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L’économie sociale

L’ESS dans la stratégie Europe 2020

L’Union européenne a adopté la stratégie Europe 2020 définissant l’orientation des politiques à venir pour les dix prochaines années. Afin de promouvoir une économie « intelligente, durable et inclusive », l’UE liste sept priorités : une stratégie numérique pour l’Europe, une union pour l’innovation, une jeunesse en mouvement, une Europe efficace dans l’utilisation des ressources, une politique industrielle à l’ère de la mondialisation, une stratégie pour les nouvelles compétences et les nouveaux emplois et, enfin, une plateforme européenne contre la pauvreté.

Comme le fait remarquer le Labo de l’ESS, « si l’ESS n’est pas clairement citée […], elle peut, par ses valeurs et ses caractéristiques – solidarité, innovation, diversité des secteurs d’activité, fort potentiel de création d’emplois… –, s’inscrire dans chacune des initiatives ». Le Labo rapporte également que les représentants de l’ESS « soutiennent la mise en place d’un plan d’action pour le développement de ce secteur, ne se limitant pas à l’entrepreneuriat social individuel. Ils souhaitent aussi l’élaboration d’une feuille de route claire pour les travaux devant mener à un statut européen pour les fondations, les mutuelles et les associations, constituant historiquement le champ de l’économie sociale », et appellent « à rester vigilants sur la mesure de l’impact social, qui ne doit pas être réduite à des indicateurs quantitatifs, et sur des rapprochements parfois rapides entre les notions d’économie sociale, d’entreprise sociale et de responsabilité sociale des entreprises [1] ».

Fin décembre cependant, la commission annonçait que le projet de mutuelle européenne était retiré de son programme pour l’année 2015, ce qui a provoqué la réaction critique de la Mutualité française. Reste donc à savoir de quelle façon ces « priorités » pourront se concrétiser pour le secteur.

En attendant la création de nouveaux statuts, la question des financements demeure. A ce sujet, l’Avise propose un dossier très complet sur les opportunités de financements européens pour les entreprises de l’ESS tant au niveau national que régional, à consulter sur leur site [2].

La stratégie de Rome

Dans le cadre de la présidence italienne de l’UE, une grande conférence internationale sur l’ESS s’est tenue à Rome les 17 et 18 novembre 2014 sous le titre ambitieux « Unlocking the potential of the social economy for EU growth ». Plus de 600 personnes ont participé à l’événement et ont pu écouter plus de 190 intervenants issus de 25 ays européens. Dix groupes de travail ont livré leurs rapports, consultables en ligne (en anglais) [3], et la conférence a également donné lieu à la rédaction d’une « déclaration » exposant la « stratégie de Rome[4]  ».

Cette stratégie se décompose en neuf points : identifier les interlocuteurs de l’économie sociale au sein des institutions européennes ; faire reconnaître le rôle que l’économie sociale peut jouer dans le soutien à une croissance « intelligente, soutenable et inclusive » et diffuser des outils concrets de mesure et d’évaluation des politiques menées dans les régions (notamment dans le cadre des partenariats établis avec les pouvoirs publics locaux ou dans l’utilisation faite des fonds structurels européens) ; consacrer les fonds aux investissements sociaux autant qu’aux infrastructures ; améliorer les options de financement disponibles pour l’économie sociale ; prendre en compte le fait que la mesure de l’impact social est une notion qui ne fait pas consensus actuellement parmi les acteurs du secteur ; améliorer chez les acteurs leur sentiment d’appartenance à un mouvement européen de l’économie sociale, au-delà des spécificités nationales [5] ; améliorer la présence des femmes et des jeunes dans les instances dirigeantes des organisations ; favoriser l’expérimentation et l’innovation ; développer des méthodologies et des indicateurs permettant aux structures de l’économie sociale de mesurer leur valeur ajoutée, en cohérence avec leurs spécificités.

Si la présidence italienne avait souhaité porter l’accent sur l’ESS, il est à craindre que la Lituanie, qui a pris sa suite et au sein de laquelle l’ESS est particulièrement peu développée, n’y attachera pas autant d’importance. Il faut donc souhaiter que l’intergroupe dédié à l’ESS, qui a été reconduit, saura porter ces revendications et faire vivre la « stratégie de Rome ».

Création de la Chambre française de l’ESS

La loi sur l’ESS votée en juillet dernier présentait la particularité juridique (inédite et, pour tout dire, surprenante) de porter la création d’une association. C’est chose faite avec le dépôt des statuts de la Chambre française de l’ESS (CFESS), le 24 octobre 2014. Ses membres fondateurs sont CoopFR pour les coopératives, la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) pour les mutuelles relevant du Code de la Mutualité, le Mouvement associatif, le Groupement des entreprises mutuelles d’assurance (Gema) pour les mutuelles d’assurance, le Centre français des fonds et fondations (CFF), le Conseil national des Cress et le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) pour les entrepreneurs sociaux.

Son président, Roger Belot (présidentd’honneur de la Maif), y est entouré de deux vice-présidents : Nadia Bellaoui, présidente du Mouvement associatif, et Jean-Claude Detilleux, président de CoopFR (et de la Recma). Les présidents des autres structures fondatrices sont membres du conseil d’administration.

Dans le communiqué de presse diffusé à cette occasion, Roger Belot a défini les missions de cette nouvelle association : « Entreprendre autrement, participer au développement économique et social de notre pays, favoriser la croissance intelligente, durable et inclusive, créer et sauvegarder des emplois décents et de qualité, améliorer la vie au travail, mieux répondre aux besoins sociaux réels, favoriser la cohésion sociale et celle des territoires, telles sont les ambitions de l’économie sociale et solidaire. La Chambre française de l’ESS aura pour mission d’en témoigner, d’encourager, de défendre, de proposer, de stimuler et d’agir pour que les politiques publiques françaises et européennes reconnaissent, supportent et accompagnent cette économie fière de ses spécificités et de son utilité au service de notre pays. »

De nouveaux modes de financement accessibles à l’ESS

Le 8 décembre dernier, Carole Delga, secrétaire d’Etat chargée de l’ESS, a annoncé la mise en place de trois nouveaux modes de financement dont les structures de l’ESS pourront être bénéficiaires. Ces financements impliquent l’Etat, les régions et BPI France.

Le premier est le Fonds d’investissement pour l’innovation sociale (Fiso). Il fournira une avance remboursable d’un montant minimum de 30 000 euros à une entreprise, de l’ESS ou non, présentant un projet « socialement innovant », notamment en réponse aux appels à projets qui seront diffusés au niveau des régions, en partenariat avec BPI France. Les projets retenus verront 60 % des fonds versés à leur démarrage et 40 % à leur issue. Le remboursement se fera en fonction de leur succès et des capacités des structures. Le fonds disposera de 40 millions d’euros pour remplir sa mission.

Le deuxième est le prêt aux entreprises sociales et solidaires. Ce dispositif est réservé aux structures de l’ESS. Le montant ne dépassera pas 50 000 euros (100 000 euros si la région s’engage également) et sera accordé via le réseau bancaire classique. Pour pouvoir y prétendre, une structure impétrante devra compter moins de 250 salariés et réaliser un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros. BPI France prévoit d’allouer 50 millions d’euros à ce dispositif.

Le troisième est un projet d’investissement de BPI France nommé « Impact coopératif », destiné à soutenir des coopératives en création par l’intermédiaire de souscriptions à un fonds géré par Esfin Gestion, spécialisé dans l’apport de fonds propres aux entreprises de l’ESS. Ce sont 50 millions d’euros qui seraient engagés à ce titre.

A eux trois, ces dispositifs totalisent donc 140 millions, dont on ne peut même pas dire qu’ils profiteront intégralement à des structures de l’ESS, puisque tous n’y sont pas exclusivement dédiés. Pour mettre ce chiffre en perspective, rappelons que le budget global de la BPI est de 42 milliards d’euros. Souvenons-nous également d’une déclaration qu’avait faite Benoît Hamon, alors ministre délégué à l’ESS, au journal Le Monde en octobre 2012 : « La BPI répondra aux projets des entreprises et des structures de l’ESS, de la même manière qu’elle interviendra en direction des PME classiques. Cinq cents millions d’euros, c’est un minimum. »

Le compte n’y est donc pas tout à fait.

La coopération

Coopératives et emploi : un rapport global

Réalisée par l’Organisation internationale des coopératives de production industrielle, d’artisanat et de services (Cicopa), l’étude « Coopératives et emploi : un rapport global », présentée au IIe Sommet international des coopératives à Québec en octobre dernier, est désormais accessible en ligne [6]. Ce rapport établit que « l’emploi coopératif concerne directement 250 millions de personnes dans le monde, sans parler des emplois indirects et induits. Dans les pays du G20, l’emploi coopératif représente près de 12 % de la population active totale » et commente : « Aucun autre type d’entreprise ne peut prétendre offrir de l’emploi à autant de personnes et en même temps montrer cette résistance aux crises et aux récessions, fournir une aussi grande stabilité d’emploi (chevauchant les générations dans de nombreuses familles de producteurs) et se caractériser par une telle répartition équilibrée entre les zones urbaines et rurales. » Le rapport explore également les spécificités de l’expérience de travail dans les coopératives et se termine par des recommandations au mouvement coopératif international comme aux responsables politiques pour favoriser le développement des coopératives.

Pour une coopérative mondiale

Comment favoriser l’avènement d’un modèle économique alternatif mondial ? Le réseau Fair Coop, issu de la mouvance libertaire, travaille à atteindre cet objectif, l’une des étapes étant la création d’une monnaie virtuelle mondiale qui sera mise au service de l’économie coopérative.

L’histoire, racontée par le journal Le Monde [7], est partie d’une arnaque. Un individu mal intentionné avait créé une monnaie virtuelle, le faircoin, qu’il avait généreusement distribué à titre gracieux pour ensuite rémunérer les comptes pendant un temps. Après s’être débrouillé pour faire monter le cours de la monnaie, il a subitement converti tous ses faircoins et a disparu. Le cours du faircoin est alors tombé à presque zéro, laissant dépouillés tous les petits porteurs. Enric Duran, l’un des membres les plus actifs de Fair Coop, leur propose alors de reprendre le contrôle de cette monnaie. Certains lui font don de leur capital, d’autres le lui revendent. Enric Duran redistribue ensuite ces faircoins aux associations et aux entreprises affiliées au réseau Fair Coop. L’idée est de valoriser ces capitaux au fur et à mesure de la croissance du réseau et d’organiser à terme un système de prêts propre à ces organisations. En théorie, rien n’empêcherait alors Fair Coop d’étendre son modèle à l’infini. En pratique, bien sûr, alors que le modèle ne fédère actuellement que quelques centaines de militants, la révolution risque de se faire encore attendre. L’initiative a cependant le mérite de transposer au niveau international les problématiques de financement, de développement et de répartition de la richesse auxquelles tentent de répondre les expérimentations sur les monnaies locales actuellement très en vogue.

Coopération bancaire en Belgique

Les Belges n’ont plus confiance dans leurs banques. Fort de ce constat et de trente ans d’expérience dans le secteur bancaire, Dirk Coeckelbergh a décidé d’en créer une. Avec une particularité : elle sera coopérative. Il a donc fondé NewBe, une société financière coopérative qui a vocation à devenir une banque à l’horizon de 2016. La Belgique ne compte en effet qu’une seule banque coopérative pour une soixantaine d’établissements dans le pays. Pour son fondateur, NewBe devra répondre à des idéaux tels que la démocratie (« Une personne égale une voix »), l’égalité (échelle des salaires de 1 à 5) et l’éthique (produits financiers transparents). Douze valeurs ont été listées pour définir l’identité de la coopérative, parmi lesquelles on trouve la participation, l’innovation ou encore la proximité. Des principes qui séduisent apparemment, car, à en croire le site de NewBe (www.newb.coop), la structure compterait déjà 48 237 coopérateurs. Une affaire à suivre, qui n’est pas sans rappeler le succès de la Nef en France.

Coop Alsace en redressement judiciaire

Coop Alsace dépose les armes. Le 20 octobre dernier, son PDG, Henri Ancel, a déclaré l’entreprise en cessation de paiement auprès du tribunal de commerce de Strasbourg. Créée en 1902, cette coopérative de consommateurs, qui détenait encore 6 hypermarchés, 22 supermarchés et plus de 180 supérettes à la fin des années 2000, a employé jusqu’à 4 000 personnes et s’était imposée dans les habitudes de consommation des Alsaciens. C’était avant que son PDG d’alors ne soit poursuivi et condamné pour abus de biens sociaux et blanchiment. Entre 2011 et 2013, la coopérative a cédé ses hypermarchés et supermarchés au groupe Leclerc, puis a vendu, en 2014, 129 de ses magasins de proximité à Carrefour. Malgré toutes ces sessions, les comptes n’ont pas pu être redressés, et l’entreprise ne peut désormais plus faire face à ses obligations de paiement. Seule Coop-Magasins de proximité, la centrale d’achat des produits régionaux de la coopérative, échappe au dépôt de bilan. Henri Ancel espère pouvoir relancer la coopérative en revendant des produits régionaux dans ses magasins Coop. L’entreprise emploie désormais moins de deux cents personnes. Le tribunal l’a placée en redressement judiciaire et a validé un plan de continuation qui devrait permettre de sauvegarder une douzaine de magasins, mais ne sauvera pas tous les emplois du groupe.

Une Scic dans la presse

Les salariés de Nice-Matin et Var-Matin sont désormais maîtres de leur journal. Le 7 novembre dernier, le tribunal de commerce de Nice, qui devait statuer sur le sort du groupe, a en effet choisi le projet de reprise en société coopérative d’intérêt collectif (Scic) porté par les salariés et soutenu financièrement par Bernard Tapie. Le groupe Nice-Matin, alors propriété du groupe Hersant, avait été placé en redressement judiciaire le 26 mai 2014. Le projet de Scic, pour s’imposer, a dû convaincre les juges face à deux projets concurrents : celui du groupe de presse belge Rossel (propriétaire du Soir, mais aussi de titres régionaux français), associé à un groupe de BTP monégasque (Marzoco) et à un homme d’affaires (Iskandar Safa) et celui de l’homme d’affaires Georges Ghosn, ancien propriétaire de La Tribune et de France-Soir. La victoire des salariés (qui avaient notamment levé 500 000 euros grâce à une plateforme de financement participatif) est donc d’autant plus belle que la concurrence était solide.

Bigre !

Quatre Scop issues de la coopération d’activité et d’emploi, Oxalis, Coopaname, Grands Ensemble et Vecteur Activités et une Scic, Smart, ont décidé de s’unir pour créer la première « mutuelle de travail associé ». Ce groupement de 7 000 personnes et de 25 établissements se décrit ainsi :

  • une communauté unique de plusieurs milliers de sociétaires, ayant pour projet de se garantir mutuellement la possibilité de bien faire leurs métiers respectifs et d’en vivre ;

  • un maillage d’entreprises, sous forme coopérative, d’économie sociale ou autogérées, constituant autant de lieux et de cadres d’exercice en commun des arts et des savoir-faire de chacune et de chacun ;

  • un groupement coopératif d’entreprises ouvert, accueillant, au sein duquel seront mutualisées les fonctions support en matière de gestion, de recherche, de protection sociale, de finance, de gestion des statuts juridiques des personnes, etc.

Les coopératives d’activité et d’emploi (CAE), récemment reconnues par la loi ESS qui leur donne un statut, sont une branche particulièrement dynamique de la coopération, en constante réflexion et expérimentation sur les nouvelles formes de solidarité dans le travail. Avec Bigre !, elles entendent « dépasser l’alternative entre travail salarié subordonné et travail indépendant précarisé ». Souhaitons-leur le plus grand succès.

Les associations

Le Maroc réforme sa vie associative

En 2011, à la suite du mouvement social du mois de février, le Maroc avait réformé sa constitution. Certaines de ces dispositions trouvent aujourd’hui leur application dans la réforme en cours de la vie associative du pays. Comme le rapporte le site Media24, « la grande nouveauté est la loi organique sur les pétitions publiques et les motions en matière législative (prévue à l’article 15 de la nouvelle constitution). Aussi, une nouvelle loi encadrera le rôle des associations dans la conception, la mise en oeuvre et le suivi des politiques publiques (article 12 de la constitution), tandis qu’un autre texte s’intéressera à la vie interne d’une association : sa création, son mode de fonctionnement et sa démocratie interne. La procédure d’accession au statut d’utilité publique a été simplifiée. […] Enfin, les salariés du milieu associatif pourront bénéficier d’une couverture médicale ».

Ces nouvelles mesures font également suite aux révélations de la Cour des comptes dont un rapport pointait, en 2014, l’opacité de gestion de nombreuses associations bénéficiant de subventions publiques, alors que 80 % de ces financements vont à une vingtaine d’associations seulement auxquelles des missions de service public sont déléguées (dans un pays qui compte plus de 100 000 associations). L’ambition affichée du gouvernement est à la fois de favoriser une meilleure gestion de ces structures et de faire bénéficier un plus grand nombre d’entre elles du soutien de l’Etat.

Les associations réclament le Cice

La loi de finances pour 2013 a créé le crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice), un dispositif de soutien dont les entreprises non lucratives sont exclues. L’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes) a donc déposé un amendement visant à les y intégrer. La difficulté consiste à ne pas créer un déséquilibre en faveur des entreprises non lucratives (notamment les associations), qui ne sont par ailleurs assujetties à l’impôt sur les sociétés qu’à taux réduit. L’Udes défend donc l’idée d’un « Cice associatif », dont le taux serait de 4 % des rémunérations, contre 6 % pour les entreprises commerciales. Comme le précise Olivier Darrigrand, délégué général de l’Udes, à La Tribune : « Si l’ensemble des associations déposait un dossier de demande de Cice – une hypothèse hautement improbable –, il serait prélevé sur l’enveloppe annuelle de 20 milliards d’euros entre 1,5 et 2 milliards d’euros. » Et le journal de conclure : « Un coup de pouce qui pourrait s’avérer salvateur pour un secteur majeur de l’économie sociale et solidaire en difficulté depuis quelques années. »

Etat des liens entre associations et collectivités locales

Associations mode d’emploi, la Gazette des communes et le Courrier des maires ont réalisé le Baromètre 2014 des relations entre associations et collectivités locales, dont c’est la troisième édition. Le rapport note un recul de la confiance du côté des associations, interprété par les auteurs comme une crainte pour l’avenir, car les liens concrets avec les collectivités sont toujours très étroits : « Pour 67 % des collectivités, les relations avec les associations font l’objet d’une délégation spécifique (contre 59 % en 2013) et 53 % d’entre elles ont mis en place un espace de concertation (contre 43 % en 2013). Par ailleurs, la place de la vie associative est qualifiée d’“importante et le sera de plus en plus” par 56 % d’entre elles (contre 49 % en 2013). » Malheureusement, du côté des financements, cette volonté de soutien flanche quelque peu. Le premier financeur du secteur associatif est d’ailleurs passé cette année de la commune au département, alors que le désengagement de l’Etat reste patent.

Le baromètre 2014 revient aussi sur la Charte d’engagements réciproques entre l’Etat, les collectivités locales et les associations, du 14 février 2014 : « Ce premier bilan s’avère décevant : seules 19 % des collectivités en ont pris connaissance et 14 % envisagent de la signer dans les mois à venir. Constatant le même désintérêt, le rapport parlementaire enjoignait aux collectivités de s’emparer de ce nouvel outil “en fonction des spécificités locales et des objectifs propres à chaque territoire”. »

Patrick Kanner, ministre de la Vie associative, souligne que la loi sur l’ESS prévoit des dispositions qui devraient renforcer l’économie associative, notamment en définissant la subvention et en favorisant les conventions pluriannuelles d’objectifs. La Gazette des communes constate cependant qu’il reste du chemin à faire du côté des collectivités, car si pour 71 % d’entre elles « la vie associative et l’engagement associatif “produisent du vivre ensemble et du lien social”, seules 2 % estiment qu’ils “structurent économiquement un territoire”. Une évaluation très en deçà des ambitions affichées par la loi relative à l’économie sociale et solidaire ».

Associations : combien d’emplois menacés ?

A la suite de l’annonce du plan d’austérité du gouvernement en septembre dernier, le Collectif des associations citoyennes avait dénoncé l’imminence d’un « vaste plan social invisible » évoquant la perte possible de plusieurs centaines de milliers d’emplois. La Recma s’en était fait l’écho dans son numéro d’octobre, rapportant également le point de vue beaucoup plus nuancé du Mouvement associatif.

Vivianne Tchernonog, économiste et chercheuse au Centre d’économie de la Sorbonne (CES), a dénoncé les chiffres avancés par le collectif dans une tribune publiée par Juris associations le 15 décembre 2014 (n° 519) : « Si tout peut arriver demain, rien ne permet aujourd’hui de dire que le secteur associatif est en passe de perdre 260 000 emplois dans les quatre prochaines années. »

L’économiste reconnaît que « les associations rencontrent aujourd’hui des difficultés importantes, liées à la fois à la contraction de nombreux financements publics et à la mise en concurrence, alors même qu’elles doivent affronter l’augmentation des besoins de solidarité issus de la crise. Ces difficultés ont de fortes chances de s’accroître dans les années à venir. Alerter les acteurs sur les difficultés que rencontrent aujourd’hui les associations est une oeuvre utile ». Elle appelle cependant à regarder les choses de plus près : « Où le secteur perd-il des emplois ? Où en crée-t-il ? Dans quels types d’associations disparaissent et apparaissent des emplois ? Quels types d’emplois sont concernés ? Comment améliorer la qualité des emplois associatifs ? » Ces « bonnes questions » doivent éviter, d’après Viviane Tchernonog, que les prédictions alarmantes du collectif ne se transforment en prophétie autoréalisatrice en incitant les associations à trop de prudence dans leur politique de recrutement et les financeurs à s’en détourner.

Marie Graingeot

Les mutuelles

Le statut de mutuelle européenne : nouvelle disparition

Nouvel ajournement pour le statut de mutuelle européenne réclamé depuis de nombreuses années par la Mutualité française. Ce projet, que José Manuel Barroso, ancien président de la Commission européenne, avait fini par appuyer, ne figure en effet pas dans le programme de travail de la commission présidée par son successeur, Jean-Claude Junker, pour 2015. La Mutualité française le déplore et s’en étonne, arguant que le nouveau commissaire s’était pourtant déclaré « un partisan convaincu de l’économie sociale de marché ». Il est des convictions difficiles à mettre en oeuvre quand elles reposent sur un oxymore.

La réception du PFLSS 2015 par les mutuelles et les médecins

Depuis l’instauration en 1996 du droit de regard du Parlement sur le budget de la Sécurité sociale, l’adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) sonne chaque année, en décembre, comme un rappel aux économies. Le PLFSS 2015 s’inscrit sans suprise dans le cadre de la réduction des dépenses publiques mise en oeuvre conformément au Pacte de responsabilité et de solidarité. La principale disposition du projet, la modulation des allocations familiales en fonction du revenu des assurés sociaux, est diversement appréciée, certains critiquant la fin du principe universaliste de la Sécurité sociale, quand d’autres saluent ce qui leur apparaît comme une mesure de justice sociale.

Concernant le budget de la santé, l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam) prévoit quelque dix milliards d’euros d’économies en trois ans. Celles-ci devront être réalisées notamment grâce au renforcement de la prévention et à la promotion des médicaments génériques, deux domaines dans lesquels le mouvement mutualiste a été précurseur.

Il s’agit donc essentiellement de maîtriser l’emballement des dépenses de la Sécurité sociale, plutôt que d’élargir l’assiette des recettes, lesquelles devraient même mécaniquement baisser, du fait d’un nouvel allégement des cotisations patronales. A rebours de cette logique restrictive, certaines dispositions très ciblées du PLFSS devraient améliorer la situation de populations vulnérables, comme les petites retraites, la santé des détenus en milieu carcéral ou celle des assurés les plus modestes. Ainsi, les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) pourront accéder au dispositif de tiers payant intégral réservé jusqu’alors aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC), les médecins étant directement réglés par l’Assurance maladie et les complémentaires santé.

La mesure prise en faveur des bénéficiaires de l’ACS est une étape vers la généralisation en 2017 du tiers payant pour tous les assurés, un projet largement approuvé par la Fédération nationale de la Mutualité française. Néanmoins, ce dispositif, pourtant en vigueur dans vingt-cinq pays de l’Union européenne sur vingt-huit – pour le plus grand bénéfice des assurés –, rencontre l’opposition des médecins libéraux, qui craignent d’avoir à supporter un surcroit de travail administratif et des retards de paiement en provenance des caisses d’assurance maladie et des mutuelles. Cette réaction s’inscrit dans une tradition d’opposition de la médecine libérale à l’extension de la protection sociale publique depuis la mise en place des assurances sociales en 1930. Véritable tabou français, le coûteux statut libéral des médecins n’a pourtant jamais été questionné par la série des PLFSS dévolus à la maîtrise des coûts de l’Assurance maladie.

Les nouveaux critères des contrats responsables

La notion de contrat responsable a été introduite en 2004 avec la mise en place du parcours de soins à partir d’un médecin référent, souhaitée par la Mutualité française. Or, le décret publié en novembre dernier établissant les nouveaux critères de ces contrats ne donne pas vraiment satisfaction aux mutuelles. Celles-ci critiquent, d’abord, l’obligation qui leur est faite de prendre en charge sans limitation de durée la totalité du forfait hospitalier, une charge très lourde qui occasionnera une nouvelle augmentation des tarifs mutualistes. Ensuite, le plafond de prise en charge des frais d’optique et celui de l’autorisation des dépassements d’honoraires leur semblent exagérément élevés, comportant le risque d’une inflation des tarifs pratiqués par les opticiens et les médecins. Enfin, les trois familles d’opérateurs en matière de complémentaire santé (mutuelles, assureurs, institutions de prévoyance) critiquent unanimement la complexité et le manque de lisibilité des dispositions du cahier des charges.

Fusions versus proximité

Le processus de fusion à l’oeuvre dans le mouvement mutualiste depuis le début des années 2000 s’est accéléré dernièrement, en prévision de deux dispositifs qui devraient impacter considérablement l’activité des mutuelles santé : l’un national, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation des entreprises ; l’autre européen, la directive Solvabilité II. L’ANI marquera la généralisation de la complémentaire santé collective pour les salariés du secteur privé, tandis que Solvabilité II renforcera les règles prudentielles applicables aux mutuelles comme aux assureurs.

Devant faire face à ces échéances dans un environnement économique instable, la mutualité raisonne désormais en termes de groupe. « L’union fait la force », l’antique devise des sociétés de secours mutuels, ne s’applique plus à des individus engagés dans une démarche de solidarité consciente, mais à des organismes fusionnant pour collecter capitaux et adhérents. Ces regroupements en vue d’établir des liens financers durables peuvent s’incarner au sein d’une union mutualiste de groupe (UMG), qui est aux mutuelles santé ce qu’est la société de groupe d’assurance mutuelle (SGAM) aux mutuelles d’assurance.

C’est ainsi qu’Adréa mutuelle, Apréva et Eovi-MCD ont annoncé la constitution en 2015 d’une union mutualiste de groupe (UMG) interprofessionnelle qui réunira 1,7 milliard d’euros de cotisations et protégera plus de 3 millions de personnes. En ligne de mire de ce positionnement stratégique : la conquête des entreprises qui, suite à l’ANI, devront choisir une complémentaire santé.

Plus inédite est l’union très prochaine entre la Mutuelle générale de l’Education nationale (MGEN), avec 3,7 millions d’adhérents, et le groupe Harmonie mutuelle, avec 4,5 millions d’adhérents. Ce nouveau rapprochement symbolise la fin de l’opposition historique entre mutuelles professionnelles et mutuelles interprofessionnelles, qui ont longtemps été fondées sur des affinités sociologiques. Le chiffre d’affaires cumulé des deux partenaires devrait représenter près du quart du marché de la complémentaire santé. Reste que la focalisation sur la progression du « poids » financier et sociétarial risque fort de faire tomber en désuétude les notions de proximité et de lien avec l’adhérent, marqueurs de l’identité mutualiste.

Patricia Toucas-Truyen

Pour en savoir plus : www.recma.org/actualites.