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Les entrepreneurs novices vivent des transitions critiques lors du lancement de leur entreprise et doivent apprendre à s’adapter rapidement. Comme le soulignaient Cope et Watts (2000) pour qu’une petite entreprise grandisse l’entrepreneur doit s’adapter et changer au fur et à mesure que l’entreprise se déplace sur son cycle de vie. Le mentorat est une pratique d’accompagnement (encadré 1) des entrepreneurs novices par des entrepreneurs plus expérimentés visant à favoriser l’apprentissage, l’adaptation du projet et le développement entrepreneurial. Partie des États-Unis et du monde anglo-saxon, cette pratique s’ajoute aux approches existantes d’accompagnement direct par des associations et des organismes gouvernementaux visant à développer et pérenniser l’entrepreneuriat.

Le mentorat semble bien correspondre aux quatre constats majeurs relatifs à la forme prise par l’apprentissage entrepreneurial relevés par la littérature (Bayad et al., 2006; Boughattas et Bayad, 2009 ; Boughattas-Zrig, 2011, Cope et Watts, 2000 ; Cope, 2005 ; Deakins, 1995 ; Dupouy, 2008 ; Hall et Chandler, 2007; Kolb, 1984; Lichteinstein et Lyons, 2001; Lobler, 2006; Politis, 2005) :

  • L’apprentissage est expérientiel (learning by doing) : les entrepreneurs ont tendance à apprendre sur le tas ou par l’action, plus qu’au travers de formations.

  • L’apprentissage est continu (continuous learning) : l’apprentissage se fait tout au long de l’activité quotidienne de l’entrepreneur.

  • La réflexivité critique domine (critical reflectivity) : la réflexion sur les événements critiques passés est une source d’apprentissage.

  • Les réseaux de développement sont importants (learning networks) : les réseaux de l’entrepreneur sont sources d’échanges et d’accompagnement à l’apprentissage entrepreneurial et évitent l’isolement de l’entrepreneur.

En particulier, Lankau et Scandura (2007) ont démontré que les relations de mentorat peuvent contribuer à l’apprentissage personnel des mentorés. Le mentor est une personne tout à fait appropriée pour l’accompagnement de l’apprentissage « expérientiel » et réflexif de l’entrepreneur (Cope et Watts, 2000) : « Créer une aide si dynamique et facilitante demanderait une connaissance détaillée de l’entrepreneur et de son business, et, donc, cela met en avant l’importance de programmes long terme de mentorat pour les petites entreprises. ». De façon plus générale selon Katz (2007) : « L’éducation entrepreneuriale peut être améliorée par l’inclusion d’entrepreneurs expérimentés dans toutes les phases du processus de formation. »

Les recherches existantes relatives au mentorat entrepreneurial nous offrent des visions fragmentées du processus d’accompagnement des entrepreneurs novices par des mentors. Nous pensons qu’il serait intéressant pour les organismes visant à améliorer ou développer un programme de mentorat entrepreneurial d’avoir une vision globale de ce processus complexe incluant les trois parties prenantes et leurs rôles : le mentor, le mentoré et l’organisation tierce initiatrice du programme d’accompagnement. L’objectif de cet article est, dans une premier partie, de rendre plus lisible le processus lui-même, de le décomposer en étapes clés et de mettre en valeur le rôle de l’organisation tierce. Partant de plusieurs recherches relatives à la fois au mentorat intra-organisationnel et au mentorat entrepreneurial et nous appuyant sur les premiers résultats d’une étude exploratoire qualitative longitudinale (encadré 2) nous essayerons, dans une deuxième partie de construire à partir de points de vue différenciés une vision globale du processus de mentorat entrepreneurial. La modélisation est, dans une troisième partie, appliquée à un ensemble de sept cas afin de tenter de mettre en lumière les fonctions clés de l’organisation initiant un programme de mentorat entrepreneurial.

Analyse des modèles existants

Les deux premiers modèles recensés (St Jean, 2009; Young et Perrewé, 2007) ont une approche dyadique. Ils se focalisent exclusivement sur le déploiement du processus de mentorat entre deux parties : le mentor et le mentoré. Les quatre modèles présentés ensuite ont une approche tripartite (Allen, 2007; Baugh et Fagenson-Eland, 2007; Couteret et al., 2006; Fletcher et Ragins, 2007). Au binôme mentor-mentoré ils adjoignent une troisième partie : le coordinateur de programme de mentorat.

Les modèles dyadiques

Les deux premiers modèles font de la relation mentor-mentoré un objet d’analyse auto suffisant. Il est ici considéré comme possible d’expliquer les effets produits par une relation par l’observation d’une part de ses caractéristiques intrinsèques (la fréquence des rencontres par exemple) et, d’autre part, par celle des traits individuels (la disponibilité par exemple) des parties prenantes à la relation.

Le modèle de St Jean (2009) illustré par la figure 1 est extrait de sa recherche doctorale sur les retombées et les facteurs de succès de la relation de mentorat d’entrepreneur novice selon la perspective du mentoré. Deux participants (un mentor et un mentoré) se rencontrent. Une relation de mentorat se crée qui est définie par l’auteur par sa fréquence, sa durée, ainsi que par les fonctions de mentorat exercées par le mentor. Sont alors observables des retombées « proximales » ou immédiates (développement de compétences, de réseaux et de satisfaction) et des retombées « distales » ou de long terme pour l’entrepreneur et pour l’entreprise mentorée.

Ce modèle permet d’ébaucher une construction du processus de mentorat entrepreneurial ou inter organisationnel. Il met également en avant certains des facteurs clefs de succès de la relation étudiée : l’expérience et la disponibilité du mentor, l’ouverture d’esprit du mentoré, la confiance réciproque, la similitude du binôme. La limite principale du modèle tient à sa linéarité stricte. Seuls sont étudiés les effets de la relation entre les parties prenantes sur l’amélioration de la situation du mentoré.

Figure 1

Modèle conceptuel du mentorat entrepreneurial (D’après St Jean, 2009, p36)

Modèle conceptuel du mentorat entrepreneurial (D’après St Jean, 2009, p36)

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Le modèle de Young et Perrewé (2000) est très complet pour ce qui est de l’analyse du processus psychologique à l’oeuvre dans la relation de mentorat. Les auteurs insistent en particulier sur la définition des rôles et des attentes des parties prenantes, sur la mesure de leur satisfaction, sur leur perception de la qualité de la relation, sur leur compétence relationnelle, et sur leur capacité d’engagement. Ce modèle, centré donc sur les traits psychologiques les plus saillants des partenaires, est construit sur l’observation d’une relation intra-organisationnelle et à ce titre occulte la possibilité d’une animation de la relation par une structure tierce indépendante.

Les modèles tripartites

Dans la perspective entrepreneuriale (ou inter organisationnelle) qui est la nôtre, le modèle dyadique de Young et Perrewé pèche en éliminant par construction toute référence au cadre institutionnel (interne ou externe) de la création et de l’animation de la relation. Cette limite est repoussée par des modèles qui bien qu’essentiellement centrés sur le couple mentor-mentoré et construits sur des analyses intra-organisationnelles, font clairement apparaître une troisième partie prenante (figure 2). Cette composante tierce peut être incarnée par un coordinateur, une règle, un contexte, un support organisationnel.

Le modèle d’Allen (2007) est principalement celui du mentor. Celui-ci est vu comme le moteur essentiel de la relation et son comportement comme la source principale d’explication de sa réussite ou de son échec. Allen décompose le processus de mentorat (intra-organisationnel) en quatre phases principales : l’expression de la volonté d’accompagner du mentor, l’appariement du binôme mentor-mentoré, le déroulement de la relation de mentorat, la satisfaction ressentie par le mentor. L’analyse est complétée par la prise en compte des facteurs organisationnels influençant le processus lors de l’initiation de la relation et dans l’évaluation de ses résultats par le mentor. Dans les conclusions principales d’Allen figure l’idée que l’implication et la satisfaction de celui-ci sont partiellement conditionnées par un mécanisme tiers de réduction d’asymétrie informationnelle (entre le mentor et le mentoré) et par l’existence d’un feed-back produit par le même mécanisme et permettant au mentor de juger de la valeur de sa contribution.

Figure 2

Le mentorat entrepreneurial, une relation tripartite

Le mentorat entrepreneurial, une relation tripartite

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Le modèle intra-organisationnel de Baugh et Fagenson-Eland (2007) détaille les éléments à prendre en compte dans une relation formelle de mentorat. Les étapes clefs du processus sont pour Baugh et Fagenson-Eland : la mise en relation (influencée par les caractéristiques du mentor et du mentoré), le déroulement de la relation, l’évaluation des résultats. L’apport d’éléments par le coordinateur interne du programme, tel que le support organisationnel et la formation sont déterminants.

Dans le processus de mise en relation le facteur de similitude des parties prenantes est important ainsi que les facteurs de complémentarité (différentiel d’expérience et de compétence) de proximité géographique (pour faciliter les rencontres) et de disponibilité (pour maintenir la relation). Dans ce modèle les résultats sont pris en compte à trois niveaux, celui du mentor, celui du mentoré, et celui de l’organisation porteuse de l’opération. Pour Baugh et Fagenson-Eland le coordinateur (tierce partie interne) joue un rôle important dans un processus formel de mentorat. Il définit le cadre de la relation en termes d’objectifs (accompagner le développement de l’entreprise en démarrage) de structure (fréquence et durée de la relation) et de type formel (réunion en face-à-face par exemple).

Le coordinateur sélectionne les participants (populations ciblées et choix des mentors) il construit le processus de mise en relation du binôme et assure la formation des participants. Enfin, il fournit le support organisationnel qui permet à la relation de se déployer.

Le dernier modèle de mentorat intra-organisationnel que nous retenons pour notre recherche est le modèle du mentorat relationnel basé sur la théorie de la relation culturelle de Fletcher et Ragins (2007). Ce modèle donne de l’importance à la dynamique relationnelle du mentorat et souligne l’aspect mutuel de la relation. Ici, les deux participants (mentor et mentoré) ont besoin d’avoir des compétences relationnelles. Le modèle est dynamique car centré sur l’évolution d’une relation qui se construit ou se détruit en fonction des résultats de chaque interaction. Les compétences et les comportements relationnels de chacun des membres du binôme sont déterminants et se développent au cours de la relation de mentorat.

L’organisation tierce interne a ici un rôle à jouer dans la sélection des participants en fonction de leurs compétences relationnelles et dans la mise en place d’un apprentissage qui puisse permettre de les développer.

Le modèle de Couteret et al. (2006) illustré par la figure 3, est une mise en ordre des facteurs clefs de succès de la relation de mentorat. Dans ce modèle tripartite entrepreneurial les caractéristiques principales (compétences et comportements) du mentor du protégé et de la structure support sont analysées comme autant de facteurs de succès de la relation. Le modèle est complété par une interrogation sur les facteurs propres à la relation elle-même entendue comme la sommation des éléments partagés entre les parties prenantes.

Afin d’identifier ces facteurs de succès Couteret et al. (2006) réalisent une étude exploratoire auprès d›un groupe d›entrepreneurs novices québécois ayant eu recours à un programme de mentorat. Ils interrogent quatre groupes de discussion composés en moyenne de dix participants. Le rôle de l’organisation tierce (structure de support) est ici très important pour la réussite du mentorat entrepreneurial. Les rôles de mise en relation du binôme, d’établissement d’un cadre pour la relation (durée et fréquence des rencontres) et de suivi de la relation sont particulièrement soulignés. La limite principale du modèle est qu’à l’instar de l’approche de St Jean (2009 ) il n’évalue les effets de la relation entre les parties prenantes (figure 1) que sur la base de l’amélioration de la situation du mentoré.

Figure 3

Les facteurs de succès du mentorat entrepreneurial (d’après Couteret et al, 2006, p12)

Les facteurs de succès du mentorat entrepreneurial (d’après Couteret et al, 2006, p12)

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À titre de synthèse, le tableau 1 reprend les points clés que nous retiendrons de chaque modèle pour la construction d’une approche tripartite du processus de mentorat entrepreneurial.

Le processus de mentorat entrepreneurial : une approche tripartite

De l’analyse préalable des six modèles nous tirons, nous appuyant sur une littérature complémentaire, une modélisation en quatre étapes : l’étape d’attraction, de sélection et de formation des participants, l’étape d’appariement du binôme, l’étape de suivi de la relation, l’étape d’évaluation des résultats et la reconnaissance des mentors.

Pour chacune des étapes du processus le rôle joué par l’organisation tierce pouvant influencer positivement ou négativement le succès futur de la relation mentor-mentoré est questionné.

L’attraction, la sélection et la formation des participants

Dans le cadre d’un mentorat entrepreneurial les participants appartiennent à des entreprises distinctes. Les coordinateurs de programme n’ont donc pas accès à un pool interne de mentors et mentorés potentiels. L’organisation tierce a pour première mission d’attirer des mentors de qualité répondant à un profil supposé être bien défini.

Il semble plus facile par contre d’attirer des mentorés potentiels qui sont supposés comprendre les bénéfices qu’ils pourront tirer d’un accompagnement.

Quatre conditions semblent déterminer une bonne initialisation de la relation de mentorat.

Le mentor doit être crédible aux yeux du mentoré. Expérience et réseau

Le mentor d’entrepreneurs doit avoir de l’expérience (Simard et Fortin, 2008) que celle-ci soit mesurée en termes de durée ou en termes de différentiel de compétences par rapport au mentoré. Cette expérience doit être spécifiquement dans l’entrepreneuriat. Le mentor peut avoir eu soit la responsabilité d’une entreprise depuis longtemps soit une l’expérience de la création de plusieurs entreprises dans sa vie. Cette expérience est nécessaire selon les mentorés pour que le mentor puisse offrir des conseils avisés (Cull, 2006) qu’il ait le sens de l’entrepreneuriat, qu’il connaisse le contexte des PME et qu’il soit crédible (Couteret et al., 2006).

Tableau 1

Synthèse des modèles étudiés

Synthèse des modèles étudiés

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La littérature suggère qu’un bon mentor est un mentor « connecté » (Cull, 2006; Couteret et al., 2006) qui puisse mettre en relation son mentoré avec des personnes de son propre carnet d’adresses. Le réseau du mentor peut en effet aider l’entrepreneur novice à accéder à de nouveaux marchés, à des partenaires stratégiques, ou même à des financiers auxquels il n’aurait eu accès seul.

Figure 4

Processus de mentorat entrepreneurial

Processus de mentorat entrepreneurial

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Le mentor doit posséder des compétences relationnelles

Un autre aspect du profil du mentor relevé par la littérature est qu’il doit être à l’écoute et ouvert ceci afin de pouvoir comprendre l’entrepreneur-mentoré, son entreprise, et son environnement (Cull, 2006; Couteret et al., 2006; Simard et Fortin, 2008). Cette empathie est essentielle pour établir des rapports humains efficaces dans la relation de mentorat. À l’empathie s’ajoute la capacité d’analyse du mentor. Il doit pouvoir aider le mentoré dans sa réflexion et aussi lui offrir de nouvelles perspectives (Cull, 2006; Couteret et al., 2006). Au-delà enfin de la capacité d’analyse du mentor c’est sa capacité à encourager la réflexion chez le mentoré (Cull, 2006) par une approche maïeutique (St Jean et Audet, 2010) qui donne les meilleurs résultats en favorisant l’autonomie du mentoré.

Le mentor doit aussi comprendre et respecter son rôle de mentor. Un mentor est détaché, il n’est pas impliqué dans l’entreprise du mentoré (Cull, 2006). Il est détaché et doit le rester car ce qu’apprécient les mentorés c’est : « un rapport privilégié avec une personne qui n’a pas de lien financier ou émotif avec l’entreprise » (Simard et Fortin, 2008). Le mentor doit éviter les comportements dits « toxiques » (condescendance, intrusion, directivité) et doit respecter une éthique de confidentialité et de non-concurrence (Gravells, 2006).

La formation joue un rôle important dans le processus de mentorat en particulier pour aider les participants à développer les compétences relationnelles nécessaires. Les standards internationaux (ISPME, 2006) recommandent ainsi qu’elle soit obligatoire pour tous les participants (mentors et mentorés) afin de bien définir les rôles, les responsabilités, le cadre et les objectifs, et donc les compétences relationnelles requises.

Le mentoré doit également posséder des compétences relationnelles

Tout comme les mentors, les mentorés semblent devoir posséder certaines compétences relationnelles telles que l’ouverture et l’écoute (Couteret et al., 2006; Lee, 2000). Ces compétences peuvent être développées pendant la relation (Fletcher et Ragins, 2007). L’ouverture permet aux mentorés d’accueillir le mentor et de mieux prendre en compte ses conseils et son feed-back (Cranwell-Ward et al., 2004; Klasen et Clutterbuck, 2002). St Jean (2009) identifie ainsi, relativement au mentoré, un facteur comportemental majeur de succès, l’ouverture ou le niveau de « dévoilement de soi » du mentoré.

Le mentoré doit être en demande d’aide (Couteret et al., 2006; Gravells, 2006). Dans notre enquête qualitative longitudinale, les mentors relèvent deux points importants caractérisant le mentoré : le besoin d’accompagnement et la clarté du projet. Le mentor semble en effet avoir besoin de sentir que son aide est nécessaire, que le mentoré a un vrai besoin d’accompagnement et appréciera l’aide fournie par le mentor.

Le besoin d’un engagement réciproque

Une relation de mentorat demande un investissement temporel de la part du mentor. La plupart des programmes s’étalent sur un an ou deux et exigent une rencontre mensuelle d’un minimum d’heures. Au-delà de la disponibilité physique pour les rencontres, le mentor doit être disponible intellectuellement pour pouvoir se concentrer sur le cas du mentoré pendant les réunions et en dehors de celles-ci. Cull (2006) souligne une forte demande de soutien, de présence et de disponibilité de la part du mentoré. L’engagement doit être mutuel pour la réussite de la relation, le mentoré doit s’engager volontairement dans la relation et être réceptif au mentorat (Couteret et al., 2006; Cull, 2006). Les mentors doivent s’engager volontairement dans la relation afin de pouvoir garder un niveau de motivation (Gravells, 2006) et de disponibilité suffisant. La générosité, et la disponibilité du mentor et le fait de pouvoir compter en tout temps sur la présence rassurante d’une personne d’expérience sont cités par Simard et Fortin (2008) comme facteurs de satisfaction des mentorés.

L’appariement du binôme mentor-mentoré

Les chercheurs s’accordent à reconnaître que le processus d’appariement doit être le plus transparent possible et impliquer au mieux les participants dans le choix de leur binôme (Clutterbuck et Megginson, 1999; Couteret et al. 2006; Hattingh et al., 2005; Houde, 1996).

Il est donc important que les membres du binôme puissent disposer d’informations sur leur potentiel partenaire. Des critères d’appariement parfois paradoxaux (similarité versus complémentarité) sont relevés par plusieurs auteurs. La similarité perçue (en termes de secteur d’activité, de métier ou de personnalité) favorise ainsi la relation de confiance (St Jean, 2009). À l’opposé, la complémentarité perçue entre les membres de binôme (différentiel d’expérience et de compétences) favorise le sentiment d’utilité de la relation. La proximité géographique peut favoriser les rencontres physiques et la disponibilité des membres du binôme peut assurer que la relation puisse être entretenue (Cranwell-Ward et al., 2004; Klasen et Clutterbuck, 2002; Klauss, 1981).

Le facteur appariement est souvent mentionné sous la forme d’un sentiment ou d’un ressenti positif (feeling) d’alchimie personnelle (« personal chemistry », Gravells, 2006) ou même de compatibilité personnelle (fit). Ce ressenti souvent inexplicable par les parties concernées a été étudié par plusieurs chercheurs. La relation de mentorat étant le plus souvent satisfaisante lorsqu’elle est réalisée en face-à-face et de manière fréquente et régulière (Couteret et al., 2006). Cette relation doit être basée sur la confiance (Couteret et al., 2006; Cranwell-Ward et al., 2004; Houde, 1996; St Jean, 2009; Wang et al, 2010; Wilson, 1990) et la confidentialité pour favoriser des échanges authentiques et efficaces.

L’organisation tierce joue un rôle central dans l’appariement car c’est elle qui décide du processus et des règles de mise en relation. Elle doit prendre en compte les facteurs clés identifiés et favoriser la découverte mutuelle préalable des potentiels binômes en réduisant l’asymétrie d’information qui peut exister entre eux. Elle doit trouver des moyens de les faire se rencontrer afin de favoriser l’échange humain comme suggéré par les « blind dates » de Blake-Beard et al. (2007). Celles-ci sont des rencontres sans engagement qui permettent aux participants de faire connaissance afin d’informer des conséquences de leur choix mentors et mentorés.

Le suivi de la relation de mentorat

Le suivi de la relation impose la prise de conscience au niveau de l’organisation tierce de la nécessité d’assumer certaines fonctions dans un cadre formel lisible.

Les fonctions du mentorat ont été étudiées dans la littérature intra-organisationnelle (Kram, 1985) puis adaptées pour le contexte entrepreneurial (St Jean, 2009). La fonction psychosociale s’appuie sur la confiance, l’intimité et le lien interpersonnel. Elle s’incarne dans des comportements qui aident le mentoré dans son développement personnel (identité, estime de soi) et professionnel (efficacité). Les comportements requis incluent, dans l’idéal, l’acceptation, le don de conseils personnels, l’amitié. La fonction dite de « développement entrepreneurial » vise à aider le mentoré à apprendre les « ficelles » du métier d’entrepreneur et à se préparer aux aléas du rôle. Elle inclut l’information, la mise en réseau, la confrontation et le guidage.

La fonction d’exemplarité est la fonction remplie par le mentor en tant que modèle. Le mentor expose des épisodes de sa vie et le mentoré tire alors les leçons qui s’imposent en fonction de sa situation.

Le cadrage formel de la relation impose que soient définis les objectifs de la relation, le rôle et les attentes de chacun (Cranwell-Ward et al., 2004; Gerstein, 1985; Hattingh et al., 2005; Houde, 1996; Klauss, 1981) mais aussi la durée prévue de la relation et la fréquence des rencontres.

Une fois le binôme créé, l’organisation tierce joue un rôle de suivi, mesurant épisodiquement les résultats de la relation et la satisfaction du binôme. Elle peut ainsi éviter les dysfonctionnements potentiels et l’essoufflement de la relation (Feldmann, 1999). En cas de problème, elle doit pouvoir aider à sa résolution voire entamer une procédure de séparation amiable afin d’en limiter les conséquences négatives. Elle doit s’assurer également que le cadre fixé lors de la formation des participants est bien respecté. Elle est le garant du fonctionnement éthique de la relation (ISPME, 2006). Elle peut accompagner le développement des mentors en organisant des groupes de discussion visant l’échange de meilleures pratiques (Cranwell-Ward et al., 2004; Hattingh et al., 2005).

L’évaluation des résultats du mentorat et la reconnaissance des mentors

À l’échéance de la relation, l’organisation tierce a pour mission de mesurer ses résultats. L’objectif est ici de continuellement évaluer l’efficacité de ses actions et d’améliorer son programme. Afin de garder, stimuler et attirer des mentors dans ce type de processus, elle doit aussi trouver des moyens pour les reconnaître (Allen, 2007) et les mettre en valeur.

Il est possible de distinguer deux types de résultats produits par la relation de mentorat : les retombées[1] dites proximales (immédiates) et les retombées distales ou les conséquences à plus long terme. Les retombées proximales pour les membres du binôme peuvent être mesurées par la satisfaction et la perception de la qualité de la relation, ainsi que par le développement ou apprentissage acquis grâce à la relation.

Bien qu’il soit plus difficile de mesurer les retombées distales pour les membres du binôme et les parties prenantes (l’entreprise du mentoré, le mentoré, le mentor et l’organisation tierce) il serait intéressant de pouvoir, grâce à une étude longitudinale, les évaluer. Pour mesurer les retombées pour l’entreprise du mentoré il faudra prendre soin de considérer de nombreuses variables de contrôle telles que l’industrie, le financement, le pays, l’expérience du mentoré dans son secteur et toutes autres variables pouvant impacter le succès d’une entreprise.

L’utilisation du modèle pour l’analyse des fonctions clés de l’organisation tierce

Pour tester notre modélisation, nous utilisons le construit de la figure 4 comme une grille d’analyse que nous appliquons à sept études de cas (Yin, 2009). Cette recherche comparative de programmes de mentorat entrepreneurial en France (encadré 3) nous permet en utilisant les techniques d’analyses suggérées par Eisenhardt (1989) d’identifier les fonctions de l’organisation tierce les plus importantes (celles qui sont le plus directement corrélées aux retombées dites proximales ou immédiates) dans le processus.

Appliquer un modèle à un ensemble limité de cas impose à la fois une triangulation poussée qui puisse garantir une haute fiabilité des résultats présentés et une formulation ouverte à la critique et à de nouvelles expérimentations. En matière d’études de cas la réfutabilité se construit (Boyer, 1994) par accumulation, chaque recherche venant se situer dans un flux de travaux au sein duquel par confirmations et infirmations successives se construit une validation intersubjective qui peut espérer produire une objectivité. Ce travail ne déroge pas à cette règle et ses résultats sont à prendre comme des propositions à la fois fiables et contestables.

Nos premiers résultats nous permettent d’affirmer que l’organisation tierce crée les conditions d’un mentorat efficace en assurant une fonction de « mise en place de la relation » qui peut être scindée en trois actions clés (figure 5) :

  • Création et animation d’un réseau professionnel, dynamique et convivial d’entrepreneurs. Cette action permettant de réunir des participants (mentors et mentorés) partageant des valeurs d’entre-aide et de développement personnel.

  • Préparation des mentors et mentorés à la relation de mentorat. Cette action aidant les participants à comprendre le cadre et à développer les compétences relationnelles nécessaires au bon fonctionnement et à l’efficacité de la relation.

  • Coordination de la mise en relation du binôme mentor-mentoré. L’organisation tierce coordonne et favorise ainsi la découverte mutuelle des membres du binôme pour la recherche de compatibilité professionnelle et inter-personnelle.

Les deux premières actions favorisent selon nos résultats l’attraction de participants répondant aux profils du mentor et du mentoré comme identifiés dans notre modèle théorique : crédibilité, engagement, besoin d’accompagnement et compétences relationnelles. L’étude qualitative longitudinale déjà citée (encadré 1) nous avait montré que la réputation de l’organisation tierce pèse dans le choix des mentors et des mentorés de participer au programme de mentorat. Il est donc important pour l’organisation d’avoir une bonne réputation auprès des entrepreneurs en affichant des valeurs qui puissent résonner auprès des mentors-altruistes et qui puissent répondre aux besoins des mentorés.

Par la construction d’un réseau, l’organisation tierce favorise la socialisation entre les acteurs (mentors et mentorés) et permet la bonne internalisation des conventions (Bowles et Gintis, 2011) du mentorat entrepreneurial. La création d’un réseau et donc d’une interactivité entre ses membres permet la construction de représentations collectives sur le mentorat. De plus, dans notre modèle, pour créer une relation efficace, l’organisation tierce prépare les participants à la relation de mentorat en communiquant sur le cadre de celle-ci (définition des rôles, des responsabilités, des attentes, de la structure) et en aidant les participants à développer les compétences relationnelles nécessaires (écoute, empathie). La préparation des participants par la formation collective est également une forme de socialisation : c’est-à-dire d’aide aux participants à l’internalisation des conventions. L’organisation tierce initie donc le processus de socialisation par la création et l’animation d’un réseau et par la préparation des participants.

Plus le pouvoir d’attraction de l’organisation tierce sera fort plus elle aura le choix de mentors potentiels de qualité. Mais de notre première étude, il ressortait qu’une bonne réputation n’était pas suffisante et qu’il était difficile pour l’organisation tierce de toujours pouvoir trouver un mentor pour tous les mentorés. Il ressort cependant clairement de notre enquête qualitative longitudinale que la connaissance du projet et du potentiel du mentoré est un critère important dans l’acceptation de l’accompagnement par le mentor. Réciproquement, la connaissance du mentor, de son expérience et de ses qualités aide le mentoré à entrer dans la relation en toute confiance. Il n’est donc pas surprenant que ressorte au final clairement de nos résultats empiriques par étude de cas la troisième action clé de coordination de la mise en relation, encourageant la découverte mutuelle par une première rencontre sans engagement.

Figure 5

Mise en place par une organisation tierce de relations efficaces dans un programme de mentorat entrepreneurial

Mise en place par une organisation tierce de relations efficaces dans un programme de mentorat entrepreneurial

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Les autres fonctions (suivi, évaluation et reconnaissance) que nous avons identifiées jouent un rôle de support du processus mais n’ont pas d’impact direct sur les résultats des relations de mentorat.

Conclusion

Si de nombreuses pratiques de mentorat entrepreneurial se développent en Europe, le rôle de l’organisation tierce n’est encore clairement défini, ni dans la littérature académique, ni dans les documents d’accompagnement édités par les organismes concernés. Cet article vise donc à proposer une visualisation globale du processus de mentorat entrepreneurial qui puisse donner toute son importance à l’organisation initiatrice de la relation de mentorat inter organisationnel.

S’appuyant sur la littérature existante relative au mentorat entrepreneurial et au mentorat intra-organisationnel le rôle crucial de l’organisation tierce, initiatrice du programme et pilote des étapes du processus, a été mis en avant. Les travaux relatifs au mentorat entrepreneurial n’en étant encore qu’à leur phase exploratoire il était important de mobiliser, mais avec prudence, des recherches portant sur le mentorat en contexte intra-organisationnel.

Dans un contexte entrepreneurial, les programmes de mentorat sont souvent formels. L’organisation tierce initie et suit le déroulement de la relation ce qui distingue la situation des cas de mentorat informel dans lesquels les mentors et les mentorés décident par eux-mêmes du cadre, du contenu, de la structure et de la mesure des résultats de la relation. Le formalisme de la relation implique l’établissement d’un processus et de règles du jeu acceptés et respectés par tous. L’organisation tierce doit alors trouver sa place et agir comme un véritable tiers de confiance.

La mise en valeur des huit fonctions de l’organisation tierce dans le processus de mentorat entrepreneurial contribue à la prise de conscience des praticiens et des organismes de soutien aux entrepreneurs de l’étendue et des spécificités du rôle du tiers dans la bonne mise en place de la relation entre un entrepreneur expérimenté, qui souhaiterait partager son expérience, et un entrepreneur novice qui aurait besoin d’accompagnement. La modélisation proposée et les analyses comparatives des huit fonctions du tiers par la méthode des cas montrent que les fonctions les plus en amont de la création du binôme de mentorat (attraction, sélection, formation, mise en relation et cadre) constituent des clés dans la réussite des relations de mentorat.