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Introduction

Le domaine de la conception et de l’évaluation de programmes d’études est, aujourd’hui, abondamment exploré par les chercheurs et couvert par la littérature scientifique, du moins en langue anglaise. En Belgique francophone, ces cadrages théoriques et méthodologiques servent rarement d’ancrage au travail des concepteurs des programmes d’études. Plusieurs catégories de difficultés peuvent être identifiées lorsque l’on s’interroge sur les raisons qui expliquent cela. En se basant sur l’analyse des programmes d’études de sciences dans un des réseaux d’enseignement[1], les auteurs identifient, illustrent et discutent quelques-unes de ces difficultés. Pour confirmer leurs propos, des concepteurs et des enseignants ont été interrogés. Au-delà des résultats directement liés à la recherche (une évaluation de l’enseignement des sciences dans les deuxième et troisième degrés, soit les quatre dernières années de l’enseignement secondaire[2]), les chercheurs apportent une information pour comprendre pourquoi, par le passé et aujourd’hui encore, les praticiens sont susceptibles d’éprouver des difficultés lorsqu’il s’agit de prendre appui sur des connaissances scientifiques dans le domaine de la rédaction de programmes d’études.

Le curriculum et les programmes d’études, cadrage théorique

Dans un but de clarification, il apparaît nécessaire de préciser le sens des termes utilisés. Pour les auteurs, le terme de « programmes d’études » désigne les documents rendus disponibles par le pouvoir organisateur et qui définissent les finalités poursuivies, les contenus visés ainsi que les méthodes pédagogiques et les modalités d’évaluation à privilégier. Celui de « curriculum » désigne un plan d’action « qui offre une vision d’ensemble, planifiée, structurée et cohérente des directives pédagogiques selon lesquelles organiser et gérer l’apprentissage en fonction des résultats attendus », y compris au-delà des développements spécifiques opérés par les différents réseaux d’enseignement (Demeuse & Strauven, 2006, p. 11). Ce dernier terme ne saurait donc se limiter aux programmes d’études (ibid) et inclut, notamment, les finalités et valeurs, les objectifs, les méthodes pédagogiques, les matériels, les procédés d’évaluation pour mesurer l’atteinte des objectifs, etc. (voir De Landsheere, 1979 ; D’Hainaut, 1985 ; Nadeau, 1988 ; Roegiers, 1997). Le « curriculum prescrit », quant à lui (Audigier, Crahay, & Dolz, 2006 ; Demeuse & Strauven, 2006 ; Jonnaert, Ettayebi, & Defise, 2009), est constitué de l’ensemble des textes légaux ou officiels. En l’occurrence, pour la recherche, il s’agit du décret « Missions », des décrets organisant l’enseignement, du document « Socles de compétences », des référentiels terminaux en sciences, des évaluations externes certificatives ou non, des programmes d’études, etc. Concrètement, l’analyse du curriculum prescrit a impliqué, entre autres éléments, une analyse approfondie des 13 programmes d’études qui couvrent l’ensemble des disciplines scientifiques (biologie, physique et chimie) pour les quatre dernières années de l’enseignement secondaire, toutes filières confondues. La notion de « curriculum implanté » recouvre, quant à elle, la manière dont les professionnels de l’éducation traduisent et transposent le curriculum prescrit pour le mettre en oeuvre. Le troisième niveau du curriculum (senso largo) est le « curriculum maîtrisé » (ou « réalisé ») qui désigne la partie du curriculum effectivement acquise par les apprenants. Dans cet article, seul le curriculum prescrit sera analysé directement.

Principe d’analyse

Durant trois ans, les auteurs ont mené une recherche portant sur l’évaluation de la situation de l’enseignement des sciences dans les deuxième et troisième degrés de l’enseignement secondaire du réseau organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce travail a été mené en trois phases. Une première phase a permis d’évaluer la qualité du curriculum prescrit à travers l’analyse de contenu des programmes d’études. Cette première phase a été complétée par une deuxième, impliquant l’interview d’un échantillon d’enseignants (Duroisin & Soetewey, 2011) et de concepteurs de programmes d’études de manière à éclairer l’analyse des documents « programmes ». Une dernière phase a consisté à mettre en évidence les points d’amélioration du curriculum prescrit, tant du point de vue de la forme que de celui du contenu.

Le travail d’analyse du curriculum prescrit a nécessité une revue de la littérature, une synthèse de celle-ci et une sélection de modèles théoriques dans lesquels ancrer le travail de recherche (Soetewey, Duroisin, & Malaise, 2010). La recherche montre que les premières difficultés qui apparaissent sont intrinsèquement liées à la diversité de la littérature scientifique dans le domaine. Les auteurs établissent un lien avec une première catégorie de raisons qui peuvent expliquer l’absence de fondements théoriques lors de la phase de conception. Ils soulignent la multitude de modèles théoriques et d’approches méthodologiques qui semblent largement diverger ou qui, du moins, ne font pas apparaître immédiatement leurs points de convergence. Dans ce contexte, il s’avère particulièrement délicat d’effectuer les choix opportuns qui déterminent le ou les modèles à suivre ou le ou les modes d’évaluation à utiliser dans la mise à l’épreuve des programmes d’études, tant en cours de rédaction qu’au terme de celle-ci. Partant de ces constats, les auteurs pointent les obstacles relevés pour garantir une vision claire et assumée du curriculum et de son évaluation.

À l’occasion du travail d’analyse réalisé au niveau du curriculum prescrit, une deuxième catégorie de difficultés est apparue. D’une part, l’élaboration de ces programmes est souvent effectuée par un petit nombre d’acteurs émanant de disciplines différentes et développant, le plus souvent, un point de vue particulier, lié à cette discipline. D’autre part, la complexité du système éducatif rend difficile le développement d’une vision commune, globale et partagée par l’ensemble des acteurs. L’entrée dans les programmes, davantage basée sur des approches qualifiées d’invisibles (selon les conceptions de Bernstein, 2007 ; Sadovnik, 2001) ou d’ouvertes, s’est traduite, en Belgique francophone, par des prescrits légaux prônant une approche par compétences. Cette entrée dans les programmes se veut à la fois plus intégrée et plus centrée sur l’apprentissage et le rôle de l’élève (comme l’indiquent de nombreux textes au niveau international, tels De Vecchi, 1992 ; Houssaye, 1992 ; Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006a, 2006b). En théorie donc, l’objectif était de dépasser une vision excessivement disciplinaire pour parvenir à une approche intégrée des programmes, maximisant ainsi leur cohérence et favorisant l’interdisciplinarité, y compris dans la perspective d’une réduction des inégalités d’apprentissage entre élèves (Beckers, Crinon, & Simons, 2012).

Au terme de la recherche, il est possible de dégager une troisième catégorie de difficultés : le temps requis pour réaliser une évaluation des programmes d’études lorsque celle-ci n’a pas été intégrée dès le début de la conception. Financée pendant trois années consécutives, l’équipe de recherche a bénéficié d’une situation privilégiée pour évaluer les treize programmes d’études qui balisent la formation scientifique des deux derniers degrés de l’enseignement secondaire. Le parcours scolaire obligatoire, en Belgique francophone, intègre de multiples disciplines et douze années d’études. L’extrapolation, à l’ensemble des programmes, du temps nécessaire pour une évaluation a posteriori, telle que celle entreprise, démontre l’absolue nécessité de penser l’évaluation de programme dès la conception du curriculum, dans un processus de pilotage de la qualité du curriculum prescrit (Demeuse, 2013). Ceci prend notamment appui sur les descriptions du processus mis en oeuvre et réalisées par les responsables de chaque groupe de concepteurs des programmes analysés[3]. Cette troisième partie de l’analyse amène les auteurs à soutenir l’utilité d’un pilotage permanent de la conception à l’évaluation des programmes d’études et leur évolution dans le temps.

Enfin, plusieurs pistes pour faciliter les démarches de conception et d’évaluation de programmes sont proposées de manière à articuler la conception des programmes à des cadres théoriques adaptés.

Vers une vision claire et assumée du curriculum

Le premier point de cette partie présente, de façon succincte, un aperçu de l’état de l’art concernant l’évaluation du curriculum et des programmes d’études. Le second est consacré à la définition des modes d’entrée dans les programmes d’études. Le troisième replace les constats posés dans la perspective de rédaction de programmes.

La multiplicité des modèles théoriques et méthodologiques de l’évaluation d’un curriculum

Comme l’indique Fitzpatrick, Sanders, et Worthen (2004), l’évaluation formelle dans le champ de l’évaluation de programmes recourt à un processus systématique pour recueillir et analyser l’information ou les données afin de démontrer la qualité des composantes du programme à l’étude. À elle seule, cette phrase pose une série de questions – quels modes de recueil des données faut-il préconiser ? quel type d’analyse effectuer ? sur quelles informations et quelles données est-il préférable de se baser ? qu’entendre par le terme de qualité ? – auxquelles les chercheurs ont tenté, depuis une trentaine d’années, d’apporter des réponses en développant, le plus souvent, des modèles théoriques ou méthodologiques qui peuvent parfois sembler différents voire opposés. Si le modèle CIPP (Context, Inputs, Processus, Product) proposé par Stufflebeam et Shinkfield (1985) est « sans doute le modèle le plus mondialement connu » (De Ketele, 1993, p. 67), de nombreux autres modèles ont également été proposés. Ainsi, le «logic model» (Wholey, Hatry, & Newcomer, 2004), la procédure de référentialisation (Figari & Tourmen, 2006), le modèle d’évaluation centré sur les objectifs (Tyler, 2000), le modèle fonctionnel (Cardinet, 1986, cité dans De Ketele & Roegiers, 1995), etc., ne représentent qu’une partie de la diversité des modèles théoriques disponibles. Au-delà du temps requis pour maîtriser la littérature, cette diversité peut constituer une difficulté de gestion de l’information pour deux raisons principales et complémentaires. La première concerne les divergences apparentes entre les théories sous-jacentes. La seconde est relative au recul nécessaire pour intégrer les divers modèles et en percevoir les convergences. Ainsi, par exemple, les modèles développés par Stufflebeam et Shinkfield (1985), Alkin (1991), Provus (1969) et Stake (1967) présentent de nombreuses similitudes.

Choix des modèles théoriques destinés à décrire et évaluer le curriculum

Durant la première phase de recherche, les chercheurs ont été amenés à sélectionner les modèles les plus adaptés. Deux modèles distincts et complémentaires ont été choisis pour évaluer le curriculum sur deux niveaux. D’une part, le modèle de l’évaluation de la qualité d’un curriculum, développé sur la base des travaux de Bouchard et Plante (2002) par Demeuse et Strauven (2006), situe le travail de recherche dans son contexte global ; d’autre part, le modèle développé par Jonnaert et al. (2009) structure le travail d’analyse du curriculum prescrit.

L’évaluation de la qualité d’un curriculum ne se limite pas à l’analyse des contenus des programmes d’études qui le composent. Comme le souligne Demeuse (2013), « Bouchard et Plante proposent une approche analytique du concept de qualité en le déclinant selon neuf dimensions parfaitement définies » (p. 322). Cinq de ces neuf dimensions sont abordées par la démarche d’évaluation mise en oeuvre : la cohérence, la synergie, l’à-propos, l’efficacité et la durabilité.

Pour structurer le travail de la première année de recherche, le modèle des profils de curriculum proposé par Jonnaert et al. (2009) a aussi été utilisé. Définissant six caractéristiques qui peuvent être atteintes à différents degrés, définis de 0 à 3 en des termes concrets, le modèle permet d’opérationnaliser une évaluation globale du curriculum prescrit. Cinq des six caractéristiques du modèle (degré d’unicité, degré de participation, degré d’univocité, degré d’adaptabilité, degré de cohérence interne) ont été envisagées. Le degré de cohérence externe, par contre, n’a pas pu être pris en compte en raison de son caractère international.

Une évaluation objective de chaque caractéristique nécessite notamment d’engager de multiples tâches. Les chercheurs ont ainsi analysé les programmes sous plusieurs angles : la forme, la couverture des contenus (en termes d’apprentissages), la cohérence de leur articulation et de leur progression (Demeuse, Duroisin, & Soetewey, 2012 ; Soetewey & Duroisin, 2012), les finalités, la terminologie utilisée (Duroisin & Soetewey, 2012 ; Duroisin, Soetewey & Demeuse, 2012), l’orientation pédagogique (Soe-tewey, Derobertmasure, & Demeuse, 2013), la didactique (Soetewey, Canzittu, & Duroisin, 2013), la cohérence avec le développement psycho-cognitif des apprenants (Duroisin et al., 2013), la participation des acteurs de l’éducation à la conception. Plusieurs recommandations ont pu être proposées aux concepteurs sur cette base : accorder une attention particulière au degré de participation des acteurs, à la cohérence interne des prescrits en termes de contenu et de forme ainsi qu’à la cohérence du curriculum.

La mise en perspective des deux modèles identifiés comme pertinents illustre bien, d’une part, les convergences qui permettent une intégration des deux représentations et, d’autre part, les divergences utiles qui ouvrent des perspectives d’évaluation. De nombreux liens peuvent être établis entre ces deux modèles à travers leurs dimensions : entre les concepts de flexibilité (Bouchard & Plante, 2002) et celui d’adaptabilité (Jonnaert et al., 2009), entre les concepts de cohérence (Bouchard & Plante, 2002) et celui de cohérence interne (Jonnaert et al., 2009), entre le concept de cohérence externe (Jonnaert et al., 2009) et celui de pertinence (Bouchard & Plante, 2002), entre le degrés d’unicité, de participation et d’univocité (Jonnaert et al., 2009) et ceux d’efficacité, d’efficience et de synergie (Bouchard & Plante, 2002). Au-delà de ces points convergents, le modèle proposé par Bouchard & Plante (2002) ouvre l’évaluation de la qualité du curriculum à des aspects non envisagés par celui de Jonnaert et al., comme l’a propos d’un curriculum, son impact et sa durabilité.

Les modes d’entrée dans les programmes d’études

Approches et paradigmes

Le développement d’un curriculum repose également sur le choix d’un mode d’entrée particulier. Si l’entrée par les contenus-matières a prévalu jusqu’à la fin des années 70, elle a été remplacée par l’entrée par les objectifs pédagogiques jusqu’à la fin des années 90 (De Landsheere & De Landsheere, 1984 ; D’Hainaut, 1985). Actuellement, la conception d’un curriculum s’appuie davantage sur des approches « faibles » ou « invisibles », telles celles par les compétences (Crahay & Forget, 2006), les « capacities », les « capabilities », etc.

Afin de définir, de manière cohérente, l’ensemble d’un curriculum, les concepteurs doivent tenir compte du mode d’entrée car, comme le soulignent Demeuse et Strauven (2006), les stratégies et processus d’enseignement/apprentissage, les situations d’évaluation ainsi que le choix du mode d’entrée dans le curriculum entretiennent entre eux de forts liens de dépendance.

Tout en privilégiant l’approche par compétences, les programmes belges francophones actuels s’accordent pour conserver une place importante à d’autres apprentissages que sont les savoirs, savoir-faire, compétences spécifiques (appelées compétences disciplinaires). L’intégration des objectifs de niveau supérieur, liés à l’approche par les compétences, et de ces autres apprentissages amènent à situer les programmes dans un paradigme particulier (Demeuse & Strauven, 2006). À ce niveau, trois grands paradigmes sont généralement identifiés en fonction de l’articulation privilégiée de compétences spécifiques (au domaine d’apprentissage) avec des objectifs généraux (vastes et peu contextualisés), des compétences transversales (de l’ordre des capacités) ou des compétences d’intégration (mobilisables en situations contextualisées).

Pour les concepteurs, prendre appui sur un cadre théorique pour fonder leurs choix et leurs pratiques implique de se plonger dans la compréhension de la notion de compétence, alors que celle-ci est « loin d’être transparente et loin de renvoyer à un sens unifié et unanimement accepté » (Rey, Carette, Defrance, & Kahn, 2006, p.7). L’examen des définitions proposées dans la littérature scientifique (Boutin, 2004 ; De Ketele, 2001 ; Carette, 2007, 2009 ; Perrenoud, 2000 ; Rey et al., 2006 ; Roegiers, 2000) et les textes officiels tel le décret « Missions » en Belgique francophone (1997, p. 3) amène à constater une grande diversité d’interprétation (Duroisin & Soetewey, 2012 ; Duroisin, Soetewey & Demeuse, 2012). Si Tardif (2006) définit la compétence comme étant « un savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » (p. 22), d’autres auteurs insistent sur le caractère global, évolutif ou inédit du terme et proposent d’autres définitions (voir Beckers, 2002 ; Depover & Noël, 2005 ; Legendre, 2004 ; Perrenoud, 1995 ; Roegiers, 2000). Alors que des points communs peuvent être trouvés dans la mise en action de l’apprenant, dans la nécessité d’une finalité à l’action et dans le caractère complexe de celle-ci (ibid.), les éléments de divergences sont nombreux. La multiplicité des représentations des auteurs augmente encore lorsqu’on explore la diversité qui se cache au sein même des compétences, certains auteurs s’accordant sur l’existence de différents niveaux de compétences, sans s’entendre sur leur dénomination ni sur leurs limites respectives (voir, par ex., Carette, 2007 ; Rey et al., 2006).

La prise en compte de ces différents niveaux est importante dans l’élaboration d’un curriculum car passer d’un niveau à un autre exige d’augmenter la dimension métacognitive de l’action. C’est précisément cette dimension métacognitive qui permet non seulement de comprendre une situation, mais également d’identifier la façon de s’y prendre pour mener une tâche à bien dans cette situation (Crahay & Detheux, 2005 ; Legendre, 2008). L’entrée dans le curriculum va donc avoir un impact sur les pratiques didactiques prônées dans les différentes disciplines pour favoriser les apprentissages de l’élève.

En tout état de cause, si les choix sont sans conteste difficiles à poser en regard de la littérature scientifique dans le domaine, il apparaît essentiel que les concepteurs prennent cet aspect en compte afin d’éviter la multiplication des entrées. Introduire de nombreux concepts et niveaux nécessite de « les relier entre eux pour avoir une chance que le curriculum soit perçu comme cohérent par les enseignants » (Demeuse & Strauven, 2006, p. 96).

Quelle entrée dans les référentiels pour la formation scientifique en Belgique francophone ?

Pour les niveaux d’études visés par la recherche, trois référentiels servent de cadrage à l’ensemble des programmes de cours qui ont été rédigés à destination des enseignants[4]. L’intitulé des référentiels terminaux laisse penser à une entrée similaire, celle des compétences, articulées à l’acquisition de savoirs spécifiques : Compétences terminales et savoirs requis en sciences (humanités générales et technologiques) et Compétences et savoirs communs (humanités professionnelles et techniques). L’analyse de ces documents amène à un constat sensiblement différent. Le référentiel de cadrage pour l’enseignement professionnalisant, en ce qui concerne les sciences, articule des objectifs généraux (« Se situer par rapport à l’environnement ») et une non-définition des autres apprentissages nécessaires (« savoir-faire et savoirs relatifs à l’adoption de modes de vie et de consommation respectueux de l’environnement »). Pour l’enseignement académique (dit « de transition »), deux référentiels cadrent les différentes options[5] que l’élève peut choisir. Dans le référentiel pour les sciences de base, l’approche par les compétences articule des compétences transversales (par ex., « modéliser »), des compétences intitulées « spécifiques », qui se rapprochent davantage de compétences d’intégration (par ex., « Modéliser la terre comme un tout fonctionnel ») et une définition des domaines devant être couverts par des savoirs (par ex., « Flux de matière et d’énergie au sein des écosystèmes »). Le référentiel pour les sciences générales articule des compétences transversales (par ex., « S’approprier des concepts fondamentaux, des modèles ou des principes »), des compétences spécifiques (par ex., « Schématiser un cycle biogéochimique, etc. ») et des savoirs davantage précisés (par ex., « Cycles biogéochimiques »).

Sans discuter du contenu des programmes eux-mêmes et de leur cohérence (abordé au point Une vision d’ensemble … ci-après), ni de l’utilisation cohérente de termes clés (voir le point Une vision commune … ci-après), les documents qui ont cadré leur rédaction multiplient déjà les entrées et les concepts. La tâche des concepteurs des programmes en est rendue plus complexe.

Un ancrage théorique : vers une vision claire et assumée des concepteurs ?

L’expérience des chercheurs, résumée ci-dessus, l’a montré : appuyer son travail sur les bases théoriques et méthodologiques proposées par la communauté scientifique est ardu. Ancrer un travail de conception de programmes dans un ou plusieurs modèles de ce qu’est un curriculum de qualité nécessite une revue (voire une intégration) des modèles prônés et le choix de celui ou de ceux le plus ou les plus adaptés à la situation. Y intégrer les ressources nécessaires pour prendre en compte une approche ouverte des apprentissages, telle que celle des compétences, et se positionner consciemment dans le paradigme ad hoc afin d’envisager des programmes cohérents et utilisables par les enseignants nécessite un travail d’envergure.

Vers une vision globale et structurée du curriculum

Confrontée à l’analyse concrète d’un cas particulier, l’enseignement des sciences, l’évaluation des programmes a également soulevé le problème de la complexité intrinsèque du système éducatif. L’exemple choisi ici montre comment tant l’organisation globale du système étudié que les choix politiques et les obligations légales qui en découlent génèrent une situation particulièrement complexe.

Un système éducatif complexe et éclaté

Le curriculum face aux options, filières et réseaux

Le système éducatif belge francophone est caractérisé par son organisation particulière. Y coexistent différents réseaux d’enseignement parmi lesquels des réseaux d’enseignement officiels et des réseaux privés subventionnés (dits « libres subventionnés »). Un premier réseau officiel est organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles (concerné par l’étude présentée ici) et un second est organisé par d’autres autorités publiques (les communes et provinces). Pour les réseaux privés, il y a le réseau libre confessionnel (catholique essentiellement) et un réseau libre non confessionnel, ainsi que quelques établissements non affiliés à un réseau, mais ayant leurs propres programmes (comme l’École libre R. Steiner). Face à cette multiplicité de pouvoirs organisateurs, chaque élève est libre de choisir un établissement scolaire, puis d’en changer chaque année, en fonction des places disponibles.

Les années d’études concernées par l’analyse menée par les chercheurs sont les dernières années de l’enseignement obligatoire. Les élèves doivent y effectuer un choix en termes d’options, de formes, de filières. Cela concerne directement l’enseignement des disciplines scientifiques. Quel que soit le réseau, il existe deux filières, l’une de transition (plus académique), l’autre de qualification (plus professionnalisante). Chaque filière propose deux formes d’enseignement, respectivement générale et technique de transition et technique et professionnelle de qualification. Au sein de l’enseignement de transition, les élèves ont un choix d’option à poser entre sciences générales (cinq puis six périodes/semaine), sciences de base (trois périodes/semaine) et éducation scientifique (deux périodes/semaine). Il ne faut pas pour autant se représenter le curriculum comme cinq sections organisées de manière parallèle et totalement étanches.

Dans la mesure où tout élève est libre de modifier son choix de parcours à l’issue de la troisième et de la quatrième année[6], dans les limites fixées par les conseils de classe (Demeuse & Lafontaine, 2005), le parcours scolaire d’un élève peut comprendre des années d’études dans des filières, des formes et des options différentes. Les référentiels de savoirs et compétences à acquérir ont cependant été rédigés en définissant des finalités différentes en fonction des options, formes et filières pour l’ensemble de la durée des quatre années, comme s’il s’agissait d’autant de voies parallèles et distinctes. La liberté laissée à l’élève de modifier ses choix de parcours à deux reprises peut donc l’amener à poursuivre, en termes d’apprentissages, des objectifs très différents d’une année d’étude à l’autre.

Si on ajoute à cela au moins quatre réseaux qui organisent leur enseignement et rédigent leurs propres programmes d’études, on multiplie encore les combinaisons possibles. Dans une discipline où l’organisation temporelle des apprentissages n’est pas définie explicitement par le domaine couvert[7], et bien qu’il existe un référentiel de formation qui est commun à tous, le contenu des cours pour une année d’étude donnée peut donc varier considérablement.

La complexité de la situation et l’éclatement des possibilités de parcours, et donc de succession de programmes de cours dans le parcours d’un élève, sont représentés schématiquement à la figure 1 (modifiée d’après Soetewey, Duroisin, & Demeuse, 2011).

Figure 1

Représentation schématique de l’organisation de l’enseignement en Belgique francophone (d’après Soetewey, Duroisin, & Demeuse, 2011).

Représentation schématique de l’organisation de l’enseignement en Belgique francophone (d’après Soetewey, Duroisin, & Demeuse, 2011).

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Une vision d’ensemble de cette complexité pour atteindre les objectifs d’enseignement

La position de chercheur autorise à prendre le recul et le temps nécessaires pour envisager l’ensemble de la situation dans toute sa complexité, pour connaître le système, pour examiner toutes les possibilités et donc les prendre en compte dans le travail d’évaluation.

Cette position a permis de consacrer un temps important à l’analyse des contenus des programmes, en termes d’apprentissages prescrits dans chaque programme d’études, en les articulant pour envisager les apprentissages prévus au cours des différents parcours scolaires au sein d’un seul réseau. Le travail a nécessité la construction d’une base de données rassemblant tous les apprentissages prescrits dans les programmes et les référentiels, analysés selon le principe que « programme de 3e + programme de 4e + programme de 5e + programme de 6e = référentiel terminal », et ce, pour chaque apprentissage prévu par un référentiel terminal. Cette analyse, menée sur les parcours identifiés comme étant les plus fréquents (treize parcours pour les savoirs, cinq pour les compétences et cinq pour l’articulation entre compétences et savoirs ; Soetewey et al., 2010), a montré d’importantes incohérences dans le curriculum étudié. Le tableau 1 reprend les principaux résultats de l’analyse de la cohérence de ce qui est prescrit par les programmes d’une option avec ce qui est défini dans les référentiels légaux (Soetewey, Duroisin, & Demeuse, 2011) pour cette même option.

Tableau 1

Principaux résultats de l’analyse de la cohérence entre les apprentissages prescrits par les programmes d’une option et les apprentissages définis dans les référentiels terminaux

Principaux résultats de l’analyse de la cohérence entre les apprentissages prescrits par les programmes d’une option et les apprentissages définis dans les référentiels terminaux

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En replaçant les programmes analysés dans leur contexte, ce que Stufflebeam (2000) nomme les « intrants » (le projet éducatif et les programmes), il est possible d’imaginer les impacts d’un tel système sur les résultats des élèves. L’évaluation des intrants doit être considérée comme un précurseur du succès ou de l’échec du projet (d’éducation) mis en oeuvre. Dans les cas de parcours simples (sans changement d’option), l’évaluation des programmes montre une situation qui est loin d’être idéale : on remarque que, déjà « sur le papier » les objectifs que le système éducatif s’est pourtant fixé ne sont pas atteignables.

L’évaluation des contenus (ou « apprentissages prévus ») des programmes pour des parcours scolaires impliquant des changements d’option, de forme ou de filière apporte également son lot d’informations pertinentes. L’analyse a priori montre, non seulement, une mauvaise atteinte des objectifs fixés par les référentiels, comme c’est déjà le cas pour les parcours au sein d’une seule option, avec des parcours plus ou moins favorables ; mais elle met aussi en évidence des incohérences dans l’organisation des apprentissages prévus, ce qui n’apparaissait pas jusque-là (Soetewey, Duroisin, & Demeuse, 2011). De façon schématique, les parcours impliquant des changements d’options allant des options plus académiques vers les options plus professionnalisantes amènent à des répétitions (parfois très importantes) d’apprentissages. Les parcours opposés, du professionnalisant vers l’académique, montrent des lacunes (apprentissages préalables non prévus, écarts de complexité trop importants) (Soetewey et al., 2010). Ainsi, l’articulation des programmes présente des lacunes, mais la situation est telle que l’on peut s’attendre à ce qu’elle génère de l’ennui scolaire, dû aux répétitions, chez les élèves s’orientant vers une professionnalisation et constitue une barrière, du fait d’apprentissages préalables manquants, à la réorientation vers une formation plus académique (Soetewey, Duroisin, & Demeuse, 2011).

Une vision commune à développer en accord avec la philosophie des compétences

Durant la recherche, 23 enseignants d’un échantillon de convenance ont été interrogés de manière à mieux comprendre certains problèmes de conception du programme à travers la perception et les difficultés des usagers. Les enseignants ont répondu à un questionnaire et à une interview[8] selon un canevas en entonnoir (Duroisin & Soetewey, 2011). Dans le cadre de cet échantillon de convenance, le but n’était pas d’estimer l’ampleur de chaque problématique, mais de réaliser un inventaire aussi exhaustif que possible des problèmes rapportés par les enseignants, en regard de l’analyse des programmes qui a été menée par les chercheurs.

Ainsi, lors de cette phase, les enseignants ont fourni, pour la notion de compétence, des définitions variées, imprécises ou lacunaires, et parfois peu conformes à la définition décrétale (Duroisin et al., 2012 ; Soetewey et al., 2013), tout en laissant transparaître un degré d’incertitude assez élevé par rapport à leur bonne compréhension du cadre de référence (Duroisin & Soetewey, 2012). Une des raisons qui expliquent ces approximations est la variété terminologique à laquelle les enseignants sont confrontés, sans pour autant disposer des clés de lecture et des connaissances suffisantes pour percevoir les convergences et divergences sous-jacentes.

Outre la diversité des définitions avec laquelle il convient de composer et du statut de celles-ci, les enseignants se trouvent confrontés à une autre difficulté, identifiée par l’analyse terminologique des programmes : le manque de cohérence à l’intérieur même des prescrits légaux. Malgré la présence d’une définition du terme compétence, proposée et illustrée dans la partie introductive de la plupart des programmes d’études[9], l’analyse de ces derniers a permis de relever d’importantes incohérences et contradictions. Les énoncés présentés en tant que « savoir », « savoir-faire », « attitude » ou « compétence » dans les documents curriculaires sont confondus à plusieurs reprises (voir tableau 2). Duroisin & Soetewey (2012) relèvent dans le référentiel de compétences terminales et savoirs requis en sciences pour les humanités générales et technologiques, nombre d’items qui sont identifiés comme des « compétences spécifiques » à acquérir au terme de la scolarité alors qu’ils n’en sont pas réellement, en regard de la définition même qui est reprise dans ces documents.

Tableau 2

Exemples de Compétences spécifiques issues du « Référentiel de compétences terminales et savoirs requis en sciences pour les humanités générales et technologiques » (d’après Duroisin & Soetewey, 2012)

Exemples de Compétences spécifiques issues du « Référentiel de compétences terminales et savoirs requis en sciences pour les humanités générales et technologiques » (d’après Duroisin & Soetewey, 2012)

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L’étude a également permis de rendre compte du degré de certitude et du degré de maîtrise relatifs au concept de compétence. Il en résulte que plus de la moitié des enseignants interrogés fournissent des définitions ou des explications empreintes de nombreux signes d’hésitation et d’incertitude. Étant donné la multiplicité des discours, il semble particulièrement difficile pour les enseignants d’appréhender la notion de compétence et d’en fournir une définition claire et assurée. De plus, l’organisation de l’enseignement s’effectue par disciplines, ce qui « encourage un traitement distinct des compétences par discipline » (Letor & Vandenberghe, 2003, p. 16). Un tel cloisonnement ou découpage disciplinaire ne permet pas d’unifier la vision du concept de compétence et rend plus difficile encore l’exercice de compétences transversales ou interdisciplinaires, malgré les préconisations officielles.

Un ancrage théorique : vers une vision globale et structurée pour les concepteurs ?

Le caractère complexe, voire éclaté, du système d’enseignement et le manque de vision commune concernant la notion de compétence placent les chercheurs, comme les concepteurs, dans une position délicate lorsqu’ils analysent et évaluent les programmes d’études. L’évaluation de curriculum a pour principaux objectifs de garantir la cohérence des apprentissages, d’une part, et de faciliter le travail des enseignants, d’autre part. Pour y parvenir, les concepteurs doivent veiller à la cohérence des contenus proposés (afin que ceux-ci soient notamment en adéquation avec les parcours scolaires des élèves) et à la cohérence réelle des programmes d’études.

Quel que soit le système, mais plus encore dans un système d’enseignement où les référentiels sont multiples et où la mobilité des élèves renforce les inégalités en termes d’acquisition de compétences (Soetewey, Duroisin, & Demeuse, 2011), il s’avère nécessaire de développer une vision claire et uniforme du curriculum. Le développement de cette vision passe tout d’abord par le choix assumé d’une définition des termes définissant le mode d’entrée dans les programmes (en Belgique, celui de compétences) et d’une utilisation précise de sa signification pour déterminer clairement la nature des énoncés proposés dans les prescrits. Ce choix est difficile compte tenu de l’état de l’art (voir ci-dessus le point Les modes d’entrée dans les programmes d’études). En outre, les concepteurs doivent être attentifs à rendre cohérents les contenus des programmes d’études, quels que soient les parcours scolaires, les choix de filières, options et/ou réseaux d’enseignement. La non-prise en compte de la diversité des parcours scolaires et le manque de cohérence entre les objectifs fixés par les politiques (notamment la liberté de choix des élèves) et les programmes d’étude, définissant tous deux le curriculum prescrit, peuvent précipiter une situation d’échec chez les élèves déjà concernés par les mécanismes de relégation (Vitiello, 2008).

Vers un pilotage permanent pour la conception et l’évaluation des programmes d’études

À la question de savoir pourquoi la conception et l’évaluation de programmes ne s’appuient pas davantage sur les propositions théoriques et méthodologiques doit nécessairement s’articuler la question de comment faire en sorte de faciliter ce recours ? Cette partie se propose de tirer les leçons des difficultés identifiées et suggère une certaine vision de la conception de programmes.

Temps requis pour évaluer 13 programmes de cours : tirer les leçons du passé

Les éléments de la recherche qui ont été présentés permettent de mettre en exergue quelques-unes des grandes difficultés à étayer le regard que l’on porte sur les programmes d’études à partir de connaissances scientifiques. Que ce soit a priori, lors de la rédaction, ou a posteriori, de nombreux freins apparaissent. À titre indicatif, la seule analyse des contenus-matières au sein des treize programmes a pris l’équivalent de quatre mois de travail (en équivalent temps plein), en raison de la qualité des documents fournis. Sachant que seules quatre années d’études (les quatre dernières années de l’enseignement secondaire) ont été couvertes par cette analyse, pour un seul domaine d’enseignement et un seul réseau, on conçoit facilement qu’une évaluation du curriculum dans son ensemble (toutes disciplines, sur douze années, et plusieurs réseaux) paraisse être une tâche difficilement surmontable.

Pour tirer les leçons du passé, il faut reconnaître la complexité intrinsèque au domaine et partir du postulat qu’il est inutile que chaque concepteur (ou groupe de rédaction) effectue isolément un travail d’état de l’art pour définir un curriculum de qualité. Si certains des freins rencontrés sont la conséquence de l’évolution que connaît actuellement ce domaine de recherche, du foisonnement de la littérature qui en découle et du débat d’idées qui y a lieu, d’autres écueils sont davantage liés à un manque de prise en compte de la complexité du système éducatif et de l’importance d’une évaluation de la qualité du curriculum par les acteurs de l’éducation, dès sa conception.

Ainsi, au cours de la recherche, un certain nombre de concepteurs responsables des groupes de rédaction des programmes étudiés ont été contactés afin de connaître les modalités de travail qui ont été privilégiées pour la conception des référentiels (Soeteway, Duroisin, & Demeuse, 2011). L’analyse de leurs réponses met en évidence un processus de délégation de la tâche de rédaction des programmes à des groupes distincts, en fonction des disciplines et des niveaux, les laissant libres de toutes actions et leur abandonnant la responsabilité de la qualité finale du produit. Comme démontré dans les paragraphes précédents, bien que chaque groupe ait réalisé un travail considérable, ce processus a abouti à l’écriture d’une série de programmes présentant de nombreuses incohérences tant sur le fond que sur la forme. Ceci est principalement expliqué, d’une part, par le manque d’une vision commune et claire de l’ensemble du curriculum et, d’autre part, par le manque de perception de l’importance de développer une telle vision.

Pour parvenir à un curriculum de qualité, évaluable et fondé sur des propositions théoriques et méthodologiques, il est nécessaire de faciliter le travail de conception en veillant à construire cette vision globale, structurée et commune de l’ensemble du curriculum, parallèlement à une vision claire et assumée de l’évaluation de la qualité des programmes.

D’un processus de délégation à un processus de pilotage

Face au constat de ces difficultés, l’étude permet d’identifier des pistes pour en diminuer les impacts et rendre à l’évaluation des programmes la place qu’elle mérite, dès leur conception.

La recherche a permis de constater le peu de travail de coordination lors de la conception des programmes, expliquant en partie les incohérences observées. Peu de consignes avaient été fournies aux différents groupes de travail chargés de la rédaction des programmes d’études, chacun de ces groupes travaillant de façon autonome. Si cette autonomie n’est pas ici directement remise en question, il apparaît cependant nécessaire de l’encadrer, afin qu’elle ne soit pas préjudiciables à l’enseignement et aux élèves.

L’idée est donc, non plus de déléguer le travail de rédaction, programme d’étude par programme d’étude, à des concepteurs autonomes, mais de construire autour de ces concepteurs, et de l’autonomie liée à leur domaine d’expertise, un processus piloté de rédaction des référentiels en prenant appui, par exemple, sur le modèle, en quatre étapes consécutives et récurrentes, du pilotage proposé par Demeuse & Baye (2001). Ces quatre étapes sont :

  1. la récolte d’information sous la forme d’indicateurs permettant la définition de l’état du système ;

  2. l’établissement d’un diagnostic sur l’état actuel et sa comparaison avec un idéal ;

  3. en cas de discordance entre les deux, la proposition d’actions pour l’amélioration du système ;

  4. la mise en oeuvre et le contrôle de ces actions, au travers d’indicateurs (retour à l’étape 1).

Des pistes concrètes pour faciliter la conception et l’évaluation de programmes d’études

Pour surmonter les inquiétudes et dépasser les difficultés en Belgique francophone

Les marques d’hésitation des enseignants interrogés ainsi que leurs demandes de confirmation lors des entretiens conduisent à insister sur l’importance et l’utilité de convenir d’une signification précise des concepts clés utilisés. Il semble important qu’au début de chacun des programmes d’études, une introduction comportant l’information reprise dans le tableau 3 soit proposée. Étant donné les caractéristiques du système d’enseignement belge francophone et les besoins en matière de cohérence pointés ici, il est proposé aux concepteurs de programmes d’études d’inclure une introduction identique pour chacune des filières/formes/options d’enseignement.

Tableau 3

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Il est également nécessaire de faciliter le travail des enseignants en rendant les documents curriculaires plus cohérents. Élaborée à partir de critères de la qualité relevés dans la littérature, une grille d’évaluation reprenant des indicateurs opérationnels a été développée afin d’estimer la qualité formelle des programmes (Duroisin & Soetewey, 2012). Basée sur cette grille, la conception d’un canevas commun définissant une structure identique pour l’ensemble des programmes d’études faciliterait la compréhension et la manipulation des prescrits par les lecteurs qui doivent parfois utiliser quotidiennement plusieurs programmes. Cette grille d’évaluation a pour but d’être utilisée pendant la conception des programmes, comme indicateur de la qualité du produit en cours de réalisation, et après la conception, pour valider le produit.

Si cette grille a été construite pour pouvoir surmonter les inquiétudes et dépasser les difficultés en Belgique francophone, elle peut également s’avérer utile (et utilisable) dans d’autres contextes.

Pour dépasser le cadre de la Belgique francophone…

L’évaluation du curriculum, basée sur la sélection de deux modèles théoriques développés par Bouchard & Plante (2002) et Jonnaert et al. (2009), a permis à l’équipe de recherche de dégager quelques pistes concrètes facilitant la conception et l’évaluation de programmes d’études.

La première d’entre elles concerne le développement d’une vision globale et commune du curriculum, et plus particulièrement son degré d’univocité. La définition claire des visées pédagogiques du curriculum, de ses finalités et de ses orientations éducatives, de son mode d’entrée et une explication assumée de ces choix, dès les parties introductives de chaque prescrit, permettrait d’unifier le cadre conceptuel servant de base au travail de conception et d’évaluation du curriculum. De plus, la définition et la sélection préalable de concepts didactiques (tels que la trame conceptuelle, les modes de raisonnement, etc.) sur lesquels reposerait la formation faciliteraient tant leur intégration dans les programmes que leur utilisation par les enseignants sur le terrain.

Il convient également de s’accorder sur la signification des notions clés, comme ici, celle de compétence. L’équipe de recherche a mis en avant le fait que l’absence d’une définition commune et partagée de ce terme central pose bon nombre de questions, tant lors de rédaction que lorsque les enseignants doivent le mettre en pratique (Duroisin et al., 2012). Afin de rassurer ces derniers et d’assurer la cohérence des programmes d’études, il n’est donc pas possible de faire l’économie d’un choix précis et opérationnel concernant la signification de la notion de compétence. Il en va de même en ce qui concerne l’articulation de différents niveaux de compétences.

Le travail d’évaluation du curriculum aurait pu être optimisé si l’évaluation avait été pensée a priori et intégrée lors de la rédaction des programmes d’études. Un processus de pilotage, amorcé dès la conception du curriculum permettrait ainsi de rendre plus cohérent l’ensemble des prescrits. En outre, étant donné l’évolution constante des contenus d’apprentissage et les changements des attentes de la société, instaurer un processus de révision des programmes après quelques années d’utilisation paraît être un acte légitime et de bon sens.

Enfin, dans le but de maximiser la cohérence à l’intérieur même des programmes d’enseignement, il semble nécessaire que les concepteurs s’accordent sur un mode de cadrage, ou un canevas, qui définit les balises de leur travail autonome. Il s’agit, d’un côté, des caractéristiques formelles et communes à chaque programme d’étude (structure identique, utilisation des mêmes facilitateurs, etc.) et, d’un autre côté, des repères concernant les contenus-apprentissages (préalables, distribution dans les parcours scolaires, limites inférieures et supérieures, orientation, etc.). Parvenir à une uniformisation du curriculum faciliterait le travail des enseignants qui sont amenés à utiliser, en parallèle, plusieurs programmes d’études. Elle permettrait également d’envisager de meilleures perspectives d’apprentissages pour tous les élèves concernés.

Même si cette recherche qui a permis d’évaluer la situation de l’enseignement des sciences dans les deuxième et troisième degrés de l’enseignement secondaire s’est limitée à la Fédération Wallonie-Bruxelles et aux documents propres à un seul réseau d’enseignement, il reste que les constats dégagés peuvent très certainement être mis à profits dans d’autres contextes. Le travail mené avec un nombre limité d’enseignants pour vérifier la pertinence des constats réalisés sur la base des documents pourrait être poursuivi de manière à estimer l’ampleur des problèmes effectivement relevés dans une perspective quantitative. Il semble cependant assez clair que l’approche adoptée permet de confirmer les analyses quant au manque de cohérence des textes de référence et au risque d’insécurité que celle-ci risque d’induire chez ceux que les référentiels devraient au contraire conforter.