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S’interroger sur le lien entre bien-être, protection sociale et économie sociale (ES) dans une perspective historique, c’est d’abord mesurer pleinement le caractère à la fois subjectif et fluctuant de la notion de bien-être, tant dans sa représentation que dans ses applications pratiques, à l’échelle des individus ou à l’échelle collective. Il nous faudra donc partir de deux postulats. Le premier est que la prise en charge des accidents de la vie dans un cadre collectif – en d’autres termes, la protection sociale – est universellement considérée comme un facteur essentiel de l’accomplissement du bien-être individuel et collectif. Le second est que l’ES a tendu, dès son origine, à l’accomplissement du bien-être de ses membres.

Laissant de côté la question des représentations, nous ne traiterons dans cet article que des modalités pratiques de l’économie sociale qui visent à favoriser le bien-être des milieux populaires, notamment par l’organisation de formes de protection sociale.

Au xixe siècle, l’économie sociale correspond à un mouvement encore mal défini, aux frontières floues, avec une structuration progressive qui concerne en particulier les mutuelles et la coopération. Le siècle suivant est marqué par une adaptation des différentes formes d’économie sociale à un environnement profondément modifié par les deux guerres mondiales, la crise des années 30 et la montée en puissance du consumérisme au temps des trente glorieuses.

Dans cette perspective, nous organiserons notre propos en fonction de différentes étapes chronologiques, regroupées en deux grandes séquences. Nous commencerons par évoquer l’émergence d’une économie sociale du bien-être et ses aléas, de la Révolution à la veille du premier conflit mondial, dont on connaît l’impact sur les bouleversements structurels de la société française et sur l’évolution des mentalités. Nous aborderons ensuite la période qui s’étend de la Première Guerre mondiale à la fin des années 60, lorsque l’économie sociale est amenée à s’adapter, à la faveur de la prospérité économique, à de nouveaux standards du bien-être.

L’émergence d’une économie sociale du bien-être, de la Révolution à la veille du premier conflit mondial

Assurer le « bonheur de tous » : la genèse de l’économie sociale du bien-être

Les effets ambivalents ou délétères de la Révolution française et de l’industrialisation

La Révolution française (en 1789), prolongée par la Ire République à partir de septembre 1792, a tenté de promouvoir une nouvelle forme de prise en charge de la pauvreté et des questions sociales, rompant avec les pratiques charitables de l’Ancien Régime. On peut ainsi évoquer la proclamation du droit à l’assistance par le Comité de mendicité dès 1790 ou encore la mise en place d’un Livre de la bienfaisance sous la Convention. Parallèlement à ces avancées, d’autres dispositions, qui ont d’ailleurs pu être conçues comme des moyens de rupture avec la société de l’Ancien Régime, ont cependant contribué au renforcement des inégalités, et ce de manière durable (Imbert, 1990 ; Marec, 2006, 2012a, 2012b).

De ce point de vue, les dispositions de la loi Le Chapelier de 1791, dirigées contre toute forme d’association au nom de la lutte contre les privilèges et les corporations de l’Ancien Régime, ont conditionné pour près d’un siècle l’état des rapports sociaux. Pour reprendre la démonstration de Bernard Gibaud (Gibaud, 1989), la liberté du travail l’a emporté sur la liberté d’association, même si, dans la réalité sociale, des formes d’associations comme les mutuelles ont pu subsister et se développer. Cela ne tient pas seulement aux circonstances difficiles de l’époque, mais aussi à la nature même de la Révolution, qui a accordé une importance décisive à la citoyenneté politique bien plus qu’à la citoyenneté sociale. Ainsi, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’août 1789 n’envisage pas l’égalité comme une égalité sociale ni même, jusqu’en 1793, comme une égalité politique. D’ailleurs, à partir du moment où les citoyens sont proclamés égaux en droit – égalité toute relative, puisqu’elle ne concerne pas les femmes –, ne deviennent-ils pas responsables de leur destinée ?

Sous le Directoire, les lois de l’an V sur les hospices civils et les bureaux de bienfaisance confèrent à la protection sociale un caractère conditionnel et facultatif, accentuant les effets délétères des transformations sociales induites par l’affirmation progressive de la révolution industrielle en France à partir des années 1830 et, surtout, 1840. Cette évolution contribue à faire émerger progressivement une question sociale qui est d’abord une question ouvrière. Cependant, l’extension du paupérisme suscite en France la multiplication d’enquêtes sociales, notamment celle du docteur Louis-René Villermé (Villermé, 1840). S’ensuivent différentes initiatives qui visent à améliorer la situation des classes populaires et à leur permettre une accession au bien-être, voire « l’accroissement du bonheur de tous », selon une expression du jeune juge républicain Joseph Rey rendant compte des projets coopératifs de Robert Owen (Desroche, 1981).

Ainsi, diverses formes d’économie sociale sont portées par quelques philanthropes libéraux, inquiets des conséquences de l’industrialisation. C’est dans cette perspective qu’est créée la Caisse d’épargne de Paris, en 1818, par Benjamin Delessert et le duc de La Rochefoucauld-Liancourt. Cette création, destinée prioritairement aux classes sociales modestes, tend à moraliser celles-ci en les initiant à la prévoyance pour les détourner du recours à l’assistance publique ou à la charité privée.

Le développement des caisses d’épargne à partir de la monarchie de Juillet concerne surtout les petites classes moyennes, qui disposent d’économies à placer. En réalité, à l’époque, les classes populaires ont principalement recours au prêt sur gage par le biais des monts-de-piété, dont l’importance s’affirme durant les deux premiers tiers du xixe siècle.

Il existe cependant des formes de prévoyance collective qui appartiennent au domaine de l’économie sociale, en particulier les sociétés de secours mutuels, également appelées sociétés d’amis, qui s’imposent par rapport à d’autres formes de solidarité liées aux anciens compagnonnages. Il s’agit en effet d’une organisation collective très souple, qui peut s’adapter à différents objectifs. Certaines sont essentiellement des structures d’entraide professionnelle, rattachées à un métier spécifique. D’autres sont pluriprofessionnelles. Beaucoup ne sont que des organismes d’assurance permettant de faire face à la maladie, parfois à la vieillesse ou au décès. Elles développent des formes de sociabilité qui participent au maintien d’un lien social entre les sociétaires. Elles peuvent être aussi des structures de résistance en cas de conflits sociaux, comme lors des révoltes des canuts à Lyon en 1831 et 1834, ce qui explique la surveillance dont elles font l’objet et la méfiance des notables à leur égard.

Le contexte spécifique à la France a déterminé certaines originalités du mouvement coopératif, d’abord soucieux de contourner les effets de l’interdiction des formes de solidarité collective. Les premières initiatives coopératives, mutualistes ou associatives sont moins l’application directe des idées d’Owen, de Saint-Simon ou de Fourier que l’oeuvre de praticiens peu soucieux d’orthodoxie idéologique et confrontés aux réalités sociales. La distinction entre les différentes sociétés demeure d’ailleurs souvent floue jusqu’au milieu du xixe siècle.

Ces expériences ont contribué à donner à l’idée d’association une portée à la fois symbolique et politique, qui apparaît au grand jour avec la IIe République comme un moyen d’assurer le bien-être des populations ouvrières.

De la IIe République au Second Empire : l’institutionnalisation de l’économie sociale du bien-être

On assiste au début de la IIe République, au moins jusqu’en juin 1848, à une éclosion d’associations aussi bien coopératives que mutualistes – grâce notamment à la reconnaissance du droit d’association en février 1848, qui en permet la multiplication, principalement à Paris. Des assemblées générales d’ouvriers se tiennent dans la capitale et participent aux discussions de la Commission du Luxembourg. Les délégués des provinces, souvent membres de sociétés de secours mutuels, ne débattent pas seulement sur les conditions de travail, mais aussi sur des questions proprement mutualistes concernant la maladie, les infirmités ou la vieillesse. Plus généralement, les discussions portent sur les formes d’associations susceptibles de contribuer au bien-être de l’ouvrier.

Cependant, il existe des équivoques à l’égard notamment de la mise en place des ateliers nationaux destinés à lutter contre le chômage. Contrairement au projet de Louis Blanc, qui y voit un moyen de prise en main de l’appareil productif par les travailleurs, ils se rapprochent davantage en effet des ateliers de charité traditionnels. Leur suppression est à l’origine d’une insurrection ouvrière durement réprimée en juin 1848, date qui constitue une rupture dans l’évolution du régime de la IIe République. Une autre limite concerne la disparité entre le bouillonnement créatif d’associations dans la capitale et la relative atonie provinciale.

Avant même l’avènement du Second Empire, le gouvernement de la République se montre très peu libéral envers les associations coopératives. Ainsi, dès 1849, une pionnière féministe de la coopération, Jeanne Deroin, est emprisonnée après avoir tenté de mettre sur pied une caisse de crédit et de solidarité. De la même manière, les tentatives de Proudhon pour créer une banque du peuple ne rencontrent que l’hostilité des notables conservateurs, en particulier d’Adolphe Thiers. Le rapport qu’il présente à l’Assemblée nationale le 26 janvier 1850 est une sorte de manifeste du conservatisme social vantant les mérites de la bienfaisance traditionnelle.

On assiste dès cette époque à une évolution conservatrice du régime, qui se traduit par une volonté de surveiller les différentes formes d’associations au nom du « bien-être » des milieux populaires. A partir de 1850, sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, plusieurs mesures sont adoptées pour soutenir la mutualité tout en la contrôlant. Davantage que la loi de juillet 1850 sur la reconnaissance d’utilité publique, c’est le décret du 26 mars 1852 qui a véritablement organisé la mutualité pour plus d’un demi-siècle. Cette « mutualité impériale », née avant même le rétablissement officiel de l’Empire, a pour principale caractéristique d’être organisée sur la base de la commune et de favoriser l’implication des notables dans des sociétés interclassistes.

Ce texte fondateur vise à appuyer le développement de la fonction de secours des sociétés, en particulier dans le domaine de la maladie et, dans une moindre mesure, de la vieillesse, tout en écartant leur dérive éventuelle vers la résistance à l’ordre établi. Ainsi, la mutualité s’impose dès 1852 comme un laboratoire de l’assurance sociale, expérimentant dans le cadre de petites structures locales les techniques de prise en charge de l’assurance maladie pour les travailleurs. Par ailleurs, la prise de décision concernant les aspects très pratiques du fonctionnement mutualiste (montant des cotisations, nature des prestations…) s’effectue collectivement, au sein de l’assemblée générale. Cependant, malgré son développement, la mutualité ne concerne qu’une minorité de la population et même des seuls ouvriers.

Le texte de 1852 ne prévoit pas d’obligation d’assujettissement. Le futur empereur Napoléon III doit composer avec l’opposition des catholiques sociaux menés par Armand de Melun, fondateur de la Société d’économie charitable. L’adoption de l’idée d’obligation risque en effet de favoriser une intervention renforcée de l’Etat dans le domaine social, au détriment du rôle traditionnel de l’Eglise et des oeuvres.

Cette évolution a mené à une dissociation progressive entre le monde ouvrier revendicatif et la mutualité patronnée. Il est vrai que l’« embourgeoisement » progressif de la mutualité officielle contribue à modifier certaines des caractéristiques du mouvement mutualiste, de moins en moins strictement ouvrier et centré sur la commune : l’essor des mutuelles d’employés, de fonctionnaires, voire de professions libérales comme les médecins entraîne à la fois une certaine délocalisation de la mutualité et une diminution du poids relatif des ouvriers.

Quant au mouvement coopératif, il semble également demeurer en marge du mouvement ouvrier organisé. André Gueslin a d’ailleurs souligné le retard français par rapport aux initiatives prises en Angleterre, avec notamment l’expérience de Rochdale dans le domaine de la consommation, ou celles qui ont été menées en Allemagne pour le crédit aux agriculteurs et aux petites entreprises, avec les initiatives de Schulze-Delitzsch (Gueslin, 1998). Les effets de la répression consécutive au coup d’état de 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte ont été redoutables pour le mouvement coopératif. Les militants les plus en vue ont été durement atteints. Seules des initiatives isolées et l’influence des idées de Proudhon permettent de maintenir le flambeau de la coopération jusqu’à la seconde phase de l’Empire, marqué par une certaine ouverture sociale dans les années 1860.

C’est à partir de 1863 que Jean-Pierre Beluze, un Icarien chevronné, développe des idées favorables à l’association dans une brochure intitulée Les associations, conséquences du progrès : crédit du travail. Il encourage l’intérêt pour le crédit coopératif en prônant le crédit mis à disposition des travailleurs ; une idée qui prolonge les initiatives de Jeanne Deroin et d’autres. On songe aussi dès cette époque à la construction d’un internationalisme coopératif, notamment dans le cadre de discussions dans les congrès de la Ire Internationale. Un texte législatif de 1867 concernant les sociétés anonymes sort en partie les coopératives de l’ostracisme et de la clandestinité. Néanmoins, dans l’immédiat, la méfiance vis-à-vis de l’économie sociale perdure et elle s’accentue même au cours des années 1870.

Du discrédit à la reconnaissance de l’économie sociale (1870-1914)

Déficit social de l’Etat républicain et marginalisation de l’économie sociale (années 1870 et 1880)

Le contexte des années 1870 et 1880 a-t-il été marqué par une sorte de déficit social républicain, qui aurait ainsi contribué à la mise à l’écart de l’économie sociale comme vecteur du bien-être social ?

D’une part, il est vrai que la grande majorité des républicains des débuts de la IIIe République semble avoir accordé davantage d’importance à la conquête politique du pouvoir et à l’affirmation du nouveau régime. D’autre part, la question sociale en tant que telle n’existait pas pour nombre d’hommes politiques républicains, qui voyaient surtout des difficultés à vaincre variables selon les lieux et les conditions d’apparition. De plus, dans l’imaginaire social et politique des hommes de la IIIe République à ses débuts, l’attention portée à la construction d’un service public de l’éducation devait en quelque sorte suffire à résoudre les problèmes d’ordre social. Enfin, depuis la Commune de Paris, persiste une méfiance prononcée des républicains modérés au pouvoir envers tout ce qui pourrait rappeler ou encourager l’effervescence sociale des milieux populaires urbains.

Cependant, au début des années 1880, quelques dispositions législatives s’intéressent à différents secteurs de l’économie sociale, mais avec un contrôle maintenu de l’Etat républicain. Par exemple, à partir de 1881, la prévoyance individuelle par le biais des caisses d’épargne est encouragée avec la création de la caisse d’épargne postale, qui peut s’appuyer sur le réseau des bureaux de poste. A ce mouvement se rattachent aussi les mesures prises en faveur de l’épargne scolaire.

Quant aux autres formes de l’économie sociale, en particulier les sociétés de secours mutuels et les coopératives, mais également d’autres associations, elles rencontrent aussi l’hostilité de la partie militante et contestataire du monde ouvrier. On observe la même réserve à l’égard des coopératives durant les congrès ouvriers des années 1876-1879. A celui de Marseille en 1879, les coopératives de production sont ainsi dénoncées par Isidore Finance comme un « tonneau des Danaïdes où sont venues se perdre et disparaître toutes les forces vives du prolétariat ». La coopération devient même « le plus grand commun diviseur des forces ouvrières » (Desroche, 1981, p. 112-113). Il ne s’agit donc en aucun cas de moyens permettant d’arriver à l’émancipation du prolétariat.

Dans l’immédiat, la méfiance semble l’emporter, même s’il existe des divergences entre réformistes et révolutionnaires. On peut notamment pointer l’affirmation d’un mouvement social réformiste à partir des années 1880, particulièrement parmi les employés, dont les premières associations ont souvent pris la forme d’amicales professionnelles, avant de se muer en syndicats au tournant des xixe et xxe siècles. Ces organisations ont généralement développé une vision plus favorable à l’égard des sociétés de secours mutuel ou des coopératives. Celles-ci semblent même connaître, à partir de la fin du xixe siècle, une sorte de réhabilitation favorisant une restructuration de l’économie sociale.

Affirmation, reconnaissance officielle et structuration de l’économie sociale, des années 1890 à la Grande Guerre

L’époque est en effet marquée par l’émergence d’une nouvelle sensibilité républicaine vis-à-vis des questions sociales, en lien avec l’affirmation des idées solidaristes. Celles-ci sont développées notamment sur le plan politique par le radical Léon Bourgeois (Bourgeois, 1998 [1896]) à partir du milieu des années 1890. En s’appuyant sur les travaux du sociologue Emile Durkheim, sur ceux du philosophe Alfred Fouillée ou encore sur ceux de l’économiste Charles Gide sur la coopération, il développe l’idée selon laquelle un quasi-contrat unit l’individu à la collectivité. Il existe donc un devoir social de chacun pour le plus grand bien de tous. Par le biais de l’impôt sur le revenu, une redistribution doit même être opérée par l’Etat entre les composantes de la société. Cette influence des idées solidaristes a contribué, au tournant du xxe siècle, à l’adoption de lois sociales et de textes législatifs concernant certains secteurs de l’économie sociale.

La Charte de la mutualité du 1er avril 1898 libère le mouvement mutualiste de la tutelle des autorités municipales et préfectorales, tout en lui ouvrant de nouvelles perspectives de développement et en le restructurant de manière plus libérale. Cette loi permet en effet une ouverture de la mutualité aux femmes et aux enfants, même si les réticences à l’égard de l’admission des femmes – encore très sensibles avant les années 1890 – demeurent. La Charte de la mutualité favorise également le développement des mutuelles maternelles et infantiles, qui préparent l’adoption de la loi de 1913 sur le congé maternité, et encourage la création de dispensaires, de pharmacies mutualistes, de centres médicaux, etc.

Elle a aussi donné aux sociétés de secours mutuels la possibilité de dépasser la logique strictement curative du traitement des fléaux sociaux pour s’engager dans la prévention de l’alcoolisme, de la tuberculose et des maladies vénériennes. Dès lors, la mise en place d’une démarche préventive passe par l’information et l’éducation de l’adhérent mutualiste, promu acteur de sa propre santé.

Un bilan en demi-teinte à la veille de la Première Guerre mondiale

Quel bilan peut-on tirer des rapports entretenus entre l’économie sociale, la protection sociale et le bien-être entre le début du xixe siècle et le début du xxe siècle ?

A la veille de la Première Guerre mondiale, la capacité de la mutualité à contribuer à l’amélioration de l’état sanitaire de l’ensemble de la population fait consensus chez les républicains au pouvoir, avec lesquels le mouvement mutualiste a d’ailleurs noué des liens de proximité (Dreyfus, 2001). La mutualité joue désormais un rôle non négligeable dans la médicalisation de la société, en particulier celle des milieux populaires. Concernant les médicaments, le mouvement mutualiste accompagne aussi la demande de soins, en forte progression au cours du siècle. Globalement, la situation des salariés et de leurs familles s’est d’ailleurs améliorée à l’orée du xxe siècle, grâce, d’une part, à l’évolution de l’alimentation permise par les progrès de l’agriculture et, d’autre part, au vote des premières lois sociales [1], qui ont marqué le début d’une implication nouvelle de l’Etat dans la protection sociale.

En revanche, du fait de son caractère facultatif, la mutualité a une incidence quantitative limitée : en 1913, 15 % de la population française seulement est couverte par une société de secours mutuel. De surcroît, l’action du mouvement mutualiste demeure très modeste dans certains domaines, en particulier dans la couverture du risque vieillesse. L’apport mutualiste est de nature plutôt qualitative, la mutualité s’étant imposée dès 1852 comme un laboratoire de l’assurance sociale, expérimentant dans le cadre de petites structures locales les techniques de prise en charge de l’assurance maladie pour les travailleurs.

Entre-temps, la loi du 1er juillet 1901 sur les associations est adoptée, sous l’impulsion du gouvernement de défense républicaine mené par Waldeck-Rousseau. Elle est véritablement fondatrice, dans la mesure où elle assure une reconnaissance officielle des associations, qui peuvent se multiplier y compris dans le secteur sanitaire et social. Il existe par exemple un syndicalisme de service qui peut être rattaché aussi bien au syndicalisme réformiste qu’au syndicalisme révolutionnaire. Cela se traduit notamment par la création de caisses de maladie, de dispensaires et de coopératives de consommation, rattachés aux organisations ouvrières ou à celles des employés.

Cependant, de manière générale, le secteur associatif semble de plus en plus cloisonné. Les tentatives de rapprochement entre les composantes du mouvement social peuvent certes avoir des effets sur l’économie sociale du bien-être, mais elles demeurent néanmoins limitées. De plus, en matière de protection sociale, il est nécessaire de tenir compte de l’intervention des collectivités territoriales et de la puissance publique, particulièrement dans le cadre français, avec l’essor de l’assistance publique républicaine dans le champ sanitaire et social. En ce domaine, le rôle de l’économie sociale demeure un devenir.

La notion fluctuante du bien-être (de la Première Guerre mondiale à la fin des années 60)

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les sociétés de secours mutuels et les coopératives de toutes sortes ont permis aux classes populaires d’accéder à un bien-être dont les standards avaient été définis collectivement, dans un cadre démocratique [2]. L’ouvrier du xixe siècle aspirait à pouvoir satisfaire des besoins élémentaires : nourrir sa famille grâce à son travail, avoir un logement décent, voir ses enfants épargnés par le fléau de la mortalité infantile et, au terme d’une existence usante, être enterré dignement. Le « bien-être » se bornait à ne pas devenir un miséreux ni un prolétaire de la grande industrie, dépossédé de son outil de travail et assujetti au bon vouloir de son patron. Ce que résume la formule lapidaire d’Alfred Sauvy : « Il ne s’agissait pas de vivre mieux ou moins mal, mais de vivre tout court. » (Sauvy, 1945.)

L’économie sociale, acteur constant de la protection sociale

L’action des mutuelles et des coopératives en temps de crise

L’exacerbation des problèmes sociaux en temps de crise suscite un regain d’intérêt de la part de l’Etat pour l’activité des mutuelles et des coopératives comme vecteur de « mieux-être social ». Dans un tel contexte, les faveurs législatives accordées à ces structures doivent être interprétées comme une sorte de délégation par les pouvoirs publics de missions d’intérêt général qui vont bien au-delà du service qu’elles doivent à leurs adhérents. Dès la déclaration de la guerre en 1914, les mutuelles sont appelées, au nom de l’Union sacrée, à renforcer les interventions solidaires auprès des sociétaires mobilisés et de leurs familles, qui continuent à être couvertes par l’assurance maladie même lorsqu’elles ont cessé de cotiser. En 1915, un statut légal est octroyé aux associations ouvrières de production (AOP), afin qu’elles accueillent les mutilés des combats. En 1917, alors que sévit le rationnement, une loi ouvre un fonds de dotation pour les AOP et les coopératives de consommation, qui sont reconnues comme étant un barrage efficace contre la spéculation et le marché noir. En pleine période d’inflation sur les produits de consommation courante, les coopératives s’occupent du ravitaillement alimentaire de leurs adhérents. Les grandes coopératives parisiennes fournissent des denrées pour les soupes populaires, apportent une aide à la maternité et jouent le rôle d’offices de placement pour les chômeurs. Albert Thomas, ministre socialiste de l’Armement, les incite à ouvrir des restaurants coopératifs pour les ouvriers de l’industrie de guerre. Deux circulaires de 1916 engagent les industriels de l’armement et les entreprises de l’Etat à utiliser cette solution pour leur personnel. Une soixantaine d’établissements de ce type fournissent une nourriture à bon marché et de bonne qualité aux ouvriers de la région parisienne (Toucas-Truyen, Dreyfus, 2005).

En 1922, près de 2,3 millions de Français adhèrent à une coopérative de consommation. En cette période d’instabilité monétaire et d’inflation, ces structures restent un facteur de régularisation des prix au profit de tous les consommateurs. Un rôle qu’elles seront également amenées à jouer dans le contexte inflationniste des années 30, amortissant considérablement les difficultés sociales nées de l’envolée du chômage.

Dès la fin de la guerre, la coopération de production connaît un nouvel essor, grâce à une circulaire du ministère des Régions libérées préconisant le recours aux AOP pour la reconstruction dans les départements sinistrés.

Les pouvoirs publics escomptent également que le mouvement mutualiste, initiateur du congé maternité à la fin du xixe siècle dans le cadre des mutualités maternelles et infantiles, pourra contribuer à enrayer le déclin démographique. Par ailleurs, la mutualité donne à voir un modèle de prévoyance solidaire particulièrement adapté à la progression du salariat. L’Etat va y puiser son inspiration pour la mise en place d’un dispositif d’assurances sociales, dont le projet est lancé dès 1919, à la faveur du retour des départements d’Alsace-Moselle, bénéficiaires depuis les années 1880 du système bismarckien.

L’économie sociale et le bien-être par la santé

Au cours des années 20, les mutuelles sont les principaux agents de la démocratisation de l’accès aux soins par le biais des oeuvres sanitaires et sociales : pharmacies mutualistes (à Bordeaux, quatre pharmacies sont fondées entre 1921 et 1928), caisses chirurgicales, centres médicaux, cliniques (Bonneveine à Marseille en 1927 et Bordeaux en 1930). Les adhérents, majoritairement des travailleurs issus des classes moyennes, peuvent y bénéficier de soins sophistiqués et coûteux (radiographie, radiothérapie, analyses, orthopédie, soins dentaires).

Toutefois, dès 1919, en dépit de son attachement à la libre adhésion, la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) reconnaît qu’un dispositif obligatoire sous l’égide de l’Etat constituerait un progrès social indéniable : « La mutualité, qui de tout temps a cherché à réaliser en matière d’assurance contre la maladie tous les progrès désirables, ne peut formuler la moindre opposition à une législation qui généraliserait cette assurance. » (FNMF, 1919.)

La loi votée en avril 1930, au terme d’une décennie de débats parlementaires, est conçue pour les travailleurs de l’industrie et du commerce dont les revenus n’excèdent pas un certain plafond, soit environ les trois quarts des salariés du secteur privé. Les risques sociaux élémentaires (maladie, vieillesse, maternité, décès) sont couverts par une double cotisation, patronale et salariale. Les sociétés de secours mutuel deviennent un rouage essentiel de l’assurance maladie, soit en se constituant comme caisses primaires, soit en assurant la complémentarité pour les assurés sociaux. Pour les exclus du système, notamment les fonctionnaires, la mutualité offre une garantie complète contre le risque maladie. Son ancrage dans la fonction publique – et, par là même, dans les classes moyennes – s’en trouve considérablement renforcé.

La mise en place d’un socle de protection basique par les assurances sociales permet aux organisations mutualistes de créer de nouveaux services pour faciliter la vie quotidienne de leurs adhérents : cours par correspondance pour les enfants, office de placement, assistance à domicile pour les foyers mutualistes atteints par la maladie, organisation de services de garde-malades, thermalisme, cours de rééducation et gymnastique, etc. A Tours, l’union interdépartementale des sociétés de secours mutuel du Centre-Ouest, en coordination avec la société des voyageurs de commerce de l’Indre-et-Loire, fonde une caisse mutuelle chirurgicale, qui regroupe 1 500 adhérents dès sa création en 1935.

A nouveau, la guerre, précédée de la crise économique, réduit les standards du bien-être aux besoins élémentaires. Incarnation d’un partenariat entre Etat et économie sociale, le binôme assurances sociales-mutualité répare les blessures sanitaires et sociales. Les mutuelles, partiellement reconverties sur le terrain assistanciel, distribuent des secours exceptionnels aux familles des soldats et aux réfugiés. En 1941, le souci de la continuité du service aux adhérents sert d’alibi pour l’adhésion à la charte du travail des principales instances fédérales de l’économie sociale : la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) et la Confédération générale des Scop (CGScop). La Fédération nationale des coopératives de consommation (FNCC) est dissoute en 1940 et remplacée par une autre instance, confiée à des dirigeants ouvertement pétainistes. Etrangement, le ralliement vichyssois de la FNMF se traduit par la mise en oeuvre de nouvelles initiatives suggérées par la fédération aux unions départementales : création de sociétés d’entraide sociale au sein des entreprises, développement de jardins ouvriers, augmentation des prestations. Le fait qu’une partie des représentations nationales mutualistes et coopératives ait renié les valeurs républicaines pour pouvoir se maintenir n’a nullement été sanctionné après-guerre par une quelconque désaffection des adhérents.

La notion de bien-être des populations comme facteur pacificateur figure en bonne place dans la Déclaration de Philadelphie adoptée par l’assemblée générale de la Conférence internationale du travail du 10 mai 1944. En octobre 1945 sont promulguées les ordonnances instituant la Sécurité sociale. Cette création participe de la conviction, portée par l’Organisation internationale du travail (OIT), qu’un régime de protection sociale améliore le bien-être des populations. La Sécurité sociale, selon les mots de son concepteur Pierre Laroque, « vise à débarrasser les travailleurs de la hantise du lendemain » (Laroque, 1993, p. 154). Voici donc achevé le long cheminement de « la sécurité-propriété à la sécurité-droits » (Hatzfeld, 2004 [1971]). Déchargées de leur mission fondatrice, les mutuelles sont invitées, par l’ordonnance du 19 octobre 1945, à prendre en charge la complémentaire santé et à s’investir dans de nouveaux champs d’activité : la prévention des risques sociaux, la répartition de leurs conséquences et le développement physique, moral et intellectuel des membres. Au cours des années 50 à 80, les unions départementales mutualistes inaugurent des centres médicaux et des centres d’optique mutualistes, qui suscitent, tout comme les pharmacies, l’hostilité du secteur libéral. De nouvelles cliniques mutualistes voient le jour, notamment à Nantes (1951) et à Saint-Nazaire (1956). Par ailleurs, la montée en puissance des mutuelles d’entreprise et de celles de fonctionnaires, ainsi que la naissance en 1960 de la Fédération nationale des mutuelles ouvrières (FNMO), liée à la CGT, inaugurent une phase de l’histoire du mouvement mutualiste marquée par une attitude plus exigeante à l’égard des politiques de santé. Tandis que se profilent les premiers reculs de la Sécurité sociale, les organisations mutualistes semblent, à cette époque, en mesure de mobiliser des adhérents qui conçoivent désormais comme légitime la revendication à des soins de qualité pour tous.

L’économie sociale face aux aspirations consuméristes de ses adhérents

Le loisir, nouvel élément du bien-être

Si le vivier des mutuelles et des coopératives est toujours constitué par les classes moyennes, les salariés y sont de fait devenus majoritaires. Ce salariat qui, comme le dit Robert Castel, est « parti des situations les plus indignes et les plus misérables pour devenir, vers le début des années 70, une situation stable et assurée » (Castel, 1995). L’économie sociale doit s’adapter au déplacement du curseur du bien-être, tant sur le plan de la santé que dans le domaine de la consommation. Il semble désormais acquis que la définition de la santé, universellement reconnue comme le socle du bien-être, ne se réduit pas à l’absence de maladie [3]. Les mutuelles santé diversifient leurs activités au-delà du domaine sanitaire pour accompagner les mutations démographiques des trente glorieuses, en fondant des maisons de retraite, comme le foyer pour personnes âgées de Saint-Nazaire, où « les vieux pourront venir [se] reposer, lire, se réunir autour de jeux de cartes, de dames, de loto, écouter de la musique et peut-être un jour suivre les programmes de télévision » [4].

L’allongement des congés payés motive l’organisation de centres de vacances et de loisirs pour les adhérents et leurs familles. Ainsi, en 1956, l’union départementale de Loire-Atlantique s’engage dans le tourisme social, en lien avec la Mutuelle générale du tourisme. A l’occasion de son congrès triennal, tenu à Saint-Malo en 1967, la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) insiste sur la nécessité d’investir le champ du loisir qui, en générant un bien-être physique, moral et social, joue un rôle préventif en matière de santé.

Si cette incursion dans le domaine des loisirs est nouvelle pour la mutualité, il convient de rappeler que les grandes coopératives parisiennes (la Bellevilloise notamment) ont permis à leurs adhérents dès la fin du xixe siècle d’assister à des spectacles, d’aller au théâtre, à des concerts, etc. Toutefois, il s’agissait de loisirs éducatifs et culturels participant d’une démarche émancipatrice des classes populaires – qui accédaient ainsi à une culture réservée à la bourgeoisie. En revanche, les initiatives prises dans les années 50 à 70, essentiellement dans le cadre mutualiste, relèvent du loisir récréatif. Assurément, elles apportent du bien-être à des familles modestes en leur permettant de prendre des vacances à prix réduit dans une structure collective et, ce faisant, elles tissent aussi du lien social. De plus, le fonctionnement démocratique de la mutualité ne laisse pas de doute sur le fait que ces initiatives répondent à une vraie demande des sociétaires (Toucas-Truyen, 1998), mais il serait vain d’y chercher un projet émancipateur à l’image des actions menées par les coopératives du siècle précédent.

L’économie sociale accompagne l’accès des classes moyennes à la consommation de biens matériels

Un retour en arrière s’impose pour rappeler que, depuis le xixe siècle, l’économie sociale visait à offrir aux travailleurs « les équivalents de la richesse », selon l’expression de Jean-Baptiste Godin, fondateur du Familistère de Guise. La création de la Maaif [5] en 1934 est emblématique de cette recherche d’une solution démocratique à la marge du capitalisme, pour assurer un bien de consommation (l’automobile) que les instituteurs peuvent désormais acquérir. La Maaif a immédiatement remporté un grand succès, ce qui lui a permis d’établir une coopérative de consommation, la Coopérative d’achat des adhérents de la mutuelle des institeurs de France (Camif), dès 1937. Dans la généalogie de l’économie sociale, la Maaif a été précédée par les mutuelles-assurances créées à la fin du xixe siècle par des agriculteurs ou par des petits patrons de pêche qui n’avaient pas les moyens de s’assurer auprès des compagnies. Il s’agissait cependant de garantir l’outil de travail. Son caractère inédit, c’est le côté facultatif et dispensable de l’objet assuré, qui inaugure l’accompagnement par l’ES de cette mutation d’un consumérisme élitiste vers une consommation de masse. Une tendance qui se généralise à partir des années 50-60 lorsque la Maaif aide à la création de la Mutuelle d’assurance des artisans de France (Maaf, 1950), de la Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (Macif, 1960) et de la Mutuelle d’assurance des travailleurs mutualistes (Matmut, 1961).

A leur tour, les coopératives de consommation s’efforcent de répondre à l’aspiration consumériste des classes populaires. Jusqu’en 1948, dans un contexte à la fois très inflationniste et de dévaluation du franc, elles ont joué leur rôle historique en pourvoyant aux besoins alimentaires et vestimentaires. En 1955, renouant avec l’inventivité sociale des grandes coopératives de la fin du xixe siècle, la Fédération nationale des coopératives de consommateurs (FNCC), qui compte alors 3,5 millions de sociétaires, crée un laboratoire coopératif d’analyses et de recherches dans le domaine alimentaire. Jusqu’à la fin des années 60, les magasins Coop sont restés des lieux de convivialité dans les quartiers populaires, voire, pour certains, des micro-institutions sociales, avec des caisses de solidarité pour les veuves et les sociétaires en difficulté.

Cependant, avec l’élévation générale du niveau de vie, dont ont bénéficié même les travailleurs les plus modestes jusqu’aux années 70, le confort matériel est devenu un paramètre incontournable du bien-être. Face à la concurrence des premières grandes surfaces, la FNCC s’est lancée dans l’implantation d’hypermarchés, une stratégie purement commerciale déconnectée de toute recherche du bien-être des adhérents. La grande fédération semble s’engager sur la voie de la banalisation et du mimétisme commercial, plutôt que sur celle de l’innovation sociale qui a caractérisé les organisations de l’économie sociale au cours de leur histoire. Ce n’est donc pas au sein de l’ES qu’apparaissent simultanément, au milieu des années 60, la critique du consumérisme et une conception hédoniste et non matérialiste de la qualité de vie. Loin de contester la pertinence de la société de consommation, les coopératives de consommation s’efforcent de la mettre à la portée de leurs adhérents. Il semble donc que, durant cette période dite des trente glorieuses, marquée également par un appauvrissement de la réflexion théorique dans le mouvement coopératif [6], la tentation du conformisme ait pris le pas, dans certaines composantes de l’économie sociale, sur l’invention de solutions alternatives à la société capitaliste. Rappelons que les critiques émanant du mouvement ouvrier à l’encontre des mutuelles et des coopératives à la fin du xixe siècle se fondaient déjà sur la supposée tendance de ces organisations à acculturer les travailleurs aux valeurs de la bourgeoisie plutôt qu’à changer la société.

La crise économique qui s’installe durablement au début des années 80, en creusant les inégalités dans l’accès au bien-être selon son acception la plus basique – le droit à la santé –, amène toutefois les organisations de l’économie sociale, notamment les mutuelles, à redéfinir leurs priorités. On assiste alors, sous l’appellation « économie solidaire » [7], à l’émergence de nouvelles pratiques, plus aptes à répondre à l’urgence sociale de catégories oubliées de l’économie sociale « canal historique ».

Conclusion

Si la notion instable et imprécise du bien-être a toujours pu s’articuler avec les missions juridiquement et rigoureusement définies qui sont confiées aux organisations de l’économie sociale, c’est que ces dernières sont gérées démocratiquement. Les adhérents peuvent ainsi, par le biais de leurs organisations, mettre en oeuvre des prestations répondant à leurs aspirations, lesquelles varient en fonction de la représentation que l’on se fait du bien-être selon les époques et les cultures.

L’approche historique montre que la spécificité des pratiques de l’économie sociale depuis le début du xixe siècle est qu’elles sont parvenues à édifier les conditions d’un relatif bien-être individuel dans un cadre collectif et solidaire. La solidarité étant la garantie que le bien-être des uns ne peut se construire aux dépens de celui des autres, une comparaison avec l’idée du bien-être portée par le secteur capitaliste pourrait être une piste de réflexion féconde.