Corps de l’article

1. Introduction

Au cours de la dernière décennie, des changements majeurs ont été apportés, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde francophone, dans la prise en charge des élèves en difficulté d’apprentissage (Gouvernement du Québec, 1999, 2007). La pédagogie de l’inclusion dans le système scolaire québécois permet l’intégration physique, sociale, administrative et pédagogique des élèves ayant des besoins particuliers (Friend et Bursuck, 2012; Vienneau, 2006). Pourtant, dans la pratique, la voie de l’inclusion scolaire semble encore mal définie ou mal interprétée et manquer, par le fait même, d’efficacité et d’effectivité (Faure-Brac, Gombert et Roussey, 2012; Nootens, 2010). Bien que de nombreux auteurs soulignent la condition sine qua non des pratiques d’adaptation de l’enseignement en contexte d’inclusion scolaire, les enseignants demeurent peu enclins à déroger de leurs pratiques habituelles, plaidant un manque de ressources, de temps, de formation et de soutien (Nootens, 2010; Vienneau, 2004, 2006).

Dans cet article, nous présentons d’abord les pratiques préconisées d’adaptation de l’enseignement en situation d’inclusion scolaire des élèves de deuxième cycle du secondaire ayant une dyslexie. Puis, nous présentons brièvement la typologie retenue afin de décrire des pratiques d’adaptation de l’enseignement visant ces élèves. Ensuite, nous décrivons les aspects méthodologiques de la recherche. Enfin, nous exposons les résultats obtenus tout en les discutant. Nous concluons par une synthèse et des pistes de réflexion pour de futures recherches.

2. Pratiques d’adaptation d’enseignement en contexte d’inclusion d’élèves de deuxième cycle du secondaire ayant une dyslexie au Québec: éléments de problématique

Au Québec, les politiques ministérielles préconisent la pédagogie de l’inclusion depuis un peu plus d’une décennie (Gouvernement du Québec, 1999, 2007a). Ce changement dans la prise en charge des élèves ayant des besoins particuliers permet aux élèves du deuxième cycle du secondaire ayant une dyslexie d’être intégrés dans le cadre le plus conforme à la scolarisation de ceux sans besoin particulier. L’inclusion scolaire, telle que définie par Vienneau (2004, 2006), désigne l’action de placer un élève, indépendamment de ses difficultés, dans une classe ordinaire correspondant à son âge et à son quartier. Ce faisant, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) exige l’adaptation de l’enseignement en fonction des besoins et des capacités de l’ensemble de la population étudiante afin d’assurer la réussite de tous les élèves, et ce, tout au long de la scolarité obligatoire (Gouvernement du Québec, 1999, 2007a). L’efficacité de l’inclusion scolaire repose, quant à elle, sur l’adaptation de l’enseignement (Nootens, 2010). En ce sens, nombre de gestes existent, notamment l’individualisation de l’enseignement et de l’apprentissage, l’adaptation des consignes, l’adaptation du niveau de difficulté des lectures, l’aide des pairs, l’adaptation des évaluations, etc. (Faure-Brac et al., 2012; Gombert et Roussey, 2007; Nootens, 2010; Vienneau, 2004, 2006). Cependant, il faut noter que la prise en considération des besoins et des capacités des élèves peut représenter un défi considérable, surtout dans le cas de la dyslexie, pour laquelle, en dépit d’un consensus de mieux en mieux établi dans la littérature scientifique internationale, les définitions se multiplient et varient selon les documents ministériels (Goupil, 2007).

Ce constat est d’autant plus vrai au niveau secondaire où les recherches sur l’inclusion scolaire d’élèves ayant une dyslexie se font rares, en particulier en français. Plusieurs auteurs traitent de dépendance entre les difficultés d’apprentissage liées à la lecture, telles que la dyslexie et les facteurs prédictifs de l’échec et du décrochage scolaire (Potvin, Fortin, Marcotte, Royer et Deslandes, 2004). La dyslexie [1]toucherait ainsi 3 à 6 % de la population occidentale (Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), 2007) et, parmi les élèves décrocheurs de moins de 20 ans, environ 40 % ont des difficultés d’apprentissage (Gouvernement du Québec, 2009). Considérant la volonté ministérielle d’augmenter le taux de diplomation, il nous semble important de décrire les gestes posés par les enseignants à l’endroit des élèves avec un trouble spécifique de la lecture au deuxième cycle du secondaire puisque ce niveau scolaire constitue le dernier lieu de la scolarisation obligatoire. L’intention du MELS d’offrir à «l’élève qui éprouve des difficultés [l’accompagnement souple et adapté] tout au long de son parcours» (Gouvernement du Québec, 2009, p. 8) motive notre volonté de relever les pratiques d’adaptation telles que déclarées par les enseignants de français du cycle visé par cette recherche.

Bien que la première condition reconnue pour contribuer au succès de l’inclusion scolaire consiste en l’adaptation et en la diversification de l’enseignement (Lacroix et Potvin, 2009), elle n’est pas automatique et soulève de la résistance chez bon nombre d’enseignants (Gombert et Roussey, 2007; Nootens, 2010). Sans adaptation minimale, l’éducation de l’élève inclus en classe ordinaire ne semble pas efficace. Ainsi, nous considérons qu’il importe de se pencher sur les pratiques d’adaptation de l’enseignement qui demeurent méconnues au secondaire (Faure-Brac et al., 2012; Gombert et Roussey, 2007).

Considérant les questionnements émergents de la littérature, nous retenons les deux questions de recherche suivantes: 1) Comment les enseignants québécois de français en classe inclusive du deuxième cycle du secondaire conçoivent-ils la dyslexie? 2) Quelles sont les pratiques d’adaptation de l’enseignement aux élèves ayant une dyslexie mises en place par ces enseignants ?

3. Typologie des pratiques d’adaptation de l’enseignement en contexte d’inclusion d’élèves de deuxième cycle du secondaire ayant une dyslexie

Si un certain consensus semble se dégager dans la littérature scientifique internationale quant à la dyslexie (Snowling, 2000), les documents ministériels québécois, pour leur part, demeurent flous. Plutôt qu’une définition de la dyslexie, ces documents présentent une catégorie générale d’élèves à risque ou d’élèves en difficulté d’apprentissage, catégorie dans laquelle il est possible de retrouver une multitude de cas (Gouvernement du Québec, 2000). Ce faisant, Wadlington et Wadlington (2005), considèrent qu’il est essentiel d’identifier les idées reçues sur la dyslexie et de dissiper le flou concernant sa définition, ce qui est l’un des objectifs de notre recherche.

Par ailleurs, dans le but de décrire les pratiques déclarées d’adaptation, nous avons choisi d’adapter la typologie de Faure-Brac et al. (2012) ainsi que celle de Gombert et Roussey (2007), qui ont été réalisées dans le cadre d’études similaires dans le système éducatif français, et d’ajouter les éléments théoriques provenant de la thèse de Nootens (2010). Notre typologie des pratiques d’adaptation de l’enseignement regroupe ainsi dix catégories d’adaptation pédagogique: 1) adaptation de l’environnement de travail; 2) adaptation des consignes; 3) adaptation dans l’exécution de la tâche; 4) adaptation du matériel d’enseignement; 5) adaptation des parcours; 6) groupement des élèves; 7) guidance/contrôle; 8) apport méthodologique et métacognitif; 9) adaptation de l’évaluation; 10) renforcement. Quelles qu’elles soient, ces pratiques d’adaptation doivent viser trois objectifs: favoriser a) l’apprentissage, b)  la progression académique de tous les élèves ainsi que c)  la progression des élèves éduqués en contexte d’inclusion (Nootens, 2010). Chacune des catégories est brièvement décrite et illustrée dans le tableau 1.

Tableau 1

Typologie des pratiques d’adaptation de l’enseignement destinées aux élèves ayant

Typologie des pratiques d’adaptation de l’enseignement destinées aux élèves ayant

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Nous formulons l’hypothèse que les enseignants, considérant les multiples documents ministériels, n’ont pas une idée claire de la dyslexie, mais qu’ils mettent néanmoins en place, de façon intuitive, des pratiques d’adaptation pertinentes. Notre recherche a donc pour objectifs: 1) de décrire la dyslexie telle que conçue par les enseignants de français et 2) d’identifier les pratiques déclarées d’adaptation réalisées par ces enseignants en fonction de la typologie établie.

4. Aspects méthodologiques

Considérant nos objectifs, notre recherche est de type exploratoire et de nature descriptive. Des entretiens semi-dirigés individuels ont été menés auprès de neuf enseignants d’une école secondaire publique de milieu urbain. Dans les sections suivantes, nous présentons les participants et les méthodes de collecte et d’analyse des données.

4.1 Participants de l’étude

Les enseignants ont été recrutés dans une école secondaire d’une commission scolaire de la région de Montréal selon une méthode d’échantillonnage de convenance, fondée sur le volontariat. Optant pour une méthode d’échantillonnage de type non probabiliste, l’échantillon est de type accidentel étant donné que le choix des participants relève principalement de leur disponibilité, de leur intérêt et de notre accès à eux au moment de la cueillette de données (Fortin et Gagnon, 2010). Ils répondent aux critères suivants: être enseignant de français; enseigner en classe ordinaire; enseigner en contexte d’inclusion d’élèves de deuxième cycle du secondaire ayant une dyslexie. Le tableau 2 présente les principales caractéristiques des répondants, leurs formations initiales et continues ainsi que leur expérience au secondaire, au deuxième cycle et à l’école sélectionnée.

Tableau 2

Caractéristiques des enseignants de français participant à la recherche

Caractéristiques des enseignants de français participant à la recherche

BES = Baccalauréat en enseignement du français au secondaire

BASS= Baccalauréat en adaptation scolaire et sociale

BES+ = Baccalauréat en enseignement du français et d’une autre discipline au secondaire

D.E.S.S. = Diplôme d'études supérieures spécialisées

* = Deux années en orthopédagogie

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4.2 Méthode de collecte et d’analyse des données

La collecte de données a été effectuée à l’hiver 2013. Neuf entrevues individuelles semi-dirigées d’environ une heure ont eu lieu pendant deux jours consécutifs à l’école sélectionnée. Les questions ont été formulées en s’inspirant des guides d’entretien de Nootens (2010) et de Faure-Brac et al. (2012). Les premières questions tentaient de cerner la définition de la dyslexie et les conséquences sur l’apprentissage selon les enseignants interrogés. Ils ont ensuite été questionnés sur leurs pratiques d’adaptation mises en place à l’intention des élèves du deuxième cycle du secondaire ayant une dyslexie, mais également au groupe-classe, et ce, en lien avec toutes les catégories de la typologie des pratiques d’adaptation de l’enseignement. Finalement, nous avons tenté de cerner, selon eux, les avantages et les désavantages de l’inclusion scolaire. Le guide d’entretien complet est présenté en annexe.

Une méthode de tri thématique a été pratiquée pour dégager les tendances des pratiques d’adaptation de l’enseignement (Fortin et Gagnon, 2010). Tous les énoncés, extraits du corpus concernant les pratiques d’adaptation, ont été relevés et découpés pour les rapporter dans la typologie en dix catégories présentée précédemment. Les données concernant la dyslexie et l’inclusion scolaire ont été traitées à l’aide de l’analyse de contenu afin de noter les divergences, les convergences et les nuances liées aux pratiques et aux conceptions. Afin d’assurer la fiabilité des analyses et des interprétations, il est à noter qu’un accord inter- juges a été recherché.

5. Résultats et discusssion

Puisque nous formulons l’hypothèse que les enseignants n’ont pas une idée claire de la dyslexie, mais qu’ils mettent néanmoins en place, de façon intuitive, des pratiques d’adaptation pertinentes, nous présentons les résultats en les discutant au fur et à mesure pour les deux objectifs de recherche. Cette façon de faire nous paraît pertinente pour apprécier le discours des enseignants tout en l’appuyant ou en le complétant par la recherche.

5.1 Conception de la dyslexie

Les réponses des enseignants interrogés sont diverses lorsqu’il est question de décrire la dyslexie. Un enseignant évoque «un problème neurologique qui entraine justement la lecture et l’écriture, où il y a une incompréhension des mots ou une mauvaise écriture des mots [qui empêche] qu’on les comprenne bien» (E7)[2]. Il est intéressant de noter que la difficulté ou le trouble est mis en lien, par six enseignants interrogés, avec de «mauvaises connexions neurologiques» (E1), mais que les enseignants ne détaillent pas davantage leurs réponses. Dans plusieurs cas, les enseignants soulignent que ce n’est pas en lien avec l’intelligence et que ce n’est pas «une difficulté insurmontable» (E2). La dyslexie, selon tous les enseignants, se manifeste de diverses manières. Malgré les problèmes liés aux processus spécifiques de la lecture tels que le décodage, un enseignant rapporte qu’il y a «des élèves qui sont très forts en compréhension de lecture même s’ils sont dyslexiques [lorsqu’ils] comprennent [toutefois,] s’ils lisent mal, ils interprètent mal» (E9). Selon les enseignants, il est difficile de comprendre le texte en cas de surcharge cognitive, car l’élève tente de déchiffrer ou de décoder. Un enseignant explique que l’«élève à qui tu lis les textes va performer généralement bien. À l’oral, il va être très bon. Dans les autres matières, comme mathématiques, il n’aura pas nécessairement de difficulté, sauf s’il y a beaucoup de problèmes écrits de résolution de problèmes» (E9). Il ajoute que «si on écrivait à leur place leurs réponses qu’ils pourraient nous donner oralement, ils réussiraient haut la main» (E9). Selon certains, l’élève ayant une dyslexie ne maitrise pas l’orthographe d’usage courant. Il écrit au son et mélange les lettres. Un enseignant rapporte que «les élèves écrivent le même mot plusieurs fois de façons différentes quand il y a confusion au niveau des sons. […] L’élève va, entre autres, écrire plusieurs mots, mais en un seul mot, ou détacher des mots» (E9).

La plupart des enseignants, à l’instar de Lyon, Shaywitz et Shaywitz (2003), mentionnent que la dyslexie est d’origine neuro(bio)logique. Ce constat nous paraît intéressant puisqu’il pourrait amener les enseignants à poser certaines actions spécifiques en matière d’enseignement ou à renoncer à certaines attentes. Par ailleurs, sachant que toutes les disciplines scolaires font appel aux compétences en lecture, il est fort probable que l’élève ayant une dyslexie puisse accumuler un retard scolaire. En effet, il doit mobiliser une charge cognitive importante pour identifier les mots, diminuant ainsi les charges cognitives disponibles pour les processus non spécifiques et métacognitifs en français comme dans les autres disciplines (Ibid.).

5.2 Pratiques d’adaptation de l’enseignement

Les enseignants interrogés ont mentionné plusieurs pratiques d’adaptation en contexte d’inclusion d’élèves de deuxième cycle du secondaire ayant une dyslexie. Ils évoquent une variété de pratiques d’adaptation qui peuvent être catégorisées en fonction de la typologie proposée. Tel que l’illustre la figure 1, les catégories les plus fréquemment évoquées sont l’adaptation dans l’exécution de la tâche, l’adaptation de l’évaluation ainsi que la guidance/le contrôle. Notons que les enseignants rencontrés ont peu mentionné les gestes d’adaptation des consignes, des parcours et des groupements d’élèves.

Figure 1

Pratiques déclarées d’adaptation de l’enseignement reparties selon le nombre d’enseignants

Pratiques déclarées d’adaptation de l’enseignement reparties selon le nombre d’enseignants

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5.2.1 Adaptation de l’organisation de l’environnement de travail

En ce qui a trait à la modification de l’environnement de travail, les enseignants ont principalement relaté le placement de l’élève dans la classe. Ainsi, sept d’entre eux ont mentionné placer les élèves ayant une dyslexie à l’avant de la classe, près de l’enseignant, de manière à ne pas «les avoir trop loin» (E9). Selon les enseignants, ce rapprochement permet de suivre le rythme d’apprentissage de l’élève et d’intervenir rapidement. D’autres facteurs influencent également le placement, dont l’intention de couper l’élève «de certains amis qui [n’ont] pas d’influence positive, qui [nuisent] à ses résultats» (E5). En lien avec l’adaptation dans l’exécution de la tâche, dont nous traiterons plus loin, il importe de souligner qu’un aménagement de l’environnement doit être pensé en fonction de l’utilisation de l’ordinateur. En effet, son utilisation requiert la proximité d’une prise de courant. Le placement se fait alors en fonction de son emplacement, parfois contraignant. Un enseignant explique qu’il n’a «pas le choix de le mettre au bout [de la classe] parce que, sinon, le fil ne se rend pas» (E3). Ainsi, l’élève peut se retrouver sur les côtés ou dans le fond du local durant les périodes où la tâche requiert l’emploi de l’ordinateur.

L’environnement de travail influence grandement la réussite (Berninger et Wolf, 2009; Nootens, 2010). Tout porte à croire que les enseignants placent l’élève près d’eux pour contrôler et diminuer les sources de distraction. En comparaison avec les recherches menées en France (Faure-Brac et al., 2012; Gombert et Roussey, 2007), les enseignants se soucient davantage du placement près des prises de courant, élément qui n’avait jusqu’alors pas été relevé, mais qui peut s’expliquer par l’utilisation de plus en plus fréquente d’ordinateurs portatifs.

5.2.2 Adaptation des consignes

La majorité des enseignants, sept sur neuf, ayant mentionné des adaptations concernant les consignes déclare tenter d’utiliser le plus souvent un support visuel: tableau, projecteur, rétroprojecteur, support papier. À titre d’exemple, un enseignant indique que «l’oral [est] toujours écrit dans la classe. Puis, si j’ai à corriger, par exemple, une compréhension de texte, ça va être sur le rétroprojecteur systématiquement dès qu’on a un questionnaire» (E6). Les consignes orales peuvent donc être mises à l’écrit, le contraire étant possible également. En effet, dans la classe de quatre enseignants, les consignes écrites sont lues à haute voix et reformulées pour s’assurer de la compréhension de l’ensemble des élèves. Un enseignant explique qu’il a «l’habitude de réexpliquer. [Il lit] toujours les consignes avec eux, puis [il] explique [en utilisant] trois niveaux d’explications. [Il change son] vocabulaire» (E8). Il est possible de simplifier les consignes en les réduisant en «trois petites parties, deux choses à faire par partie, une ligne ou deux chaque, une phrase ou deux» (E8). Un autre enseignant, quant à lui, tente toujours d’imager les consignes en utilisant, par exemple, des comparaisons avec la réalité des élèves.

Les enseignants utilisent deux voies de communication – l’oral et l’écrit – comme le suggèrent Berninger et Wolf (2009) qui stipulent que cela permet à l’élève de comprendre de deux moyens différents. Les enseignants ont mentionné, parmi les gestes proposés par Faure-Brac et al. (2012) ainsi que Gombert et Roussey (2007), seulement les gestes pris en charge par l’enseignant et non ceux pris en charge par l’élève. Pourtant, plusieurs gestes pourraient être pris en charge par l’élève au deuxième cycle du secondaire, notamment: reformulation par l’élève ayant une dyslexie ou par un pair, relecture, etc.

5.2.3 Adaptation dans l’exécution de la tâche

La majorité des gestes d’adaptation déclarés relève de l’aide propre à compenser les difficultés liées à la dyslexie lors de l’exécution d’une tâche. Deux sous-catégories divisent ce type d’adaptation: les adaptations en lien avec les habiletés langagières – lecture et écriture – et les adaptations en lien avec les habiletés cognitives.

En ce qui concerne les adaptations en rapport avec l’activité de lecture, trois enseignants déclarent contourner les difficultés en prenant en charge la lecture à haute voix: les élèves ayant une dyslexie n’étant pas sollicités. L’enseignant peut, par exemple, lire à haute voix certains extraits de romans en classe alors que les élèves suivent dans leur volume. Dans le cas d’une activité régulière, l’enseignant peut lire pendant que les élèves font leurs annotations, car cela permet «d’avoir une image de ce [qu’ils ont] et après [de] faire le reste du travail» (E7). Il faut noter que, pour organiser les périodes de lecture ou de prises de notes, cinq enseignants sur neuf prévoient des photocopies des textes, car «c’est plus propice que toujours [reproduire au] tableau ou [au] canon» (E5). Pour ce qui est des adaptations en rapport avec l’activité d’écriture, un enseignant offre aux élèves ayant une dyslexie la possibilité de lire leurs textes pour qu’ils entendent «tout ce [qu’ils vont] écrire et ainsi [pouvoir] voir des choses [qu’ils auraient] à changer» (E7). Dans le cas d’un autre enseignant, cette même possibilité peut être parfois plutôt prise en charge par l’élève qui est invité à sortir seul de la classe pour lire à haute voix son texte afin de s’entendre et de se corriger. Également, en lien avec l’écriture, plusieurs enseignants déclarent mettre à la disposition des élèves ayant une dyslexie uniquement, ou à l’ensemble du groupe, les notes de cours. Parfois, elles prennent la forme de dictées et de textes troués, ou bien de notes dactylographiées. Il est ainsi possible de «travailler sur quelque chose de tangible tout de suite» (E5). Lorsqu’il n’est pas possible de photocopier les notes, certains enseignants ont recours à des transparents ou à des présentations visuelles. En plus de cela, un enseignant déclare limiter la dose d’informations dans les explications, tout en prenant le temps de les reformuler. Pour contourner l’activité d’écriture, un enseignant constate qu’il essaie de ne pas envoyer un élève ayant une dyslexie au tableau pour transcrire les réponses à moins d’avoir d’abord révisé la copie de l’élève.

Pour ce qui est des outils, tant lors de tâches d’écriture que de tâches de lecture, les élèves ayant une dyslexie dans toutes les classes des participants ont le droit d’utiliser des logiciels d’aide tels que WordQ ou Antidote. Un enseignant explique que «le portable avec le logiciel de correction […] est la mesure la plus courante avec le dictionnaire électronique. [Les outils] sont rendus beaucoup plus informatisés» (E5). L’utilisation de certains logiciels permet à l’élève, par exemple, de «se [faire] lire le texte par l’ordinateur» (E1) alors que d’autres «permettent de mieux anticiper l’orthographe des mots, ce qu’ils ne sont pas nécessairement capables de faire» (E9). En dehors du matériel informatique, certains élèves ont recours à du matériel alternatif comme «un dictionnaire orthographique écrit par Pascale Lefrançois» (E9), «des guides, certains manuels ou grammaires pour les homophones» (E5).

Lors de l’exécution de la tâche, l’enseignant cherche à compenser le trouble spécifique en lecture et en écriture lorsqu’il adapte ses pratiques pour contourner l’activité. Les gestes déclarés par les enseignants correspondent à ceux tirés de la recherche de Faure-Brac et al. (2012). Néanmoins, la fréquence des réponses quant à l’utilisation des outils informatiques retient notre attention. En effet, dans la recherche européenne, un seul enseignant sur 43 avait mentionné l’utilisation de l’ordinateur alors que, dans notre recherche, tous les enseignants l’ont souligné. Nous croyons que certains matériels informatiques bien choisis en fonction des besoins des élèves et des enseignants permettent de favoriser l’apprentissage ainsi que la progression académique des élèves éduqués en contexte d’inclusion, ce qui correspond, rappelons-le, aux objectifs de l’adaptation de l’enseignement (Nootens, 2010).

En ce qui concerne les adaptations liées aux habiletés cognitives, huit enseignants sur neuf déclarent donner plus de temps lors des tâches. Ils ajoutent environ le tiers de temps de plus pour lire ou écrire. Par ailleurs, trois d’entre eux s’assurent de toujours remettre les textes à l’avance, parce que cela prend plus de temps aux élèves ayant une dyslexie pour exécuter la tâche. Un enseignant précise: «Je leur permets [d’apporter le roman] à la maison. Je leur donne plus de temps le soir et la fin de semaine. Au moins, ils peuvent s’avancer et ils sont moins en retard en classe. Je laisse peut-être un peu plus de temps pour faire les devoirs en classe, justement parce qu’ils ont de la difficulté partout, ça leur permet d’avancer» (E4). Toujours en lien avec le temps, les enseignants reportent parfois la correction d’une activité ou d’un devoir au lendemain pour permettre aux élèves de les compléter durant la soirée. Ils notent alors que les élèves ont la possibilité de demander l’aide d’un adulte. Enfin, sept enseignants sur neuf ont mentionné l’existence des plans d’intervention dans les écoles. Pour plusieurs d’entre eux, les adaptations sont issues de ceux-ci. Ainsi, un enseignant rapporte que «si, dans le plan d’intervention, c’est [écrit que l’élève a le droit] d’avoir un tiers de plus de temps, on donne un tiers de temps de plus» (E1). En plus des adaptations en lien avec le temps, quelques enseignants déclarent utiliser la modélisation pour aider les élèves ayant une dyslexie. Cela permet, selon un enseignant, de voir l’ensemble du processus de lecture. «La première fois que j’ai quelque chose à leur faire faire, je fais moi-même toute la démarche devant eux. [...] Je les laisse entrer dans ma tête. Je prends un texte, je lis, je me questionne à voix haute» (E8). Un autre enseignant rapporte qu’il travaille la lecture stratégique avec les échanges en équipe. Cela permet de scinder «la lecture en plusieurs sections et les élèves échangent après chaque section de lecture en microgroupe de quatre et ils éclaircissent les points qui les ont gênés dans leur lecture» (E9). D’autres méthodes sont également exploitées par les enseignants rencontrés telles que la schématisation du texte et l’organisation graphique.

La nature des gestes des enseignants rappelle qu’il résulte de la dyslexie des difficultés associées comme la non-autonomie cognitive (Gombert et Roussey, 2007). Les enseignants prennent en compte ces particularités lorsqu’ils déclarent, par exemple, augmenter le temps de réalisation d’une tâche. Les adaptations touchent également les pratiques d’enseignement pour permettre à l’élève de développer son autonomie. En présentant les informations de multiples façons, par exemple en modélisant, les enseignants permettent de multiplier les bénéfices favorisant la réussite, car ils utilisent différents points d’entrée possiblement mieux adaptés chez l’élève ayant des troubles d’apprentissage (Nootens, 2010). Nonobstant les gestes déclarés, il nous semble que les enseignants pourraient optimiser les chances de réussite en modifiant encore davantage leurs pratiques d’enseignement.

5.2.4 Adaptation du matériel d’enseignement

Sept enseignants sur neuf déclarent adapter leur matériel pour améliorer le support de lecture en contexte d’inclusion. Ainsi, les adaptations peuvent être de «grossir le type de caractère [ou] changer la police [pour éviter les] lettres cursives» (E9), d’«agrandir la feuille» (E3) ou d’«espacer le texte pour qu’il soit moins compact» (E6). Les mêmes critères semblent influencer le choix des romans pour ces enseignants. Il est à noter que d’autres facteurs influencent le matériel comme la couleur du papier: «quand on a des textes à imprimer, on les imprime sur du bleu ou du blanc, mais il y a des teintes qu’on ne prendra pas parce que ça va être dérangeant ou distrayant» (E9).

Les enseignants adaptent leur matériel surtout sur le plan de la mise en page ou de la typographie. Ce sont, à notre sens, des changements qui peuvent limiter le fait que le matériel devienne un obstacle pour l’élève. Néanmoins, il est intéressant de noter que, dans l’étude de Faure-Brac et al. (2012), les adaptations sont surtout réalisées pour simplifier le plan du format ou pour le compléter. Ainsi, pour aller plus loin dans leurs adaptations, les enseignants pourraient explorer cette piste, par exemple, en simplifiant le vocabulaire sans diminuer les exigences.

5.2.5 Adaptation des parcours

L’individualisation des parcours s’avère l’une des catégories les moins évoquées par les enseignants. Seuls trois d’entre eux mentionnent des gestes de réduction des savoirs ou de diminution des attentes. L’un d’entre eux explique: «Il y a des choses que je délaisse […] je vais aller m’assurer qu’ils ont leur cinquième secondaire, mais là, je n’embarquerai pas dans les subordonnées relatives et complétives» (E7). Le même principe est appliqué par un autre enseignant qui va «à l’essentiel» (E4) lors des devoirs, par exemple. D’autres mesures diminuent le niveau d’exigence en fonction des capacités de l’élève ayant une dyslexie: «pour ne pas les différencier, je leur ai attribué, par exemple dans une pièce de théâtre [où il y a de la] lecture à haute voix, un rôle beaucoup moindre» (E5). En ce qui concerne le programme obligatoire, deux enseignants soulignent qu’ils suivent le programme, «mais [l’adaptent] en fonction d’une clientèle qui est moins rapide» (E7). L’enseignant adapte alors le niveau d’exigence au rythme et aux capacités des élèves.

Les enseignants au deuxième cycle du secondaire semblent peu portés à se distancer du programme. À l’instar de Bradley et al. (1997), trois d’entre eux déterminent les concepts et notions essentiels et planifient de les enseigner en utilisant diverses approches. Néanmoins, il est rare, selon les données recueillies, que les enseignants interrogés restructurent leur contenu d’enseignement en fonction des connaissances antérieures ou révisent le rythme prévu des activités en fonction de celui de l’élève ayant une dyslexie (Berninger et Wolf, 2009). À notre avis, les enseignants gagneraient, avec le soutien de l’équipe-école, à développer cette catégorie de gestes pour assurer une plus grande efficacité de l’inclusion scolaire.

5.2.6 Groupement des élèves

Huit des neuf enseignants rencontrés abordent la question de l’aide apportée par les pairs aux élèves ayant une dyslexie. L’un d’entre eux, pour sa part, tente de «pairer un élève qui peut aider à côté d’un élève qui a un petit peu plus de difficulté. Alors, si lors des prises de notes, entre autres, l’élève en manque quelques bouts, [l’autre élève] a tout noté [et son voisin] peut [le] consulter» (E9). Trois enseignants expriment leur réticence à l’égard de certains groupements d’élèves, comme l’idée de placer deux élèves ayant une dyslexie ensemble lors de la formation des équipes: «C’est évident que si je sais que j’ai deux élèves qui sont dyslexiques, ils ne travailleront pas ensemble» (E1). Deux solutions sont alors envisagées par les enseignants: disposer les élèves en équipe formée par l’enseignant ou préférer le travail individuel. Dans le premier cas, trois enseignants expliquent qu’ils imposent les équipes en plaçant les élèves ayant une dyslexie avec des élèves forts. Ainsi, l’une des stratégies consiste à «commence[r] par placer [les] très forts, parce qu’il n’y en a pas beaucoup. Après, [placer] les très faibles avec eux. Puis [répartir] les moyens» (E8). Un autre enseignant mentionne plutôt qu’il essaie «dans [une] équipe de cinq d’avoir un A, un B, un C, un D, un K (prédominances cérébrales)» (E2). Par rapport à cette seconde stratégie, un enseignant explique qu’il les fait «travailler seuls et non pas en équipe, justement parce que [ce sont des] élèves dyslexiques» (E3).

À l’instar des participants de la recherche de Berninger et Wolf (2009), certains enseignants placent les élèves selon leur niveau de compétence, ce qui permet de mieux gérer le temps d’accompagnement. Cela n’est pas sans rappeler que les élèves ayant une dyslexie bénéficient de l’aide apportée par les pairs et l’enseignant (Nootens, 2010). Il faut donc, à notre avis, éviter de les laisser travailler toujours seuls. En ce sens, les élèves experts servent de modèle positif tant sur le plan scolaire que sur le plan social à l’élève ayant une dyslexie en plus de lui offrir une aide individuelle qui décharge l’enseignant (Friend et al., 2012). Bien que le travail en équipe soit parfois exigeant, nous croyons qu’il faudrait l’encourager pour s’ajuster aux besoins spécifiques des élèves.

5.2.7 Guidance/contrôle

La guidance et le contrôle semblent répandus chez les participants de notre recherche. Les gestes se divisent en deux catégories, soit ceux durant la période régulière d’enseignement et ceux à l’extérieur de la période régulière d’enseignement, c’est-à-dire en période de récupération.

Pendant les périodes d’enseignement, sept enseignants sur neuf déclarent circuler, car les élèves en difficulté «ont besoin qu’on les ramène» (E1). L’un des enseignants interrogés avance ceci: «C’est bien plus discret d’aller les ramener juste avec un petit [toc, toc] du bout de l’ongle sur le coin du bureau quand je circule, ça ne paraît pas trop» (E8). Dans d’autres cas de figure, la circulation permet aussi de s’«assurer qu’ils comprennent bien le sujet par questionnement généralement» (E6). C’est le cas pour E9, pour qui la circulation permet de valider «beaucoup en questionnant: “Est-ce que ça va?” “Est-ce qu’il y a des éléments qui te manquent?” “As-tu eu le temps de noter telle chose?” Ça [lui] permet, quand ils ne sont pas assis trop loin, de faire ces petites vérifications discrètement». Ce même enseignant a développé une méthode qui lui permet d’aider les élèves ayant une dyslexie à suivre le rythme d’enseignement. Il explique que «quand je sais que j’ai des élèves qui sont en difficulté plus sévère, quand je donne mes notes de cours, je me déplace dans la classe, je m’approche d’eux et je leur montre mes feuilles de notes de cours pendant que j’explique. Et je mets mon doigt aux endroits où ils doivent compléter pour qu’ils puissent voir ce qui leur manque sur ma feuille. Je leur indique sur ma feuille ce qu’ils doivent écrire sur la leur, discrètement» (E9). Cette vérification peut avoir lieu avant, pendant ou après le cours. Dans le même ordre d’idées, la circulation permet de vérifier que le rythme convient aux élèves, car cela «arrive d’aller vite. [L’enseignant doit] ralentir, [il] demande à tout le monde: “Est-ce que ça va? Est-ce que vous me suivez? As-tu compris? Ça va? Qu’est-ce que je viens de dire?”» (E8). La circulation, en plus de contrôler mieux le rythme, donne la chance aux enseignants d’identifier «les erreurs qui restent malgré la correction que l’élève a faite de son texte avec le transparent et les accompagnements d’explications verbales» (E9).

En somme, les enseignants accomplissent des gestes de contrôle durant l’enseignement de manière à aider l’élève à se concentrer sur le travail demandé (Gombert et Roussey, 2007). Tant pour les enseignants interrogés que pour ces chercheurs, la guidance semble permettre de concentrer l’attention et l’énergie de l’élève sur une tâche unique.

Durant les périodes en classe, sept enseignants sur neuf avouent avoir de la difficulté à allouer du temps spécifiquement aux élèves ayant une dyslexie. Néanmoins, il existe des périodes de récupération, périodes à l’extérieur des heures de classe régulières, «pour les élèves qui auraient des difficultés, […] c’est en individuel alors que [l’enseignant voit] avec eux ce qui n’a pas fonctionné. [Il] essaie de faire verbaliser tout ce qu’ils ont fait pour pouvoir vérifier s’il y a quelque part quelque chose qui accroche ou s’il y a un manque ou si, au contraire, [l’enseignant] pourrai[t] aider à donner quelque chose de plus» (E5). Le travail individuel seul avec l’enseignant permet de «travailler […] le sens de la question, […] faire mieux [les] liens avec [les] annotations, […] chercher les difficultés» (E7), de «voir les occurrences des erreurs pour essayer […] de les contrer, […] s’assurer [de] bien [comprendre] le sujet» (E6), d’«identifier quels sont les sons qui posent problème, quels sont les codes qui posent problème, les confusions» (E9), etc. Également, les périodes de récupération donnent l’occasion d’«observer les progrès [et de] constate[r] quelles sont les difficultés [et] quelles sont celles qui sont réglées» (E9).

Selon les recherches consultées, il ne semble pas y avoir de recension de gestes d’aide individualisés en dehors de la période d’enseignement. Néanmoins, les gestes posés rappellent ceux mentionnés par Nootens (2010) et par Faure-Brac et al. (2012), qui expliquent que l’assistance directe permet de fournir des explications supplémentaires, d’ajuster le rythme de l’apprentissage, de revenir sur certains éléments et de veiller à la compréhension de l’élève. Schumm (1999) souligne que ces gestes exigent plus de temps et de ressources que les autres adaptations, ce qui pourrait expliquer qu’ils ont lieu en dehors de la période d’enseignement.

5.2.8 Apport méthodologique et métacognitif

En classe de français, huit des neuf enseignants affirment travailler plusieurs stratégies de lecture et d’écriture, par exemple l’annotation, l’intention de lecture, l’autocorrection, la préparation à la lecture. Un enseignant «travaille notamment à leur démontrer que ça ne sert à rien de lire un premier jet puis d’essayer d’annoter en même temps parce qu’ils deviennent tout confus» (E6). Les stratégies peuvent être plutôt en lien avec la tâche d’écriture, par exemple lorsqu’il s’agit d’essayer «de travailler des stratégies avec [l’élève ayant une dyslexie], d’écrire des textes plus courts, des phrases qui contiennent un sujet, un verbe, un complément, c’est tout» (E3). Il en est de même pour un autre enseignant qui cherche à «définir [la] séquence de corrections, par exemple, [pour l’écrire et leur permettre de] l’avoir à côté d’eux» (E6).

En ce qui concerne les stratégies d’organisation, un enseignant explique qu’avec «les élèves dyslexiques, c’est à peu près systématique: point 1, tu soulignes ton verbe avec la stratégie qui va avec. Tu l’encadres par “ne pas”, pour être sûr que t’as vraiment trouvé ton verbe conjugué… c’est vraiment séquentiel» (E6). Il est important pour un autre de «tout hachurer, tout découper» (E7) pour organiser la tâche. L’organisation peut aussi être matérielle: «avec [l’élève ayant une dyslexie, il faut vérifier] en écriture s’il a tout son matériel, s’il a géré son temps, si à un certain moment, son brouillon, la rédaction, s’il a calculé» (E5).

En enseignant des stratégies, les enseignants facilitent le transfert des connaissances des élèves (Berninger et Wolf, 2009). La modeste exhaustivité des stratégies d’organisation enseignées et déclarées par les enseignants interrogés peut s’expliquer par l’âge des élèves de deuxième cycle puisque les enseignants considèrent qu’ils les connaissent déjà. L’élève en difficulté, comme le soulignent Berninger et Wolf (2009), distingue difficilement les éléments pertinents dans l’organisation d’une tâche. L’enseignement de stratégies d’organisation permet que l’élève puisse, à l’aide de repères, cerner les caractéristiques fondamentales à l’exécution d’une tâche (Gombert et Roussey, 2007).

5.2.9 Adaptation de l’évaluation

La totalité des enseignants interrogés adapte l’évaluation pour les élèves ayant une dyslexie. Ils déclarent adapter trois éléments en lien avec leurs évaluations: l’environnement de travail, la réalisation et la notation. En lien avec l’environnement de travail, il est possible que les élèves ayant une dyslexie soient «dans une autre classe exprès pour eux» (E8). C’est ainsi que les enseignants utilisent les paravents, le local de retrait ou «le corridor […] pendant les évaluations principalement parce que [sinon dans la classe] il a trop de stimulation autour [d’eux]» (E2).

Aucun geste d’adaptation en lien avec l’environnement de travail lors d’évaluation n’avait été relevé dans les recherches de Faure-Brac et al. (2012). Il faut noter que les trois enseignants ayant mentionné ces gestes sont sensibles à ce que les élèves ne soient pas dérangés ou stigmatisés à cause du trouble qu’ils ont.

En ce qui concerne la réalisation du contrôle, six enseignants rapportent intervenir dans la lecture pour «lire le texte et lire la question» (E2) lors d’évaluations. «En examen de lecture, [l’élève ayant une dyslexie] fait une question, [il] vient voir [l’enseignant qui] lui li[t] la prochaine, [l’élève] va faire ses questions» (E4) et ainsi de suite. Toutefois, la lecture d’une question ne sous-entend pas nécessairement sa reformulation. C’est ainsi que, dans certains cas, l’enseignant reformule «la question pour être certain [que les élèves ayant une dyslexie] s’enlignent bien» (E1). Dans le cas de production écrite, un enseignant déclare «faire une première lecture et […] montrer à l’élève où il y a des fautes [pour qu’il puisse] recorriger» (E9). Également, d’autres mesures lors des évaluations, comme l’utilisation de différents outils de l’élève (ordinateur, dictionnaires, feuilles de théorie et d’annotations) ou l’ajout de temps supplémentaire pour réaliser les contrôles peuvent être mises de l’avant par les enseignants. En ce qui concerne le temps supplémentaire, cela équivaut à un «tiers [de plus, ce qui signifie que] si l’évaluation dure une période d’une heure et quart, [les élève ayant une dyslexie] ont droit à 25-30 minutes de plus» (E2). Plutôt que de donner du temps supplémentaire, il est possible d’«enlever une partie [ou de demander aux élèves ayant une dyslexie de la compléter] avec le tiers de temps de plus [lors d’]un rendez-vous pour la reprise» (E5).

Les gestes d’adaptation au cours de la réalisation du contrôle sont nombreux. Ils correspondent sensiblement à ceux recueillis dans la recherche de Faure-Brac et al. (2012) à l’exception des conditions de passation. Il serait intéressant d’envisager la possibilité de les modifier de manière à permettre aux élèves d’être évalués à l’oral plutôt qu’à l’écrit ou d’avoir un scripteur qui l’accompagne.

En plus des adaptations de l’environnement de travail et de la réalisation du contrôle, il est possible de modifier la notation. À ce propos, un enseignant précise: «Je corrige aussi, mettons l’écriture: je vais corriger seulement l’écriture. Lecture, je vais corriger seulement lecture. Je ne vais pas enlever des points pour l’écriture en lecture» (E3). Dans d’autres cas, l’enseignant modifie l’ampleur de la tâche: «il ne faut pas corriger le texte en entier […] seulement le tiers [du] texte» (E6).

Les enseignants, à l’instar des résultats de la recherche de Gombert et Roussey (2007), évaluent, dans le cas d’élèves ayant une dyslexie, certains critères précis seulement. Ces mêmes auteurs relèvent également des gestes pour focaliser sur le raisonnement et évaluer davantage de façon formative ce qui ne revient pas nécessairement dans les réponses de notre étude.

5.2.10 Revalorisation de l’élève

Une partie des enseignants, cinq sur neuf, rapportent travailler la revalorisation et la motivation des élèves en difficulté. Ainsi, ils félicitent les élèves avec des commentaires positifs: «C’est parfait! C’est beau, mon homme» (E7) ou avec des objets, par exemple, des autocollants. Parfois, en circulant dans la classe, l’enseignant repère les élèves concernés et, s’ils ont la bonne réponse, leur demande, pendant la correction collective, de la dire. Cela place l’élève dans une situation de réussite. La même situation peut permettre de faire réaliser à l’élève qu’il n’est pas le seul à ne pas détenir la solution. En effet, un autre enseignant essaie de viser l’élève ayant une dyslexie en sachant que la majorité de la classe ne connait pas la réponse alors «au moins ils se relancent la balle et il n’y en a pas un qui a la bonne réponse, [alors l’élève ayant une dyslexie] ne se sent pas le seul qui n’a pas la bonne réponse, il se rend compte que les autres aussi ils ont de la difficulté» (E4). Dans d’autres cas, l’enseignant tente plutôt d’éviter les situations où l’élève se retrouve face à l’échec, par exemple, lors de «lecture à haute voix» (E5). La revalorisation passe également par l’instauration d’un climat de confiance et de sécurité affective. Pour ce faire, un enseignant mentionne cultiver l’atmosphère conviviale de sa classe, par exemple, en lançant des défis ou en faisant des paris. Cette atmosphère détendue encourage «le jeune [a] avoir envie de chercher des solutions, de se dévoiler» (E7). La clé est alors la relation enseignant/élève parce qu’elle «fait [que les élèves ayant une dyslexie] vont avoir envie d’essayer de trouver des solutions. La relation va faire qu’ils vont venir [le] voir pour être capables de dévoiler qu’ils ne le comprennent pas ou qu’il y a quelque chose» (E7). La revalorisation peut être possible «en leur montrant qu’on peut avoir une prise sur nos difficultés, puis en les aidant à les diagnostiquer, les difficultés» (E6).

Wadlington et Wadlington (2005) soulignent que l’attitude des enseignants affecte profondément la manière dont les élèves ayant une dyslexie ont de se percevoir et de percevoir leur capacité à réussir tant à l’école que dans la vie. Il est donc primordial que l’enseignant encourage l’élève, lui donne du renforcement positif ou travaille sur le statut de l’erreur. Pourtant, malgré leur nécessité, ces gestes ne sont pas toujours répandus dans les pratiques déclarées des participants de notre recherche.

En somme, les adaptations de l’enseignement ont été regroupées en deux groupes: générales et spécifiques. Dans le premier cas, les gestes sont destinés à l’ensemble du groupe-classe alors que, dans le deuxième cas, les gestes sont réservés aux élèves ayant une dyslexie. Il est intéressant de noter que des adaptations générales et spécifiques se retrouvent dans la majorité des catégories. Selon les enseignants, certaines catégories se prêtent mieux aux adaptations spécifiques, comme c’est le cas pour celles du matériel, de l’environnement de travail, des consignes et de l’évaluation. Il est intéressant de noter que, dans la catégorie renforcement, seules des adaptations générales ont été relevées. Cela nous amène à constater que les gestes ne sont donc pas réservés à l’usage exclusif d’élèves ayant une dyslexie. Un autre fait à noter est que plusieurs enseignants déclarent avoir commencé par des adaptations spécifiques pour ensuite répandre la pratique à l’ensemble du groupe, comme c’est le cas pour la distribution des notes de cours ou la lecture à haute voix des consignes.

À la lumière des résultats, nous sommes en mesure de constater que les deux enseignants participant à notre enquête (E7 et E9), qui ont reçu une formation en adaptation scolaire et sociale, semblent poser une plus grande variété de gestes d’adaptation, et ce, plus fréquemment. En tout, 331 gestes ont été relevés dans les entrevues avec les enseignants. À titre indicatif, nous avons relevé 52 gestes chez E9 et 45 chez E7, et ce, dans huit catégories distinctes. Lors des entrevues, E9 et E7 étaient également plus à même de fournir une description précise de ces gestes. Par ailleurs, notons que les enseignants comptant moins de dix années d’expérience semblent donner des réponses plus brèves et moins variées en lien avec certaines catégories, par exemple, en lien avec les moyens où E3 mentionne uniquement «Moi, j’en ai qui ont droit à un portable». Ce sont également les répondants ayant les réponses les moins précises en lien avec la définition de la dyslexie. Nous croyons donc qu’il serait intéressant de se pencher sur la formation initiale en lien avec l’adaptation scolaire au baccalauréat en enseignement du français au secondaire afin d’évaluer la capacité d’enseignants novices à répondre aux besoins des élèves en difficulté. Néanmoins, nous constatons que tous les enseignants interrogés déclarent adapter l’évaluation et l’exécution de la tâche. De plus, ils mettent en place différents gestes pour guider et contrôler les élèves ayant une dyslexie. En revanche, peu d’enseignants — quatre sur neuf — adaptent les parcours de ces mêmes élèves. Nos résultats concordent, en grande partie, avec ceux de Faure-Brac et al. (2012) ainsi que ceux de Gombert et Roussey (2007). Parmi les distinctions relevées, il faut mentionner l’utilisation quasi systématique des TIC par les enseignants québécois lors de leurs pratiques d’adaptation de l’enseignement. Également, il semble que, dans les recherches françaises, les enseignants encouragent davantage la prise en charge des adaptations par les élèves, par exemple, en ce qui concerne les consignes ce qui ne ressort pas dans les entrevues réalisées dans le cadre de notre étude.

6. Conclusion

La présente recherche visait à 1) décrire la dyslexie telle que conçue par des enseignants québécois de français, langue d’enseignement, au deuxième cycle du secondaire et 2) identifier les pratiques déclarées d’adaptation réalisées par ces enseignants en fonction de le typologie développée par Nootens (2010). Les résultats portent à croire que la conception des enseignants à propos de la dyslexie est plutôt organisée autour de l’origine du trouble. Par contre, elle réfère peu aux besoins spécifiques et aux capacités des élèves présentant un tel trouble. En ce qui a trait aux gestes d’adaptation de l’enseignement, ils sont nombreux et variés, mais surtout appropriés pour répondre aux besoins des élèves ayant une dyslexie. Ce faisant, l’hypothèse que nous avions posée concernant l’appropriété de gestes spontanément mis en oeuvre par les enseignants pour adapter leurs pratiques d’enseignement à ces élèves semble résister à notre analyse de données. En outre, la typologie utilisée pour décrire ces pratiques constitue un outil pertinent pour organiser le discours des enseignants sur leurs pratiques. En soi, il s’agit là de résultats intéressants. Néanmoins, seules des pratiques déclarées d’adaptation de l’enseignement ont été colligées. Ces pratiques peuvent donc ne pas correspondre à celles observées ou aux pratiques réelles des classes inclusives accueillant des élèves ayant une dyslexie. Il faut aussi noter que le portrait dressé se restreint au cas d’enseignants qui se sont portés volontaires pour participer à l’étude après que nous ayons convenu de travailler avec cette école. Ainsi, considérant les limites, notamment méthodologiques, de la recherche, nous n’avons pas la prétention de généraliser ces résultats à l’ensemble des classes ordinaires touchées par l’inclusion scolaire au Québec. Ils permettent néanmoins de problématiser la question des pratiques d’inclusion scolaires et de la formation des enseignants: certains déclarent mettre en oeuvre des pratiques qui s’avèrent pour une part, adaptée à ce public. Toutefois, il s’agit d’ajustements intuitifs pour lesquels les enseignants ne semblent pas nécessairement maîtriser la logique sous-jacente. Dans quelle mesure une formation spécifique contribuerait-elle à améliorer l’efficacité de ces gestes tout en contribuant à les conceptualiser?

Par ailleurs, en ce qui concerne les attitudes des enseignants concernant l’inclusion scolaire, à l’instar de Bélanger (2006), de Nootens (2010), de Vienneau (2004, 2006) et à la lumière des entrevues menées, nous formulons l’hypothèse que les attitudes négatives de certains enseignants par rapport à celle-ci proviennent principalement de l’insuffisance de formation, de soutien, de temps et de ressources. Nous observons, comme Nootens (2010), que les nombreux gestes recensés ont des caractéristiques communes puisqu’ils semblent favoriser l’apprentissage et la progression académique de tous les élèves.

En conclusion, notre réflexion porte sur le manque de connaissances des enseignants concernant la dyslexie, mais également l’inclusion scolaire. En fait, comme le souligne Thomazet (2008), nous croyons que la réussite de l’inclusion repose sur un changement d’attitude des intervenants et implique une modification majeure de l’enseignement. Il serait essentiel d’aider les enseignants à comprendre la dyslexie pour leur permettre d’adapter leur enseignement à la nature des problèmes pédagogiques et didactiques qui en découlent, et ce, dans l’ensemble des disciplines et non pas uniquement pour le français.

Il importe, à notre avis, de mener d’autres recherches sur les pratiques réelles, voire des exemplaires d’adaptation de l’enseignement à grande échelle, et ce, dans différents contextes éducatifs. Cette étude exploratoire ne pose que les premiers jalons d’une typologie pour la classification des gestes d’adaptation en contexte d’inclusion d’élèves de deuxième cycle du secondaire ayant une dyslexie. Mesurer scientifiquement l’efficacité des gestes sur la réussite et le progrès des élèves pour en diffuser l’information pourrait répondre aux besoins des enseignants. Notre article cherche ainsi à faire connaitre les pratiques d’enseignants qui transforment et bonifient leur enseignement en contexte d’inclusion d’élèves de deuxième cycle du secondaire ayant une dyslexie.