Corps de l’article

1. Introduction

La responsabilité comme principe, éthique, exigences, attentes ou règles, dans un contexte de transformations, voire de ruptures et de contradictions, tel que le connaît le champ éducatif, convie au questionnement non seulement sur le plan des finalités, valeurs et pratiques de l’éducation, mais aussi sur les nouveaux rôles assignés aux différents acteurs concernés.

Ainsi au Québec, au regard de la fonction enseignante, on associe la professionnalisation de ladite fonction à l’acquisition de responsabilités croissantes, alors qu’au regard de l’établissement scolaire, on observe un transfert de responsabilités vers le personnel, les parents et la communauté. Autre exemple, en France, le ministère de l’Éducation nationale (2010) souligne que la nouvelle réforme du lycée (15-18 ans) vise notamment à responsabiliser les équipes et les élèves à tous les niveaux par la promotion de l’autonomie des établissements scolaires, la responsabilisation accrue des jeunes sur les plans personnel et social, un renforcement de l’autorité de l’enseignant, la lutte contre la violence et les discriminations, la généralisation de l’éducation au développement durable, l’appropriation des symboles républicains, l’appui aux initiatives pédagogiques et éducatives et, enfin, par l’implication des parents dans les enjeux de l’éducation et l’accompagnement de leurs enfants.

Il va de soi qu’une telle reconfiguration tant des lieux d’éducation à la responsabilité que des transformations des responsabilités de ses acteurs interpelle spécialement le champ de l’éthique. Qu’en est-il des responsabilités transformées et inédites dévolues aux différents acteurs avec la dernière vague de réformes de l’éducation ? Quels sont les enjeux soulevés par ces nouvelles responsabilités dans un contexte où l’éducation se trouve devant une crise des modèles éducatifs et philosophiques qui, jusque-là, lui servaient de référence (Wunenburger, 1993) ? En assumant ces différentes responsabilités, quelle vision d’une éducation réussie est ou devrait être encouragée ?

2. Considérations préalables au sujet de la notion de responsabilité

Le philosophe Etchegoyen (1993) prévoyait l’émergence du concept de responsabilité comme principe moral caractéristique de notre époque, et nous serions portées à lui donner raison, à tout le moins dans le domaine de l’éducation, étant donné le vaste mouvement de responsabilisation qui a marqué celui-ci au cours des dernières années. À l’instar de plusieurs spécialistes de l’éthique traitant de la question de la responsabilité dans une perspective morale (par exemple, Métayer, 2001 ; Prairat, 2012), Etchegoyen (1999) a par ailleurs pris soin d’alerter ses contemporains contre le risque d’attribuer au concept un sens contaminé par ses utilisations juridiques. Si les auteurs mentionnés soulignent la nécessité de penser la responsabilité morale autrement que strictement sous l’angle juridique, d’autres dénoncent plutôt le risque d’utiliser le concept à des fins stratégiques. Par exemple, adoptant un cadre d’analyse foucaldien, Hache (2007) soutient que la responsabilité peut devenir une technique de gouvernementalité néolibérale servant à désengager l’État au profit d’une surresponsabilisation individuelle. L’appel à la responsabilité prend donc plusieurs formes qu’il convient d’analyser avec soin. Ces restrictions étant posées, nous dégageons ci-après quelques grands axes en éducation autour desquels se construisent ou se sont construits différents enjeux liés à des transformations, ruptures ou contradictions relativement à la responsabilité.

2.1 Responsabilité morale et gouvernance scolaire

Au Québec, au fil des dernières années, s’est réalisée une redistribution des pouvoirs et des responsabilités qui se rattachent à la gouvernance scolaire. L’appel à une telle redistribution était déjà exprimé par le Conseil supérieur de l’éducation à l’intérieur de deux rapports annuels datant des années 1990 : un premier intitulé La gestion de l’éducation : nécessité d’un autre modèle (1993) ; et un second, Pour un nouveau partage des pouvoirs et responsabilités en éducation (1996). Dans ce dernier document, le Conseil supérieur de l’éducation (1996) souligne que cette tendance au redéploiement et même à la réduction du rôle de l’État dans le domaine de l’éducation est commune à nombre de pays industrialisés, et constate par ailleurs que cet appel à la responsabilisation des groupes d’acteurs et des organisations se traduit en arrière-plan par l’établissement de mécanismes d’imputabilité. Sur le plan de la responsabilité morale, une analyse de ce virage a été réalisée par Langlois (2004). S’inspirant des travaux de Ricoeur (1990, 1950), cette chercheure maintient, comme le Conseil supérieur de l’éducation, que l’imputabilité suppose la responsabilité, car on ne devient imputable que par la conscience de devoirs à accomplir qui s’accompagnent de l’obligation d’assumer charges et engagements. À l’heure actuelle, cette imputabilité s’inscrit cependant dans un modèle managérial, qui repose sur un principe de reddition de comptes, orienté principalement dans une perspective budgétaire, et qui s’actualise par la conception du plan de réussite. Comme d’autres chercheurs (par exemple, Lessard, 2014), Langlois (2004) questionne l’accent mis sur la performance qui caractérise la nouvelle gestion publique. À son avis, si la gestion par résultats semble à première vue inclure une responsabilité des actes et conséquences sur la communauté des décisions ayant été prises, cette exigence est liée essentiellement à l’obligation d’améliorer les résultats pour servir les buts de l’action administrative. Partisane d’un modèle de gestion déterminant les obligations à partir de processus que l’établissement contrôle plutôt que sur les résultats, la chercheure défend aussi l’idée d’une gestion à forte prédominance de responsabilité morale. Cette forme de gestion supposerait la valorisation de progrès accomplis de même que la création d’une culture scolaire basée sur la délibération éthique qui permettra la mise en place de pratiques évaluatives négociées en diversifiant les critères et les indicateurs d’évaluation (Langlois, 2004, p. 35). Cette analyse concorde avec l’idée que le déficit éthique de la gouvernance scolaire accentue la logique instrumentale, laquelle renforce le pouvoir externe (obligation redditionnelle), alors qu’il serait plus approprié de confier la réflexion éthique aux acteurs eux-mêmes (Porcher et Abdallah-Pretceille, 1998).

2.2 Responsabilité morale des éducateurs

2.2.1 Ensemble des agents scolaires

Comme le note LeVasseur (2011), l’école a été marquée ces dernières années par une accentuation de la division du travail liée à la multiplication d’acteurs du milieu ou d’agents scolaires. Ainsi, on peut considérer que le terme éducateur dans un contexte de scolarisation s’applique non seulement au personnel enseignant, mais aussi aux personnes composant l’ensemble des professionnels non enseignants. Comment caractériser une éthique de la responsabilité sous-tendant le travail de l’ensemble de ces éducateurs ? Une telle éthique consistera, selon certains (notamment Prairat, 2012 ; Jonas, 2008 ; Tronto, 2009 ; ou Freire, 2006), d’abord et avant tout à répondre d’autrui, à répondre de ceux et celles qui constituent des sujets vulnérables, en l’occurrence, dans le cas présent, les apprenants. Tel que le souligne Prairat (2012), cette conception contraste avec l’idée de responsabilité dans l’éthique éducative traditionnelle, consistant à répondre de soi, c’est-à-dire à avoir l’obligation de répondre de ses décisions, de ses actes, bref d’être imputable. Or, ce dernier concept tire sa signification du domaine juridique et n’a de sens que dans une sociologie de la réciprocité contractuelle, alors que selon Prairat (2012), l’univers de la responsabilité morale des éducateurs se caractérise par la dissymétrie des relations et par la présence d’une attention bienveillante. Nous observons donc une rupture posée ici entre imputabilité et responsabilité morale dans le contexte de relations non mutuelles du type de la relation éducative.

2.2.2 Les enseignants

Comment s’articule, dans les écrits gouvernementaux, paragouvernementaux et scientifiques, la conception de la responsabilité par rapport à ces éducateurs scolaires particuliers que sont les enseignants ?

Dans une étude paneuropéenne publiée en 2008, on constate qu’il s’est produit, au cours des deux dernières décennies, un accroissement des responsabilités des enseignants dans la grande majorité des pays d’Europe. Les principaux facteurs identifiés pour expliquer cette situation sont : le mouvement de décentralisation des systèmes scolaires ; la recherche de meilleures performances de ces systèmes ; ainsi que les nouvelles exigences envers l’école concernant la prise en charge de besoins sociaux (intégration des élèves à besoins particuliers, hétérogénéité de plus en plus marquée du public scolaire, etc.) (Réseau Eurydice, 2008, p. 9).

Au Québec, le ministère de l’Éducation du Québec (2001a) et le Conseil supérieur de l’éducation (2004) associent la redéfinition des responsabilités des enseignants à l’accentuation de l’exercice de l’autonomie professionnelle engendrée par la dernière réforme scolaire basée sur les compétences : La responsabilité du personnel enseignant doit être définie davantage comme une obligation de compétence avec, comme corollaire, l’obligation de témoigner de cette compétence (Conseil supérieur de l’éducation, 2004, p. 68). Cette responsabilité se trouve plus explicitement rattachée à l’éthique, car elle fait partie intégrante de l’énoncé de la compétence professionnelle qui relève particulièrement de ce domaine, laquelle s’intitule agir de façon éthique et responsable. Desaulniers et Jutras (2012) définissent cette responsabilité professionnelle comme, d’une part, un engagement à fonder des décisions et à agir sur une analyse de la situation, des besoins et circonstances et, d’autre part, une capacité à répondre de ses actes. On reconnaît ici la responsabilité entendue comme répondre de, et on constate une orientation vers la réflexion concernant la décision et l’agir. Jeffrey (2015) considère, lui aussi, la responsabilité comme le maître mot de l’éthique professionnelle des enseignants et appréhende essentiellement la notion sous l’angle du répondre de soi, et par conséquent, de l’imputabilité morale. À la différence toutefois de la gouvernance scolaire, cette imputabilité suppose une obligation de moyens, non une obligation de résultats (Desaulniers et Jutras, 2012 ; ministère de l’Éducation du Québec, 2001a). Quant à Noddings (2003), philosophe de l’éducation associée à l’approche du care (ou sollicitude), elle défend une conception de la responsabilité morale enracinée surtout (bien que non strictement) dans le répondre d’autrui. Elle définit ce dernier par le concept de response ability, qui soutient l’idée d’un engagement à donner réponse à un autrui vulnérable, plutôt que de simplement souscrire à des devoirs et obligations. Un autre lieu de divergence dans les écrits de recherche concernant la responsabilité morale des enseignants réside dans la prise en compte ou non de la figure de modèle dans la définition de l’éthique professionnelle de ceux-ci. Ainsi, alors que, par exemple, Giroux (1997) et Gendron (2009) soutiennent que l’enseignant a la responsabilité morale de reconnaître et définir son rôle à titre de modèle, Jeffrey (2013) semble pour sa part conclure que la compétence éthique des enseignants doit exclure cette dimension, jugée préprofessionnelle, car nécessairement tributaire de l’idée de moralité exemplaire. Or, Giroux (1997) montre bien qu’assumer une responsabilité morale de modèle peut et doit se comprendre tout autrement que suivant une telle logique, puisqu’il s’agit primordialement d’accompagner les élèves à devenir qui ils sont, plutôt que de viser, comme autrefois, à transmettre des vertus incarnées dans la personne du maître. Ajoutons de plus que ce rôle de modèle peut aussi être associé à une conception de la responsabilité morale participant d’une éthique sociale, au regard, par exemple, d’une responsabilité citoyenne des enseignants, dont il sera question plus loin.

2.3 Responsabilités des apprenants

En France, la volonté de responsabiliser davantage les jeunes s’exprime de diverses manières, notamment à travers certaines orientations associées à la réforme du lycée de 2010 et mentionnées précédemment. Au Québec, on peut noter d’abord que, dans le document ministériel Programme de formation de l’école québécoise (ministère de l’Éducation du Québec, 2001b), on considère l’élève comme premier artisan de son apprentissage. Cette responsabilité s’accompagne d’une conception de l’apprentissage entendu comme processus actif suivant une perspective d’inspiration constructiviste.

En ce qui concerne l’apprentissage d’une responsabilité sociale, il est généralement associé à l’éducation à la citoyenneté. Pensons, par exemple, à la définition de l’unité européenne d’Eurydice (Réseau Eurydice, 2005). Comme nous l’avons déjà fait remarquer, selon celle-ci, l’éducation à la citoyenneté doit préparer les jeunes à devenir des citoyens responsables, notamment pour participer d’une manière responsable et critique à la vie publique (Bouchard, 2010). Plus près de nous, pensons au Conseil supérieur de l’éducation qui, dans un rapport consacré à l’éducation à la citoyenneté, affirme que l’idée de responsabilité sous-tend la notion de citoyenneté active et qu’une citoyenneté responsable se déploie primordialement à travers une participation du citoyen aux débats d’ordre public, aux décisions qui le touchent et aux différents endroits qui contribuent à la constitution de la vie collective (Conseil supérieur de l’éducation, 1998).

Sur le plan philosophique, ajoutons que l’idée même de promouvoir le développement d’une telle responsabilité chez les jeunes suppose que cette notion soit détachée du postulat d’un soi indépendant, excluant toute personne autre que les adultes compétents (qu’il s’agisse par exemple d’enfants, de personnes âgées ou invalides) (Hache, 2007). C’est donc à la condition que s’élaborent des conceptions du soi lui reconnaissant une dimension fondamentalement relationnelle que vulnérabilité des personnes et responsabilité apparaissent conciliables.

3. Dans ce numéro

Les articles de ce numéro traitent du thème de la responsabilité en lien avec divers milieux éducatifs de France, du Nouveau-Brunswick et du Québec. Alors que l’un des textes associe la problématique de la décentralisation à son analyse d’une pratique pédagogique, d’autres études sont axées principalement sur les responsabilités d’agents scolaires, qu’ils soient non enseignants ou enseignants. Enfin, un article analyse des formes de responsabilités au regard des élèves.

Dans leur article, Lanaris et Dumouchel analysent le processus d’appropriation de la pédagogie par projet sous l’angle de son rattachement à la responsabilisation des acteurs de l’école. Leur étude a été menée auprès de cinq équipes scolaires de l’Outaouais. Les résultats conduisent notamment à questionner l’absence de mesures concrètes d’appui au passage souhaité, dans les écoles, d’une culture hiérarchique à une culture de responsabilité collective, dans le cadre de l’application de la politique de décentralisation. Or, de l’avis des auteurs, ce passage aurait été requis pour faciliter l’appropriation de la pédagogie par projet. Par ailleurs, en salle de classe, l’appropriation de cette pédagogie semble avoir été compromise par une lacune sur le plan du processus de responsabilisation : les enseignants ont eu tendance à assumer l’entière responsabilité du projet, et les élèves ont joué un rôle s’apparentant davantage à celui d’exécutants qu’à celui d’artisans de leurs apprentissages. À cet égard, Lanaris et Dumouchel soulignent la nécessité d’une mise en place d’un processus de responsabilisation des élèves par les enseignants pratiquant ce type de pédagogie. De plus, la réalisation d’une appropriation d’une telle pédagogie exigerait une claire détermination des zones de pouvoir de chaque groupe de l’équipe scolaire.

Pour leur part, Mikaïloff et Rioux s’intéressent à un métier d’éducateur mal connu, celui correspondant autrefois en France au métier de surveillant général et devenu aujourd’hui conseiller principal d’éducation. Ce nouveau titre témoigne de l’évolution de la définition du travail à assumer, lequel comporte dorénavant, parmi ses différents aspects, un rôle d’accompagnateur du parcours éducatif et pédagogique des élèves. Les auteurs présentent une analyse exploratoire, menée sous forme d’entrevues auprès de dix conseillers principaux. Cette analyse porte sur la mise en oeuvre de leurs responsabilités éducatives lors de la réalisation d’entretiens avec les élèves, cette pratique étant estimée comme le pilier du mandat d’accompagnement. Leurs résultats permettent de dégager une conception de cette responsabilité ancrée dans l’éthique relationnelle du care, et un agir responsable inscrit dans un cadre socialisant.

La recherche de Barry porte elle aussi sur les responsabilités d’éducateurs scolaires, en l’occurrence huit professionnels (quatre enseignants, deux éducateurs, un responsable pédagogique et un responsable éducatif) travaillant en France au sein d’un établissement spécialisé : l’Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP). Son étude cerne des conditions spécifiques pour que la responsabilité constitue une forme de réponse aux situations témoignant de troubles du comportement et de l’apprentissage. L’auteure précise qu’il s’agit de penser la responsabilité pédagogique comme moyen pouvant être utilisé afin de prévenir une démobilisation professionnelle. Les résultats font ressortir quatre conditions ou indicateurs d’une responsabilité-prévention, en l’occurrence : 1) une approche anthropologique et psychosociale de la responsabilité, 2) une posture professionnelle fondée sur des valeurs inconditionnelles (où prime le répondre d’autrui), 3) une approche dynamique des troubles manifestés par l’enfant et 4) une conception écologique de la responsabilité.

Pour leur part, les articles de Pasquier ainsi que de Richard et Gaudet sont principalement axés sur les responsabilités des enseignants. Pasquier s’intéresse à la mise en oeuvre de la politique éducative pour l’égalité des sexes dans le système éducatif, égalité affirmée en France par l’Éducation nationale en 2000 et réactualisée en 2013. Considérant la cour d’école comme un espace particulièrement sujet à la reproduction des rapports sociaux de sexe traditionnels, l’auteur examine comment s’articule, en ce lieu, la transformation du sens attribué par les enseignants à leurs responsabilités. L’échantillon compte vingt enseignant-e-s du primaire travaillant à l’école sur des questions relatives à l’égalité des sexes ou des sexualités. Alors que la représentation de la responsabilité des enseignants lors de la récréation se résumait jusqu’alors à assurer la sécurité des élèves et à se montrer redevables de leurs actes en cas de négligence (imputabilité), Pasquier observe qu’en visant à promouvoir l’égalité des sexes, les enseignant-e-s deviennent responsables dans un sens moral et éthique. Les résultats de la recherche indiquent néanmoins que, dans la plupart des cas, cette responsabilité s’exerce indirectement, de façon médiatisée.

À l’instar de Pasquier, Richard et Gaudet abordent le sujet de la responsabilité des enseignants suivant une dimension que l’on pourrait qualifier de citoyenne ou sociétale. En effet, leur recherche met en relief les difficultés, pour plusieurs enseignants des écoles françaises en contexte minoritaire du Nouveau-Brunswick, d’endosser les responsabilités particulières liées au mandat de construction identitaire francophone assigné à ces écoles, et d’être conscientisés à leur rôle de modèle de valorisation de la culture et de la langue. Conduite auprès de quinze enseignantes du primaire, l’étude phénoménologique analyse comment le parcours culturel et identitaire influence l’engagement et le rapport à la culture. Les auteures utilisent la typologie de Falardeau et Simard (2007), qui distingue quatre types de rapport à la culture : désimpliqué, scolaire, instrumentaliste et intégratif-évolutif. Deux thèmes émergent de l’étude : 1) le cheminement identitaire culturel et professionnel ; et 2) le sens accordé au rôle de passeur culturel. Pour le premier thème, les résultats établissent que le parcours identitaire constitue une donnée importante pouvant influencer les pratiques pédagogiques et la mise en oeuvre du rôle de passeur culturel. Quant au second thème, les résultats indiquent que les enseignantes dont le rapport est de type plus intégratif-évolutif exercent leur rôle de passeuses culturelles avec aisance, alors que celles ayant un rapport instrumentaliste parviennent difficilement à intégrer la culture de manière planifiée et régulière en classe et estiment qu’elles manquent d’outils pour atteindre ce but. En regard de cette situation, Richard et Gaudet considèrent que le système scolaire doit mieux assumer ses responsabilités en offrant au personnel enseignant des formations ciblées qui traitent de ces enjeux, et les incitent à partager expériences, réflexions et solutions.

Finalement, l’article de Colinet vise à comprendre comment s’exercent les prises de responsabilités pour l’élève scolarisé à l’hôpital ou hors contexte hospitalier. L’auteure soutient que la visée de normalisation (au sens de scolarisation) de l’école à l’hôpital doit être travaillée conjointement avec celle de responsabilité de l’apprenant, puisque cette dernière est estimée fondamentale en France dans nombre de textes ministériels traitant de scolarisation, alors que, paradoxalement, on constate un vide bibliographique et même juridique concernant ce type de responsabilité dans le cadre de l’école à l’hôpital. La recherche comparative inclut la participation d’élèves, de parents et d’enseignants liés à l’école régulière ou à l’école à l’hôpital. Les résultats présentent trois principales formes de responsabilités identifiés dans les discours des participants : l’apprentissage expérientiel, les activités extrascolaires et la réalisation de projets au cours de la scolarité. De plus, la recherche indique que l’école à l’hôpital encourage surtout la pratique de prises de responsabilité dans le contexte de la gestion de la maladie et des activités extra-scolaires. Colinet questionne l’hésitation à faire de même dans le champ scolaire, car la responsabilité reconnue à l’apprenant, à travers par exemple la création de projets, constitue potentiellement une forme d’empowerment, et même d’éducation à la citoyenneté lorsque la maladie n’est pas trop grave. D’autre part, certaines formes de responsabilités exprimées dans les discours se révèlent associées au care : prises en charge au sein de la fratrie, gestion des soins, formation donnée à des pairs et prise en charge de son propre protocole de soin (self-care).

Nous espérons que ce numéro contribuera à la reconnaissance du caractère particulièrement fondamental de la thématique de la responsabilité en éducation et permettra de mieux comprendre les redéfinitions contemporaines de celle-ci au sein des systèmes scolaires et des écrits de recherche scientifiques.