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L’écriture de Solidarités provinciales fait suite à un projet de recherche en partenariat entre des universités et des organisations ouvrières néo-brunswickoises (p. 14-15). Bien qu’indépendant de cette recherche, le livre « propose un récit de la longue histoire de la Fédération, jetant sur elle un regard sympathique, mais non dénué d’esprit critique » (p. 15). Le parti pris favorable de l’auteur envers cette organisation transparaît tout au long de l’ouvrage, mais les perspectives critiques demeurent très ténues. À travers l’histoire de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Nouveau-Brunswick (FTTNB), l’historien David Frank nous propose un retour sur certains événements marquants de l’histoire du travail et des réformes sociales au Nouveau-Brunswick au cours du XXe siècle. Cet ouvrage demeure un point de départ, car comme le constate l’auteur, il « ne peut rendre compte de toute l’évolution du travail au Nouveau-Brunswick. Il reste encore beaucoup à faire, et ce livre tente de raconter l’histoire d’une seule organisation ouvrière et de décrire sa place dans l’histoire de la province » (p. 13). Il s’agit néanmoins d’une contribution non négligeable à l’historiographie syndicale régionale canadienne. Un tel ouvrage de synthèse demeurait inexistant pour le Nouveau-Brunswick et fait toujours défaut dans l’historiographie syndicale et du travail d’une majorité de provinces canadiennes. Le livre a été publié à la fois en français et en anglais par le Comité canadien sur l’histoire du travail/Canadian Committee on Labour History, comité notamment responsable de la publication de la revue Labour/Le Travail.

David Frank est professeur d’histoire à l’University of New Brunswick et spécialiste de l’histoire ouvrière canadienne et de l’histoire des provinces maritimes. Il est notamment reconnu pour ses travaux portant sur l’histoire des mineurs du Cap-Breton avec son ouvrage J. B. McLachlan : A Biography of a Legendary Labour Leader and the Cape Breton Coal Miners (Toronto, James Lorimer, 1999, 592 p.), pour lequel il a remporté les prix John W. Dafoe et Darthmouth.

Le livre Solidarités provinciales parcours l’histoire de la FTTNB, la deuxième plus ancienne fédération syndicale provinciale canadienne, de sa fondation jusqu’au tournant du siècle (1913-1997). L’ouvrage se divise en cinq chapitres qui sont présentés en ordre chronologique (Chapitre 1 : « Un fait accompli »,1913-1929 ; Chapitre 2 : « Ce qui nous a été promis », 1930-1939 ; Chapitre 3 : « Une province digne des héros », 1940-1956 ; Chapitre 4 : « Le nouveau syndicalisme », 1957-1975 et Chapitre 5 : « Sur la ligne » 1976-1997). L’auteur conclut avec un épilogue qui présente les différents défis auxquels la fédération est confrontée, ainsi que ses perspectives d’avenir en ce début de XXIe siècle. Par contre, il reste silencieux sur les différentes critiques formulées au cours des dernières décennies à l’égard du mouvement syndical au Canada et en Amérique du Nord (bureaucratisation, corporatisme, perte de combativité, concertation, intégration à l’appareil étatique, etc.).

Pour l’ensemble des chapitres, l’auteur reprend sensiblement la même formule. À chacune des périodes, il présente les principaux acteurs de la Fédération ainsi que le rôle et l’influence des différents présidents qui se succèdent à tête de l’organisation. Il aborde les relations de la FTTNB avec les différents gouvernements de la province (libéraux et conservateurs) et son rôle dans le développement des politiques sociales (assurance-chômage, Loi sur le paiement des services médicaux, développement régional, etc.) et de la réglementation du travail (telles les campagnes pour l’indemnisation des accidents de travail ou encore les luttes pour la reconnaissance syndicale et le droit à la négociation collective). Il expose les principaux conflits de travail et les principales luttes sociales qui marquent les différentes époques et le rôle qu’y joue la Fédération (grève des travailleurs du tramway à St-John en 1914, grèves de Miramichi et Minto dans les années 1930, grève de l’Union des marins canadiens en 1949, grèves dans les mines du Nord de la province à la fin des années 1960, solidarité internationale dans les années 1970 et 1980, etc.). Il aborde les relations de la FTTNB avec d’autres acteurs du monde ouvrier de la province, notamment les partis politiques de gauche (Co-operative Commonwealth Federation et le Nouveau Parti démocratique), les organisations syndicales concurrentes et les groupes populaires et communautaires. Dans l’ensemble des chapitres, il porte aussi un regard sur la réalité sociale des travailleuses. Même chose au sujet des travailleurs et travailleuses d’origine acadienne. Il présente les réalités et les enjeux qui les concernent au sein de la Fédération, mais aussi au sein de la société néo-brunswickoise (bilinguisme, accès au marché du travail, disparité salariale, sous-représentation sociale et syndicale, etc.). Lorsque nécessaire, l’historien fait des liens avec les enjeux et débats plus larges qui marquent l’histoire du mouvement syndical canadien et nord-américain et comment ceux-ci se répercutent au Nouveau-Brunswick (les guerres mondiales, le mouvement socialiste, le syndicalisme industriel, grève générale pancanadienne contre le contrôle des salaires, libre-échange, etc.). Pour ce faire, David Frank a principalement recours aux archives de la Fédération, à la presse syndicale et grand public (locale et provinciale) et aux témoignages de militants.

L’ouvrage Solidarités provinciales s’adresse à un public large et interpelle à la fois les lecteurs et lectrices universitaires, les salarié-e-s et les militants et militantes syndicaux. À travers une histoire claire et concise de la FTTNB, David Frank nous permet de mieux saisir les principaux enjeux sociaux, économiques et politiques qui marquent l’histoire contemporaine du Nouveau-Brunswick.