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Introduction

Le financement bancaire des entreprises est au coeur des enjeux de financement de la croissance économique. Cependant, des entreprises proposant des projets d’investissements rentables se voient refuser des prêts bancaires même à un taux d’intérêt élevé. En situation de crise financière et économique, cette restriction de l’accès au crédit bancaire s’en trouve renforcée.

Le rationnement du crédit s’explique notamment par des problèmes d’asymétries d’information entre des prêteurs et des emprunteurs (Stiglitz et Weiss, 1981). Ce rationnement est une conséquence du manque d’information des banques sur le risque des emprunteurs. Cette information est en effet coûteuse à collecter ou indisponible. Les banques fixent alors un niveau d’intérêt moyen et rationnent les emprunteurs qui semblent être les plus risqués. Le mécanisme d’ajustement des prix permettant d’équilibrer l’offre et la demande peut donc ne pas se produire sur le marché du crédit bancaire.

Dans cette étude, nous nous intéressons plus particulièrement aux petites et moyennes entreprises (PME) pour lesquelles l’accès au crédit semble plus difficile (Psillaki, 1995 ; Petersen et Rajan, 1994 ; Aubier et Cherbonnier, 2007 ; Cieply et Hancké, 1999). En effet, les problèmes d’asymétries d’information sont plus présents pour les PME. Elles sont supposées moins fiables, moins prévisibles, et plus risquées de manière générale. Certes, dans une banque dans laquelle les pouvoirs décisionnaires sont décentralisés, la proximité PME–banques est un atout pour les PME. Cependant, la quantification de plus en plus marquée par la banque de la relation (développement des méthodes de scoring notamment) ainsi que la multibancarisation des PME (Refait, 2003) limitent l’apport de la proximité sans réduire significativement l’asymétrie. L’impact de la multibancarisation des PME, notamment, a un effet ambigu (Refait, 2003) entre accès plus aisé des PME au financement et réduction de confiance de l’ancienne banque principale qui voit sa relation fragilisée par la mise en concurrence avec d’autres réseaux bancaires. Or, n’ayant bien souvent pas accès aux marchés, ne pouvant émettre de titres de dettes, à moins de faire partie d’un groupe, elles dépendent davantage des intermédiaires financiers que les grandes entreprises. Dans le contexte actuel de crise financière et économique, ce phénomène de rationnement s’accentuerait pour les PME. Il semble donc pertinent de s’interroger sur l’impact de la crise sur l’accès au crédit des PME françaises.

À l’aide d’un échantillon de PME sur la période 2000-2008, cette étude vise à estimer le rationnement du crédit. L’estimation du rationnement est une procédure complexe, car la demande et l’offre de crédit ne sont pas des données directement observables. Nous avons choisi d’adopter une démarche proche de celle d’études menées au préalable (Atanasova et Wilson, 2004 ; Steijvers, 2008), réalisées sur des échantillons de PME britanniques et belges ainsi que des travaux plus anciens de Sealey (1979). L’idée est d’envisager empiriquement le rationnement du crédit comme un déséquilibre entre l’offre et la demande de crédit, ces dernières étant estimées à partir de données financières de l’entreprise et de données économiques.

La première section développe les difficultés de financement auxquelles sont confrontées les PME françaises en temps de crise ; la deuxième section expose les principales mesures empiriques de rationnement présentes dans la littérature ; la troisième section explicite les éléments théoriques sous-jacents au modèle que l’on souhaite appliquer, spécifie ce modèle ainsi que la méthode d’estimation utilisée ; enfin, la dernière section expose les résultats de l’étude avant de conclure.

1. Contexte et revue de littérature

Depuis l’article de Stiglitz et Weiss (1981), le rationnement du crédit bancaire à destination des entreprises est un sujet pour lequel l’intérêt ne diminue pas (Berger et Udell, 1992, 1995, 2002 ; Levenson et Willard, 2000). Confrontées à une asymétrie d’information vis-à-vis de l’emprunteur au moment d’accorder un prêt, les banques décident de limiter la quantité de crédit qu’elles accordent, sans pouvoir adapter les taux au risque pris, car une action sur les taux d’intérêt influencerait le risque de l’emprunteur. En effet, des taux élevés attirent des emprunteurs plus risqués (sélection adverse) et incitent ceux-ci à augmenter le risque de leurs projets (aléa moral). La banque qui rationnerait par accroissement des taux d’intérêt sans résoudre intégralement l’asymétrie d’information se retrouverait alors face à une part plus importante d’emprunteurs risqués, moins rentables pour elle. Il ne lui reste alors que le rationnement quantitatif face à un problème d’information en provenance des emprunteurs potentiels.

Ces études focalisent sur les PME, car celles-ci sont les plus dépendantes du financement bancaire et surtout sont celles pour lesquelles le phénomène d’asymétrie d’information est le plus important. Les difficultés de financement des PME peuvent en effet s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, le caractère particulier de l’entrepreneur, souvent fondateur de l’entreprise, qui ne souhaite pas ouvrir son capital et voir son pouvoir diluer, limite ainsi une voie importante de financement de la croissance de l’entreprise et rend le financement bancaire encore plus crucial[1] et empêche l’entreprise de renforcer sa structure de financement. Par ailleurs, l’accès limité aux marchés de capitaux et la longueur du cycle de production à financer compliquent encore la relation entre les banquiers et les dirigeants de PME. La jeunesse s’avère également un facteur aggravant de la relation. En effet, les PME jeunes ne disposent souvent pas d’historiques rassurants ni d’un actif sur lequel prendre des garanties (Diamond, 1991 ; Cole, 1998 ; Steijvers, 2008). Cette absence d’historique accroît l’asymétrie d’information et renforce le risque perçu par la banque, donc le rationnement.

En raison de leur faible pouvoir de négociation face à des clients exigeants qui sont de grandes entreprises, les PME indépendantes ont un cycle d’exploitation plus long que celui des grandes entreprises. Le BFR des PME indépendantes représente en effet 12 % du total bilan contre 4 % pour les grands groupes (Golitin, 2007). Les crédits commerciaux constituent une alternative à l’offre insuffisante de crédit bancaire et peuvent représenter une ressource plus importante que les crédits bancaires aux entreprises (Ellingsen, Burkart et Giannetti, 2011).

La crise récente a mis à jour les risques importants pris par les banques. La conséquence majeure de cette crise est une difficulté de financement renforcée pour les entreprises, associée au retour d’une prime de risque importante. Cette crise a donc affecté financièrement les PME, et ce à plusieurs niveaux.

Tout d’abord, les banques ont réalisé des pertes importantes les contraignant à réduire leur activité de prêt tant qu’elles n’ont pas reconstitué un niveau de fonds propres conforme à la réglementation.

Une incertitude supplémentaire concernant le rationnement du crédit provient justement du poids des normes Bâle II mises en place dans les banques juste avant la crise (Aubier, 2007 ; Golitin, 2007). La réglementation peut modifier la relation entre les banques et les PME[2] du fait du rôle de diversification qu’ont les créances de ces entreprises dans le portefeuille des banques. En effet, le risque de ces entreprises est principalement un risque spécifique qui n’est pas corrélé avec le risque des autres entités ni avec l’état de la conjoncture économique. Autrement dit, les PME stables ayant des projets rentables devraient avoir accès plus facilement au financement nécessaire à la réalisation de ces projets, quitte à payer ce financement un peu plus cher. Globalement, la régulation bancaire des dix dernières années ne favorise pas le financement des PME par les banques. En effet, avant la crise, les activités de marchés étaient moins « chargées » en fonds propres que les activités de crédit, notamment le crédit PME. Les approches envisagées dans Bâle III et notamment les ratios de liquidité rendent moins attractives les opérations d’intermédiation, entrainant le risque d’un accroissement du rationnement.

2. Les mesures empiriques de rationnement du crédit

Empiriquement, mesurer le rationnement est complexe puisque l’offre et la demande de crédit ne sont pas des données directement observables. C’est pour cela que l’on rencontre diverses mesures de rationnement dans la littérature.

Berger et Udell (1992, 1995, 2002) appliquent une approche basée sur l’étude des prêts commerciaux, des taux et de leur rigidité. Or, il s’avère que le taux d’intérêt n’est pas une variable permettant d’ajuster l’offre et la demande. Plutôt que d’augmenter le coût du crédit, les banques ne répondent pas à la demande d’où un rationnement quantitatif du crédit qui nous intéresse ici. Les mesures de rationnement suivantes considèrent donc uniquement un rationnement par les quantités.

Une mesure classique qui a été largement utilisée est celle développée par Petersen et Rajan (1994). Elle se fonde sur la théorie du financement hiérarchique de Myers et Majluf (1984). Les PME peuvent utiliser trois sources de financement lorsqu’elles ont un projet à financer : l’autofinancement ou financement interne, la dette bancaire, les crédits commerciaux et enfin les fonds propres externes. Les crédits commerciaux constituent une source de financement à court terme utilisé pour financer le cycle d’exploitation de l’entreprise. Petersen et Rajan (1994) montrent que le recours important aux crédits commerciaux est un indicateur du rationnement de crédit bancaire subi par l’entreprise. En effet, cette source de financement a un coût extrêmement élevé et n’est mobilisée que lorsque l’entreprise se trouve dans l’impossibilité de bénéficier du crédit bancaire à hauteur de ses attentes.

Cette étude ainsi que de nombreuses autres par la suite (Biais et Gollier, 1997 ; Petersen et Rajan, 1997) ont mis à jour le recours massif aux crédits commerciaux en tant que source de financement pour les PME, d’autant plus que ces dernières sont rationnées. Il sera donc intéressant d’observer et d’utiliser cette donnée dans notre étude.

Cole (1998) teste l’impact des relations préexistantes entre une banque et un emprunteur potentiel sur les informations privées facilitant l’octroi de crédit. Ces relations comprennent la gestion des comptes courants, de comptes d’épargne, l’octroi de crédits par le passé ainsi que la vente de services financiers (gestion de trésorerie notamment). Il conclut que ces relations banque-emprunteur génèrent de l’information privée qui facilite l’obtention de crédit en réduisant l’asymétrie d’information.

Une mesure est issue du modèle de déséquilibre de Maddala et Nelson (1974) et permet de comparer l’offre et la demande lorsqu’il y a déséquilibre, c’est-à-dire des situations pour lesquelles l’équilibre ne se fait pas par un ajustement du prix. Il a été appliqué au crédit par Ang et Petersen (1986) puis par Cieply et Paranque (1998) sur les firmes françaises sur la période 1985-1995 et plus récemment, par Atanasova et Wilson (2004) sur les PME anglaises, Steijvers (2008) et Steijvers et Voordeckers (2007) sur les PME belges sur la période 1993-2001. Cette méthode repose sur l’estimation de l’équation de la fonction d’offre et celle de demande de crédit en situation de déséquilibre.

Steijvers (2008) utilise cette méthodologie pour mesurer l’écart entre l’offre et la demande de crédit. Si l’offre est inférieure à la demande, alors on est en situation de rationnement du crédit. Dans sa modélisation, Steijvers (2008) intègre une équation pour la fonction d’offre, une équation pour la fonction de demande ainsi qu’une équation traduisant la condition telle que la quantité de crédit observée est le minimum entre la quantité de crédit offerte et celle demandée appelée « équation de transaction ».

Les résultats de cette étude lui permettent de conclure qu’en Belgique, sur la période 1993-2001, plus de la moitié des PME ont été rationnées ; ce rationnement étant plus important pour du crédit à long terme que pour du crédit à court terme. Ce sont principalement les petites et jeunes PME disposant de faibles ressources internes et n’ayant pas ou peu d’actifs pouvant servir de garantie en cas de défaut qui subissent le plus le rationnement.

3. L’estimation du rationnement du crédit des PME françaises sur la période 2000-2008

Nous présentons d’abord les hypothèses concernant les facteurs susceptibles d’influencer l’offre et la demande de crédit et nous choisissons les variables microéconomiques les plus pertinentes (essentiellement des variables qui se rattachent à des concepts d’analyse financière[3]) pour la constitution et l’évaluation du modèle. Enfin, nous présentons les résultats, notamment la proportion de PME concernées par le rationnement et les caractéristiques de ces dernières.

3.1. Les déterminants de l’offre de crédit

Afin d’appréhender les risques subis en prêtant à une PME, la banque va utiliser notamment les résultats de l’analyse financière et des ratios financiers. Ces derniers vont l’aider à mesurer ce risque et à l’anticiper pour pouvoir mettre en oeuvre des solutions (restructuration d’une dette accordée, par exemple) avant que le défaut ne se manifeste. Pour le modèle que nous souhaitons établir, nous retenons comme mesure de risque de défaillance les variables suivantes :

  • Le ratio de couverture des frais financiers : résultat d’exploitation/charges financières (nettes des produits financiers)[4]. Ce ratio permet de mesurer la capacité de l’entreprise à faire face à ses frais financiers (Atanasova et Wilson, 2004) à partir de son exploitation et sans recourir à des financements externes.

  • Le ratio de solvabilité : fonds propres/total dettes. Il mesure la capacité de l’entreprise à rembourser ses créanciers en cas de liquidation (Steijvers, 2008 ; Atanasova et Wilson, 2004). Un endettement trop important va rendre plus risquée la position d’un prêteur potentiel et accroître la probabilité d’un refus de prêt de la part de la banque.

  • Le montant de cash-flow interne généré par l’entreprise, rapporté au total de l’actif de l’année précédente est un élément important (Fazzari, Petersen, Hubbard, Blinder et Poterba, 1988) qui traduit la capacité de l’entreprise à générer de la liquidité à partir des investissements passés et donc à pouvoir faire face plus aisément à ses contraintes financières à venir.

  • Le risque d’insolvabilité. L’entreprise est qualifiée d’insolvable lorsqu’elle ne peut plus faire face à ses engagements, notamment rembourser les intérêts et/ou le principal d’une dette (Steijvers, 2008). Nous mesurons le risque d’insolvabilité par le ratio rapportant la capacité d’autofinancement au montant des dettes à long et moyen termes.

  • La taille de l’entreprise est également un facteur de risque que nous intégrons dans les variables explicatives (Fazzari et al., 1988). Elle est mesurée par Ln(Actif)[5]. Cependant, le statut très particulier de cette variable au caractère explicatif souvent lié à celui d’autres variables, nous amène à vérifier la multicolinéarité éventuellement induite.

Pour la banque, un moyen de réduire ou au moins de se protéger contre le risque de défaut des entités auxquelles elle prête de l’argent est de demander des garanties. Cela permet de résoudre une partie du problème d’asymétrie d’information entre prêteur et emprunteur en servant de signal (Bester, 1985). Aubier et Cherbonnier (2007) analysent longuement l’effet des garanties sur l’accès au crédit bancaire mettant en avant l’intérêt, mais également les difficultés de calibrage d’un système de garantie publique des prêts. OSÉO ou la BPI (Banque publique d’investissement) ont un rôle important à jouer dans le bon fonctionnement des garanties de crédit bancaire. Les éléments couramment mis en garantie sont les actifs corporels, les créances et les stocks de l’entreprise. La mesure de cette variable s’effectue en sommant la moitié des actifs corporels plus le quart des créances et des stocks qui ont rapport à l’actif total.

Les crédits commerciaux (Petersen et Rajan, 1994, 1997 ; Biais et Gollier, 1997 ; Ellingsen, Burkart et Giannetti, 2011) sont approximés par deux variables :

  • le montant des dettes fournisseurs nettes des créances clients, rapporté au total de l’actif afin d’éviter une corrélation trop forte avec la variable taille ;

  • une dummy variable « dettes fournisseurs industrie » prend la valeur 1 si le montant des dettes commerciales d’une entreprise est supérieur à la moyenne des dettes fournisseurs des entreprises de son secteur d’activité et 0 sinon.

3.2. Les déterminants de la demande de crédit

Lorsqu’une entreprise croît, son cycle de production devient mécaniquement plus important. Les PME s’appuient fortement sur les crédits à court terme pour financer leur activité. Elles auront besoin d’autant plus de financement que leur actif et leur activité sont importants (Berger et Udell, 1998). Nous prenons le taux de croissance de l’actif comme proxy pour mesurer la croissance de l’entreprise et de son activité. Nous utilisons également la valeur ajoutée, prise en logarithme, pour mesurer le niveau de production de l’entreprise (Steijvers, 2008).

Le besoin de financement externe nécessaire à une entreprise est plus grand si cette dernière n’arrive pas à financer seule son niveau de production, c’est-à-dire si elle a déjà épuisé toutes ses ressources internes. Les trois variables suivantes informent sur la capacité de l’entreprise à limiter son besoin de financement externe en couvrant elle-même une partie de ses besoins de financement par ses actifs liquides ainsi que les flux qu’elle génère grâce à son activité, reprenant en cela la logique de la théorie du financement hiérarchique (Myers, 1984 ; Myers et Majluf, 1984).

  • Le ratio de liquidité générale (actifs circulants/passif exigible à court terme, c’est-à-dire à moins d’un an) montre la capacité de l’entreprise à financer elle-même son cycle d’activité (Melnik et Plaut, 1986). Il permet de s’assurer que les ressources à court terme de l’entreprise permettent de couvrir ses emplois immédiats et limitent ainsi le risque que les banques pratiquent le rationnement ;

Le montant du cash-flow interne, calculé à partir du résultat net auquel on ajoute les amortissements, sert également à mesurer la capacité de l’entreprise à se financer grâce à la richesse produite par son activité. (Steijvers, 2008 ; Atanasova et Wilson, 2004). Enfin, la rentabilité de l’entreprise représente également un élément de sa capacité à dégager une marge importante et à limiter ainsi son risque d’insolvabilité ;

Les entreprises recourent aux crédits commerciaux à défaut de disposer de suffisamment de crédits bancaires. Les entreprises qui n’ont pas obtenu le montant de crédit bancaire souhaité se tournent vers les crédits commerciaux et en profitent pour envoyer un signal positif à la banque par ce biais. La demande de crédit est donc d’autant plus élevée que l’entreprise a beaucoup recours aux crédits commerciaux pour se financer (Petersen et Rajan, 1994).

Nous utilisons deux variables comme mesure des crédits commerciaux : les dettes fournisseurs d’une part, et les dettes fournisseurs nettes des créances clients d’autre part ; ces deux variables étant rapportées au total de l’actif de l’année antérieure.

Nous retenons l’Euribor (Euro interbank offered rate) à un an pour chaque année de l’échantillon. Il représente le taux sur lequel se base la banque pour fixer le coût de la dette de chaque entreprise individuellement[6]. Nous utilisons un taux à court terme, car les PME s’endettent principalement à court terme.

Pour chacune des deux équations (offre et demande), nous ajoutons aux variables que nous venons de définir deux types de variables muettes :

  • Des variables muettes pour chaque année permettant de capter l’influence de la période sur les montants de crédit demandés ;

  • Des variables muettes pour chaque secteur (commerce, construction, industrie, services) permettant de capter l’effet spécifique éventuel d’un secteur sur la demande de crédit bancaire.

Nous aboutissons alors à un modèle de déséquilibre constitué de trois équations : deux équations comportementales (l’équation de l’offre de crédit et celle de la demande de crédit) et une identité mathématique dépourvue de perturbation aléatoire.

Équation de la fonction d’offre :

Équation de la fonction de demande :

Équation de transaction :

 

  • Où :

  • Ltd et Lto représentent la demande et l’offre sur un marché considéré et sont les variables à déterminer et à expliquer ;

  • x’1t et x’2t représentent le vecteur des variables exogènes, indépendantes ;

  • β1 et β2 sont leur coefficient respectif. u1t et u2t sont les termes d’erreur.

Nous considérons qu’il y a rationnement du crédit dès lors que Lt= Lto < Ltd

Équation de l’offre de crédit

equation: 5028450n.jpg

Équation de la demande de crédit

equation: 5028451n.jpg

Équation de transaction

equation: 5028452n.jpg

3.3. Estimation

Nous appliquons une méthodologie en trois grandes étapes, suivant un raisonnement similaire à celui de Steijvers (2008) ou d’Atanasova et Wilson (2004).

equation: 5028453n.jpg et equation: 5028454n.jpg sont les variables endogènes du modèle. Elles ne sont pas directement observables et correspondent à l’offre et la demande de crédit qu’il serait logique d’observer au regard des données économiques provenant des équations d’offre et de demande de crédit. Par contre, nous pouvons observer equation: 5028455n.jpg le montant de crédit échangé. Toutes les autres variables, qui sont des variables explicatives, sont exogènes.

En premier lieu, nous estimons les coefficients de chaque variable explicative des équations d’offre et de demande en partant d’une hypothèse d’équilibre de marché tel que : montant de crédit bancaire échangé = montant de crédit bancaire offert = montant de crédit bancaire demandé.

equation: 5028456n.jpg

À partir des coefficients ainsi déterminés, nous calculons les valeurs ajustées de l’offre de crédit et de la demande de crédit pour chacune des entreprises de l’échantillon. De cette manière, nous identifions les variables non observables que sont l’offre de crédit et la demande de crédit.

En second lieu, il s’agit de déterminer la proportion d’entreprises rationnées par année. Une entreprise est rationnée si le montant de crédit qu’elle demande est supérieur au montant du crédit que les banques sont prêtes à lui offrir, c’est-à-dire si equation: 5028457n.jpg. C’est la traduction de la 3e équation du système défini précédemment. Pour ce faire, nous comparons simplement les valeurs ajustées de l’offre et de la demande de crédit et nous calculons la proportion d’entreprises pour lesquelles la demande est supérieure à l’offre.

En troisième et dernier lieu, nous construisons deux sous-échantillons, l’un rassemblant les entreprises rationnées, l’autre les non rationnées. Nous déterminons leurs statistiques descriptives respectives. Nous pouvons alors dresser une typologie des PME qui sont les plus sujettes au rationnement et définir les variables qui ont le plus d’importance dans la décision de rationnement prise par les banques.

3.4. L’échantillon

Les PME constituent un groupe d’entreprises assez large et souvent hétérogène. Leur structure et leur taille peuvent être assez largement influencées par leur environnement économique national. Les critères de sélection de notre échantillon d’entreprises[7] sont conformes à la définition européenne du 1er janvier 2005 d’une PME[8]. Ils sont les suivants :

  • Effectifs inférieurs à 250 personnes ;

  • Chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros ;

  • Total de l’actif inférieur à 43 millions d’euros ;

  • Quant au critère d’indépendance, les données nécessaires à sa prise en compte sont très délicates à trouver et à traiter. Il n’existe pas d’élément renseigné permettant de séparer les PME indépendantes de celles appartenant à un groupe au sein de la base de données DIANE. La sélection a donc été faite à partir des sites Internet des sociétés sélectionnées.

Le taux Euribor retenu est le taux à 1 an moyen sur l’année, la moyenne ayant été réalisée à partir des taux à 1 an mensuels.

L’échantillon est composé de 3 957 entreprises répondant aux critères de définition d’une PME et dont les données sont disponibles de 1999 à 2008 inclus (nous avons retiré les observations aberrantes et celles qui étaient incomplètes), soit un total de 29 988 observations. Nous avons exclu les microentreprises dont le total bilan et le chiffre d’affaires sont inférieurs à 2 millions d’euros. Le tableau 1 fournit la répartition des entreprises par année.

Tableau 1

Répartition des entreprises observées par année

Répartition des entreprises observées par année

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Le tableau 2 présente quelques statistiques descriptives des variables pour l’échantillon d’entreprises sélectionnées qui nous permet de voir que l’entreprise médiane existe depuis 25 ans, dispose de 4,3 millions d’euros d’actif net. Les fonds propres représentent 35 % du total des dettes.

Tableau 2

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

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4. Les résultats

Nous présentons dans cette section les résultats de l’étude empirique réalisée à l’aide du logiciel Gretl. Dans une première sous-section, nous analysons les coefficients des équations estimées. Ensuite, nous exposons les résultats quant à l’existence d’un rationnement, à son importance relative en période de crise avant de définir le profil des PME contraintes financièrement par les banques.

4.1. L’analyse des équations d’offre et de demande estimées

Les tableaux 3a et 3b synthétisent les résultats de la première étape d’estimation dans laquelle nous avons supposé un équilibre du marché du crédit pour pouvoir estimer les équations d’offre et de demande[9].

Le tableau 3a présente les résultats de la régression du modèle d’offre (équation 1) par moindres carrés corrigés de l’hétéroscédasticité. La deuxième colonne présente la valeur des coefficients et la troisième colonne les plus-values. La significativité des résultats est donnée de la manière suivante : significativité à 1 % ***, significativité à 5 % **, significativité à 10 % *. Une modalité de chacune des variables muettes n’apparaît pas, car son inclusion dans le modèle génèrerait une parfaite multicolinéarité empêchant l’estimation.

Tableau 3a

Modèle appliqué pour l’offre de crédit aux PME

Modèle appliqué pour l’offre de crédit aux PME

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Concernant l’offre de crédit aux PME, nous constatons que le coefficient relatif à l’âge est significatif et a un signe en accord avec les hypothèses théoriques. C’est également le cas pour la solvabilité et la variable reflétant le niveau d’actifs pouvant être donnés en garantie. Ce dernier élément est important et les résultats montrent bien le rôle des nantissements dans la protection contre les asymétries d’information entre prêteur et emprunteur. En revanche, le critère de taille — Ln(total actif) — est inversement lié à l’offre de crédit, contrairement à ce que l’on a prédit. La couverture des frais financiers qui est une façon de mesurer la capacité de remboursement de l’emprunteur est aussi inverse à ce que nous anticipions. Le risque d’insolvabilité et le montant de cash-flow ne sont pas significatifs.

Les résultats concernant l’utilisation des crédits commerciaux sont difficiles à interpréter et ne permettent pas de conclure quant au sens du signal que leur utilisation par les entreprises envoie aux banques. D’une part, l’utilisation de crédits commerciaux par rapport aux montants de crédits commerciaux accordés aux clients est positivement liée à l’offre de crédit bancaire, ce qui valide l’hypothèse de Biais et Gollier (1997) stipulant que l’utilisation de crédits commerciaux confère une information positive aux banques. D’autre part, le fait de disposer d’un montant de crédits commerciaux plus important que la moyenne de l’industrie à laquelle appartient une entreprise n’est pas un bon signal. Ceci signifie plutôt que les banques considèrent que les entreprises qui recourent aux crédits commerciaux sont celles qui se sont vues refuser du financement bancaire, ce qui constitue un signal négatif. Cela reflète également le fait qu’il existe un réel réseau de financement interentreprises : les plus flexibles accordant des délais de paiement aux moins flexibles et moins liquides, y trouvant un avantage dans l’augmentation de leur activité par ce biais.

Le tableau 3b présente les résultats de la régression du modèle de demande (équation 2) par moindres carrés corrigés de l’hétéroscédasticité. La deuxième colonne présente la valeur des coefficients et la troisième colonne les plus-values. La significativité des résultats est donnée de la manière suivante : significativité à 1 % ***, significativité à 5 % **, significativité à 10 % *.

Tableau 3b

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Concernant la demande de crédit des PME, le coefficient de croissance de l’actif est positif. Les entreprises à forte croissance ont besoin de plus de capitaux externes. En revanche, la variable Ln(total actif) représentant le niveau d’activité de l’entreprise n’a pas d’impact significatif. La rentabilité économique est négativement liée à la demande de crédit bancaire. Les entreprises moins rentables demandent plus de fonds aux banques.

Tout comme pour l’analyse de l’offre de crédit, il est ici difficile de conclure à propos des crédits commerciaux. Les dettes fournisseurs nettes des créances clients sont liées positivement à la demande de crédit tandis que les dettes fournisseurs y sont liées négativement. Le signe positif des dettes fournisseurs nettes permet de dire que les crédits commerciaux sont d’autant plus utilisés que nous souhaitons plus de crédit d’une manière générale (dont du crédit bancaire) et indique un probable rationnement. Le lien négatif entre dettes fournisseurs et demande de crédit signifie que crédits commerciaux et crédits bancaires sont complémentaires plutôt que substituables.

4.2. L’analyse du rationnement du crédit

Pour déterminer la proportion de PME contraintes financièrement par les banques, nous comparons les valeurs ajustées d’offre et de demande de crédit des modèles estimés puis nous les confrontons. Si, pour une entreprise i considérée pour une année t, nous avons un montant de crédit demandé plus important que le montant de crédit offert, alors l’entreprise est rationnée pour cette année. Il est important de noter que la méthode d’estimation offre la possibilité aux entreprises de changer de sous-échantillon (rationnées versus non rationnées) au cours du temps. Une fois les entreprises catégorisées selon les deux sous-échantillons et classées par année, nous calculons aisément la proportion d’entreprises rationnées sur l’échantillon total. Le tableau 4 présente les résultats de cette étape d’estimation.

Sur toute la période étudiée (2000-2008), les résultats indiquent un rationnement du crédit bancaire pour 45,3 % des PME françaises. Steijvers (2008) a estimé ce rationnement à 53,4 % et 52,7 %, respectivement pour le long terme et le court terme, concernant les PME belges sur la période 1993-2001. Atanasova et Wilson (2004) estiment que 42,7 % des PME anglaises sont rationnées sur la période 1989-2009.

Tableau 4

Proportion d’entreprises subissant un rationnement du crédit bancaire

Proportion d’entreprises subissant un rationnement du crédit bancaire

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Il est intéressant de constater que ce rationnement est à peu près constant de 2000 à 2007, autour de 45 %, et qu’il augmente pour la seule année 2008. Les PME ont, selon les résultats présentés ici, subi un rationnement renforcé en raison de la crise financière et économique actuelle. La crise de liquidité et les lourdes pertes auxquelles les banques ont été confrontées ont conduit à une réduction de l’activité de prêt.

4.3. Le profil des PME rationnées

Au-delà de la mesure d’un éventuel rationnement du crédit, il semble intéressant de caractériser les PME qui sont rationnées en comparaison de celles qui échappent à cela. Les statistiques présentées au tableau 5 permettent de définir les caractéristiques des PME ayant été contraintes financièrement par les banques. Nous avons réalisé un test d’égalité de moyenne afin de pouvoir affirmer ou non que les moyennes des deux sous-échantillons sont significativement différentes.

Le tableau présente les valeurs des principales grandeurs économiques selon qu’elles concernent les PME rationnées ou les PME non rationnées. # signifie que la moyenne pour les PME rationnées est significativement différente de la moyenne pour les PME non rationnées au seuil de 5 % d’après le test de Wilcoxon.

Tableau 5

Comparaison des moyennes PME rationnées versus PME non rationnées

Comparaison des moyennes PME rationnées versus PME non rationnées

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D’après les résultats, les PME rationnées sont plus jeunes ce qui est conforme aux résultats obtenus par Atanasova et Wilson (2004) concernant les PME anglaises. La difficulté de financement des PME, d’autant plus marquée qu’elles sont jeunes, pose un problème important de développement de l’économie. En effet, ces entreprises souvent en forte croissance et créatrice d’emplois doivent être financées avec s’il le faut, une garantie publique. Par ailleurs, les entreprises rationnées dégagent moins de cash-flow et disposent de moins d’actifs pouvant être mis en garantie, c’est-à-dire que les PME plus risquées ou pour lesquelles les asymétries d’information et l’incertitude sont élevées sont plus sujettes au rationnement du crédit bancaire, ce qui est en accord avec la théorie. C’est également conforme à la pratique qui montre que les banques en France financent les bilans plus que les projets, cherchant la sécurité à travers notamment la prise de garantie, mais également par la solvabilité présente et passée dont les ratios financiers témoignent. En revanche, elles sont plus grandes, ce qui peut constituer un résultat surprenant de prime abord. Cependant, plus une PME est grande, plus son besoin de financement est important et le désir du dirigeant de ne pas ouvrir son capital devient un réel handicap au développement de son entreprise. Par ailleurs, leur niveau d’activité est plus élevé et elles croissent plus rapidement (croissance de l’actif et croissance du chiffre d’affaires), mais sont moins rentables. Les entreprises qui ont besoin de plus de ressources pour leur croissance n’arrivent pas à en obtenir. Enfin, les entreprises rationnées ont des ratios de dettes fournisseurs (brutes et nettes) plus faibles que les entreprises non rationnées. L’utilisation de ce mode de financement semble donc plus utilisée par les entreprises pérennes avec un objectif de minimisation du coût du passif que dans une logique de financement en dernier recours.

Globalement, les résultats trouvés ici sont assez proches de ceux trouvés par Steijvers (2008) sur les PME belges et Atanasova et Wilson (2004) sur les PME anglaises. Ils ont pu également confirmer le recours plus important aux crédits commerciaux pour ces entreprises, tel un substitut aux crédits bancaires.

Conclusion

Les difficultés de financement rencontrées par les PME françaises constituent une entrave majeure à leur développement. Il est probable que la crise financière et économique actuelle ne fasse que renforcer le phénomène de rationnement du crédit qui touche ces entreprises.

Cette étude vise à mesurer le rationnement du crédit des PME françaises sur la période 2000-2008. Nous avons souhaité aborder avec attention la crise économique et financière actuelle et ses conséquences sur l’accès au financement pour des PME. L’estimation réalisée sur un échantillon de 3 957 PME françaises a permis de conclure à un rationnement du crédit bancaire conséquent d’environ 45 % de 2000 à 2007, et à un rationnement renforcé de 49,1 % en 2008, période de crise. Les PME rationnées sont plus jeunes, disposent de moins de garanties, dégagent moins de cash-flow et croissent plus rapidement que les autres. Ainsi, en France, les PME correspondant à ce type de profil sont plus fortement exposées à un rationnement du crédit bancaire, et ce d’autant plus fortement en cette période de crise.

L’existence d’un tel rationnement explique que le modèle de croissance des PME françaises semble de plus en plus privilégier un développement au sein des grands groupes, leur permettant de résoudre leurs difficultés financières. Concernant les PME indépendantes, confrontées aux problèmes récurrents d’asymétrie d’information entre banquiers et dirigeants ainsi qu’à l’absence d’une possibilité de financement sur les marchés financiers, elles doivent remettre au centre de leur stratégie de financement l’ouverture du capital proposé, notamment par les capital-risqueurs ou, dans le cas français un appel à la Banque publique d’investissement dont la vocation est de participer au financement des PME en limitant l’effet du rationnement.