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Introduction

Dans un espace très vaste comme la France métropolitaine, l’étude de la pauvreté doit s’accompagner de certaines précautions : les contextes démoéconomiques sont très différents d’un bout à l’autre du pays, impliquant que la fréquence, la profondeur et les facteurs explicatifs de la pauvreté « diffèrent au sein des espaces urbains et ruraux, d’une agglomération ou d’une commune à une autre, d’un quartier à un autre » (Institut national de la statistique et des études économiques [INSEE] Nord-Pas-Calais, 2006). Le but de notre étude est de proposer une approche permettant de cerner et de décrire ces différences, et d’en révéler la nature.

Par le passé, de nombreux travaux ont porté sur la dimension spatiale de la pauvreté en France métropolitaine. Olivier Léon (2010) a cherché à mettre en relation le niveau de pauvreté des départements de France métropolitaine avec certaines de leurs caractéristiques telles que la fréquence du chômage ou l’existence de bas salaires. L’auteur est parvenu finalement à une typologie des départements essentiellement basée sur l’intensité de la pauvreté. L’INSEE du Nord-Pas-de-Calais a réalisé une étude sur les différentes formes de pauvreté rencontrées dans les communes de la région, à travers l’examen d’indicateurs socioéconomiques, démographiques ou relatifs au parc de logements, aboutissant, sans préciser exactement la méthode utilisée, à huit grands types de communes (INSEE Nord-Pas-de-Calais, 2006). En travaillant au niveau de la zone d’emploi, Davezies et Korsu arrivent notamment au constat que « la structure de la pauvreté dans les régions françaises ressemble à la structure de leurs populations et de leurs économies » (Davezies et Korsu, 2002). L’objectif était ainsi davantage de déterminer quelles sous-populations sont les plus concernées par la pauvreté selon les territoires que de dégager à proprement parler une géographie de la pauvreté en restant à l’échelle des territoires. Néanmoins, les auteurs concluent leur article en rappelant l’intérêt du facteur territorial dans les dynamiques de pauvreté.

La visée de notre travail se situe dans le prolongement des deux dernières études citées : nous souhaitons déterminer en quoi les espaces où la pauvreté est la plus fréquente sont différents les uns des autres, non pas en termes d’intensité des difficultés socioéconomiques ou de sous-populations concernées, mais en termes de caractéristiques territoriales liées à la pauvreté. L’idée est ainsi d’identifier dans un premier temps les espaces les plus concernés par la pauvreté. Nous mobilisons ensuite des indicateurs démographiques et socioéconomiques correspondant à des facteurs identifiés comme exposant à la pauvreté au niveau de l’individu et à celui du territoire en les utilisant comme variables pour établir notre typologie. Nous replaçons ensuite les résultats obtenus dans un contexte plus large.

Méthodologie

Choix de l’échelon géographique

Dans un premier temps, il s’agit de choisir l’échelon géographique sur lequel l’analyse va porter. Le département paraît un niveau insuffisamment fin pour rendre compte de réalité territoriale, et le nombre de départements est trop peu élevé pour effectuer des regroupements pertinents. Au niveau infradépartemental, il convient de s’interroger sur l’échelon géographique exact à choisir, sachant que deux difficultés majeures sont susceptibles de se poser : le secret statistique, qui risquerait de nous priver de certaines informations à un échelon géographique trop fin, et l’hétérogénéité des territoires étudiés, si l’échelon choisi est trop large.

Opter pour le canton-ou-ville (CV) nous a paru un bon compromis, permettant de contourner au mieux ces écueils. Le fait qu’il corresponde à une grande commune ou au regroupement de plusieurs communes plus petites réduit la probabilité de tomber sous le seuil du secret statistique. Le regroupement permet aussi, le cas échéant, d’agréger des données qui ne seraient disponibles qu’au niveau communal. Le canton-ou-ville permet par ailleurs de rester à une échelle qui ne serait pas trop globalisante, comme pourrait l’être l’arrondissement ou la zone d’emploi.

Au sein des échelons géographiques français, le canton-ou-ville se situe donc entre la commune et l’arrondissement. La France métropolitaine compte 3 689 cantons-ou-villes, dont la population moyenne est, début 2013, d’environ 17 000 habitants.

Champ de l’étude

Il convient ensuite de déterminer quels seront les cantons-ou-villes concernés par l’étude, c’est-à-dire ceux où la pauvreté apparaît la plus fréquente. Deux approches sont généralement considérées pour qualifier et mesurer la pauvreté : l’approche dite de la pauvreté absolue et celle de la pauvreté relative. Selon la première, est considéré comme en état de pauvreté absolue l’individu n’ayant pas les moyens d’avoir accès à l’éventail des biens nécessaires à sa survie (nourriture, vêtements, logement, etc.) (Organisation des Nations Unies, 1995). Selon la seconde, sont considérés comme pauvres les individus dont les ressources pécuniaires ou les conditions de vie sont inférieures à un certain seuil, calculé en se basant sur une distribution en population générale. La méthode la plus souvent employée est celle du seuil de pauvreté. L’approche administrative, proposée notamment par le sociologue Julien Damon (2012), constitue en quelque sorte un entre-deux : est considérée comme pauvre toute personne bénéficiant d’une aide dont l’objectif est de lutter contre la pauvreté (minimas sociaux).

La première approche est très peu utilisée en France, et les informations nécessaires pour y avoir recours sont inexistantes à un niveau géographique fin. Pour ce qui est de l’approche administrative, les données relatives au revenu minimum d’insertion[1] au niveau infradépartemental sont disponibles au niveau du canton-ou-ville. Néanmoins, l’allocation concerne essentiellement la tranche d’âge des 25-64 ans, et, de manière générale, une faible proportion d’allocataires des minimas sociaux ne signifie pas forcément une faible pauvreté monétaire, en particulier dans les espaces ruraux (Zaepfel, 2012).

Reste donc l’approche relative. Le premier décile du revenu fiscal par unité de consommation peut ici avoir son intérêt : celui-ci est tel que 10 % des personnes vivent dans un ménage déclarant un revenu par unité de consommation inférieur à sa valeur. Néanmoins, il conviendrait davantage pour étudier la profondeur de la pauvreté monétaire plutôt que sa fréquence. Une alternative existe : le recensement comporte un ensemble de variables (âge, sexe, diplôme, profession et catégorie sociale, type d’activité, temps de travail, secteur d’activité) qui, combinées entre elles, donnent une idée relativement fiable des ressources des personnes et des ménages. Ces variables sont mises en lien avec des mesures du revenu dans diverses sources nationales, dont les microdonnées sont disponibles. Il est ainsi possible d’estimer un revenu annuel pour les différentes combinaisons de modalités de ces variables. L’enquête Budget et Consommation des ménages 2006 (EBC) a été retenue car elle a l’avantage de considérer toutes les formes de ressources dont un ménage peut bénéficier (ce qui inclut les revenus de l’épargne, les prestations sociales et les transferts informels). L’existence d’une relation entre niveau de revenu et caractéristiques des personnes disponibles à la fois dans l’EBC et dans le recensement a été vérifiée dans des travaux antérieurs (Bergouignan et Zaepfel, 2013).

Le seuil de revenu choisi pour définir les ménages « pauvres » est de 10 560 € par an[2]. Selon nos estimations, 16,0 % des résidents de France métropolitaine en 2008 vivaient dans un ménage qui présentait un revenu inférieur à ce seuil. Nous avons donc limité notre champ d’étude aux cantons-ou-villes présentant une proportion de personnes pauvres égale ou supérieure à 16,0 % (soit un ensemble de 1 019 cantons-ou-villes), afin de nous assurer de la proximité avec l’objet étudié. Ces cantons-ou-villes regroupent environ 24 500 000 habitants, soit plus de 40 % de la population totale de France métropolitaine. Si les 2 670 cantons-ou-villes restants ne présentent pas de proportion élevée d’individus pauvres en leur sein, il convient néanmoins de rappeler que la pauvreté n’y est pas pour autant totalement absente.

Indicateurs territoriaux

Pour établir une typologie des cantons-ou-villes, nous avons utilisé comme variables différents indicateurs dont on sait, à travers la littérature ou des travaux antérieurs, qu’ils peuvent expliquer, de façon partielle, le niveau de pauvreté d’un territoire, en influant notamment sur le niveau de revenu des ménages, à travers le non-emploi[3] et les faibles salaires[4]. Néanmoins, il ne s’agit pas de conclure à des relations causales solides et incontestables, mais plutôt de procéder de façon prudente pour amener différentes pistes de réflexion. Les variables sélectionnées, toutes calculées à partir de données fournies par l’INSEE, sont les suivantes :

  • La proportion d’emplois des secteurs d’activité peu rémunérateurs dans le canton-ou-ville en 2008[5] : en 2008, plus de 20 % des salariés du secteur de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche, du secteur de l’hébergement et de la restauration et de celui des services aux ménages ont perçu des rémunérations nettes totales sur l’année inférieures à 6 000 €, ce qui correspond à un revenu de 500 € par mois (source INSEE-Déclaration annuelle de données sociales [DADS]). La proportion d’emploi dans ces secteurs est de 11,2 % dans les cantons-ou-villes de notre champ d’étude, contre 12,7 % pour l’ensemble des cantons-ou-villes de France métropolitaine. Néanmoins, cette proportion apparaît particulièrement importante dans les cantons-ou-villes ruraux les plus en difficulté (Observatoire girondin de la précarité et de la pauvreté [OGPP], 2013) ;

  • La proportion d’emplois salariés à temps partiel dans le canton-ou-ville en 2008 : le fait de ne pas travailler à temps complet expose davantage, de façon logique, à de faibles rémunérations. Ainsi, parmi les personnes ayant été rémunérées au moins 360 jours en 2010, 8 % de celles ayant travaillé en moyenne moins de 32 heures par semaine ont perçu moins de 6 000 € durant l’année, contre 0 % de celles ayant travaillé 32 heures ou plus (source INSEE-DADS). La proportion d’emplois salariés à temps partiel est de 17,5 % dans les cantons-ou-villes de notre champ d’étude, contre 17,1 % pour l’ensemble des cantons-ou-villes de France métropolitaine ;

  • La proportion d’emplois salariés en contrat à durée déterminée (CDD) dans le canton-ou-ville en 2008 : l’alternance entre périodes d’emploi et périodes de chômage apparaît également comme un facteur important quant au niveau de revenu d’un salarié. Si 10 % des salariés n’ayant connu qu’une seule période de travail en 2010 ont perçu moins de 6 000 € de rémunération nette totale, la proportion s’élève à 19 % pour les personnes du champ ayant vécu trois périodes d’emploi ou plus (source INSEE-DADS). La proportion d’emplois salariés à temps partiel est de 14,9 % dans les cantons-ou-villes de notre champ d’étude et d’une proportion équivalente pour l’ensemble des cantons-ou-villes de France métropolitaine ;

  • La proportion d’entreprises créées depuis moins de 5 ans en 2011 : il s’agit là d’avoir un indicateur du dynamisme économique des territoires. La relation entre dynamique de développement d’un territoire et pauvreté apparaît complexe. Néanmoins, l’ouest du pays, jadis en retard économique, a connu depuis une quinzaine d’années à la fois une augmentation très nette de l’emploi salarié privé et une réduction prononcée des niveaux de pauvreté (Davezies et Korsu, 2002). La proportion d’entreprises de moins de 5 ans est de 44,0 % dans les cantons-ou-villes de notre champ d’étude et d’une proportion équivalente pour l’ensemble des cantons-ou-villes de France métropolitaine ;

  • La proportion de femmes âgées de 15 à 64 ans actives en 2008 : un faible taux d’activité féminine constitue un facteur susceptible d’avoir une influence sur la situation monétaire d’un territoire. Toute chose égale par ailleurs, le nombre de ménages intégrant deux salaires à ses ressources s’en trouve notamment diminué et, en cas de rupture, la femme peut se retrouver avec des ressources inexistantes. La proportion de femmes actives est de 77,9 % dans les cantons-ou-villes de notre champ contre 81,4 % pour l’ensemble des cantons-ou-villes ;

  • La proportion de référents de ménage de moins de 30 ans : en 2008, 18,8 % des personnes vivant dans un ménage dont le référent a moins de 30 ans vivent sous le seuil de pauvreté[6], contre 13,0 % en moyenne. Il s’agit de la tranche d’âges la plus concernée par la pauvreté (source INSEE-Direction générale des impôts [DGI]). Les moins de 30 ans sont également les plus concernés par le chômage et les faibles salaires (Evrard et Reboul, 2012). Une surreprésentation des moins de 30 ans parmi les référents de ménage d’un territoire peut donc engendrer de façon mécanique une forte proportion de personnes pauvres. La proportion de chefs de ménages âgés de moins de 30 ans est de 15,6 % dans les cantons-ou-villes que nous étudierons, contre 11,8 % pour l’ensemble des cantons-ou-villes de France métropolitaine ;

  • La proportion de familles monoparentales : en 2008, 29,5 % des ménages monoparentaux sont pauvres. Il s’agit du type de ménage le plus touché par la pauvreté (source INSEE-DGI). La proportion de familles monoparentales pourra également déterminer dans une certaine mesure le niveau de pauvreté globale d’un territoire. La proportion de ménages monoparentaux est de 9,8 % dans les cantons-ou-villes que nous étudierons, contre 8,5 % pour l’ensemble des cantons-ou-villes de France métropolitaine ;

  • La proportion de ménages de quatre personnes ou plus (ou grands ménages) : en 2008, 14,9 % des ménages de quatre personnes ou plus se situent sous le seuil de pauvreté en 2008. Les parents de grands ménages (quatre personnes ou plus) sont nettement plus souvent sans emploi que la moyenne (Zaepfel, 2012). Dans notre étude, 6,5 % des ménages des cantons-ou-villes comptent quatre personnes ou plus, pour une proportion équivalente pour l’ensemble des cantons-ou-villes. La relation entre taille des ménages et pauvreté apparaît particulièrement importante dans le nord du pays (INSEE Nord-Pas-de-Calais, 2006) ;

  • La proportion d’immigrés : une étude publiée par l’INSEE montre qu’en 2008 28,5 % des immigrés[7] vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 10,6 % de Français nés de parents français (Lombardo et Pujol, 2011). Le mécanisme est donc susceptible d’être le même que pour les sous-populations précédemment évoquées. Au sein des cantons-ou-villes étudiés, 12,6 % de la population est constituée d’immigrés, contre 9,8 % pour l’ensemble des cantons-ou-villes ;

  • La proportion de personnes non scolarisées sans diplôme : les personnes sans diplôme sont plus concernées par la pauvreté que le reste de la population (David, Dujin, Olm et Simon, 2006). Dans la tranche d’âge des 30 à 39 ans, la proportion de chômeurs parmi les non-diplômés est deux fois plus forte que parmi les diplômés (OGPP, 2013). Au sein des cantons-ou-villes étudiés, 31,8 % des personnes non scolarisées sont sans diplôme. Pour l’ensemble des cantons-ou-villes, la proportion est de 27,6 % ;

  • La proportion de résidences principales (RP) de type habitations à loyer modéré (HLM) : la structure du parc de logements d’un territoire apparaît être corrélée avec le niveau de pauvreté. Ainsi, dans son travail de typologie des iris[8] de Lorraine en matière de pauvreté, Laetitia Hauret souligne que, dans les iris qualifiés de « poches de pauvreté », environ 80 % des ménages vivent en logement HLM contre environ 17 % de l’ensemble des ménages lorrains (Hauret, 2005). Cette concentration semble particulièrement concerner la moitié nord du pays. Dans les cantons-ou-villes étudiés, 21,2 % des résidences principales sont des logements HLM. La proportion est de 14,7 % pour l’ensemble des cantons-ou-villes.

Méthode

La méthode choisie pour élaborer la typologie est celle de la classification ascendante hiérarchique (CAH). L’objet de celle-ci est de classer des individus (ici les cantons-ou-villes) en groupes ayant un comportement proche pour un ensemble donné de variables. C’est précisément cette finalité qui est recherchée dans ce travail, et qui nous a amené à privilégier une analyse statistique descriptive plutôt qu’explicative.

La dissimilarité entre les différents individus (les cantons-ou-villes dans notre cas) est calculée au départ. Ensuite, chaque individu est regroupé avec l’individu qui lui est le plus similaire pour former une classe, qui elle-même sera fusionnée à une autre classe toujours selon les mêmes critères de proximité, jusqu’à ce que tous les individus soient regroupés. Le résultat de l’analyse de classification se présente sous la forme d’un dendrogramme. Une fois celui-ci réalisé, nous pouvons, de manière visuelle, déterminer différents sous-groupes au sein desquels les individus possèdent des caractéristiques communes, à un niveau plus ou moins fin. L’avantage principal de la CAH en la circonstance est que la variance intraclasse est réduite, à l’inverse de la variance interclasses. Elle permet donc de regrouper les individus en sous-groupes homogènes et distincts les uns des autres.

Tableau 1

Valeurs des variables utilisées pour la CAH pour les différents sous-groupes de cantons-ou-villes obtenus

Valeurs des variables utilisées pour la CAH pour les différents sous-groupes de cantons-ou-villes obtenus

Abréviations : CAH, classification ascendante hiérarchique ; CDD, contrat à durée déterminée ; CV, canton-ou-ville ; HLM, habitation à loyer modéré ; RP, résidence principale.

Source : INSEE, calculs de l’auteur

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Résultats

Description des sous-groupes

À l’examen de l’aspect du dendrogramme, il nous a paru judicieux de dégager sept sous-groupes. Pour les décrire, nous faisons appel, en plus des variables utilisées pour la classification ascendante hiérarchique, à des indicateurs plus généraux quant aux territoires ou à leur population (situation géographique et démographique, type d’espace, répartition par catégorie socioprofessionnelle, par statut d’occupation des logements, par groupe d’âge, etc.).

Le premier sous-groupe est celui des grandes villes-centres de province (138 837 habitants en moyenne) : on y trouve notamment les cantons-ou-villes de Lyon, Bordeaux, Strasbourg et Rennes. Les cadres et professions intellectuelles supérieures sont surreprésentés (16,4 % contre 11,6 % pour l’ensemble de la France métropolitaine), tout comme les ménages locataires de logements non-HLM (38,6 % contre 22,8 %). La proportion d’individus vivant dans un ménage pauvre est la plus élevée de tous les sous-groupes (25,2 % contre 22,8 % parmi l’ensemble des cantons-ou-villes étudiés), du fait notamment d’une proportion importante de très bas salaires (12,5 % contre 10,0 %). Du point de vue des variables utilisées pour la CAH, le sous-groupe se caractérise surtout par une très forte proportion de 18-29 ans (29,1 % des référents de ménages principaux), tranche d’âge la plus exposée à la pauvreté. Les résidences principales type logement HLM (19,3 % contre 14,7 %) et les immigrés sont également surreprésentés. À l’inverse, le poids des personnes sans diplôme, des grands ménages et celui des emplois dans des secteurs d’activité peu rémunérateurs sont faibles.

Le deuxième sous-groupe réunit quasi uniquement des cantons-ou-villes de banlieue parisienne (43 062 habitants en moyenne) : la population y est particulièrement jeune, les moins de 18 ans étant surreprésentés (26,4 % des résidents contre 21,9 % en moyenne), à l’inverse des 65 ans et plus (10,9 % contre 17,0 %). Le solde naturel relatif est très important (+ 13,9 pour 1 000 contre + 4,5 pour 1 000), et ces territoires connaissent ainsi un accroissement démographique important malgré un déficit migratoire. La proportion d’individus identifiés comme pauvres est de 24,5 %, du fait notamment d’un fort non-emploi (26,9 % des 15-64 non scolarisés et non-retraités contre 22,3 %). Les proportions d’immigrés (31,7 %), de résidences principales HLM (37,9 %), de grands ménages (12,1 %) et de familles monoparentales (13,1 %) sont très importantes. Le poids des personnes ayant achevé leur scolarité sans diplôme est également plus élevé que dans tous les autres sous-groupes (38,7 %). Les contrats à durée déterminée, les temps partiels et les emplois dans des secteurs peu rémunérateurs sont peu fréquents. Par conséquent, la proportion de très bas salaires est inférieure à la moyenne pour l’ensemble des cantons-ou-villes étudiés (10,7 % contre 11,0 %). On constate par ailleurs un certain dynamisme économique, près de la moitié des entreprises recensées existant depuis moins de cinq ans.

Le troisième sous-groupe est composé majoritairement de villes-centres de taille moyenne (31 062 habitants en moyenne), majoritairement situées en province, dans la moitié nord du pays, et présentant une forte concentration de logements HLM. Les ouvriers sont surreprésentés (21,6 % contre 18,0 % pour l’ensemble de la France métropolitaine). Malgré un solde naturel favorable du fait d’un taux de natalité assez élevé (16,3 pour 1 000 contre 14,3 pour 1 000 en moyenne), ce sous-groupe de cantons-ou-villes a perdu une partie de sa population entre 1999 et 2008, sous l’effet d’échanges migratoires nettement déficitaires. La proportion d’individus vivant dans un ménage pauvre est de 24,5 %, du fait d’une proportion de 15-64 ans sans emploi de 27,4 %. Les familles monoparentales (10,7 % des ménages) et les immigrés (12,4 % de la population) sont surreprésentés, mais nettement moins que dans le sous-groupe précédent. La proportion de résidences principales type HLM est de 33,9 %, et celles des non-scolarisés sans diplôme de 33,6 %, soit des niveaux élevés. La problématique des très bas salaires ne pose pas de façon prépondérante.

Le quatrième sous-groupe regroupe des cantons-ou-villes de taille moyenne (16 498 habitants en moyenne), situés majoritairement dans le sud du pays. Les ouvriers sont surreprésentés (en particulier dans le contexte méridional), de même que les artisans et les commerçants. Les 65 ans et plus sont en grande proportion (20,1 %), à l’inverse des moins de 30 ans (34,0 % contre 36,8 %). Si le solde naturel est faiblement positif, les cantons du sous-groupe bénéficient d’une attractivité certaine (un solde migratoire relatif de +6,6 pour 1 000 entre 1999 et 2008 contre +3,0 pour 1 000 pour l’ensemble de la France métropolitaine). La proportion de personnes vivant dans un ménage considéré comme pauvre est de 19,7 %. Concernant les variables utilisées pour la typologie, les immigrés (14,2 % de la population) et les personnes sans diplôme (32,9 %) apparaissent surreprésentés. L’activité féminine est peu importante (73,1 % d’actives parmi les 15-64 ans non scolarisés et non-retraitées), à l’inverse du poids des emplois à temps partiel (19,0 % des emplois) et à durée déterminée (15,9 %).

Le cinquième sous-groupe réunit des cantons-ou-villes de petite taille (10 422 habitants en moyenne), situés majoritairement dans le nord du pays et hors des grands pôles urbains. Les agriculteurs, les ouvriers et les retraités sont surreprésentés, de même que les ménages propriétaires de leur logement (67,2 % de ménages propriétaires contre 57,8 % pour l’ensemble de la France métropolitaine). Les 18-29 ans sont sous-représentés (12,5 % de la population), les soldes naturel et migratoire sont faiblement positifs. La proportion de personnes pauvres est de 18,9 %, les faibles salaires sont peu fréquents (9,6 % des salariés sont concernés), et le non-emploi est moins fréquent que dans l’ensemble des cantons étudiés (24,8 % contre 26,7 %). Le poids des sans diplôme est important (34,9 %), de même que celui des grands ménages (7,6 % des ménages) et des emplois en contrat à durée déterminée (16,7 %). L’activité féminine est en revanche assez faible, et seules 41,6 % des entreprises ont moins de cinq ans.

Le sixième sous-groupe réunit des cantons-ou-villes de très petite taille (4 762 habitants en moyenne) situés hors des pôles urbains de population, dans des régions à dominante rurale de l’ouest et du centre du pays. Les agriculteurs sont très nettement surreprésentés, de même que les ouvriers et les retraités. La population apparaît âgée (20,6 % de 65 ans et plus, 10,7 % de 18-29 ans) et, en partie de ce fait, le solde naturel relatif est négatif (– 0,3 ‰). Il est néanmoins compensé par un solde migratoire particulièrement important (+ 7,7 ‰), ce qui donne à ce sous-groupe un accroissement global de population très conséquent (+ 7,4 ‰). Près des trois quarts des résidences principales sont occupées par leurs propriétaires. Malgré une proportion de personnes sans emploi inférieure à la moyenne (21,9 %), 18,2 % des individus sont en situation de pauvreté. Les non-diplômés sont proportionnellement nombreux (33,6 %), de même que les emplois à temps partiel (19,6 %), ceux en contrat à durée déterminée (20,2 %) et ceux dans des secteurs peu rémunérateurs (32,7 %).

Le septième sous-groupe est plus hétérogène, et le plus important en termes de nombre de cantons-ou-villes, réunissant essentiellement des territoires assez grands (29 724 habitants en moyenne), situés majoritairement dans le nord de la France. La population apparaît assez âgée (18,8 % de 65 ans et plus) et les ouvriers sont légèrement surreprésentés (19,6 %). Un solde naturel légèrement positif (+ 3,2 ‰) compense un solde migratoire déficitaire (– 1,6 ‰). La proportion de personnes appartenant à un ménage défini comme pauvre est de 22,7 %, le poids des personnes sans emploi étant particulièrement élevé (28,5 %). Les familles monoparentales sont surreprésentées, de même que les résidents en logement HLM (19,3 %). Le poids des femmes actives est relativement faible (75,4 %), et les cantons-ou-villes apparaissent assez peu dynamiques d’un point de vue économique (41,6 % d’entreprises de moins de cinq ans).

Synthèse et mise en perspective des résultats

Tout d’abord, la pauvreté dans les grandes villes-centres étudiées (premier sous-groupe) est particulièrement importante. Le non-emploi est néanmoins assez faible, du fait de taux d’activité élevés et de la surreprésentation des jeunes adultes, souvent étudiants. Cette surreprésentation des jeunes adultes semble faire de ces villes des lieux de pauvreté plus transitoires, correspondant à un âge de la vie particulièrement vulnérable, que des endroits où la pauvreté est ancrée. Néanmoins, l’existence de poches de pauvreté situées dans certains quartiers à forte concentration de logements HLM n’est pas à négliger (Observatoire national des zones urbaines sensibles, 2013).

Les niveaux de pauvreté dans les cantons-ou-villes de banlieue parisienne concernés (deuxième sous-groupe) sont à peine moins importants : la surreprésentation des autres sous-populations particulièrement fragiles économiquement (familles monoparentales, immigrés, grands ménages) dans ces espaces où près d’une résidence principale sur quatre est un logement HLM joue un rôle évident. Deux facteurs aggravants viennent s’ajouter à ce constat. En premier lieu, citons le coût de la vie pratiqué dans les plus grandes agglomérations du pays. Si cette variable est très difficile à quantifier, on peut néanmoins évoquer le premier poste de dépense des Français, le logement. Ainsi, pour donner un exemple extrême, le prix du loyer au mètre carré en Ile-de-France est de 18,5 € en 2013, contre 8,4 € dans le Limousin. Les proportions importantes de personnes vivant en logement surpeuplé mesurées en Île-de-France découlent probablement en partie de ces coûts. Le second facteur aggravant est encore plus difficile à mesurer : il s’agit des comportements discriminatoires, que ceux-là aient trait à l’origine (nous avons souligné les proportions importantes de personnes étrangères dans les sous-groupes relevant de cette troisième forme) ou à une « réputation de site », qui verraient les habitants de certains quartiers, de certaines communes, voire de certains départements discriminés du fait de leur lieu de résidence et de la mauvaise réputation qu’on lui accorde. Certaines études ont ainsi mis en évidence un effet défavorable de la résidence en zone urbaine sensible sur les durées de chômage (Choffel et Delattre, 2003) ou sur l’insertion professionnelle des jeunes actifs (Couppié et Gasquet, 2011).

Dans les cantons-ou-villes ruraux concernés par l’étude (sixième sous-groupe), la pauvreté est moins marquée. On n’y constate pas un non-emploi massif comme dans les territoires précédemment évoqués. En revanche, les proportions de très bas salaires sont assez importantes, ce qui peut être le cumul de différents facteurs : les fortes proportions de personnes sans diplômes, la structure du tissu économique (poids important d’emplois dans le secteur de l’agriculture) et une proportion importante de salariés travaillant à temps partiel. La pauvreté concerne ainsi les personnes en âge actif, mais aussi, par extension, les personnes âgées, qui perçoivent de faibles retraites après une vie active à toucher de faibles rémunérations. Ainsi, les taux de pauvreté les plus élevés à 65 ans et plus mesurés en France le sont dans les départements du Cantal, de la Lozère et du Gers, dont plus de 60 % de la population vit en milieu rural (18 % en moyenne). Néanmoins, au niveau infradépartemental, la pauvreté des personnes âgées est très difficile à étudier : les données disponibles sont peu nombreuses, en particulier pour les cantons ruraux, souvent peu peuplés et dont les informations déclinées par âge sont indisponibles du fait des seuils de secret statistique. La problématique de l’éloignement des centralités se pose également dans les espaces les plus reculés. Le cinquième sous-groupe possède très clairement certaines caractéristiques propres aux espaces ruraux (population âgée, fortes proportions de propriétaires occupants, faible solde naturel, poids importants des agriculteurs), mais également, peut-être du fait de la situation géographique de la majeure partie de ses composantes, des attributs peu fréquents en milieu rural (fortes proportions de grands ménages, faible activité féminine).

Enfin, un quatrième cas de figure se présente, plus difficile à cerner, celui des espaces urbains ouvriers et provinciaux. Dans le nord du pays (sous-groupes 3 et 7), les cantons-ou-villes concernés semblent présenter un cumul de difficultés (surreprésentation de sous-populations vulnérables, fortes proportions de logements HLM, faible attractivité migratoire et économique), aboutissant à un non-emploi massif. Dans le Sud (sous-groupe 4), si le non-emploi est encore plus important et les faibles salaires fréquents, la proportion de pauvres est plus faible. Cela peut éventuellement s’expliquer en partie par les migrations vers le littoral de personnes âgées relativement aisées (Zaepfel, 2012).

Autres éléments de synthèse

Dans six des sept sous-groupes, le poids des personnes ayant achevé leur scolarité sans diplôme est supérieur à 31 % (le premier sous-groupe fait exception). Cela souligne, si nécessaire, l’importance du niveau d’études face à la pauvreté, en particulier chez les jeunes adultes, mais des questions concernant la pauvreté dite « structurelle » et la reproduction des difficultés socioéconomiques de génération en génération se posent également. Le retard scolaire est notamment lié au niveau de vie du ménage, étant presque trois fois plus important pour les enfants appartenant à un ménage situé dans le premier quintile de niveau de vie que pour ceux dont le ménage se situe dans le cinquième quintile, selon les travaux de l’INSEE (Murat, 2009). L’économiste Éric Maurin ajoute que les « enfants de familles pauvres ou exposées aux problèmes d’intégration sont condamnés à interagir avec un voisinage où l’échec scolaire est la règle » (Maurin, 2004). Se posent donc ici également des problèmes d’effet de pair, et, de façon plus large, de perception de l’avenir, dans un environnement social où une certaine défiance vis-à-vis de la société est installée.

Les résultats dessinent également une opposition entre rural et urbain : en milieu rural, la pauvreté se caractérise plus par des revenus d’activité faibles que par l’absence d’emploi, les proportions de contrats à durée déterminée, d’emplois à temps partiel et de postes dans des secteurs d’activité peu rémunérateurs étant plus élevées. La conjonction de certaines configurations familiales, de certaines qualifications et de certains types d’activité professionnelle peut engendrer la coexistence du plein emploi et de la pauvreté dans certains de ces espaces. Cette opposition contribue à mettre en évidence des sous-populations particulièrement touchées, et notamment les jeunes adultes et les familles monoparentales, surreprésentés dans les espaces urbains, ou les retraités en milieu rural. Elle s’exprime également par un recours plus important au minimum vieillesse[9] et au Revenu de solidarité active (RSA) Activité[10] dans les espaces ruraux (OGPP, 2013). Dans les départements plus urbains, les bénéficiaires du RSA Socle[11] sont proportionnellement plus nombreux, tandis que se posent, du fait des loyers pratiqués dans les plus grandes agglomérations, des problèmes de logements surpeuplés, en particulier en région parisienne. Par extension s’opposent également l’ouest et le sud du pays d’un côté, zones géographiques davantage rurales, et le nord et l’est de l’autre.

Éléments de discussion et conclusion

Nous avons proposé une typologie des cantons-ou-villes de France métropolitaine en matière de pauvreté basée sur des indicateurs dont on sait qu’ils peuvent contribuer à la vulnérabilité d’un espace. Il apparaît clairement qu’il existe différentes catégories d’espaces à niveau élevé de pauvreté, leurs particularités découlant autant de leur emplacement géographique que du type de territoire dont ils relèvent (urbain, rural, semi-rural). Ce travail vient en ce sens compléter les études mentionnées dans l’introduction, plus attachées à déterminer les sous-populations les plus concernées par la pauvreté selon les espaces. L’intérêt de l’approche territoriale et de la mise en lumière des disparités spatiales en matière de pauvreté est, à terme, de fournir des éléments de connaissance permettant d’apporter des réponses différenciées selon les territoires aux difficultés socioéconomiques.

La fonction d’acteur et de facteur du territoire peut être interrogée de multiples façons, et il est nécessaire de préciser qu’il s’agit là d’un travail destiné à être approfondi et prolongé. Qu’en est-il par exemple du rôle de la mobilité résidentielle dans les dynamiques de pauvreté ? Davezies et Korsu (2002) évoquent des mécanismes « de génération-rétention » et « d’attraction-réception » de populations pauvres qui contribueraient aux forts niveaux de pauvreté mesurés respectivement dans le Nord-Pas-de-Calais et dans le Languedoc-Roussillon. On peut également imaginer l’existence de migrations sélectives depuis des espaces ruraux éloignés vers les grandes agglomérations, qui verraient de jeunes diplômés quitter leur territoire d’origine sans que leurs départs ne soient forcément compensés par des arrivées de diplômés plus âgés. Au-delà même d’éventuels facteurs explicatifs de la pauvreté, il conviendrait également de s’interroger sur ses conséquences, notamment en termes d’accès à la santé ou au logement. Dans le même ordre d’idée, il apparaît évident qu’une situation de pauvreté aura des implications différentes selon qu’on réside dans la petite couronne parisienne ou dans une commune rurale isolée du Sud-Ouest. Se pose ici le problème des différences de coût de la vie, mais aussi de celui de la mobilité pour pouvoir accéder aux services.