Corps de l’article

-> Voir la liste des figures

Ce livre, présenté à l’origine comme thèse de doctorat en géographie, tente de répondre à la question de la représentation de la métropolisation dans les romans québécois contemporains dont l’action se déroule à Montréal. L’auteur a, pour ce faire, recours à une démarche de géographie littéraire, soit une utilisation des romans non pas en tant que fins ou objets en eux-mêmes, mais plutôt en tant que composantes d’un corpus, traité comme un tout. Ce corpus est composé de 57 romans d’auteurs différents, presque tous publiés à Montréal, et parus à une exception près entre 2002 et 2006. Ils ont été sélectionnés pour avoir été présentés dans les pages culturelles du quotidien La Presse ou de l’hebdomadaire Voir entre 2003 et 2006 et parce que l’action se déroule dans le Grand Montréal au tournant du XXIe siècle. La perspective adoptée est donc a-historique ; les romans traités sont contemporains, pour y retrouver Montréal à l’ère de la métropolisation, et non à celle du fordisme ou de la Révolution industrielle.

L’auteur se laisse bien guider par son contenu plutôt que de tenter d’en redéfinir les contours pour qu’il serve des fins prédéfinies. Après s’être familiarisé avec les romans sélectionnés, il a effectué une deuxième lecture de son corpus à l’aide d’outils d’interprétation comme la phénoménologie de la mémoire et la théorie de l’acteur-réseau. Sa discussion méthodologique autoréflexive sur l’analyse discursive avec le roman comme matériau, à la lumière de sa pertinence accrue et des risques qui y sont associés, atteste du sérieux de sa démarche. Il use d’une approche face à la ville en trois axes : 1) ses limites ; 2) sa fragmentation ; et 3) sa connectivité. Les trois chapitres d’analyse de son livre reprennent cette division.

Le chapitre 2, « Les territoires mémoriels de la ville », conclut à l’existence de pratiques de la mémoire différenciées selon les milieux (la ville, la banlieue et la campagne) : l’anamnèse au centre, le trou de mémoire en banlieue et la commémoration à la campagne. Le chapitre 3, « Enquête sur un casse-tête urbain », relève que la fragmentation urbaine est mise de l’avant dans l’opération de décodage de la ville, de sa mémoire et de ses pratiques par les divers détectives en vedette dans les romans policiers analysés. Le chapitre 4, « Connectivités métropolitaines », note que la multiplication des connexions et l’intensification des réseaux entre individus sont concomitantes voire corrélées à l’atténuation ou la distribution de leurs migrations. Enfin, le chapitre 5 fait office de bilan de l’ouvrage et met en lumière, quoiqu’un peu maladroitement, la grande hétérogénéité de Montréal telle qu’elle est présentée dans les romans analysés.

Les liens tissés par l’auteur entre le matériau utilisé et les pistes analytiques qui en sont tirées sont toutefois fréquemment ténus. Il « pose la question » de la métropolisation à son corpus, mais les réponses qu’il en tire sont vagues, hétéroclites et seulement relativement instructives à l’issue d’un certain effort de contorsion analytique paraissant par moments excessif et dont les résultats convainquent peu. Le grand écart intellectuel qu’il souhaitait effectuer entre la métropolisation territoriale et politique, la géographie sociologique de Montréal et le contenu des romans retenus apparaît d’emblée comme une entreprise périlleuse et le fruit de ses analyses confirme cette présomption. Son livre constitue une bonne revue littéraire des romans publiés il y a une dizaine d’années et utilisant Montréal comme théâtre ainsi qu’une intéressante exploration sociologique des lieux de violence et de mémoire du Grand Montréal mis en scène dans ces romans, mais le fil conducteur de la métropolisation montréalaise s’en trouve le plus souvent renvoyé au second plan au fil des analyses beaucoup plus littéraires que géographiques. Sa très longue analyse a-territoriale et décontextualisée du roman policier en tant que genre littéraire singulier en constitue un exemple probant. Le lecteur a ainsi parfois l’impression de s’égarer, de s’enfoncer avec l’auteur dans de longues digressions éloignées du sujet d’origine alors que ce dernier plonge dans l’intrigue d’un roman particulier plutôt que de poursuivre sa démonstration.

Enfin, du point de vue de la forme, il est pour le moins surprenant que ne figurent dans ce livre qu’une figure (une carte du Grand Montréal) et un tableau (une classification primaire des romans à l’étude selon qu’ils appartiennent véritablement, moyennement ou peu au genre policier) – et, par surcroît, qu’ils soient tous deux de piètre qualité, inadéquatement introduits et fort peu pertinents. Cela apparaît très insuffisant pour un travail de cette envergure et pour le moins étrange pour une recherche doctorale en géographie. La bibliographie, très ancrée dans les études urbaines, est étonnamment plus sociologique que géographique ou littéraire. Elle est assez complète en ce qui concerne les références générales sur la métropolisation, mais on y trouve proportionnellement très peu de références scientifiques sur Montréal et, plus particulièrement, sur sa métropolisation. Cela est d’autant plus singulier que de nombreux chercheurs travaillent et ont travaillé sur cette question depuis une douzaine d’années déjà.

Le vocabulaire utilisé par l’auteur est vaste et précis et s’applique très bien aux analyses effectuées. La lecture s’en trouve aisée, aussi grâce à une bonne aération du texte par un renvoi fréquent à des citations des romans utilisés. Trois encadrés informatifs de quatre pages insérés entre les chapitres de présentation du corpus pour mettre en contexte les thématiques abordées par la suite participent du même effet ; c’est là un astucieux et agréable moyen de voguer en terrain plus théorique tout en changeant temporairement de rythme et de ton.

En somme, ce livre déçoit par le non-respect des promesses de son titre : Montréal et la métropolisation n’y sont surtout pas centrales et il s’agit au final bien davantage d’une analyse littéraire à caractère sociologique que d’une « géographie romanesque ». L’intention était louable et le contenu est agréable à parcourir, mais les enseignements qui peuvent en être tirés sont rares et minces. En fait, on dirait parfois un ouvrage inachevé…