de s’approprier des savoirs culturels produits par les générations précédentes. Ces savoirs constituent l’essence du monde où il doit vivre

2003, p. 32

En ce sens, Koffi, un enseignant togolais, précise l’importance de connaître le vécu ainsi que le mode de vie des ancêtres :

On arrive à leur parler, à leur enseigner cela que vos ancêtres sont venus de tel lieu, vous avez tel roi. Le roi le plus célèbre c’est un tel. Et comment vos ancêtres se comportaient; ils faisaient ceci, ils faisaient cela.

Akofa enseigne « l’itinéraire que les Adja et les Ewe ont suivi depuis le Nigéria jusqu’au Togo ».

En ce qui a trait à l’enseignement des arts plastiques, de la danse et des chants, Komla précise qu’il enseigne « le chant et la danse de nos milieux ». Les élèves apprennent des chants et des danses qui font partie du répertoire traditionnel de la culture togolaise. Selon l’enseignant, par ces manifestations artistiques, les élèves apprennent les coutumes et les traditions de leur culture. La danse et le chant sont souvent reliés à des rituels traditionnels comme le mariage, la naissance d’un enfant ou la mort d’une personne.

Par ailleurs, le contenu des leçons d’éducation civique et morale (ECM) a pour objectif principal l’apprentissage des règles de politesse, de coopération et de respect. Afi démontre bien, par l’exemple d’une leçon, son implication dans sa tâche de passeur culturel :

L’enfant quand il marche, il rencontre quelqu’un, il doit lui dire poliment, il doit le saluer; comment on dit « bonne arrivée ». Le matin, quand il se réveille, il doit saluer les parents. […] Donc, c’est d’une façon, c’est la coutume à transmettre.

Alors, à l’aide d’un thème précis, il est possible pour le maître d’enseigner le code de vie à suivre selon les valeurs de la culture locale. Pour réaliser son rôle de passeur culturel, l’enseignant togolais doit viser, par l’éducation, à « rendre l’enfant conforme à un certain idéal social » (Ngakoutou, 2004, p. 55), entre autres par la « connaissance des us et coutumes de son groupe » (Ngakoutou, 2004, p. 55).

Les enseignants rencontrés ont mentionné le lien qui existe entre la transmission de la culture et l’utilisation de la langue nationale. Selom explique que « c’est dans ça [la langue] que nous apprenons nos cultures ». Ayawa précise : « Chaque langue correspond à une culture. Aucune langue étrangère ne peut transmettre parfaitement une culture africaine. »

Élolo soulève la problématique de la multiethnicité du pays dans l’enseignement des langues nationales par les enseignants. Lui-même vit dans un milieu Ewe, mais il est originaire du nord. Il fait partie des Kotokoli, ce qui veut dire qu’il ne parle ni l’Ewe, ni le Kabyié. Alors, il est impossible pour lui d’enseigner une ou l’autre de ces langues nationales. En ses propres mots, il rappelle que, « par exemple, moi, les langues qu’on me dit d’enseigner là, moi, je ne les comprends pas parce que je suis Kotokoli ». Cette situation constitue un problème sérieux dans l’enseignement des langues nationales à l’école. Elle porte donc préjudice à la transmission culturelle. Noyau (2004) a observé cette problématique du manque de connaissances des enseignants des langues maternelles à enseigner : « L’introduction des langues éwé et kabiyé dans les classes du primaire et du secondaire se heurte donc au problème du niveau de connaissances des enseignants » (p. 493). On comprend ici que le rôle de passeur culturel porte l’exigence de l’apprentissage de la culture à « passer ».

Concernant cet aspect de la langue maternelle et de la culture première qui ne trouve pas toujours un prolongement dans l’apprentissage scolaire, Selom précise que les enfants n’arrivent pas dénués de connaissances à l’école : « Les enfants apprennent quelque chose avant de venir à l’école. » Certains enseignants expriment la nécessité de la culture première, cette culture apprise au sein de la famille, dans la construction des nouveaux apprentissages culturels en classe, ceux-ci constituant la culture seconde. C’est lors du contact avec les autres élèves et les enseignants que l’élève est confronté à la réalité multiethnique qui existe dans le pays. Afin de mettre son rôle de médiateur culturel en action, l’enseignant doit connaître et faire connaître ces traditions culturelles propres à ces différents groupes ethniques. Il doit donc connaître la différence importante entre la famille et l’école sur le plan de la médiation de la culture.

Conclusion

Nous avons essayé de montrer comment une approche inductive peut inclure une utilisation des concepts sensibilisateurs pour mieux faire ressortir le sens du vécu à l’étude. Ainsi, la clarification des concepts de passeur culturel, de culture, d’inculturation, etc., nous a permis de mieux comprendre le vécu de l’enseignant togolais et les problématiques qu’il vit dans son rôle par rapport à la culture. Notre défi était de montrer comment demeurer dans une approche inductive tout en faisant un travail conceptuel en amont de la recherche sur le terrain.

La clarification des concepts sensibilisateurs a rendu possible une approche inductive plus riche dans le sens où nous avons pu nous ouvrir davantage à la complexité de ce que vivent les enseignants togolais au coeur de leur travail et avons pu mieux comprendre les nuances de leur vécu. Cette étape préalable à la recherche sur le terrain permet non seulement de préciser l’approche avec laquelle on appréhende un phénomène, mais aussi de mieux s’ouvrir à ce que disent les données pour aboutir à une compréhension bien enracinée dans ces données en provenance des personnes qui vivent le phénomène à l’étude.

Dans la perspective ethnographique d’immersion dans une culture locale en mettant le plus possible de côté ses préconceptions pour ne pas les imposer lors de l’interprétation de cette culture, il faut tout de même identifier l’objet d’étude lui-même, et cette identification ne peut être faite sans la clarification des concepts qui nomment cet objet d’étude. Dans notre recherche, nous avons expérimenté la fécondité de la clarification conceptuelle parce que, sans elle, nous n’aurions vu que superficiellement des phénomènes du quotidien qui nous auraient frappée par leurs différences évidentes (donc plutôt extérieures) par rapport aux comportements des enseignants et des élèves québécois. Le fait d’avoir cerné les concepts utiles à notre recherche et d’en avoir saisi les nuances et les complexités nous a permis d’appréhender en profondeur l’intériorité du vécu des enseignants togolais dans ce qui est au coeur de leur mission et de leur engagement : leur rôle de passeur culturel. Il faut dire que l’Afrique est, depuis plusieurs années, une source très riche de réflexion sur les enjeux liés à la culture dans l’éducation, liés à l’acculturation et à l’inculturation. Les problématiques vécues par les enseignants sont aussi l’occasion d’un engagement profond et très instructif pour les enseignants de toutes les cultures.