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Cet article porte sur la nature et la signification d’un colloque de poésie aujourd’hui presque oublié : le Foster Poetry Conference (FPC), qui eut lieu au Québec en 1963. En traitant du FPC, je vise à montrer que la perspective privilégiée par cet événement aurait pu avoir une influence décisive sur l’avenir de pareils rassemblements du côté anglophone et sur la future scène poétique anglo-québécoise, à la fin des années 1960 et au-delà. Le FPC était une entreprise trop isolée et trop consciente d’elle-même pour correspondre au concept de « scène », tel que défini par Will Straw : « Scene designates particular clusters of social and cultural activity without specifying the nature of the boundaries which circumscribe them[1]. » Organisé par l’ancienne génération de poètes anglo-québécois — John Glassco, Frank Scott et A.J.M. Smith —, cet événement avait pour objectif de cerner les accomplissements de la poésie anglo-québécoise jusqu’alors ainsi que de déterminer la trajectoire qu’elle devrait suivre à l’avenir. Les responsables avaient également l’espoir que ce colloque amènerait la scène poétique anglo-québécoise à interagir et à communiquer davantage avec celle du Québec francophone[2].

La poésie anglophone au Québec

Bien que Ralph Gustafson, qui participa au FPC, ait effectué des enregistrements audio de l’événement, je n’ai pu en trouver trace pour l’instant. Le présent article, qui relate ce qui se passa lors du FPC, repose donc sur les actes du colloque édités par John Glassco[3] et sur l’importante correspondance traitant de l’organisation du rassemblement et de la préparation des actes qui se trouve dans le Fonds John-Glassco à Bibliothèque et Archives Canada. La compréhension que nous avons de l’événement repose ainsi sur l’appareil textuel que constituent les actes publiés au cours de l’année qui suivit l’événement. Ces actes, répondant à la stratégie éditoriale de Glassco, de Scott, de Smith et de leur éditeur à McGill University Press (MUP), Lloyd M. Scott, filtrent notre interprétation de ce qui s’est concrètement passé. Dans une lettre qu’il écrivit à Glassco au début du processus éditorial, Smith affirme que les actes du colloque devraient, selon lui, « suivre les choix faits par Whalley lorsqu’il édita le compte rendu du Kingston Poetry Conference pour Macmillan[4] ». À cet égard, l’ouvrage de George Whalley, Writing in Canada. Proceedings of the Canadian Writers’Conference, Queen’s University, 28-31 July, 1955[5], propose un modèle qui enrichit notre compréhension globale du FPC. Le titre des actes édités par Glassco — English Poetry in Quebec — s’inspire d’ailleurs du compte rendu écrit par Whalley au sujet du colloque de 1955, tant par sa spécificité générique que par sa précision géographique. Whalley, avec l’aide de plusieurs participants, offre une retranscription systématique du Canadian Writers’Conference (CWC) autour de ses trois thèmes centraux : « The Writer » (« L’écrivain »), « The Writer’s Media » (« Les médiums de l’écrivain ») et « The Writer and the Public » (« L’écrivain et le public »). Le livre reproduit les communications présentées, qui servent de thèmes secondaires aux trois parties, et inclut des résumés, tels que compilés par les présidents de séance, des débats au sein des groupes de discussion. Dans son introduction à Writing in Canada, Scott écrit : « The theory and composition of the Conference meant that it was not so much a writers’conference as a conference on writing and its dissemination[6]. » Il s’agissait en somme d’un véritable colloque universitaire. Afin de se conformer au modèle éditorial de Whalley, Glassco tenta à plusieurs reprises de convaincre Scott et Smith d’écrire une introduction, mais en vain. Ainsi, seule la préface décousue, « factuelle mais sans substance » (« factual but frothy[7] ») de Glassco sert de cadre critique aux actes du FPC. Toujours selon l’exemple de Whalley, Glassco souhaitait que les participants se chargent de résumer les discussions qui eurent lieu au cours des séminaires (il n’y eut aucun groupe de discussion avec président de séance au FPC), mais rares furent ceux qui lui envoyèrent quelque chose de publiable.

Que Glassco ait essayé d’imiter certains aspects du livre de Whalley indique que les organisateurs éprouvaient le désir de faire pleinement corps avec les questions relatives à la poésie contemporaine. L’échec de English Poetry in Quebec à égaler la cohérence du compte rendu de Whalley est imputable au fait que le FPC était avant tout un rassemblement d’écrivains et de quelques critiques, contrairement au CWC selon la description qu’en fait Scott dans son introduction. Ainsi, les actes du FPC contiennent des essais critiques de longueur variable, des retranscriptions incomplètes des discussions entre les personnes présentes ainsi qu’une imposante anthologie de poèmes qui occupe le dernier tiers du livre, suivie d’une liste de résolutions transmises par les participants. Cette structure déséquilibrée et ce contenu inégal sont autant d’indices textuels de la dualité discursive propre au FPC, qui associait des discussions universitaires formelles à des lectures publiques de poèmes. Néanmoins, le programme des activités distinguait avec une certaine rigidité la fonction du discours poétique de celle du discours critique. Le colloque ne cédait pas pleinement à cette combinaison spontanée de lectures, d’entretiens et de prises de position artistiques qui caractérisait de nombreux événements de poésie au cours des années 1960 et 1970, et que Stephen Fredman considère comme « une pratique existentielle — un art des contextes[8] » en pleine émergence. Par exemple, les poètes n’eurent pas l’occasion d’évoquer leurs conceptions du processus d’écriture et de l’art poétique en mêlant lectures, autoanalyses (sous la forme de longs préambules expliquant et détaillant leurs visions de l’écriture et les principes qui la guident) et conversations poétiques en public (comme celles qui eurent lieu au Vancouver Poetry Conference de 1963). Les organisateurs choisirent plutôt de réserver la question du processus créatif à un séminaire peu visible (présidé par Irving Layton) et, ce faisant, de la réduire à un sujet comme les autres parmi ceux jugés dignes d’intérêt critique. En outre, le FPC semble avoir été conçu selon un ethos fondé sur la responsabilité sociale, comme si ce rassemblement visait ultimement à développer une politique publique relative à la situation de la poésie au Québec et au Canada. Les résolutions publiées à la fin des actes ne font que renforcer cette impression. Nul doute que cet ethos était lié au fait que le gouvernement du Québec était l’un des soutiens financiers du colloque[9].

Les événements de poésie financés par le gouvernement

Le gouvernement du Québec n’était pas le seul à financer des séances de lecture de poèmes à l’époque. Le Conseil des arts du Canada (fondé en 1957) commença à subventionner les rencontres publiques de poésie en 1959 lors des Contact Poetry Readings organisés à Toronto par Raymond Souster, Kenneth McRobbie et Avrom Isaacs[10]. Comme le précise le rapport annuel du Conseil pour l’année 1959-1960, « readings of poetry have not been common in Canada, and therefore the assistance which the Council has recently given for this purpose was something of an experiment[11] ». Il est intéressant de noter que, parmi les écrivains bénéficiant de ce premier soutien financier à une rencontre de poésie, se trouvaient trois poètes anglo-québécois (Ralph Gustafson, Leonard Cohen et A.J.M. Smith) et deux poètes franco-canadiens (Gilles Hénault et Michèle Lalonde[12]). Dès 1959, le Contact Poetry Series de Souster semble avoir été proche d’accomplir ce que Glassco avait en tête pour son colloque, à savoir que des poètes québécois anglophones et francophones partagent la même affiche (même si, dans le premier cas, les poètes des deux communautés linguistiques ne se produisaient pas aux mêmes dates). On continua de financer de tels événements au cours des années suivantes : le Conseil des arts subventionna une rencontre au Hibou à Ottawa (qui fut marquée par « la présence d’un auditoire venu en si grand nombre pour voir le poète Irving Layton que deux séances de lecture durent avoir lieu en une seule soirée[13] ») et continua de soutenir le Contact Poetry Series et le Sir George Williams Poetry Series[14] en plus de multiples autres festivals et rencontres partout au Canada. Entre 1959 et 1975 (année où la Sir George Williams Poetry Series prit fin à la suite du rejet de la demande de financement), l’enveloppe réservée aux rencontres de poésie passa de 845 dollars à plus de 80 000, et le nombre d’événements subventionnés, d’un à presque cent[15]. Parmi les rencontres organisées au Québec et financées par le Conseil, on trouve le Sir George Williams Poetry Series, qui toucha des subventions de 1965 à 1974, le Montreal Cegep Poetry Circuit en 1975, et le Vehicule Poetry Series entre 1976 et 1980[16]. Bien sûr, de nombreux événements et rencontres de poésie organisés sans le concours financier du gouvernement contribuèrent à définir la scène de la poésie anglo-québécoise à cette époque, notamment la série de spectacles Chants et poèmes de la résistance, qui visait à recueillir des fonds pour la défense légale de Pierre Vallières et de Charles Gagnon, membres fondateurs du Front de libération du Québec (FLQ). Cette initiative mena à l’organisation de la Nuit de la poésie le 27 mars 1970 au Théâtre Gesù à Montréal. Gaston Miron suggéra que plusieurs poètes anglophones venant de Sherbrooke participent à l’événement, mais Jean-Claude Labrecque, Jean-Pierre Masse et d’autres organisateurs votèrent contre cette proposition[17]. Avec son programme exclusivement en français, la Nuit de la poésie semble ainsi avoir eu lieu dans une tout autre dimension que la plupart des rencontres de poésie anglophone. Comme je vise à le démontrer plus loin, c’est ce type d’événement que les concepteurs du FCP espéraient éviter en organisant un vaste rassemblement bilingue qui conjuguerait les préoccupations des poètes francophones et anglophones.

Le Foster Poetry Conference

1963 fut une année importante pour les rencontres de poésie au Canada. Sur la côte ouest, Warren Tallman et Robert Creeley organisèrent le Vancouver Poetry Conference à l’Université de la Colombie-Britannique : rétrospectivement, ce colloque, qui combinait des discussions, des séminaires, des lectures et des fêtes chez des particuliers, s’avéra être un moment fondateur dans le développement d’une avant-garde poétique au Canada[18]. Près de Knowlton et du lac Brome dans les Cantons-de-l’Est, la station de ski de Glen Mountain accueillit à l’automne 1963 le FPC, événement tout aussi ambitieux, mais à l’influence probablement beaucoup plus limitée. Ce rassemblement éclectique de poètes et d’intellectuels anglophones devait initialement recevoir des poètes québécois de langues française et anglaise, mais les organisateurs, pour des raisons politiques, décidèrent plutôt de se servir de cette occasion pour faire le point publiquement sur la situation de la poésie anglophone du Québec par rapport au reste du monde. Rendant compte du colloque pour The Canadian Forum, Alan Pearson écrit que le programme était « divisé entre des séminaires en journée et un discours en soirée, auxquels s’ajouta, clou de l’événement, un marathon de lecture le dimanche après-midi (présidé et enregistré par Ralph Gustafson) au cours duquel presque tous les poètes présents lurent de nouveaux poèmes[19] ». Comme le prouvent les thèmes des séminaires et des communications — « The Poet and the Nuclear Crisis » (A.J.M. Smith), « The Creative Process » (Irving Layton), « The Poet in Quebec Today » (Scott), « The Reviewer of Poetry » (Milton Wilson), « The Little Magazine » (Louis Dudek), « Revolution and Poetry[20] » (George Whalley) — ainsi que les poèmes lus par des écrivains établis (Smith, Scott, Layton, Dudek et Gustafson notamment) ou plus jeunes (Leonard Cohen, D. G. Jones, Seymour Mayne et K. V. Hertz), les « anciens » (« elders ») et les « enfants » (« children[21] »), comme Glassco les appelait, ce colloque résultait d’une volonté ferme mais isolée de préparer l’avenir afin que le Québec anglophone demeure le chef de file du modernisme canadien.

À l’instar du Vancouver Poetry Conference, le FPC avait pour but d’évoquer et d’interroger le futur de la poésie canadienne. Il faut toutefois noter que les modèles qui inspirèrent la rencontre de Vancouver — conformément au cadre défini par Creeley et Tallman, professeur de littérature américaine — mettaient en exergue l’importance des formes libres et innovantes dans l’art poétique américain, alors que les affinités des organisateurs du FPC se situaient clairement du côté de la poésie formelle. En outre, et il s’agit là d’un point essentiel pour notre analyse, le FPC se préoccupait de l’importance que la poésie francophone pourrait avoir à l’avenir au sein de la poésie canadienne. Une telle vision n’était pas sans lien avec les récentes manifestations d’une poésie québécoise nationaliste que le colloque de Vancouver ignorait, volontairement ou non.

Dans son article « The Two Traditions : Literature and the Ferment in Quebec », publié à peine un an avant la tenue du FPC, Louis Dudek fait état d’une telle préoccupation du point de vue d’un humaniste libéral québécois et anglophone. Selon son raisonnement, si le Canada, de par son histoire, a la possibilité de produire une littérature novatrice et unique en son genre, à la fois nationale et cosmopolite, il le doit à l’évolution culturelle distincte de ses deux nations fondatrices. Aussi, l’avenir de la littérature canadienne dépendrait d’une synthèse complexe de ces cultures :

Canadian literature, if we understand it, becomes the whole literature of France and the whole literature of England standing behind the literature of French Canada and the literature of English Canada. We must conceive of it in this large, dramatic frame, if we are to escape from provincialism and if we are to create a new complex civilization in the north. This, and nothing less, must be our aim[22].

L’interprétation de la littérature canadienne qu’offre Dudek englobe les traditions française et anglaise ainsi que les publications littéraires du Canada, tant du côté anglophone que du côté francophone. Selon sa perspective, la littérature nationale du Canada repose sur les origines internationales, ou du moins binationales, des deux principaux groupes qui peuplent le pays. La « trajectoire [la plus] prometteuse » (« [the most] promising course ») qu’il imagine pour la littérature canadienne à venir est la suivante : « the way to a greater Canada that is literary in two languages and has a literature in two languages. It is the only way to a true originality for both these literatures, and it is also the way to an endless, unexhausted future of creative effort[23]. »

Si le FPC ne fut pas conçu afin de mettre en avant l’idée d’une fusion entre les traditions française et anglaise qui serait le seul moyen d’assurer l’autonomie future de la littérature canadienne, Glassco, Scott et Smith l’envisagèrent néanmoins comme une occasion d’amorcer ce qu’ils considéraient comme un rapprochement nécessaire entre les poètes canadiens de langue française et ceux de langue anglaise. Ils pensèrent d’abord à un rassemblement modeste réunissant quelques poètes anglo-québécois, mais la promesse d’une subvention de 3 000 dollars faite en mai 1963 par Glendon P. Brown, un député à l’Assemblée nationale du Québec élu dans la circonscription de Glassco, conduisit les trois organisateurs à imaginer un événement plus ambitieux : une rencontre de poésie bilingue de grande ampleur. Comme l’écrivit Glassco à Smith lorsqu’il reçut la bonne nouvelle :

I’ve just had a spontaneous but firm offer from Glendon Brown, our local M.P.P. of $3,000.00 from the Province to defray the expenses of our poetry conference if we hold it in Brome County.

If we accept, Brown has said he would like to arrange an official dinner for everyone taking part, though I gather the holding of this event is not an absolute condition of the grant. Otherwise the offer has no strings or restrictions attached, is quite non-political, and is not even conditional on the conference being bilingual, though Brown is enthusiastic on the prospect of its being made so[24].

En bon politicien, Brown — en consultation avec ses collègues du ministère des Affaires culturelles du Québec — semble avoir imaginé que l’organisation tout à fait apolitique d’une rencontre de poésie serait une excellente occasion de favoriser les échanges entre les Québécois francophones et anglophones. Smith répondit avec enthousiasme à Glassco : « Urge acceptance of offer for conference which must be bilingual[25]. » À son tour, Scott écrivit un jour plus tard : « [T]his is looking very interesting and naturally I heartily support it[26]. » Entre la mi-mai, lorsque Glassco entendit pour la première fois parler de cette subvention de taille, et la fin juin, les choses évoluèrent de manière inattendue et le projet d’organiser une conférence de poésie intégralement bilingue dut être revu. Soudainement, ce que le gouvernement du Québec considérait comme un événement digne d’intérêt, car apolitique, devint un risque potentiel pour la sécurité nationale. En réalité, les lettres que Glassco écrivit à Scott et à Smith pour leur annoncer l’offre de financement furent envoyées le 18 mai, soit le jour où le FLQ plaça des bombes dans des boîtes aux lettres de Westmount (peut-être que la nouvelle n’était pas encore parvenue jusqu’à Knowlton). D’autres attentats à la bombe sur l’île de Montréal, notamment le jour de la fête de la Reine, ainsi que l’arrestation de certains chefs du FLQ firent les gros titres de la presse nationale au cours du mois suivant[27]. À la fin juin, Glassco dut informer les autres coorganisateurs d’un changement de programme :

The grant for the poetry conference may have run into a minor snag. Brown tells me the Quebec govt. are worried over its possible (now don’t laugh) infiltration by FLQ-ers, Castroites and Communists, and wants to have a complete list of francophone guests, and to know exactly what we intend to discuss, etc. It’s not us English they’re worried about ! I think we may really have to restore it to its original unilingual status, simply because by the time we should have chosen our list of French invités, submitted it, and had them cleared or screened or whatever the process is (rather an undignified business in any case), there will hardly be time to get the invitations out, receive the replies and arrange for the accommodation and so forth[28].

Dans une lettre à Guy Frégault, sous-ministre des Affaires culturelles, où il se résolvait au fait que le FPC serait plus modeste que prévu et fournissait les grandes lignes d’un projet de colloque qui coûterait 1 000 dollars, Glassco écrivit :

The Original statement of our aims was set forth in my letter of May 26th to Mr Brown, when it was hoped to make the Conference bilingual. It is still our hope that this conference will be merely a starting-point from which will develop a thoroughly bilingual gathering, in accordance with what we believe to be a genuine need of our common Canadian culture[29].

Les organisateurs du FPC conservèrent le même objectif après la fin du colloque : ils parlèrent de mettre sur pied une seconde rencontre de poésie qui devait normalement avoir lieu à North Hatley sous la direction de Ralph Gustafson. Comme l’écrivit Glassco à Smith à propos de la force redoutable de la poésie nationaliste québécoise et de la nécessité d’un rapprochement immédiat entre les poètes québécois de langues française et anglaise :

This whole matter of rapprochement between French and English and English [sic] poets is a hot potato. If we try to bring it about (as I think we should very soon) it will have to be done privately, i.e. not with Quebec money. Brown turns pale at the very thought, Lapalme sidesteps neatly, and Frégault is, alas, an Anglophobe, dedicated to radical division and reported to be furious at the FPC’s success. Obstructions and difficulties are already being thrown up for the NHPC [The North Hatley Poetry Conference]. Anglophone culture is in the doghouse in La Belle Province[30].

Plus loin, il réagit à une discussion en cours au sujet de l’impact de la revue nationaliste Parti pris sur la culture anglophone au Québec :

I agree with you about Parti pris. It is dangerous ; it is selling over 3,000 copies an issue ; it is, as you can see, brilliantly written and prints very good poetry, and is already threatening the (God Save Our) Queen. If you are on their mailing list in Quebec, as I am, the magazine comes to you addressed in huge block letters “ETAT DU QUEBEC,” which doesn’t go over too well in these parts, especially since the bank in Knowlton was held up and robbed of $1,500 last week by the ALQ [Armée de Libération du Québec] armed with sub-machineguns apparently taken from the Black Watch Armoury in Montreal in their last raid thereon. These boys mean business. — We simply must try to effect some meeting on the common poetic level, even though Jean Le Moyne says it is too late[31].

En 1965, comme l’indique cette lettre, il était devenu « impossible », politiquement parlant, d’organiser un colloque de poésie bilingue de grande ampleur afin de compléter celui qui avait eu lieu, en anglais seulement, à Foster. La violence et l’extrémisme que l’on associait aux poètes nationalistes québécois en étaient la cause, ainsi que le ressentiment évident qui se manifestait dès qu’il s’agissait de faire la promotion d’événements culturels anglophones (selon Glassco du moins). Aussi, lorsque Gustafson, qui réfléchissait à une manière de donner suite au FPC, demanda à Glassco « si un tel colloque tenterait d’inclure des poètes de langue française ou s’il suivrait l’exemple de l’automne dernier[32] », ce dernier répondit :

I am still all for it, but unfortunately Quebec mistrusts the French-language poets almost as much as it did last year. I spoke to Brown last night and he said there’s no chance of getting anything for a bilingual conference. It’s tragic, but there it is. He suggested that a few French poets whom any of us know personally and who are not connected with the FLQ might be invited. This might be a way of breaking the ice. We have all got to get together some time[33].

En résumé, Glassco, Scott et Smith avaient initialement envisagé le colloque comme « un moyen de réunir les deux groupes linguistiques[34] » en incluant des poètes québécois de langues française et anglaise, et ce, jusqu’à ce que les actes violents perpétrés par le FLQ déclenchent une série de négociations entre les organisateurs de l’événement et les bailleurs de fonds gouvernementaux. À cet égard, les conditions de l’accord précisaient que « le Foster Poetry Conference devait être unilingue, ne devait pas être médiatisé[35] » et que le nom de Glendon Brown, le député provincial qui obtint le financement pour le colloque, ne devait pas être mentionné.

Le format du FPC était tributaire des opinions politiques des représentants du ministère des Affaires culturelles du Québec, qui finirent par réduire la subvention de deux tiers. Les palabres à propos de la somme qui serait versée au FPC forcèrent Glassco et les autres organisateurs à concevoir un nouveau plan et à le mettre en pratique rapidement. Comme pour la préparation des actes du FPC, ils se tournèrent vers le Canadian Writers’ Conference, qui avait eu lieu à l’Université Queen’s en 1955, pour trouver des idées. Le CWC était lui-même inspiré de deux colloques de poésie organisés respectivement à Harvard en 1950 (événement auquel assistèrent Frank Scott, A.J.M. Smith et A.M. Klein) et à McGill en 1951 (sous la direction de Scott)[36]. Autrement dit, le modèle de secours qui servit à remanier la structure du FPC trouvait son origine dans un espace de discussion sur le modernisme légitimé par l’institution universitaire, comme le prouve la tenue d’événements dans deux des plus prestigieux établissements d’Amérique du Nord. Il ne restait pas assez de temps pour demander aux participants de préparer des communications officielles (comme put le faire Whalley lorsqu’il organisa le CWC) ; aussi, à la mi-septembre, à peine un mois avant le début du colloque, Glassco, Scott et Smith mirent au point « un programme provisoire autour de six thèmes qui seraient discutés de manière informelle[37] ». Ils ne disposaient pas non plus d’assez d’argent ni d’assez de temps pour inviter des poètes venant des différentes régions canadiennes (contrairement à Whalley), mais quelques poètes qui résidaient hors du Québec furent conviés pour élargir les horizons du colloque. Par exemple, Milton Wilson, un professeur du Trinity College de l’Université de Toronto qui avait été invité à participer au FPC, écrivit à Glassco pour recommander Eli Mandel, qui venait tout juste d’arriver à l’Université York après quelque temps en Alberta, car il « aiderait à élargir notre perspective au-delà de l’ouest de l’Ontario et du Québec[38] ». Glassco, Scott et Smith étaient également à la recherche de participants plus jeunes, facette importante d’un rassemblement qui visait, entre autres, à établir la descendance précise de la poésie anglo-québécoise et à préparer son avenir. L’Ontarien David McFadden était considéré comme un poète représentatif de la jeune génération, mais les contraintes budgétaires obligèrent les organisateurs à opter, au final, pour les « Cataracters » — les éditeurs de la revue littéraire Cataract —, qui incluaient Seymour Mayne, Leonard Angel, K.V. Hertz, Henry Moscovitch ainsi que les poètes anglo-québécois D.G. Jones et Leonard Cohen qui, quoique déjà bien établis, ne faisaient pas partie de la vieille garde à laquelle appartenaient Glassco, Scott et Smith. De manière générale, il semble que le fonctionnement du FCP ait conjugué les aspects d’un colloque universitaire plus formel et l’atmosphère d’un rassemblement d’écrivains débattant de sujets ambitieux (comme leur rôle à l’ère du nucléaire), pratiques (tels que la situation et la fonction de la critique de livres au Canada) ou liés aux techniques et au processus de création.

L’importance immédiate du contexte québécois pour la littérature de langue anglaise, préoccupation déjà omniprésente dans la correspondance entourant la planification de l’événement, faisait également partie du programme du FPC. Par exemple, l’argument principal du séminaire de Frank Scott intitulé « The Poet in Quebec Today » (« Le poète au Québec aujourd’hui ») soutenait que le poète franco-québécois disposait d’un sujet plus ferme pour écrire de la poésie que son homologue anglo-québécois, et ce, en raison de la montée d’une politique nationaliste. Résumant sa thèse dans les actes du colloque, Scott écrit :

Quebec is in the midst of a period of “accelerated history” if not actual social revolution. Are we to expect that poets will more directly express this revolutionary feeling ? I would think that not only is this kind of poetry bound to emerge but that it is in fact already emerging… The very titles of poems appearing in little magazines like Liberté and Parti Pris show that the furore has reached the younger writers[39].

Par la suite, Scott fait remarquer que l’effet de ce changement historique accéléré est sensiblement différent pour les Québécois anglophones et pour les francophones : « I do not find any sentiment of this kind in the English language poetry of Quebec. Though living in the same province, its writers do not appear to feel that it is their revolution which is taking place[40]. » Le discours de Scott n’est pas suivi d’un résumé des discussions, mais le compte rendu du colloque qu’a rédigé Alan Pearson pour The Canadian Forum suggère que l’argument selon lequel les poètes franco-québécois disposaient d’une source d’inspiration plus viscérale et plus concrète suscita « parmi les réfutations et les approbations les plus désinhibées qu’il soit donné d’entendre lors d’un colloque public[41] » :

One delegate said, no matter how legitimate the Frenchman’s political grievances are, poetry is not the place for them. Poets are not scriveners writing program notes for revolutionaries. He added that the North American poet’s preoccupation with the dehumanization of people’s lives by business and commercial interests was a much more worthy (and international) subject, and that French Canadian poets ran the risk of becoming parochial and boring. Louis Dudek insisted that such criticism was irresponsible and just added fuel to an already inflammatory situation. By the end of this seminar no one could fail to be more aware both of the explosive potentialities within some of the most (apparently) personal and even reactionary French Canadian poetry of the past and of the extent to which such potentialities had been coming into the open in the poetry of the last few years[42].

Comme ma réflexion s’est attachée à le montrer jusqu’à présent, les responsables gouvernementaux qui finançaient le FPC n’ignoraient rien des « potentialités » évoquées par Pearson. Les inquiétudes du gouvernement, liées aux affiliations politiques des poètes francophones que Glassco pensait inviter, eurent une influence importante sur le montant du financement octroyé à l’événement et, par conséquent, sur le format et la portée ultimes du colloque.

Les séances de lecture

Qu’en est-il des séances de lecture ? Peu de temps après la tenue du FPC, Ralph Gustafson écrivit à Glassco :

You remember at the Conference I suggested that the readings that afternoon would make a good anthology (with some editing) ?

Having listened to the tape again, I felt this conviction borne in upon me again.

I remember hearing that Mr. Brown suggested printing some record of the sessions. Do you think he plus the Quebec Government would like to memorialize the Conference in this way[43] ?

Plusieurs discussions entre les organisateurs et Gustafson s’ensuivirent afin de décider s’il fallait envoyer des enregistrements des lectures à Bob Weaver pour diffusion sur la CBC lors du programme du mercredi soir[44]. Cela dit, l’idée de produire une anthologie imprimée des poèmes présentés lors du colloque semble avoir été conçue bien plus tôt. Notre accès à cet événement poétique est donc tributaire des décisions éditoriales prises par Glassco, Scott et Smith lors de la préparation des actes du colloque, qui furent finalement publiés sous le titre English Poetry in Quebec. Or la sélection qu’ils effectuèrent est le reflet de leur goût et de leur jugement littéraires, tous deux fermement établis.

Dans des lettres écrites au cours du processus de sélection, Glassco fait mention des tensions entourant le choix des poèmes à inclure dans les actes. Elles étaient parfois causées par un poète qui se plaignait de l’omission de tel ou tel texte, mais, plus généralement, elles avaient trait à la fonction documentaire des actes en tant que représentation de séances de lecture en public. Dudek critiqua avec virulence le processus de sélection : « No poem should be omitted if it was read at the conference, unless we can say firmly that it is simply incompetent by any standards. Otherwise the whole principle of democratic inclusion is lost[45]. » La réponse de Glassco à Dudek évoque « les déséquilibres monstrueux » (« the monstruous imbalances ») qu’une inclusion intégrale provoquerait, « donnant à Leonard Cohen le plus grand nombre de lignes avec 240 vers, comparativement aux 145 vers de Doug Jones à la seconde place et à une moyenne globale de 75 vers pour tous les autres poètes, incluant des inanités de plus ou moins mauvaise qualité[46] ». Cette note, comme la correspondance qui l’accompagne, nous apprend non seulement que Cohen a lu deux fois plus de vers que les autres poètes, mais également que la priorité de Glassco en publiant une version imprimée des séances de lecture n’était pas de restituer l’essence de l’événement. Il souhaitait plutôt obtenir une anthologie aussi convaincante que possible en choisissant certains des poèmes lus en public, ce qui aboutit à une compilation de cinquante-cinq pages occupant plus d’un tiers du livre et s’intitulant « Selection of Poetry Readings » (« Sélection des poèmes lus »), avec la précision suivante en sous-titre : « This selection was made jointly by A.J.M. Smith, F.R. Scott and John Glassco[47]. » Il est intéressant de noter que les actes du CWC édités par Whalley ne reproduisent pas les poèmes lus lors du colloque, mais font place à un compte rendu des poèmes lus (« Report on the Poetry Readings ») écrit par Jay Macpherson. On y trouve quelques informations sur les poèmes et les personnes qui les avaient lus, mais il s’agit surtout d’un récit qui fait état des séances de lecture en tant qu’événements poétiques. Après avoir signalé que ces séances étaient informelles — fréquemment interrompues, commentées et discutées —, Macpherson réfléchit à l’impact de la poésie lorsque lue à voix haute : grâce à quelques « écoutes approfondies » (« close listenings ») de plusieurs lectures, pour reprendre l’expression de Charles Bernstein[48], elle tente d’« expliquer l’enthousiasme que [celles-ci] générèrent[49] ». Dans ce cas précis, les actes du FPC n’imitent pas l’ouvrage de Whalley. L’opinion de Glassco quant à cet aspect de la pratique poétique qu’est la récitation resta d’ailleurs particulièrement défavorable. Il fit remarquer que, s’il peut s’avérer agréable d’écouter un poème, « bien souvent nous découvrons, lorsque nous le lisons plus tard pour nous-mêmes, qu’il s’agissait d’un mauvais poème[50] ». Glassco et les autres organisateurs défendirent fermement leur sélection afin de publier une anthologie de petite taille digne de leurs noms. Cela signifie également que les séances de lecture fonctionnèrent comme une sorte d’audition que les poètes participants durent passer devant les écrivains plus expérimentés responsables du colloque, ceux-là mêmes qui choisirent ensuite quels poèmes semblaient (à l’écrit plutôt qu’à l’oral) assez bons pour faire partie de l’anthologie qui occuperait une partie importante des actes publiés. Glassco déploya bien plus d’efforts pour sélectionner les poèmes que pour éditer les communications et les discussions, ce qui tend à suggérer qu’il considérait une anthologie traditionnelle comme un moyen plus à même que la critique littéraire d’assurer l’avenir de la poésie anglo-québécoise au sein des lettres canadiennes.

Les résolutions poétiques

Le colloque s’acheva sur l’adoption de trois longues résolutions qui proposaient, en substance : de louer le soutien de la province de Québec envers la poésie québécoise et de le recommander comme modèle à imiter par les autres provinces du Canada ; de faire des demandes de subvention auprès du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour le financement des conférences et des lectures données par les poètes canadiens en tournée ; et enfin, d’inciter la CBC à offrir « un nombre suffisant d’occasions pour la diffusion de la poésie canadienne sur son service télévisuel[51] ». Il est clair que les résolutions visaient des résultats concrets puisqu’on confia à quelques participants la tâche de faire suivre certaines d’entre elles à des bureaux et à des responsables gouvernementaux spécifiques. Dans une lettre datant du 12 octobre 1963, Eli Mandel rappelle à Glassco qu’il doit « faire suivre aux personnes compétentes la résolution louant le ministère des Affaires culturelles », tandis qu’il « se chargera des résolutions au sujet de la CBC et du Conseil de recherches en sciences humaines[52] ». Glassco remplit son devoir peu de temps après en transmettant la première résolution au ministre des Affaires culturelles du Québec, Georges Lapalme[53]. Les trois résolutions furent adressées à des agences gouvernementales, preuve que les participants à ce colloque de poésie financé par le gouvernement du Québec s’intéressaient également à la politique culturelle. Ces « législateurs non reconnus[54] » comprenaient l’importance stratégique de saluer les institutions gouvernementales qui rendaient leurs rencontres possibles, et ils estimaient que leur vocation de poète et d’intellectuel justifiait qu’ils interviennent dans les affaires culturelles.

Ces trois résolutions, comme la documentation offrant une représentation d’ensemble du colloque, témoignent de la confiance inébranlable des participants quant à la centralité de la poésie anglo-québécoise au sein de la poésie canadienne. Datant de 1957, l’expression souvent citée de Louis Dudek à propos du « rôle dominant joué par Montréal en tant que centre d’activités et source de nouvelle poésie[55] » continuait d’influencer le ton des participants et leurs propositions, dont l’ambition est révélatrice du rôle important qu’ils estimaient jouer par rapport à l’avenir de la poésie anglo-québécoise. La préface aux actes rédigée par Glassco indique que la planification d’un second colloque était déjà en cours, « avec l’espoir que le Foster Poetry Conference ne soit que le début[56] ». Comme nous le savons désormais, il s’agissait pour Glassco du « début » d’un véritable rapprochement avec la poésie et les poètes franco-québécois et peut-être, dans son sillage, de l’émergence d’une nouvelle vague de modernistes canadiens venus du Québec anglophone. Au beau milieu de la campagne québécoise, face à un public composé principalement de Québécois anglophones, il était sans doute possible de formuler de telles propositions avec espoir et résolution.

Le principal événement de poésie organisé à Montréal lors des années 1960 et 1970 — le Sir George Williams Poetry Series financé par le Conseil des arts du Canada — ne se déroula qu’en anglais, ce qui laisse à penser que le FPC ne put être répété, qu’il s’agissait d’une dernière prise de position de la part de la vieille génération de modernistes anglo-québécois et de la dernière tentative de rapprochement entre poètes anglophones et francophones. Mais, en réalité, les Cantons-de-l’Est furent le théâtre de plusieurs séances de lectures bilingues à partir de la fin des années 1960. Comme l’a montré Michael Benazon : « Anglophone intellectuals — imbued with the vision being set forth in the Laurendeau-Dunton Royal Commission on Bilingualism and Biculturalism — were looking for ways to build bridges between Francophones and Anglophones[57]. » La première de ces séances eut lieu en août 1968 à North Hatley, dans le salon d’un potier local[58]. Bien loin d’une rencontre organisée dans un chalet de montagne avec l’aval du gouvernement, cet événement fut l’initiative de la traductrice Sheila Fischman et du poète et traducteur Doug Jones. Les participants furent nuls autres que John Glassco, Frank Scott, et A.J.M. Smith, aux côtés de Roland Giguère, de Pauline Julien et de Gérald Godin[59]. Il s’avéra que Glassco avait eu raison lorsqu’il avait prédit que, si une telle rencontre devait avoir lieu sous peu, « elle [devrait] être organisée de manière privée, c’est-à-dire sans l’argent de Québec ».