Corps de l’article

1. Introduction

Dans un souci de recherche d’efficience économique, les ressources en eau en Tunisie ont été allouées pour longtemps vers les zones qui assurent la meilleure valorisation économique. Des investissements lourds ont été engagés à cet effet et des transferts ont été effectués des zones productrices d’eau vers les plaines et les zones côtières (Hassaïnya, 1991). La répartition sociale équitable de ces ressources n’était pas parmi les priorités de cette politique hydraulique. Il en est de même pour la protection des terres agricoles dans ces zones : dans la plupart des cas elle se limitait à quelques interventions ponctuelles qui ne remplissaient guère le rôle de conservation des eaux et des sols (Ben Mansour, 2000).

Constatant les retombées négatives de cette politique sur le plan social et environnemental, les pouvoirs publics se sont engagés depuis le début des années 90 dans une politique de gestion intégrée des ressources en eau qui cherche à atteindre simultanément plusieurs objectifs : améliorer l'efficience de l'utilisation de l'eau compte tenu de sa rareté croissante à l'échelle nationale et régionale et protéger les ressources naturelles, particulièrement les sols qui ont atteint des niveaux d'érosion avancés. Aussi, elle cherche, dans un objectif d'équité sociale, une allocation plus égalitaire des ressources en eau en faisant bénéficier les populations des zones montagneuses, qui sont restées en marge du développement socio-économique du pays, d’une partie des eaux de ruissellement produites dans ces zones.

Le traitement des bassins versants est perçu comme étant un moyen pour atteindre ces objectifs. À cet effet, plusieurs projets d'aménagement sont actuellement mis en oeuvre afin de protéger les sols, augmenter la productivité de l'agriculture pluviale et améliorer le revenu des populations locales. Ils comportent des structures de protection des sols contre l’érosion telles que les banquettes mécaniques, les cuvettes, les cordons en pierres, l’amélioration pastorale et le reboisement des zones montagneuses. Ils comportent aussi de petits ouvrages de collecte des eaux de ruissellement dont la capacité de stockage varie de quelques centaines de milliers de m3 pour les lacs collinaires à quelques millions de m3 pour les barrages collinaires. Ces projets ont un effet environnemental certain sur la protection des terres agricoles et la réduction de l’envasement des barrages. Plusieurs travaux de recherche empiriques l’ont déjà montré (Dridi, 2000; Kingumbi, 1999).

Également, ils ont un effet bénéfique sur l'amélioration des conditions de vie des populations locales par l'augmentation de la productivité des cultures pluviales et la création d'opportunités d'irrigation autour des petits et moyens ouvrages hydrauliques (Selmi, 1996). Toutefois, ils génèrent des effets externes négatifs au niveau des usagers de la plaine. Ces externalités sont représentées par la réduction des apports d’eaux de ruissellement dont dépend presque exclusivement la recharge naturelle de la nappe, à partir de laquelle est irrigué un vaste périmètre. En effet, les diverses structures d’aménagement mises en oeuvre à l’amont pour réduire l’érosion et améliorer la productivité de l’agriculture pluviale et les revenus sociaux captent aussi une partie des eaux de ruissellement et, de ce fait, elles privent les usagers de la plaine des crues qui, auparavant, rechargeaient les nappes.

Dans le cas du bassin versant de l'oued Merguellil (Figure 1), 46 retenues collinaires ont été construites et 22 600 ha de surface ont été aménagées en banquettes. Ces structures drainent respectivement 19 % et 20 % de la superficie du bassin. Plusieurs recherches ont été conduites pour évaluer l’impact de ces aménagements sur les écoulements du bassin. Adoptant une approche basée sur la géométrie des aménagements et leur organisation spatiale, Dridi (2000) évalue le déficit d’écoulement en année moyenne à 30 %. Ce taux correspond approximativement au déficit moyen des apports d’eaux observés au niveau du barrage El Houwareb au cours de la décennie 1989-1998. Deux facteurs peuvent expliquer la baisse de la réponse du bassin : d’une part, la diminution des précipitations, qui peut être la conséquence d’une variabilité climatique et, d’autre part, le facteur anthropique qui se manifeste par l’implantation de différents aménagements hydrauliques et l’accroissement des superficies cultivées.

Figure 1

Localisation et aménagements du bassin versant de Oued Merguellil.

Upper stream and downstream area of Merguellil Watershed.

Localisation et aménagements du bassin versant de Oued Merguellil.

-> Voir la liste des figures

L’analyse de l’évolution des précipitations dans le bassin durant la période (1950-1998) effectuée par Kingumbiet al. (2005) a fait apparaître une baisse du niveau des précipitations journalières durant la période (1976-1989). Toutefois, l’analyse montre également que la reprise pluviométrique enregistrée à partir de 1990 n’a pas occasionné une augmentation des écoulements équivalente à celle observée avant 1976. Les auteurs concluent que la baisse des apports de l’oued est expliquée par l’action combinée des aménagements et de la variabilité pluviométrique. Lacombe (2007) montre que les retenues et les banquettes construites entre les périodes (1989-1996) et (1997-2005) ont induit une baisse de 41-50 % du ruissellement produit dans le bassin.

L’auteur conclut que les conséquences sur la ressource en eau dans la plaine située à l’aval pourraient être désastreuses si le développement de ces ouvrages continue avec le même rythme puisque le barrage El Houareb assure l’essentiel de la recharge de la nappe.

Il est vrai que les aménagements anti-érosifs et de collecte des eaux de ruissellement contribuent à la recharge des nappes dans les zones où ils sont implantés (amont). Si ces nappes sont suffisamment étendues et que les usagers à l’aval peuvent y accéder, les externalités négatives seraient dans ce cas amplement atténuées. Mais compte tenu de l’étendue géographique réduite de ces nappes et de la distance souvent importante qui les sépare des usagers à l’aval, les avantages de la recharge à l’amont ne sont pas généralement partagés. À ceci il faut ajouter que les eaux des retenues collinaires subissent des pertes importantes par évaporation et que la fraction infiltrée demeure faible. Dans le cas de l’amont de Merguellil, Lacombe (2007) montre qu’entre 35 à 40 % des eaux des retenues collinaires s’évaporent et que l’usage agricole ne dépasse pas 13 %.

La littérature est abondante d’exemples d’externalités négatives qui montrent que les aménagements à l’amont induisent une pénurie d’eau à l’aval, une récession des activités économiques et une diminution des revenus des agriculteurs. À partir des études de cas en Afrique, Barbier et Thompson (1998) montrent que le captage des eaux et le développement de l’irrigation à l’amont d’un bassin versant au nord de Nigéria ont entraîné au niveau de la plaine une réduction sérieuse des crues d’eaux qui, auparavant, rechargeaient les nappes, diminuaient la salinité et amendaient les sols par les sédiments qu’elles déposent. Tous les bénéfices économiques liés à cet épandage ont été fortement affectés et il en résulte une perte de l’efficience économique de l’utilisation de l’eau. Ils se traduisent également par une diminution de la recharge de la nappe au niveau de la zone d’épandage et une perte importante de revenus (Acharya et Barbier, 2000). Les auteurs montrent que chaque mètre de recharge réduite entraîne une perte de 15 % sur les revenus annuels des agriculteurs. Calder (2005) et Batcheloret al. (2003) montrent aussi qu’en dépit de leur contribution évidente à la protection des ressources naturelles, les structures de collecte des eaux de ruissellement implantées dans les différentes zones arides et semi-arides de l’Inde génèrent une rareté de l’eau au niveau de la partie aval des bassins où se développe l’irrigation par pompage à partir des puits en nappe superficielle. Avec l'abaissement du niveau de la nappe phréatique, les puits doivent être régulièrement forés plus profondément, entraînant des coûts d’investissements additionnels que les petits paysans ne peuvent pas confronter conduisant ainsi à une distribution sociale inéquitable de la ressource eau.

Dans le cas du bassin de Merguellil, et en raison de la forte dépendance de la recharge de la nappe à l’aval des écoulements provenant de l’amont, les objectifs de la réduction de l'érosion et du captage des eaux, fixés par le planificateur en vue de protéger les terres agricoles et d'assurer une répartition sociale plus équitable de la ressource eau, risquent de se traduire par des impacts potentiels importants sur les bénéfices économiques tirés de l’agriculture irriguée au niveau de la plaine. Il en résulte une perte de l'efficience économique de l'utilisation de l'eau à l'échelle du bassin, due au fait que la valorisation économique de l’eau au niveau de la plaine est beaucoup plus élevée que celle au niveau de l’amont compte tenu du différentiel de la productivité agronomique et de la fertilité des sols entre les deux zones (Albouchi, 2006). Également, ils risqueraient d’augmenter davantage la fragilité de la nappe, compte tenu de son état de surexploitation déjà avancé. Dans un pareil contexte de conflits potentiels entre les objectifs poursuivis, plusieurs auteurs considèrent que le ciblage des aménagements et la recherche de solution de compromis constituent la politique environnementale la plus indiquée (Barbier et Thompson, 1998; Boumaet al., 2011).

L’objectif de ce travail consiste à analyser l’impact simultané de la protection des terres agricoles à l'amont sur : (a) l'amélioration du revenu de la population de ces zones, (b) l’évolution de l’économie de l'agriculture irriguée à l'aval et (c) les revenus économiques correspondants obtenus par les agriculteurs. Le but final est la recherche d'une solution de compromis entre les objectifs poursuivis pouvant aider le planificateur à mettre en oeuvre une stratégie de gestion intégrée des ressources en eau et de protection des sols qui soit économiquement efficiente, protectrice de l’environnement et socialement équitable. Une méthodologie multicritère couplant un modèle hydrologique à un modèle d’optimisation économique Target MOTAD (Tauer, 1980) a été élaborée à cet effet pour simuler l'impact de différents scénarios de réduction de l'érosion et de captage des eaux de ruissellement à l'amont. Dans ce qui suit, la section 2 présente le cadre d'application de ce travail, à savoir le bassin versant de l'oued Merguellil. Dans cette section, nous définissons les entités socio-économiques du système et nous établissons les interdépendances, particulièrement hydrologiques, entre les deux grandes zones du bassin : amont et aval. Dans la section 3, nous rappelons certains concepts de base qui se rapportent à l’allocation durable des ressources en eau et nous présentons la méthodologie adoptée. Le modèle d’optimisation Target MOTAD, utilisé comme outil d’analyse, est également présenté.

La section 4 présente et discute les résultats obtenus. Les implications de ce travail pour les politiques de protection de l’environnement seront présentées à la fin de ce travail à titre de conclusion.

2. Le bassin de Merguellil : cadre d’application

Le bassin versant de l’oued Merguellil (Figure 1), situé en Tunisie Centrale, est choisi comme cadre d'application pour analyser la problématique de la gestion intégrée des ressources en eau et la recherche de compromis entre les objectifs poursuivis. Sa superficie totale est estimée à 120 000 ha. Plusieurs raisons concourent pour le choix de ce bassin. La première raison, d'ordre méthodologique, réside dans le fait que le bassin versant est considéré comme l’unité hydrologique naturelle appropriée pour la gestion intégrée des ressources en eau puisque toutes les sources d’eau et les usages à l’intérieur du bassin sont interconnectés. La deuxième raison, d'ordre pratique, réside dans le fait que le bassin de Merguellil est considéré comme l’une des régions les plus érodées de la Tunisie Centrale : près de 25 % de sa superficie est attaquée par une forte et moyenne érosion. Également, compte tenu de l'aridité du climat, le bassin fait l’objet de conflits en matière d’allocation de ses ressources en eau rares entre les usagers potentiels de la partie amont, à faible développement socio-économique, et les usagers actuels de la partie aval qui connaît une forte croissance économique et une extension rapide de l’agriculture irriguée.

Le bassin peut être découpé en deux grandes entités ressources-usages, interconnectées par le biais du barrage El Houwareb. Il s’agit, d’une part, de la partie haute du bassin, située à l’amont du barrage, qui couvre une superficie de 120 000 ha et, d’autre part, de la plaine située à l’aval du barrage qui s'étend sur une superficie de 40 000 ha environ (Figure 1). Dans la suite de ce travail, ces zones seront désignées respectivement par « amont » et « aval », par référence au barrage.

Malgré sa dotation naturelle importante en eau de surface, l’agriculture dans la partie amont est restée de type pluvial extensif peu diversifié. Cette agriculture n’autorise que des rendements faibles et irréguliers; les revenus dégagés sont particulièrement bas et le taux de chômage est élevé (Dridi, 2000). Les agriculteurs, en quasi-totalité des petits exploitants, pratiquent une agriculture pluviale de subsistance, céréaliculture et arboriculture, dominée par l’olivier et l’amandier, en association avec l’élevage de petits troupeaux ovins et caprins. Outre le faible niveau du développement socio-économique, l’environnement dans le bassin est particulièrement fragile et dégradé.

Les différents travaux effectués durant ces deux dernières décennies font état d’un taux d’érosion moyen élevé de 15 à 17 T•ha-1•an-1 et on estime que le barrage El Houareb s’envase à raison de 2,1 millions de tonnes (MT) par an. L’érosion est responsable de la diminution de la fertilité des terres, de la chute des rendements des cultures et du revenu agricole et aboutit, à terme, à la perte du capital productif de base qui est le sol.

L’aval du bassin est constitué par la plaine de Kairouan qui s’étend sur une superficie de 40 000 ha. Une grande nappe phréatique, considérée comme l’un des grands réservoirs souterrains de la Tunisie, est contenue dans les alluvions de cette plaine sur laquelle se développe un large périmètre d’irrigation. Avant la construction des barrages de Sidi-Saâd et El Houareb, son alimentation naturelle était assurée à plus de 60 % par l'infiltration des eaux de crues des oueds de Zeroud et Merguellil (Besbes, 1978). Ces deux grands oueds parcourent la plaine sur respectivement 40 et 30 km de tronçons favorables à la recharge. La partie de la plaine considérée sous l’influence de l'oued Merguellil, et qui correspond à notre zone d’étude, est estimée à 20 000 ha environ. L'infiltration des eaux de cet oued était la principale source d'alimentation de la nappe (Leducet al., 2004). Le reste de la recharge est constitué par les apports intermittents de quelques oueds mineurs comme oued Cherichira qui rejoint le Merguellil après le barrage El Houareb et par les infiltrations directes aux piedmonts des reliefs de bordures.

La construction du barrage El Houareb en 1989 a perturbé ce régime naturel. Désormais, la nappe est alimentée par les infiltrations souterraines qui passent sous le barrage (Nazoumou, 2002). Le bilan hydrologique établi à cet effet par Kingumbi (1999) montre que les écoulements souterrains qui alimentent la nappe représentent environ 63 % des eaux stockées par le barrage. L’analyse des données piézométriques effectuée par Calvez (1999) sur la période 1969-1998 confirme ce résultat et fait apparaître l’effet du remplissage du barrage sur l’évolution du niveau de la nappe.

En l’absence d’autres activités alternatives, l’agriculture irriguée à partir de la nappe constitue la principale activité économique dans la zone d’étude. Le nombre des puits de surface a plus que doublé en l’espace de 20 ans, passant ainsi de 2 040 en 1980 à 4 570 puits en 2004 (Salhi, 2005). Les superficies irriguées ont presque triplé passant de 4 000 ha environ au début des années 80 à 12 000 ha actuellement. L’extension rapide des superficies irriguées et l’exploitation non contrôlée des eaux souterraines ont fait que les prélèvements sur la ressource eau sont passés de 19 millions m3 en 1994 à 43 millions m3 en 2003, soit une augmentation de 126 %.

Cette surexploitation s’est traduite par une baisse continue et généralisée du niveau de la nappe de l'ordre de 0,5 m•an-1 et peut atteindre 1 m•an-1 dans certains endroits (Leducet al., 2004). La diminution de la recharge de la nappe, conséquence directe de la diminution des apports au niveau du barrage, compliquerait davantage le déséquilibre, déjà existant, entre l’offre et la demande en eau, et pourrait compromettre la durabilité des systèmes irrigués.

Le système de culture pratiqué se base essentiellement sur l'arboriculture, les grandes cultures et les cultures maraîchères. Les cultures maraîchères pratiquées en été sont majoritairement des tomates et des piments et secondairement des pastèques et des melons; celles pratiquées en hiver sont surtout des fèves. Les cultures céréalières sont surtout le blé et l'orge. Le système agraire est presque homogène à travers toute la plaine. Il est caractérisé par la prédominance de petites exploitations qui sont pour la majorité constituées de petites parcelles dispersées. Un nombre réduit de grandes exploitations coexiste avec ces petites structures et sont surtout localisées près du barrage et pratiquent essentiellement l'arboriculture et les grandes cultures.

3. Concepts de base et approche méthodologique

Nous présentons l’approche méthodologique adoptée pour répondre à la question de recherche posée. Au préalable sont expliqués certains concepts de base qui se rapportent à l'allocation efficiente, équitable et durable des ressources en eau.

3.1 Concept de base

Efficience économique : par définition, une allocation de ressource est dite économiquement efficiente lorsque le bénéfice marginal de l'utilisation de cette ressource est égal à travers tous les usagers utilisant cette ressource, de manière à maximiser le bien-être social. En d'autres termes, si on prend le cas des ressources en eau, le bénéfice marginal résultant de l'utilisation d'une unité additionnelle d'eau doit être le même pour tous les usagers de cette ressource (Dinar et al., 1997). Si ce n’est pas le cas, la société gagne mieux en allouant l'eau vers l'usager qui en assure la valorisation la plus élevée.

Équité sociale : l'équité sociale est un sentiment de justice qui fait référence à l'accès égal aux ressources et à la redistribution des richesses produites par l'économie à travers les différents individus et groupes de la société.

En matière d'allocation des ressources en eau, l’équité sociale implique que les services et les bénéfices qui découlent de cette allocation doivent être distribués d’une manière égalitaire ou bien d’une manière où les personnes les plus défavorisées reçoivent plus de bénéfices (Cai, 2008).

Protection de l'environnement : la protection de l'environnement et des ressources naturelles cherche la préservation de ce capital productif de base afin de garantir la durabilité de ses services pour les générations futures.

Plusieurs travaux de recherches empiriques conduits sur le site ont montré l'existence d’un différentiel d'efficience économique de l'utilisation de l'eau entre les deux unités du bassin : amont et aval (Albouchi, 2006). Ils ont montré également l'existence d'un différentiel important en matière de développement socio-économique entre les deux grandes zones, dû essentiellement à une inégalité de distribution des ressources en eau à l'échelle du bassin. Ces considérations nous ont conduits à procéder au découpage spatial du bassin comme le montre le paragraphe suivant.

3.2 Découpage spatial du bassin

Le bassin versant a été découpé en deux grandes unités : amont et aval. L'amont du bassin a été découpé en huit sous-bassins versants selon l'importance des affluents de l’oued Merguellil. Le découpage est appliqué au point de confluence. Ce découpage est justifié par les hétérogénéités observées dans les valeurs des paramètres physiques du bassin influant sur le ruissellement et l’érosion : topographie, pluviométrie, érosivité des pluies, nature des sols, couverture végétale et spéculations pratiquées, régime hydrologique de l’oued. Chaque sous-bassin a été découpé parallèlement en six versants. L’estimation de la réponse du sous-bassin à un événement pluviométrique donné est obtenue par la sommation des contributions des versants latéraux.

Ces contributions latérales s’ajoutent le long de l’oued affluent pour former à l’exutoire la réponse du sous-bassin Si à l’événement pluviométrique, soit Qsi. Les versants sont découpés transversalement en différents panneaux pour tenir compte des effets de l’amplification de l’érosion et des eaux de ruissellement.

La nappe de la plaine a été découpée en deux grandes mailles relativement homogènes et interconnectées; cela veut dire que le prélèvement dans une maille donnée a un effet aussi bien sur le rabattement de la maille en question que sur les autres mailles. Chaque maille est définie par un taux de recharge naturel déterminé et un niveau cible (Target) de rabattement acceptable.

L’eau de ruissellement provenant de l’amont et stockée dans la retenue constitue l’essentiel de la recharge de la nappe et assure par là l’interconnexion entre les deux grandes unités du bassin : l’amont et l’aval du barrage.

3.3 Le modèle d’optimisation : Target MOTAD

Le Target MOTAD, technique d’optimisation multicritère, est l'outil d'analyse utilisé dans le cadre de ce travail. Trois critères sont pris en considération : économique, social et environnemental. Nous supposons à cet égard l'existence d'un planificateur central qui cherche à maximiser l'efficience économique de l'usage de l'eau à travers le bassin tout en tenant compte simultanément de l'objectif environnemental de la protection des sols à l'amont et de l'objectif de l'équité sociale relatif à l'amélioration du revenu de la population locale. Nous supposons également, en se basant sur des travaux de recherche empiriques conduits dans la région, que l'eau est beaucoup mieux valorisée dans la plaine qu'à l'amont et que la collectivité gagne mieux en allouant les eaux de ruissellement vers cette zone. La fonction objectif du modèle Target MOTAD consiste à maximiser le revenu économique dégagé par l’agriculture irriguée dans la plaine. Mathématiquement elle se présente comme suit :

  • avec :

  • j : indice de l’activité « j » à la plaine; j = 1……………….J;

  • z : indice de la zone d’irrigation (ou maille), z = 1,……H;

  • nz : nombre d’exploitations agricoles dans la zone d’irrigation « z »;

  • Cjz : contribution de l'activité « j » au revenu de l’exploitation type dans la zone d’irrigation « z »;

  • Yjz : niveau de l’activité « j », exprimé en ha, dans l’exploitation type de la zone « z ».

En plus des contraintes habituelles relatives à la disponibilité des ressources (terre, travail, capital, etc.), la fonction objectif du modèle est maximisée sous un ensemble de contraintes spécifiques relatives à la protection de l’environnement et à la promotion de l’équité sociale. Elles sont formulées à travers les équations allant de (2) à (9).

L’eau de ruissellement constitue l’élément clé de la modélisation : il constitue à la fois l’agent principal de l’érosion des sols à l’amont (Ben Mimoun, 1999) et assure l’essentiel de la recharge de la nappe à l’aval (Ben Ammaret al., 2006; Besbes, 1978). Le volume ruisselé au cours de chaque « état de nature pluviométrique » varie en fonction du type de culture, des pratiques culturales, de la superficie traitée (amélioration des parcours et reboisement) et de la nature des aménagements entrepris.

Les états de nature définis dans le cadre de ce travail se rapportent aux différents niveaux de ruissellement et d’érosion générés par une même culture (même parcelle) et qui sont reliés à différents niveaux de pluviométrie. Bien que ces deux facteurs (ruissellement et érosion) varient en fonction du volume et de l’intensité de l’événement pluvieux, nous avons travaillé dans le cadre de ce modèle avec la pluviométrie annuelle, faute de disponibilité de données sur l’intensité de la pluviométrie. Toutefois, lors du calcul de la pluviométrie annuelle, à partir des séries qui varient de 18 à 37 années selon les sous-bassins, nous n’avons retenu que les pluies journalières supérieures ou égales à 15 mm. Ce niveau est considéré comme le seuil à partir duquel la pluie engendre un ruissellement avec érosion (Nasri, 2002). À partir des pluviométries annuelles ainsi calculées, nous avons pris des intervalles entre le minimum et le maximum de pluviométrie annuelle observée et nous avons défini un « pas » de pluie de 100 mm. Le nombre d'intervalles ainsi obtenu correspond aux « états de nature » de la pluviométrie. La probabilité d’occurrence de chaque « état de nature » est obtenue en divisant le nombre d’observation dans chaque intervalle par le nombre total d’années dans la série pluviométrique de chaque sous-bassin. Trois états de nature de la pluviométrie ont été retenus : sèche, où la pluviométrie annuelle est inférieure à 200 mm, moyenne, où la pluviométrie est comprise entre 200 et 300 mm et humide, lorsque celle-ci dépasse 300 mm•an-1.

Le ruissellement produit à l’échelle du bassin est formulé à travers l’équation 2.

  • avec :

  • k : indice de l’activité « k » à l’amont du bassin; k = 1………K;

  • p : indice des panneaux; p = 1,2,3. Nous définissons le panneau comme étant une unité hydrologique, faisant partie d’un versant donné, et qui présente des caractéristiques relativement homogènes en matière de propriétés physiques des sols (pente, nature), du type du couvert végétal et des structures des exploitations agricoles ainsi que leurs orientations de production;

  • v : indice des versants; v = 1………….6;

  • s : indice des sous-bassins; s = 1…………8;

  • npvs : nombre d’exploitations dans le panneau « p » du versant « v » du sous-bassin « s »;

  • αkpvs : coefficient de ruissellement de la culture « k  dans le panneau « p » du versant « v », du sous-bassin « s »; ce coefficient varie en fonction des caractéristiques du milieu (Φ) et du couvert végétal (β). Les caractéristiques du milieu englobent le type d’aménagement hydraulique présent. Les caractéristiques du couvert végétal impliquent la nature des cultures, les pratiques culturales et l’état du couvert (dégradé ou amélioré) s’il s’agit d’un parcours d’élevage ou d’une forêt;

  • Ptpvs : état de nature de la pluviométrie dans le panneau « p » du versant « v », du sous-bassin « s »;

  • Qt(p-1)vs : eau ruisselée au cours de l’état de nature « t » sur le panneau (p-1) du versant « v » du sous-bassin « s », exprimée en m3;

  • Xkpvs : niveau de l’activité « k  dans l’exploitation type du panneau « p » du versant « v » du sous-bassin « s », exprimé en ha;

  • Qbt : la quantité d’eau, en m3, libérée par l’amont du bassin en fonction de l’état de nature de la pluviométrie « t ».

L’équation 3 traduit la contribution annuelle des cultures à l’érosion des sols au niveau de l’amont du bassin, selon les états de nature de la pluviométrie. Elle varie également en fonction du type de culture, des pratiques culturales, de la superficie traitée et de la nature des aménagements entrepris. Dans cette équation, la quantité totale d’érosion produite à l’échelle de l’amont ne doit pas dépasser un certain niveau appelé « Target ». La variation du niveau de ce « Target » permet d’établir différents scénarios de réduction de l’érosion à l’amont : une valeur faible ou nulle correspond à une situation de grande protection des sols, où l’érosion est amenée à son plus bas niveau possible, alors qu’une valeur maximale correspond à une situation de haut risque environnemental où l’érosion est à son niveau le plus élevé. L’équation 4 présente le risque associé à chaque niveau de « Target ».

Le paramètre (λ) mesure la quantité d’érosion tolérée au dessus du « Target » érosion. Si le planificateur ne tolère aucune déviation (ou risque) au-dessus du « Target » fixé, le paramètre λ doit être égal à zéro (λ = 0).

Mathématiquement, ce paramètre est égal à la somme du produit des probabilités des états de nature et des déviations négatives attendues au-dessus du « Target ». Ces deux équations sont formulées comme suit :

  • avec :

  • Te : « Target » environnemental qui définit la quantité annuelle maximale d’érosion à ne pas dépasser à l’amont du bassin. Il est exprimé en tonnes;

  • σkpvst : contribution de la culture « k » à l’érosion dans le panneau « p » du versant « v », du sous-bassin « s » sous l’état de nature « t ». Ce coefficient varie en fonction des caractéristiques physiques (Φpvs), du couvert végétal (βpvs) et de l’état de nature de la pluviométrie (Ptpvs);

  • Dt : exprimée en tonnes, cette variable mesure la déviation de l’érosion au dessus du « Target » fixé sous l’état de nature de la pluviométrie « t »;

  • Pt : pluviométrie sous l’état de nature « t »;

  • λ: valeur pondérée de la déviation de l’érosion au-dessus du « Target »; ce paramètre mesure le risque environnemental relatif à l’érosion des sols et il est exprimé en tonnes. La valeur prise par ce paramètre varie selon les préférences du planificateur.

Les autres indices et variables sont les mêmes que ceux définis précédemment.

L’équité sociale, représentée dans le cadre de ce travail par l’augmentation de la part du revenu de la population de l’amont par rapport au revenu global dégagé à l’échelle du bassin (amont et aval), est représentée par l’équation 5.

Cette équation exige que la somme des contributions des cultures au revenu annuel de ladite population ne descende pas en-dessous d’un certain seuil fixé, appelé : revenu social minimum. L’équation 6 mesure le risque associé à la réalisation de ce revenu. Ces équations sont formulées comme suit :

  • avec :

  • Ra : « Target » du revenu social minimum à l’amont; il est calculé de manière à satisfaire les besoins fondamentaux de la population (nourriture, soins médicaux, scolarité, bien-être, etc.), il est exprimé en DT (Dinar Tunisien : 1 DT ≈ 0,646 USD en 2013);

  • Ctk : contribution de l'activité « j » au revenu social à l’amont sous l’état de nature « t »;

  • DEVRt : déviation en-dessous du revenu « Target » sous l'état de nature « t », exprimé en DT;

  • Pt : probabilité d'occurrence de l'état de nature « t »;

  • λ: valeur attendue de la déviation négative en-dessous du revenu « Target »; c’est le risque économique exprimé en DT.

La consommation en eau des cultures dans la plaine, exprimée en matière de contribution au rabattement annuel de la nappe, ainsi que la part des eaux de ruissellement infiltrée à travers le barrage pour la recharge souterraine de celle-ci, sont représentées par l’équation 7.

Un « Target » de rabattement annuel à ne pas dépasser à également été défini. Le niveau de ce « Target » a été modifié pour prendre une valeur nulle, où aucun rabattement additionnel n’est permis et des valeurs plus grandes, où des prélèvements au-dessus du « Target » sont autorisés. L’équation 8 présente le risque associé à chaque niveau de « Target ». Ces équations sont formulées comme suit :

  • avec :

  • j : indice de l’activité « j », j = 1 …………………….J;

  • z : indice indiquant une zone (ou maille) d’irrigation donnée;

  • r : indice indiquant les autres mailles (r ≠ z = 1……………..H);

  • Tnz : « Target » de rabattement de la nappe dans la maille « z »; il indique le niveau de rabattement à ne pas dépasser et il est exprimé en m•an-1;

  • nz : nombre d’exploitations dans la zone « z »;

  • azz : coefficient de l’influence de la maille « z » sur elle-même. Les coefficients d’influence traduisent les interactions hydrauliques entre les nappes de différentes zones. Ils indiquent l’effet direct et croisé du pompage à la fin d’une période donnée (année par exemple) sur le niveau de la nappe dans la zone elle-même et sur celles des autres zones. Ces coefficients sont exprimés en fonction du temps : m2•s-1, avec s : seconde;

  • aijz : consommation en eau de l’activité Yj dans la zone « z » durant la période « i », exprimé en m3•ha-1•an-1. La période « i » est prise égale à une année dans le cas de ce travail;

  • Yjz : niveau de l’activité j, exprimé en ha, dans l’exploitation type de la zone « z »;

  • nr : nombre d’exploitations dans la zone « r » avec r ≠ z;

  • arz : coefficient indiquant l’influence du prélèvement de la zone « r » sur la zone « z »;

  • aijr : consommation en eau de l’activité Yj dans la zone « r » durant la période « i », exprimé en m3•ha-1•an-1;

  • β : coefficient de conversion du volume d’eau infiltré à partir du barrage exprimé en m3 en hauteur de recharge de la nappe exprimée en m;

  • Φ : exprimé en m•an-1, ce coefficient indique la part de la recharge de la nappe dans les eaux ruisselées par l’amont (Qbt). En se basant sur les travaux de Kingumbi (1999), l’infiltration représente 63 % des eaux de ruissellement drainées par l’amont et collectées par le barrage (Φ = 0,63);

  • αz : exprimé en m•an-1, ce coefficient indique la part de la zone « z » dans la recharge annuelle;

  • Qbt : quantité d’eau, en m3, libérée par l’amont du bassin, en fonction de l’état de nature de la pluviométrie « t », c’est la quantité qui atteint le barrage El Houareb et contribue à la recharge de la nappe;

  • Dtz : déviation au-dessus du « Target » de rabattement de la nappe dans la zone « z » relatif à l’état de nature « t »; elle est exprimée en m•an-1;

  • Pt : probabilité d’occurrence des états de nature de la pluviométrie;

  • λnz : valeur de la déviation au-dessus du « Target » de rabattement de la nappe dans la zone « z », elle est exprimée en m•an-1.

3.4 Choix des exploitations types et agrégation

L’approche adoptée dans ce travail consiste à classer les différentes exploitations dans des groupes homogènes réduits et de construire un modèle pour une « exploitation type » représentative de chaque groupe. Pour chaque panneau à l’amont et chaque maille à l’aval, une exploitation type est choisie pour la modélisation. Les modèles ainsi élaborés sont agrégés au niveau du bassin versant en utilisant comme poids le nombre d'exploitations dans chaque panneau à l’amont et chaque maille (ou zone d’irrigation) à la plaine. Selon Hazell et Norton (1986), la pondération par le nombre d’exploitations dans chaque groupe représente une procédure d’agrégation correcte si l’exploitation représentative est prise comme étant la moyenne arithmétique des exploitations de chaque groupe. Le modèle de Target MOTAD élaboré cherche à maximiser l’efficience économique de l’usage de l’eau à la plaine tout en tenant compte simultanément de l’objectif environnemental relatif à la protection des terres à l’amont et l’objectif social relatif à la promotion du revenu de la population locale.

La variation du niveau du « Target » d’érosion a permis d’analyser l’impact de chaque scénario d’aménagement sur l’évolution du revenu économique des agriculteurs à la plaine, l’amélioration du revenu de la population de l’amont et également l’évolution du niveau de la nappe à l’aval.

Des courbes d’arbitrage et de complémentarité entre les différents objectifs poursuivis ont été déterminées pouvant ainsi aider le planificateur à choisir la solution optimale, dite de compromis.

3.5 Données et estimation des coefficients

3.5.1 Estimation des coefficients d’érosion

Les coefficients de l’érosion des sols ont été déterminés pour chaque culture à l’aide de l’équation USLE (Wischmeier et Smith, 1978). Pour calculer l’érosivité de la pluie, il est nécessaire de disposer, en plus de la pluviométrie, des intensités maximales sur 30 min de chaque événement pluvieux.

Comme ce second paramètre n’est pas disponible au niveau du bassin de Merguellil, il était impossible de calculer le facteur d’érosivité selon la méthode décrite dans l’équation USLE. Nous avons donc utilisé l’approximation de Renard et Freimud (1994). Ces auteurs proposent une méthode de substitution établie sur une relation directe entre l’érosivité et la hauteur de la pluie moyenne annuelle, exprimée en mm.

3.5.2 Estimation des rendements

Pour quantifier l’effet de la variation de l’apport d’eau sur le rendement d’une culture pluviale, il est nécessaire de dériver la relation entre la baisse de rendement relatif (1-YR/YM) et le déficit de l’évapotranspiration relative (1-ETR/ETM) qui aboutit à l’obtention d’un coefficient empirique (Ky) de réponse des rendements à l’eau (Doorenbos et Kassam, 1979) : (1 – YR/YM) = Ky (1 – ETR/ETM); avec YR = rendement réel selon l’apport d’eau; YM = rendement maximum obtenu sans stress hydrique; ETR = évapotranspiration réelle selon l’apport d’eau; ETM = évapotranspiration maximale sans stress hydrique.

Pour estimer la relation entre l’érosion des sols et le rendement des cultures, nous avons utilisé l’équation de Lal (1987). Cette équation quantifie l’effet de l’érosion cumulative sur les rendements des cultures selon les aménagements et les techniques culturales pratiquées.

3.5.3 Détermination de la marge brute des cultures

Au niveau de l’amont du bassin, le revenu annuel est estimé pour chaque exploitation type en déduisant de la valeur du produit brut de l’ensemble des cultures choisies le coût variable pour chaque culture. La marge brute est calculée pour chaque culture selon les états de nature de la pluviométrie et le type d’aménagement entrepris.

Au niveau de la plaine, la variabilité des revenus est régie à la fois par la variabilité des rendements et des prix des produits observée sur le marché. Le calcul de la variabilité des marges brutes des cultures est effectué sur la base d’une série de dix années. Pour chaque culture, il s’agit de calculer sa marge brute en se basant sur le rendement observé au cours de l’année « t » et le prix du produit correspondant sur le marché. La valeur moyenne de la marge brute de chaque culture est introduite dans l’équation relative au revenu moyen espéré de l’exploitation type.

4. Résultats et discussion

Le modèle a été résolu d’abord sans contrainte sur l’érosion des sols; la quantité maximale d’érosion à travers tout le bassin compte tenu des états de nature de la pluviométrie a alors été identifiée.

Ce scénario, que nous qualifions de « scénario de référence », correspond à la situation de « haut risque environnemental » où aucun aménagement n’est entrepris à l’amont du bassin. Cette quantité maximale est ensuite réduite de 25 %, 50 % et 75 %, donnant lieu à différents scénarios (ou « Target ») de réduction de l’érosion. Ils seront désignés dans la suite de ce travail respectivement par le scénario 2, le scénario 3 et le scénario 4. L’impact potentiel de chaque scénario sur le revenu économique de la plaine, l’équité sociale à l’amont et l’efficience économique de l’allocation de l’eau à l’échelle du bassin versant a été analysé. L’analyse a été effectuée dans un contexte où aucun rabattement additionnel de la nappe n’a été autorisé, compte tenu de son état de surexploitation actuel.

4.1 La protection des sols et l’efficience économique : deux objectifs conflictuels

L’arbitrage entre l’objectif de la maximisation du revenu économique à la plaine et l’objectif de la protection des sols a été analysé en faisant varier le niveau de la norme instaurée sur l'érosion. Les résultats obtenus montrent un conflit net entre les deux objectifs (Figure 2). En effet, le maximum du revenu économique à la plaine (35 MDT) (Million de Dinars Tunisiens), n’est obtenu que sous le scénario dé référence (0 % de réduction de l’érosion) où aucun aménagement n’est entrepris à l’amont. Dans ce cas, toute l’eau ruisselée rejoint le barrage El Houareb et contribue à alimenter la nappe, augmentant ainsi l’eau disponible pour l’irrigation au niveau de la plaine. Mais ce scénario correspond au maximum de la dégradation des terres agricoles, puisque le niveau total de l'érosion est de 2 968 MT•an-1, soit 25 T•ha-1.

Figure 2

Arbitrage entre revenu économique à la plaine et réduction de l’érosion à l’amont.

Trade-off between the economic income in the plain and erosion reduction at upstream.

Arbitrage entre revenu économique à la plaine et réduction de l’érosion à l’amont.

-> Voir la liste des figures

Ce taux paraît assez élevé par rapport au maximum d’érosion tolérable avancé généralement dans la littérature, qui est de l'ordre de 6 T•ha-1•an-1. En revanche, l’objectif de la réduction de l’érosion de 75 % par rapport à son niveau maximum se traduit par le revenu économique à la plaine le plus faible. Dans ce cas, le revenu obtenu n’est que de 15,5 MDT par an, soit une chute de 56 % par rapport à celui obtenu dans le scénario de référence (35 MDT•an-1). La figure 2 montre que la courbe de l’évolution du revenu économique à la plaine comprend deux grands segments : un segment de pente négative douce et un segment de pente négative forte. Dans le premier, d’importants gains de réduction de l’érosion à l'amont peuvent être réalisés sans pour autant affecter de manière importante le revenu économique.

Par contre, dans le second segment, au-delà du scénario de 50 %, toute réduction additionnelle de l’érosion se traduit par un impact négatif fort sur le revenu économique.

Dans la pratique, ce seuil correspond à l’aménagement de 26 000 ha par diverses structures antiérosives et petits ouvrages hydrauliques. Les résultats obtenus montrent également que le revenu global dégagé à l'échelle de tout le bassin, c'est-à-dire à l’amont et à l’aval, diminue aussi en fonction de l’accroissement du niveau de la protection des terres. À titre d’exemple, sous l’instauration d’une norme correspondant à la réduction de 50 % du niveau maximum d’érosion, le revenu global dégagé par l’ensemble du bassin a chuté de 8 % par rapport au scénario de référence où aucun aménagement n’est entrepris, passant ainsi de 51,8 MDT à 47,7 MDT par an. Cette diminution du revenu global signifie que le gain de revenu additionnel obtenu à l’amont, suite à la réduction de l’érosion et à l’installation des ouvrages de collecte des eaux de ruissellement, n’a pas pu compenser la diminution du revenu économique à la plaine, résultant de la diminution de la recharge de la nappe à partir des eaux de ruissellement provenant de l’amont. Ceci tient essentiellement au différentiel de la valorisation économique de l'eau entre les deux zones.

L’on peut alors dire que, dans le cas du bassin versant de l'oued Merguellil, la protection du sol à l’amont implique un coût économique pour la collectivité nationale matérialisé par la perte de l’efficience économique de l’utilisation de l’eau et une réduction de la croissance économique au niveau de la plaine. Les deux objectifs sont fortement conflictuels.

4.2 Conflit d'objectifs et coût d'opportunité

Généralement, on parle de conflit d’objectifs lorsque la réalisation d’un niveau élevé d’un objectif donné implique un sacrifice dans la réalisation de l’autre objectif. Ceci est particulièrement le cas dans ce travail. Théoriquement, le conflit entre les objectifs peut être mesuré par le coût d’opportunité.

Le coût d’opportunité d’un objectif en un point donné de la courbe d’arbitrage est donné par la pente de la courbe en un point et mesure le sacrifice d’un objectif pour accroître d’une unité l’autre objectif (Thampapillai et Sinden, 1979).

Le tableau 1 présente le coût d’opportunité de la protection des terres agricoles en fonction du niveau de la norme instaurée sur l’érosion des sols. Ce coût représente le niveau du revenu économique auquel la collectivité devrait renoncer pour réduire l'érosion à l’amont. Ce tableau montre que le coût d’opportunité économique de la protection des sols à l’amont est assez élevé, particulièrement au-delà du scénario 3.

Tableau 1

Coût d’opportunité économique de la réduction de l’érosion à l’amont et diminution de la recharge de la nappe.

Economic opportunity cost of reducing erosion upstream and decreasing the groundwater recharge.

Coût d’opportunité économique de la réduction de l’érosion à l’amont et diminution de la recharge de la nappe.

(*) Scénario de référence (aucun aménagement)

-> Voir la liste des tableaux

En effet, le scénario 2, qui réduit l’érosion de 0,742 MT•an-1 par le biais de l’aménagement de 10 000 ha de terres agricoles et l’installation de petits ouvrages hydrauliques, diminue également le volume de la recharge annuelle de la nappe dans la zone d’étude de 2,1 Mm3, soit 8 % de l’apport moyen naturel. Il en résulte une diminution de la superficie irriguée et une perte de revenu économique de 3,2 MDT. Cette perte devient de 7,5 MDT sous le scénario 3 qui implique l’aménagement de 26 000 ha. Sous le scénario 4, la perte du revenu et la diminution de la recharge de la nappe deviennent très importants.

Les résultats présentés précédemment ont été obtenus dans le contexte où aucun rabattement additionnel n’est autorisé pour la nappe. Cela veut dire que la quantité d’eau pompée pour l’irrigation ne doit pas dépasser le volume de la recharge annuelle. Or, pour une nappe commune gérée sous le régime de l’accès libre, comme celle de la plaine de Kairouan, cette situation n’est possible que si le planificateur, soit par des mesures économiques, soit par des interventions directes, fixe le quota de pompage à ne pas dépasser par tous les usagers. En l’absence d’une telle réglementation, ce qui est actuellement le cas, les agriculteurs continueraient toujours de suivre une stratégie individuelle basée sur la maximisation du profit, abstraction faite de la diminution du niveau de la recharge annuelle. Le résultat attendu serait un rabattement continu de la nappe qui, à terme, peut aboutir à sa dégradation, suggérant ainsi l’existence d’un conflit potentiel entre les deux attributs de l’objectif environnemental pris en considération dans le cadre de ce travail, à savoir la réduction de l’érosion à l’amont et la protection de la nappe à l’aval.

Plusieurs travaux empiriques ont montré que, dans plusieurs situations, la protection de l’environnement dans un endroit donné se traduit par un impact négatif sur une autre composante de l’environnement dans un autre endroit (Barbier et Thompson, 1998; Batcheloret al., 2003). Ceci est dû au fait, comme le signalent Önalet al. (1998), que l’objectif environnemental présente généralement plusieurs attributs qui ne peuvent pas être améliorés simultanément, ce qui paraît dans le cas Merguellil. Pour simuler l’évolution du niveau de la nappe en fonction des différents « Target » (ou scénarios) de réduction de l’érosion, un travail de paramétrage a été effectué : il consiste à faire varier, pour chaque scénario de réduction de l’érosion, la valeur du « Target » de la nappe (Tnz) et du paramètre (λnz) qui mesure le risque (Équations 7 et 8) jusqu’à ce que le revenu économique de la plaine égalise celui obtenu dans le scénario de référence, soit 35 MDT. Le tableau 2 présente les résultats de ce paramétrage.

Tableau 2

Impact de différents niveaux du Target de réduction de l’érosion à l’amont sur le rabattement de la nappe à la plaine.

Impact of different target levels of erosion reduction in the upper part of the watershed on groundwater depletion in the downstream area.

Impact de différents niveaux du Target de réduction de l’érosion à l’amont sur le rabattement de la nappe à la plaine.

(*)Par rapport au scénario de référence.

-> Voir la liste des tableaux

Ce tableau fait apparaître clairement la relation conflictuelle entre l’objectif de la protection des sols à l’amont et la préservation de la nappe à l’aval. À titre d’exemple, un « Target » de réduction de l’érosion de 25 % induit une baisse additionnelle du niveau de la nappe de 0,6 m•an-1. Ceci s’explique par le fait que la superficie de 10 000 ha aménagés en banquettes et autres ouvrages de collecte des eaux de ruissellement ont induit, sous ce scénario, une diminution des apports d’eau au niveau du barrage El Houareb, et par là une réduction de la recharge de la nappe de 8 % par rapport au volume infiltré dans la situation de référence. L’eau disponible n’est plus suffisante pour irriguer toute la superficie. Pour combler ce déficit, et en vue de dégager le même niveau de revenu (35 MDT), les agriculteurs puisent alors sur le stock initial de la nappe entraînant ainsi le rabattement de son niveau piézométrique. Sous les « Target » de 50 % et 75 %, ce rabattement devient respectivement de 1,12 et 2,56 m•an-1.

Le planificateur du bassin de Merguellil devrait avoir conscience du risque que pourrait entraîner la poursuite de l’aménagement du bassin sur le rabattement additionnel de la nappe. En effet, sous le régime de l’accès libre et en l’absence de restrictions sur le pompage, les agriculteurs continueraient toujours de suivre une stratégie basée sur l’intensification de l’irrigation en vue de maximiser leurs profits, abstraction faite de la diminution de la recharge, ce qui aboutit à terme à la dégradation de la nappe.

Les résultats qui viennent d’être présentés montrent que tous les scénarios de réduction de l’érosion simulés se traduisent par un coût économique pour la collectivité nationale et un risque majeur de dégradation additionnelle de la nappe à la plaine, déjà surexploitée.

Toutefois, ce coût n’est pas du tout linéaire : pour un scénario d’aménagement correspondant à la réduction de 25 % du niveau maximum d’érosion (scénario 2), le coût d’opportunité n’est pas assez significatif et peut être supporté par la collectivité, eu égard aux gains réalisés simultanément en matière de protection des sols à l’amont et d’amélioration du bien-être de la population qui y vit. Au-delà du scénario 3, ce coût devient fortement significatif et la perte de l’efficience économique de l’allocation de l’eau devient considérable.

4.3 Équité sociale et protection des sols : deux objectifs complémentaires

Les résultats obtenus montrent une parfaite complémentarité, dans le cas du bassin de Merguellil, entre l’objectif environnemental relatif à la protection des sols à l'amont et l’objectif de la recherche de la promotion du revenu social de la population dans ces zones, que nous avons qualifié dans ce travail par « équité sociale » (Tableau 3). Ce tableau montre que, plus on réduit l’érosion, plus on améliore le revenu de la population locale. Ceci s’explique par le fait que les structures antiérosives mises en place permettent de reconstituer la fertilité des terres agricoles et de capter une partie des eaux de ruissellement. Cette eau captée crée des opportunités d’irrigation pour les agriculteurs autour des petits ouvrages hydrauliques (lacs et barrages collinaires) et permet également d’améliorer la productivité des cultures pluviales. Si on définit l’équité sociale comme étant le rapport entre le revenu de la population de l’amont par rapport au revenu global du bassin (amont et aval), le tableau 2 montre que ce taux est passé de 32 % sous le scénario de référence, où aucun aménagement n’est entrepris, à 65 % sous le scénario 4, qui réduit l’érosion de 75 % par rapport à son niveau maximum.

Tableau 3

Amélioration de l'équité sociale en fonction des scénarios de réduction de l'érosion.

Increase in social equity with the level of soil erosion reduction.

Amélioration de l'équité sociale en fonction des scénarios de réduction de l'érosion.

(*) Scénario de référence (sans aménagement)

-> Voir la liste des tableaux

Dans le contexte actuel de la Tunisie, où le coût de protection de l’environnement est pris en charge par les pouvoirs publics, on peut dire que les structures d’aménagement entreprises au niveau du bassin versant de l'oued Merguellil semblent bien jouer à la fois le rôle de protection des terres agricoles et de promotion de l’équité sociale. Toutefois, ces améliorations en au niveau social et environnemental, semblent être réalisées aux dépens du revenu économique dégagé par les irrigants de la plaine et également aux dépens de l'efficience économique de l'utilisation de l'eau d'une façon générale, ce qui conduit à la nécessité de la recherche d’une solution de compromis entre les trois objectifs visés par le planificateur.

4.4 Recherche d'une solution de compromis

Les résultats précédents ont montré que, dans le cas du bassin de Merguellil, la relation entre l’objectif économique, relatif à la maximisation de l'efficience de l'utilisation de l’eau à la plaine et l’objectif environnemental, relatif à la protection des sols à l’amont, est parfaitement conflictuelle. Dès lors, l’optimum de la réduction de l'érosion sera déterminé à partir de la courbe d’arbitrage entre ces deux objectifs (Figure 2). Conceptuellement, cet optimum est déterminé par la tangente entre la courbe d’arbitrage entre les objectifs conflictuels et la courbe d’indifférence sociale la plus élevée (Boggeset al., 1980).

La courbe d'arbitrage indique la combinaison maximale faisable entre la protection de l’environnement sol à l’amont et la maximisation du revenu économique à la plaine, alors que la courbe d’indifférence sociale indique la combinaison entre ces deux objectifs pour laquelle la société est indifférente. En l’absence de connaissance sur les courbes d’indifférences sociales, l’optimum de la protection de l'environnement sera guidé par les informations générées par la fonction d’arbitrage elle-même qui indique la magnitude du conflit entre les deux objectifs.

La courbe de la figure 2 a alors été reproduite dans la figure 3 et divisée selon le degré de la pente en deux grands intervalles : (AC) et (CD). À l'intérieur de l'intervalle (AC), la courbe d’arbitrage est descendante, suggérant ainsi une corrélation négative entre l'objectif de la maximisation du revenu économique à la plaine et l'objectif de la protection de l'environnement sol à l'amont. Bien qu'il présente la même pente, cet intervalle (AC) a été découpé en deux segments : [AB] et [BC]. Ce découpage est dicté par le degré de satisfaction atteint au niveau de chaque segment, par l'objectif environnemental et l'objectif de l'équité sociale. En effet, à l'intérieur du segment [AB], l’efficience économique de l'utilisation de l'eau est faiblement affectée puisque le revenu à la plaine n’a diminué que de 9 % seulement. En revanche, l’érosion produite à l’échelle du bassin est encore élevée, de l’ordre de 2 226 Mt•an-1, soit une moyenne de 18,5 T•ha-1•an-1, et le revenu à l’amont reste encore faible.

Figure 3

Intervalle de compromis entre les trois objectifs : efficience économique, équité et protection des sols.

Compromise interval among the three objectives: economic efficiency, equity and soil protection.

Intervalle de compromis entre les trois objectifs : efficience économique, équité et protection des sols.

-> Voir la liste des figures

En conséquence, les combinaisons efficientes situées dans ce segment [AB] qui correspondent à une norme de réduction de l’érosion de 25 % ne seraient pas socialement acceptables eu égard aux faibles gains réalisés en matière de protection de l’environnement et de promotion du revenu social. À l'intérieur du segment [BC], le revenu économique devient relativement plus sensible à la protection des sols à l’amont et connaît une chute de 22 % sous le « Target » de réduction de l’érosion de 50 %.

En revanche, on assiste à ce niveau à une amélioration sensible de la qualité de l'environnement puisque l'érosion totale a diminué pour se situer à un niveau de 1 486 MT•an-1, soit une moyenne de 11,5 T•ha-1•an-1 environ. Ce taux d’érosion se situe juste à la limite supérieure du seuil tolérable et pourrait être considéré comme acceptable si les améliorations additionnelles dans ce taux affectaient fortement le revenu économique. Le revenu à l’amont a connu à son tour une nette augmentation : le revenu par personne devient dans ce cas de 427 DT•an-1, soit à peu près le revenu minimum permettant aux individus de satisfaire leurs besoins de base.

Dans l’intervalle (CD), la courbe d’arbitrage change de parcours et la pente descend rapidement, ce qui signifie que le revenu économique devient dans ce cas très sensible à toute protection additionnelle de l'environnement sol à l’amont. En effet, à l’intérieur de cet intervalle, l’environnement connaît une nette protection puisque le maximum de l’érosion totale produite à l’échelle du bassin ne dépasse pas 6 T•ha-1•an-1. Toutefois, ce niveau avancé de protection des sols implique une sérieuse réduction du revenu économique à la plaine puisqu’il a chuté de 57 % par rapport à la situation de référence. À partir du point C, le conflit entre les deux objectifs devient fortement élevé et se traduit par une perte considérable de l’efficience économique de l’utilisation de l’eau à l’échelle du bassin. Dans ce cas, le coût économique supporté par la collectivité nationale pour atteindre un niveau avancé de protection de l’environnement et de promotion de l’équité sociale devient particulièrement élevé et ne semble pas avoir une justification économique.

Le planificateur aurait donc intérêt à opérer à l'intérieur du segment [BC] où le conflit est relativement faible pour choisir une solution optimale de compromis entre les trois objectifs, c'est-à-dire celle qui réduit sensiblement l’érosion à l’amont et améliore les revenus de la population locale sans affecter considérablement le revenu à la plaine et l’efficience économique de l’utilisation de l’eau.

5. Conclusion

Ce travail a abordé, dans le cas du bassin versant de l'oued Merguellil, la problématique de la gestion intégrée des ressources en eau qui s’exprime, dans ce contexte, en tant que recherche de compromis entre des objectifs conflictuels ou peu compatibles : objectif d’efficience économique, d’équité sociale et de protection de l’environnement. L’efficience économique à été appréhendée à travers la recherche de la maximisation du revenu économique dégagé par l’agriculture irriguée dans la plaine, située à l’aval du bassin.

Nous avons supposé à cet égard que, compte tenu du différentiel de productivité agronomique et de fertilité des sols, l’eau est beaucoup mieux valorisée dans la plaine qu’à l’amont. L’équité sociale a été analysée à travers la réallocation d'une partie des eaux de ruissellement du bassin au profit de la population de l'amont dans l’objectif d’améliorer son revenu et ses conditions de vie. La protection de l’environnement a été analysée à travers la réduction de l’érosion des terres agricoles à l’amont et le rabattement de la nappe à l’aval.

Les résultats obtenus à l’aide du modèle Target MOTAD montrent une incompatibilité nette entre la recherche de l’efficience économique de l'allocation de l'eau au niveau du bassin et l’objectif de la protection des sols à l’amont. En effet, tous les scénarios de réduction de l’érosion se traduisent par une diminution du revenu économique en aval. Ceci s’explique par le fait que les structures d'aménagement mises en oeuvre pour réduire l'érosion captent aussi une partie des eaux de ruissellement et, de ce fait, réduisent les apports d’eau au niveau du barrage qui constitue la principale source de recharge de la nappe à l’aval où se développent de vastes périmètres d’irrigation. La recherche de l'efficience économique de l'allocation de l'eau est également en parfait conflit avec l'objectif de l'équité sociale. En effet, tous les scénarios simulés de l'augmentation du revenu de la population de l'amont entraînent une diminution du revenu économique à la plaine, puisque toute augmentation nécessite la réduction de l'érosion et le captage d'une partie des eaux de ruissellement pour améliorer les rendements pluviaux, ce qui diminue le volume de la recharge de la nappe à l'aval.

La recherche de l'équité sociale en matière d'allocation de l'eau entraîne aussi une réduction du revenu global dégagé par les deux grandes zones du bassin (amont et aval) : cela veut dire que les gains de revenu obtenus à l'amont ne peuvent pas compenser les pertes économiques subies à la plaine; il en résulte une perte de l'efficience économique de l'utilisation de l'eau à l'échelle du bassin. Ce résultat s'explique principalement par le différentiel important de la valorisation économique de l’eau entre les deux grandes zones du bassin. Toutefois, les résultats montrent que la réduction de l’érosion à l’amont jusqu'au seuil de 50 % permet d'améliorer nettement le revenu de la population locale sans pourtant affecter considérablement le revenu des agriculteurs à la plaine et l’efficience économique de l’utilisation de l’eau à l'échelle du bassin. Ceci montre qu'il est possible, dans le cas du bassin versant de l'oued Merguelli, d'arriver à une solution de compromis entre les trois objectifs fixés par la politique de gestion intégrée des ressources en eau.