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Introduction

Tout commence par un espoir et une vision devant un constat de problèmes structurels sur un quartier, le quartier Saint-Michel. Annexé à la Ville de Montréal en 1968, Saint-Michel a d’abord été Ville Saint-Michel. Cette ville a connu une croissance fulgurante de l’après-guerre jusqu’en 1968 (6 000 à 66 000 habitants en 20 ans!) grâce à l’immigration, à ses terrains peu coûteux et à son zonage « souple » qui accueille résidences et commerces autour de deux carrières, qui seront exploitées jusque dans les années 1980 (Fontaine et Thibault, 2008). Par la suite, scandales politiques, enquêtes et désinvestissements structurels mènent le nouveau quartier vers sa perte de vitesse et sa pauvreté. Malgré ses nombreux organismes communautaires et sa volonté de sortir de la pauvreté, les images négatives collent au quartier jusqu’au début des années 2000 : les carrières sont devenues les dépotoirs à ordures et à neige de la région métropolitaine et les gangs de rue, souvent identifiées à l’immigration antillaise et asiatique, se multiplient. En 2011, c’est près de la moitié de la population qui est immigrante. Plusieurs indicateurs sociodémographiques révèlent un quartier pauvre où les taux de chômage, de monoparentalité et de décrochage sont au-dessus de la moyenne montréalaise. Toutefois, malgré les indices de « défavorisation » économique, on note des réseaux sociaux de ressources communautaires bien organisés qui se regroupent notamment dans des tables sectorielles de concertation ainsi que dans un regroupement de forces vives tenant lieu de table multisectorielle, « Vivre Saint-Michel en santé », fondée en 1992 (CSSS, 2008; VSMS 2012).

La vision définie dans la démarche de consultation des années 2003-2005 s’appuie sur un modèle de développement local intégré qui s’inspire de plusieurs approches apparentées dans un quartier qui n’a d’un quartier que le nom. En effet, c’est un territoire qui est le fruit d’un urbanisme anarchique au gré des années et des exigences de la ville centre, tels les dépotoirs et le Complexe environnemental de Saint-Michel.

Cet article tente de décrire comment la participation/mobilisation citoyenne constitue une stratégie privilégiée dans une approche de revitalisation urbaine intégrée (RUI) qui vise ultimement la réduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale, en favorisant un sentiment d’appartenance et l’appropriation d’une vision commune.

Nous aborderons d’abord, dans une première partie, la vision de revitalisation que s’est donnée le quartier Saint-Michel par le biais d’un plan d’action comportant deux grandes stratégies transversales : la concertation et l’empowerment (VSMS, 2007).

Nous décrirons ensuite la stratégie d’empowerment et plus particulièrement les composantes de la démarche de participation citoyenne ainsi que quelques leçons qui contribuent à développer un sentiment d’appartenance et une prise en main du développement par les résidents. Le cadre d’interprétation de cette démarche sera l’empowerment, individuel, organisationnel et communautaire, qui permettra de jauger l’évolution de la démarche de participation citoyenne et de l’appropriation du développement du territoire.

Dans une troisième partie, nous regarderons brièvement les notions de territoire administratif et de territoire vécu, et les perceptions différentes qui peuvent s’opposer. Au-delà du défi de la mobilisation citoyenne se trouve l’enjeu d’un territoire administratif défini par les paliers supérieurs de gouvernement. La démarche de participation citoyenne souhaite développer un sentiment d’appartenance et d’appropriation pour en faire un quartier qui partage des visions et des intérêts communs, un « territoire vécu » (Boisvert, 2007). La démarche de participation citoyenne fait ressortir les définitions différentes de territoire, et donc des enjeux pour l’intervention sociale territoriale : celle-ci doit s’ajuster aux perceptions citoyennes afin de devenir un véritable levier social, économique, culturel et politique. Ces liens soulèvent les enjeux de l’intervention territoriale et de la revitalisation intégrée, notamment la place des citoyens et la démocratie.

Ce récit de pratique est fondé sur les écrits internes de VSMS, mais surtout sur des observations des activités de participation citoyenne et des instances démocratiques de concertation, y compris les périodes de questions et interventions aux conseils d’arrondissement et de ville. Les « leçons » sont alimentées par les six groupes de discussion avec des citoyens en 2009-2010, et un autre en 2012, ainsi qu’une réflexion/évaluation menée par les intervenants communautaires et institutionnels de la table de participation citoyenne en 2012, incluant des élus locaux.

Un plan de revitalisation urbaine intégrée (RUI)

La RUI : de quoi parle-t-on?

La revitalisation urbaine intégrée (RUI) est une appellation qui apparaît au début des années 2000 dans le paysage québécois.

La revitalisation urbaine intégrée (RUI) est une approche territoriale basée sur la concertation des intervenants, l’action intersectorielle et la participation de la population. Par sa volonté d’agir sur toutes les dimensions d’un quartier, en adoptant un mode de gestion et d’organisation intégré, la RUI se présente comme la stratégie la plus efficace pour lutter contre la pauvreté concentrée

Divay et al, 2010 : ix

L’objectif d’empowerment est fortement souligné, à la fois comme renforcement de la capacité des individus (surtout des pauvres) de prendre en main leur propre destinée, et comme développement d’une capacité d’action collective autonome au niveau microlocal […]

Séguin et Divay, 2004 : 71

L’approche favorise une action collective qui devrait être multisectorielle (logement, sécurité, culture, emploi, etc.), multiniveaux, des paliers de gouvernement, multiéchelles, au niveau des territoires, tant de voisinage que de ville et arrondissement et multipartenaires, impliquant organismes communautaires, institutions publiques, entreprises et citoyens.

La mise en oeuvre de cette démarche remonte à 2003, à l’occasion d’un projet pilote mené dans trois secteurs de la ville de Montréal. Toutefois, elle s’apparente à plusieurs approches de développement communautaire qui visent à réduire les inégalités et la pauvreté. La complexité des problèmes sociaux est devenue telle qu’on ne peut plus intervenir en « silo »; on doit travailler ensemble. Les concertations intersectorielles et les partenariats atteindront leur vitesse de croisière dans les années 1990. On pense aux nombreuses approches développées par divers ministères : l’approche territoriale intégrée (ATI) du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale est au coeur de sa Stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale; l’approche de développement des communautés du ministère de la Santé et des Services sociaux vise à lutter contre les inégalités sociales en santé; l’approche de l’« école et milieu en santé » du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport situe l’école comme un pôle d’action communautaire intégré dans son quartier; le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC), par le biais des projets d’aide à la diversité (PAD), permet de financer la participation citoyenne.

Enfin, l’approche des « Villes et villages en santé » (Regroupement québécois de villes et villages en santé) donne naissance à Vivre Saint-Michel en santé (VSMS) en 1992. On aborde alors la pauvreté et l’exclusion sociale par le prisme de la santé et de ses déterminants sociaux (Syme, 2004). Vivre en santé implique la capacité de participer activement aux affaires de sa communauté et de la société (Raeburn et Rootman, 2006). Vivre Saint-Michel en santé est donc issu et encore soutenu par ces approches, qui tablent sur la concertation intersectorielle et sur la participation citoyenne.

Toutes ces approches favorisent la participation/mobilisation citoyenne, le développement des capacités des personnes et des communautés (empowerment) et la collaboration intersectorielle dans le but d’améliorer les conditions de vie des personnes les plus démunies et vulnérables (Ninacs, 2008). Elles privilégient le territoire local comme lieu d’intervention. Elles visent aussi une certaine « harmonisation » des politiques (Bourque, 2008), c’est-à-dire une transformation des politiques municipales, régionales, provinciales et fédérales afin de soutenir plus adéquatement le développement local et ses problèmes structurels de pauvreté. Donc, l’intervention territoriale ne se joue pas seulement sur le territoire; elle doit aussi tenir compte des paliers supérieurs de gouvernement. La revitalisation interpelle les élus et pouvoirs supérieurs, qui peuvent être des entraves ou des ressources potentielles et essentielles pour soutenir les communautés locales. Cette transformation des systèmes et des politiques publiques structurants fait d’ailleurs partie des objectifs que prônent les « Communautés dynamiques » (Tamarack Institute) auxquelles s’est joint VSMS.

Donc, pour résumer, la vision de développement et de revitalisation est celle qui met les citoyens au coeur de son intervention globale et intégrée pour agir sur les déterminants sociaux de la santé afin de réduire la pauvreté et l’exclusion sociale. Les citoyens et acteurs communautaires ont libellé leur vision du quartier en 2005 de façon plus imagée : « Saint-Michel, un quartier agréable à vivre, propice à la vie familiale et aux échanges multiculturels, une communauté active et solidaire, qui se prend en main et qui contribue à l’essor de Montréal (Adoptée au Grand Rendez-vous citoyen, 27 avril 2013, Vivre Saint-Michel en santé).

La démarche de conception de la vision et du plan de revitalisation tente de tenir compte de cette place centrale des citoyens. Dès 2003, on amorce un processus de planification stratégique qui se veut rassembleur grâce à des sondages, des forums et des comités réunissant citoyens, organismes communautaires, institutions publiques, entreprises et élus. On prépare un premier plan d’action (phase I, de 2005 à 2008) qui identifie quatre priorités : 1. l’augmentation du revenu des personnes; 2. l’accès à l’habitation de qualité et diversifiée (privé et social); 3. l’accès aux services de qualités (commerce, culture, sports et loisirs); 4. la sécurité urbaine. Les deux stratégies transversales retenues pour atteindre ces priorités sont : A) augmenter les capacités d’agir des personnes, des organismes et des partenaires; B) agir simultanément, de façon globale et intégrée, sur l’ensemble des grandes faiblesses du quartier. Une trentaine de projets et activités seront proposés pour atteindre ces objectifs. Les organismes membres de VSMS deviennent les « porteurs de dossiers » pour réaliser ces projets. Cette démarche est définie dans la théorie du changement de VSMS. (VSMS, 2007) En 2008, lors de la planification de la phase II (2009-2012), on ajoute deux priorités : la sécurité alimentaire et le transport public. Aujourd’hui, une troisième démarche s’amorce pour permettre au milieu d’établir ses priorités d’action collective pour les prochaines années (2013-2017).

Un processus de planification participatif

Cette démarche de planification stratégique se caractérise par une participation soutenue du milieu (sondages, forums, rendez-vous citoyens et comités de travail) à toutes les étapes du processus, mais a aussi la particularité d’impliquer les partenaires financiers tout au long du déroulement de la démarche. Leur participation vise à permettre une collaboration optimum entre le quartier et ces derniers pour soutenir le plus adéquatement possible le plan intégré de lutte à la pauvreté. Les partenaires sollicités ont donc accepté d’être partie intégrante et d’appuyer la démarche de planification stratégique de quartier. Ils se sont engagés à procurer expertises, ressources, conseils et avis, selon les besoins.

Vivre Saint-Michel en santé : la place des citoyens

VSMS est une table de concertation de quartier multisectorielle : ses membres sont avant tout des organismes communautaires (34), des institutions publiques (8) et, à un degré moindre, des entreprises privées (2). Les membres individuels, ou citoyens, sont encore peu nombreux (22) et leur présence est plus formalisée depuis 2010 seulement. Une première campagne de recrutement a été encouragée par la création d’un « Collège citoyen », qui se veut un espace pour s’informer, pour échanger, pour proposer et pour s’impliquer dans les instances décisionnelles. Le Collège citoyen, qui se réunit quatre fois par année, permet aussi de choisir et d’élire des représentants-citoyens aux assemblées générales et au conseil d’administration de VSMS.

La démarche de participation citoyenne de Saint-Michel

La participation citoyenne : de quoi parle-t-on?

Les pratiques de participation citoyenne ne sont pas nouvelles. Les premiers comités de citoyens des années 1960 sont les produits de l’animation sociale et de l’action communautaire contemporaine (Lavoie et Panet-Raymond, 2011). Les organismes communautaires d’aujourd’hui en sont l’expression « institutionnalisée » au profit d’une offre de services qui ne contribuent pas nécessairement aux changements structurels, malgré un discours qui se maintient à cet effet. La participation citoyenne est considérée une « nouvelle tendance » depuis les années 2000, en partie à cause de cette institutionnalisation! L’autre tendance qui sous-tend cette valorisation de la participation est la valorisation du local et de la « communauté ». À l’heure de la dévolution des pouvoirs gouvernementaux vers les niveaux les plus près de la population, la valorisation du local et de la prise en charge par les citoyens est à la mode! La démarche de Saint-Michel n’y échappe pas et s’insère dans cette tendance. Opportunité ou menace? VSMS a pris résolument le pari d’une opportunité pour sortir un quartier de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

Une première précision s’impose dans la définition même de la participation citoyenne : la participation est prise ici dans son sens de mobilisation, implication active et prise de pouvoir. Une définition théorique nous permet de distinguer certaines formes de participation citoyenne :

politique : l’exercice du pouvoir direct ou indirect de décision dans l’espace public; publique : le fait de prendre part au débat public concernant les enjeux économiques, politiques et sociaux des décisions d’ordre public;

sociale : le fait de s’impliquer dans des associations et des mouvements plus ou moins organisés qui cherchent à défendre et à faire reconnaître des droits sociaux et à agir et transformer les politiques, les structures et les normes sociales

Panet-Raymond, 2008

La participation citoyenne est donc à la fois un résultat visé et un processus. La participation est la première composante de l’empowerment (Ninacs, 2008 : 4-15). La stratégie d’empowerment valorise la place des citoyens qui sont conscients de leurs droits, de leurs responsabilités et de la possibilité de contribuer à l’amélioration de leurs milieux de vie avec l’ensemble des partenaires. L’empowerment, comme la participation citoyenne, est à la fois un résultat visé et un processus. On peut définir ce terme comme « l’autonomisation », « le pouvoir d’agir » (Le Bossé, 2004) « l’appropriation du pouvoir », mais il porte toujours sur les trois étapes de l’exercice du pouvoir, à savoir le pouvoir de « choisir, décider et agir » sur sa destinée, sur son milieu de vie (voisinage) et sur son quartier. L’empowerment prend comme point de départ que les personnes, les organisations et les communautés ont des forces et des capacités qui peuvent se mettre en action (se mobiliser) et se développer, au profit des personnes et des milieux dans lesquels ils agissent (Ninacs, 2008). Quatre éléments favorisent l’appropriation du pouvoir : la participation aux activités concrètes et aux décisions d’un groupe; le soutien de l’estime de soi et la reconnaissance des pairs; l’acquisition de compétences; et le début d’une conscience collective et critique. Les activités et les projets communautaires visent donc à favoriser le passage du JE au NOUS au ENSEMBLE, en passant par une relation d’aide individuelle, l’entraide, et l’action collective sur son milieu de vie. Le JE est le premier niveau de participation pour s’aider soi-même. Le NOUS est un début d’entraide pour s’aider avec les autres qui partage une même identité sociale, économique, culturelle ou géographique (un voisinage ou secteur de quartier). Le ENSEMBLE est le défi des concertations et de la collaboration des différents NOUS. Ce sont les tables de concertation sectorielles et de quartier qui se donnent une table de quartier commune multisectorielle et multiniveaux (VSMS).

La stratégie d’empowerment s’applique aussi bien aux organisations qu’à l’ensemble du quartier. Les organismes membres de VSMS peuvent choisir de devenir des « porteurs de dossiers » et réaliser des projets du plan de revitalisation collectif. Ils seront alors soutenus pour « choisir, décider et agir » sur leur propre destinée comme organisation et ainsi contribuer à améliorer les conditions du quartier.

Les « espaces citoyens »

Le processus opérationnel de la participation citoyenne se déroule surtout dans des « espaces citoyens » situés dans des organismes communautaires membres de VSMS et « porteurs de dossier ». Le territoire de référence est essentiellement un voisinage ou secteur du quartier qui peut regrouper de 300 à 700 ménages. Ce sont des voisinages qui sont à proximité immédiate des organismes communautaires porteurs. Ces voisinages sont choisis en fonction de leur population plus pauvre, isolée culturellement et socialement, et loin des services publics et commerciaux. Ce sont donc des « territoires vécus » (Boisvert, 2007), qui sont assez bien connus et qui ont un sens pour cette population.

Le défi de la participation citoyenne est d’amener ces citoyens à s’intéresser et participer à la vie de ce territoire vécu. Le résultat visé par cette stratégie est de transformer ces « arènes » de la vie quotidienne en « agora », ou forums d’échange et de développement, pour améliorer les conditions de vie des résidents. Individuellement, le résultat obtenu pour les résidents est aussi leur propre développement, leur estime de soi, l’acquisition de connaissance et un début de conscience collective et critique.

La démarche de participation citoyenne

Le processus ou la démarche se décline en quatre étapes qui peuvent s’étendre sur plusieurs mois et même quelques années, selon les conditions.

  1. Aller vers les citoyens là où ils sont : le démarchage de porte-à-porte dans les lieux naturels de fréquentation, tels les sorties d’école, les parcs, les commerces de proximité, les stations de métro, etc. Ces démarches visent à rejoindre et informer les résidents, mais aussi à échanger et écouter leurs besoins, leurs attentes et leurs espoirs. C’est le JE.

  2. Offrir de l’information aux citoyens pour favoriser les rencontres : café citoyen, fêtes de quartier, soirées de discussion, théâtre, cinéma, conférences, etc. L’utilisation de la culture comme moyen d’expression et de découverte de l’autre est centrale. C’est une première forme de participation, muette d’abord, qui prend la parole pour poser des questions, apporter des faits et exprimer des opinions. C’est le début du NOUS.

  3. Le soutien à la création et l’accompagnement des comités de citoyens sur un enjeu commun : de l’action locale au niveau du voisinage (un territoire « vécu ») sur des enjeux de sécurité des enfants (Les Anges de la sécurité), de logement (La coopérative les Ambassadeurs), d’aménagement et santé (Comité Météor, Vita 40, Comité d’action du Nord-Ouest), de culture (comité de programmation culturelle du parc René-Goupil, comité d’organisation du festival des Nations). Ces NOUS peuvent s’élargir par l’action collective sur des enjeux de quartier touchant les infrastructures sportives et culturelles et d’aménagement : on pense à des mobilisations et campagnes de pétitions qui visent clairement à influencer des pouvoirs politiques régionaux et provinciaux. C’est l’amorce du travail collectif, du ENSEMBLE, sur un territoire administratif, pour en faire un territoire vécu. C’est une forme de participation qui permet de s’impliquer activement sur des enjeux politiques.

  4. La formation et l’accompagnement des leaders-citoyens émergents par les « laboratoires de leadership citoyen » est une façon d’outiller des citoyens issus de toutes ces activités des espaces citoyens et de favoriser la rencontre des divers NOUS des voisinages pour en faire un véritable ENSEMBLE.

Ces étapes ne sont pas linéaires, mais s’adaptent aux réalités des différents voisinages ainsi qu’aux pratiques des différents porteurs de dossiers qui sont des organismes communautaires à vocations multiples : aide alimentaire et intégration d’immigrants, éducation populaire pour enfants, adolescents et adultes, maison de familles, organisme de soutien au développement des parents et des enfants, etc.

Quelques leçons à tirer de ces pratiques à l’aune de l’empowerment

Cette démarche est longue et parfois fastidieuse, dans la mesure où les conditions de réussite ne sont pas toujours réunies. À Saint-Michel, ces organismes porteurs, soutenus par les ressources humaines et financières de VSMS, vivent aussi des limites internes ou externes pouvant influencer le soutien qu’ils apportent à la démarche. Ainsi, si la démarche de participation citoyenne se veut durable et pérenne, son financement demeure toujours précaire et non renouvelable. Cela influe certainement sur les capacités des organismes à mener ces projets et groupes de citoyens, et ce, nonobstant leur volonté réelle d’agir. Cela dit, les conditions minimales pour réussir sont nombreuses et ont pu être réunies dans plusieurs espaces citoyens malgré un certain roulement et une précarité financière constante.

On pourrait dire que les conditions de la mobilisation en général sont des facteurs contextuel, organisationnel, professionnel et personnel ou humain.

Les facteurs contextuels

Les facteurs contextuels ou conjoncturels relèvent parfois des conditions de financement au gré de politiques ou programmes gouvernementaux, tels ceux identifiés dans la première partie. Ils relèvent aussi des politiques de bailleurs de fonds privés qui peuvent arriver au moment où il y a une volonté politique. On pense aux contrats ville dans le cadre de la Stratégie de lutte à la pauvreté, qui a permis de soutenir certains projets et infrastructures du quartier, tels les secteurs de revitalisation urbaine intégrée (RUI). Centraide, la Fondation Chagnon, la Fondation McConnell et le Tamarack Institute, qui chapeautait les « Communautés dynamiques » en 2003, sont des facteurs qui ont donné des leviers pour attaquer de front les problèmes de pauvreté du quartier. Il a fallu la rencontre de ces divers acteurs et de leurs ressources, humaines et financières, pour soutenir une démarche d’un quartier qui voulait changer. Cela dit, les engagements financiers des gouvernements et des fondations sont rarement à long terme, et la vision du chantier en 2005 est donc encore fragilisée par les engagements limités de ces acteurs financiers.

Les facteurs organisationnels

Au niveau collectif, la vision de quartier se doit d’être ancrée dans un plan d’action, lui-même bien enraciné dans les besoins et l’espoir de la population du quartier. La volonté politique de VSMS et des organismes porteurs assurent une certaine organisation structurelle des projets et des ressources humaines dans un contexte de financement précaire. Cela ne garantit pas pour autant la pérennité des espaces. VSMS a toutefois réussi à recruter un certain nombre de personnes pour soutenir les tables et les organismes porteurs avec sensibilité et compétence.

Au niveau des organismes, parmi les facteurs organisationnels favorables, on doit retrouver une appropriation et intégration de la participation citoyenne comme vision d’organisme et comme stratégie de participation et de mobilisation. En ce sens, cela suppose l’intégration des agents dans l’équipe d’intervenants des organismes. Il ressort aussi de cela que la participation et la mobilisation se développent en complémentarité avec les autres activités et services offerts pour soutenir personnellement les citoyens. Dans ce sens, la « culture d’accueil » des organismes et les passerelles entre leurs diverses activités sont importantes pour impliquer des « usagers » des services des organismes, qui deviennent des participants à des activités et des comités de citoyens. Les intervenants peuvent assurer ces passages. La culture d’accueil doit s’accompagner de la convivialité qui stimule les gens à revenir pour des raisons qui dépassent l’utile : « C’est le fun. On apprend. On a la chance de redonner » (VSMS, 2009 : 1).

Au niveau individuel, les participants soulignent l’importance de la souplesse des activités et des occasions de s’impliquer dans des activités culturelles et d’apprentissage, ou encore juste des espaces pour prendre un café et jaser avec d’autres, et se sentir utile. Cela favorise l’estime de soi et la reconnaissance des autres; des voisins inconnus deviennent des amis et des sources d’entraide.

Au-delà de l’accueil et du démarchage, les organismes sont aussi importants pour assurer des passerelles et servir de tremplin vers d’autres organismes ou d’autres lieux et formes d’implication.

Les organismes jouent aussi un rôle important pour favoriser l’implication citoyenne au niveau des enjeux touchant le quartier dans son ensemble; ils peuvent ainsi nourrir le sentiment d’appartenance au voisinage, à l’organisme et au quartier dans son ensemble, faisant du quartier un territoire qui devient objet de fierté et d’appartenance. Ainsi la participation, l’estime de soi, l’apprentissage et la conscience collective des citoyens se développent dans les contextes organisationnels des porteurs de dossiers, qui en retirent aussi beaucoup de pouvoir : comme organismes, ils stimulent la participation à la vie associative, ils participent à des instances de concertation, ils reçoivent une forme de reconnaissance qui rehausse leur estime collective et ils développent une meilleure connaissance et une meilleure implication dans les concertations. Enfin, par ces implications citoyenne et organisationnelle, le pouvoir du quartier de « choisir, décider et agir » en est augmenté.

Si ces facteurs positifs contribuant à l’empowerment sont importants, il demeure qu’ils sont dépendants de la qualité des ressources humaines.

Les facteurs professionnels

La qualité des agents de participation citoyenne ressort comme un facteur vraiment déterminant depuis le démarchage jusqu’à l’initiation et l’accompagnement des comités de citoyens y inclut le « coaching » de certains leaders émergents. Ces personnes sont d’origines diverses, culturellement et professionnellement, mais ils ont tous la souplesse requise pour accueillir sans jugement et avec ouverture, pour patiemment aller chercher, révéler et valoriser les capacités des résidents pour les développer. Ils contribuent à l’empowerment des citoyens et des organismes par l’augmentation de l’enracinement, la mobilisation et la visibilité des organismes et leur reconnaissance comme acteur communautaire.

Enfin, ces personnes-ressources sont parfois soumises à des conditions de travail difficiles et épuisantes et il s’ensuit un certain roulement et une instabilité qui nuisent à un accompagnement à long terme.

Les facteurs humains

La précarité des organismes et des intervenants professionnels est vécue encore plus difficilement par les résidents, souvent dans un processus d’immigration et d’intégration. Les personnes impliquées activement nous racontent ce qu’elles ont vécu avant, pendant et après leur implication citoyenne. Cela permet de mieux comprendre ce qui est « gagnant » pour les rejoindre, pour les impliquer activement et pour leur donner le goût de continuer à s’impliquer dans leur quartier. Elles viennent chercher un service ou une aide pour résoudre un problème individuel de survie : alimentation, logement, insécurité du voisinage, manque d’accès à des infrastructures ou services publics, manque d’emploi et accès difficile à des formations professionnelles, etc. Ces malaises sont surtout vécus individuellement, mais parfois collectivement. Le défi de la participation et surtout de la mobilisation citoyenne est d’identifier les besoins ou l’intérêt commun qui suscitent un malaise, mais aussi un espoir de solution collective qui aura des impacts individuels. Enfin, c’est de susciter l’adhésion à une action collective par un processus et une démarche où ces personnes se reconnaissent culturellement et sont valorisées tout en y voyant un espoir de résultats et une réponse à leurs attentes et leurs besoins (VSMS, 2008; VSMS, 2009).

Donc l’empowerment des personnes, des organismes et du voisinage, et éventuellement du quartier est lié à un long processus dépendant de plusieurs facteurs qui doivent idéalement être réunis. À mesure que les liens se tissent entre les espaces citoyens des voisinages par le biais d’activités communes et des instances de concertation, le pouvoir d’agir (empowerment) de toute la communauté est augmenté.

Un territoire en construction : de l’appropriation du voisinage au territoire administratif

Les territoires d’intervention peuvent-ils être significatifs par rapport aux espaces vécus par les résidants pour diverses activités (fréquentation scolaire, des services et commerces, emploi…), en second lieu par rapport aux territoires où s’organisent les associations et les groupes communautaires, et enfin en relation avec les zones de desserte des équipements collectifs et les unités spatiales significatives de décision politique : arrondissement, ville, comté ou autres?

Séguin et Divay, 2004 : 75

Le territoire vécu

La démarche de participation citoyenne mise sur le territoire vécu du voisinage pour développer un premier niveau d’appartenance, de fierté et d’enracinement.

Une communauté est un territoire vécu, car il est à l’échelle humaine, il est reconnu par les gens/résidents, élus, intervenants sociaux et communautaires, et il partage des frontières géographiques identifiées, une histoire partagée, des repères physiques et sociaux de rencontre, un certain sentiment d’appartenance, où se partagent des valeurs, des intérêts et des identités, voire un sentiment d’appartenance

Boisvert, 2008

Par certaines activités de formation, d’évaluation, et d’échange sur la vision de quartier, tels les assemblées de quartier et le Collège citoyen, on tente des rapprochements entre les différents voisinages et organismes porteurs. Pour plusieurs citoyens, c’est un grand pas et une découverte de réalités nouvelles. Cette démarche se fait dans un quartier de transition, alors qu’il existe de multiples voisinages, à caractère très distinct et avec des obstacles entre eux, tels que les axes de transports, les voies ferrées et les carrières. Le sentiment d’appartenance au quartier est plus symbolique et lié aux images médiatiques de gang de rue et de diversité culturelle. Mais les liens de réseautage et de cohésion concrets n’existent pas vraiment entre ces citoyens. Ce sont les organismes communautaires et les tables de concertation sectorielles qui assurent un minimum de réseautage à la grandeur du quartier. Le défi est de tisser cette « toile d’araignée entre les citoyens », pour reprendre les mots d’une citoyenne lors d’une assemblée de quartier. L’intervention territoriale doit donc aller vers les lieux « naturels » de rencontre et les territoires « vécus », qui sont plus souvent les voisinages. C’est là une condition importante pour favoriser l’appropriation de l’intervention et du quartier. La perception du quartier par les citoyens est celle du voisinage, bien plus que celle des institutions et des instances municipales, qui ont défini les « territoires administratifs » : quartiers, arrondissements et ville.

Le territoire administratif

Comment les paliers de gouvernement municipal, régional et provincial peuvent-ils soutenir ce début d’appropriation citoyenne et démocratique? Comment ces paliers peuvent-ils s’adapter à une démarche participative qui ne correspond pas aux cadres ni aux territoires administratifs existants? On voit encore des décisions prises par les paliers municipaux (ville centre) qui vont à l’encontre d’une tentative de vie de quartier et de territoire vécu. Par exemple, la lutte de la « Coalition NON à l’usine de compostage » est une expression citoyenne contre la volonté de la ville centre d’imposer une usine de compostage à vocation régionale dans un site qui est planifié pour devenir un parc, à côté d’une zone résidentielle. Mais ces « menaces » extérieures sont aussi des opportunités pour éveiller un sentiment d’appartenance et de fierté à l’égard d’un quartier en devenir : les citoyens se mobilisent sur une image de quartier Saint-Michel qui prend forme autour d’un enjeu local. Et en fait, cette image de quartier a des racines historiques dans l’ancienne Ville de Saint-Michel, avant les carrières et les autoroutes.

Le défi est donc de négocier cette vision citoyenne de quartier («bottom up») avec les pouvoirs politiques qui ont tendance à imposer leur vision (« top down ») qui ne répond pas toujours aux mêmes besoins. Les bailleurs de fonds publics et privés ont tendance à imposer leurs programmes et politiques aux organismes communautaires et locaux qui doivent s’adapter aux exigences administratives et financières. Ce sont donc les représentants des bailleurs de fonds, publics et privés, qui doivent s’adapter à la démarche citoyenne et aux besoins du territoire « vécu ». C’est le défi du travail ensemble, mais où l’initiative est celle de l’acteur communautaire local. De développement endogène, on peut évoluer vers un développement « négogène » (Bourque, 2008) qui porte sur un territoire administratif et vécu. Le quartier Saint-Michel est en voie de devenir un territoire vécu et significatif que des acteurs communautaires, et surtout des citoyens impliqués activement, s’approprient notamment dans la démarche de planification stratégique.

Conclusion

La démarche de participation citoyenne est certainement fructueuse par la dynamique et la mobilisation qu’elle suscite. Si elle se manifeste d’abord à un niveau du voisinage, elle peut soutenir une vision et un développement intégré d’un territoire plus grand, voire un quartier. Cela soulève le premier enjeu de l’intervention territoriale, à savoir la définition même du territoire pertinent pour favoriser une appropriation citoyenne et démocratique. Mais le processus d’appropriation est long. Il doit être soutenu par une structure de concertation, par des organismes bien enracinés et par des agents de participation/mobilisation citoyenne compétents pour assurer une pérennité et un impact durable sur le développement d’un quartier.

La démarche de planification stratégique de VSMS (2013-2017) est une aventure audacieuse et prometteuse. Elle représente un défi de démocratisation et de partage équitable des pouvoirs visant à permettre à une collectivité d’être le maître d’oeuvre de son devenir collectif.

Enfin, le défi de mesurer l’impact de tous ces efforts de revitalisation pour réduire la pauvreté et l’exclusion demeure entier et doit faire l’objet de recherches supplémentaires, qui devront tenir compte notamment de la mobilité des populations dans un quartier de transition.