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L’attraction que suscite aujourd’hui le modèle entrepreneurial, qu’il soit individuel ou collectif, concentre les attentions sur les questions de gouvernance, de gestion et de management. La Recma a ainsi publié sur ces questions de nombreux articles dans ses dernières livraisons.

Pour autant, il serait réducteur de n’approcher l’ESS que sous cet angle. Il est essentiel d’analyser les effets de l’ESS à plus grande échelle, comme il est indispensable de se pencher sur la relation entre l’organisation et les impacts sociaux et économiques. On observe dès lors que l’ESS permet de réaliser des économies, qu’elle contribue par son organisation spécifique au bien-être et à la justice, qu’elle peut définir des marqueurs d’innovations originaux. En fin de compte, elle peut non seulement proposer un modèle alternatif d’entreprise, mais également se poser en alternative économique.

Jean Colbert Awomo Ndongo analyse l’émergence des mutuelles de santé au Cameroun. A travers l’exemple camerounais, il met en exergue l’importance de la mutualité dans les pays où le système de santé public est défaillant et montre que les mutualistes, tout en dépensant moins, sont en meilleure santé que les non-mutualistes. L’auteur attribue ce résultat au fait qu’accédant plus rapidement aux soins les mutualistes contractent moins les maladies.

Dans leur contribution sur les théories de l’ESS en France et au Brésil, Magali Zimmer et Carolina Orquiza Cherfem témoignent de la diversité et simultanément de la congruence des débats de part et d’autre de l’Atlantique. L’un des intérêts majeurs de l’article réside dans le dialogue amorcé entre des courants qui échangent peu entre eux, mais qui, sans aucun doute, gagneraient à le faire : autogestion, éducation, autonomie se font écho, de même que la question du rôle de l’Etat.

Yannick Marec et Patricia Toucas-Truyen mettent en évidence le rôle central des mutuelles dans l’accession à la protection sociale en France entre 1830 et 1970. Les auteurs mettent en lien la forme mutualiste et le bien-être. Ils analysent les effets de l’action collective sur le bien-être individuel, particulièrement à travers la gestion démocratique, et la capacité de cette action collective à s’adapter aux transformations de l’approche du bien-être.

Valérie Barraud-Didier, Marie-Christine Henninger et Geneviève N’Guyen posent la question de la justice au sein des coopératives agricoles. Le concept de justice comprend plusieurs dimensions, qu’il est nécessaire de prendre en considération pour comprendre les relations entre la coopérative et ses membres. Sur le plan pratique, les auteurs précisent que cette prise en compte permet de renforcer des liens trop souvent distendus.

Emmanuelle Besançon et Nicolas Chochoy montrent qu’en matière d’innovation « le processus de mise en oeuvre est tout aussi déterminant que le résultat des projets ». Cette approche s’ancre dans le contexte de chaque projet et ambitionne de trouver une solution en modifiant les relations sociales ou en transformant le cadre d’action, voire en proposant de nouvelles organisations. Le modèle d’analyse leur a permis de définir des marqueurs d’innovation sociale dans la région de Picardie.

Zvi Galor se penche sur une question peu étudiée, celle de la comptabilité et de la gestion originale des mochavs, villages coopératifs israéliens. L’auteur souligne les aspects les plus remarquables de cette comptabilité : la distinction entre la participation aux frais d’immobilisation et la participation au fonctionnement ou encore l’absence de déficit ou de surplus dans toute comptabilité. La conjugaison de ces deux caractères met en évidence l’articulation originale entre la solidarité coopérative et l’intérêt de chaque membre.

Chacune de ces contributions présente à sa manière l’originalité irréductible de l’ESS. Certains situent cette originalité dans les statuts ; d’autres, dans l’organisation ; d’autres, encore, dans la finalité. Les débats ne sont pas près de s’épuiser, et c’est tant mieux. Leur ampleur témoigne de la place croissante que prend l’ESS dans les enjeux économiques et sociaux et de la capacité de celle-ci à apporter une contribution essentielle à la fois en termes pratiques et en arguments théoriques.