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1. Introduction et problématique

Chaque année, environ 25 % des nouveaux collégiens abandonnent ou échouent à leur premier cours de français (Direction de l’enseignement collégial, 2008). Cette situation est problématique, puisqu’au Québec, la maîtrise du français écrit est essentielle à l’obtention du diplôme d’études collégiales. En effet, tous les collégiens doivent réussir l’épreuve uniforme de français au terme de leur programme d’études pour obtenir ce diplôme (ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, 2003). Ainsi, le problème lié à la maîtrise du français écrit entraîne des conséquences socioéconomiques, telles que la pénurie de main-d’oeuvre dans le secteur technique (Emploi-Québec, 2008), ainsi qu’à des conséquences psychologiques ; en effet, des difficultés scolaires en français semblent affecter le concept de soi de l’étudiant, son sentiment de compétence et ses perceptions de contrôle (Chouinard, Plouffe et Roy, 2004 ; Maltais et Herry, 1997). Il apparait donc pertinent d’élaborer et d’évaluer une stratégie d’intervention visant à réduire ce problème auprès d’un groupe d’étudiants directement concernés par des difficultés liées à la maîtrise de la langue écrite. Une telle démarche a été entreprise auprès d’un groupe d’étudiants inscrits au cours de mise à niveau en français, dont la compétence visée est de répondre aux exigences d’entrée en lecture et en écriture au collégial (ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, 2011).

Une des causes possibles à l’origine du problème pourrait être le manque d’intérêt des étudiants pour leurs cours de français à la suite de difficultés répétées dans le passé. En effet, les liens entre l’intérêt, l’engagement et la réussite scolaire sont reconnus dans les écrits spécialisés (Ainley, Corrigan et Richardson, 2005 ; Harackiewicz, Durik, Barron, Linnenbrink-Garcia, Durik, Conley, Barron, Tauer, Karabenick, et Harackiewich, 2008 ; Hidi, 2006 ; McDaniel, Waddill, Finstad et Bourg, 2000). Toutefois, aucune expérimentation visant à stimuler l’intérêt des collégiens pour le cours de mise à niveau en français n’y est rapportée.

Pour stimuler l’intérêt des étudiants envers leur cours de mise à niveau en français, les auteurs de la présente étude ont mis sur pied une intervention misant sur une stratégie pédagogique d’interdisciplinarité, inspirée des écrits de Lattuca et ses collaborateurs (Lattuca, 2001 ; Lattuca, Voigt et Fath, 2004). Dans la foulée de leurs travaux sur l’interdisciplinarité en éducation, ces auteurs proposent que soient menées des études faisant état de la planification de cours interdisciplinaires et examinant les impacts de tels cours, faisant le pari que la motivation scolaire des étudiants en serait gagnante. Conséquemment, la question à la base de la présente étude est la suivante : Quel sera l’impact d’une intervention pédagogique misant sur l’interdisciplinarité, entre un cours de mise à niveau en français et un cours de psychologie de la sexualité, sur l’intérêt, la perception d’utilité, l’engagement et le rendement des collégiens dans le cours de mise à niveau en français ?

2. Contexte théorique

La motivation est un concept hypothétique large qui porte l’individu à s’engager dans une activité (Ainley, 2012 ; Schiefele, 1999) et dont les sources sont multiples (Viau, 2009). L’intérêt et l’utilité sont des sources possibles de motivation (Schiefele, 2009 ; Viau, 2009).

2.1 L’intérêt

Les écrits spécialisés sur le concept d’intérêt scolaire distingue deux types d’intérêt : l’intérêt situationnel et l’intérêt personnel (Hidi, 2006 ; Schiefele, 2009). L’intérêt situationnel est un état temporaire stimulé par l’environnement. Il est associé à une meilleure attention et concentration, mais demeure éphémère. Il dépend de certaines caractéristiques spécifiques d’une situation dans l’environnement comme son caractère surprenant, concret et cohérent (Schraw et Lehman, 2001). De son côté, l’intérêt personnel est un état stable qui dépend des préférences de l’individu. Il mène à un meilleur engagement et à un apprentissage plus efficace relatif à l’objet d’intérêt (Renninger, 2000). Par ailleurs, certains auteurs reconnaissent que deux composantes forment l’intérêt : une composante cognitive et une composante affective (Ainley, 2006 ; Hidi, 2006). Selon ces derniers, des affects positifs, une meilleure attention et le désir d’apprendre formeraient tant l’intérêt situationnel que l’intérêt personnel.

Hidi et Renninger (2006 ; Renninger et Riley, 2013) ont élaboré un modèle en quatre phases du développement de l’intérêt. Dans ce modèle, le développement d’un intérêt situationnel précède le développement d’un intérêt personnel. Une situation doit donc d’abord susciter (phase 1), puis maintenir (phase 2) l’intérêt de la personne pour qu’un intérêt personnel émerge (phase 3) et s’approfondisse (phase 4). De plus, les deux composantes de base précisées plus haut sont impliquées dans chacune des quatre phases du modèle, et évoluent de façon continue ; la composante affective est perçue dès le déclenchement de l’intérêt situationnel ; en effet, plus l’intérêt se développe, plus la composante cognitive y occupe une place importante. Pour illustrer en quantifiant, on pourrait dire que les cognitions occupent une proportion de plus en plus grande dans la recette émotions/cognitions de l’intérêt personnel, à mesure que celui-ci se développe et s’approfondit.

Ce modèle de développement de l’intérêt semble transférable dans la réalité scolaire. En effet, on peut croire que des activités d’apprentissage réalisées lors du cours de mise à niveau en français, planifiées de pair avec les contenus étudiés dans le cours de Psychologie de la sexualité, de façon à susciter des émotions positives et de l’attention, pourraient rencontrer les caractéristiques de l’intérêt situationnel telles que le fait de s’identifier ou de se sentir concerné par l’objet d’intérêt, ou le caractère inattendu, surprenant et concret d’une situation (par exemple, une situation d’apprentissage faite dans le cours de mise à niveau en français, impliquant la lecture de textes qui traitent de sexualité). Toujours suivant ce modèle, si ces situations d’apprentissage ponctuelles (stade 1) étaient vécues à plusieurs reprises au cours du semestre dans le cours de mise à niveau en français, on peut croire que le nouvel intérêt se stabiliserait et qu’il y aurait maintien de l’intérêt situationnel (stade 2) ressenti pour le cours de mise à niveau en français. Dans cette éventualité, on pourrait s’attendre à l’approfondissement de cet état en intérêt personnel pour la langue française.

2.2 L’utilité

Le modèle théorique des attentes et de la valeur d’Eccles et de ses collaborateurs (Eccles, Tonks et Lutz Klauda, 2009 ; Eccles et Wigfield, 2002) permet de bien circonscrire l’utilité perçue d’une tâche dans la dynamique motivationnelle d’un étudiant. En effet, selon ces auteurs, la valeur qu’une tâche représente pour l’étudiant contribue à sa motivation à s’y engager et à sa performance à la réaliser. Leur théorie distingue quatre types de valeur, dont la valeur utilitaire (utility value), qui réfère au caractère utile d’une tâche dans l’atteinte des objectifs visés par la personne.

Hulleman, Godes, Hendricks et Harackiewicz (2010) ont élaboré une intervention visant à stimuler la valeur utilitaire dans l’optique d’en explorer l’effet potentiel sur l’intérêt. Cette dernière étude a été conduite auprès de 237 étudiants universitaires inscrits à un cours de psychologie. L’intervention consistait en la rédaction, par les étudiants du groupe expérimental, d’un court texte décrivant à quel point les sujets étudiés dans leur cours de psychologie pourraient leur être utiles dans la vie. Quant aux étudiants du groupe témoin, ils devaient écrire un résumé ou chercher de la documentation à propos d’un des sujets traités dans le cours. Les résultats mettent en évidence un niveau d’utilité attribuée au cours de psychologie plus élevé pour les étudiants du groupe expérimental et un plus grand intérêt situationnel pour les apprentissages réalisés en psychologie durant le semestre (surtout chez les étudiants ayant un historique de pauvres performances). De plus, les analyses ont révélé un effet médiateur de l’utilité perçue sur le lien d’impact entre l’intervention et l’intérêt. Enfin, le score de valeur utilitaire plus élevé des étudiants du groupe expérimental a permis de prédire positivement leurs résultats finaux au cours de psychologie (performance). Les liens ainsi rapportés entre la valeur utilitaire et l’intérêt ont justifié le fait que nous prévoyions explorer, dans la présente étude, l’influence possible de l’intervention sur la valeur utilitaire en plus de l’intérêt. D’autant plus que ces deux concepts semblent être des bénéfices particulièrement importants pour les étudiants éprouvant des difficultés à réussir (Hulleman et al., 2010 ; Hulleman et Harackiewicz, 2009).

2.3 L’engagement

L’engagement est considéré comme un indicateur de la motivation (Tardif, 1992). Généralement, les écrits spécialisés distinguent l’engagement comportemental de l’engagement cognitif (Appleton, Christenson et Furlong, 2008 ; Fredricks, Blumenfeld et Paris, 2004). L’engagement comportemental fait référence à une participation ou à un investissement observable. On peut observer différents niveaux qualitatifs de l’engagement comportemental, allant du simple fait de suivre minimalement les consignes émises par le professeur jusqu’à la participation élaborée de l’étudiant et de sa propre initiative envers différentes tâches scolaires (Fredricks et al., 2004). Dans leur revue conceptuelle et méthodologique du concept d’engagement, Appleton et ses collaborateurs (2008) rapportent des études établissant le lien entre l’engagement comportemental et la réussite scolaire. Par exemple, ils y rapportent les travaux de Finn, qui a examiné les données de 5945 étudiants à risque de la National educational longitudinal survey de 1988. Cet auteur conclut que les étudiants qui réussissent se distinguent de ceux qui échouent par des comportements tels qu’assister aux cours, arriver à l’heure, être préparé aux cours, participer aux activités de la classe et faire ses devoirs à la maison (Appleton, Christenson et Furlong, 2008). De plus, ces derniers auteurs soulignent l’importance de la composante comportementale de l’engagement en affirmant que les étudiants identifiés, en début de parcours, comme à risque d’échouer se distinguent, durant leur parcours, selon leur participation dans les tâches scolaires.

L’engagement cognitif est lié aux buts motivationnels et à l’autodétermination dans l’apprentissage. Fredricks et al. (2004) rapportent que ce type d’engagement dépend de l’investissement intellectuel que la personne porte à la tâche ; par exemple, l’empressement à faire l’effort nécessaire pour comprendre ou effectuer une tâche difficile. Chez certains étudiants très engagés cognitivement, on peut observer une préférence pour les défis, un désir d’aller plus loin que ce qui est demandé par le professeur et une capacité à faire face aux difficultés de façon constructive. Être engagé cognitivement, c’est être stratégique et autorégulé. En effet, ces étudiants utiliseraient des stratégies de métacognition pour planifier, surveiller et évaluer leurs façons de faire lors de l’accomplissement de tâches scolaires (Barbeau, Montini et Roy, 1997).

2.4 Liens entre l’intérêt, l’engagement et le rendement

Ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, l’intérêt est considéré comme une prédisposition à se réengager dans certaines activités (Ainley, 2012 ; Hidi, 2006). Dans une étude d’Ainley, Corrigan et Richardson (2005), on mesurait l’intérêt immédiat durant une activité d’apprentissage par un système informatique interactif permettant à chaque étudiant d’autoévaluer son intérêt immédiat pour la tâche à différents moments durant l’activité. Par cette étude, on a montré que l’intérêt personnel permettait de bien prédire les réactions immédiates des étudiants au titre d’un texte (Ainley, Corrigan et Richardson, 2005). Toutefois, on a aussi observé que cette réaction change selon les changements du contenu du texte à lire, même après seulement de très courts extraits. Lorsque, durant la lecture, le lecteur se sent assez intensément intéressé, il choisit de poursuivre sa lecture. Toutefois, lorsqu’il se sent moins intéressé, il choisit de cesser sa lecture (Ainley, Corrigan et Richardson, 2005). Les conclusions de cette étude sont appréciables, bien que modestes, et permettent de conclure que l’intérêt joue un rôle dans le réengagement dans une tâche de lecture. Ainley (2006) en retient que, pour que l’intérêt soutienne l’apprentissage, il doit être maintenu durant la tâche.

Harackiewicz et ses collaborateurs (2008) ont mené une étude dont l’un des objectifs était d’examiner l’évolution de l’intérêt pour un cours de psychologie, puis pour le domaine de la psychologie. L’étude s’est déroulée avec la participation de 858 étudiants nouvellement admis à l’université lors d’un cours d’introduction à la psychologie. Durant la première semaine du semestre, l’équipe de chercheurs a pris une mesure d’intérêt initial pour la psychologie (temps 1) ; durant la 3e semaine (temps 2) et deux semaines avant la fin du semestre (temps 3). Ils ont pris, entre autres, une mesure de l’intérêt situationnel pour le cours ; après la fin du semestre, on a obtenu les résultats finaux pour le cours ainsi que le résultat global du semestre (temps 4). Enfin, sept semestres plus tard, ils ont obtenu les moyennes générales des étudiants ainsi que leurs choix de cours durant leur programme, vérifié s’ils avaient opté pour d’autres cours de psychologie et s’ils avaient choisi de faire une majeure en psychologie (temps 5). L’analyse des régressions indique que les étudiants ayant un intérêt initial élevé pour la psychologie au temps 1 ont eu plus tendance à rapporter un intérêt situationnel élevé au temps 2, à révéler un bon intérêt pour le cours au temps 3 et à montrer un intérêt maintenu pour les cours de psychologie au cours des semestres suivants. Les auteurs ont conclu que l’intérêt maintenu pour un cours de psychologie permettait de prédire le réengagement dans des cours de psychologie, puis la performance scolaire.

Knoerr (2000) a examiné l’utilisation d’un logiciel dans l’apprentissage pratique des intonations de la prononciation en français langue seconde (apprentissages de type linguistique) chez 27 étudiants âgés d’environ 20 ans. Les résultats rapportés par l’auteure indiquent un taux de satisfaction (dont la mesure incluait des questions sur l’intérêt ressenti et l’utilité perçue) très élevé des étudiants envers l’utilisation du logiciel pour apprendre. De plus, les résultats révèlent que les étudiants ont passé plus de temps en pratique individuelle que le minimum exigé par semaine (p. 135), ce qui témoigne de leur engagement comportemental. Enfin, les étudiants qui se sont le plus entraînés ont fait plus de progrès. Cette étude apporte donc une contribution supplémentaire aux liens établis entre la motivation, l’engagement et le rendement.

Les résultats de l’étude d’Ainley et de ses collègues (2002) sont un autre exemple permettant de croire au rôle médiateur de l’engagement dans le lien entre l’intérêt et le rendement. En effet, l’intérêt pour un texte a permis de prédire la persistance dans la tâche de lecture qui, à son tour, a permis de prédire le résultat à un test de rappel. De plus, Rotgans et Schmidt (2011) ont conduit une étude, auprès de 69 étudiants dont l’âge moyen était de 20 ans, dans le but de comprendre comment l’intérêt situationnel est lié à l’apprentissage dans un contexte scolaire réel. Ils ont conclu que pour mieux prédire l’apprentissage, l’intérêt de l’étudiant doit s’observer dans ses comportements d’engagement durant l’apprentissage. Toutes ces études justifient qu’un rôle de médiation de l’engagement entre l’intérêt et le rendement doive continuer d’être exploré.

Le modèle bien connu de la dynamique motivationnelle de Viau (1999, 2009) appuie aussi les liens entre l’intérêt (et autres sources motivationnelles comme l’utilité), l’engagement et l’apprentissage. Par ailleurs, durant ses travaux sur l’apprentissage du français, Viau a dégagé dix conditions à remplir pour motiver les étudiants par les activités d’apprentissage qui leur sont proposées. La première : l’activité doit être signifiante aux yeux de l’élève. Une activité est signifiante pour un élève dans la mesure où elle correspond à ses champs d’intérêt, s’harmonise avec ses projets personnels et répond à ses préoccupations… Ainsi, plus une activité est signifiante, plus l’élève la juge intéressante et utile (Viau, 2000, p. 2). Une autre condition : avoir un caractère interdisciplinaire. Viau (2000) explique que les activités d’apprentissage qui se déroulent dans les cours de français devraient être liées à d’autres domaines d’études et que les activités qui se déroulent dans les autres cours devraient prendre le français en considération.

2.5 L’interdisciplinarité : un moyen de susciter et de soutenir l’intérêt

En 2001, Lattuca a publié un ouvrage dans lequel elle rapporte l’élaboration d’une typologie du concept d’interdisciplinarité appliqué à un cours (par opposition à l’interdisciplinarité dans un programme d’études). Cette typologie implique quatre formes distinctes d’interdisciplinarité dont les disciplines informées. Dans ce type d’interdisciplinarité, le professeur concentre son enseignement sur sa principale discipline, mais il peut utiliser des connaissances ou faire des liens avec une autre discipline pour illustrer un propos (Lattuca, 2001). Par exemple, enseigner la notion de stress humain en psychologie en se servant de l’exemple de la crise d’octobre étudiée en politique ou du krach économique de 1929 étudié par les étudiants de sciences humaines.

Lattuca, Voigt et Fath (2004) discutent aussi du potentiel motivationnel de l’interdisciplinarité dans les processus d’apprentissage des étudiants. Elles rappellent la distinction entre l’intérêt situationnel et l’intérêt personnel et soulignent que, dans un enseignement interdisciplinaire, les occasions d’interpeller différents types d’intérêts sont faciles, puisque les objets d’apprentissage sont vus de différentes manières. Bref, les auteures supposent que les cours interdisciplinaires sont une bonne chose pour les étudiants parce qu’ils les motivent en stimulant leur intérêt.

Néanmoins, aucune étude visant à stimuler l’intérêt envers le cours collégial de mise à niveau en français n’a été conduite, de façon rigoureuse, en contexte réel. Étant donné la problématique visée par cette étude et l’ensemble des connaissances acquises grâce aux écrits spécialisés sur le sujet, l’objectif spécifique est d’évaluer l’incidence d’un enseignement interdisciplinaire mixte sur l’intérêt de collégiens inscrits à un cours de mise à niveau en français, leur engagement dans ce cours ainsi que leur rendement en orthographe. Il s’agira donc de 1) comparer un groupe expérimental à un groupe témoin sur les deux types d’intérêt (situationnel et personnel) en français ; 2) comparer les deux groupes sur l’engagement comportemental et l’engagement cognitif dans l’apprentissage du français ; 3) comparer les deux groupes sur l’évolution de la compétence en orthographe.

3. Méthodologie

La présente étude a consisté en un suivi longitudinal adoptant une approche quantitative. Cette approche a été privilégiée parce que les intentions premières étaient de mettre l’accent sur l’expérience de plusieurs individus, mesurée objectivement. Plus spécifiquement, la méthode quasi-expérimentale, avec condition témoin et procédure analytique pré-test / post-test, a été utilisée, permettant ainsi une comparaison entre ces deux groupes ainsi qu’une comparaison entre les temps de mesure pour chaque groupe.

3.1 Sujets

L’échantillon à l’étude est composé de 106 jeunes adultes (56 filles et 50 garçons) dont l’âge moyen est de 18,46 ans (= 2,20), inscrits à un cours collégial de mise à niveau en français dans des groupes-classes composés d’une trentaine d’étudiants, à l’automne 2008, à l’automne 2009 ou à l’automne 2010. Ces étudiants proviennent de programmes dits d’accueil, c’est-à-dire qu’ils ont eu des difficultés au secondaire (par exemple, ils n’ont pas réussi les cours de mathématiques préalables aux programmes qu’ils visent) les ayant contraints de s’inscrire à une session d’accueil. Celle-ci mène à la possibilité de s’inscrire par la suite dans un programme régulier du collège. Cet échantillon est divisé en deux groupes : le groupe expérimental formé de 27 étudiants exposés à une pédagogie interdisciplinaire et le groupe témoin formé de 79 étudiants n’ayant pas été exposés à une telle pédagogie. Ces deux groupes (chacun ne représentant pas un groupe-classe, mais bien un regroupement d’étudiants qui ont suivi leur cours de mise à niveau en français entre 2008 et 2010) sont équivalents en ce qui concerne l’âge, le résultat obtenu en français en 5e secondaire et le fait qu’il s’agit de leur première inscription au cours de mise à niveau en français. Cependant, les deux sexes sont également représentés dans le groupe témoin, alors qu’il y a deux fois plus de filles que de garçons dans le groupe expérimental. Cela est dû au taux d’inscription, plus élevé chez les filles, au cours de Psychologie de la sexualité, condition d’inclusion dans le groupe expérimental.

3.2 Mesures

Des renseignements factuels ont été recueillis de tous les étudiants participant à cette étude tels que le sexe, l’âge ou le cheminement scolaire. Ces données permettent de vérifier la similarité des groupes, et elles renseignent sur le profil général des participants.

Échelle d’intérêt situationnel pour les cours de français en général : cette échelle est composée de quatre items (par exemple, j’aime les cours de français) de type Likert en sept points, allant de 1 (pas du tout en accord) à 7 (totalement en accord), qui proviennent des travaux de Corbière et al. (2006). Elle mesure l’intérêt que les étudiants ressentent envers les cours de français en général. L’indice de fidélité de l’échelle, mesuré par l’alpha de Cronbach (α), est de 0,89 pour l’échantillon ayant servi à la vérification de la validité factorielle des instruments utilisés au cours de la présente étude. La procédure et les résultats de la validation ainsi que l’ensemble des items de tous les instruments sont détaillés dans Cabot, 2012.

L’intérêt situationnel pour le cours de mise à niveau en français : cette échelle est composée de quatre items (par exemple, J’ai trouvé ce cours intéressant) de type Likert, également en sept points, et proviennent des travaux d’Harackiewicz et al. (2008). Elle mesure l’intérêt situationnel spécifique au cours de mise à niveau en français de l’expérimentation. L’indice de fidélité de l’échelle, α, est de 0,92.

L’intérêt personnel envers la langue française : cette échelle est composée de cinq items (par exemple, La langue française me fascine) de type Likert en sept points et proviennent aussi des travaux d’Harackiewicz et al. (2008). Son indice de fidélité, α, est de 0,93.

La valeur utilitaire attribuée à l’apprentissage du français (les attentes) : cette échelle est composée de trois items (Pour mon avenir, il est utile d’étudier le français) de type Likert en sept points. Deux items proviennent des travaux d’Harackiewicz et al. (2008) et le troisième provient des travaux de Corbière et al. (2006). L’échelle mesure l’utilité, attribuée par les étudiants à l’apprentissage du français, exprimée en début de semestre en termes d’attentes relatives au cours de mise à niveau en français. Son indice de fidélité, α, est de 0,80.

La valeur utilitaire attribuée à l’apprentissage du français (en mise à niveau en français). Cette échelle est composée de trois items (Ce qu’on a appris dans ce cours de français ne me sera pas très utile – item inversé) de type Likert en sept points, inspirés de ceux de l’échelle décrite dans le paragraphe précédent. Deux des trois items ont été reformulés au passé, de manière à concorder avec le contexte post-test de la mesure. Par exemple, l’item Je crois que ce qu’on va étudier dans ce cours de français sera important pour moi a été reformulé comme suit : Ce qu’on a étudié dans ce cours de français est important pour moi. Son indice de fidélité, α, est de 0,77.

Engagement comportemental. Cette échelle est composée de 4 sous-échelles, totalisant 12 items (par exemple, participer à une discussion de groupe en classe) provenant du Questionnaire sur l’engagement étudiant de Bélanger, Bessette, Grenier, Lemire, et Giard, (2005). Ce sont des items de type Likert en six points allant de 1 (jamais) à 6 (à tous les cours). Les quatre sous-échelles mesurent les quatre sous-concepts d’engagement comportemental suivants : interagir avec le professeur (α = 0,83), interagir avec d’autres étudiants (α = 0,83), utiliser des outils de référence (α = 0,75), prendre la parole en classe (α = 0,80).

Engagement cognitif : cette échelle est composée de 2 sous-échelles, totalisant 11 items (par exemple, Vous demander la cause de vos succès et de vos échecs) de type Likert, également en six points, dont 5 proviennent du Questionnaire sur l’engagement étudiant de Bélanger, et al. (2005). Ils représentent le degré auquel les étudiants sont enclins à s’autoévaluer dans leurs tâches de français (α = 0,83). Les 6 autres items proviennent du test mesurant les sources et les indicateurs de la motivation scolaire (TSIMS) de Barbeau (1994) et mentionnent des stratégies cognitives et métacognitives utilisées par les étudiants durant leur étude du français (α = 0,80).

Tous les participants ont fait une dictée de 226 mots avant et après l’intervention. Toutes les copies ont été corrigées par le même enseignant. Cette dictée a permis de dépister le nombre de fautes d’orthographe (déterminées ici par l’orthographe lexicale : normes invariables d’écriture des mots sans égard à leur utilisation dans la phrase), d’accord (déterminées ici par les normes d’accord simple, par exemple l’accord d’un déterminant à un nom) et de grammaire (déterminées ici comme les normes d’ajustement plus complexes d’écriture des mots relativement à leur utilisation dans la phrase, par exemple les participes passés). Voir Cabot, 2012, pour le détail du processus de validation des instruments de mesure.

3.3 Déroulement

En ce qui concerne le dispositif d’intervention élaboré pour la présente étude, nous avons suivi une approche interdisciplinaire de type disciplines informées (Lattuca, 2001). Il s’agissait d’un pairage entre le cours de mise à niveau en français (moins intéressant du point de vue des étudiants) et le cours non obligatoire Psychologie de la sexualité (très populaire auprès des étudiants). Le pairage impliquait qu’une planification serait faite de la part des deux enseignants ciblés par le pairage, de manière à lier explicitement les deux cours. Cinq sources de lecture à inclure dans le plan de cours de mise à niveau en français ont été choisies par l’enseignant de français en fonction des contenus du cours de psychologie de la sexualité. De plus, un travail sommatif d’écriture, commun aux deux cours a été planifié. Enfin, la procédure pour corriger les erreurs de langue écrite a été la même dans les deux cours (voir Cabot, 2012 ainsi que Cabot et Cloutier, 2010, pour une description détaillée du déroulement de la planification interdisciplinaire). Quant aux étudiants, ils ont suivi normalement leurs cours. Ceux du groupe expérimental étaient exposés à cette pédagogie interdisciplinaire entre leur cours de mise à niveau en français et leur cours de psychologie, alors que ceux du groupe témoin ont suivi leur cours de français sans condition d’interdisciplinarité planifiée avec un autre de leurs cours.

3.4 Considérations éthiques

Les étudiants inscrits aux groupes-cours concernés par l’étude ont préalablement été informés, dès la première semaine de cours, des objectifs du projet et des implications de leur participation à ce dernier. Les étudiants qui ont accepté de participer à l’étude ont signé un formulaire de consentement. Tous les étudiants ont été informés qu’ils pouvaient refuser de participer à l’étude sans avoir à fournir de justification et sans aucun préjudice. Les résultats n’ont pas été communiqués directement aux participants, mais le rapport de recherche a été envoyé en format papier dans toutes les bibliothèques des cégeps et des universités de la province ainsi que par internet sur le site du Centre de documentation collégial.

3.5 Méthode d’analyse des données

Pour évaluer l’influence du dispositif d’intervention sur l’intérêt situationnel et sur l’utilité, des analyses de covariance (ANCOVA) ont été calculées sur les données en considérant les mesures du temps 1 comme des covariables. Pour évaluer l’influence du dispositif d’intervention sur l’intérêt personnel, une analyse de variance (ANOVA) à mesures répétées a été calculée. Cette analyse tient compte des comparaisons inter et intra sujets et permet ainsi de comparer les deux groupes, entre deux temps de mesure.

Les six sous-échelles d’engagement n’ont été administrées qu’à la suite de l’intervention. Une analyse multivariée (MANOVA), sur les données de ces échelles de type Likert a été menée. Pour évaluer l’incidence du dispositif sur la compétence en orthographe, une analyse multivariée mixte à mesures répétées (MANOVA) a été calculée sur le nombre d’erreurs à la dictée, rapporté avant et après l’intervention.

4. Résultats

L’influence du dispositif sur l’intérêt situationnel pour le cours de mise à niveau en français ainsi que sur l’utilité attribuée à ce cours à la fin de l’intervention est présentée dans le tableau 1 par les résultats de l’ANCOVA. Ces résultats montrent que l’intérêt situationnel pour les cours de français en général (mesuré avant l’intervention) y est significativement relié (F = 6,92 ; p ≤ ,01). De plus, l’appartenance au groupe (expérimental ou témoin) explique une part de la variance de l’intérêt pour le cours de mise à niveau en français (mesuré après l’intervention), même en contrôlant l’effet de l’intérêt pour les cours de français en général (F(1, 103) = 14,58 ; p ≤ 0,001), et la taille d’effet peut être qualifiée de moyenne (η2p= 0,12). De plus, ils révèlent qu’une part de la variance de l’utilité mesurée après l’intervention s’explique par l’utilité déjà accordée à l’apprentissage du français avant l’intervention (F(1, 103) = 27,54 ; p ≤ 0,001). L’appartenance au groupe explique une autre part de la variance même en contrôlant l’utilité mesurée avant l’intervention (F (1, 103) = 6,18 ; p ≤ 0,001) bien que la taille d’effet peut être qualifiée de faible (η2p= 0,06).

Tableau 1

Moyennes et (écarts-types) d’intérêt pour le cours de mise à niveau en français et d’utilité attribuée à l’apprentissage du français en tenant compte des attentes mesurées en début de semestre (ANCOVA)

Moyennes et (écarts-types) d’intérêt pour le cours de mise à niveau en français et d’utilité attribuée à l’apprentissage du français en tenant compte des attentes mesurées en début de semestre (ANCOVA)

**p ≤ 0,01 ; ***p ≤ 0,001 ; R2 ajusté (intérêt) : 0,16 ; R2 ajusté (utilité) : 0,22

MNF : mise à niveau en français ; GE : groupe expérimental ; GT : groupe témoin

1. Moyennes ajustées

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L’influence du dispositif sur l’intérêt personnel pour la langue française est présentée dans le tableau 2 par l’ANOVA à mesures répétées. On y constate que seul l’effet global du temps a été significatif, ce qui révèle du coup que l’intérêt a augmenté du temps 1 au temps 2. La taille d’effet peut être qualifiée de moyenne (η2p= 0,11). Aucun effet significatif du groupe, ni du temps X groupe n’a été détecté.

Tableau 2

Score d’intérêt personnel en tenant compte des groupes et des temps de mesure

Score d’intérêt personnel en tenant compte des groupes et des temps de mesure

*** p ≤ 0,001

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L’influence du dispositif sur l’engagement comportemental et l’engagement cognitif est présentée par les résultats de la MANOVA qui sont significatifs (F(6,93) = 2,72 ; p < 0,05) et qui révèlent un effet principal du groupe sur la combinaison des six variables dépendantes. Ce résultat global permet de poursuivre les analyses par des tests univariés dont les résultats figurent au tableau 3. Ceux-ci montrent des différences significatives entre le groupe expérimental et le groupe témoin pour trois variables, toutes trois étant des sous-échelles d’engagement comportemental : Interagir avec d’autres étudiants, Utiliser des outils de référence et Prendre la parole en classe. De plus, les tailles d’effet du groupe sur ces variables, allant de 0,05 à 0,13 indiquent un effet faible à modéré du traitement.

Tableau 3

Résultats des tests univariés pour les variables d’engagement

Résultats des tests univariés pour les variables d’engagement

* p < 0,05 ; *** p < 0,001

GE : groupe expérimental ; GT : groupe témoin

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Les résultats qui concernent le rendement lors de la dictée révèlent un effet global du groupe significatif (F(3, 73) = 2,81 ; p < 0,05) tout comme un effet global du temps significatif (F(3, 73) = 17,28 ; p < 0,001) ainsi qu’un effet d’interaction groupe X temps significatif (F(3, 73) = 3,17 ; p < 0,05). Cette interaction suggère que l’évolution des variables dans le temps diffère selon les groupes. Ces résultats permettent l’examen des résultats aux analyses univariées représentées au tableau 4.

Tableau 4

Nombre moyen d’erreurs à la dictée et (écarts-types) en tenant compte des groupes et des temps de mesure

Nombre moyen d’erreurs à la dictée et (écarts-types) en tenant compte des groupes et des temps de mesure

* p ≤ 0,05 ; ** p ≤ 0,01 ; *** p ≤ 0,001

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Il est possible de remettre en question la validité des notes finales des étudiants comme données comparatives parce que chaque enseignant prépare ses propres examens et évalue ses étudiants de la façon dont il l’entend. Toutefois, il faut rappeler qu’il s’agit d’une étude menée en contexte réel et que tous les enseignants du cours de mise à niveau en français construisent leurs évaluations de façon à répondre au même plan-cadre, qui traduit le devis ministériel de ce cours. Cela laisse présumer que ces évaluations vont dans le même sens et que les différences ne sont fort probablement pas incohérentes. Étant donné que la réussite à ce cours est une problématique largement documentée, il apparaît pertinent de présenter ces données.

La note finale moyenne obtenue au cours de mise à niveau en français par les étudiants du groupe expérimental (64 %) est significativement supérieure à celle des étudiants du groupe témoin (55 %) selon les résultats d’une ANOVA (F(1, 104) = 8,14 ; p < 0,01 ; η2p = 0,07). Il en va de même pour les taux de réussite du cours, découlant de ces résultats finaux. Parmi les 27 étudiants du groupe expérimental, 21 (78 %) ont réussi le cours, contre 39 (49 %) des 79 étudiants du groupe témoin. Il s’agit d’une différence significative selon un test du Chi-carré (χ2(1) = 6,61 ; p = 0,01). Même si ces résultats ne découlent pas de mesures standardisées, il demeurait instructif de les mentionner, puisqu’ils sont cohérents avec les résultats positifs d’intérêt situationnel et d’engagement comportemental dans le cours de mise à niveau en français.

Du point de vue des données prospectives, en décembre 2011, des données de suivi ont été obtenues concernant la réussite ou non du cours de français 101 à la suite de l’intervention, ainsi que la persévérance dans les études collégiales, pour chacun des 106 participants à l’étude. En ce qui concerne la persévérance, ces données indiquent que des 27 participants au groupe expérimental, 12 (44 %) poursuivaient toujours leurs études collégiales alors que 15 les avaient abandonnées sans obtenir de diplôme. Du côté des 79 participants au groupe témoin, 30 (38 %) poursuivaient toujours leurs études collégiales, alors que 49 les avaient abandonnées sans obtenir leur diplôme. Un test du Chi-carré ne révèle aucune différence entre les groupes pour ces données (χ2(1) = 0,35 ; p > 0,05).

Pour ce qui est de la réussite du premier cours de français de niveau collégial (communément appelé Français 101 : Écriture et littérature), des 21 étudiants du groupe expérimental qui avaient réussi le cours de mise à niveau en français, 11 (52 %) ont réussi le cours de français 101 à la session suivant celle de l’intervention. Parallèlement, sur les 39 étudiants du groupe témoin qui avaient réussi le cours de mise à niveau en français, 11 (28 %) ont réussi le cours de français 101 à la session suivant celle de l’intervention. Ces différences sont presque significatives selon un test du Chi-carré (χ2(1) = 3,44 ; p = 0,06).

5. Discussion des résultats

L’influence positive du dispositif d’enseignement interdisciplinaire (de type disciplines informées) sur l’intérêt situationnel pour le cours de mise à niveau en français auto-rapporté par les étudiants après l’intervention va dans le sens attendu. En effet, comme le suggèrent Murphy et Alexander (2000), l’intérêt personnel et l’intérêt situationnel peuvent bien fonctionner en étant complémentaires ; par exemple, un étudiant qui n’a pas développé d’intérêt personnel pour un sujet à traiter, mais qui s’y applique bien quand même parce que le contexte dans lequel on lui propose de le faire lui plaît. Cette connaissance théorique permettait de croire qu’en établissant un pairage entre le cours de mise à niveau en français, peu apprécié des étudiants, et un cours qui les intéresse, tout en s’assurant que les liens entre ces deux cours soient suffisamment explicites pour être perçus par les étudiants, un intérêt pourrait émerger envers la situation que représente le fait d’assister au cours de mise à niveau en français. Les réponses des mêmes étudiants obtenues lors d’entrevues menées pour les fins d’une autre recherche, plus qualitative (Cabot, 2010), confirment qu’ils ont clairement perçu la condition expérimentale d’interdisciplinarité. Notons que toute la section 4.3 du rapport de cette recherche (Cabot, 2010) porte sur l’analyse des entrevues. Les contenus en découlant vont dans le même sens que les résultats quantitatifs présentés dans le présent article.

Par ailleurs, la théorie du développement de l’intérêt en quatre phases d’Hidi et Renninger (2006) laisse entendre qu’en exposant les étudiants à des situations d’apprentissage agréables dans le contexte du cours de mise à niveau en français, de manière continue tout au long du semestre, un intérêt pour ce cours peut se développer. En effet, ces auteurs expliquent que l’émergence d’un nouvel intérêt se fait grâce à une connexion entre les caractéristiques de l’environnement et les intérêts déjà existants chez une personne. Puisque nous savions que les étudiants du groupe expérimental avaient de l’intérêt pour les sujets de psychologie de la sexualité, nous avons pris le pari que le fait de les exposer à de tels sujets à l’intérieur du cours de mise à niveau en français serait vécu, à chaque cours, comme des situations ponctuelles agréables suscitant leur attention (phase 1 du développement de l’intérêt). Ces éléments et le fait qu’ils soient apportés par l’environnement contribuent à l’émergence de l’intérêt situationnel (Hidi et Renninger, 2006). En faisant vivre aux étudiants ces situations à plusieurs reprises durant le semestre, on s’attendait à ce qu’ils approfondissent cet intérêt et à ce qu’ils le généralisent à l’ensemble de la situation que représente le fait d’assister au cours de mise à niveau en français (phase 2 du développement de l’intérêt), ainsi que l’expliquent Linnenbrick-Garcia, Durik, Conley, Barron, Tauer, Karabenick et Harackiewich, (2010). Les résultats permettent de croire que cet objectif a été atteint. À la fin du semestre, les étudiants du groupe expérimental ont montré un score significativement plus grand de leur intérêt situationnel envers le cours de mise à niveau en français que les étudiants du groupe témoin, alors qu’ils rapportaient un score semblable d’intérêt situationnel envers les cours de français en général au début du semestre.

De plus, même l’augmentation non significative de l’intérêt personnel concorde avec la théorie du développement de l’intérêt d’Hidi et Renninger (2006). En effet, ces auteures précisent que c’est le maintien d’un intérêt situationnel qui mène vers l’émergence d’un intérêt personnel. De plus, Harackiewicz et ses collaborateurs (2008) ont montré qu’un intérêt situationnel maintenu pour un cours menait au développement d’un intérêt personnel pour la discipline représentée par ce cours (dans le cas présent : la langue française). En observant les données descriptives du tableau 2, on remarque que l’augmentation d’intérêt personnel du groupe expérimental est plus élevée que celle du groupe témoin. De plus, le score plus élevé de valeur utilitaire du cours de mise à niveau en français des étudiants du groupe expérimental est un autre indice de l’émergence d’un intérêt personnel pour le français, puisque Hidi et Renninger (2006) précisent que ce type d’intérêt est davantage associé à la valeur que l’intérêt situationnel. Ces constatations nous amènent à poser les questions suivantes : si l’intérêt situationnel des étudiants du groupe expérimental envers leur cours de mise à niveau en français avait été maintenu plus longtemps, l’intérêt personnel envers la langue française aurait-il continué à se développer jusqu’à se démarquer significativement de celui du groupe témoin ? Peut-on croire que l’augmentation d’intérêt personnel un peu plus rapide chez le groupe expérimental soit un indice que l’intervention ait pu commencer à influencer ce type d’intérêt ? Cette différence non significative avantageant le groupe expérimental est-elle plutôt simplement due au hasard ? Il serait important de vérifier, sur une plus longue période, l’effet de ce dispositif sur le développement d’un intérêt personnel pour la langue française.

Dans son étude du concept d’engagement scolaire chez les collégiens, Giard (1994) affirme que parmi les éléments composant l’environnement collégial, les pairs et les professeurs sont ceux qui ont le plus d’influence sur le cheminement et la réussite scolaires des étudiants. Dans la présente étude, les résultats aux deux sous-échelles Interagir avec d’autres étudiants et Prendre la parole en classe ont révélé des scores significativement plus élevés chez les étudiants du groupe expérimental que chez ceux du groupe témoin. On peut supposer que ces résultats sont dus au contexte expérimental plutôt qu’à l’intérêt situationnel développé envers le cours de mise à niveau en français. En effet, le fait d’avoir en commun les deux cours du pairage a probablement mené les étudiants du groupe expérimental à interagir davantage les uns avec les autres et à oser prendre la parole en classe. L’intérêt situationnel développé a même pu être influencé par l’appréciation du contexte expérimental de la part des étudiants, et non seulement par l’interdisciplinarité. Il est toutefois impossible, à l’heure actuelle, de quantifier la distinction entre l’interdisciplinarité seule et l’appréciation du contexte expérimental comme source d’influence sur l’engagement des étudiants du groupe expérimental.

De plus, le fait que les étudiants du groupe expérimental utilisent davantage les outils de référence que ceux du groupe témoin peut paraître surprenant, puisque toutes les classes de français sont équipées de dictionnaires et de grammaires en nombre suffisant. Toutefois, on pourrait supposer que l’état d’esprit plus motivé des étudiants du groupe expérimental les aurait menés à consulter davantage les outils que ceux du groupe témoin. D’ailleurs, l’influence de l’intérêt sur l’engagement, documentée dans les écrits de recherche, permet de concevoir que des étudiants développant un intérêt pour un cours soient plus enclins à utiliser les ouvrages associés à ce cours.

Par ailleurs, on a relevé que les étudiants du groupe expérimental se sont davantage améliorés entre le début et la fin de la session que les étudiants du groupe témoin en ce qui a trait aux fautes de grammaire. Pour tenter de comprendre ce résultat, on peut se référer aux travaux de McDaniel et ses collaborateurs (2000) selon lesquels le caractère intéressant ou non d’un texte influence le type de traitement cognitif qu’en fait le lecteur. En effet, ils sont arrivés à conclure que, lors de la lecture d’un texte intéressant, moins d’énergie cognitive était nécessaire et que cette dernière était réinvestie automatiquement dans un traitement plus élaboré de l’information. Parallèlement, la lecture d’un texte inintéressant, nécessitant donc une attention plus énergivore, menait vers un traitement plus superficiel de l’information lue. Dans les circonstances de la présente étude, serait-il possible que le dispositif d’interdisciplinarité stimulant l’intérêt des étudiants ait rendu disponible une certaine part d’énergie cognitive qui aurait été réinvestie dans l’apprentissage des règles de grammaire plus complexes ?

Enfin, l’analyse des résultats finaux obtenus pour le cours de mise à niveau en français par les participants à l’étude a montré un avantage chez les étudiants du groupe expérimental. On peut donc supposer une influence positive du contexte expérimental de cette étude sur la maîtrise de la langue écrite des collégiens, puisque les participants du groupe expérimental ont obtenu des résultats supérieurs à ceux du groupe témoin et qu’un plus grand nombre d’étudiants du groupe expérimental (78 %) que du groupe témoin (49 %) ont réussi le cours de mise à niveau en français, ce qui indique une maîtrise de la langue suffisante pour l’admission dans le premier cours de français de niveau collégial (101 : Écriture et littérature).

Si cette interprétation de résultats découlant de données non standardisées demeure imparfaite sur le plan empirique, les données prospectives contribuent à en sécuriser la portée. En effet, à la suite de l’expérimentation, les étudiants ayant réussi le cours de mise à niveau en français ont été inscrits au cours de français 101 dans des groupes différents, donné par des professeurs différents, et même pour quatre étudiants, dans des collèges différents. Malgré cet éparpillement de conditions différentes pour le suivi du cours de français 101, le résultat à un test du χ2 a noté une tendance à l’avantage des étudiants du groupe expérimental pour réussir ce cours (52 %), par rapport à ceux du groupe témoin (28 %). Ce résultat est en cohérence avec tous les autres résultats qui laissent croire à l’influence positive que la condition expérimentale a eue sur la réussite des étudiants du groupe expérimental.

6. Conclusion

Cette étude visait à évaluer l’incidence qu’un dispositif d’enseignement interdisciplinaire pourrait avoir sur l’intérêt de collégiens envers leur cours de mise à niveau en français, sur la valeur utilitaire attribuée aux apprentissages faits dans ce cours, sur leur engagement dans ce cours ainsi que sur leur rendement en orthographe, avec l’espoir d’augmenter le taux de réussite à ce cours. L’efficacité du dispositif a été évaluée par des mesures auto-rapportées d’intérêt, d’utilité et d’engagement, puis les performances en orthographe l’ont été par le biais d’une dictée diagnostique. Ces mesures ont été utilisées auprès des étudiants ayant vécu la condition expérimentale (le contexte interdisciplinaire) et auprès d’autres étudiants, formant un groupe témoin, puis elles ont été comparées entre les deux groupes. Les résultats corroborent l’idée suggérée par Lattuca et ses collaboratrices (Lattuca, 2001 ; Lattuca et al., 2004) selon laquelle l’interdisciplinarité dans l’enseignement favoriserait la motivation à apprendre. De ce point de vue, on peut comprendre que l’intérêt initial, pouvant être considéré comme de l’intérêt personnel selon Harackiewicz et al. (2008) pour les sujets de psychologie de la sexualité ait pu contribuer à augmenter le nombre d’occasions de susciter de l’intérêt situationnel pour le contexte du cours de mise à niveau en français. Suivant cette logique, l’interdisciplinarité dans l’enseignement contribuerait davantage à motiver les étudiants, en multipliant les opportunités de stimuler leur intérêt, qu’en enseignant chaque discipline de façon cloisonnée.

Du côté des appuis scientifiques, on a d’abord constaté que l’intérêt situationnel et l’intérêt personnel ont tous deux augmenté chez les étudiants du groupe expérimental, l’intérêt situationnel ayant augmenté bien davantage que l’intérêt personnel. Ce résultat corrobore la théorie du développement d’Hidi et Renninger (2006) selon laquelle l’intérêt situationnel se développe d’abord et a besoin d’être maintenu, avec l’aide de l’environnement, pour qu’un intérêt personnel plus stable se développe.

Pour ce qui est de l’aspect novateur de l’étude sur le plan scientifique, aucune intervention interdisciplinaire, axée sur la stimulation de l’intérêt scolaire, entre un cours de formation générale et un cours complémentaire n’avait été empiriquement évaluée au collégial. La principale réflexion découlant de ces résultats est qu’il semble justifié de croire que l’énergie motivationnelle dégagée par l’intérêt pour un objet peut hypothétiquement être transférée à un autre objet, très peu intéressant au départ, et réinvestie dans celui-ci par un pairage.

Enfin, la présente étude s’insère bien dans la planification de recherche proposée par Lattuca, Voigt et Fath (2004). En effet, ces auteures suggéraient que des études soient faites sur les impacts de cours interdisciplinaires. La présente étude contribue au développement de ce champ de recherche. De plus, ces auteures recommandaient que des recherches vérifient si l’interdisciplinarité promeut réellement l’apprentissage. La présente étude est la première à répondre à cette suggestion et confirme le bien-fondé des hypothèses de l’équipe de Lattuca par le résultat reflétant l’amélioration en orthographe grammaticale des étudiants du groupe expérimental. Globalement, on peut alléguer que le contexte interdisciplinaire a eu une influence positive sur ces étudiants. Toutefois, il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de distinguer la part d’influence attribuable uniquement à l’interdisciplinarité de la part d’influence attribuable à d’autres facteurs comme le climat de la classe.

Sur le plan de l’enseignement collégial, la présente étude confirme l’influence bénéfique, pour les étudiants, d’apprendre dans un contexte d’enseignement en interdisciplinarité. Si ce type d’enseignement en commun entre les différents cours d’un programme est valorisé par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, il n’est cependant pas observé uniformément dans tous les programmes d’études au collégial, surtout en ce qui concerne les cours de la formation générale. Comme la présente étude suggère empiriquement qu’un tel type d’enseignement soit bénéfique pour les étudiants ayant des difficultés en français, il y a lieu d’encourager les acteurs de l’enseignement collégial à aller dans ce sens. Par exemple, les étudiants inscrits au cours de mise à niveau en français pourraient être regroupés selon leur programme d’études (représentant un intérêt commun) pour faciliter l’établissement de liens entre le cours de français et les apprentissages qu’ils font dans leur programme d’études, stimulant ainsi l’intérêt et l’utilité attribué au cours de mise à niveau en français.

Évidemment, la présente étude étant une première, dans l’éventualité où sa réplication mènerait à des résultats semblables auprès d’un plus grand échantillon expérimental, sa contribution en serait plus assurée. Malgré cela, on peut croire que l’influence positive que le contexte expérimental semble avoir eu sur le taux de réussite au cours de mise à niveau en français pourrait avoir une incidence positive sur le taux de diplomation et ainsi contribuer à réduire la pénurie de main-d’oeuvre du secteur technique au Québec. Enfin, si un tel dispositif, implanté sur plusieurs sessions, arrivait à faire augmenter l’intérêt personnel des jeunes québécois pour la langue française, la contribution sociale de cette étude serait d’autant plus affirmée. De surcroît, il serait pertinent, lors de recherches futures, d’évaluer ce type de dispositif pédagogique implanté dans d’autres cours, par exemple un cours de mathématiques auprès d’étudiants éprouvant des difficultés dans cette matière.