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1. Introduction et problématique

Au Québec, la formation générale des adultes (FGA) est définie comme un ensemble de services de formation accessibles à toute personne de 16 ans et plus désirant (entre autres) obtenir un diplôme d’enseignement secondaire (Gouvernement du Québec, 2012a). L’implantation facultative des nouveaux programmes de la Formation générale de base des adultes est en cours depuis 2007 avec les programmes de la Formation de base commune (alphabétisation, cycle du présecondaire et premier cycle du secondaire) et ceux de la Formation de base diversifiée (deuxième cycle du secondaire), depuis 2011.

Dans le cadre de l’introduction de ces nouveaux programmes, les enseignants de formation générale des adultes ont l’obligation de développer des compétences professionnelles adaptées à un curriculum par compétences (Loi sur l’instruction publique, article 19). Actuellement, plusieurs enseignants de formation générale des adultes se forment dans des programmes de maîtrise qualifiante en enseignement secondaire donnant accès au brevet d’enseignement. Depuis 2006, ces programmes constituent une voie d’accès d’exception vers l’obtention d’une autorisation légale d’enseigner (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006a).

En tant que responsable du cours en évaluation faisant obligatoirement partie d’un de ces programmes (dont la durée est variable puisqu’il s’agit d’un programme suivi à temps partiel par des étudiants qui travaillent en enseignement), nous avons fait les constats suivants : les enseignants de formation générale des adultes sont généralement minoritaires dans des cohortes essentiellement constituées d’enseignants qui exercent au secteur des jeunes ; contrairement aux étudiants de baccalauréat, ils disposent déjà d’une expérience d’enseignement auprès d’adultes et ont (selon les exigences de l’université dans laquelle ils s’inscrivent) un lien d’emploi actif durant leur formation.

Partant de l’hypothèse que la formation à l’évaluation actuellement offerte aux enseignants de formation générale des adultes ne tient pas suffisamment compte de leurs situations professionnelles et de l’encadrement légal des pratiques évaluatives propre au secteur dans lequel ils exercent, cette étude a pour but de repérer des traces de cette possible inadéquation dans des artefacts réflexifs produits par les enseignants de formation générale des adultes lors de leurs apprentissages. Nous pensons que ce repérage peut contribuer à définir les paramètres à prendre en compte pour encadrer la formulation d’une offre de formation à l’évaluation (qu’elle soit ou non institutionnelle) plus adaptée aux besoins de ces enseignants.

1.1 Le contexte de l’évaluation en formation générale des adultes

En formation générale des adultes, l’évaluation des apprentissages est, depuis plusieurs décennies, pratiquée dans un contexte de programmes par objectifs et d’individualisation pédagogique (Table des responsables de l’éducation des adultes des commissions scolaires du Québec, 1992). Pour répondre aux besoins individuels des adultes dont les itinéraires ne permettaient pas de constituer des cohortes stables et homogènes, l’apprentissage individualisé devait initialement favoriser l’autonomie dans l’apprentissage et une évaluation continue, dans le respect de rythmes variables. En vertu de ces principes, l’organisation scolaire du secteur des adultes a donc été structurée par un système d’entrées périodiques et de sorties variables des élèves.

Essentiellement sollicité lorsque des difficultés d’apprentissage surgissent, l’enseignant était invité à réaliser le suivi des apprentissages et à évaluer le rendement scolaire de l’adulte, c’est-à-dire à corriger l’épreuve certificative de fin de cours après l’avoir préparé à passer cet examen. Selon le rapport de la Table des responsables de l’éducation des adultes des commissions scolaires du Québec (1992), enseigner au secteur des adultes consistait à répondre aux questions des élèves (p. 47), l’enseignant limitant ses interventions à la gestion des difficultés ponctuelles dans un perpétuel état d’urgence. Pour l’élève, la réussite d’un prétest constituait une autorisation formelle à passer l’examen, les tests étant présentés comme au service de l’apprentissage (Ibid., p. 27), puisqu’ils visaient essentiellement à signaler les difficultés d’apprentissage. Pendant la formation, l’évaluation est dite au service de la formation et demeure informelle (ministère de l’Éducation du Québec, 2003a).

En ce qui concerne l’évaluation sommative ou certificative, selon la Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de la formation continue (Gouvernement du Québec, 2002), l’évaluation certificative (de sanction) est obligatoire au terme de chaque cours suivi par l’adulte, le seuil de réussite étant fixé à 50 % ou 60 % (ministère de l’Éducation du Québec, 2003b, p. 50). L’évaluation certificative est continue en ce sens qu’elle peut avoir lieu à n’importe quel moment de l’année. Des salles d’examen séparées des classes sont ouvertes pour permettre aux adultes de passer leurs examens individuellement en fonction de leur rythme d’apprentissage, avec l’autorisation formelle de l’enseignant.

1.2 L’implantation des nouveaux programmes par compétences

Bien qu’une lente évolution se manifeste dans certains centres d’éducation des adultes quant à l’implantation de programmes par compétences en Formation de base commune (Nizet, 2010, 2012), leur situation organisationnelle et pédagogique actuelle est encore largement similaire à celle qui a été mise en place il y a maintenant plusieurs décennies. Cependant, l’implantation des nouveaux programmes par compétences en Formation de base commune et en Formation de base diversifiée vient introduire de nouvelles conditions de pratiques évaluatives.

En effet, les enseignants de Formation de base commune sont invités à transiter d’une approche par objectifs encore en cours dans le matériel d’apprentissage et d’évaluation centré essentiellement sur l’acquisition et l’évaluation de connaissances vers une approche par compétences, dans laquelle les tâches complexes et les situations de vie soutiennent une évaluation plus authentique d’apprentissages réalisés en profondeur (Scallon, 2004) ainsi qu’une évaluation en aide à l’apprentissage tout au long du développement des compétences (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2003a, 2006b).

Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport assume la responsabilité de la conception des définitions de domaines d’évaluation servant de référence pour sanctionner les apprentissages et des épreuves édictées en vue d’assurer l’uniformité des modalités et des conditions d’évaluation aux fins de sanction. À la demande des commissions scolaires, la Société de gestion du réseau informatique des commissions scolaires (GRICS) conçoit les épreuves d’appoint, mais il revient aux centres d’éducation des adultes de produire d’autres épreuves conservées dans des banques d’examens et de tests, dans le respect des définitions de domaines d’évaluation afin d’assurer la validité des épreuves au niveau provincial.

Tableau 1

Comparaison entre les conditions de pratiques évaluatives dans le cadre de la formation générale des adultes non réformée, puis réformée

Comparaison entre les conditions de pratiques évaluatives dans le cadre de la formation générale des adultes non réformée, puis réformée

FGA : Formation générale des adultes

GRICS : Société de gestion du réseau informatique des commissions scolaires

LIP : Loi sur l’instruction publique

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Les enseignants sont également invités à transiter d’une approche pédagogique essentiellement tutoriale vers des approches centrées sur la coconstruction de connaissances et les pédagogies actives, dans un contexte où le travail collaboratif entre élèves reste un défi constant, compte tenu du cadre organisationnel mis en place.

1.3 Les compétences professionnelles des enseignants de formation générale des adultes

Ce qui caractérise les compétences professionnelles des enseignants du secteur de l’éducation des adultes au Québec est encore peu étudié (Voyer, 2002 ; Voyer, Brodeur, Meilleur et le Sous-comité de la Table-ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport-Universités de la formation à l’enseignement des adultes, 2012). Peu de recherches portent sur la description des caractéristiques professionnelles de l’enseignement au secteur des adultes et, quand elles le font, elles mettent en lumière une réalité exigeante comportant des défis d’intervention et de gestion peu comparables avec ce qui existe au secteur des jeunes (Messing et Seifert, 2002). En ce qui concerne l’évaluation des apprentissages dans ce contexte précis, une trentaine de recherches en abordent les différentes dimensions de 1997 à 2007 (Solar et Tremblay, 2008), mais une seule d’entre elles, menée en milieu anglophone (Campbell, 2006), a mis en lumière le peu d’informations existant sur les pratiques et les outils d’évaluation utilisés par les formateurs d’adultes au Canada et sur les conditions d’exercice de ces pratiques en termes de contraintes ou de soutien apporté aux formatrices et aux formateurs.

1.4 La professionnalisation des enseignants de l’éducation des adultes

Au Québec, la professionnalisation des enseignants de l’éducation des adultes n’est pas un sujet de préoccupation nouveau (Solar, 2002 ; Solar, 2009 ; Wagner, 2002). La réforme des programmes par compétences en Formation générale de base devait questionner profondément la formation du personnel enseignant de l’éducation des adultes et entraîner celui-ci dans un renouveau professionnel déjà entrepris dans d’autres secteurs (Bourgeault, 2003 ; Ettayebi, Medzo et Fortier (2004).

Après la disparition des programmes universitaires d’andragogie dans les années 1990 (Bouchard, 2002 ; Voyer et al., 2012), la formation initiale des formateurs d’adultes en milieu scolaire au Québec relève, depuis 2001, de programmes donnant accès à un permis d’enseignement, qu’il s’agisse d’un baccalauréat en adaptation scolaire ou en enseignement secondaire, ou encore d’un baccalauréat en enseignement d’une langue seconde. Ces programmes comportent relativement peu de cours consacrés à l’éducation des adultes. D’après Voyer et al. (2012), les programmes accrédités de formation en enseignement secondaire semblent davantage orientés vers la formation des enseignants du secteur des jeunes, l’éducation des adultes n’étant pas considérée comme une spécialité qui justifierait l’existence de programmes de formation initiale spécifique donnant accès au brevet d’enseignement (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2010).

Un référentiel de compétences professionnelles (ministère de l’Éducation du Québec, 2001a) encadre l’élaboration des programmes de formation initiale et de formation continue créditée en enseignement secondaire. Ce référentiel présente le secteur des adultes comme un contexte particulier nécessitant le transfert ou l’adaptation de pratiques d’intervention présentées de manière générique. La compétence à évaluer y est formulée comme suit : Évaluer la progression des apprentissages et le degré d’acquisition des compétences des élèves pour les contenus à faire apprendre (Ibid., p. 90). Le processus d’évaluation sur lequel s’appuie la description de cette compétence est construit autour de la planification de l’évaluation, du recueil de l’information, de son interprétation, de la prise de décision, du jugement professionnel et de la communication (Durand et Chouinard, 2012 ; Laurier, Tousignant et Morissette, 2005). Cependant, une analyse exhaustive de ce document montre qu’aucune précision n’est fournie quant aux situations professionnelles qui caractérisent le secteur des adultes. Le modèle d’intervention privilégié dans ce référentiel est congruent avec une réalité pédagogique, organisationnelle et didactique généralement rencontrée au secteur des jeunes, mais rarement présente dans les situations professionnelles des enseignants de formation générale des adultes : des groupes fermés, stables et homogènes et une répartition annuelle de la grille matière ; on y fait récursivement appel à l’autonomie de l’enseignant dans la planification de l’enseignement-apprentissage-évaluation et dans la diversification des interventions (individuelle, groupes, classes). Les stages obligatoires dans le cadre de programmes de formation initiale qualifiants (Baccalauréat en enseignement secondaire, Baccalauréat en adaptation scolaire ou en enseignement des langues secondes) permettent aux futurs enseignants de se familiariser avec le contexte de l’éducation des adultes, mais ce secteur ne représente qu’une part marginale des contextes d’accueil de stages.

D’autres programmes de formation continue créditée non qualifiante mettent l’accent sur les aspects psychosociaux de la réalité des élèves adultes et sur l’intervention et la conception de dispositifs de formation dans ce contexte ; par exemple, des programmes de 1er cycle, qu’il s’agisse de diplôme d’études spécialisées en éducation et formation des adultes ou de microprogrammes en éducation des adultes, ce qui ne couvre qu’une partie des enjeux actuels du développement professionnel des enseignants de la formation générale des adultes en milieu scolaire.

On peut conclure de ce bref tour d’horizon que la formation créditée initiale ou continue des enseignants de l’éducation des adultes se caractérise par une offre de formation généraliste, ce qui pose avec acuité la question de la reconnaissance de leur spécificité et de leurs besoins dans un contexte de professionnalisation.

1.5 Plaidoyer pour une formation spécifique

Alors que de nombreux intervenants plaident sans relâche depuis des décennies pour que l’on reconnaisse la spécificité des besoins de formation des futurs enseignants à l’éducation des adultes (Solar, 2002 ; Wagner 2002 ; Association québécoise des intervenantes et intervenants en éducation des adultes, 2012 ; Table des responsables de l’éducation des adultes des commissions scolaires du Québec Formation professionnelle, 2004 ; Voyer et al., 2012), la diversité des contextes (Bouchard, 2002), la faiblesse de la masse critique que représentent ces enseignants en milieu scolaire en comparaison de leurs collègues du secteur des jeunes et le fait qu’ils aient un statut d’emploi généralement plus précaire semblent contribuer au statu quo. À quelques exceptions près, le milieu universitaire semble encore peu familiarisé avec les nouveaux intrants de ce curriculum, tels que les nouveaux programmes d’études de la formation générale de base ou les nouvelles définitions de domaines d’évaluation qui encadrent dorénavant les pratiques didactiques et évaluatives des enseignants de ce secteur.

La récente démarche de l’Association québécoise des intervenantes et intervenants en formation générale des adultes (2012), qui a déposé un ensemble de recommandations sur la question de la formation initiale et continue des enseignants et futurs enseignants du secteur de l’éducation des adultes au sous-comité Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport-Universités, traduit l’intensification de la demande de reconnaissance des spécificités de la profession enseignante de l’éducation des adultes à vocation scolarisante. Ces recommandations plaident en faveur de l’élaboration d’un profil de compétences spécifique et d’une prise en compte des caractéristiques organisationnelles, administratives, légales et pédagogiques encadrant l’éducation des adultes dans la formation de ces enseignants.

La connaissance des caractéristiques du contexte de l’éducation des adultes et de leurs effets sur le développement professionnel des enseignants semble donc essentielle pour former les enseignants de ce secteur, dans le contexte d’une réforme dont les paramètres ne sont pas totalement identiques à ceux du secteur des jeunes. Dans cette perspective, notre étude explore la question suivante : En quoi l’offre de formation actuelle répond-elle ou ne répond-elle pas aux besoins de formation à l’évaluation de ces enseignants et quels paramètres devraient être pris en compte pour structurer une offre de formation qui réponde à leurs besoins ?

2. Contexte théorique

Nous avons élaboré un cadre conceptuel permettant tout d’abord de clarifier ce que signifie se professionnaliser en évaluation à la lumière des concepts de savoirs professionnels, d’apprentissage professionnel, de situations et de contextes professionnels. Nous avons ensuite identifié un modèle qui permettrait de catégoriser les savoirs professionnels à construire en évaluation. Le cadre conceptuel auquel nous référons a été construit de manière itérative et dans une perspective délibérative (Mukamurera, Lacourse et Couturier, 2006, p. 114), puisqu’il a été en partie élaboré a priori, mais enrichi au fur et à mesure de l’analyse des artefacts réflexifs des enseignants en fonction d’une analyse théorisante par émergence (Guillemette et Luckeroff, 2009).

2.1 Se professionnaliser en évaluation

En matière d’évaluation, se professionnaliser signifie faire des apprentissages professionnels, c’est-à-dire incorporer des savoirs professionnels reconnus, légitimés et scientifiquement valorisés (Carnus et Terrisse, 2006 ; Jorro, 2009), en vue de développer des pratiques évaluatives (Malo, 2010).

Dans un parcours de professionnalisation, la formation initiale oscille entre deux logiques : une logique académique qui s’intéresse en priorité à la construction de savoirs référentiels scientifiques, prescriptifs préparant le futur enseignant à penser ses pratiques professionnelles à partir de théories et de modèles d’intelligibilité et une logique de compétences qui ne peuvent se manifester qu’en situation de travail et donnant lieu au développement de savoirs expérientiels (Vanhulle, 2009).

Les savoirs référentiels sont issus d’interactions avec des sources culturelles et sociales implicites ou explicites propres à l’environnement (collègues, médias, ouvrages scientifiques, etc.) (Vanhulle, 2008). Les savoirs expérientiels sont construits à partir d’une réélaboration subjective de l’expérience influencée par la culture professionnelle du sujet ; ils permettent au professionnel de réaménager des savoirs construits antérieurement dans d’autres situations, de manière à ce qu’il puisse faire face aux exigences de situations actuelles (Buysse, 2011). Selon Altet (2008), la réalité de l’activité professionnelle mobilise et interroge les savoirs théoriques acquis pour les réapprendre, les traduire autrement, les convertir, les reconfigurer (Ibid., p. 92). La reconfiguration des savoirs référentiels à la lumière de l’expérience et de l’analyse de pratiques génère donc des savoirs utilisables en situations.

L’adaptation aux situations professionnelles (Mayen, 2012) est un signe d’efficience professionnelle (Vanhulle, 2009) et elle s’apprend en contexte. Une situation professionnelle est définie comme un environnement dont les caractéristiques sont perçues comme suffisamment typiques et stables pour organiser l’action a priori et, à ce titre, on en attend des effets, des résultats, des produits ; elle est caractérisée par la dépendance à des processus et des cadres organisationnels plus vastes (Mayen, 2012, p. 64).

L’environnement professionnel, considéré comme l’ensemble de caractéristiques agissantes d’une situation professionnelle (Ibid.) est déterminant pour comprendre l’agir et l’apprentissage professionnels. Les caractéristiques dites agissantes des situations sont celles qui font sens pour une personne en particulier, lorsqu’elle sélectionne, dans l’environnement d’une situation, ce qui l’incite à agir ou les nécessités externes auxquelles elle doit répondre (Ibid.). Les caractéristiques agissantes relèvent de ce qui s’impose par nécessité externe à la personne et de ce qui – de l’environnement dans laquelle elle agit − résonne en elle (Ibid.) : le cadre organisationnel de la situation, les conditions d’espace-temps, les règles et règlements en vigueur, les relations avec les pairs et les objets de l’action. On peut donc émettre l’hypothèse que ces caractéristiques pourraient influencer la reconfiguration de savoirs professionnels par des enseignants en exercice.

2.2 Réaliser des apprentissages professionnels en évaluation

Le modèle de conceptualisation des outils d’évaluation de Allal (2008) constitue, selon nous, un cadre utile pour circonscrire les savoirs référentiels abordés dans cette formation. D’après ce modèle, les outils d’évaluation peuvent être catégorisés selon deux dimensions : relèvent-ils du contexte ou de l’outillage et lesquels sont instaurés par l’institution (dimension institutionnelle) et lesquels sont investis par les acteurs (dimension situationnelle) ?

Le contexte de l’évaluation inclut le dispositif d’évaluation, les règles, les procédures et les repères spatiotemporels qui fondent l’organisation et la gestion de l’évaluation, c’est-à-dire les prescriptions. Investi par le personnel enseignant, ce contexte donne lieu à des situations d’évaluation, des interactions et de la production de sens, qui peuvent être observés ou décrits.

L’outillage d’évaluation inclut les instruments d’évaluation, les artefacts et leurs schèmes d’utilisation associés, tels qu’ils sont instaurés par l’institution. Enfin, investis par le personnel enseignant, ces artefacts et ces schèmes donnent lieu à une activité évaluative instrumentée. Cette étude portant sur l’analyse d’écrits professionnalisants et de documents officiels encadrant les pratiques d’évaluation, nous n’avons pas recueilli de données relatives à l’activité évaluative des enseignants en situation comme telle.

2.3 Cadre conceptuel

À la lumière de ces perspectives théoriques, le questionnement de l’adéquation de la formation actuelle des enseignants formation générale des adultes de à l’évaluation ne viserait donc pas seulement la nature des savoirs référentiels à enseigner, mais également la qualité de leur reconfiguration, en référence aux situations professionnelles vécues par les enseignants.

L’exploration conceptuelle nous a permis de raffiner la question générale de recherche en deux objectifs spécifiques. Le premier objectif consiste à réaliser un portrait des savoirs référentiels abordés dans les forums de discussion au regard du contexte de l’évaluation et de l’outillage d’évaluation propres à l’éducation des adultes ; le deuxième objectif consiste à relever des traces de reconfiguration des savoirs référentiels en lien avec des caractéristiques agissantes spécifiques aux situations professionnelles de ces enseignants.

Figure 1

Cadre conceptuel

Cadre conceptuel

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3. Méthodologie

Dans ses finalités, notre démarche s’apparente à une recherche pédagogique pragmatique (Van der Maren, 2003) visant le développement d’une formation en évaluation offerte à des enseignants déjà impliqués professionnellement dans des centres d’éducation des adultes au Québec. Dans cette réflexion, le but que nous poursuivons s’apparente à celui d’une étude empiriste exploratoire, menée sous forme d’étude de cas : celui de la formation à l’évaluation.

3.1 Sujets

L’échantillon humain est de nature théorique et non statistique (Guillemette et Lukerhoff, 2009) dans la mesure où les participants sont des bénéficiaires de la formation donnée et, au premier chef, habilités à en évaluer le contenu et la pertinence. À la suite de la sollicitation de tous les étudiants de deux cohortes distinctes inscrits au cours d’évaluation des apprentissages dans un programme de maîtrise qualifiante dans une université québécoise, 15 étudiants ont librement accepté que le contenu des forums de discussions auxquels ils ont participé dans le cours en ligne soit utilisé à des fins de recherche ; les cinq enseignants exerçant à l’éducation des adultes ont été retenus comme sujets de cette étude. La taille de l’échantillon se justifie par la faible proportion d’enseignants en exercice à l’éducation des adultes et inscrits dans un programme qualifiant. Deux d’entre eux sont des femmes et trois sont des hommes ; deux sujets enseignent les mathématiques, un enseigne le français, un les sciences et le dernier en alphabétisation ; leur expérience d’enseignement à l’éducation des adultes varie de 3 ans à 10 ans. Leur formation universitaire initiale (baccalauréat) s’est déroulé dans leur discipline d’enseignement au Québec pour trois d’entre eux et à l’extérieur du Québec, pour deux d’entre eux. Aucun participant n’a été formé en andragogie (programmes antérieurs à 2001).

3.2 Instrumentation

L’analyse de contenu (Bardin, 2003) de deux corpus a été effectuée. Nous avons élaboré une grille d’analyse thématique fondée sur le modèle de conceptualisation des outils d’évaluation de Allal (2008), ainsi que deux grilles catégorielles portant sur les reconfigurations de savoirs et sur les caractéristiques agissantes.

Le premier corpus est constitué d’écrits disponibles relatifs à l’encadrement prescriptif des pratiques évaluatives en enseignement secondaire. Il s’agit des documents suivants : La formation à l’enseignement professionnel. Les orientations. Les compétences professionnelles (ministère de l’Éducation, 2001a), la Politique d’évaluation des apprentissages (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2003b), la Sanction des études. Guide de gestion de la sanction des études et des épreuves ministérielles : Formation générale des jeunes ; Formation générale des adultes ; Formation professionnelle (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2011), le Régime pédagogique et la Loi sur l’instruction publique (Gouvernement du Québec, 2012a et b) ; l’introduction au Programme de la Formation de base commune (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007) et un exemple de définition de domaine d’examen (ministère de l’Éducation, 2001b) et de définition de domaine d’évaluation (Société de gestion du réseau informatique des commissions scolaires, 2012).

Un deuxième corpus est constitué du contenu retranscrit de trois forums de discussion (artefacts réflexifs) produit par les cinq enseignants (données non suscitées).

3.3 Déroulement

Les forums de discussion étaient structurés en fonction des questions rédigées par la personne modératrice, également responsable du cours, et portaient sur les savoirs référentiels suivants : la planification de l’évaluation, l’évaluation de compétences, le recours à des tâches complexes et à des situations d’évaluation authentiques et l’usage de grilles d’évaluation critériées. Les forums analysés visent essentiellement les aspects liés à la reconnaissance de compétences et, comme ils étaient évalués sommativement, leur participation avait un caractère obligatoire. Les artefacts réflexifs ont été recueillis et analysés une fois que les sujets ont eu fini de participer aux forums de discussion.

3.4 Considérations éthiques

Un formulaire de consentement a été obtenu des enseignants participant à l’étude, et les considérations éthiques usuelles en matière d’anonymisation, de traitement, de conservation et de publication des données ont été appliquées. Les risques éthiques sont considérés comme nuls.

3.5 Méthode d’analyse des données

Un ensemble de 104 segments issus des artefacts réflexifs a été sélectionné. Une première analyse thématique a permis de produire une matrice descriptive des différents savoirs référentiels associés au contexte et à l’outillage d’évaluation (Allal, 2008) [premier objectif]. Par la suite, cette matrice a été appliquée aux documents ministériels (Karsenti et Savoie-Zajc, 2011, p. 245). Les sources prescriptives de ces savoirs ont été classées en trois catégories : les sources prescriptives génériques pour les deux secteurs (le référentiel de compétences de 2001), les sources prescriptives spécifiques au secteur des adultes et les sources prescriptives spécifiques au secteur des jeunes et postérieures à 2001.

Afin de relever les indices de reconfiguration associés aux caractéristi- ques agissantes de situations professionnelles propres à l’éducation des adultes [deuxième objectif], le contenu des artefacts réflexifs a été analysé en fonction de trois catégories : les énoncés de reconfiguration des savoirs référentiels, la direction de ces énoncés (valence positive ou négative) et le repérage de caractéristiques agissantes en lien avec ces reconfigurations.

4. Résultats

Nous présentons d’abord les savoirs référentiels abordés dans les forums de discussion et regroupés en fonction des catégories du contexte et de l’outillage de l’évaluation pour chacun des cinq participants. Ensuite, les résultats font état des reconfigurations des savoirs référentiels en lien avec les caractéristiques agissantes des situations professionnelles évoquées.

4.1 Le corpus de savoirs référentiels en évaluation abordés en formation

Dans le contenu des forums de discussion analysés, un corpus de 28 savoirs référentiels a été identifié. Parmi ceux-ci, 15 relèvent de savoirs reliés au contexte et 13, de savoirs liés à l’outillage. Nous leur avons associé les sources pertinentes et nous avons indiqué pour chacun d’eux combien d’enseignants sur les cinq participants à l’étude en ont fait mention.

4.1.1 Les savoirs professionnels relevant du contexte de l’évaluation

Les savoirs prescrits dans le référentiel de compétences commun (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2001a) sont évoqués par la majorité des enseignants. Le jugement professionnel et le processus d’interprétation, pourtant soutenu par la conception de grilles d’évaluation largement mentionnée, sont évoqués par une minorité d’enseignants, de même que celui d’évaluation formative. On remarquera que les savoirs cadres d’évaluation et échelles de niveaux de compétences, spécifiques dans leur forme au secteur des jeunes, sont souvent évoqués. Il est particulier que le savoir définition de domaine d’évaluation soit évoqué par un seul enseignant, alors qu’il s’agit d’un savoir spécifique au secteur des adultes.

4.1.2 Les savoirs professionnels relevant de l’outillage de l’évaluation

On retrouve dans cette catégorie les grilles d’évaluation, mais aussi les savoirs qui orientent l’instrumentation des enseignants, tels que les critères d’évaluation, les situations d’évaluation, etc. Les savoirs référentiels majoritairement abordés par les enseignants de formation générale des adultes concernent des éléments novateurs pour eux, par exemple : le recours à des tâches complexes, à des situations d’apprentissage et d’évaluation ainsi qu’à des critères d’évaluation. L’évaluation de connaissances est également largement évoquée. Par contre, il apparaît assez clairement que tout ce qui relève de l’évaluation en aide à l’apprentissage ainsi que certains savoirs propres au secteur des jeunes ne sont évoqués que par une minorité d’enseignants.

Tableau 2

Savoirs référentiels relevant du contexte de l’évaluation évoqués dans les forums de discussion et proportion d’évocation (sur cinq enseignants)

Savoirs référentiels relevant du contexte de l’évaluation évoqués dans les forums de discussion et proportion d’évocation (sur cinq enseignants)

* Prescrits selon le référentiel de compétences (ministère de l’Éducation du Québec, 2001) – Génériques : jeunes et adultes

** Prescrits selon les documents officiels spécifiques au secteur des adultes

*** Prescrits selon les documents officiels spécifiques au secteur des jeunes après 2001

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4.2 La reconfiguration des savoirs référentiels et le rôle des caractéristiques agissantes

L’analyse de contenu des forums a révélé deux types de reconfiguration des savoirs essentiels : les reconfigurations positives (70 % des reconfigurations) témoignent généralement de tentatives de reformuler le savoir, parfois en tentant de le contextualiser dans ses propres pratiques, mais pas toujours. Par exemple : L’évaluation par des tâches complexes permet un processus d’intégration tant recherché dans l’enseignement-apprentissage (1F4-2-E-01) ou La planification globale doit s’appuyer en FBC [Formation de base commune], d’abord sur le programme de formation et sur la définition du domaine d’examen (sic). J’entends par là qu’on doit connaître les éléments prescrits des cours précédents (5F2-1 et 5 E-05). Des reconfigurations négatives, bien que moins importantes (30 %), se traduisent par la formulation d’hésitations, de réticences ou de limites à l’utilisation du savoir en contexte professionnel. Par exemple : Les évaluations ne sont pas critériées, c’est-à-dire que les résultats ne sont pas donnés sous forme de maîtrise  ou de non- maîtrise. Ils sont communiqués en pourcentage. Toutefois, nous ne comparons jamais les résultats à une moyenne de groupe, puisque nos groupes ne sont pas stables (5F1-1 E-05). Parmi les reconfigurations dites négatives de certains savoirs comportant des marques de conditions agissantes, nous avons pu identifier quels savoirs référentiels semblaient poser le plus de problèmes d’apprentissage aux enseignants.

Tableau 3

Savoirs référentiels relevant de l’outillage de l’évaluation évoqués dans les forums de discussion et proportion d’évocation (sur cinq enseignants)

Savoirs référentiels relevant de l’outillage de l’évaluation évoqués dans les forums de discussion et proportion d’évocation (sur cinq enseignants)

* Prescrits selon le référentiel de compétences (ministère de l’Éducation du Québec, 2001) – Génériques : jeunes et adultes

** Prescrits selon les documents officiels spécifiques au secteur des adultes

*** Prescrits selon les documents officiels spécifiques au secteur des jeunes après 2001

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Dans leurs réflexions écrites, les enseignants réfèrent à des caractéristiques agissantes d’ordre organisationnel, de conditions d’espace/temps et de pratiques qui font office de règles, tels que l’individualisation des apprentissages, l’hétérogénéité et la taille des groupes, ou encore la prégnance de l’usage de cahiers d’autoapprentissage. Ainsi, l’obligation de respecter le rythme d’apprentissage des élèves et les pratiques d’évaluation continue semblent, pour plusieurs, incompatibles avec une démarche collective de planification de l’évaluation : Je ne vois pas comment une planification globale est applicable aux adultes (1F2-7 E-01).

Tableau 4

Rôle des conditions agissantes dans la reconfiguration de savoirs essentiels en évaluation

Rôle des conditions agissantes dans la reconfiguration de savoirs essentiels en évaluation

* Prescrits selon le référentiel de compétences (ministère de l’Éducation du Québec, 2001) – Génériques : jeunes et adultes

** Prescrits selon les documents officiels spécifiques au secteur des adultes

*** Prescrits selon les documents officiels spécifiques au secteur des jeunes après 2001

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Du point de vue de l’évaluation en aide à l’apprentissage, les conditions agissantes d’ordre organisationnel et les contraintes de temps semblent freiner l’adhésion à ce savoir qui semble pourtant essentiel dans ce contexte. Par exemple : J’ai des classes de 30 à 35 élèves. Si je dois m’astreindre à faire plusieurs évaluations formatives par sigle, ça pourrait être bien difficile à faire à l’intérieur du temps dont je dispose. La taille des groupes est un autre obstacle (5F4-7 E-05).

Enfin, en ce qui concerne les savoirs référentiels plus directement associés à l’évaluation de compétences, tels que les grilles d’évaluation critériée, l’évaluation par tâches complexes, ou encore les échelles de niveaux de compétences, les conditions agissantes d’ordre relationnel avec les pairs et liées aux objets de l’action semblent déterminantes dans les reconfigurations dites négatives. En ce qui concerne l’évaluation de compétences, la résistance des pairs est fréquemment mentionnée, ou encore l’absence de formation ou de temps pour collaborer au développement de pratiques communes. Ensuite, bien que les grilles critériées soient perçues comme susceptibles de favoriser une évaluation de compétences dans une perspective plus objective, leur utilisation professionnelle requerrait une formation importante, car plusieurs enseignants en ont fait une expérience peu convaincante : Mon expérience dans ce centre pour adulte m’a donné une vision très mitigée sur les nouveaux processus d’évaluation (1F2-3 E01). Enfin, pour plusieurs enseignants, la différenciation pédagogique reste un objectif à atteindre, mais cela génère un paradoxe : la différenciation en évaluation paraît impossible dans le contexte d’épreuves standardisées.

4.3 Les paramètres à prendre en compte pour identifier les besoins de formation

L’analyse des caractéristiques agissantes à l’oeuvre dans les apprentissages professionnels des enseignants de formation générale des adultes montre que la légitimité des savoirs référentiels en matière d’évaluation de compétences n’est pas acquise. Quels sont alors les paramètres à prendre en compte pour structurer la formulation d’une offre de formation à l’évaluation (qu’elle soit ou non institutionnelle) pour ces enseignants ?

Un premier paramètre nous semble être la prise en compte du fait que les enseignants ne sont pas nécessairement placés dans un contexte d’implantation de l’approche par compétences au moment où ils se forment. Un deuxième paramètre nous semble être le fait que l’approche par compétences ne s’appuie pas nécessairement sur les mêmes savoirs référentiels dans le secteur des jeunes et dans le secteur des adultes, bien que, comme nous l’avons vu, la majorité de ces savoirs soient pertinents. Enfin, un troisième paramètre nous semble être la nécessité de tenir compte de certaines caractéristiques agissantes locales.

4.3 Limites de l’étude

L’étude des traces de reconfigurations problématiques a permis de repérer quels savoirs référentiels en évaluation semblent moins pertinents aux enseignants de formation générale des adultes, mais l’étude n’est pas basée sur une comparaison systématique avec les perceptions des enseignants du secteur des jeunes ; elle a également permis de relier ce manque de pertinence à certains types de caractéristiques agissantes des situations professionnelles, mais les résultats proviennent d’un nombre limité d’enseignants. Enfin, le fait que la participation aux forums de discussion soit évaluée, de même que le caractère public des forums, a pu influencer le contenu des artefacts réflexifs et limiter l’expression des reconfigurations négatives de savoirs référentiels.

5. Discussion

L’implantation des nouveaux programmes de formation générale des adultes étant récente, il n’existe pas encore d’études ciblant les changements curriculaires et leurs effets sur les besoins ponctuels de formation pour les enseignants de ce secteur au Québec ; les rares écrits relatifs à ce sujet parus dans des revues professionnelles ébauchent progressivement une problématique dont la nature et l’urgence se révèlent au fur et à mesure que se déploie l’implantation du nouveau curriculum sur le terrain (Beauchesne et Turmel, 2009).

Dans les études empiriques disponibles, certaines caractéristiques agissantes des situations professionnelles spécifiques à la formation générale des adultes sont analysées et décrites, telles que l’individualisation de l’apprentissage, l’évaluation continue, les situations d’évaluation précédées de prétests, les cahiers d’auto- apprentissage et l’acquisition de connaissances manquantes, mais elles mettent l’accent sur les effets positifs de ces conditions sur la perception des élèves (Rousseau, Théberge, Bergevin, Tétreault, Samson, Dumont et Myre-Bisaillon, 2010). Quelques recherches abordent la question de l’évaluation des apprentissages à l’éducation des adultes, de manière indirecte, à travers la description d’expériences d’élèves adultes dans des centres d’éducation. On y trouve plusieurs indications sur ce qui caractérise l’évaluation (Rousseau et al, 2010). Les élèves se montrent satisfaits du système d’évaluation vécu dans leur centre d’éducation des adultes parce qu’ils réalisent un travail individuel axé sur l’atteinte d’objectifs de formation programmés. Les rétroactions immédiates de l’enseignant leur permettent de progresser plus rapidement. La possibilité de passer des prétests obligatoires dont la réussite est conditionnelle à la passation d’un examen génère moins d’inquiétude et de stress et plus de confiance en soi face aux situations d’évaluation. Villemagne (2011) fait le même constat à propos de l’adaptation des stratégies d’évaluation des apprentissages et des moments d’évaluation.

Fait paradoxal, d’autres études elles aussi axées sur le vécu des élèves, mettent en lumière exactement l’inverse (Lavoie, Lévesque et Aubin-Horth, 2008) : tous les adultes ne bénéficient pas de conditions idéales dans un modèle d’enseignement individualisé. Les ratios plus élevés par classe limitent la capacité d’intervention et de soutien immédiat de l’enseignant. Les formateurs eux-mêmes soulignent le fait que les conditions de travail limitent le suivi à offrir. Ces recherches révèlent la centration des épreuves sur une dynamique de sanction et de repérage des erreurs plutôt que sur la reconnaissance des réussites, ainsi que l’absence d’un processus formel d’évaluation formative, celui-ci reposant sur la capacité de l’élève à estimer ses propres limites (Bélanger, Carignan-Marcotte et Staiculescu, 2007).

Les enseignants qui participent à notre étude traduisent dans leurs mots cette ambivalence de perceptions. Plusieurs d’entre eux expriment l’existence de dilemmes entre le respect des besoins des élèves stigmatisés par l’échec répété et le changement de perspective pédagogique encouragé par la réforme. Selon eux, l’enseignement individualisé et le fait que leurs élèves soient inscrits dans parfois plus de dix cours différents au sein d’une même classe conditionnent les possibilités de changer les pratiques évaluatives encore centrées sur l’usage d’instruments à correction objective. Bien que des pratiques d’évaluation continue existent, les stratégies d’évaluation formative restent encore méconnues et semblent difficiles à implanter.

Les recommandations de la Table des responsables de l’éducation des adultes et de la formation professionnelle des commissions scolaire du Québec (2004) caractérisent une offre de formation spécifique à partir de deux caractéristiques agissantes mentionnées dans les résultats : l’organisation scolaire et la gestion des groupes aux caractéristiques particulières. La connaissance des contenus des programmes de formation par compétence en formation générale des adultes est également, comme on pouvait s’y attendre, requise. Cependant, le scénario proposé implique un tronc commun qui nous semble précisément poser problème dans la mesure où plusieurs savoirs référentiels enseignés de manière indifférenciée dans les deux secteurs doivent, au contraire, être analysés en fonction de leur pertinence dans le milieu professionnel de la formation générale des adultes.

6. Conclusion

Souhaitant explorer l’hypothèse selon laquelle les enseignants de l’éducation des adultes qui reçoivent une formation à l’évaluation interprètent les savoirs professionnels à la lumière de leur contexte et de leur expérience de travail, nous avons voulu identifier quels paramètres pourraient être pris en compte dans l’élaboration d’une offre de formation qui réponde mieux à leurs besoins. Dans ce but, nous avons tenté de décrire, sur la base de données empiriques issues d’une analyse de contenu d’artefacts réflexifs produits en cours de formation, le rôle des caractéristiques agissantes des situations professionnelles dans leur apprentissage.

Cette analyse a permis de montrer que l’absence de réflexion collective sur la question de la formation spécifique de ces enseignants risque de placer les personnes formées dans nos milieux universitaires en porte-à-faux par rapport aux situations professionnelles qu’ils rencontrent. La pertinence des savoirs référentiels en évaluation semble devoir être questionnée à la lumière de trois paramètres de manière systémique : le degré d’implantation du nouveau curriculum par compétences dans leur contexte de travail, les spécificités prescriptives propres au secteur des adultes, et enfin, des caractéristiques agissantes locales.

Concevoir une formation à l’évaluation pour les enseignants et futurs enseignants de l’éducation des adultes nécessite une réflexion et une démarche de recherche sur deux enjeux complémentaires : le respect de la spécificité des situations professionnelles et le renouvellement des pratiques évaluatives. À l’heure actuelle, ni la nature, ni l’ampleur de ces enjeux ne semblent clairement calibrées. Dans ce sens, une étude exhaustive des plans de formation proposés par les différentes universités québécoises offrant ce type de programme et des recherches-action-formation centrées sur la construction de savoirs professionnels par les enseignants de formation générale des adultes pourraient s’avérer une source significative pour mieux comprendre les conditions de pertinence et de légitimité de savoirs référentiels dans ce contexte et ainsi structurer une formation qui répondrait à leurs besoins.