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Cet ouvrage collectif offre une évaluation critique et pluridisciplinaire de l’aide étrangère canadienne, un instrument de la politique étrangère et des relations internationales du Canada. L’étude couvre la période de 2000 à 2011 et fait suite à l’ouvrage de Cranford Pratt (dir.), Canadian International Development Assistance Policies : An Appraisal (1994), et à celui de David Morrison, Aid and Ebb Tide : A History of cida and Canadian Development Assistance (1998). Comme les deux précédents, cet ouvrage dresse un excellent tableau de l’aide étrangère canadienne et de l’Agence canadienne de développement international (acdi). Il en ressort que depuis 2000 l’aide au développement connaît de profondes mutations au Canada et dans plusieurs autres pays donateurs. En effet, après une décennie de déclin, l’aide a connu une augmentation significative, de nouveaux pays donateurs, tels que le Brésil, la Chine et l’Inde, devenant des acteurs importants de l’aide internationale au développement (p. 3).

Cependant, les mutations dans la politique de l’aide canadienne sont moins tributaires des changements intervenus au niveau international que de ceux survenus au niveau national, notamment un changement de gouvernement. Si les premiers ministres libéraux Jean Chrétien et Paul Martin avaient amorcé une politique volontariste de l’aide canadienne au développement et notamment en direction de l’Afrique, le continent qui avait le plus besoin de l’assistance internationale, l’aide étrangère canadienne a subi une réévaluation majeure avec le gouvernement conservateur actuel du premier ministre Stephen Harper (p. 4). Avec Harper, les priorités de l’aide canadienne se sont déplacées géographiquement de l’Afrique vers l’Amérique latine et vers l’Afghanistan pour des raisons d’intérêts économiques et sécuritaires. Harper a clairement orienté l’aide étrangère non plus vers la réduction de la pauvreté dans les pays en développement, mais plutôt pour servir les intérêts canadiens. L’aide canadienne privilégie désormais les pays avec lesquels le Canada entretient des liens économiques importants, en particulier ceux dans lesquels les compagnies minières canadiennes investissent (p. 217). Mais cette approche n’est pas une exception canadienne. Car la plupart des pays donateurs combinent subtilement altruisme et intérêts égoïstes.

Ainsi, en l’espace de deux décennies, l’aide étrangère canadienne a connu plusieurs changements qui, selon plusieurs auteurs de cet ouvrage, ne sont guère le signe d’un dynamisme, mais plutôt l’expression d’une désorganisation tant au niveau de l’acdi qu’au niveau des politiques de l’aide étrangère en général. En effet, s’il y a un argument principal qui unifie les douze chapitres de cet ouvrage par delà son éclatement, c’est que l’aide étrangère canadienne n’a pas reposé sur une vision claire dans les dernières années, au point que c’est un pari risqué de parler d’« une politique canadienne à l’aide étrangère ». Cette absence de vision a conduit à la dispersion de l’aide (p. 90), à l’improvisation et à la désorganisation au sein de l’acdi (p. 84) ainsi qu’à l’incohérence des politiques, ce qui a eu finalement pour conséquence de réduire l’efficacité de l’aide canadienne (p. 327).

C’est donc sans surprise que le Canada a connu un déclin durant la dernière décennie quant à son positionnement au sein des pays pourvoyeurs d’aide internationale au développement, passant de sa position de donateur majeur à celui de donateur moyen. Selon le classement 2009-2010 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (ocde), le Canada occupait le quatorzième rang sur les vingt-trois principaux pays fournisseurs de l’aide internationale au développement. Quant à la qualité de l’aide fournie, en 2010 la Banque mondiale classait le Canada au 21e rang sur 28 pays, ce qui est loin d’être satisfaisant (p. 328). Ainsi, même si les auteurs ne l’avouent guère, il ne fait pas l’ombre d’un doute que cette évaluation de l’acdi et de l’aide étrangère canadienne est, en fait, une évaluation de la politique étrangère canadienne et de la position du Canada dans le monde. Les auteurs laissent entendre qu’une meilleure politique de l’aide étrangère permettrait au Canada de reconquérir son prestige d’antan parmi les donateurs majeurs sur la scène internationale.

Si l’objectif affiché dans l’introduction de l’ouvrage était d’identifier les faiblesses des politiques de l’aide étrangère canadienne afin de proposer des solutions pour y remédier (p. 11), on peut affirmer que le contrat n’a été que partiellement rempli. Car, si les auteurs ont excellé dans la critique de l’aide étrangère canadienne et de l’acdi, il reste que leur capacité de propositions n’est pas à la hauteur des attentes soulevées par leurs critiques. Cela fait de cet ouvrage plus une sorte de réquisitoire contre l’incohérence et inefficacité de l’acdi et des politiques canadiennes de l’aide qu’une « pro-lecture » qui aurait permis de se projeter dans l’avenir en tirant parti des erreurs du passé. Une autre raison de non-satisfaction est que l’aide canadienne est comparée avec celle du Royaume-Uni, de l’Irlande et des Pays-Bas. On s’attendrait davantage plutôt à une comparaison avec les États-Unis, puissant voisin sur lequel le Canada a souvent tendance à aligner sa politique étrangère.

Sur le plan méthodologique, l’ouvrage combine à la fois des approches qualitatives et quantitatives faisant appel à plusieurs méthodes d’analyse. Bien que cette diversité soit plutôt heureuse, les douze chapitres de l’ouvrage donnent parfois l’impression d’une dispersion, sinon d’un contenu assez éclaté, sort habituel de l’ouvrage collectif.

En somme, l’ouvrage fait le point sur l’aide canadienne et fait émerger des questions quant à la définition d’une « grande stratégie » de la politique canadienne de l’aide internationale. Une invitation à un débat… fructueux, espérons-le.