Corps de l’article

Introduction

Même si la parentalité est un droit reconnu à tout citoyen canadien, son exercice soulève différents enjeux lorsqu’il s’agit des personnes ayant une déficience ou une lenteur intellectuelle (DI/LI). Plusieurs d’entre elles peuvent être de bons parents lorsqu’elles reçoivent les services et le soutien appropriés (Feldman, 2002, 2010; Wade, Mildon et Matthews, 2007). En effet, elles peuvent apprendre à développer des interactions positives avec leur enfant, à améliorer leurs habiletés de résolution de problèmes, à acquérir des savoir-faire utiles à la réalisation de leurs activités quotidiennes, à assurer la sécurité de leur enfant et à identifier les approches appropriées à une meilleure gestion des comportements (Wade, Llewellyn et Matthews, 2008).

Une pleine reconnaissance du droit à la parentalité des personnes ayant une DI/LI nécessite bien souvent la mise en place de services adaptés à leur situation, offerts dans un climat de coopération entre les parents et les professionnels impliqués (Cleaver et Nicholson, 2007; Ehlers-Flint, 2002; Llewellyn et Bridgen, 1995). Or, cette collaboration peut être influencée par les représentations sociales (RS) que les intervenants entretiennent à l’égard de la parentalité des personnes ayant une DI/LI (Coppin, 2001). Réalisée dans la cadre d’un projet doctoral en service social, l’étude décrite dans cet article s’intéresse aux composantes de ces représentations. Le texte se divise en quatre sections qui portent respectivement sur: (1) la problématique et les objectifs de recherche; (2) la méthodologie; (3) les résultats; (4) la discussion.

Problématique

Différents obstacles à la création d’un lien de confiance entre les parents ayant une DI/LI et les professionnels émergent des écrits (Jones, 2013; McConnell, Llewellyn et Bye, 1997; Starke, 2010; Tarleton et Ward, 2007). Parmi ceux-ci se retrouvent les attitudes négatives, les préjugés et les stéréotypes; des éléments qui correspondent aux fondements de leurs RS. Selon Abric (2009), le concept de représentation sociale réfère à « un ensemble organisé d’opinions, d’attitudes, de croyances et d’informations se référant à un objet ou une situation » qui est « déterminé à la fois par le sujet lui-même (son histoire, son vécu), par le système social et idéologique dans lequel il est inséré et par la nature des liens que le sujet entretient avec ce système social. » Cette interprétation fonctionnelle de la réalité permet de donner un sens à ses conduites. En d’autres termes, elle fournit des critères d’évaluation qui viennent justifier ou légitimer certaines actions ou pratiques sociales (Moliner, Rateau et Cohen-Scali, 2002). Plusieurs facteurs modulent la manière dont une personne se représente un objet, notamment: ses expériences, son histoire de vie, sa formation ou ses contacts antérieurs avec l’objet en question (Leclerc, 1999). Les écrits portant sur la parentalité des personnes ayant une DI/LI (objet social) mettent en lumière différents facteurs qui peuvent influencer les RS des professionnels. Ceux-ci sont liés, d’une part, aux rapports qu’ils ont avec les personnes ayant une DI/LI et, d’autre part, à leurs conditions de pratique.

Facteurs relatifs aux interactions parents-intervenants

Chaque intervenant a sa propre représentation de la parentalité et de l’exercice des rôles parentaux. Cette représentation influence sa façon d’assumer son rôle professionnel (Skov et Henningsen, 2001) et d’entrer en contact avec les parents. Plusieurs d’entre eux doutent de la capacité des parents ayant une DI/LI à acquérir les compétences nécessaires pour répondre aux besoins d’un enfant (McConkey, Morris, et Purcell, 1999; McConnell, 2008). Cette croyance, qui peut s’expliquer par le manque de connaissances et de compréhension à l’égard de la DI et de ses conséquences sur la vie d’une personne (Booth, McConnell et Booth, 2006; Cleaver et Nicholson, 2007; McBrien et Power, 2002), peut se traduire par des présomptions erronées, des attentes inadaptées et des attitudes négatives à l’égard des parents ayant une DI/LI (McConnell et al., 1997), autant d’attitudes qui ont des retombées négatives sur l’efficacité de la relation d’aide et sur le succès du projet parental (Aunos et Feldman, 2002).Outre ces croyances, d’autres éléments constituent des obstacles à une intervention professionnelle adéquate avec ces personnes. La perception d’un manque de volonté à coopérer est l’un d’entre eux (Starke, 2011). Or, cette « apparence » de manque de volonté peut être expliquée par diverses raisons. D’abord, certaines de ces personnes ont longtemps bénéficié de services sociaux, ce qui peut avoir entraîné des comportements de dépendance, de passivité et d’impuissance face aux services (Skov et Henningsen, 2001). Ces comportements peuvent aussi donner l’impression qu’elles se désinvestissent de leur rôle parental et se fient trop fortement aux intervenants. De plus, de nombreux parents ayant une DI/LI ont fait l’objet d’abus ou de négligence pendant leur enfance (McGraw Shaw et Beckley, 2007), affectant ainsi leur capacité à construire des relations interpersonnelles positives (Feldman, 2002). En outre, plusieurs n’ont pu bénéficier de modèles parentaux adéquats, soit parce qu’ils vivaient en centre d’accueil, soit parce que leur vie familiale était chaotique et dysfonctionnelle. Or, il est reconnu que les parents ayant une DI/LI, qui ont grandi au sein d’une famille aimante et bienveillante, indépendamment du statut socioéconomique, ont tendance à mieux se débrouiller avec leurs responsabilités parentales (Feldman, 2002; Llewellyn et McConnell, 2010). D’autres facteurs expliquent la méfiance de certains parents ayant une DI/LI à l’égard des professionnels. Certains ne sont pas en accord avec les conseils proposés par les intervenants lorsqu’ils vont à l’encontre de leurs propres valeurs (Traustadóttir et Sigurjónsdóttir, 2008, 2010). Aussi, lorsque plusieurs professionnels sont impliqués, leurs recommandations peuvent être différentes, voire même conflictuelles, ou s’avérer difficiles à comprendre, ce qui peut générer confusion, anxiété et frustration chez les personnes gênées de demander des clarifications (Gray, 2011; Tarleton, 2010). Quelques-unes prétendront comprendre et accepteront de se conformer afin de dissimuler leurs difficultés; une stratégie fréquemment utilisée pour créer une « illusion de compétence » (Booth, 2000). Toutefois, d’autres préfèreront éviter toute demande d’aide ou encore refuseront tout soutien s’ils perçoivent un manque de croyance en leurs aptitudes parentales dans le regard de professionnels (Traustadóttir et Sigurjónsdóttir, 2010). Ces réactions adverses sont évidemment contreproductives, puisqu’elles contribuent au développement ou au maintien de croyances erronées à leur endroit.

Bien que la recherche ait permis d’identifier certaines mesures favorisant le développement des habiletés parentales chez les parents ayant une DI/LI, il demeure difficile de traduire ces savoirs en interventions efficaces (Starke, Wade, Feldman et Mildon, 2013; Wade et al., 2008). Encore faut-il que les professionnels bénéficient de conditions de travail qui facilitent la mise en oeuvre de ces savoirs. Plusieurs d'entre eux rapportent se sentir démunis devant l’ampleur des besoins personnels, affectifs et sociaux de ces parents (Gray, 2011). Ils ne se perçoivent pas suffisamment préparés pour assumer leur rôle professionnel (Aunos, Pacheco et Moxness, 2010; Culley et Genders, 1999). Selon Starke (2011), cette situation pourrait s’expliquer par le haut niveau de stress vécu par les intervenants impliqués auprès de familles[1] de parents présentant une DI/LI. D’ailleurs, Clayton, Chester, Mildon et Matthews (2008) ont démontré qu’ils vivent un plus haut niveau de stress comparativement à ceux qui pratiquent auprès d’autres familles. Les principaux facteurs de stress ne sont pas strictement liés aux caractéristiques de ces personnes; ils sont aussi reliés aux conditions de pratique.

Facteurs relatifs aux conditions de pratique

Il est reconnu que le partenariat constitue une voie incontournable pour dépasser le sentiment d’impuissance ressenti par certains professionnels et pour améliorer l’efficacité des interventions; lorsque les processus de collaboration interprofessionnelle sont efficients, l’intervention auprès des parents ayant une DI/LI entraine des retombées plus positives (Gray, 2011; McConnell et al., 1997). Néanmoins, le partenariat se heurte à plusieurs obstacles organisationnels. Un des plus importants est le désaccord quant au choix de l’établissement le mieux préparé pour soutenir ces familles, en termes d’expertise et de connaissances (Gray, 2011). Les besoins des parents ayant une DI/LI se situent à l’intersection des mandats des établissements offrant des services généraux aux familles et de ceux détenant une expertise en DI. Or, ces deux catégories d’établissements ne font pas la même lecture des besoins de ces parents. Booth (2000) rapporte que si le personnel des services spécialisés en DI se fait reprocher de banaliser les aspects pouvant nuire au développement de l’enfant, celui des services généraux aux familles, ou services de première ligne, se fait accuser de dramatiser la situation des parents. Ces analyses différentes peuvent se traduire par un manque de concertation et de coordination qui mène à une offre de services fragmentée, à des difficultés à appliquer les critères d’éligibilité aux services, à un partage défaillant de l’information et à une incapacité à adopter une vision holistique des besoins de la famille (Booth, 2000). Toutefois, ces analyses, tout comme les attitudes des professionnels auxquelles elles conduisent, ne sont pas étrangères aux représentations que les intervenants entretiennent à l’égard de cette parentalité singulière; c’est la prémisse sur laquelle s’appuie cette recherche.

Objectifs de recherche

La présente recherche poursuit l'objectif central d’explorer les RS de la parentalité des personnes ayant une DI/LI véhiculées par les intervenants sociaux concernés qui travaillent dans un établissement public ou communautaire québécois. Les trois objectifs spécifiques sont : (1) de dégager les composantes cognitives et sociocognitives des RS ; (2) de faire la liste des rôles des intervenants; (3) d’identifier les facteurs contextuels qui influencent leurs RS.

Méthodologie

Cette section qui porte sur la méthode de recherche se subdivise en trois parties, soit : la constitution de l’échantillon de participants, la collecte de données et la méthode d’analyse.

Constitution de l’échantillon

L’étape de constitution de l’échantillon est abordée selon le sens que lui donne Pires (1997), à savoir : « le résultat de n'importe quelle opération visant à constituer le corpus empirique d'une recherche. »

Dans la présente étude, cette opération a consisté à rejoindre des intervenants engagés auprès de personnes ayant une DI/LI et oeuvrant dans des organismes communautaires et dans trois catégories d’établissements au Québec, Canada, soit : les Centres de services sociaux et de santé (CSSS), les Centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED) et les Centres jeunesse (CJ). Pour les recruter, une lettre d’invitation a d’abord été envoyée aux chefs de services sélectionnés par les représentants du comité de la convenance institutionnelle du projet au sein de trois CRDITED, de trois CSSS et d’un CJ. Ces derniers étaient invités à identifier des répondants potentiels sur la base des critères qui figurent au tableau 1, à solliciter leur participation et à les mettre en contact avec la première auteure. Ces critères ont également guidé le recrutement d’intervenants d’organismes communautaires (OC), qui ont été contactés directement par celle-ci.

Tableau 1

Critères d’inclusion et d’exclusion de l’échantillon

Critères d’inclusion et d’exclusion de l’échantillon

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Collecte de données

Les instruments de collecte des données ont été élaborés dans la visée de dégager le contenu des RS de la parentalité chez les personnes ayant une DI/LI. L’entretien en face à face a constitué l’outil principal utilisé, en raison de son efficacité dans le repérage des contenus des RS (Negura, 2004). En effet, ceux-ci circulent dans les discours, sont portés par les mots et se révèlent dans la recherche du sens derrière le discours spontané ou provoqué (Jodelet, 2012).

Le guide d’entretien, qui a été utilisé pour la collecte des données, est subdivisé en trois sections. Premièrement, les participants ont été invités à présenter deux situations rencontrées dans leur pratique, relatives à l’intervention directe et à la collaboration avec les partenaires. Deuxièmement, ils ont été amenés à répondre à quatorze questions ouvertes portant sur des thèmes relevés dans les écrits sur la parentalité chez les personnes ayant une DI/LI. Troisièmement, ils ont été sollicités à exprimer librement leur position à l’égard de deux enjeux : la surreprésentation des enfants des parents ayant une DI/LI dans les systèmes de protection de l’enfance et l’accès aux services de soutien nécessaires à l’exercice de leurs droits parentaux. Le guide d’entretien a fait l’objet d’un prétest auprès de deux travailleuses sociales.

Des entretiens semi-dirigés d’environ 45 minutes ont été réalisés avec chacun des participants à l’endroit et au moment de son choix, entre janvier et mai 2013. Ils ont été enregistrés par magnétophone, puis retranscrits intégralement. Des fiches sociodémographiques ont également été remplies.

Méthode d’analyse des données

Selon Moliner et ses collaborateurs (2002), l’analyse de contenu est la technique la plus appropriée pour identifier les informations, les opinions, les attitudes et les croyances véhiculées dans les discours. Cette méthode d’observation et de traitement des communications permet l’accès au sens qui se retrouve derrière les paroles, lequel apparaît a posteriori grâce aux interprétations du chercheur (Bardin, 2003; 2007; Blais et Martineau, 2006). Dans la présente recherche, l’analyse de contenu des entretiens a suivi quatre étapes, réalisées à l’aide du logiciel N’vivo :

  1. la lecture flottante des verbatims;

  2. l’identification des segments pertinents ventilés sous quatre catégories liées aux objectifs;

  3. l’attribution de mots-clés aux sous catégories émergentes;

  4. la réalisation de fiches synthétiques d’informations pour chaque participant.

Résultats

L’analyse vise principalement l’exploration des éléments constitutifs des RS des professionnels, c’est-à-dire aux informations et aux élaborations sociocognitives découlant d’une attitude générale (opinions, attitudes secondaires, croyances). L’attitude générale marque les dispositions favorables ou non des individus et du groupe à l’égard de l’objet de représentation. Puisqu’une représentation ne peut se concevoir sans référence aux pratiques qui lui sont liées et qui parfois sont la seule manifestation de certaines constituantes (Flament, 2001; Leclerc, 1999), les rôles et les actions qui en découlent sont aussi examinés. Finalement, les facteurs susceptibles d’influencer les RS sont mis à jour.

Caractéristiques des participants

L’échantillon de cette étude est constitué de 27 intervenants âgés de 24 à 65 ans. Leurs caractéristiques générales sont présentées au tableau 2. Les disciplines plus fortement représentées (81%) au sein de l’échantillon sont le travail social (n=11) et l’éducation spécialisée (n=11).

Tableau 2

Caractéristiques des participants

Caractéristiques des participants

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Composantes des RS

L’analyse des propos des personnes rencontrées a conduit à dégager deux composantes des RS de la parentalité chez les personnes ayant une DI/LI : les éléments cognitifs et sociocognitifs.

Éléments cognitifs

Les éléments cognitifs réfèrent aux connaissances des répondants relatives à la DI et aux approches d’intervention à prioriser auprès des parents ayant une DI/LI et de leur famille. Elles sont de trois ordres : théorique, pratique et expérientielle. Concernant les connaissances théoriques, celles-ci sont acquises principalement à travers des formations offertes en milieu de travail et portent surtout sur les modèles d’intervention généraux. Le tiers des participants (n=9) rapportent qu’ils n’ont jamais reçu de formation spécifique sur la DI et qu’ils en ressentent le besoin. D’autres (n=18) estiment la formation reçue insatisfaisante, insuffisante ou ne répondant pas à leurs besoins actuels. Deux participants ont évoqué avoir effectué des recherches dans des écrits en vue d’acquérir des connaissances souhaitées.

Les connaissances pratiques sont acquises au fil des années d’expérience et à travers les échanges entre collègues ou avec des partenaires d'autres organismes. Les rencontres formelles entre collègues ou partenaires représentent des occasions de discuter de leurs expériences, de se valider dans leurs interventions, d’apprendre grâce à l’expertise des autres et de recevoir de l’information. Un éducateur (CRDITED) rapporte:

Auprès de cette gang, on avait tous des dossiers en parentalité. On était avec une spécialiste en activités cliniques, qui nous ʺcoachaitʺ là-dedans, on vivait tous les mêmes situations. On se disait : ʺToi tu vis ça avec ton parent, moi aussi!ʺ ou ʺl’encadrement, c’est difficile, non? ʺ Alors, on se rejoignait vraiment.

Trois des sept intervenants de CRDITED différents mentionnent avoir déjà fait partie d’un tel « comité parentalité » au sein de leur établissement par le passé, ce qu’ils rapportent avoir grandement apprécié. Huit répondants mentionnent aussi que leurs contacts passés ou actuels avec des personnes ayant une DI/LI (expérience personnelle) modulent leur manière de percevoir leurs clients et d’interpréter leurs comportements. En effet ils s’estiment plus sensibles à leur réalité grâce à ces contacts, comparativement à certains collègues et membres de leur entourage.

Éléments sociocognitifs

Attitude générale, attitudes secondaires et opinions

L’analyse des propos met en lumière que l’attitude générale de chaque participant à l’égard de l’objet d’étude se situe sur un continuum allant d’une attitude très favorable à une attitude très défavorable. Ceux qui ont une attitude très favorable estiment que les personnes ayant une DI/LI sont des citoyens à part entière et qu’elles ont donc le droit d’avoir accès à la parentalité. Elles peuvent être de bons parents ou, le cas échéant, apprendre à le devenir. Lorsque les informations nécessaires leur sont offertes dans un format adapté à leur niveau de compréhension, elles peuvent en arriver à prendre des décisions de vie censées, comme, celle d’avoir ou non un enfant. Par contre, cette position implique que la société mette à leur disposition des services d’accompagnement, d’éducation et de soutien, tout comme elle le fait pour l’ensemble des parents, qu’ils aient une DI/LI ou non. À l’autre bout du continuum, les répondants ayant une attitude très défavorable estiment que ces personnes sont incapables de devenir de bons parents. Cette posture repose notamment sur l’idée voulant que la réponse à leurs propres besoins occupe toute leur énergie et leur concentration. Conséquemment, elles ne peuvent pas détecter les besoins de leur(s) enfant(s) et y répondre adéquatement.

Au centre de ce continuum se situe une attitude plus neutre, marquée par l’ambivalence. Thompson, Zanna et Griffin (1995) décrivent l’ambivalence attitudinale comme un état dans lequel un individu a tendance à effectuer des évaluations à la fois positives et négatives de même intensité à l’égard d’un objet. Selon les propos recueillis, l’ambivalence exprimée se rattache à l’accès à la procréation, au dilemme que pose la conciliation entre les besoins de l’enfant et les droits parentaux et à l’offre de services intensifs.

L’accès à la procréation des personnes ayant une DI/LI représente un élément qui questionne les participants. Pour quelques-uns, leurs limites cognitives les rendent incapables de juger si leur situation de vie est propice à l’accueil d’un enfant. Les problèmes vécus seraient parfois trop lourds pour répondre adéquatement aux besoins de sécurité, d’affection et de stimulation d’un enfant. Selon un travailleur social (TS) de CSSS, même avec toutes les mesures de soutien, « Je vois dans ma pratique qu’ils ont beaucoup de difficulté à être parents : [alors] entre le droit et la réalité [une réflexion s’impose].» Quoique considéré légitime, le désir de parentalité suscite de l’inquiétude. Selon des informateurs, les motivations des futurs parents témoignent bien souvent d’un égocentrisme qui laisse présager une difficulté ultérieure à prioriser les besoins de l’enfant et témoigne d’une sous-estimation de l’ampleur de la charge réelle occasionnée. D’importantes carences affectives amèneraient des parents à idéaliser les bénéfices liés à la présence d’un enfant dont ils pourraient s’occuper, qui leur donnerait de l’amour et en demanderait en retour. Aux dires de plusieurs informateurs, l’accès à ce rôle normalisant et valorisant représente parfois une solution magique à la souffrance laissée par un passé de rejet et de stigmatisation.

La conciliation entre les besoins de l’enfant et les droits des parents représente un autre aspect suscitant un positionnement ambivalent pour plusieurs intervenants. Des propos traduisent le souci de mettre en place des mesures visant à s’assurer que les besoins de l’enfant soient répondus à l’extérieur du nid familial, sans qu’il s’en retrouve déraciné. D’autres s’inquiètent du moment où les capacités de l’enfant surpasseront celles de ses parents. Les propos d’un TS de CSSS illustrent bien les questionnements éthiques à la source de cette ambivalence :

Si on le laisse là, il est moins stimulé et il prend du retard davantage que si on suggère un placement où on le déracinerait de son milieu. On est dans les gros questionnements éthiques. J’ai le parent avec ses limitations face à un individu en devenir. Qu’est-ce que je fais? Est-ce que je le pénalise en le laissant là? Est-il heureux ou pas? (…) C’est déprimant quand même lorsque la seule solution que l’on a parfois, c’est de signaler.

La plupart des participants s’entendent sur l’idée que ces parents auront besoin de services intensifs, à long terme et offerts par différents professionnels. Par contre, quelques-uns doutent de la pertinence d’une telle offre, dans la mesure où certains d’entre eux ne pourront jamais se réaliser pleinement s’il y a toujours une panoplie d’intervenants dans leur vie.

Attitude générale sous l’influence des croyances

Le corpus de données met aussi en exergue la présence de croyances stéréotypées bien ancrées à l’endroit des personnes ayant une DI/LI. Celles-ci découlent d’observations issues de l’expérience, qui sont parfois généralisées à l’ensemble de la population. À titre d’exemple, un répondant a émis l’idée que ces personnes ont un appétit sexuel plus marqué; une autre est d’avis qu’elles ne vivent pas les mêmes émotions que les personnes sans DI/LI lors d’évènements difficiles, tels qu’un deuil.

Or, les études identifient que les désirs sexuels des personnes ayant une DI/LI sont similaires à ceux de la population générale (Mitchell, Doctor, & Butler, 1978 dans Young, Gore et McCarthy, 2012). Elles ressentent les mêmes émotions en rapport aux évènements de la vie, bien que leur façon de les exprimer puisse différer (Martin, 2012). En outre, quelques participants ont fait un portrait très sombre de la parentalité vécue par ces adultes. Témoignant d’une attitude défavorable, leur discours se distingue par une insistance sur les vulnérabilités de ces parents et par l’absence ou le peu de référence à leurs capacités. Deux répondants reconnaissent que les échecs vécus par la quasi-totalité des parents ayant une DI/LI rencontrés influencent leur perception du désir d’enfant. Toutefois, ils estiment que le bagage de connaissances accumulé leur permet d’anticiper les problèmes. En somme, la compréhension des opinions, des attitudes et des croyances entretenues à l’endroit de cette parentalité passe par un examen des rôles exercés, qui guident les actions des intervenants.

Rôles des intervenants

Indépendamment de la formation professionnelle et de l’établissement d’appartenance, une grande homogénéité des rôles assumés par ces professionnels est notée, lesquels se retrouvent au tableau 3.

Tableau 3

Rôles exercés par les participants

Rôles exercés par les participants

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Quatre tendances émergent de leurs propos concernant l’exercice de leurs rôles, soit : l’accompagnement à l’exercice parental, le respect de l’autre, une vision positive de l’avenir et la conservation du lien de confiance. Puisque la famille est considérée comme un milieu d’éducation, des répondants disent déployer beaucoup d’efforts dans le soutien aux parents par des interventions s’inscrivant dans une logique d’accompagnement et non de substitution. Ce type d’intervention suppose un investissement professionnel jugé fort intense et continu. Grâce à des techniques de modelage, plusieurs les aident à développer les habiletés nécessaires à la stimulation de leur enfant et à la discipline. Puisque la famille est perçue comme un endroit favorisant la sécurité et la protection des enfants, le soutien aux parents se traduit par le choix d’interventions à visée préventive, autant que possible. À titre d’exemple, il peut s’agir de faciliter la création et le maintien de liens avec des ressources du milieu, lesquelles peuvent devenir fort utiles, lors d’une situation de crise ou d’une interruption de services.

Le respect de l’autre, qui se traduit par une approche caractérisée par la patience, la flexibilité et l’adaptabilité, est une autre valeur incontournable de leur pratique. Selon un TS (CSSS), ce respect suppose d’adapter les interventions selon le rythme du parent autant sur le plan cognitif (apprentissage et intégration des nouveaux acquis) que sur le plan affectif. Pour bien adapter leur approche, trois participants (CJ et OC) relèvent la nécessité de bien connaître chaque parent, sa personnalité, ses expériences passées, sa condition de vie actuelle, les personnes qu’il côtoie et sa manière d’apprendre et d’intégrer les acquis liés aux nouvelles habiletés parentales. Pour quelques-uns, il s’actualise par le respect des valeurs et des choix des parents, lequel les amène à se poser des questions telles que : « Cette intervention s’arrime-t-elle aux valeurs de la personne ou vise-t-elle à imposer les miennes? » « Jusqu’où puis-je aller dans mes interventions tout en respectant les choix, les valeurs et les attentes des parents? » À ce sujet, un éducateur (CSSS) exprime la nécessité de prendre une distance de ses propres valeurs et de ce qu’il souhaiterait pour ses clients, afin d’en arriver à composer avec leurs différences.

Une vision positive de l’avenir est une autre tendance qui se dégage de leurs discours et qui se traduit par une centration sur la recherche de solutions. Deux intervenants mentionnent l’importance de ne jamais perdre de vue tous les investissements et les efforts des parents, aussi minimes soient-ils, et de valoriser tout pas réussi vers l’acquisition de compétences parentales. Un éducateur (CJ) relate que même si la maîtrise de nouvelles habiletés tarde : « Ce n’est pas grave, l’apprentissage suit son cours et il faut les soutenir dans ces moments-là aussi. »

Selon la majorité des répondants, une pratique fructueuse auprès des familles exige la présence d’un lien de confiance solide, d’où la nécessité de faire preuve de transparence et d’honnêteté. Une fois ce lien bien établi, il est alors plus facile d’aborder des sujets parfois douloureux, sans craindre de blesser ou d’offenser la fierté des parents. Un infirmier (CSSS) insiste sur le besoin de faire preuve de tact pour préserver le lien avec ces parents qui se sentent souvent menacés de perdre la garde de leur enfant. Il ajoute : « Il faut prendre des gants blancs pour aider ces parents à percevoir les comportements qui peuvent être néfastes sur le développement de l’enfant. »

Facteurs d’influence sur les RS

Il s’avère difficile de cerner les facteurs influençant directement les RS des répondants, ce qui s’explique, entre autres choses, par la nature qualitative et exploratoire de cette étude. Par contre, il est possible de déceler dans leur discours des éléments qui traduisent leur position en lien avec les exigences de l’intervention professionnelle auprès des parents ayant une DI/LI. Ces exigences affectent la pratique et le bien-être psychologique des intervenants et elles ont des retombées sur leurs attitudes à l’endroit de ces parents. Ces exigences référent aux contraintes organisationnelles, à la collaboration avec les partenaires et au positionnement social perçu.

Contraintes organisationnelles

L’expérience de moments d’inconfort dans leur relation avec les instances administratives a été rapportée par certains répondants des établissements publics. Ceux-ci évoquent s’être déjà sentis bousculés dans leur pratique, dû à la contrainte administrative de fermer un dossier ou à la priorisation d’une intervention minimale. Ils perçoivent des attentes irréalistes de leurs supérieurs, ce qui leur met beaucoup de pression. Cette pression ressentie semble susciter deux réactions distinctes. Quelques répondants ont tendance à respecter les directives, alors que d’autres choisissent de s’opposer aux recommandations et d’agir en cohérence avec leurs croyances. De leur point de vue, l’intervention auprès de ces parents, qualifiés de « clients éternels », doit s’inscrire dans une perspective à long terme soit, jusqu’à ce que les enfants aient atteint la majorité. Aussi, certaines périodes de services peuvent être plus intensives que d’autres.

Aux dires des participants, l’accès aux services spécialisés est limité par l’exigence de passer une évaluation qui débouche sur l’attribution d’un diagnostic en matière de DI. Comme conséquence, un nombre très restreint de parents reçoivent des services spécialisés en DI (CRDITED ou programme de première ligne en DI du CSSS). Par ailleurs, ceux qui bénéficient de tels services et qui ont réussi à développer de bonnes compétences adaptatives au cours de leur vie, peuvent se voir restreindre l’accès aux services spécialisés puisqu’ils ne satisfont plus les critères d’admissibilité à ces services, même si leurs besoins sont toujours bien réels. Conséquemment, bien qu’une réévaluation soit suggérée après un certain temps pour dresser un portrait plus juste des forces et des limites cognitives, plusieurs répondants hésitent à proposer cette action. Aussi, quelques informateurs s’indignent du manque de services pour les parents ayant une LI, dont les caractéristiques cognitives et adaptatives se situent aux limites d’un diagnostic de DI. L’intervention auprès de ces « oubliés du système » semble se réaliser souvent à la suite d’une crise, d’une accumulation de problèmes ou d’un signalement en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse. Quatre intervenants d’un CJ estiment se sentir démunis lorsqu’ils doivent effectuer une évaluation ou intervenir dans de telles conditions.

Collaboration avec les partenaires

Différents obstacles liés à la collaboration entre les partenaires sont relevés. D’abord, les modes de collaboration à privilégier demeurent flous, ce qui nuit à la complémentarité des services et à l’orientation des personnes vers les organismes appropriés. Les propos recueillis révèlent une divergence d’opinion entre les intervenants quant à l’organisation qui détient l’expertise et le mandat pour assumer la coordination des services destinés aux parents ayant une DI/LI et à leur famille. Certains d’entre eux considèrent que cette responsabilité devrait revenir aux services généraux à la famille du CSSS alors que d’autres estiment que les services spécialisés en DI sont davantage en mesure d’offrir une intervention adaptée aux besoins de ces parents. À ce sujet, trois intervenants déplorent le manque de reconnaissance de l’expertise professionnelle et l’absence de compréhension du mandat des services spécialisés en DI offerts dans les CSSS. Des intervenants des CRDITED rappellent qu’ils ne détiennent pas l’expertise nécessaire en soutien à la famille et que leur mandat doit être complémentaire à celui du CSSS.

La collaboration avec les partenaires se complexifie lorsque les acteurs détiennent un pouvoir inégal. Par exemple, les interventions réalisées dans le cadre de mesures exigées par un tribunal diffèrent de celles qui s’inscrivent dans un contexte totalement volontaire. En effet, lorsque les parents sont libres d’accepter ou de refuser l’intervention, le lien de confiance se crée plus facilement, car l’approche est centrée sur l’aide, et non sur la surveillance et le contrôle.

Plusieurs intervenants des CRDITED ont l’impression que leurs partenaires du CSSS et du CJ se désinvestissent de leurs rôles face aux parents qui ont une DI/LI. Selon un éducateur : « Ils pensent que lorsque les parents ont un suivi du CRDITED, qu’on est toujours là, 24h sur 24. Ils pensent qu’ils peuvent se tasser parce qu’on est dans le dossier (…). On ne peut pas tout prévenir et tout régler.» De plus, lorsque le développement ou la sécurité de l’enfant est compromis, quelques intervenants de CRDITED semblent ressentir que le blâme leur serait rapidement lancé.

Lorsqu’un signalement est retenu par le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ), des intervenants des CRDITED, des CSSS et des OC s’indignent de ne pas être assez informés et tenus au courant de l’évolution de la situation de leur(s) client(s), en dépit de leur insistance. Ils souhaitent tout de même garder une certaine distance du DPJ, redoutant l’obligation de rapporter éventuellement leurs observations, par crainte d’altérer le lien de confiance développé avec les parents. Ils n’en souhaitent pas moins être informés des actions de la DPJ. Aussi, ces informateurs soulignent un manque de respect et d’adaptation des informations à leur niveau de compréhension. Un intervenant social (OC) mentionne qu’« il n’y a pas assez de suivi offert à leur rythme. Les choses vont plus vite que leur vitesse de compréhension. » De plus, la rapidité et le manque de flexibilité empêcheraient les parents de mettre en place les mesures exigées.

Des intervenants des CSSS, des CRDITED et des OC partagent l’impression que les parents ayant une DI/LI, sont jugés plus sévèrement que les autres lorsqu’ils se retrouvent devant le DPJ. Ils estiment que le retrait des enfants est souvent trop rapide et que les actions sont souvent davantage posées en fonction du diagnostic du parent que de la réponse aux besoins de l’enfant. Une éducatrice (CRDITED) rapporte : « L’enfant n’était pas battu, il était nourri. Pas nécessairement adéquatement, mais il était nourri. Alors, pourquoi le signalement retenu, parfois, c’est vraiment à se questionner. »

Par ailleurs, un manque de reconnaissance de leur rôle est mentionné par tous les intervenants des OC. Ils indiquent des lacunes quant à l’accès à l’information, sous prétexte de confidentialité. Ils se sentent mis à l’écart de l’offre de services même s’ils occupent une place significative dans la vie des familles.

Perception d’attitudes négatives de la société

Tous les intervenants perçoivent des attitudes fortement défavorables à l’exercice de la parentalité des personnes ayant une DI/LI au sein de la société québécoise. Selon un TS (CSSS), plusieurs citoyens croient « Que ça n’a pas d’allure que de donner des services à long terme à cette population.  Ils sont souvent perçus tels des grugeurs de services» pour qui les autres devront toujours payer. Un autre TS (CSSS) juge que la société : « N’est pas rendue à une acceptation du droit parental puisque même au niveau de l’intégration sociale, ce n’est pas assez développé. » Certains perçoivent une contradiction entre le discours et les actions face aux personnes ayant une DI/LI, soit : «La société leur dit : vous voulez être intégrés, soyez-le! Mais sans mettre les services nécessaires et sans offrir les informations vulgarisées afin qu’ils s’y intègrent bien. » L’attitude de la société se reflète également dans les réticences et le manque d’ouverture des parents confrontés au désir de parentalité de leur enfant présentant une DI/LI. Ceux-ci s’opposeraient souvent à l’option de favoriser leur accompagnement vers un choix libre et éclairé, ce qui complexifierait le travail de certains répondants. Somme toute, les entretiens indiquent que les RS de la parentalité des personnes ayant une DI/LI entretenues par les concitoyens québécois sont soit teintées de préjugés, soit marquées par une forte réticence. Ceci représente un obstacle à l’actualisation d’une approche communautaire des intervenants et à une participation sociale active de ces parents.

Discussion

Cette étude exploratoire québécoise a permis de rendre compte d’éléments constitutifs des RS d’intervenants à l’égard de la parentalité vécue par les personnes ayant une DI/LI, un phénomène peu exploré, mais d’une grande importance clinique et sociale. En effet, il importe de se questionner sur de telles RS en raison de leur rôle dans la dynamique des relations sociales et dans les pratiques professionnelles (Abric, 1994; 2009).

L’interprétation des résultats de cette étude ne peut se faire sans d’abord en situer les limites. À cet égard, il convient d’abord de rappeler que les participants ont été sélectionnés par leur supérieur immédiat avant de consentir à participer à ce projet. Conséquemment, il s’avère plus ardu de déterminer si les propos recueillis sont représentatifs du discours qui circule dans la population visée. De plus, le biais de désirabilité sociale peut avoir influencé les propos collectés. Bien que la parentalité des personnes ayant une DI/LI soit de plus en plus répandue, elle fait toujours l’objet de tabous et suscite encore aujourd’hui des craintes, des angoisses et des bouleversements (Aunos et Feldman, 2002; Coppin, 2001). Ainsi, il est possible que certains participants aient tracé un portrait de leur réalité en abordant davantage ce qu’ils souhaitent plutôt que ce qu’ils vivent réellement.

En ce qui a trait à l’analyse des données, celle-ci comporte une part de subjectivité qui, selon Mayer et Deslauriers (2000), concerne surtout les inférences réalisées à partir du discours. Bien que cette subjectivité représente une source potentielle de biais, une attention particulière a été portée à l’objectivation ou à la précision dans la description du réel (Pires, 1997). Par souci d’objectivité et de cohérence interne, deux universitaires ont supervisé toutes les étapes du projet, et plus particulièrement celle de la catégorisation.

Synthèse des résultats

Malgré ces limites, la présente recherche fournit des indications pertinentes sur les RS de la parentalité chez les personnes ayant une DI/LI. L’attitude générale des participants semble plutôt favorable vis-à-vis cette parentalité même s’ils s’interrogent sur le soutien professionnel qui peut être apporté à ces parents. La majorité des répondants consultés doutent détenir les compétences professionnelles nécessaires à une pratique satisfaisante et efficace auprès des parents présentant une DI/LI, ce qui émerge également d’écrits récents (Llewellyn, Traustadóttir, McConnell et Sigurjónsdóttir, 2010; McConnell, 2008). Des répondants des CJ relèvent qu’il leur est difficile d’évaluer efficacement la situation de ces clients lorsqu’ils sont inconnus du système de services. Ils se disent dépourvus d’outils d’évaluation et de stratégies d’intervention basées sur des données probantes, un constat qui rejoint celui de plusieurs experts dans le domaine (Booth et Booth, 1993; McConnell, Llewellyn, Aunos et Prasad, 2011a; 2011b; Tymchuk, 2001). Dans l’étude de LaLiberte (2013), 86,6% des professionnels en protection de l’enfance interrogés se reconnaissent des besoins de formation spécifiques. Plusieurs souhaitent développer leur aptitude à adapter leurs activités d’intervention aux besoins des parents et à ajuster leurs modes de communication. Selon Starke (2011), l’absence d’instance organisationnelle ou d’autorité apte à assumer l’éducation et le développement d’approches d’intervention adaptées pourrait justifier le sentiment d’incertitude, la perception de connaissances insuffisantes et l’impression de ne pas avoir les bons outils exprimés par plusieurs intervenants. MacLean et Aunos (2010) remarquent qu’au Québec, aucun programme spécialisé de soutien aux parents présentant une DI n’a été développé avant 2005, et que les développements en ce sens demeurent toujours limités à ce jour. Pourtant, il est maintenant possible de s’appuyer sur une masse critique de recherches portant sur les meilleures pratiques auprès de ces parents et de leur famille (Aunos et al., 2010). Néanmoins, il semble qu’il demeure toujours difficile de traduire les savoirs disponibles en pratiques efficaces (Wade et al., 2008).

En somme, la pratique auprès de telles familles peut s’avérer fortement énergivore et susciter un stress important chez les intervenants (Clayton et al., 2008). Un haut niveau de stress peut susciter des comportements similaires à ceux découlant de l’épuisement professionnel, tels que l’absentéisme ou la mobilité professionnelle, qui ont des répercussions négatives sur l’offre de services (Hatton et Emerson, 1993; Rose, 1995). Les intervenants vivant avec un haut niveau de stress interagissent moins fréquemment et de manière moins positive avec leurs clients (Lawson et O’Brien, 1994; Rose, Jones et Fletcher, 1998a, 1998b). Selon Maslach et Pines (1977), ceux qui sont affectées par l’épuisement professionnel ont davantage tendance à adopter des comportements témoignant d’un manque d’empathie, de respect et de sentiments positifs.

Dans la présente recherche, la majorité des professionnels consultés ont rapporté ressentir l’obligation morale de dépasser les limites de leur mandat dans l’intervention auprès des familles, se disant souvent les seuls professionnels impliqués. Des chercheurs relèvent que plusieurs parents ayant une DI/LI vivent isolés et en marge de la société (LLewellyn, McConnell, Cant et Westbrook, 1999). Conséquemment, certains en viennent à développer de fausses attentes à l’endroit des professionnels des services publics pour du soutien psychosocial et amical. Conséquemment, plusieurs professionnels en viennent à assumer différents rôles qui auraient pu être assumés par une mère, un ami ou un voisin (McConnell et al., 1997).

Un tel investissement les place dans une situation inconfortable lorsqu’ils perçoivent une insistance à fermer un dossier de la part des autorités supérieures ou à prioriser une intervention minimale. Cette exigence, qui peut rendre l’actualisation de stratégies créatives plus ardue (Aunos et Pacheco, 2013), peut s’expliquer par les coupures budgétaires, la réduction des effectifs, les fusions d’établissements et les réorganisations de tout genre qui ont affecté l’offre de services sociaux au cours des dix dernières années (Arcand et Brissette, 2012).

Une autre contrainte à l’actualisation des pratiques est l’ambiguïté entourant les mandats des partenaires impliqués dans l’offre de services aux parents et à leur famille. Cette ambigüité peut entraver la performance, atténuer la motivation, générer un sentiment d’insatisfaction au travail et rendre la prise de décision plus difficile (Truchot, 2004). Une collaboration interprofessionnelle et interorganisationnelle efficiente est pourtant perçue tel un facteur important de la préservation de la famille (Booth, Booth et McConnell, 2005a; 2005b; McConnell, 2008; Spath, Werrbach et Pine, 2008).

Le partenariat devrait miser sur le rôle fondamental des OC dans le déploiement de l’approche communautaire préconisée par les CSSS et les CRDITED (MSSS, 2006). Toutefois, les informateurs des OC ont rapporté percevoir des messages contradictoires de la part de leurs partenaires du réseau public. S’ils sont officiellement reconnus comme des agents actifs impliqués dans l’intégration et la participation sociales des familles, ils se sentent mis à l’écart du partage d’information et du travail d’équipe. Somme toute, plusieurs facteurs sont à considérer dans une compréhension juste du des RS de la parentalité des personnes présentant une DI/LI.

Recommandations à l’intention des services

Cette étude met en lumière l’importance des RS des professionnels sur la nature des leurs interventions et, conséquemment, sur l’offre de services destinée à ces parents et à leur famille. Puisque ces représentations sont liées à leur expérience, l’examen des préoccupations relatives à leurs conditions de pratique suggère certaines recommandations.

Werner et Grayzman (2011) proposent aux facultés universitaires d’intégrer à leurs programmes des activités de formation visant la transmission de savoirs au sujet de la DI, la promotion de contacts positifs avec ces personnes et la réduction de la crainte liée à la pratique auprès de cette population. Aussi, pour répondre aux besoins de formation et de soutien exprimés par les intervenants, la manière de transmettre les connaissances pourrait s’inspirer des façons de faire déployées en Australie (Bennets, Thackeray, Wade, Mitchell, Brown, Clayton, Hindmarch, 2011). Dans ce pays, des établissements publics utilisent des portails virtuels où il est possible de visionner des conférences ou de participer à des forums de discussion. Cette avenue économique et accessible peut également être utilisée pour soutenir la prise de décisions des intervenants lorsqu’ils rencontrent des dilemmes propres à cette pratique singulière (Jöreskog et Starke, 2013) ou à des situations ambigües et complexes (Brodeur et Berteau, 2008).

De plus, il serait approprié de confier les dossiers de ces parents et de leur famille aux mêmes professionnels au sein d’un même établissement, puisque l’expérience peut leur permettre de gagner plus d’assurance et de peaufiner leurs techniques. Aunos (2000) remarque qu’il est primordial que ceux-ci aient un nombre restreint de clients. Selon MacLean et Aunos (2013), les ressources nécessaires doivent être investies afin que les parents et leurs enfants cessent d’être marginalisés et que leur potentiel de parents soit optimisé. Cet objectif suppose de soutenir efficacement le transfert des connaissances issues de la recherche et de s’inspirer de solutions créatives, économiques et dont l’efficacité a été démontrée.

En matière de pratiques collaboratives, les intervenants doivent pouvoir se référer à une entente de complémentarité des services spécifique à l’intervention auprès de ces familles, qui mise sur le partenariat, l’accessibilité, la coordination et la continuité. Une telle entente doit définir avec précision les rôles des différentes professions et les mandats des établissements impliqués, incluant les OC et les écoles (Tarleton et Porter, 2012; Tarleton, Ward et Howarth, 2006). Établir une entente faisant état de lignes directrices claires favoriserait la création d’une offre plus cohérente de services, ce qui fait bien souvent une différence significative dans le bien-être de telles familles (Desmet, 2005). Il serait également pertinent d’offrir une formation à la collaboration interprofessionnelle aux partenaires impliqués dans l’intervention auprès de ces familles vulnérables, ce que recommandent aussi Spath et collaborateurs (2008).

Finalement, les efforts de sensibilisation et d’éducation doivent se multiplier au sein de la population générale, afin de s’attaquer plus efficacement aux préjugés associés à la DI/LI. Une telle sensibilisation pourrait susciter des remises en question à la base d’une transformation en profondeur des RS à leur endroit (Ditchman, Werner, Kosyluk, Jones, Elg, Corrigan, 2013; Walker et Scior, 2013) ce qui apparaît nécessaire à leur exercice d’une véritable participation sociale.

Conclusion

Cette étude originale visait l’exploration des RS de la parentalité des personnes ayant une DI/LI chez des intervenants québécois. Les résultats semblent indiquer la présence de représentations plutôt positives à l’égard de cette parentalité singulière, lesquelles sont toutefois sous l’influence de facteurs propres à leur expérience professionnelle.Dans la perspective de mieux circonscrire ce sujet, il serait intéressant d’examiner les RS auprès d’un échantillon plus important d’intervenants. Il serait pertinent d’utiliser un devis de recherche mixte, qui pourrait permettre d’établir des relations significatives entre les opinions, les attitudes, les croyances et différents aspects personnels et professionnels propres aux cliniciens (p.ex. : le sexe, le fait d’être parent ou pas, la profession, le nombre d’années d’expérience ou le fait d’avoir côtoyé des personnes dans leur histoire de vie). L’inclusion des gestionnaires responsables de la coordination des services en parentalité et des parents directement concernés devrait aussi être considérée.

Finalement, il importe d’amorcer une réflexion sur les valeurs de la société québécoise et sur les facteurs pouvant orienter le regard porté sur les parents ayant une DI/LI. Indirectement, cette étude interpelle les instances concernées à faire preuve de créativité dans l’offre de formation continue aux intervenants, et d’initiative dans le développement d’une entente claire aux fondements d’un meilleur arrimage des pratiques.