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Publié par la Feminist History Society/Société d’histoire féministe et paru sous le titre évocateur Pour celles qui suivront. 50 ans de femmes en sport au Canada, cet ouvrage collectif bilingue (anglais/français) rassemble les expériences de femmes dans le sport au Canada sous l’influence des mobilisations émancipatrices des années 1960 à 2010. Le titre de l’ouvrage obéit au mandat que s’est donné la Société d’histoire féministe de créer un portrait durable du mouvement des femmes au Canada. Ce livre a comme objectif de faire un bilan non exhaustif des expériences et des connaissances autour des évènements marquants vécus par les femmes dans le sport au cours des 50 dernières années. Les textes regroupés dans ce recueil font le point sur les relations de genre dans le domaine du sport. La démarche s’articule autour des moments forts du vécu sportif et professionnel d’athlètes, d’entraîneures[1], d’officielles, d’administratrices, de gestionnaires et de chercheuses féministes. Dans la préface, la Société d’histoire féministe précise son intention dans cet ouvrage, soit « de créer un portrait durable du mouvement des femmes au Canada entre les années 1960 et 2010 » dans différents domaines, l’objectif étant de célébrer les 50 dernières années d’activité et de réussites des femmes en laissant en héritage une série d’ouvrages testamentaires qui faciliteront les recherches féministes. Ce legs particulier des bâtisseuses à leurs prédécesseures veut jeter un éclairage sur les formes que peuvent revêtir les enjeux et les défis pour les femmes dans le domaine du sport au xxie siècle. Défi que l’ouvrage relève avec succès. Après un avant-propos de Greaves et Backhouse, Demers, Greaves, Kirby et Lay, directrices d’édition, synthétisent en introduction le but de ce collectif portant sur les femmes en sport, soit de recenser leur contribution à l’histoire du mouvement sportif canadien.

Divisé en cinq parties principales, l’ouvrage regroupe 55 textes dans lesquels les auteures relatent leurs expériences des rapports sociaux de sexe et de genre. Dans la première partie, les collaboratrices explorent l’importance du féminisme de la deuxième vague dans l’arène sportive au Canada. La deuxième partie porte sur les expériences sportives des athlètes féminines et le féminisme. Dans cette partie qui présente des histoires glorieuses et parfois révoltantes des athlètes féminines, il y a une lueur d’espoir au lendemain des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi 2014, en particulier si l’on se fie aux récents exploits sportifs des athlètes féminines canadiennes et à l’honneur accordé à une collaboratrice de cet ouvrage : Hayley Wickenheiser, porte-drapeau du Canada à la cérémonie d’ouverture de ces jeux et détentrice de six médailles d’or et d’une d’argent aux championnats du monde de hockey, mais aussi de quatre médailles d’or olympiques à Sotchi même. Après leur vibrante médaille d’or à ces jeux, les hockeyeuses canadiennes ont d’ailleurs été une source d’inspiration pour l’équipe masculine de hockey! Ces résultats augurent des avenues porteuses d’espoirs très intéressantes pour les femmes dans le sport. Dans la troisième partie de l’ouvrage, il est question de la fixation des règles pour réorganiser le mouvement sportif. La quatrième partie concerne l’identification des problèmes et la lutte contre le statu quo. Enfin, la cinquième partie est consacrée au développement des voies et des moyens pour lutter contre la faible représentation des femmes dans les fonctions de leadership sportif. Il faut former des entraîneures, développer des modèles féminins et des icônes.

L’ouvrage présente également les effets structurants des processus sociaux sexués qui traversent le monde du sport. Les auteures dévoilent les mécanismes insidieux des hommes et elles mettent à jour les idéologies et les structures sexistes qui freinent l’épanouissement des femmes. La grande richesse de cet ouvrage qui jumelle trajectoires individuelles et résultats de recherche sur les femmes dans le domaine du sport tient dans la problématisation des rapports sociaux de sexe et de genre qui y sont omniprésents. Voici ce que précise Laberge (2004 : 9) à ce sujet :

La problématique des rapports sociaux de sexe dans le domaine du sport présente bien sûr des points communs avec d’autres sphères d’activité sociales où les hommes sont dominants (en nombre et en pouvoir). Toutefois, elle s’en distingue en raison de l’histoire et de la culture propre au sport, domaine où la corporalité est omniprésente et la performance corporelle adulée.

L’ouvrage fournit un espace de parole à ces héroïnes du sport féminin qui nous éclairent sur les divers aspects des rapports hiérarchisés entre les sexes. Les textes montrent l’importance de la voix et des voies de ces femmes passionnées dans le développement du sport et de la recherche féministe d’un océan à l’autre. Sous la poussée des pensées féministes du début des années 70, des progrès notables ont été faits. Véritable outil de réflexion, de débat, de discussion, de sensibilisation et de mise au point, cet ouvrage met en relief la domination sociale sportive du genre masculin, les modes d’engagement sportifs féminins, les différentes formes de discrimination envers les femmes, les difficultés qu’elles éprouvent, les motivations qui les animent, leur combativité, leurs joies et leurs déceptions, leur solidarité/fraternité, leurs réalisations, les stratégies de survie qu’elles utilisent, leurs victoires et leurs désenchantements, les groupes de réflexion et de pression des femmes, le traitement médiatique du sport féminin, sans oublier les mécanismes qui renforcent et maintiennent les attitudes et comportements sexistes, les préjugés et autres stéréotypes d’ordre sexuel et sexiste observés sur le marché du travail sportif. Les collaboratrices perçoivent d’ailleurs ces mesures discriminatoires qui encouragent la présence des hommes aux sphères les plus élevées des structures sportives (Amboulé Abath 2009).

Les intentions à la base de cet ouvrage trouvent leur ancrage dans le legs des pionnières qui combine leur volonté de dénoncer les rapports sociaux et leur volonté de changement social dans le domaine du sport. Des changements ont été accomplis au cours des dernières décennies pour réduire voire éliminer de nombreux obstacles qui entravaient la présence des filles et des femmes sur tous les plans. Le fait de partager cette expérience exemplaire des Canadiennes, dont des Québécoises, permettra aux autres femmes partout au monde de mieux connaître et comprendre les enjeux et les défis de leur oppression dans ce conservatoire d’identités sexuées. Ce partage éveille la conscience et met en évidence les inégalités, les processus de marginalisation et d’exclusion qui nuisent aux changements sociaux. En effet, l’apport de ces créatrices, bâtisseuses, découvreuses et exploratrices est une source d’inspiration pour d’autres femmes. Une grande partie de l’ouvrage est d’ailleurs consacrée à la conceptualisation des relations de genre vécue par ces femmes, tandis que l’autre regroupe des résultats de recherches qui ont grandement contribué à l’avancement des femmes dans le domaine du sport. L’inventaire foisonnant de ces exemples inédits de contribution fait de cet ouvrage un outil indispensable pour tous ceux et celles qui suivront, et ce, d’autant plus que les textes offrent des pistes de réflexion sur des expériences vécues et fournissent une boîte à outils fort pertinente pour des recherches féministes.

Ainsi, les auteures ont fait preuve d’originalité en s’intéressant, notamment, à la contribution des principales actrices ayant marqué l’avancement des femmes dans le domaine du sport, ce qui fait de cet ouvrage un indispensable outil de référence pour le changement social. Il constitue en soi un excellent essai sur la question. C’est également un outil de mémoire pour celles qui suivront! D’un point de vue collectif, la création d’organismes ou d’associations féminines, telles l’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique (ACAFS ou Canadian Association for the Advancement of Women and Sport and Physical Activity (CAAWS)) ou encore Égale-action, a mobilisé un grand nombre de femmes. Ces groupes de pression ont contribué à une prise de conscience aiguë des rapports sociaux de sexe et de leur incidence sur les femmes dans le domaine du sport. En effet, ces organismes de résistance et d’autonomisation contre la domination sociale sportive du genre masculin permettent aux femmes de faire entendre leur voix pour défendre leurs intérêts, de créer des réseaux formels et informels favorisant des échanges et encourageant la diffusion de messages en matière d’égalité dans le mouvement sportif, et ce, dans toutes ses dimensions. Cette assertion de Margaret Mead, plusieurs fois reprise par ces pionnières, semble être le leitmotiv de leur détermination : « Never doubt that a small group of thoughtful, committed citizens can change the world. Indeed, it’s the only thing that ever has » (p. 38 et 149). (« Ne doutez jamais qu’un petit groupe de personnes conscientes et engagées ne puisse changer le monde. En fait, c’est la seule chose qui l’ait jamais changé » [traduction de G. Demers]).

L’ardeur déployée par ces femmes à l’égard de la cause de la justice sociale est aujourd’hui visible de manière incontournable sous de multiples formes dans le débat public (lutte contre les injustices de toute sorte et les différentes formes de discrimination, qu’elles soient basées sur le sexe, l’orientation sexuelle, le handicap, la race en matière de sport; lutte contre les abus de pouvoir et d’autorité, etc.) et ne peut que justifier cet engagement significatif de celles qui n’entendent plus être considérées comme de simples pions, gadgets ou alibis. L’ouvrage invite le lectorat à faire ses propres observations et à tirer ses propres conclusions, son introduction constituant en cela un excellent guide. Parsemé de photos très expressives sur les prouesses et autres exploits de femmes dans le domaine du sport, l’ouvrage propose dans sa conclusion de nouvelles perspectives pour l’échange entre féministes en vue d’apporter des changements à long terme dans le respect d’une plus grande équité entre les sexes.

Durant cette lecture stimulante, nous aurions souhaité trouver, à la suite de chaque partie de l’ouvrage, des conseils prodigués à celles qui suivront. On regrette, par exemple, le fait que certaines autobiographies bien réalisées de femmes demeurent descriptives et se limitent à les sortir de l’ombre de l’histoire, sans véritablement les réinscrire dans une approche plus générale de l’évolution du sport au Canada. Par ailleurs, on ne peut que saluer le travail accompli par les femmes qui ont contribué à ce recueil digne de mémoire de femmes fortes, courageuses et incontournables dans l’avancement du sport au Canada. En résumé, cet ouvrage collectif apporte un éclairage sur les différentes initiatives et les modes d’engagement de femmes dans l’évolution du sport au Canada. Il enrichira les réflexions des lectrices et des lecteurs, tout en les invitant à repenser la question du genre et des rapports sociaux de sexe dans le sport. Puisque l’ouvrage permet de saisir avec force l’histoire des femmes dans le domaine du sport depuis un demi-siècle, il est également d’un grand intérêt pour les spécialistes de l’histoire et principalement les historiennes féministes, ainsi que pour celles qui suivront. S’il soulève de nombreux questionnements, l’ouvrage propose également bon nombre d’avenues de recherche. Ce livre riche en enseignements devient une référence pour celles et ceux qui travaillent dans le sport. De par l’accent mis sur les expériences de femmes, il est à recommander à toute personne qui est sensibilisée aux questions d’équité et de justice sociale. En définitive, cette publication appartient au genre hybride d’ouvrages destinés à la fois aux femmes et aux hommes.