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1. Introduction

Le passage de l’éducation préscolaire vers l’enseignement primaire constitue un moment charnière dans la vie de l’enfant (Ahtola, Silinskas, Poikonen, Kontoniemi, Niemi et Nurmi, 2011; Pianta, Cox, Taylor et Early, 1999). Cette transition scolaire marque un changement important sur les plans de l’aménagement spatial et temporel (Ebbeck, Saidon, Rajalachime et Teo, 2013), de l’organisation des activités (Pianta et Stuhlman, 2004) et de l’organisation de la classe (par exemple, les règles de vie) (Bart, Hajami et Bar-Haim, 2007). À titre indicatif, en comparaison avec l’environnement pédagogique de la maternelle qui mise sur le jeu comme contexte d’apprentissage et de développement, celui du primaire consiste en l’entrée dans un monde formel axé sur l’enseignement de différentes matières scolaires (par exemple, le français). Devant ces différents changements, certains enfants peuvent plus ou moins bien s’adapter sur le plan social et scolaire, ce qui peut en retour influer sur leur réussite éducative présente et ultérieure.

Bien que le passage vers la 1re année du primaire représente une transition scolaire majeure dans la vie de l’enfant, peu de chercheurs l’ont étudié (Conseil Supérieur de l’Éducation [CSÉ], 2012). Comme l’affirme Janus (2005), la plupart des recherches portent sur la transition vers l’éducation préscolaire et elles proviennent majoritairement des États-Unis. Par conséquent, la transition vers le primaire est bien peu documentée et les connaissances actuelles sur le sujet sont limitées (CSÉ, 2012; Janus, 2005), notamment au Québec. Pourtant, les études sur ce moment de passage permettraient de dégager les pratiques de transition qui favorisent l’ajustement de l’enfant à son nouvel environnement, voire de soutenir sa réussite éducative. S’il est vrai que certains chercheurs ont étudié la transition vers la maternelle, les données de leurs études ne peuvent pas nécessairement être appliquées lors du passage vers la 1re année, car il s’agit de deux moments de transition comportant leurs caractéristiques respectives. Quelles sont les pratiques mises en place dans des écoles québécoises afin de favoriser la transition des élèves vers le primaire? Quelle importance les enseignantes leur accordent-elles? Voilà les questions auxquelles cet article s’attarde.

2. Différences entre l’éducation préscolaire et l’enseignement primaire

Au Québec, le programme d’éducation préscolaire (ministère de l’Éducation, du Loisir, et du Sport [MELS], 2006) est structuré autour de six compétences[1] qui s’insèrent dans un processus de développement global. Le développement global représente le développement simultané, intégré, graduel et continu de toutes les dimensions de l’enfant (neurologique, motrice et psychomotrice, socioaffective, langagière et cognitive) dans ses différents contextes de vie (Bouchard, 2012). À l’éducation préscolaire, le jeu et l’activité spontanée constituent chez le jeune enfant la manière d’apprendre et de se développer par excellence (Bouchard, 2012; Trawick-Smith, 2012). Il lui permet d’exploiter l’ensemble de ses potentialités, tout en lui donnant le goût d’être à l’école (MELS, 2006). Dans cette visée, le rôle de l’enseignante de la maternelle consiste à étayer le jeu de l’enfant, soit d’agir comme guide afin qu’il développe des stratégies, des attitudes et des habiletés liées aux différentes compétences. L’éducation préscolaire amène l’élève à «apprendre à apprendre» (Giordan et Saltet, 2011), plutôt que de lui transmettre des contenus disciplinaires comme c’est le cas au primaire (Bouchard, 2012). Dès l’entrée de l’élève au primaire, les temps de jeu et d’activités spontanées sont souvent limités et une approche qui mise sur l’acquisition de notions disciplinaires grâce à l’enseignement formel est plutôt valorisée (Bouchard, 2012; Ebbeck et al., 2013).

À la maternelle, l’espace de la classe est généralement divisé en différents centres d’apprentissage, ceux-ci communément appelés «coins» ou «aires de jeu» (par exemple, le coin bloc, le coin peinture). Plus précisément, l’enseignante doit organiser les aires de la classe afin de permettre à l’enfant de satisfaire son besoin de bouger et son envie d’apprendre (Ebbeck et al., 2013). L’organisation physique, par ses différents coins et ses différentes aires de jeu, amène l’enfant à se développer et à apprendre, voire à favoriser le développement des compétences, stratégies et connaissances de l’éducation préscolaire par l’apprentissage actif. L’apprentissage actif suppose que l’enfant est au coeur de ses apprentissages et qu’il se développe dans l’action. Il construit notamment sa compréhension du monde grâce à l’exploration, la manipulation, l’observation et l’interaction (Hohmann, Weikart, Bourgon, et Proulx, 2007). L’aménagement spatial de la classe de 1re année diffère habituellement de celle de la maternelle. Les «coins» qui étaient aménagés à la maternelle se trouvent rarement dans les classes de la 1re année et chaque enfant détient habituellement son pupitre personnel, en plus de posséder son propre matériel scolaire. L’élève de la 1re année est physiquement moins actif que celui de la maternelle, car les occasions de bouger sont plus rares (Ebbeck et al., 2013). Il doit également apprendre à demeurer assis et concentré sur de plus longues périodes de temps, en plus d’être soumis à des évaluations de type papier-crayon (Pianta et Stuhlman, 2004).

L’horaire de la maternelle est habituellement moins long que celui de la 1re année et une routine est établie en fonction du niveau de développement des enfants. Celle-ci comprend généralement la causerie, des temps de jeux, la collation, le repos, etc. Pour sa part, l’horaire de la 1re année est généralement plus long que celui de la maternelle et l’enfant doit s’adapter aux tâches disciplinaires. Enfin, le ratio enseignant-enfants est plus faible à la maternelle qu’à la 1re année[2], ce qui permet à l’adulte d’offrir un soutien davantage individualisé au préscolaire (Bart et al., 2007). Selon le CSÉ (1996), le ratio joue un rôle significatif en ce qui concerne la qualité de la relation de l’enseignante avec chacun des enfants. En effet, un plus faible ratio permet une pédagogie différenciée et centrée sur le jeu, amenant l’adulte à multiplier les interactions quotidiennes avec les enfants.

Au Québec, l’enfant qui transite vers le primaire est donc amené à délaisser un monde habituellement basé sur une approche développementale où le jeu occupe une place de choix dans l’apprentissage et le développement, à l’un où un enseignement plus formel est généralement préconisé. Tous ces changements dans l’environnement éducatif évoqués plus haut peuvent constituer une rupture dans le mode de fonctionnement des élèves, ceci pouvant en amener certains à plus ou moins bien s’ajuster lors de cette transition scolaire (Niesel et Griebel, 2007). Le passage préscolaire-primaire constitue ainsi une période d’ajustement pour l’enfant (Bart et al., 2007; Suchodoletz, Trommsdorff, Heikamp, Wieber, et Gollwitzer, 2009); mieux celui-ci s’adapte lors de ce moment, plus il est susceptible d’être prêt à apprendre de manière formelle au primaire.

Dans le cadre d’une enquête menée par le CSÉ (2010), des enseignantes québécoises qualifient d’ailleurs le passage de l’éducation préscolaire vers le primaire de «rude» et de «choc» pour les enfants. Selon Ebbeck et al. (2013), lors de cette transition, l’enfant doit quitter sa zone de confort pour affronter l’inconnu. Si certains enfants transitent harmonieusement vers la 1re année, d’autres peuvent néanmoins ressentir de l’anxiété, notamment due à l’appréhension de l’apprentissage de l’écrit, aux évaluations, etc., ce qui peut influer leur adaptation (Ebbeck et al., 2013; Fabian et Dunlop, 2002; Rimm-Kaufman et Pianta, 2000). Afin de soutenir l’enfant lors de ce moment de passage, l’importance de la transition scolaire devrait être reconnue.

3. La transition scolaire

Le terme «transition» renvoie, de manière générale, aux tensions entre le changement et la stabilité et il fait référence à l’adaptation aux nouveaux défis (Rimm-Kaufman et Pianta, 2000). Les transitions scolaires représentent un processus de changement d’un niveau à un autre, en plus de constituer un moment de transformation dans l’environnement pédagogique (Fabian et Dunlop, 2002; Broström, 2003).

Selon le modèle développemental et bioécologique, la transition vers le monde scolaire met à la fois l’accent sur les caractéristiques personnelles de l’enfant et sur le caractère dynamique des relations vécues dans l’environnement de ce dernier. Le modèle bioécologique de Bronfenbrenner (2005) soutient que l’influence d’un facteur (ici l’ajustement socioscolaire de l’enfant) est modulée par les différents systèmes impliqués lors du moment de passage du préscolaire vers le primaire. Dans la perspective écologique, les caractéristiques liées aux enfants, à la famille, à l’école, aux pairs et à la communauté sont interreliées et interdépendantes les unes aux autres, non seulement à un moment donné, mais tout au long de la période de transition (Pianta et Rimm-Kaufman, 2006; Rimm-Kaufman et Pianta, 2000).

Figure 1

Le modèle écologique et dynamique de la transition (Rimm-Kaufman et Pianta, 1999) ici adapté pour la transition préscolaire-primaire

Le modèle écologique et dynamique de la transition (Rimm-Kaufman et Pianta, 1999) ici adapté pour la transition préscolaire-primaire

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S’inspirant des travaux de Bronfenbrenner, Rimm-Kaufman et Pianta (1999) ont étudié la transition vers la maternelle aux États-Unis. Le schéma ci-dessus illustre le modèle écologique et dynamique de la transition, décrit par ces chercheurs (Rimm-Kaufman et Pianta, 1999). Ce modèle de transition suggère que les relations dans lesquelles l’enfant s’investit ont un effet sur sa capacité d’ajustement. Plus précisément, les relations qui se développent au fil du temps entre l’enfant et sa famille, ses enseignants et ses pairs influencent la façon dont celui-ci perçoit la transition scolaire, ceci lui permettant de mieux s’ajuster à l’école (voir figure 1). De même, les relations entre les enseignantes (ici, celles de la maternelle et de la 1re année), les interactions entre les pairs et celles entre la famille et l’école peuvent avoir un effet sur l’enfant pendant cette période de passage. De manière plus précise, les interactions qui ont lieu entre les personnes qui gravitent autour de l’enfant peuvent servir de pont entre l’éducation préscolaire et la 1re année, permettant la mise en place de pratiques susceptibles de favoriser l’ajustement socioscolaire de l’enfant. Par exemple, des pratiques de transition qui sont implantées par les enseignantes de 1re année pourraient favoriser l’insertion de l’enfant dans le milieu éducatif.

3.1 Les pratiques de transition

Les pratiques de transition correspondent à des interventions qui sont implantées par les acteurs concernés par un moment de passage scolaire. Lors du passage vers le primaire, il peut notamment s’agir de rencontrer les parents avant la rentrée scolaire, de faire vivre aux enfants une rentrée progressive, ou encore d’organiser une journée portes ouvertes durant laquelle les élèves peuvent visiter les aires de l’école dédiées à la 1re année (Early, Pianta, Taylor, et Cox, 2001; Pianta et al., 1999). Des études signalent que les pratiques de transition qui sont implantées par l’enseignante lors d’un changement d’environnement, ainsi que les attitudes de celle-ci face aux exigences scolaires et sociales, représentent des facteurs qui ont un effet sur la capacité d’ajustement des enfants (Pianta, 1997; Rimm-Kaufman et Pianta, 1999). Par exemple, une prise en considération des besoins des enfants permettrait à l’enseignante de considérer l’importance de la transition, voire de mettre en place des interventions qui sont adaptées au niveau de développement de chacun des enfants. Certaines enseignantes de la maternelle soulignent d’ailleurs l’importance à accorder à la transition vers la 1re année et de considérer les difficultés que cela peut engendrer chez certains enfants (CSÉ, 2012). Pollard et Filer (1996) affirment que les enseignantes jouent un rôle crucial dans la transition scolaire, car elles peuvent aider l’enfant à développer un sentiment d’identité dans le milieu éducatif dans lequel il s’insère. De cette manière, l’élève de la 1re année saura trouver sa place parmi les autres et il sera plus susceptible d’interagir harmonieusement avec les pairs.

Selon les données de LoCasale-Crouch, Mashburn, Downer et Pianta (2008), les enseignantes de la maternelle estiment que les enfants ont de meilleures compétences sociales et moins de problèmes de comportement lorsqu’ils proviennent de milieux où les intervenants (par exemple, les éducatrices) ont implanté un plus grand nombre de pratiques de transition. De même, les résultats de l’étude de Schulting, Malone et Dodge (2005) ont dévoilé qu’un plus grand nombre de pratiques de transition implantées au début de la maternelle est associé à de meilleurs résultats à la fin de l’année. Ces études réalisées en maternelle montrent que la mise en place de pratiques de transition signifiantes, c’est-à-dire adaptées aux besoins des enfants, peut influencer leur capacité d’ajustement socioscolaire. Suivant ces constats, il y a tout lieu de poursuivre des études sur la transition vers la 1re année qui est effectivement marquée de plusieurs changements dans l’environnement scolaire, ceux-ci pouvant amener l’enfant à moins bien s’ajuster, et par le fait même, à influer sa réussite éducative.

Le fait d’implanter des pratiques de transition adaptées aux besoins des élèves découle des croyances des enseignantes en la matière (Lock et Munby, 2000). À ce sujet, des acteurs influents du monde de l’éducation, tel que l’Organisation de coopération et de développement économique [OCDE], tentent de faire valoir l’importance de la transition vers le primaire, dans la visée de mettre en place différentes stratégies qui permettraient d’accompagner les enfants dans ce moment de passage. La reconnaissance de l’importance d’un passage en continuité vers la 1re année, et ce, de la part des enseignantes du niveau primaire, pourrait permettre la mise en place de pratiques de transition signifiantes et adaptées aux besoins des enfants qui transitent vers un nouvel environnement. C’est plus précisément dans l’optique de favoriser la transition vers la 1re année que l’OCDE a lancé, en 2001, un appel en faveur d’une approche plus unifiée de l’apprentissage entre l’éducation préscolaire et l’enseignement primaire (CSÉ, 2012). Dès lors, certaines régions, telles que la Scandinavie, ont mis en place des stratégies qui visent à faire de l’école primaire un lieu qui préconise une approche pédagogique s’inscrivant en continuité avec celle de la maternelle (CSÉ, 2012). De manière plus précise, il est souhaité que la conception de l’apprentissage véhiculée à l’éducation préscolaire influence celle des premières années du primaire (Kaga, Bennett, et Moss, 2010). Il s’agit ici d’arrimer les pratiques pédagogiques afin de favoriser l’ajustement socioscolaire de l’enfant lors de son passage vers l’enseignement primaire.

4. L’ajustement socioscolaire

L’ajustement socioscolaire renvoie à la capacité d’un enfant à répondre aux exigences de l’école (par exemple, être attentif et participer aux activités de la classe), à établir des relations significatives et positives avec les enseignantes et les pairs de sa classe et à sa capacité d’être émotionnellement stable (Bart et al., 2007). La capacité d’ajustement des élèves leur permet de se conformer aux nouvelles exigences sociales et scolaires qui sont souvent privilégiées par l’enseignement plus formel en 1re année (Suchodoletz et al., 2009), celle-ci étant fortement reliée à sa réussite éducative présente et ultérieure (Farmer, Bierman et The Conduct Problems Prevention Research Group, 2002).

Récemment, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ, 2013) a mené une étude panquébécoise sur le développement des enfants à la maternelle 5 ans et a permis d’identifier la capacité d’adaptation scolaire des enfants de 5 ans. Les résultats ont montré qu’un enfant sur quatre (26 %) est considéré comme vulnérable à la maternelle, c’est-à-dire qu’il présente des difficultés dans au moins un des cinq domaines de développement[3]. Lors de la transition vers le primaire, il est possible de penser que les enfants identifiés comme vulnérables en maternelle soient plus à risque de présenter des difficultés d’ajustement lors de leur entrée en 1re année, ce qui peut avoir un effet sur leur réussite éducative ultérieure. En effet, il est démontré que la réussite éducative en maternelle explique le rendement scolaire lors des premières années du primaire, qui lui prédit le niveau d’études qui sera complété à l’âge de 20 ans (Entwisle, Alexander et Olson, 2005).

Pour leur part, Bodrova et Leong (2011) rapportent que certains enfants entreprennent la 1re année sans avoir acquis les gains développementaux qui favorisent leur adaptation au primaire. Ceci peut les amener à vivre des difficultés dans leur ajustement socioscolaire, soit dans leur capacité à s’ajuster aux nouvelles exigences sociale et scolaire du milieu éducatif (par exemple, être capable de suivre les règles, être en mesure d’établir des relations positives avec les pairs, etc.). En retour, ces enfants risquent d’être moins disposés à apprendre à lire, écrire et compter en 1re année du primaire, voire moins bien réussir sur le plan scolaire. Enfin, plusieurs chercheurs rapportent que le genre de l’enfant représente une caractéristique susceptible d’influencer la capacité d’ajustement dès la 1re année (Lemelin et Boivin, 2007; Deslandes et Jacques, 2004; West, Denton, et Reeney, 2000). Lemelin et Boivin (2007) ont d’ailleurs mené une étude démontrant que les filles sont, dès l’entrée au primaire, habituellement mieux préparées que les garçons pour répondre aux exigences et aux attentes de l’école.

En considérant les différences entre les milieux éducatifs que représentent la maternelle et la 1re année, l’objectif de la présente recherche consiste à examiner la transition vers l’enseignement primaire, en contexte québécois. Plus précisément, il s’agira de se questionner si un plus grand nombre de pratiques de transition est implanté par les enseignantes lorsqu’elles considèrent l’importance des pratiques de transition vers le passage vers la 1re année. Qui plus est, il s’agit d’étudier l’effet de ces variables (l’importance accordée et le nombre de pratiques de transition) sur l’ajustement socioscolaire des élèves.

5. La méthode de la recherche

5.1 Les participants

L’échantillon est composé de 78 enfants (36 filles et 42 garçons) âgés en moyenne de 6.06 ans (écart-type = .482). Ces enfants sont répartis dans deux écoles primaires provenant des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches. La majorité des enfants proviennent de familles biparentales (N = 68.6%) dont le parent répondant détient un diplôme d’études professionnelles (N = 40%) (voir tableau 1).

Tableau 1

Caractéristiques des parents répondants

Caractéristiques des parents répondants

Note. Les données sont exprimées en pourcentages.

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L’échantillon est également constitué de cinq enseignantes de 1re année, dont la majorité provient de la région de Québec (60 %). L’âge moyen de ces enseignantes est de 42.2 ans (ÉT = 2.17), et la totalité d’entre elles détient un diplôme d’études universitaires de premier cycle. Enfin, ces dernières enseignent en 1re année du primaire depuis en moyenne 11.2 ans (ÉT = 2.28).

5.2 La procédure

D’abord, un message électronique a été envoyé aux directions des écoles primaires provenant des régions de Québec et Chaudière-Appalaches. À leur tour, les responsables des directions d’école ont approché les enseignantes de 1re année et des appels téléphoniques ont ensuite été effectués dans le but d’approfondir les explications et de répondre aux questions des enseignantes. Lors de deux rencontres de groupe, tous les questionnaires ont été remis et les enseignantes ont distribué le Questionnaire sociodémographique et informations sur l’enfant aux 78 élèves, qui l’ont remis à leurs parents. Sur une base volontaire, les parents ont réacheminé le document à l’école en le glissant à nouveau dans le sac à dos de l’enfant. Tous les questionnaires ont été récupérés au mois d’octobre 2011 et des entrevues avec les enseignantes ont ensuite été réalisées dans l’optique d’approfondir leurs propos en lien avec les pratiques de transition.

6. Les questionnaires distribués

6.1 Le questionnaire sociodémographique (inspiré de The Offord Center of Child Studies, 2003)

Complété par le parent répondant (N = 35), l’outil recense les informations générales sur la structure familiale de l’enfant, telles que la langue maternelle, l’état matrimonial des parents, et le niveau d’étude du parent répondant (voir tableau 1).

6.2 Le questionnaire sur les caractéristiques du personnel enseignant

Distribué aux enseignantes participantes, questionnaire permet recueillir des informations générales sur l’enseignante, telles que son année de naissance, son dernier diplôme complété, le nombre d’années d’expérience en enseignement et le nombre d’années où elle a travaillé en 1re année.

6.3 Le questionnaire sur l’importance accordée aux pratiques de transition (inspiré de Cantin, Bouchard, Charron, et Lemire 2011)

Ce questionnaire vise à connaitre le niveau d’importance que l’enseignante accorde à chacune des 11 pratiques de transition présentées, celles-ci adaptées de Cantin et al. (2011) (voir tableau 2). Une échelle de type likert en 4 points allant de «pas du tout important» (1) à «tout à fait important» (4) a été utilisée afin de situer le niveau d’importance attribuée à chacune des pratiques de transition. Cantin et al. (2011) ont présenté ces pratiques de transition en s’inspirant du répertoire d’activités de transition identifiées dans l’étude de LoCasale-Crouch, Mashburn, Downer et Pianta (2008), dont les travaux sont souvent cités dans les recherches portant sur la transition scolaire (par exemple, Ahtola et al., 2011; Cantin et al., 2011; Ruel, Moreau, Bourdeau, et Lehoux 2008).

Tableau 2

Niveau d’importance accordée aux pratiques de transition

Niveau d’importance accordée aux pratiques de transition

Note. Les niveaux d’importance vont de «pas du tout important» (1) à «tout à fait important» (4).

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6.4 Le questionnaire sur les pratiques de transition implantées par les enseignantes (inspiré du MELS, 2010)

Le MELS (2010) a créé un guide portant sur la transition vers l’école, celui-ci destiné aux intervenants qui travaillent auprès de jeunes enfants. Il a pour objectif de documenter la transition scolaire, de même que de présenter des pratiques concrètes qui peuvent être mises en place dans le contexte québécois, afin de soutenir l’enfant lors de son passage vers l’école. S’inspirant de ce guide, le questionnaire sur les pratiques de transition implantées par les enseignantes est distribué dans le but de connaitre le nombre de pratiques que les enseignantes participantes ont implantées lors de la transition vers la 1re année. Cet outil comprend 12 pratiques de transition et un choix de réponse est utilisé (0 = non et 1 = oui) (voir tableau 3).

Tableau 3

Pratiques de transition implantées

Pratiques de transition implantées

Note. Les pratiques proposées sont inspirées d’un outil québécoise, soit le Guide pour soutenir une première transition de qualité (MELS, 2010)

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Le choix de cet outil amène néanmoins une limite méthodologique; en présentant des pratiques de transition qui diffèrent de celles présentées dans l’instrument précédent visant à évaluer l’importance que les enseignantes accordent à des pratiques de transition souvent privilégiées dans les milieux scolaires, l’interprétation des résultats s’en trouvera limitée.

6.5 Entrevue sur la transition scolaire

Une entrevue semi-dirigée est réalisée avec chacune des enseignantes, ceci permettant de discuter de manière plus approfondie au sujet de la transition vers la 1re année, voire de dégager des informations supplémentaires en ce qui concerne la mise en place de pratiques de transition. Cette entrevue, qui comporte 11 questions[4], est menée après la complétion des questionnaires. Lors de ces discussions, les enseignantes ont pu préciser quelles pratiques de transition elle mettait en place dans leur milieu respectif, le cas échéant Par exemple, l’enseignante 3 a expliqué l’une des activités spécifiques qu’elle faisait avec sa classe:

Chaque année, on réfléchit aux pratiques de transition et on réévalue pourquoi on les met en place. Par exemple, au mois de mai, on fait trois activités qui préparent les enfants à la 1re année. (D’abord) […] l’enseignante de maternelle vient visiter une classe de 1re année quand les élèves ne sont pas là. Ensuite, on fait une activité de jumelage. L’enfant de 1re année montre ses choses à celui de la maternelle; son pupitre, son matériel, etc. Lors de la dernière visite, on fait un échange; les élèves de la 1re retournent à la maternelle et les futurs élèves de 1re viennent pour une petite activité papier-crayon, assis à un pupitre, avec consignes.

6.6 Questionnaire sur l’adaptation et la participation à l’école [QAP][5]

Distribué aux enseignantes de 1re année, cet outil vise à mesurer leur niveau de perception quant à l’ajustement socioscolaire de chacun des enfants de leur classe. Au total, 64 items composent le questionnaire et une échelle de type Likert allant de 1 (jamais) à 3 (souvent) est utilisée. Il est à noter que l’outil comprend originalement cinq échelles d’ajustement (Birch et Ladd, 1997). Cependant, Betts et Rotenberg (2007) ont évalué l’instrument TRSSA à l’aide d’analyses factorielles, et leurs données ont révélé la présence de trois principales échelles d’ajustement: 1) la participation en classe, 2) la maturité, et 3) l’attitude positive envers l’école (voir tableau 4).

Tableau 4

Échelles du Questionnaire sur l’adaptation et la participation de l’élève à l’école (QAP)

Échelles du Questionnaire sur l’adaptation et la participation de l’élève à l’école (QAP)

Note. Les numéros inscrits à chacun des items se réfèrent au numéro de question dans le Questionnaire sur l’adaptation et la participation de l’élève à l’école (tableau inspiré de Betts et Rotenberg, 2007).

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Selon plusieurs chercheurs, ces trois échelles représentent la base de l’ajustement socioscolaire des élèves lors des premières années scolaires (Ladd, Buhs, et Seid, 2000; Betts et Rottenberg, 2007). En effet, la participation en classe permet d’évaluer dans quelle mesure les enfants se conforment aux demandes et s’impliquent dans les tâches scolaires, la maturité évalue jusqu’à quel point l’enfant fait preuve de maturité et de compétence sociale en classe, et l’attitude positive envers l’école permet d’évaluer la manière dont l’enfant approche les tâches scolaires et agit envers l’enseignante. Enfin, l’étude de Betts et Rotenberg (2007) a fait ressortir une cohérence interne acceptable (α = 0,89 pour la participation, α = 0,74 pour la maturité et α = 0,87 pour l’attitude positive) et le tableau 1 indique les niveaux de cohérence interne de chacune des échelles pour la présente étude.

7. Les résultats de l’étude

Les résultats sont présentés en quatre sections. La première traite les données concernant l’importance accordée aux pratiques de transition lors du passage de l’éducation préscolaire vers l’enseignement primaire, et ce, par les enseignantes de 1re année. La seconde section porte sur le nombre de pratiques de transition implantées par ces dernières lors du passage préscolaire-primaire. La troisième partie présente les résultats se rapportant à l’ajustement socioscolaire des enfants au début de la 1re année. Rappelons que trois échelles composent l’ajustement socioscolaire de l’enfant, c’est-à-dire sa participation en classe, sa maturité, et son attitude positive envers l’école. Enfin, la dernière section porte sur la relation entre l’importance accordée aux pratiques de transition scolaire par les enseignantes, le nombre de pratiques de transition implantées et l’ajustement socioscolaire des élèves de 1re année.

7.1 L’importance accordée aux pratiques de transition

Une analyse statistique descriptive[6] est réalisée afin de connaitre le niveau moyen d’importance que les enseignantes (N = 5) accordent aux pratiques de transition à mettre en place lors du passage vers le primaire. Rappelons que 11 pratiques leur ont été présentées, pour lesquelles elles devaient évaluer le niveau d’importance accordé selon une échelle de type Likert en 4 points. Les données dévoilent que seulement deux pratiques de transition sont considérées comme étant tout à fait importantes (score = 4) par la totalité des enseignantes.[7] Près de la moitié des pratiques de transition (45.45 %) sont jugées importantes de la part des cinq enseignantes, pour lesquelles un score de 3 a été attribué.[8] Pour sa part, la pratique de transition «Rencontre individuelle avec les parents» est considérée comme étant la moins importante, celle-ci affichant un niveau moyen d’importance de 2.8/4. Enfin, la variabilité entre les enseignantes est à noter; par exemple, l’une des enseignantes a accordé un haut niveau d’importance à l’ensemble des pratiques de transition, tandis qu’une autre a attribué un faible niveau d’importance à trois pratiques de transition.

7.2 Le nombre de pratiques de transition implantées

Une analyse descriptive est menée afin de connaitre le nombre de pratiques de transition implantées par les enseignantes de 1re année lors du passage des élèves vers le primaire. Les résultats indiquent qu’en moyenne, les enseignantes ont mis en place six pratiques de transition parmi 12 qui leur ont été présentées (É.T. = 2) (voir figure 2). Toutes les enseignantes participantes ont implanté les pratiques de transition «Évaluer et réfléchir aux activités de transition», «Expliquer aux parents les modalités de communication» et «Mobiliser rapidement, s’il y a lieu, les intervenants concernés pour un PSI».

Figure 2

Les pratiques de transition qui ont été implantées par les enseignantes de 1re année

Les pratiques de transition qui ont été implantées par les enseignantes de 1re année

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Tel que mentionné précédemment, les items qui composent les outils utilisés pour examiner l’importance accordée et le nombre de pratiques de transition sont à toutes fins possibles non comparables. Il a néanmoins été choisi de les mettre en lien afin d’examiner si les croyances des enseignantes à l’égard de l’importance des pratiques de transition pouvaient teinter la mise en place de pratiques de transition. La figure 3 permet de comparer le niveau d’importance accordée à des pratiques de transition qui sont souvent reconnues dans les études (par ex. Ahtola et al., 2011; Cantin et al., 2011; LoCasale-Crouch et al., 2008; Ruel et al., 2008) et le nombre de pratiques de transition implantées par les enseignantes. On y constate que plus l’enseignante accorde de l’importance à l’ensemble des pratiques de transition présentées, plus elle a tendance à en implanter un grand nombre. De manière plus précise, les données de la figure 3 dévoilent que l’enseignante 1 accorde un niveau d’importance de 3.09 sur 4, et qu’elle implante le tiers des pratiques de transition présentées (N = 4/12). Les données divulguent également que les enseignantes 2 et 3 ont implanté le même nombre de pratiques de transition, sans toutefois avoir attribué le même niveau d’importance.

Figure 3

Importance accordée aux pratiques de transition et nombre de pratiques implantées par les enseignantes lors du passage vers la 1re année

Importance accordée aux pratiques de transition et nombre de pratiques implantées par les enseignantes lors du passage vers la 1re année

Note. Les valeurs sont traduites en pourcentages

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Enfin, une analyse de corrélation bivariée est réalisée, celle-ci permettant de mesurer la relation entre le niveau d’importance accordée aux pratiques de transition et le nombre de pratiques de transition implantées par les enseignantes. Les résultats montrent une corrélation positive significative (r = .904, p < .001), ce qui signifie que plus les enseignantes de 1re année accordent de l’importance aux pratiques de transition, plus elles en mettent en place.

7.3 L’ajustement socioscolaire des élèves de 1re année

Des analyses descriptives des données sont réalisées afin d’étudier les scores moyens et les écarts-types pour chacune des échelles de l’ajustement socioscolaire. Rappelons que le score minimal se situe à 1, tandis que le score maximal est de 3. À la lecture du tableau 5, on constate que les scores pour les trois variables de l’ajustement socioscolaire s’étendent de 1.95 à 2.39.

Tableau 5

Scores moyens à l’ajustement socioscolaire des élèves en 1re année du primaire

Scores moyens à l’ajustement socioscolaire des élèves en 1re année du primaire

Note. M se réfère à la moyenne du score et É.T. représente l’écart-type.

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Par ailleurs, il est intéressant de noter la présence de corrélations positives significatives entre les échelles «participation en classe» et «maturité» (r = .373, p < .01), ainsi qu’entre la participation en classe et l’attitude positive envers l’école (r = .308, p < .001). De telle sorte que plus le score de participation de l’enfant en classe est élevé, plus celui de la maturité l’est. De même, plus le score de participation en classe est grand, plus celui de l’attitude positive envers l’école est élevé. Enfin, des corrélations positives significatives entre la maturité et l’attitude positive envers l’école (r = .655, p < .001) ont été relevées. Ainsi, plus le score de l’attitude positive envers l’école est élevé, plus grand est celui de la maturité.

7.4 La relation entre l’importance accordée aux pratiques de transition, le nombre de pratiques de transition implantées et l’ajustement socioscolaire des élèves

Afin d’établir le lien entre l’importance accordée aux pratiques de transition du préscolaire vers le primaire, le nombre de pratiques de transition implantées par les enseignantes et l’ajustement socioscolaire des élèves de 1re année, des analyses de régression hiérarchique sont menées sur les trois variables de l’ajustement socioscolaire. Pour chacune des analyses de régression, les postulats de base ont été vérifiés et respectés, soit la linéarité, l’homogénéité, ainsi que la normalité de la distribution des données. Trois blocs composent chacune des analyses de régression: 1) la variable «genre» est entrée dans le 1er bloc afin d’en contrôler les effets souvent documentés dans les études[9], 2) la variable «importance accordée aux pratiques de transition» constitue le 2e bloc, et 3) le «nombre de pratiques» est inséré dans le dernier bloc.

7.4.1 La participation en classe comme variable dépendante

D’abord, les données indiquent que le genre de l’enfant apporte une contribution significative à l’explication de sa participation en classe. En effet, cette variable explique 8.2 % de la variance de la participation en classe de l’élève, F(1,76) = 6.734, p = .011. Plus précisément, le coefficient ß associé au genre suggère que le fait d’être une fille est lié à une évaluation positive de sa participation en classe par l’enseignante (β = .287, p ˂.05) (voir tableau 6).

Tableau 6

Relations entre l’importance accordée, le nombre de pratiques de transition implantées et la participation en classe

Relations entre l’importance accordée, le nombre de pratiques de transition implantées et la participation en classe

*p < 0.05, **p < 0.01, ***p < 0.001

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En ce qui concerne le second bloc, les données indiquent que l’importance accordée aux pratiques de transition vers le primaire, lorsqu’ajoutée au genre de l’enfant, n’apporte pas de contribution significative à sa participation en classe, F(1,76) = 3.570, p = 0.33. Toutefois, les résultats du 3e bloc démontrent qu’à elle seule, la variable «nombre de pratiques» apporte une contribution significative à l’explication de la participation en classe (β = -.504, p ˂  .000) (voir tableau 6). Le R2 du 3e bloc est de .029, le nombre de pratiques de transition implantées expliquant 29.7 % de la variance de la participation en classe, et ce, au-delà du genre et de l’importance accordée aux pratiques de transition vers le primaire de la part des enseignantes, F(1,76) = 11.722, p = .000. Enfin, l’examen des coefficients β montre que le nombre de pratiques implantées par l’enseignante de 1re année est négativement corrélé à la participation en classe de l’élève (voir tableau 6). Ces données indiquent que plus l’enseignante implante des pratiques de transitions lors du passage vers le primaire, moins élevé est le niveau de participation des enfants en classe.

7.4.2 La maturité en classe comme variable dépendante

Les données indiquent d’abord que le genre de l’enfant ne permet pas d’expliquer l’échelle «maturité» (bloc 1). Toutefois, l’examen des données du bloc 2 suggère que l’importance accordée aux pratiques de transition apporte une contribution significative à l’explication de la maturité de l’enfant en classe. En effet, le R2 de ce bloc est de 0.127; l’importance accordée explique donc 12.7 % de la variance de la maturité en classe, F(1,76) = 6.529, p =.002. Par ailleurs, l’examen du bloc 3 permet de constater que l’ajout de la variable «nombre de pratiques de transition» n’apporte aucune contribution significative à l’explication de la maturité de l’élève en classe. L’importance accordée aux pratiques de transition est donc la seule variable qui contribue à la prédiction de la maturité (β = -.323, p ˂.01), telle qu’évaluée par l’enseignante.

7.4.3 L’attitude positive envers l’école comme variable dépendante

Aucune variable indépendante ne permet d’expliquer l’attitude positive envers l’école, tel que perçu par l’enseignante de 1re année. Ni le genre, ni l’importance accordée, ni le nombre de pratiques de transition n’apportent une contribution significative à l’explication de la variable «attitude positive envers l’école» (voir tableau 7).

Tableau 7

Relation entre l’importance accordée, le nombre de pratiques de transition implantées et l’attitude positive envers l’école

Relation entre l’importance accordée, le nombre de pratiques de transition implantées et l’attitude positive envers l’école

*p < 0.05, **p < 0.01, ***p < 0.001

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8. Les éléments de discussion

L’objectif de cette étude consistait à examiner la relation entre l’importance accordée à des pratiques de transition par les enseignantes, le nombre de pratiques implantées et l’ajustement socioscolaire des élèves de 1re année. De façon générale, les données indiquent que les composantes de l’ajustement socioscolaire sont interreliées entre elles. À titre d’exemple, lorsque le score de participation en classe est élevé, ceux des deux autres échelles, c’est-à-dire la maturité et l’attitude positive envers l’école, le sont également. Ces résultats sont conformes à ceux de Betts et Rotenberg (2007), qui soulignent que ces trois échelles représentent la base de l’ajustement socioscolaire.

Les analyses de régression dévoilent que l’importance accordée aux pratiques de transition lors du passage vers la 1re année est la seule variable contribuant à la prédiction de la maturité de l’enfant, tandis que ni le genre, ni l’ajout de l’importance accordée, ni le nombre de pratiques de transition ne permettent d’expliquer l’attitude positive envers l’école. Par ailleurs, et contrairement à ce qui était attendu, le nombre de pratiques de transition n’a pas permis d’expliquer l’ajustement socioscolaire des élèves de 1re année. En effet, les données des analyses de régression hiérarchique ont divulgué que le nombre de pratiques de transition implantées apportait une contribution significative à la prédiction de la participation de l’élève en classe. Il est à noter que cette relation est négative; plus l’enseignante implante de pratiques de transition, moins l’enfant participe en classe.

À ce sujet, il est possible de penser que les attentes des enseignantes de 1re année à l’égard de la participation en classe soient élevées dès le début de l’année scolaire, notamment en comparaison avec celles des enseignantes de la maternelle. Par exemple, certaines enseignantes du primaire estiment que la socialisation devrait être «réglée» au préscolaire, ceci permettant aux élèves de se concentrer uniquement sur les apprentissages scolaires dès l’entrée au premier cycle du primaire (CSÉ, 2012). Certaines enseignantes de la maternelle soulignent que leurs collègues semblent voir la différence entre l’éducation préscolaire et le primaire comme étant très marquée (CSÉ, 2012), ceci pouvant engendrer des effets sur les enfants, notamment en lien avec leur adaptation socioscolaire. Enfin, il est à noter que la collecte de données a été réalisée en début d’année scolaire. Habituellement, on recommande de mesurer le niveau d’adaptation socioscolaire de l’enfant lors de la seconde moitié de l’année (Janus et Offord, 2007). Il est donc possible de penser que le niveau d’ajustement des enfants aurait été davantage élevé si les questionnaires avaient été remis plus tard dans l’année.

9. Miser sur la qualité des pratiques de transition

Broström (2003) soutient que le nombre de pratiques de transition n’est pas suffisant pour favoriser l’ajustement socioscolaire de l’enfant de la 1re année. En effet, même si les enseignantes du préscolaire et du primaire implantent des pratiques de transition lors du passage vers le primaire, encore trop d’enfants vivent des difficultés d’ajustement. Ces données invitent à s’interroger sur l’importance de la qualité des pratiques de transition au-delà du nombre de pratiques de transition, dans l’optique de favoriser l’ajustement socioscolaire de l’enfant de 1re année. De même, les données amènent à se questionner sur la qualité des pratiques de transition qui permettent de soutenir efficacement l’enfant qui transite vers la 1re année.

Des chercheurs sont d’avis que la qualité des pratiques de transition peut avoir un effet sur les capacités d’adaptation de l’enfant, notamment lors de l’entrée en 1re année (Broström, 2003; Larivée, 2011). Afin de mettre en place des pratiques de qualité, les enseignantes concernées par la transition préscolaire-primaire devraient miser sur les besoins de l’enfant, tout en se souciant de leur rythme développemental. Le fait de réfléchir à la portée des pratiques de transition au regard des besoins de l’enfant permettrait aux enseignantes d’implanter des interventions qui sont signifiantes pour l’élève de 1re année (Rimm-Kaufman et Kagan, 2005) et elles lui permettraient de s’ajuster à son nouveau milieu tout en douceur. Par conséquent, le fait de considérer la nature des actions qui sont menées, de même que la manière dont elles sont implantées lors du passage vers le primaire permettrait d’en assurer la qualité et l’efficacité. À ce sujet, il semble que les pratiques de transition menées dans les écoles comporteraient certaines lacunes, notamment par leur manque d’intensité et leur caractère impersonnel (Cantin et al., 2011; La Paro, Pianta, et Cox 2000).

Afin de pallier cette problématique, certains chercheurs (La Paro et al., 2000; Early et al., 2001; Ahtola et al., 2011) se sont intéressés aux interventions s’avérant les plus efficaces pour soutenir l’enfant lors d’une transition scolaire. Early et al. (2001) rapporte que les pratiques de transition les plus efficaces sont celles qui sont individualisées et qui engagent l’enfant, la famille et l’enseignante, et ce, avant même le premier jour d’école. De plus, l’une des conditions les plus favorables pour optimiser le potentiel des milieux éducatifs et de favoriser l’ajustement socioscolaire des enfants semble pointer vers les liens de soutien entre les environnements pédagogiques. En effet, la collaboration entre les enseignantes de la maternelle et celles de la 1re année leur permettraient de créer des liens entre les activités vécues, réduisant ainsi les discontinuités entre les contextes éducatifs (Skinner, Bryant, Coffman, et Campbell, 1998). De même, plusieurs chercheurs s’entendent pour dire que la continuité pédagogique semble un élément important à considérer lors d’une transition scolaire (Ebbeck et al., 2013; Larivée, 2011; Mendez, 2003), ceci permettant de favoriser l’ajustement des élèves qui transite vers la 1re année.

10. Axer sur la continuité pédagogique

Depuis plusieurs années, les chercheurs soulignent l’importance de la continuité pédagogique entre les différents milieux touchés par une transition scolaire en vue de favoriser un passage harmonieux chez les élèves (Ebbeck et al., 2013; Larivée, 2011; Mendez, 2003). Selon Holmes et Morrison (1994), il peut être difficile, pour certains enfants, de s’ajuster à leur entrée au primaire lorsque l’enseignante de 1re année mise sur une intervention de nature disciplinaire (par exemple, en utilisant les cahiers d’exercices) plutôt que de miser sur l’apprentissage par le jeu. La concertation entre les divers partenaires s’avère alors cruciale.

Pour leur part, Bodrova et Leong (2011) soulignent que le recours à l’apprentissage par le jeu lors de la transition vers la 1re année permettrait d’harmoniser les pratiques pédagogiques entre les milieux éducatifs, tout en favorisant l’ajustement des enfants. Prévoir des temps de jeu lors de l’entrée au primaire développerait notamment les capacités d’autorégulation de l’enfant, ainsi que ses habiletés à s’adapter aux nouvelles consignes (Ibid.). De même, Kaga et al. (2010) estiment qu’il serait bénéfique que l’approche pédagogique privilégiée à la maternelle influence celle de la 1re année, car cela permettrait à l’élève de vivre une transition tout en douceur. Toutefois, des enseignantes de maternelle disent ressentir une forme de pression de la part de leurs collègues de 1re année (CSÉ, 2012), ce qui les amène à favoriser des activités qui misent davantage sur l’aspect scolarisant à l’éducation préscolaire (par exemple, préconiser des activités liées à l’émergence de l’écrit, de la lecture ou des mathématiques au détriment du jeu). Dans le même sens, Moyles, Adam et Musgrove (2002) rapportent que les périodes de jeu se voient habituellement restreintes dès l’entrée en 1re année et parfois même avant. Selon ces chercheurs, les enseignantes sont incertaines en ce qui concerne la manière de planifier des activités axées sur le jeu, tout en tenant compte des visées du curriculum prescrit (Moyles et al., 2002). Ahtola et al. (2011) suggèrent ainsi aux enseignantes de la maternelle et de la 1re année d’échanger leurs points de vue et d’arrimer leurs interventions pédagogiques afin de créer une meilleure harmonisation des pratiques entre l’éducation préscolaire et l’enseignement primaire.

Lors de l’entrée en 1re année, l’école doit être préparée à accueillir chaque enfant dans le changement d’environnement pédagogique qu’implique le passage du préscolaire vers le primaire. Les enseignantes concernées par cette transition devraient s’ajuster aux besoins des élèves afin de mener à bien la continuité pédagogique entre la maternelle et la 1re année. Si l’enfant doit être prêt à vivre la transition vers le primaire, l’école et les enseignantes se doivent d’abord de l’être, afin d’accueillir efficacement chaque enfant dans ses particularités. À ce sujet, les directions d’école jouent un rôle de premier plan dans cette transition. En effet, elles devraient assumer leur leadership pour faire de l’entrée à la 1re année le début d’une collaboration étroite entre les enseignantes de la maternelle et celles du primaire. Pour ce faire, elle pourrait dégager les enseignantes des différents niveaux afin que celles-ci aient le temps d’échanger sur leurs pratiques pédagogiques. De même, il pourrait y avoir un ajout, dans le curriculum du premier cycle, d’activités flexibles, centrées sur l’enfant et l’apprentissage actif. Selon Mendez (2003), il serait également nécessaire que les enseignantes du premier cycle suivent une formation sur le développement global de l’enfant (Ibid.). Enfin, l’intervention de conseillers pédagogiques pourrait aider les enseignantes de la 1re année à développer une intervention plus centrée sur les enfants et sur l’apprentissage actif (Sink, Edwards et Weir, 2007).

En somme, porter attention à la continuité entre les milieux éducatifs pourrait permettre de réduire les discontinuités vécues dans les contextes pédagogiques (Ahtola et al., 2011; Rimm-Kaufman et Pianta, 2000) et par le fait même, ceci permettrait aux enfants de vivre une transition harmonieuse, favorisant leur réussite éducative présente et ultérieure (Pianta et al., 1999; Broström, 2003).

11. Conclusion

Certaines limites de la recherche doivent être signalées. D’abord, l’échantillon à l’étude est issu de deux écoles primaires; par conséquent, seulement cinq enseignantes y ont participé et les résultats ne peuvent pas être généralisés à la population des enseignants de 1re année. De plus, une limite doit être rappelée en ce qui concerne les outils permettant d’examiner les variables «importance accordée» et «nombre de pratiques» qui ne convergeaient pas. Il serait intéressant que les futures études sur le sujet considèrent la nature des outils utilisés afin d’établir des liens entre ces variables. Enfin, cette recherche ne permet pas de déterminer les influences causales entre les variables à l’étude. Il est proposé, pour les prochains travaux qui examineront la transition vers la 1re année, d’utiliser un devis quasi expérimental et longitudinal pour étudier la transition lors de l’entrée au préscolaire jusqu’à celle vers le primaire. En effet, selon Rimm-Kaufman et Pianta (2000), la transition vers la 1re année constitue un processus de passage qui débute à la maternelle et qui se poursuit dans le nouvel environnement.

Par ailleurs, cette recherche de nature corrélationnelle a permis d’étudier de manière novatrice la relation entre l’importance accordée aux pratiques de transition, le nombre de pratiques de transition implantées et l’ajustement socioscolaire des élèves de 1re année. Les résultats ont notamment démontré que l’importance accordée et le nombre de pratiques de transition contribuent à expliquer l’ajustement socioscolaire des élèves. De manière à favoriser l’ajustement socioscolaire des élèves de 1re année, deux avenues prometteuses ont été dégagées dans cet article. D’abord, il a été proposé de mettre en place des pratiques de transition de qualité, adaptées aux besoins des enfants. Pour ce faire, les enseignantes de maternelle et de 1re année devraient prévoir des moments de concertation afin de clarifier leurs rôles respectifs et d’harmoniser leurs pratiques, pour le bien des enfants qui sont en plein développement. De plus, le fait de miser sur la continuité pédagogique entre la maternelle et la 1re année donnerait l’occasion aux enseignantes de soutenir efficacement l’enfant lors du passage vers le primaire, en lui permettant de s’ajuster graduellement aux exigences de la 1re année. Selon le CSÉ (2012), les directions d’école devraient agir comme leaders pour favoriser les échanges et la concertation entre les enseignantes de l’éducation préscolaire et celles du premier cycle du primaire. Ces temps de discussion permettraient notamment l’harmonisation des pratiques pédagogiques dans le respect des particularités de chaque ordre d’enseignement, favorisant par le fait même la continuité de l’expérience éducative des enfants (CSÉ, 2012).

Les données de l’étude invitent enfin à se questionner sur les modalités de la continuité pédagogique entre les environnements scolaires afin de favoriser la réussite éducative de l’enfant, dès son entrée à l’école. Par exemple, le recours à l’apprentissage par le jeu permettrait aux jeunes enfants d’apprendre activement lors des premières années scolaires (Bodrova et Leong, 2011), ainsi qu’à se développer globalement à leur rythme et selon leurs besoins qui leur sont propres. En bref, il s’agit là de réfléchir aux façons de faire, dans une perspective d’harmonisation pédagogique.