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Ce petit livre, imprimé sur papier glacé et magnifiquement illustré de planches et de photos, se veut une introduction aux motifs graphiques des sociétés amérindiennes de la région du fleuve Oyapock, à la frontière de la Guyane française et du Brésil. Ces motifs se retrouvent sur la vannerie, la poterie mais également dans les peintures corporelles des sociétés Palikur, Wayãpi et Teko. Ce répertoire pictural et les techniques elles-mêmes renvoient à un bestiaire puisque ce sont des animaux que les humains ont emprunté les motifs graphiques et ont appris l’art de la vannerie et de la poterie. C’est en effet ce que relate la mythologie régionale qui, comme ailleurs en Amérique, décrit l’époque de l’origine comme un temps d’indifférenciation entre humains et animaux. Plus précisément, les mythes décrivent dans quelles circonstances les humains ont acquis divers objets et techniques de la part d’animaux avec lesquels ils pouvaient communiquer et établir des alliances matrimoniales. Ainsi, les Palikur racontent comment ils ont appris les techniques de la vannerie d’un ancêtre marié à une femme oiseau Cassique cul-jaune (Cassicus cela), une espèce qui niche en colonie dans des nids de fibres végétales en forme de bourse accrochés à un arbre et possédant une ouverture par le haut, forme que les Palikur associent aux presses à manioc. Les Teko racontent avoir reçu les motifs et les formes de toutes les vanneries de l’oiseau urubu alors que, selon les Wayãpi, les motifs à vannerie ont été vus pour la première fois sur le corps d’un anaconda géant mythique. Ces récits mettent « l’accent sur le thème de l’altérité comme moyen de découverte d’objet culturel » (p. 16). De façon plus fondamentale, ces peuples attribuent aux vanneries une puissance qui est liée à l’origine animale de cet art et, plus précisément, au caractère de prédateurs dangereux et anthropophages des animaux qui lui sont associés. Cette puissance de la technique est bien réelle et elle est captée par les humains via l’usage d’objets essentiels à leur vie quotidienne. Il s’agit d’une conception très répandue chez les Amérindiens qui conçoivent leur puissance d’être et d’agir en lien avec l’acquisition collective de pouvoirs d’une source qui, de nos jours, leur est extérieure mais avec laquelle ils ne faisaient qu’un à l’époque où humains et animaux n’étaient pas encore distincts.

L’ouvrage s’attarde longuement sur les noms donnés aux quelque quatre-vingt motifs zoomorphes ornant les vanneries, les céramiques ou les corps des personnes chez ces trois peuples de l’Oyapock. Le jaguar et l’anaconda y ont une place de choix en tant que gros prédateurs liés notamment au chamanisme. On y retrouve également la tortue, le caïman, plusieurs espèces de lézards, de grenouilles, de poissons et d’oiseaux. De façon intéressante, l’auteur signale que les motifs inspirés de l’hirondelle ne renvoient pas nécessairement à la mythologie et semblent motivés uniquement par un souci esthétique. Les insectes ne sont pas en reste puisque les Palikur possèdent un motif représentant le chemin des fourmis manioc (Atta sp.).

En conclusion, l’auteur discute brièvement du rôle joué par ces motifs graphiques zoomorphes dans la dynamique sociale et culturelle des sociétés amérindiennes de l’Oyapock. Les artisans de chacune des sociétés connaissent bien les motifs et les techniques des peuples voisins mais « on les connaît et on les reconnaît pour mieux s’en démarquer » (p. 42). En effet, les motifs permettent de distinguer chaque objet de ceux des groupes voisins et, dans un passé récent, ils indiquaient l’appartenance clanique du propriétaire de l’objet. Cette fonction identitaire demeure importante actuellement face au défi de reconnaissance qu’affrontent ces peuples par rapport à la société nationale. Les motifs graphiques constituent un répertoire caractéristique qui permet à chacune d’entre-elles de donner à voir son identité au monde extérieur. De plus, les motifs et les techniques participent de la mémoire collective puisqu’ils renvoient aux temps primordiaux en actualisant des mythes et un rapport privilégié avec les ancêtres animaux encore aujourd’hui sources d’inspiration et de puissance face à l’intrusion du monde extérieur. L’auteur ne se prononce pas sur l’avenir de ce riche patrimoine. Est-il transmis aux jeunes générations ? Y-a-t-il une érosion de la maîtrise technique en fonction de la production d’objets destinés au marché touristique ? Ces questions restent malheureusement sans réponse. On comprend que ce petit livre se veut un témoignage visuel et textuel facilement accessible à un large public appelé à visiter un jour le Parc naturel régional de la Guyane mais qu’il est également destiné aux membres des sociétés amérindiennes concernées. Il constitue assurément une mise en valeur exemplaire de leur riche patrimoine.