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Dans cet article, le développement des communautés (DC) sera abordé sous un angle inhabituel mettant en relief la contribution potentielle de l’intervention psychosociale, issue des CSSS, au développement des communautés territoriales. La description d’un projet d’intervention clinique territorialisée, développé dans deux quartiers désavantagés de Sherbrooke, servira de base à cette réflexion. Ce projet a été mis de l’avant par le centre affilié universitaire du CSSS-IUGS comme objet transversal de recherche des trois axes de sa programmation scientifique 2009-2012. Son approche a été réfléchie et développée dans le cadre d’un comité de coconstruction rassemblant des gestionnaires, intervenants cliniques et organisateurs communautaires de l’établissement intéressés à la thématique des liens entre l’intervention, individuelle et de groupe, et le DC. Les expériences microterritoriales d’intervention de proximité à Trieste (Bricocoli, Marchigiani, 2012) et à Québec (Roy, Charland, Joyal, 2008) ont été à ce moment-là des références majeures, tout comme les travaux de Guay et al. (2000) sur l’approche milieu. Ainsi, dès le départ, l’un des principes directeurs de ce comité était de mettre en interaction l’intervention clinique territoriale et le DC.

Le projet a été implanté dans deux quartiers défavorisés de Sherbrooke : Jardins-Fleuris et Ascot. Selon les données de Statistique Canada (2006), douze des treize aires de diffusion défavorisées de Sherbrooke sont localisées dans ces deux quartiers. De 2009 à ce jour, le projet d’intervention de quartier (IQ) a progressivement mis en oeuvre une approche d’intervention sociale globale, orientée vers la communauté, s’appuyant sur une connaissance approfondie de la population du quartier et de ses ressources, connaissance également très sensible à la diversité culturelle et aux enjeux d’inclusion sociale. L’intervention est territorialisée au sens où les intervenants sont physiquement localisés dans un appartement du quartier de façon à être visibles et accessibles. Un travail incessant de maillage entre les ressources, formelles et informelles, et les citoyens fait partie de l’action quotidienne des intervenantes, au même titre que les activités d’accompagnement de groupes et individualisé. On voit à travers cet aperçu combien ce rapport au territoire et à ses citoyens rapproche l’intervenant clinique des enjeux collectifs de développement. De fait, les interventions clinique et communautaire s’articulent entre elles dans ce projet, mais malheureusement pas autant que souhaité au point de départ. Nous discuterons de ce point dans la dernière partie de l’article. Par ailleurs, l’évaluation des résultats de cette initiative est très positive et l’idée de faire reconnaître le potentiel d’une telle initiative, en termes de contribution au développement des communautés locales, nous semble justifier amplement sa diffusion.

La mise en place de cette modalité d’intervention a notamment nécessité l’octroi de fonds, le développement d’un nouveau type de poste, la délocalisation d’une partie de l’accueil psychosocial dans les deux quartiers, deux locaux à proximité des populations visées et des mécanismes de collaborations à l’interne avec l’ensemble des programmes clientèles et les organisateurs communautaires. En outre, pour que les intervenantes de quartier puissent mettre en oeuvre toutes les facettes de cette approche d’intervention qui va bien au-delà de la prestation d’interventions individuelles et familiales, il a fallu les soustraire aux modalités de reddition de compte en usage et mettre en relief leurs accomplissements par d’autres moyens. De telles réalisations ont nécessité un suivi opérationnel attentif et une souplesse de la part de l’organisation. Ce projet d’intervention a fait l’objet d’une évaluation (Morin et al., 2011) dont les résultats ont convaincu le Comité de direction du CSSS-IUGS en janvier 2012 de transformer l’intervention de quartier en projet d’établissement. Sa réalisation et sa pérennisation constituent un succès dont les protagonistes, incluant tous les citoyens dont la confiance et la participation ont donné âme au projet, peuvent être fiers.

Les sections suivantes préciseront de manière synthétique, en ce qui a trait aux deux terrains d’interventions à l’étude (Morin et al., 2011), les quatre grandes dimensions constitutives et déterminantes des pratiques : 1) les caractéristiques des milieux d’implantation, 2) les mécanismes d’intervention, 3) les rôles et stratégies et 4) les effets perçus par les parties prenantes. La dernière partie sera consacrée à l’analyse des enjeux organisationnels et politiques ainsi qu’aux avenues favorisant davantage l’impact de l’intervention psychosociale territoriale sur le DC.

Méthodologie

Notre recherche évaluative s’inspire de Brousselle, Champagne, Contandriopoulos et Hartz (2009), spécifiquement de leur modèle de « logique de programme » développé par Chen (2005) ainsi que Pawson et Tilley (1997), modèle qui accorde une place importante aux logiques, à l’intérieur des systèmes d’actions à l’étude. Il permet de documenter le sens d’un programme grâce à la conceptualisation des liens entre les structures, les processus et les résultats – les effets – (Pawson et Tilley, 1997 : 59) et de juger si une intervention est bien implantée, c’est-à-dire si elle produit des effets cohérents avec la logique théorique, et d’autre part d’améliorer les stratégies d’intervention afin qu’elles produisent des effets optimaux (Morin et al., 2011). Les données recueillies proviennent de quatre sources différentes : l’action des intervenantes de quartier, les effets perçus des interventions par les parties prenantes, le contexte organisationnel et les mécanismes clinico-administratifs, et enfin les données de l’Observatoire estrien en développement des communautés (OEDC).

L’action des intervenants de quartier a été extraite de deux entrevues avec chacune des intervenantes de quartier, l’analyse thématique de leurs journaux de bord (rédigés de juillet 2008 à janvier 2011) et deux journées d’observation des intervenantes en action. Pour avoir accès aux effets perçus des interventions, des entrevues ont été réalisées auprès des personnes suivantes : deux intervenants de l’équipe en santé mentale, quatre personnes usagères dont deux issues des communautés culturelles, deux personnes bénévoles et cinq organisateurs communautaires. Nous avons aussi réalisé deux entretiens de groupe auprès des gestionnaires des organisations partenaires des quartiers, ainsi qu’un questionnaire téléphonique auprès de cinq collaborateurs internes. Le contexte organisationnel et les mécanismes clinico-administratifs (mécanismes de coordination, de communication, de prise de décision, de support clinique, de tenue de dossier, etc.) ont été décrits sur la base d’un entretien de groupe auprès de gestionnaires de l’établissement et de l’analyse des divers documents administratifs produits au cours des dernières années en lien avec le projet. Les données recueillies par l’OEDC sur la base des données de Statistique Canada (2006) relativement aux quartiers d’intervention, croisées avec les savoirs d’expérience des acteurs, ont permis de décrire les caractéristiques des milieux.

Caractéristiques des quartiers

Le quartier d’Ascot compte 11 273 habitants (OEDC, 2010a; OEDC, 2010b). La proportion de personnes immigrantes que l’on compte dans ce quartier (21,3%) est nettement supérieure à l’échelle provinciale (11,5%) et il s’agit du quartier où l’on compte le plus de personnes immigrantes en Estrie (1er rang sur 66), selon le Tableau de bord des communautés de l’Estrie (TBCE). On remarque également plusieurs « immigrants récents », soit des personnes arrivées durant la dernière décennie, principalement des réfugiés. La pauvreté s’observe à différents niveaux dans le quartier : a) une moyenne de revenu nettement inférieure; b) un taux élevé de familles monoparentales, les femmes étant à la tête de plus des trois quarts de ces familles (82%); c) un nombre élevé de prestataires de l’aide sociale; et d) plusieurs personnes sans diplôme d’études secondaires. Toutefois, le quartier est doté de nombreux organismes communautaires qui permettent aux citoyens de répondre à certains besoins spécifiques ou d’élargir leur réseau social. Ces organismes sont regroupés dans « Ascot en santé », qui agit comme un vecteur dynamique de développement de la communauté.

Le quartier Jardins-Fleuris compte quant à lui 10 010 habitants (OEDC, 2010a; OEDC, 2010b). Il compte la plus grande proportion de personnes âgées de plus de 15 ans dont le revenu total provient de transferts gouvernementaux (27,6%), le double de la moyenne provinciale. Une de ses particularités a trait aux nombreuses initiatives de logement social qui s’y sont développées. On observe en effet plus de cinq cents logements sociaux répartis parmi trois coopératives d’habitation (152 logements), un organisme à but non lucratif (OBNL) d’habitation (125 logements) et sept complexes d’habitations à loyer modique (HLM) (243 logements). Plusieurs ressources communautaires sont actives dans le quartier, afin d’offrir des activités de loisirs aux citoyens ou encore d’offrir un soutien plus spécialisé à différents groupes populationnels. Depuis 1991, une table de concertation – Table École Parc Église (ÉPÉ) – regroupe une vingtaine de représentants d’organismes et de citoyens du quartier. L’amélioration des conditions de vie des citoyens du quartier est son objectif principal.

Mécanismes d’intervention

Les données nous ont permis de dégager cinq orientations qui caractérisent le modèle logique opérationnel de l’intervention dans les deux quartiers : tenir compte des particularités des personnes et des milieux, agir dans la proximité, intervenir de façon proactive, créer du lien et réguler l’intervention de façon continue. Ces orientations colorent les rôles des intervenantes, leurs stratégies d’intervention et l’ensemble de leurs activités.

Tout d’abord, l’intervention dans les quartiers s’appuie sur une connaissance approfondie de ces milieux de vie. Les intervenantes sont sensibles aux facteurs sociaux, religieux, culturels et économiques locaux qui affectent les conditions de vie des résidents. De même, elles ont une connaissance des ressources du milieu qui se peaufine au fil des liens de collaboration qu’elles construisent avec ces dernières. Deuxièmement, elles interviennent dans la proximité, soit au local de quartier, à domicile ou encore dans le cadre d’une activité partagée dans un espace informel (fêtes de quartier, activités de marche, canotage avec les hommes de la communauté bhoutanaise, etc.). Troisièmement, leurs interventions sont proactives autant que possible. Leur visibilité, accessibilité et disponibilité, de même que les liens de proximité significatifs développés avec les résidents et les ressources permettent d’intervenir plus précocement, avant que des situations ne s’aggravent. Selon les intervenantes, il s’agit « d’aller vers les gens, s’intéresser aux gens, prendre des nouvelles, faire des contacts, entretenir des relations afin de maintenir le lien vivant et continuer à s’intéresser aux personnes même quand cela va bien ». « C’est d’être en lien avec les leaders du milieu qui eux vont te signaler des difficultés ». On est alors à même de faire une différence auprès d’une clientèle méfiante ou une clientèle qui pourrait avoir tendance à s’isoler en situation difficile. Quatrièmement, le souci de créer du lien se décline de mille façons. Il s’agit de développer et d’entretenir des relations entre les citoyens et avec les acteurs qui interviennent dans ces milieux, autant les acteurs du CSSS que les partenaires institutionnels et communautaires du quartier. Enfin, l’intervention est régulée de manière continue grâce à des mécanismes permettant de coconstruire les interventions, de répartir les rôles, d’assurer la communication et ce, dans des situations de crise parfois fort complexes.

Rôles et stratégies

Nous avons identifié quatre principaux rôles tenus par les intervenantes qui se sont déployés différemment dans les quartiers en fonction de la diversité des ressources, des compétences mobilisables, ainsi que des particularités culturelles et spatiales de chacun, et selon un rythme qui leur est propre. Il s’agit de l’accueil psychosocial, de la mise en réseau des résidents, du développement d’une communauté d’intervention et de l’action sur les déterminants sociaux de la santé.

L’accueil psychosocial est au coeur des activités des intervenantes. Celles-ci procèdent rapidement à l’évaluation des demandes, parfois même sans rendez-vous. Elles s’efforcent de permettre aux personnes de résoudre leurs difficultés par une brève intervention, entre autres, avec la collaboration des ressources formelles et informelles de la communauté. Lorsque la situation requiert une aide plus spécialisée, elles se tournent alors directement vers les programmes appropriés du CSSS-IUGS, sans pour autant couper les liens déjà établis entre la personne et le local de quartier, étant donné que celui-ci est souvent vécu comme un lieu d’appartenance significatif. Dans plusieurs cas d’ailleurs, c’est grâce à la participation préalable à des activités ou à des interventions de groupe au local qui permettent dans un premier temps d’établir un lien de confiance avec l’intervenante, que des citoyens s’adressent ensuite à celle-ci pour des besoins individuels. Une tournée des immeubles à logements a été faite pour sensibiliser les propriétaires et les concierges à la présence de services psychosociaux à proximité, à l’importance d’y diriger les personnes ayant besoin d’aide et pour obtenir leur permission d’afficher la publicité du local de quartier sur les portes des immeubles. Cette publicité qui a une visibilité certaine présente une description simple des services qu’on peut y recevoir et, en même temps, vise à réduire la méfiance et la peur envers les services sociaux (Warin, 2011).

De nombreuses stratégies sont utilisées pour mettre les résidents en réseau, ce qui correspond au deuxième rôle des intervenantes. Il s’agit du jumelage, de l’organisation d’activités (ex. : artisanat, jardinage, apprentissage du français, informations sur l’offre d’emplois locaux), de participation aux activités de voisinage (ex. : fêtes de quartier) et d’une diversité d’interventions de groupe. Le troisième rôle des intervenantes est le développement d’une communauté d’intervention englobant les ressources informelles et formelles.

Pour l’instant, la mobilisation de ressources informelles concerne particulièrement les concierges. Mais d’autres personnes pivots ont joué un rôle significatif et complémentaire à celui des intervenantes dans leur communauté, surtout chez les groupes de réfugiés. Celles-ci sont également au centre d’un réseau diversifié de collaborations entre les ressources. Ce réseau met de l’avant les liaisons et le soutien clinique auprès de partenaires du milieu ainsi que les liaisons auprès des intervenants des équipes programmes-clientèles du CSSS-IUGS.

Le quatrième rôle, moins investi que les précédents pour le moment, consiste à agir sur les déterminants sociaux de la santé. Le local de quartier et les activités qui s’y déroulent, ou auxquelles il collabore, enrichit la communauté locale d’une ressource utile pour l’ensemble de ses membres et contribue notamment à l’amélioration des réseaux locaux d’entraide et des relations entre les ressources de la communauté.

Les résultats

Nous avons constaté six effets récurrents transversaux touchant les deux quartiers et qui font l’unanimité parmi les personnes interrogées : 1) réduction de l’isolement des personnes, 2) meilleure information sur les ressources et les droits, 3) accès aux ressources communautaires et institutionnelles, 4) création de réseaux dans le quartier, 5) amélioration du climat de confiance et 6) soutien à la participation sociale. Ces effets convergent en un ensemble de résultats qui ont pour effet d’améliorer la situation des personnes et des milieux concernés.

Effets sur les personnes et les groupes

Un effet manifeste est celui qui témoigne de l’action sur la qualité de vie des personnes en général. Il s’agit de réduire l’isolement en favorisant l’implication et la participation des personnes et en les reliant entre elles. On a contribué aussi à construire un climat de confiance et de solidarité basé sur les rencontres formelles et informelles des personnes à diverses activités organisées ou soutenues par le projet (cuisine collective, groupe de marche, groupe de femmes africaines). La transmission d’informations contribue également à la qualité de vie; elle est au coeur de la plupart des démarches soutenues par les intervenants. Ceci permet de connaître les ressources communautaires et institutionnelles, de diriger les gens aux ressources adaptées à leurs besoins et en favorise l’accès. La défense des droits représente une autre contribution (droit aux services de santé, assurance-maladie, aide sociale, etc.) particulièrement auprès des personnes immigrantes nouvellement arrivées, des réfugiés et des personnes itinérantes. Le projet se distingue ainsi par son action concrète, immédiate sur les situations précaires ou préoccupantes (trouver un logement, aider à trouver un professionnel de la santé ou en intervention psychosociale, trouver une garderie, etc.).

L’intervenante m’a donné plein de conseils, elle m’a référée à des organismes et en plus j’ai eu le bonheur de rencontrer la Soupe du quartier qui se fait au CLSC et maintenant, je fais partie du comité, et je fais du bénévolat, ce qui m’a permis aussi de rencontrer le Réseau d’appui aux familles monoparentales et recomposées de l’Estrie (RAME) qui est juste à côté. L’intervenante m’a fait rencontrer un organisme qui pouvait m’offrir une halte-garderie, ce qui m’a facilité la tâche

usagère quartier Jardins-Fleuris

Cet extrait illustre l’enchaînement vertueux d’une première intervention qui s’est finalement prolongée bien au-delà des attentes probables de l’usagère. Ce premier contact l’a reliée à tout un réseau de services qui lui a fourni de l’aide concrète et dans lequel elle a pu prendre place et s’impliquer, devenant à son tour une ressource pour le quartier.

On constate que l’intervention de quartier constitue un contexte extrêmement propice à la mise en place de groupes diversifiés, bien ancrés dans la communauté. Ainsi, les « Ladys de la cocina » d’Ascot est un groupe fermé alliant un volet éducatif et un volet de soutien, dont le contenu a été développé à partir des besoins énoncés par les participantes lors de la première rencontre. La Soupière propose un repas santé hebdomadaire accessible à tous les résidents du territoire de Jardins-Fleuris et favorise la socialisation et l’entraide. Également, un groupe de marche, institué pour répondre à un besoin formulé par la communauté de réfugiés bhoutanais, a pris la forme d’une activité bihebdomadaire ouverte à tous les résidents du quartier d’Ascot qui se termine par un café-rencontre permettant aux différents groupes culturels du quartier d’établir de premiers contacts. Dans ces deux derniers cas, il semble juste de considérer que ces groupes participent au développement de leur communauté respective. En effet, ils s’appuient sur un partenariat territorial et ils relient la dimension clinique et communautaire de l’intervention, tout en répondant à des besoins pour l’ensemble des résidents de la communauté en ce qui a trait à l’amélioration de la santé et la création de liens sociaux.

Effets sur les partenaires, les réseaux et le quartier

Le renforcement des liens, les collaborations et le soutien aux partenaires ont favorisé la création de comités cliniques composés des IQ, d’intervenantes du milieu et de l’organisateur communautaire. Le principal objectif de ces comités est de développer une communauté de pratique en s’apportant du soutien clinique, mais l’idée de contribuer davantage à l’amélioration des conditions de vie des résidents du quartier est aussi un objectif important. Le développement d’un meilleur climat social, souvent nommé « climat de confiance », le déploiement d’une dynamique nouvelle et positive dans les quartiers et l’essor d’une « communauté d’intervention » constituent les principaux résultats observés en ce qui a trait aux réseaux et aux quartiers. Plusieurs personnes interviewées ont mentionné avoir observé une amélioration du climat dans les quartiers Ascot et Jardins-Fleuris. On souligne à plusieurs reprises une meilleure dynamique sociale liée au sentiment de sécurité éprouvé. L’exemple de la participation de policiers à certaines activités a fait en sorte de mieux comprendre leur rôle et de les considérer davantage comme des acteurs positifs dans le quartier. À l’inverse, cela a permis aux policiers de mieux connaître quelques résidents et de percevoir les quartiers sous un autre angle.

Effets sur le système de santé et les déterminants sociaux de la santé

Joindre des personnes qui ne viendraient pas d’elles-mêmes demander des soins de santé ou une intervention psychosociale (sauf en cas d’urgence), éviter l’aggravation d’une condition, atténuer une situation de crise et réduire la méfiance envers le système de santé et les services sociaux résument les propos des personnes interrogées. L’intervenante de quartier clarifie les besoins, informe et oriente vers les ressources, tant communautaires qu’institutionnelles. Quatre déterminants sociaux de la santé sont plus particulièrement concernés par ces actions : 1) soutien social, 2) accès au logement, 3) sécurité alimentaire et 4) participation sociale. Les déterminants sociaux ont aussi été l’objet d’actions ciblées et concrètes par les intervenantes de quartier. L’aide dans la recherche de logements plus convenables, salubres et convenant par exemple à une famille avec plusieurs enfants, constitue une action significative s’appuyant sur des liens développés avec des propriétaires d’édifices à logements. La Soupière, qui agit directement sur la sécurité alimentaire, porte aussi ses fruits à l’égard des deux autres déterminants sociaux que sont le soutien social et la participation sociale.

Enjeux organisationnels et politiques du déploiement du projet

Ce projet peut être vu comme un moyen par lequel le CSSS-IUGS assume sa responsabilité populationnelle. Il contribue à rejoindre les citoyens qui utilisent moins ou pas du tout les services sociaux, malgré les situations précaires dans lesquelles ils se trouvent. Les intervenantes ont à coeur d’accroître l’accessibilité et la continuité des services, mais plus encore, la pertinence des services aux yeux mêmes des personnes qui y participent, entre autres par une réduction visible de la distance sociale, ce à quoi contribue le caractère accueillant et informel du local de quartier. Sous cet angle, cette intervention sociale territoriale s’inscrit dans une logique de santé publique.

Sur le plan organisationnel, ce dispositif d’intervention n’a pu se consolider sans la présence de mécanismes clinico-administratifs qui modulent les collaborations entre l’ensemble des partenaires. Cependant, la sensibilisation et l’appui concret au projet de la part des gestionnaires et des intervenants à l’interne doivent s’intensifier. D’une part, le système de reddition de comptes, le contexte général de surcharge, tant des intervenants que des organisateurs communautaires, ne sont pas favorables au déploiement de ces collaborations avec l’IQ. D’autre part, certains intervenants cliniques n’ont pas le « réflexe communautaire », connaissent peu les ressources du milieu et n’interviennent pas hors du cadre de leur bureau. À cet égard, la nouvelle planification stratégique du CSSS-IUGS 2012-2015, adoptée en novembre 2012, pourrait répondre à ces enjeux puisqu’elle appuie la poursuite du développement de l’intervention de quartier en favorisant l’intégration des services de la mission CLSC et le développement des communautés dans les quartiers d’Ascot et de Jardins-Fleuris.

La synergie entre l’IQ et le DC

La définition de Bourque rend bien l’esprit du DC auquel nous adhérons :

[…] le développement des communautés est une forme d’action collective structurée sur un territoire donné qui, par la participation démocratique des citoyens et des acteurs sociaux, cible des enjeux collectifs reliés aux conditions et à la qualité de vie. Le sens de ce développement provient des communautés et des acteurs qui les composent

Bourque, 2008 : 56

Ce qui est souhaité, c’est que l’IQ participe aux initiatives de DC du territoire local, mais également, que l’IQ soutienne la participation citoyenne des personnes qui fréquentent le local de quartier, c’est-à-dire les personnes souvent les plus concernées par le thème des conditions et de la qualité de vie, mais qui sont aussi difficiles à mobiliser.

D’une part, la présence assidue des intervenantes dans les quartiers fait d’elles de fines observatrices des besoins et capacités de leurs résidents, et donc des informatrices de premier plan sur certains besoins et opportunités en termes de DC. Les comités cliniques de quartier, animés par les organisateurs communautaires (OC) et auxquels participent de nombreux partenaires communautaires, constituent des instances très propices à l’échange d’information et à l’élaboration de pistes d’action communautaire. Ces comités peuvent ensuite relayer ces informations aux instances de DC des quartiers (Ascot en santé et Table ÉPÉ) et assurer ainsi leur ancrage territorial. Ces comités sont en voie d’établir des orientations claires en ce sens.

D’autre part, l’IQ se caractérise aussi par la place importante qu’occupent les interventions de groupe développées en réponse aux besoins des résidents de même que par les multiples possibilités d’échanges informels autour des conditions de vie et de la vie du quartier. Ces groupes constituent des espaces de reconnaissance sociale qui renforcent l’estime de soi et la confiance en ses propres capacités et favorisent l’apprentissage d’habiletés sociales et la réappropriation de l’expérience collective des participants. En ce sens, ces expériences de groupe constituent un premier jalon dans l’apprentissage d’une citoyenneté active et une passerelle vers l’implication dans des activités reliées au DC, que ce soit la participation à des tables de concertation ou à des projets collectifs dans lesquels ils deviennent des acteurs au sein de leur communauté territoriale. Comme le souligne Dallaire :

La liaison entre ces deux modes d’intervention constituerait une dynamique alimentant le DC et soutenant l’engagement social des intervenants cliniques, entre autres en suscitant des initiatives citoyennes dans et par la communauté. Grâce à la dynamique de DC sur un territoire, les idées de projets issus de petits groupes de la communauté et collés à leurs besoins pourraient plus facilement être entendues par une instance susceptible d’en faire un projet que toute la communauté peut s’approprier

Dallaire, 2010 : 77

Dans la deuxième phase du projet, on peut faire l’hypothèse que la complémentarité entre l’intervention psychosociale territorialisée, l’action communautaire et le DC pourra se renforcer. Il est prévu en effet que d’ici l’automne 2013, des équipes territorialisées composées d’intervenants provenant de différents programmes clientèles soient déployées dans les deux quartiers, ceci ayant pour effet de libérer du temps pour les IQ afin qu’elles se consacrent davantage à l’articulation des pratiques individuelles, de groupes et de DC. Ainsi, bien que l’essentiel du travail des intervenantes soit d’ordre psychosocial, au sens large, à travers l’accompagnement des personnes, des familles et des groupes de la communauté, on voit se profiler tout un potentiel de mobilisation de ces citoyennes et citoyens à l’intérieur de projets de développement issus de la communauté.

Enjeux pour le déploiement optimal d’une synergie entre l’IQ et le DC

D’autres conditions doivent toutefois être mises en place afin que le CSSS-IUGS participe plus étroitement au développement de son territoire par l’IQ. Le premier enjeu a trait à une participation véritable des citoyens du quartier à l’élaboration des suites du projet et à leur suivi (Postle et Beresford, 2007, Warin, 2011). Lors de l’évaluation du projet par l’équipe de chercheurs, ceux-ci, une vingtaine de citoyens, ont eu la possibilité de donner leurs commentaires lors d’un forum où les résultats préliminaires avaient été présentés. Cependant, autant lors de la phase de conception que de suivi, à ce jour il n’y a pas de mécanisme permettant aux citoyens d’être en prise sur le projet. Tout est donc à faire et on peut penser qu’à cet égard, les organismes communautaires auront un rôle essentiel à jouer tout comme les OC et les intervenantes de quartier. Un travail collectif de clarification des objectifs de réduction des inégalités sociales par l’action sur les déterminants sociaux de la santé à court et moyen terme constitue le deuxième enjeu. Un travail important a déjà été réalisé par Ascot en santé et la Table ÉPÉ; il apparaît primordial, dans la perspective également d’une reconnaissance pleine et entière des partenaires de la communauté, dont ceux du secteur de l’emploi, de réaliser cette jonction.

Finalement, tout ceci exige une compréhension claire des paliers décisionnels en jeu dans ces objectifs et une capacité de construire des actions qui comprennent des stratégies endogènes et exogènes de façon à contribuer à l’élaboration de politiques cohérentes avec les objectifs du DC. À Sherbrooke, la Politique en développement social et communautaire (DSC) a été adoptée par le conseil municipal en 2008. Les principes directeurs mis de l’avant par la Ville pour l’élaboration de cette politique sont les suivants : la participation citoyenne, l’appropriation du pouvoir d’agir (empowerment), la créativité et l’innovation, l’accessibilité, l’inclusion et l’intégration sociale. Cette politique permet à la Ville de clarifier ses rôles dans le DSC, tantôt comme leader, tantôt comme facilitateur et tantôt comme partenaire. Un plan d’action pour mettre en oeuvre la politique est ensuite développé. On y positionne notamment le TBCE comme outil pour soutenir l’implantation de la politique de DSC, en particulier sur la question de la lutte à la pauvreté.

Plus récemment, un processus de consultation publique sur le schéma d’aménagement et de développement a débuté. Le schéma peut fortement influencer le type de développement des prochaines années. Il a été précédé d’une autre consultation publique portant sur l’« Énoncé de vision stratégique du développement culturel, économique, environnemental et social du territoire ». Celui-ci, adopté en décembre 2011, permet à la Ville de Sherbrooke de se projeter dans l’avenir afin d’en assurer le développement cohérent pour les quinze prochaines années, soit d’ici 2026. Favoriser l’innovation sociale, la participation citoyenne et la vie communautaire « devient la stratégie de mise en oeuvre par laquelle les citoyens se positionnent comme étant des acteurs indispensables pour la mise en oeuvre de la vision » (Ville de Sherbrooke, 2011 : 7). Dix orientations sont précisées dans cette stratégie, dont : promouvoir la participation des citoyens, favoriser l’interaction entre les citoyens des arrondissements et la participation de ces derniers à la vie de leur quartier et favoriser la solidarité et l’inclusion sociale. Celles-ci s’inscrivent aisément dans une perspective de DC. Cette vision stratégique de la ville pourrait, à terme, influencer les actions prises par celle-ci en DC.

Il importe également de mentionner la pertinence d’un nouveau processus de partenariat intersectoriel : l’Initiative sherbrookoise en développement des communautés consiste à créer les conditions financières, matérielles et de gouvernance permettant de soutenir l’action des concertations locales dédiées au DC en milieu urbain. Concrètement, les ressources financières permettraient alors de payer des agents de développement et de concertation pour certaines tables multisectorielles de quartier à Sherbrooke afin d’actualiser leurs plans d’action et ainsi avoir une influence sur la qualité de vie de ces quartiers. Le Service d’action communautaire du CSSS-IUGS a publié, en mai 2011, le document « Vers une Initiative sherbrookoise en développement des communautés » qui explicitait la démarche. « L’absence dans notre région de fonds consacrés au financement des concertations locales dédiées au développement des communautés en milieu urbain fragilise grandement le développement et même le maintien de ces initiatives » (Service d’action communautaire du CSSS-IUGS, 2011 : 3). À l’hiver 2012, un montage financier sur la base d’une entente de trois ans est conclu entre trois partenaires : le CSSS-IUGS, la Commission scolaire de Sherbrooke et la Ville de Sherbrooke. Ascot est le territoire pilote de l’initiative et ainsi Ascot en Santé (AES) a enfin sa première coordonnatrice à temps plein. Un enjeu essentiel pour ces nouvelles initiatives est la promotion du développement économique et l’accès à des emplois fournissant un revenu permettant de sortir de la pauvreté aux résidents des quartiers appauvris de la ville et ce, dans un contexte où la pauvreté en emploi devient une préoccupation internationale (OEDC, 2012, Ulysse, 2009.)

Conclusion

L’IQ s’avère une pratique très prometteuse, notamment par sa capacité de favoriser la participation communautaire et le soutien social. La synergie entre l’IQ et le DC est donc un objectif à rechercher, mais dont les modalités doivent cependant être précisées et renforcées. La consolidation de l’IQ dans le cadre du nouveau plan stratégique du CSSS-IUGS nous fournira de précieuses informations sur les décisions prises par l’établissement à cet égard. Toutefois, il est nécessaire de se rappeler constamment que le DC est l’affaire de toute une communauté. Même si les CSSS ont un mandat de responsabilité populationnelle permettant de soutenir les efforts de la communauté et tous ses acteurs au sein d’un leadership véritablement partagé, il n’en reste pas moins que les organismes communautaires doivent eux aussi relever le défi de l’action territorialisée pour dépasser l’intervention par secteur d’activités qui semble fortement présente à Sherbrooke.