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Par définition, le droit international public est composé de l’ensemble des normes juridiques (normes prohibitives, permissives et prescriptives) qui régissent les relations internationales. C’est essentiellement un système normatif. Quand on s’interroge sur la normativité du principe des responsabilités communes mais différenciées (PRCMD), on enquête nécessairement sur sa juridicité, c’est-à-dire sur son caractère légal en dehors des conventions particulières dans lesquelles il peut déjà être reconnu, auquel cas il s’insère dans le réseau des obligations conventionnelles qui sont librement souscrites par les États Parties. Dans ce contexte, normativité et positivité sont des termes interchangeables puisque le droit positif est composé des normes légales qui sont en vigueur dans un ordre juridique donné.

Par ailleurs, des doutes ont été émis sur le caractère normatif du PRCMD, entendu cette fois comme une qualité inhérente à la norme juridique qui, dit-on, doit être suffisamment prescriptive ou suffisamment déterminée dans son contenu pour régler le comportement des États. Nous verrons plus loin que cette critique est mal fondée parce que l’indétermination d’un principe ne constitue jamais un obstacle à son plein épanouissement comme principe juridique, le juge ou le législateur venant préciser, au besoin, ses principaux paramètres. Dans le cas du PRCMD, chaque convention dans laquelle il est reconnu vient définir ses tenants et aboutissants et, si ceux-ci sont généralement bien reconnus, ils ne sont pas pour autant identiques.

La question posée ici est celle de savoir si le PRCMD, qui a été reconnu depuis un quart de siècle dans une quinzaine de conventions mondiales sur l’environnement[1], a acquis le rang d’un principe de droit international relevant d’une pratique générale acceptée comme étant le droit au sens de l’article 38 (1) b) du Statut de la Cour internationale de Justice (CIJ)[2]. Si nous répondons positivement à cette interrogation, nous pouvons dès lors établir que nous sommes en présence d’un principe général de droit international qui forme le creuset où viennent se rencontrer les positions respectives des pays développés (PD) et des pays en développement (PED) quand il s’agit d’élaborer des conventions mondiales en matière environnementale. Une réponse négative signifie au contraire que les États développés ne sont aucunement contraints de donner effet au PRCMD dans les conventions qu’ils signent avec les PED et que ces derniers doivent sans cesse négocier sa reconnaissance au cas par cas.

Le but de la présente étude est d’analyser la manière dont les internationalistes qui se sont penchés sur ce sujet répondent généralement à la question. Tout ou à peu près tout ayant été dit sur le PRCMD depuis presque déjà un quart de siècle, il serait très difficile de vouloir faire oeuvre originale en cette matière. Il nous reste cependant à établir un bilan provisoire, à tirer une conclusion sur l’état actuel de l’opinion des juristes et à estimer, avec toute la prudence requise, le sort que l’avenir pourrait réserver à un principe qui porte en lui-même la marque des profondes divisions entre le Nord et le Sud. Il n’est pas dit en effet que le PRCMD, tel qu’on le connaît actuellement, passera avec succès l’épreuve du temps. On peut penser, par exemple, que les négociations courantes sur un nouveau régime juridique pour le climat — qui doivent nous conduire vers un nouvel accord mondial en 2015 — pèseront lourdement sur son évolution.

D’une manière générale, comme nous le verrons un peu plus loin, la doctrine refuse de voir un principe de droit coutumier dans le PRCMD ; curieusement, elle enseigne en même temps qu’il n’est pas dépourvu de toute valeur juridique. Voilà une conclusion qui semble étrange, mais qui est compatible avec la théorie de la normativité relative du droit international public. Il paraît impossible, croyons-nous de parler de normativité sans nous interroger sur la quintessence de la norme juridique, sur le seuil de la juridicité ou de la normativité et sur les distinctions casuistiques entre le droit mou, le droit flou, le droit doux et le droit dur[3], étant entendu que le droit mou peut arriver à produire du droit dur[4] et que ce dernier peut être tout ce qu’il a de plus doux et de plus mou. Pour ajouter à la confusion, une règle non juridiquement normative a priori peut être qualifiée de soft law[5], ce qui est un non-sens pourtant communément accepté, tout comme une règle juridique techniquement pure et dure mais peu contraignante ou pas du tout contraignante peut être aussi qualifiée de soft law[6]. Les auteurs Pierre-Marie Dupuy et Yann Kerbrat le rappellent avec force : le système normatif international est en crise et celle-ci serait loin d’être terminée[7].

Parler de la normativité du PRCMD, c’est aussi devoir aborder la coutume et entrer dans un marais impraticable que l’on fréquente à ses risques et périls. D’entrée de jeu, nous dirons que le gros ennui avec la question que nous avons à résoudre, c’est qu’elle nous contraint à traiter d’un concept qui n’est pas simple du tout. La coutume se plaide souvent devant les tribunaux internationaux, mais son existence est rarement reconnue. C’est que le passage du fait au droit demeure toujours un processus difficile à évaluer. L’analyste doit deviser de chimie sociale, de cristallisation et de cristallogenèse, afin de pouvoir passer d’un état fluide à l’état solide, du désordre à l’ordre contrôlé par le droit. Toutefois, au contraire des sciences pures, le droit est aussi un art… et la preuve de la coutume relève fréquemment de l’intuition scientifique mais exceptionnellement de la démonstration rigoureuse. De plus, la question de l’existence de la coutume nous plonge dans le sempiternel débat du fondement obligatoire de la coutume, théorie de l’accord tacite, d’une part, et théorie de la formation spontanée, d’autre part, qui se réclame d’un prétendu objectivisme scientifique qui trouve ses racines soit dans des données sociologiques observables et quantifiables, soit dans des données conçues dans le sérail du jusnaturalisme. Ce n’est certes pas le lieu ici pour disserter sur les diverses théories entourant le concept de la coutume[8]. Il suffit d’indiquer, aux fins de notre analyse, que notre compréhension de l’institution repose sur les grandes affaires jugées par la CIJ ainsi que par sa devancière, la Cour permanente de justice internationale (CPJI)[9]. Pour l’essentiel, la jurisprudence internationale nous enseigne que la preuve de la coutume doit être recherchée autant dans la pratique effective des États que dans l’opinio juris de ceux-ci, ce qui exclut à la fois les prétentions fondées sur le seul fait de la pratique et celles qui s’appuient sur le seul consentement de la majorité des États.

Dans notre texte, nous essaierons de voir l’intérêt qu’il y aurait à conclure que le PRCMD est un principe de droit coutumier (1). Nous ferons ensuite une revue de la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations afin de prendre le pouls de l’opinion générale au sein de notre communauté scientifique (2) : précisons qu’il s’agit pour l’essentiel de la doctrine publiée en langue anglaise car la doctrine francophone est mince sur ce sujet. Puis nous ferons le point sur les principales controverses doctrinales entourant le PRCMD. Il conviendra après de situer le PRCMD dans son contexte général, qui est celui du développement durable (DD), concept dont plusieurs éléments empruntent dans une certaine mesure à la philosophie du nouvel ordre économique international (NOEI) qui avait été revendiqué durant les années 70 par les PED et dont la réalisation est toujours vivement souhaitée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2013 ; l’intérêt de cet exercice est d’évaluer les difficultés du terrain sur lequel se meut le PRCMD et d’estimer ses chances d’une véritable transmutation qui le ferait passer de la vile catégorie de la soft law à celle, plus noble, de la hard law (4).

1 L’intérêt de la question

Un débat inutile que celui sur la normativité du PRCMD ? La question mérite d’être posée. Daniel Bodansky[10] suggérait déjà en 2003 qu’il serait plus avantageux pour les juristes d’investir leur énergie ailleurs plutôt que de continuer à discuter pour savoir si telle ou telle norme environnementale est devenue du droit coutumier. En effet, puisque la doctrine moderne ne semble plus pouvoir ni vouloir distinguer entre le droit et le non-droit, entre la soft law et la hard law, à quoi bon s’évertuer à couper les cheveux en quatre ?

À première vue, il est difficile de ne pas donner raison à Daniel Bodansky. Avec le PRCMD, nous sommes devant une pratique conventionnelle qui semble bien établie en droit de l’environnement ; si la doctrine refuse généralement de parler de coutume à son sujet, cela ne change strictement rien à sa valeur comme principe de droit conventionnel, à sa vigueur et à sa portée pratique dans les relations internationales, quelle que soit la catégorie (principe politique, principe politico-juridique, principe de la soft law, norme émergente, principe structurant ayant une certaine valeur normative) dans laquelle on veut bien le ranger aux fins de l’analyse juridique.

La normativité juridique du PRCMD : un faux débat ? Un débat byzantin ? Un débat académique, très certainement, mais si nous examinons la question de plus près, on peut y trouver un intérêt fondamental du point de vue de la construction d’une société internationale plus équitable et plus juste. En effet, si le PRCMD arrive à se poser comme principe de droit, il ouvre toute grande la voie vers une forme de péréquation[11] à l’échelle internationale sur le chapitre de la protection de l’environnement, du moins en ce qui concerne des enjeux globaux qui se révèlent des préoccupations communes de l’humanité. Le principe 5 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement rappelle ainsi que tous les États « doivent coopérer à la tâche essentielle de l’élimination de la pauvreté […] afin de réduire les différences des niveaux de vie et de mieux répondre aux besoins de la majorité des peuples du monde[12] ». Il est vrai que l’élimination de la pauvreté dans le monde ne passe pas exclusivement par des transferts financiers, mais ceux-ci font très certainement partie de l’ensemble des moyens pour y arriver.

Le PRCMD devient dès lors non seulement un principe fondateur dans l’organisation de la solidarité internationale devant des dangers communs, mais aussi un principe structurant les négociations en matière environnementale. De plus, une fois le PRCMD établi comme principe de droit, le juge international est autorisé à faire appel à lui pour interpréter les obligations conventionnelles des Parties. Cependant, il ne faut jamais oublier qu’une convention peut écarter la coutume ou tout autre principe de droit, coutume ou principe n’ayant pas un rang hiérarchique supérieur à la convention, exception faite bien évidemment d’un principe qui aurait acquis le caractère d’une norme du jus cogens.

1.1 Un principe fondateur de la solidarité internationale

Si le PRCMD est reconnu comme un principe de droit coutumier, nous pouvons dès lors conclure que tout le droit international de l’environnement est marqué dans son essence même et sa structure par un principe fondamental qui conditionne théoriquement la nature et la portée des droits et des obligations qui sont assumés par les États, selon que ceux-ci appartiennent à la catégorie des PD ou à celle des PED. Nous pourrons ainsi dire, comme l’ex-premier ministre chinois l’a si bien formulé à Copenhague en 2009, que le PRCMD est le coeur et le fondement du droit de la coopération internationale en matière environnementale[13].

Si le PRCMD a acquis un tel rang, celui du droit coutumier, on pourra donc conclure, d’une part, que les PED sont fondés à bénéficier des droits que le PRCMD peut faire naître à leur intention et, d’autre part, que les PD sont tenus par le droit international de reconnaître aux PED les avantages qui peuvent découler des mêmes droits, peu importe pour le moment la question de leur contenu. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire concrètement ?

Dès 1994, Ileana Porras a noté[14] qu’un PRCMD de droit coutumier deviendrait l’assise légale qui autoriserait les PED à revendiquer un transfert de ressources financières et technologiques non pas au titre de l’aide internationale traditionnelle et discrétionnaire, mais au titre d’une obligation internationale formelle qui leur serait due par les PD. Ce n’est pas rien et ce n’est surtout pas une idée banale, car elle commande l’établissement — quelles qu’en soient la forme et les modalités d’application — d’un impôt de solidarité sur la fortune sur le plan mondial[15], nécessairement prélevé au sein des PD et dont le produit serait obligatoirement distribué entre les PED.

1.2 Un principe structurant les négociations en matière environnementale

Si le PRCMD est reconnu comme un principe de droit coutumier, les négociations internationales en vue d’élaborer de nouvelles conventions mondiales sur l’environnement doivent être structurées de manière à lui donner effet.

La question n’est pas aussi théorique que l’on pourrait le penser, car, dans toute négociation internationale dans le domaine de l’environnement, la reconnaissance du caractère coutumier du PRCMD autorise d’entrée de jeu l’établissement d’un régime à obligations différenciées au lieu de la création d’un régime unique définissant des obligations identiques pour tous les États participants. Dans ce contexte, les projets de négociation partent alors du principe qu’il existe en droit international un droit à un traitement différencié au profit des PED dont découle pour les autres États développés l’obligation de le respecter et de lui donner plein effet selon les données particulières de la situation en cause. Selon l’expression de Kristin Bartenstein[16], le PRCMD devient ainsi une technique conventionnelle de référence, une summa divisio, dans l’architecture des obligations respectives des États[17].

A contrario, on doit admettre que toute conclusion péremptoire tendant à nier le caractère coutumier du PRCMD contraint inévitablement les PED qui veulent s’en prévaloir à négocier son inclusion dans le projet de traité qui est proposé ainsi que les modalités de son articulation. Les négociations actuelles dans le dossier climatique illustrent les difficultés de l’exercice.

1.3 Un principe d’interprétation judiciaire des obligations conventionnelles

Par ailleurs, la reconnaissance du PRCMD comme principe général de droit autoriserait le juge à s’y appuyer pour motiver sa décision. C’est ce qui s’est produit dans l’affaire Malaisie c. États-Unis[18] — seule affaire à notre connaissance où le PRCMD a été appliqué par une instance internationale — où un groupe spécial de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a expressément cité le PRCMD comme référence nécessaire pour éclairer les deux États en vue de trouver une solution à leur conflit. Dans ses constatations finales, le Groupe spécial précise que le meilleur moyen, pour les deux pays, de contribuer efficacement à la protection des tortues marines d’une manière compatible avec le développement durable sera de conclure un accord « qui permettra de protéger et de conserver les tortues marines à la satisfaction de tous les intérêts en jeu et en tenant compte du principe que les États ont des responsabilités communes mais différenciées lorsqu’il s’agit de conserver et de protéger l’environnement[19] ».

1.4 Un principe qui peut être écarté par une convention

À notre avis, on aurait tort de surévaluer l’importance de la question du statut du PRCMD en droit international. En règle générale, la coutume n’a rien d’une norme constitutionnelle à laquelle toutes les autres normes inférieures doivent se soumettre. Même si nous étions prêt à admettre le caractère coutumier du PRCMD, cela n’équivaudrait pas pour autant à l’élever au rang d’une norme impérative (jus cogens) que ne pourrait contrarier aucune disposition conventionnelle. L’une des façons reconnues de modifier la coutume ou de l’abolir est précisément de conclure une convention qui en modifie les termes. On sait aussi que tout État jouit en tout temps du privilège de ne pas adhérer à une convention dont il n’accepte pas les termes. Si rien n’oblige les PED à participer au régime des conventions mondiales sur l’environnement, il en va de même pour les PD. Cependant, comme le notent Patricia Birnie, Alan Boyle et Catherine Redgwell, si les intérêts bien compris des PD sont de réunir le maximum de pays au sein d’une convention mondiale et que la question de l’aide aux PED se pose dans le contexte des négociations, on peut imaginer que les solutions retenues par le passé continueront de servir de cadre de référence, que le PRCMD soit de droit coutumier ou non[20]. L’obligation politique ou éthique peut être tout aussi forte que l’obligation juridique.

1.5 Un principe inapplicable hors du champ de la convention

Il est acquis depuis longtemps qu’une règle énoncée dans un traité peut devenir obligatoire pour un État tiers en tant que règle coutumière de droit international reconnue comme telle[21]. En droit, toute conclusion positive sur le caractère coutumier du PRCMD nous autorise donc à dire que tout État, sous réserve de l’objecteur persistant[22], serait tenu de respecter le PRCMD, quel que soit son contenu, qu’il ait ou non signé et ratifié une convention spéciale sur un sujet particulier. C’est en effet l’un des grands intérêts de la coutume que de pouvoir lier tous les États. Nous allons suivre cette piste et supposer que le PRCMD, qui est mis en oeuvre dans plusieurs conventions mondiales sur l’environnement, soit devenu un principe de droit coutumier de manière qu’il soit opposable erga omnes.

On cherche en vain l’avantage que les PED pourraient tirer du caractère coutumier de l’institution devant un tribunal international. On imagine assez mal en effet la manière dont un tribunal pourrait ordonner à tout État non Partie à une convention particulière de verser une contribution financière à un fonds spécial, pour autant que le PRCMD ait bel et bien reçu cette forme dans la convention en question. On voit encore moins la façon dont une telle décision pourrait être exécutée en pratique. Il suffit de soulever cette hypothèse pour réaliser que quelque chose ne tourne pas rond dans le raisonnement : si un État refuse de se lier par un traité parce qu’il en rejette les termes (c’est le cas des États-Unis au regard du Protocole de Kyoto), comment un tribunal pourrait-il contraindre le même État à contribuer financièrement à l’abondement d’un fonds créé par un traité qu’il n’a pas ratifié, et ce, en s’appuyant sur le droit coutumier du PRCMD[23] ? Au contraire, si nous acceptons cette conséquence, nous admettons alors que l’impôt mondial obligatoire devient une norme universelle à la charge des pays riches, que ceux-ci aient adhéré ou non à une convention particulière en matière environnementale. Est-il besoin de souligner ici qu’une telle solution apparaît nettement comme une idée révolutionnaire qui viendrait bouleverser l’ordre international, lequel reste encore et toujours fondé sur le libre consentement des États ?

1.6 Un principe inapplicable dans certaines circonstances

Le PRCMD n’ayant pas de contenu prédéterminé, il peut signifier plusieurs choses à la fois ; au minimum, tout ce que pourraient réclamer les PED serait le droit à un traitement différencié, même si, à la limite de l’absurde, ce dernier ne pourrait pas être justifié en raison des particularités de la situation. On peut penser ici à une convention internationale qui interdirait aux individus d’utiliser leur voiture personnelle durant certains jours de la semaine si leur véhicule est alimenté avec des produits pétroliers. La jurisprudence internationale nous fournit un bon exemple du genre de limites que ne saurait franchir le PRCMD. Dans une affaire[24] portée devant le Tribunal du droit de la mer et jugée en 2011, celui-ci devait déterminer si les entreprises patronnées par des PED peuvent bénéficier d’un traitement préférentiel par rapport à celui qui est accordé aux entreprises patronnées par des PD quand il s’agit d’activités menées dans la zone internationale des fonds marins[25]. La question porte plus généralement sur la nature des obligations souscrites par les États aux termes de la Partie XI de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer[26], signée en 1982, dont l’obligation de diligence, l’application de l’approche de précaution et le recours aux études d’impact. Le Tribunal conclut rapidement qu’aucune disposition de la Convention ne prévoit accorder un traitement préférentiel aux PED sur le chapitre de leurs responsabilités et obligations, que la responsabilité est la même, qu’il s’agisse d’États développés ou en développement, et que l’égalité de traitement est nécessaire afin d’éviter que des entreprises de PD se placent sous le parrainage de PED pour profiter de normes moins sévères dans l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins. Selon le Tribunal, un traitement préférentiel provoquerait dans ce cas l’apparition d’États de complaisance, et cela aurait pour effet de compromettre « l’application uniforme des normes élevées de protection du milieu marin, la sécurité du développement des activités menées dans la Zone et la protection du patrimoine commun de l’humanité[27] ».

On constate ainsi que le traitement différentiel, même s’il était de droit coutumier, ne pourrait pas modifier des obligations conventionnelles clairement formulées. C’est avec raison, nous semble-t-il, que Patricia Birnie, Alan Boyle et Catherine Redgwell[28] écrivent que le PRCMD, quand il veut se parer du manteau de l’exemption de règles de fond, ne peut pas être appliqué à toutes les situations qui engendrent des risques environnementaux comme les activités dangereuses, la sécurité nucléaire ou la pollution des mers causée par les navires.

1.7 Conclusion

Élevé au rang du droit coutumier, le PRCMD devient la voie royale pour le transfert obligatoire de l’aide financière en direction des PED. À notre avis, il s’agit là d’une idée plutôt révolutionnaire qui, dans la structure actuelle de la société internationale, relève du royaume merveilleux de l’utopie : il est difficile de voir en effet comment une telle obligation pourrait être exécutée. Quand elle est confrontée à l’impact éventuel d’une convention, la question du statut coutumier du PRCMD perd beaucoup d’intérêt, une convention pouvant toujours écarter toute application de ce dernier, quel qu’en soit son contenu.

2 Le PRCMD vu par la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations

2.1 Une vue générale

Une revue exhaustive de la littérature[29] sur le caractère normatif du PRCMD nous permet de diviser les auteurs et les auteures en trois groupes : il y a ceux et celles qui considèrent le PRCMD comme un principe de droit coutumier ; ceux et celles qui estiment que le PRCMD ne fait pas partie du droit coutumier ; et ceux et celles qui ne se prononcent pas ou qui ne soulèvent pas la question du caractère normatif du PRCMD, tout en soulignant l’importance de ce dernier dans le droit international de l’environnement et en proposant leur propre qualification qui dépasse rarement les cadres de la soft law. Les constatations qui se dégagent de ce tableau général sont extrêmement intéressantes. La doctrine nous présente en effet la totalité des points de vue et l’on peut dire qu’il y a de tout pour tous, et plus encore… À une extrémité du spectre des opinions, on nie toute valeur au PRCMD, même comme principe de la soft law[30]. À l’autre extrémité, des auteurs prétendent que le PRCMD est un principe coutumier émergent du droit international de l’environnement.

Seul un petit nombre d’auteurs[31] affirment que le PRCMD est un principe coutumier du droit international de l’environnement. Ils se fondent généralement sur le fait qu’il est enchâssé dans plusieurs traités multilatéraux. Or, en bonne doctrine, il ne suffit pas d’additionner des traités multilatéraux pour conclure à la naissance d’une coutume : encore faut-il être en présence d’une opinio juris, critère qui fait cruellement défaut quand nous analysons minutieusement le PRCMD. On ne doit donc pas s’étonner quand on constate qu’une majorité des internationalistes qui se sont prononcés directement sur la question nient le caractère coutumier du principe. Bien qu’ils observent généralement le fait d’une pratique importante, ces auteurs estiment cependant que l’absence de toute opinio juris chez les États les plus intéressés constitue l’obstacle majeur pour que l’on puisse lui attribuer le rang d’une norme coutumière. Tuula Honkonen[32] mentionne avec justesse que les pays développés acceptent plutôt le PRCMD comme une base valable pour bâtir des traités internationaux efficaces quand il s’agit de problèmes environnementaux mondiaux, tandis que les PED le voient surtout comme un principe de droit coutumier[33]. Certains soulignent par ailleurs le flou entourant la nature fondamentale du PRCMD tandis que d’autres mettent en doute son caractère normatif.

Nous allons choisir quelques exemples pour démontrer que les négationnistes terminent rarement leurs analyses en affirmant sèchement que le PRCMD n’est pas du droit coutumier. Au contraire, ils croient utile de qualifier leurs propos soit en laissant voir des jours meilleurs pour le PRCMD, soit en lui conférant déjà un embryon de titre légal.

Par exemple, Philippe Cullet, après avoir conclu qu’il n’y a pas de consensus clair autour du PRCMD et que ce principe « is clearly not yet part of customary law[34] », entrevoit cependant la possibilité que le PRCMD puisse un jour devenir un principe général du droit international de l’environnement, en fonction de l’évolution du traitement différentiel dans d’autres secteurs du droit. Il estime qu’un principe général obligatoire dans ce domaine est encore à venir[35].

Yoshiro Matsui[36], pour sa part, pense que, bien qu’il soit difficile à l’heure actuelle de reconnaître le PRCMD comme un principe de droit coutumier, il serait tout aussi ardu de lui nier toute valeur légale. Il cite à cet effet la décision de l’OMC rendue en 2001 dans l’affaire des crevettes et des tortues de mer[37] où l’Organe de règlement des différends de l’OMC a demandé aux deux pays de coopérer pour conclure un arrangement qui pourrait assurer la protection des tortues de mer à la satisfaction des deux parties et en tenant compte du PRCMD.

Lavanya Rajamani[38] apporte elle aussi une nuance importante : elle juge en effet que le PRCMD serait plus fort que la simple soft law mais pas assez pour faire partie de la coutume ; elle le situe donc à mi-chemin entre les deux catégories. Patricia Birnie, Alan Boyle et Catherine Redgwell[39] vont dans le même sens en écrivant que le PRCMD est « loin d’être un simple principe de la soft law, mais il peut être considéré comme un principe-cadre[40] », comme si la notion de principe-cadre portait en elle-même une vertu juridique évidente. Ils refusent toutefois de lui accorder le statut de droit coutumier[41]. Ces auteurs constatent que les trois grandes conventions sur l’ozone, les changements climatiques et la biodiversité, ainsi que les protocoles qui s’y rattachent, démontrent une acceptation quasi universelle du PRCMD, même si des différences existent quant à ses implications. Ils estiment que le PRCMD n’est pas de droit coutumier, mais qu’il n’est pas moins juridiquement significatif, en ce sens qu’il fournit une base équitable pour la coopération internationale entre PD et PED et sur laquelle ceux-ci peuvent s’appuyer durant les négociations conduisant à l’élaboration d’un nouveau droit pour répondre aux préoccupations environnementales mondiales.

En 2009, la juriste finlandaise Tuula Honkonen[42] a consacré 57 pages à la question du PRCMD, pour conclure finalement qu’il est difficile de dire d’une manière définitive si ce dernier est un principe moral, politique ou juridique : cette auteure estime qu’il est probablement tout cela à la fois, que ce principe moral et politique a une certaine pertinence légale, bien qu’il n’ait pas encore atteint le statut définitif d’un principe légal[43]. Elle nous dit, par ailleurs[44], que le statut légal du PRCMD n’est pas clair, bien qu’il ait connu des applications dans des accords internationaux et qu’il existe des signes de sa reconnaissance comme principe de droit coutumier, notamment en matière de transfert de ressources Nord/Sud[45], mais qu’il serait prématuré de le classer comme un principe de droit coutumier[46].

Finalement, plusieurs auteurs ne se prononcent pas sur le PRCMD, bien qu’ils s’entendent largement sur le fait que ce dernier revêt une importance croissante en droit international de l’environnement. Les uns parlent volontiers de soft law[47], de principe naissant, de norme émergente du droit ou de standard normatif international ; les autres font un pas de plus en qualifiant le PRCMD de principe général ou fondamental du droit international de l’environnement[48], de principe général largement reconnu ou de norme morale internationale. Les auteurs qui rangent le PRCMD dans la soft law excluent implicitement qu’il soit de droit coutumier ; ceux qui parlent de principe général ou fondamental du droit international de l’environnement ne rejettent en rien son caractère coutumier.

2.2 Les soft law, hard law et soft law plus : dans la marmite de la normativité relative

L’analyse de la doctrine juridique[49] révèle en général une grande confusion. Une fois qu’ils ont constaté que le PRCMD n’est pas du droit coutumier, les juristes se sentent obligés de dire, comme pour s’excuser d’avoir à remarquer que le PRCMD n’est pas un principe de droit, que les choses sont cependant plus complexes en réalité et que, bien que le principe n’ait pas la force d’un principe juridique, il a été consacré dans des instruments juridiques et n’est pas dépourvu de toute valeur juridique en dehors de ces traités et du droit coutumier, même si cette valeur est très faible. Si nous comprenons bien, le PRCMD ne serait déjà plus du non-droit, mais il ne serait pas encore du vrai droit. On se trouve alors dans la fâcheuse position choisie par Lavanyia Rajamani : « Même si le PRCMD n’a pas atteint le statut de droit coutumier[…] il peut encore posséder une sorte de normativité impliquant un certain poids. Au regard de la doctrine orthodoxe, le PRCMD aurait plus d’autorité que la soft law, mais ne serait pas encore de la coutume[50]. »

Aux yeux de cette auteure très respectée, le PRCMD serait donc plus fort que la simple soft law mais pas assez pour faire partie de la coutume. Elle n’est pas la seule dans cette catégorie. Patricia Birnie, Alan Boyle et Catherine Redgwell écrivent en effet que, si les principes de Rio « peuvent bien ne pas avoir le fil censément plus tranchant d’une règle ou d’une obligation, ils ne devraient pas être confondus pour autant avec le droit non-contraignant ou émergent[51] ». Kristin Bartenstein, pour sa part, précise que, « [s]’il faut réfuter la thèse de la nature coutumière du principe des responsabilités communes mais différenciées, il faut en revanche admettre qu’il n’est pas pour autant privé de tout effet normatif, celui-ci étant cependant indirect[52] ». Laurence Boisson De Charzournes pourra ainsi affirmer que le PRCMD est un « principe qui relève de l’équité avec une coloration juridique particulière[53] ». Apparemment, les choses semblent donc plus claires dans ces nuances de couleur que les peintres impressionnistes eux-mêmes n’auraient pas reniées. Toutefois, le malaise est certain, du moins pour un juriste formé dans les écoles du positivisme volontariste.

Il est possible, comme certains le plaident, que l’on doive dépasser la division hard law/soft law pour saisir toute la richesse des normes environnementales. Comme le fait remarquer si justement Sandrine Maljean-Dubois[54], la summa divisio entre la hard law et la soft law, entre la norme strictement obligatoire et celle qui ne l’est pas, ne résiste pas à un examen approfondi. José Antonio Pastor Ridruejo souligne à cet égard que, entre « les effets juridiques obligatoires d’une norme et l’absence absolue d’effets de cette norme, il existe une zone intermède, riche en nuances, que le juriste ne peut pas sous-estimer[55] ». Il semble en effet que nous assistions à une sorte de brouillage conceptuel des frontières entre la hard law et la soft law, au grand désarroi de Prosper Weil, et que l’on doive accepter de traiter ensemble droit positif et pré-droit, lex lata et lex ferenda. Il est possible, ainsi que le mentionne Maurice Kamto[56], après avoir constaté que la majorité des spécialistes du droit international de l’environnement ne distinguent plus entre droit conventionnel et soft law, que la frontière entre le droit et le non-droit ne soit pas absolument pas étanche en droit international de l’environnement et n’ait pas d’effet radical sur le plan légal[57]. On peut ainsi dire avec Vaughan Lowe[58] que la distinction entre la hard law et la soft law, si elle s’avère importante du point de vue des conséquences des violations de la norme, ne l’est pas pour ce qui est des attentes[59] en fait de respect futur par les acteurs visés (expectation of compliance), la règle morale pouvant susciter des attentes aussi fortes, sinon plus, que la règle de droit. Alain Pellet n’affirme pas autre chose quand il écrit que, si le droit peut être un commandement obligatoire, « il peut aussi être incitatif, recommandé, exhortatoire[60] ».

Il suffit de nous rappeler en effet que la Déclaration de Rio, instrument sans force obligatoire parce qu’il relève de la soft law, est généralement considérée comme l’un des grands textes fondateurs du droit international de l’environnement. Le paradoxe est étonnant et force les juristes à raffiner leurs analyses… en plongeant dans des gymnastiques originales dont on perd facilement le sens et l’à-propos.

On retrouve ici un vieux débat, celui de la grande querelle de la normativité relative, qui a jadis opposé Prosper Weil et Alain Pellet. Au premier[61], positiviste volontariste qui cherche à marquer la frontière nette entre le pré-juridique et le juridique, entre sources matérielles et sources formelles du droit, le second[62], qui se réclame de l’École de l’objectivisme[63], réplique qu’il n’existe pas de frontière absolue entre le fait et le droit, qu’entre « la lumière du droit et l’obscurité du non-droit s’étend une zone de pénombre », un « dégradé normatif[64] », parce que la norme ne peut être détachée du processus dont elle est issue. Finie donc la distinction classique entre sources matérielles et sources formelles du droit, le juriste devient sociologue ou physicien pour mesurer la densité d’une norme par rapport à la densité de l’air ambiant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’analyse se révèle périlleuse parce qu’elle demeure fondamentalement approximative et déroge aux canons traditionnels de la pensée classique sur les sources du droit.

Si l’on suit ce dernier raisonnement, il y aurait donc un terrain de transition entre le non-droit et le droit, un entre-deux[65], une zone où la réalité des faits commence à inonder la plaine juridique pour constituer l’espace du « para-droit »[66], c’est-à-dire du « pas tout à fait droit », comme dans le paramédical, le parapublic ou le paramilitaire. Les positivistes volontaristes auront peut-être du mal à s’y retrouver, mais il existe des phénomènes où le volontarisme, on doit bien l’admettre, est incapable d’expliquer toute la complexité de la réalité. Il suffit de penser ici aux impacts juridiques énormes que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948[67], la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux peuples coloniaux de 1960[68] et la Déclaration des principes juridiques régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique de 1963[69] ont eus sur le développement du droit coutumier, pour ne nommer que ces trois résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU, pour réaliser les limites de la pensée volontariste.

Il y aurait donc des paliers de la normativité[70], allant du pré-droit, qui n’a pas de valeur obligatoire, au quasi-droit ou « para-droit », qui aurait une certaine valeur juridique ; dans l’échelle de la normativité, on peut ensuite passer au droit ordinaire, puis aux obligations erga omnes et au « super droit » du jus cogens, droit dont la CIJ ne connaît même pas l’étiquette

Philippe Sands[71] a parlé, au sujet des rapports entre normes conventionnelles et normes coutumières, de phénomènes de pollinisation et de fertilisation mutuelle. Aux notions de la biologie, on peut préférer les connaissances de la géologie pour éclairer notre réflexion. Comme le fait remarquer Peter H. Sand[72], certaines normes de la soft law arrivent à se durcir avec le temps, comme le plâtre sans doute. On pourrait également penser à l’univers de la pédologie en ayant à l’esprit le phénomène de la percolation que les amateurs de café connaissent bien : tout comme le mouvement de l’eau qui traverse lentement mais sûrement un terrain perméable, le PRCMD pénètre en douceur toutes les couches de la pensée juridique pour infiltrer d’abord l’esprit des conférences internationales sur l’environnement, en raison de la puissance morale et politique qu’il porte lors des négociations, et ensuite l’esprit des juges par l’entremise de leur pouvoir d’interprétation des traités, comme en fait foi l’Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros[73] où la CIJ a osé noter l’existence du concept du développement durable. On peut mentionner aussi l’arbitrage entre la Belgique et les Pays-Bas dans l’affaire Rhin de fer[74] où le tribunal s’appuie sur le principe 4 de la Déclaration de Rio (principe d’intégration) pour étayer sa décision.

Dans leur immense majorité[75] et pour de multiples raisons, les juristes ne cautionnent pas l’opinion selon laquelle le PRCMD serait devenu un principe de droit coutumier soit parce qu’ils estiment que l’opinio juris, si essentielle à la formation de la coutume, n’accompagne pas la pratique conventionnelle, soit parce qu’ils le considèrent plutôt comme un principe émergent qui appartient au monde de la soft law. Nous verrons à présent que les critiques formulées à l’encontre du PRCMD maintiennent ce dernier dans un état permanent de controverses qui remonte même à sa formulation, soit en 1992.

3 Les controverses relatives au PRCMD

Les controverses relatives au PRCMD sont nombreuses. États développés et États en développement ne s’entendent pas sur son fondement éthique (3.1). Dans la pratique conventionnelle, le PRCMD revêt de multiples formes, et il apparaît difficile d’affirmer ce qu’il implique concrètement (3.2). Le dossier climatique nous démontre par ailleurs que, aux fins de l’application du PRCMD, la division État développés / États en développement est dépassée et ne sert pas les intérêts fondamentaux de la communauté internationale (3.3).

3.1 La controverse sur ses fondements

La Déclaration de Rio, adoptée en 1992 par voie de consensus, est un texte de compromis où personne n’obtient satisfaction totalement. Le PRCMD est également le résultat d’un compromis où PED et PD sont capables de trouver des arguments pour fonder leurs opinions différentes concernant tant les fondements théoriques que les implications pratiques du PRCMD. L’ambiguïté du texte reste donc totale, car si les PED peuvent y déceler un début de reconnaissance historique par les PD de leur dette écologique, ce qui place inéluctablement le débat sur les conséquences légales de cette responsabilité historique, les PD peuvent soutenir que ce sont uniquement et à la fois les besoins des PED et les capacités financières des pays riches qui justifient le PRCMD et qu’il ne saurait être question de responsabilité légale pour des activités, certes dommageables, mais qui n’étaient pas illégales par le passé.

Si le PRCMD a pu s’implanter dans la réalité, c’est principalement à cause de l’idée que la dégradation de l’environnement mondial incombe au premier chef aux pays industrialisés en raison de leurs modes de production et de consommation insoutenables, et ce, depuis au moins les deux derniers siècles. Dans ce contexte, les PED estiment que « la responsabilité de limiter, réduire et éliminer les dommages subis par l’environnement mondial incombe tout d’abord aux pays qui en sont la cause[76] », en proportion des dommages qu’ils ont causés. Une extension de cette forme de responsabilité est de la lier à la responsabilité historique du Nord pour la dégradation de l’environnement en général.

Le débat entourant la formulation du principe 7 de la Déclaration de Rio est intéressant à cet égard parce qu’il illustre les profondes divergences de vues entre les États-Unis, d’une part, et les PED, d’autre part, sur le fondement du PRCMD. Une première version du PRCMD, soumise par le Groupe des 77 le 19 mars 1992, fondait le principe sur la responsabilité historique (légale ?) du Nord dans la dégradation de l’environnement :

La principale cause de la détérioration continue de l’environnement mondial est un schéma non viable de production et de consommation, en particulier dans les pays développés. Compte tenu de leur principale responsabilité historique et actuelle dans la dégradation de l’environnement mondial et de leur capacité à répondre à cette préoccupation commune, les pays développés devront fournir des ressources nouvelles et additionnelles suffisantes et des technologies écologiquement sûres à des conditions préférentielles et favorables aux pays en développement pour leur permettre de réaliser le développement durable[77].

Il apparaît en effet que les PED ont tenté d’obtenir par là le droit à des compensations financières pour les dommages causés à l’environnement par les pays industrialisés[78]. Selon Anita Halvorssen[79], il semble y avoir un large consensus selon lequel la plupart des problèmes environnementaux actuels ont été causés par les pays industrialisés et qu’il serait par conséquent inéquitable de partager également les coûts entre PD et PED. De là à imputer aux PD une responsabilité légale pour le passé, il n’y a qu’un pas qui est vite franchi dans l’esprit de plusieurs. Philippe Cullet[80] développe sur ce dernier point une argumentation intéressante en deux volets : il souligne en premier lieu que, au nom de la justice correctrice ou réparatrice, les auteurs de la pollution doivent payer au titre de la compensation pour les dommages causés à l’environnement ; il note en second lieu que le principe de la solidarité est largement reconnu à l’heure actuelle sur le plan international et que celui-ci implique des obligations extralégales à la charge des PD en vue d’aider les PED[81]. Cet auteur estime de fait que, dans le dossier climatique, il serait impensable sur le plan moral, économique et légal de demander aux PED de payer les surcoûts liés à l’acquisition de nouvelles technologies pour éviter les énergies fossiles qui furent et qui sont toujours si importantes pour le développement des économies du Nord[82].

La version définitive du principe 7[83] ne fait aucunement allusion à la responsabilité historique des PD dans la dégradation de l’environnement, mais les États-Unis[84] ont jugé néanmoins utile de formuler une déclaration interprétative au regard du principe 7, tel qu’il a été finalement adopté, afin de parer à toute interprétation éventuelle qui voudrait revenir à la version originale du projet. Les États-Unis affirment dans cette note qu’ils n’acceptent aucune lecture du principe 7 qui impliquerait une reconnaissance de leur part d’une quelconque forme d’obligation légale, ce qui comprend naturellement toute forme de responsabilité légale pour les dommages causés à l’environnement par le passé. On peut probablement estimer que la position des États-Unis est partagée par l’ensemble des PD[85]. Ceux-ci avaient pourtant admis, dans le préambule de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, que « la majeure partie des gaz à effet de serre émis dans le monde par le passé et à l’heure actuelle ont leur origine dans les pays développés », mais le préambule en question admet en même temps que « la part des émissions totales imputable aux pays en développement ira en augmentant pour leur permettre de satisfaire leurs besoins sociaux et leurs besoins de développement[86] ». Si nous nous penchons cette fois sur l’article 3 de cette convention qui déclare qu’il « incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives[87] », Daniel Bodansky[88] nous rappelle que, par divers amendements apportés au texte de cet article 3 lors de sa rédaction, les États-Unis ont fait ce qu’il fallait pour s’assurer que le PRCMD s’applique uniquement dans le contexte de cette convention et ne constitue pas une norme du droit international coutumier.

La différenciation des responsabilités, si elle repose sur la part qu’ont prise les pays industrialisés dans l’apparition des problèmes environnementaux, se fonde aussi sur la disparité des niveaux de développement entre le Nord et le Sud. Il y a en effet une autre manière de voir les choses. Yoshiro Matsui[89] écrit que c’est la réalité des faits qui a imposé aux pays du Nord l’obligation d’offrir une contrepartie aux pays du Sud pour que ceux-ci participent aux accords internationaux proposés par les pays du Nord pour résoudre des problèmes qui faisaient partie des priorités de ces derniers[90]. Dans le contexte de la Déclaration de Rio, Patricia Birnie, Alan Boyle et Catherine Redgwell affirment que « l’acceptation du PRCMD était l’une des conditions pour garantir la participation la plus large possible des PED » aux conventions qui allaient être signées et que c’est « cette considération qui fournit la principale justification pour le traitement différencié[91] ». Philippe Cullet[92] estime lui aussi que, si le PRCMD peut trouver sa justification dans la notion d’équité, son implantation dans les relations internationales est due également à des questions pratiques.

Dans la mesure où la principale raison qui fonde le PRCMD est de favoriser une participation universelle au régime d’un traité[93], force nous est de constater que cette pratique subit en bonne partie l’influence des considérations d’opportunité politique et qu’elle n’est pas dictée par des motifs juridiques de droit. Sophie Lavallée précise à ce sujet que, à côté de sa valeur intrinsèque ou morale, le PRCMD est « “le prix” que les pays développés doivent payer pour la participation des pays en développement au vaste dessein que constitue l’intégration des considérations environnementales au développement économique[94] ». On sait ce qui s’est passé effectivement lors des négociations du Protocole sur l’ozone[95] : deux pays, soit, la Chine et l’Inde ont annoncé qu’ils ne participeraient pas au nouveau régime international si des aménagements financiers n’étaient pas prévus pour faciliter aux PED la transition vers des technologies plus vertes[96]. De fait, bien que tout le monde s’accorde pour affirmer que la protection de l’environnement est de l’intérêt commun de l’humanité, les priorités gouvernementales ne sont pas les mêmes au Nord et au Sud.

Cependant, ces notions de besoins techniques et financiers, d’une part, et de capacités techniques et financières d’autre part, peuvent nous conduire à des conclusions inattendues. En temps normal, sauf peut-être pour des obligations de nature familiale consacrées par les codes civils, il n’est pas fréquent que le besoin financier chez l’un fasse naître une obligation financière chez l’autre. Christopher D. Stone[97] note avec justesse que le besoin, en soi, crée rarement l’obligation morale à la base d’un transfert financier. Sur un plan purement économique, on peut, il est vrai, se demander depuis quand le besoin financier chez les uns entraîne une obligation juridique de combler ce besoin chez les autres. Il semble toutefois que ce besoin soit accepté comme fondement légitime du PRCMD parce que la restauration de l’environnement mondial intéresse tous les États. Pour sa part, Anita Halvorssen[98] écrit que la satisfaction des besoins financiers des PED a été reconnue comme un principe normatif découlant des idées d’équité et de justice distributive. Si tous les États doivent coopérer pour éliminer la pauvreté (principe 5 de la Déclaration de Rio) et si le droit au développement, proclamé par le principe 3 de la Déclaration de Rio, peut avoir une signification réelle, alors on peut en effet estimer que les transferts financiers Nord/Sud devraient relever davantage de l’obligation juridique que de l’obligation purement morale.

Les PED ont fait de la lutte contre la pauvreté l’objectif suprême de leur action, et celui-ci est considéré comme légitime par tous les États de la planète. Personne ne conteste, évidemment, la légitimité d’un tel objectif, mais il y aurait beaucoup à dire sur ce postulat de la lutte contre la pauvreté à l’échelle mondiale. Comme le souligne avec justesse Maurice Kamto[99], l’éradication de la pauvreté ne pourra jamais être une stratégie efficace pour le développement. Si nous voulons rester sur Terre et désirons examiner les réalités quotidiennes de la vie politique, nous savons tous que, entre ce postulat de la lutte urgente contre l’extrême pauvreté et la pratique politique, il peut y avoir, dans plusieurs pays, toute la distance qui sépare la Terre du Soleil, ce qui ne manque pas de susciter des interrogations légitimes non pas sur le sens mais sur l’efficacité de ces transferts financiers Nord/Sud et sur les conditions qui devraient présider à leur distribution partout dans le monde. L’existence des rois et des dictateurs prédateurs est bien connue, de même que le cancer de la corruption généralisée qui neutralise tous les efforts vers une meilleure répartition de la richesse collective au sein de plusieurs États.

Depuis le début, il y a donc un malentendu fondamental entre le Nord et le Sud sur le fondement du PRCMD, malentendu qui a des répercussions importantes et qui explique l’échec de la Conférence de Copenhague qui devait conclure un « Kyoto II ». Il nous semble en effet que l’échec des négociations sur le climat, en 2009, offre des pistes de réflexion intéressantes sur ce point : dans sa version radicale, c’est-à-dire aucune obligation de réduction des gaz à effet de serre pour tous les PED, on peut soutenir que la conception même du PRCMD dans le contexte du Protocole de Kyoto[100] était une grave erreur ; c’était du moins le point des vue des États-Unis en 1997, et l’on sait maintenant que ces derniers ne sont plus les seuls à penser ainsi[101]. Il apparaît donc très difficile dans ce cas de conclure que la pratique du PRCMD traduit d’une manière claire une reconnaissance générale du fait qu’une règle de droit ou une obligation juridique est en jeu.

3.2 La controverse sur son indétermination

Un inventaire rapide des conventions multilatérales démontre qu’il existe plus d’une quinzaine de conventions et protocoles qui consacrent, dans une forme ou une autre, le PRCMD :

  1. la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets (1972)[102] ;

  2. la Convention de Barcelone pour la protection de la Méditerranée (1976)[103] ;

  3. la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego Bay, 1982)[104] ;

  4. la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur elimination (1989)[105] ;

  5. la Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone (1985)[106] ;

  6. le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone (1987)[107] ;

  7. le Protocole à la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, de 1979, relatif à la lutte contre les émissions des composés organiques volatils ou leurs flux transfrontières (1991) (Note : Europe-Amérique)[108] ;

  8. la Convention sur les changements climatiques (1992)[109] ;

  9. la Convention sur la diversité biologique (1992)[110] ;

  10. la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (1994)[111] ;

  11. le Protocole de Kyoto (1997)[112] ;

  12. la Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable dans le cas de certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l’objet d’un commerce international (1998)[113] ;

  13. le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques (2000)[114] ;

  14. la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (2001)[115] ;

  15. l’Accord aux fins de l’Application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs (1995)[116] ;

  16. le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (2001)[117] ;

  17. le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique (2010)[118].

Une lecture de ces traités nous enseigne que le PRCMD est un principe à géométrie variable, qui peut s’adapter à toutes sortes de situations, en fonction de besoins particuliers[119]. Dans l’ensemble, le PRCMD signifie plusieurs choses à la fois : aide financière, aide technique, transferts technologiques, délais de grâce dans l’application de certaines normes, exemption générale de toute obligation centrale, obligations identiques pour tous les États Parties mais affectées d’un coefficient d’opportunité ou de possibilité de réalisation. Selon la typologie de Daniel Magraw[120], il existe trois grandes modalités dans la conception des normes internationales. Alors que la norme absolue et universelle est identique pour tous les pays, sans tenir compte des particularités propres à chaque pays ou à un ensemble de pays, la norme contextualisée, identique pour tout le monde également, autorise des aménagements particuliers pour tenir compte justement des contextes différents : chaque pays peut ainsi adapter l’application de ladite norme en fonction de ses capacités. Quant à la norme purement différentielle, elle établit expressément et formellement des obligations différentes selon les catégories de pays, et c’est uniquement en vertu du Protocole de Kyoto que le PRCMD a reçu une expression aussi radicale.

Comme nous venons de le voir, le PRCMD peut revêtir plusieurs costumes. On constate que la différenciation formelle des normes selon la division États développés/États en développement, que la Convention sur les changements climatiques et le Protocole de Kyoto établissent, demeure une exception dans la pratique conventionnelle[121]. La technique des normes contextuelles, que la Convention sur la diversité biologique utilise abondamment, a été imitée par la suite dans plusieurs accords. Malheureusement, ces normes produisent un droit aussi mou que la soft law. Au nom de la participation universelle au régime des conventions, on assiste à un affaiblissement considérable des normes juridiques qui peuvent faire douter de l’efficacité générale du système mis en place. Malgré la Convention sur les changements climatiques et le Protocole de Kyoto, il y a eu une augmentation de 46 p. 100 des gaz à effet de serre depuis 1990, et la Convention sur la diversité biologique de 1992 n’a pas su arrêter la disparition continue de la biodiversité.

Nous devons souligner aussi que l’assistance financière et technique est définitivement une constante incontournable du PRCMD. Grâce à ce dernier, les PED veulent s’assurer d’un accès à des techniques écologiquement rationnelles, à des conditions préférentielles ainsi qu’à de l’aide pour la création de capacités techniques endogènes. On retrouve ici une demande des PED déjà formulée dans la Déclaration de Stockholm de 1972, laquelle prend acte du fait que les « dépenses que peut entraîner l’intégration de mesures de préservation de l’environnement dans la planification de leur développement […] [exigent] une assistance internationale supplémentaire, aussi bien technique que financière[122] ».

Cette obligation financière à la charge des pays développés se trouve renforcée, tout comme dans la Convention sur les changements climatiques et la Convention sur les POP, par une disposition qui précise que les PED ne pourront s’acquitter effectivement des obligations qui leur reviennent en vertu de la Convention que « dans la mesure où les pays développés s’acquitteront effectivement des obligations qui leur incombent en vertu de la Convention s’agissant des ressources financières et du transfert de technologie[123] ».

Dans ce contexte, on peut sans doute dire que le PRCMD est le pipeline par lequel transitent des ressources financières nouvelles et additionnelles des pays riches en direction des pays plus pauvres. Cependant, malgré le libellé de ces dispositions sur l’aide financière, on aurait probablement tort de penser que celle-ci pourrait faire l’objet d’une procédure contentieuse quelconque pour défaut de paiement. Veerle Heyvaert[124], qui a étudié la mécanique du financement dans la Convention sur les POP, constate que la culture du financement est encore celle de l’aide volontaire de la part des pays donateurs, aide fondée sur un esprit dit de bonne volonté : selon lui, l’esprit du volontarisme résonne aussi dans la terminologie entourant le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) : même si la Convention sur les POP s’exprime en termes impératifs sur la question du financement, le langage des directives sur les POP et dans les documents du FEM est encore celui de « pays donateurs », « d’aide » et « de soutien ». D’après Veerle Heyvaert, ces termes sont difficilement conciliables avec les dispositions obligatoires de la Convention sur les POP et relèguent les obligations financières dans la zone inconfortable de l’ambiguïté normative[125], quelque part entre la soflt law et la hard law.

Au vu de la variété des formes que peut prendre le PRCMD dans la pratique conventionnelle, plusieurs auteurs[126] estiment que celui-ci ne possède pas de caractère normatif et est ainsi disqualifié pour aspirer à accéder un jour à l’agrégation, c’est-à-dire au rang du droit coutumier. On le trouve trop vague, trop général, trop indéterminé dans son contenu. On dit la même chose du développement durable[127]. Lavanya Rajamani[128], par exemple, fait écho à ces propos en soulignant que la critique la plus dévastatrice que l’on puisse formuler contre le PRCMD est celle qui consiste à affirmer qu’il n’a pas de caractère normatif : mais que faut-il penser au juste de cette opinion ? Si nous pensons à des principes généraux bien établis en droit, comme ceux de la bonne foi, de l’ordre public et des bonnes moeurs, de l’égalité, de la primauté du droit, de l’indépendance judiciaire, de la justice naturelle, etc., on ne peut certainement pas dire qu’ils illuminent le ciel de nos pensées en raison de leur précision. En général, ils traduisent des valeurs morales ou éthiques ou politiques qui reflètent un vaste consensus au sein de la société considérée. On ne peut pas prétendre qu’ils créent directement des droits et des obligations afin de régler le comportement des uns et des autres dans une situation particulière, mais ce sont néanmoins des principes juridiques dont personne ne conteste le caractère. On convient généralement que ces principes nécessitent l’adoption de règles particulières, de lois et de règlements, pour leur donner vie dans la réalité en dictant des comportements particuliers en fait de droits et d’obligations. Personne ne pourrait prétendre que ces principes ne peuvent accéder au rang de principes juridiques parce qu’ils sont trop vagues ou indéterminés. Selon nous, il en est ainsi, naturellement, pour le PRCMD.

3.3 La controverse sur ses bénéficiaires

La conclusion du Protocole de Kyoto, en 1997, a révélé incontestablement une faille importante dans la mise en oeuvre du PRCMD : son application sans distinction à tous les États en développement, étant entendu que cette catégorie d’États est composée selon le principe de l’auto-élection. Comme tout le monde le sait, c’est la manière dont le PRCMD a été appliqué dans le Protocole de Kyoto qui est à l’origine du refus des États-Unis de ratifier cet accord international. La résolution Byrd-Hagel[129] du 12 juin 1997 est claire sur le sujet, car elle pose comme condition préalable à la ratification américaine une participation significative des PED. Ken Conca[130] note que le refus américain d’adhérer au Protocole de Kyoto pour cette raison constitue un coup dur pour le PRCMD.

Toutes les projections établies actuellement pour mesurer les tendances des émissions de CO2 au cours des prochaines décennies laissent voir la part croissante que prennent les PED dans les futures émissions mondiales de CO2 et témoignent du fait que la continuation du PRCMD, entendu comme une exemption générale pour la catégorie des PED de toute obligation de réduction des gaz à effet de serre, serait une aberration totale. Le climat mondial ne fait aucune distinction, chère à la Chine, entre émissions de luxe en provenance des pays riches et émissions de survie en provenance des pays pauvres.

C’est l’avis de plusieurs que la différenciation des responsabilités, si elle repose en partie sur la « contribution » des États développés à l’apparition des problèmes environnementaux, ne peut éternellement exempter les PED, du moins certains d’entre eux, notamment les plus gros pollueurs, d’obligations minimales en matière environnementale. À notre avis, le traitement différentiel ne peut être équitable que s’il existe des critères mathématiques objectifs qui permettent d’établir la différenciation entre les pays, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui vu la pratique de l’auto-élection qui régit la liste des PED. Il devrait donc y avoir une mobilité entre la liste des pays qui ont droit au PRCMD et la liste de ceux qui n’y ont plus droit. La Chine, qui est la deuxième puissance économique du monde et qui deviendra la première dans quelques années, émet déjà près de 30 p. 100 des gaz à effet de serre (contre 16 p. 100 pour les États-Unis en 2012) ; elle est le plus clair exemple de la nécessité de cette mobilité. Les autres puissances économiques émergentes, comme l’Afrique du Sud, le Brésil et l’Inde, offrent les mêmes sujets de réflexion.

La portée symbolique de l’Accord de Copenhague[131] de décembre 2009, qui avait pour la première fois engagé les PED dans les efforts volontaires de réduction des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, n’aura échappé à personne. Depuis cette date, on assiste à un nouveau discours autour du PRCMD : pour l’Union européenne, le PRCMD doit être appliqué « “d’une manière fonctionnelle et dynamique” alors que les États-Unis ont parlé d’un concept dont “l’applicabilité est en évolution”[132] ». Réunis à Delhi les 13 et 14 février 2012, les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont tenu à souligner que le mandat de la Plateforme de Durban n’était ni de renégocier la Convention ni de la réécrire ni de remettre en cause le PRCMD que les États-Unis et l’Union européenne ont effectivement remis en question à la Conférence de Durban[133].

Pour les uns comme pour les autres, le PRCMD est donc loin d’être fixé un fois pour toutes dans le béton du droit coutumier. Lavanya Rajamani[134] parle à ce sujet d’érosion du PRCMD et estime qu’il est parfaitement clair que celui-ci est à son déclin. Il semble peut-être osé d’employer les termes « érosion  ou « déclin » dans la mesure où le Protocole de Kyoto, en exemptant les PED de toute obligation chiffrée de réduction des gaz à effet de serre, peut nous apparaître comme une véritable anomalie dans tout le champ du droit conventionnel relatif au PRCMD. Cependant, l’exercice diplomatique en cours dans le contexte de la Plateforme de Durban pourrait bien avoir un impact considérable sur le sort ultime du PRCMD[135], vu l’importance mondiale du dossier climatique et l’intense débat auquel a donné lieu le PRCMD depuis bon nombre d’années déjà.

4 Le PRCMD dans son contexte général : le DD, le NOEI et le TSD

À notre avis, c’est uniquement par la connaissance de l’environnement global dans lequel baigne le PRCMD que l’on peut arriver finalement à mettre en évidence les obstacles formidables qui se posent sur le chemin de la normativité de ce principe. Cet environnement est constitué par le DD, la revendication d’un NOIE et l’expérience du traitement spécial et différencié (TSD) depuis le dernier demi-siècle.

On doit souligner d’abord (4.1) que le PRCMD est l’un des principes fondateurs du DD dans sa dimension internationale et qu’il constitue autant une manifestation de l’équité intergénérationnelle et de l’équité intragénérationnelle qu’une expression concrète de la solidarité internationale. Du point de vue de l’équité intergénérationnelle, il exprime l’idée que l’État qui a le plus contribué à la formation d’un problème environnemental doit participer à sa solution dans la mesure de sa responsabilité : c’est une application directe du principe du pollueur-payeur. Du point de vue de l’équité intragénérationnelle, il manifeste la nécessité pour les pays plus riches d’assumer des obligations plus lourdes afin de permettre aux pays les plus pauvres de poursuivre leur développement sans les taxer davantage pour les besoins de l’environnement mondial.

Les notions d’équité, d’interdépendance, d’intérêt commun et de solidarité entre États étaient déjà au coeur du NOEI qui était revendiqué au cours des années 60 et 70, et l’on peut se demander si ces concepts, qui n’ont pas réussi à atteindre le NOEI, sauront construire utilement le concept du DD dans sa dimension internationale (4.2). Si le NOEI n’a jamais réussi à s’implanter dans la réalité, il en est resté néanmoins une institution caractéristique, soit celle du TSD en faveur des PED et qui a su trouver place dans le droit de l’OMC. Certains auteurs s’interrogent cependant à savoir si le temps des préférences commerciales n’est pas déjà expiré (4.3), ce qui laisse ainsi entrevoir un possible rétrécissement du champ d’action du TSD. Si la thèse de la dualité des normes, qui était au coeur du prétendu droit international du développement, semble bien morte, il est douteux que le PRCMD, du moins dans son interprétation radicale conduisant à une exemption généralisée des obligations centrales d’une convention mondiale, puisse tenir très longtemps encore au vu du cul-de-sac auquel il conduit l’humanité.

4.1 Le PRCMD et le DD : un avenir incertain

Il n’est sans doute pas inutile de souligner dès le point de départ que le PRCMD fait partie d’un ensemble de principes qui composent la grande architecture du DD, type de développement que tous les États de la planète, depuis au moins un quart de siècle, affirment vouloir poursuivre au nom des générations présentes et futures[136]. Dans sa dimension internationale, le DD comprend notamment, outre le PRCMD, l’équité intergénérationnelle et l’équité intragénérationnelle ainsi que l’utilisation équitable des ressources naturelles partagées. Or, à notre connaissance, le concept de DD ne s’est pas encore transformé en principe juridique, en raison probablement de son caractère non normatif et des controverses qu’il suscite sur sa signification et ses modalités d’application. Simple objectif du développement économique ou principe ayant un potentiel normatif ? Marie-Pierre Lanfranchi, après avoir constaté son « effet d’irradiation » dans toutes les sphères décisionnelles, estime qu’il n’existe « pas de réponse simple à cette interrogation qui reste, sinon controversée, du moins incertaine[137] ».

La plupart des juristes voudront sans doute faire preuve de la même prudence ambiguë que la CIJ lorsqu’elle dit que le DD se révèle aux internationalistes comme un simple concept opérationnel (par opposition à un principe juridique formel) susceptible de concilier le développement économique et la protection de l’environnement[138]. Dans une étude récente portant sur les enseignements de la doctrine au sujet du statut juridique du DD, Marie-Pierre Lanfranchi[139] constate que « [l]e spectre des analyses est très large, entre les tenants du développement durable simple “concept protéiforme” de nature politique […] et les partisans du développement durable comme principe de droit coutumier[140] ». Elle conclut cependant que, « dans sa très grande majorité, la doctrine rejette ainsi l’analyse suivant laquelle le développement durable aurait acquis un statut coutumier[141] ». En s’interrogeant cette fois sur la possibilité que le DD soit devenu un principe général de droit au sens de l’article 38 du statut de la CIJ, cette auteure affirme que la doctrine hésite à se prononcer sur la question, mais qu’elle reconnaît le potentiel normatif du concept qui produirait des effets juridiques[142]. Il est difficile pour les auteurs de ne pas y voir un potentiel normatif dans la mesure où la CIJ a déjà admis le concept en 1997. Le jugement de la CIJ aura un impact certain sur la décision rendue dans l’arbitrage entre la Belgique et les Pays-Bas dans l’affaire Rhin de fer[143], impact qui poussera le tribunal à aller plus loin dans la reconnaissance juridique d’un principe fondamental du DD, soit celui de l’intégration, en le considérant effectivement comme un principe émergent[144]. Le tribunal estime de fait que « les règles de droit international relatives à la protection de l’environnement font partie du droit applicable aux relations des Parties pour l’interprétation du régime conventionnel de la ligne du Rhin de fer[145] » et qu’il faut en conséquence concilier croissance économique et protection de l’environnement.

Pour l’heure, on pourrait sans doute retenir l’idée que le DD est un « principe de droit coutumier en gestation », hors du domaine de la pure lex lata, mais il serait sans doute inapproprié, au vu de ces deux arrêts, de le situer dans le royaume de la lex ferenda[146]. On peut donc dire avec Christina Voigt[147] que le DD a un poids juridique substantiel (substantive legal weight) et qu’il n’est plus vrai de prétendre que la question du statut du DD en droit est stérile[148].

Cependant, le DD prête à controverse, car il fait partie lui aussi d’un ensemble de principes, et il n’est pas tout à fait certain que la Déclaration de Rio ait réussi à équilibrer environnement et développement. En vertu du principe 2, « les États ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur politique d’environnement et de développement[149] », la seule limite étant de ne pas causer de dommages transfrontières. Que la Déclaration de Rio ait un parti pris évident pour le développement économique, cela semble indiscutable.

Le DD engendre aussi des incertitudes conceptuelles, et il convient d’en prendre acte. Selon Ken Conca[150], le concept de DD est tellement malléable qu’il offre suffisamment d’espace pour justifier la politique du Business as usual. C’est que, depuis assez longtemps déjà, on peut distinguer entre deux conceptions du DD, conceptions qui sont fondées sur « la valeur économique que l’on accorde au capital naturel et à la protection de l’environnement[151] ». La première conception, qui croit à la puissance des innovations technologiques, soutient une durabilité faible où la préservation de l’environnement n’apparaît pas comme une condition indispensable au DD. La seconde conception défend une durabilité forte où l’État est amené à limiter les impacts négatifs du développement sur l’environnement[152]. Or, il apparaît que ces divergences de vues entre durabilité faible ou forte ont des implications, non seulement sur la manière dont nous appréhendons le risque environnemental, mais aussi sur la façon dont nous évaluons les principales tendances en matière de stabilité environnementale.

Par ailleurs, les États en développement ne cessent de dire et de répéter que c’est le développement économique qui est la priorité essentielle ; cela a d’ailleurs été l’une de leurs grandes préoccupations, en 1992, soit de faire reconnaître leur droit souverain au développement économique dans le texte de la Déclaration de Rio. Certains auteurs ont souligné que la Déclaration de Johannesburg du 4 septembre 2002[153] de même que le Plan d’application du Sommet mondial pour le développement durable issu de la Conférence[154] constituent un net recul pour le DD, dans la mesure où c’est le développement économique qui apparaît comme l’objectif suprême des États et que l’environnement n’est utile que s’il conduit au développement économique[155]. L’élimination de la pauvreté constitue le défi prioritaire pour les PED, et les PD tiennent à insister sur le caractère volontaire des contributions faites dans ce contexte. Le Sommet mondial de 2005 a confirmé la priorité du développement, le DD n’étant qu’un élément de celui-ci[156]. Selon les auteurs Paolo Galizzi et Alena Herhlotz[157], cette démotion du DD au profit du développement tout court est due à l’action politique des PED qui tiennent à placer le développement au coeur des grands défis mondiaux.

C’est donc avec raison, croyons-nous, qu’il convient de poser la question, comme Véronique Claerebout[158] l’a fait, de la compatibilité des deux logiques entre le DD et la mondialisation néolibérale. S’il apparaît clair que, pour réaliser le DD, les États doivent d’abord encourager une croissance économique soutenue, le risque est toujours grand que l’on ne retienne du DD que la croissance économique durable. Philippe Cullet[159] ne pense pas autrement quand il écrit que le caractère vague du DD facilite la tâche aux partisans du néolibéralisme parce qu’ils n’ont pas à subir la réprobation internationale, le changement de paradigme entre l’environnement et le DD ayant conduit à un affaiblissement du discours environnemental au profit de la croissance économique. Ce concept s’avère donc malléable à souhait et peut pointer dans toutes les directions : Philippe Cullet[160] estime encore que si les Organisation non gouvernementales (ONG), les gens du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), de l’OMC et de la Banque mondiale sont tous tombés d’accord au sujet du DD, c’est que ses nombreuses définitions permettent plusieurs interprétations et que c’est encore la dimension économique qui prédomine.

À notre avis, le sort du PRCMD semble irrémédiablement lié à celui du DD. Or, l’on s’inquiète dans certains milieux que des États développés puissent revenir sur les engagements de 1992, les crises financières et économiques qui frappent le monde depuis ces dernières années ayant érodé la volonté de plusieurs de cheminer sur la voie du DD. Celui-ci se porte-t-il mieux aujourd’hui qu’en 1992 ? Et si le DD ne devait être finalement que du développement économique durable ?

4.2 Le PRCMD et le NOEI : des liens intellectuels certains

Il est difficile d’éviter des rapprochements conceptuels entre le NOEI et le DD, car les notions d’interdépendance, d’intérêt commun, d’équité intergénérationnelle et d’équité intragénérationnelle, de solidarité, d’interdépendance et de coopération se trouvent autant dans le NOEI que dans le DD, de sorte que l’on peut affirmer que plusieurs idéaux du NOEI sont maintenant véhiculés par le DD. Comme le souligne avec justesse Phillipe Cullet[161], il est frappant de constater que le DD comprend bon nombre de principes du NOEI, lequel a été finalement discrédité. Nous ne savons pas dans quelle mesure on peut dire, comme certains le pensent[162], que la réalisation des idéaux du NOEI est une condition préalable à la mise en oeuvre du DD, mais il y a là, en tout cas, ample matière à réflexion et une grande inquiétude aussi, car la notion d’équité a été impuissante, jusqu’à présent, à redessiner les paramètres fondamentaux des relations économiques internationales.

L’Assemblée générale de l’ONU plaide toujours, en 2013, pour un NOEI fondé sur les principes de l’équité, de l’égalité souveraine, de l’interdépendance, de l’intérêt commun, de la coopération et de la solidarité entre tous les États[163]. On doit noter la grande résistance des PD à ce discours de l’Assemblée, que ce soit en votant contre la résolution ou en s’abstenant. La résolution Vers un nouvel ordre économique international du 20 mars 2013 a été appuyée par 132 voix contre 47 et 5 abstentions (Australie, Palaos, République de Corée, Turquie, Ukraine). On se souviendra que la Charte des droits et devoirs économiques des États[164], adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 12 décembre 1974, a représenté sans doute le point culminant de ce débat controversé qui a opposé le Nord et le Sud et dont l’objectif était de fonder un nouveau système de relations économiques internationales en transformant les structures de l’économie mondiale. Adoptée par l’immense majorité des États, cette charte, ne l’oublions pas, n’a pas été cautionnée par les principaux pays capitalistes de l’époque : ceux-ci ont voté contre ou se sont abstenus[165]. Ce résultat n’est guère étonnant dans la mesure où cette charte consacrait les thèses des pays du tiers-monde et des pays socialistes et prônait notamment la promotion de relations économiques internationales qui tiennent compte des différences reconnues entre les pays ainsi que de leurs besoins particuliers. La fin de la guerre froide et l’implosion du camp des pays communistes allaient porter le coup de grâce à cet idéal communautaire.

4.3 Le PRCMD et le TSD : le traitement différentiel commercial comme un système transitoire et exceptionnel

Il est vrai que les PED ont obtenu, en vertu du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) un régime préférentiel par l’entremise de dérogations temporaires à la clause de la nation la plus favorisée d’abord[166], sur la base de l’article 25, par. 5 de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (ou GATT de 1947)[167], puis ensuite par l’effet d’une clause d’habilitation expresse en 1979[168] qui est venue légitimer le traitement spécial et préférentiel[169] des PED au sein du système commercial mondial : « [n]onobstant les dispositions de l’article premier de l’Accord général, les Parties contractantes peuvent accorder un traitement différencié et plus favorable aux pays en voie de développement, sans l’accorder aux autres Parties contractantes[170] », en ce qui concerne notamment les systèmes de préférences tarifaires généralisées, les mesures non tarifaires et le traitement spécial octroyé aux pays moins avancés. Le traitement différentiel comprend aussi des dérogations temporaires aux règles, limitées dans le temps, un régime plus favorable en ce qui concerne les engagements de réduction des tarifs et de subventions ainsi que des critères plus souples pour l’application de mesures de sauvegarde comme l’imposition de droits compensateurs et de droits antidumping[171].

Or, il faut noter avec force que ce traitement différencié n’est pas automatique et obligatoire, comme le Groupe des 77 l’avait demandé[172] ; au contraire, la solution retenue permet seulement aux États développés d’accorder un traitement de faveur aux PED, mais elle ne les contraint pas à le faire. Comme l’Organe d’appel de l’OMC l’a souligné dans l’affaire Communautés européennes — Conditions d’octroi de préférences tarifaires aux pays en développement, « les pays développés ne sont pas juridiquement tenus de mettre en oeuvre des schémas dans le cadre du Système généralisé de préférences[173] ». Le fait d’octroyer ou non des préférences demeure donc une décision unilatérale et discrétionnaire. Une quinzaine de pays ont mis en oeuvre un schéma de préférences généralisées, chacun possédant ses propres caractéristiques.

Par ailleurs, l’insertion d’une clause évolutive dans la Décision L/4903 du 28 novembre 1979 précise que le retour au régime de droit commun est la règle dans le contexte du processus de développement économique d’un État et l’amélioration de sa situation commerciale puisqu’il est considéré que, avec le passage du temps, plusieurs PED vont passer dans la catégorie des États développés et que, dans cette hypothèse, il ne serait pas approprié de continuer à faire bénéficier ces derniers d’un régime préférentiel. Le caractère provisoire du traitement préférentiel est ainsi très marqué parce qu’il ne joue pas, théoriquement, au bénéfice des PED qui ont atteint un certain stade de développement[174]. À terme, le traitement différencié est donc voué à disparaître puisque la théorie économique néolibérale enseigne que le sous-développement est une étape transitoire sur la voie du développement.

Un coup d’oeil sur les travaux du Comité du commerce et du développement de l’OMC laisse voir que le renforcement du traitement préférentiel ne passe pas nécessairement par un traitement obligatoire ou impératif[175], ni par une plus grande différenciation. Malgré la prétention de certains pays, à savoir que le traitement différencié serait devenu un droit pour les PED au titre du droit au développement économique, il ne semble pas que cette approche soit partagée par les PD[176]. Les travaux actuels portent plutôt sur l’amélioration des dispositions spéciales des accords particuliers de l’OMC relativement au TSD, ainsi que sur la création d’un mécanisme de surveillance qui servirait d’interface au sein de l’OMC pour analyser et passer en revue la mise en oeuvre des dispositions relatives au TSD[177].

Conclusion

L’analyse qui précède nous permet de formuler quelques propositions générales que nous décrirons brièvement ci-dessous :

Premièrement, on doit signaler qu’il existe un grave malentendu entre PD et PED sur le sens du PRCMD, et ce malentendu remonte aux négociations mêmes du principe 7 de la Déclaration de Rio. L’observation générale de Pierre-Marie Dupuy[178] au sujet de la formation de la coutume nous paraît juste : la question de savoir si une norme relève ou non du droit international coutumier est liée de très près à celle de savoir comment cette norme s’est formée dans la pratique des États et de quelle manière, pour le cas qui nous intéresse, elle reçoit une approbation générale, du côté tant des PD que des PED. Or, quand on se penche sur le PRCMD, on ne peut pas dire que PD et PED entretiennent le même discours à son sujet et cette constatation semble vicier tout argument voulant ériger le PRCMD au rang d’un principe coutumier.

Deuxièmement, il faut observer que, en ce qui concerne les pays bénéficiaires[179], le dossier climatique démontre que le PRCMD, quand il est interprété comme une exemption générale des obligations centrales d’une convention, ne peut ni ne doit s’appliquer à tous les pays. C’est l’avis de plusieurs que la différenciation des responsabilités, si elle repose principalement sur la « contribution » des PD à l’apparition des problèmes environnementaux et sur leur capacité technique et financière concernant la mise en oeuvre de solutions appropriées, doit aussi tenir compte de la situation économique de chaque État en développement et de ses besoins réels.

Les PED ne forment pas un bloc homogène : il y a les pays les moins avancés (49, dont la majorité en Afrique subsaharienne), les pays émergents du BRICS, les pays qui sont en train de rejoindre ces derniers, et les autres qui se répartissent dans les catégories de pays à revenu moyen inférieur. Pour l’année 2010, le Brésil apparaît dans la liste des dix puissances économiques mondiales, juste devant le Canada. La Chine est la troisième puissance, juste devant l’Allemagne[180]. Est-il sensé que le Brésil et la Chine soient considérés comme des PED ? Et sur la base de quels critères pouvons-nous juger qu’il doit en être ainsi ?

Quand on examine l’application du traitement différencié dans le droit de l’OMC, on constate rapidement que ce dernier admet le principe de différenciation à l’intérieur des PED pour tenir compte de la situation plus désavantageuse encore des PMA ; cette différenciation entre PED, qui a été reconnue dans l’affaire Communautés européennes — Conditions d’octroi de préférences tarifaires aux pays en développement, est notamment appliquée dans le contexte du système de préférences généralisé. Or, nous avons vu que cette question d’une « meilleure “différenciation” juridique des PED au regard de leur situation économique réelle[181] » constitue un enjeu important dans les négociations commerciales issues de la Conférence de Doha. Les PED veulent être traités de la même façon, indépendamment de leur richesse relative, ce qui est, à notre avis, une absurdité absolue.

On doit souligner à cet égard que, conformément au droit de l’OMC, l’octroi du traitement différencié est théoriquement provisoire et qu’il doit cesser dès qu’un pays bénéficiaire est considéré comme ayant atteint un certain stade de développement économique. Il est difficile de voir pourquoi une semblable limite temporelle au PRCMD ne pourrait pas être théoriquement concevable en droit de l’environnement.

Troisièmement, il faut constater que le PRCMD, dans la pratique conventionnelle, est presque essentiellement construit autour de l’aide technique, technologique et financière et que le régime établi par la Convention-cadre des Nations Unies et le Protocole de Kyoto est une exception dans la mesure où il exempte totalement la catégorie des PED de toute obligation chiffrée de réduction des gaz à effet de serre. Or, si l’aide financière et technologique constitue le coeur du PRCMD et si ce denier est finalement reconnu comme un principe de droit, cela équivaut à dire que les PD sont requis de payer un impôt général mondial aux PED au titre de la protection de l’environnement. Il suffit d’énoncer cette proposition pour réaliser assez vite que, dans l’état actuel de la société internationale et au-delà de toute considération éthique, les PD paraissent encore loin de pouvoir accepter une telle règle. Dans son essence, le PRCMD n’est que l’expression quasi institutionnalisée de la recherche de fonds nouveaux et additionnels à l’APD. On pourrait donc se passer du PRCMD si l’on arrivait finalement à trouver un mécanisme financier général susceptible d’assurer, au fil des ans, un revenu suffisant pour couvrir les surcoûts liés à la protection de l’environnement. Il suffirait, par exemple, de réformer l’aide publique au développement (APD) pour lui enlever son caractère libre et discrétionnaire et lui substituer une taxe mondiale obligatoire sur les transactions financières internationales et dont le produit serait acheminé, sous certaines conditions, à certains PED par l’entremise d’une institution mondiale compétente.

Quatrièmement, le PRCMD est ce qu’il est : un principe dont les fondements mêmes paraissent controversés et dont l’identité est encore mal assurée. Au minimum, c’est tout au plus un principe d’action politique, un habile compromis qui permet aux uns et aux autres de négocier des ententes environnementales au plus bas coût possible tout en créant l’illusion que la protection de l’environnement est bien gérée à l’échelle internationale. C’était l’illusion de Kyoto ; on n’étonnera personne en soulignant que les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) ont augmenté de plus de 46 % depuis 1990[182]. Il faudrait voir si une telle inefficacité est aussi la marque déposée d’autres conventions, particulièrement celle sur la biodiversité. Au maximum, le PRCMD peut nous apparaître comme un principe de la soft law qui aspire à passer dans le royaume de la hard law : encore ici, il semble bien que nous soyons présentement dans un moment de transition, et rien ne dit que ce passage pourra être assuré dans un avenir prévisible, si tant est que nous convenions que son aboutissement logique devrait normalement trouver sa solution dans une forme quelconque de taxation mondiale obligatoire. Cependant, en ces temps-ci, les débats qui ont lieu en Europe sur le sujet concernent davantage la réaffectation des produits d’une telle taxe à l’allègement de la dette publique des États européens qu’à l’aide au développement et à la lutte contre les changements climatiques. Forte de sa richesse, l’Amérique préfère ignorer qu’il y a un débat européen sur cette question…

Cinquièmement, enfin, il convient de mentionner que le PRCMD n’est qu’un élément parmi d’autres dans les instruments qui ont pour objet de mieux gérer l’environnement sur le plan international. Il y a aujourd’hui plus de 500 accords internationaux dans le domaine de l’environnement et environ 300 d’entre eux ont été conclus pendant la période 1972-2000. Au-delà de 300 sont des accords régionaux[183]. Bien que le PRCMD porte sur des accords mondiaux extrêmement importants, il est loin de constituer un élément central des rapports Nord/Sud, en dehors bien entendu du dossier climatique et de la symbolique qu’il représente. Pour le reste, on constate que la conclusion d’accords environnementaux mondiaux a grandement diminué depuis 1992 et que les principaux paramètres du cadre légal mondial sont maintenant en place. Cette constatation ne nous interdit nullement de penser que l’on puisse assister à l’élaboration d’autres grandes conventions mondiales dans un avenir pas trop lointain. Le défi sera alors d’adapter le PRCMD aux réalités de notre époque.