Corps de l’article

1. Introduction et problématique

L’intégration des oeuvres intégrales en classe de français, la considération du sujet lecteur et l’inclusion des élèves en difficulté en classe régulière constituent sans doute les principaux points de rupture épistémologique en didactique du français et de la littérature. Le travail des oeuvres longues en classe se distingue en effet de celui des extraits à plus d’un point de vue. Outre le fait que le travail sur un même roman en grand groupe est beaucoup plus complexe à gérer sur le plan matériel et en ce qui a trait à la disposition du temps de classe, à l’engagement et à l’accompagnement des élèves dans la tâche, il s’avère aussi un puissant révélateur des inégalités scolaires et des lacunes dans l’enseignement actuel de la littérature. Dans leur récent ouvrage de synthèse, Dufays, Dolz, Garcia-Debanc et Simard (2010, p. 238-239) relèvent plusieurs types de dysfonctionnement qui pourraient selon eux expliquer les problèmes qu’éprouvent de trop nombreux élèves. À commencer par les démarches d’enseignement qui parviennent rarement à travailler l’appétence et la compétence dans un seul mouvement et à bien cerner la spécificité de la lecture littéraire. Notamment, les postures de lecture savante et celles de la lecture ordinaire ne sont pas travaillées dans un mouvement de va-et-vient comme c’est pourtant le cas chez le lecteur expert. La lecture littéraire est en effet actuellement définie comme une alternance-tension entre divers modes ou postures de lecture (littérale, axiologique/affective, textuelle, critique) devant conduire à respecter à la fois les droits du texte, du lecteur et des contextes scolaire et théorique (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005 ; Reuter, 2001). Par ailleurs, l’absence de travail sur le processus de lecture lui-même conduit souvent les enseignants à évaluer la lecture sans l’avoir enseignée et à ne pas assez soutenir les élèves pendant leur lecture. Enfin, la progression des méthodes et des corpus n’est ni suffisamment organisée ni stabilisée, et encore peu pensée dans une perspective développementale.

La tendance des recherches en didactique du français de la dernière décennie semble être de passer d’une didactique de l’intervention à une didactique de l’explication, et surtout de l’explication des logiques d’action sous-jacentes aux processus d’action des enseignants. Mais pour que cette modélisation du travail enseignant soit opérationnelle, il faut déjà que l’enseignant dispose d’une théorie des conduites de l’apprenant et d’une théorie des actions nécessaires pour réaliser la tâche spécifique aux savoirs mis en jeu dans la situation didactique (Goigoux, 2002, p. 126-127). Or ces deux théories font encore grandement défaut en didactique de la littérature, ce qui expliquerait la difficulté qu’éprouvent de nombreux enseignants à interpréter et à évaluer les difficultés d’apprentissage de leurs élèves en ce domaine.

Pour témoigner de sa compétence à lire et à apprécier une oeuvre, selon notre compréhension des programmes scolaires québécois actuels, l’élève devrait parvenir, dans un même mouvement, à la comprendre, l’interpréter, y réagir, l’analyser et l’évaluer de manière personnelle, créatrice et critique, tout en étant conscient de sa démarche de lecture et du contexte. Nous estimons qu’il manque encore de telles données sur un plan développemental pour aider les enseignants à mieux comprendre comment différencier leurs gestes d’enseignement et d’évaluation selon l’âge, et comment aussi davantage tenir compte du va-et-vient nécessaire entre ces divers modes de lecture. C’est donc pour répondre à un besoin de documenter les conduites effectives de jeunes élèves lecteurs réels que nous avons entrepris une recherche empirique portant sur les indices de différenciation de la compétence Lire et apprécier des oeuvreslittéraires (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009, p. 29), et ce, dans les périodes de transition (fin primaire ; fin 1er et 2e cycle du secondaire). Nous tenterons ainsi d’illustrer comment peut différer à l’écrit et à l’oral la capacité à réagir à une oeuvre chez des élèves de trois classes qui ont eu à lire un même roman, dans le cadre circonscrit d’un même modèle et d’activités d’enseignement axées sur le développement du sujet lecteur. L’emploi du terme sujet renvoyant ici à l’importance de considérer l’expérience subjective du lecteur ; en d’autres termes :

le processus interactionnel, la relation dynamique à travers lesquels le lecteur réagit, répond et réplique aux sollicitations d’une oeuvre en puisant dans sa personnalité profonde, sa culture intime, son imaginaire. Le contenu fictionnel des oeuvres est toujours investi, transformé, singularisé par « l’activité fictionnalisante » des lecteurs

Langlade, 2007, p. 71

Précisons pour finir que cette recherche s’inscrit dans la suite de nos travaux de thèse à titre d’enseignante-chercheure, où nous avions expérimenté un modèle transactionnel et explicite d’enseignement dans deux classes de première secondaire (Hébert, 2003, 2004, 2006). Dans cette recherche-ci, que nous avons conduite seule et à titre de « nouveau chercheur », nous avions comme visée pédagogique générale de vérifier le degré de faisabilité de ce modèle en milieu défavorisé et à d’autres cycles scolaires. Mais comme il ne s’agit pas d’un objectif de recherche, nous renvoyons le lecteur à ces travaux antérieurs pour plus de détails sur les fondements théoriques du modèle et des tâches proposées aux élèves dans le contexte de notre intervention. Nous nous limiterons donc dans la prochaine partie à rappeler les fondements relatifs à la lecture littéraire, dont nous cherchons ici à mieux décrire et comparer les manifestations selon l’âge.

2. Cadre conceptuel

Dans une perspective didactique, nous rappellerons les différents modèles axés sur le lecteur et qui ont tenté de formaliser sur un plan théorique les composantes de la lecture littéraire ou de l’objet à enseigner. Du côté des habiletés du jeune élève lecteur, nous tenterons de dresser un bilan de ce que l’on sait sur un plan empirique et développemental, depuis les travaux précurseurs des Anglo-Saxons en ce domaine. Enfin, du côté des méthodes, nous ne ferons que rappeler les principes qui sous-tendent les dispositifs dits transactionnels qui sont apparus dans les classes dans la foulée de ces courants de recherche axés sur l’acte de lecture envisagé comme un acte de construction du sens par le sujet.

2.1 La lecture littéraire : définitions

De manière générale, sous l’influence des théories constructivistes piagétiennes qui insistent sur le rôle actif et structurant du sujet, l’acte de lecture est aujourd’hui défini comme un acte de compréhension, une activité de construction de sens qui dépend, selon le modèle interactif ternaire, de l’interaction entre trois grands ensembles de variables : le texte, le lecteur et le contexte (Giasson, 1990). Dans le domaine des études littéraires, de nombreuses théories de la réception ont cherché à définir l’acte de lecture en privilégiant tour à tour l’une ou l’autre de ces variables pour expliquer le rôle central du lecteur dans l’interprétation des textes. Rosenblatt (1995), grande pionnière du courant esthétique et expérientiel des théories américaines du reader-response (Beach, 1993), préfère ainsi au terme interaction celui de transaction, lequel sous-entend qu’aucune des variables en jeu n’est étanche et indépendante des autres et que, par conséquent, aucune ne peut être travaillée isolément. Le sens d’une lecture varie constamment en fonction du lecteur et de son contexte et se situe dans la relation sans cesse évolutive qui s’établit entre le lecteur et le texte. La lecture littéraire devrait donc être envisagée en classe comme un dialogue dont il faut analyser l’évolution et la transformation progressive in situ à l’aide de tâches transactionnelles. Le degré de compétence du lecteur se mesure dans ce cas à sa capacité de participer et de s’engager ; mais aussi d’être attentif à sa propre subjectivité, réceptif au déroulement et à la nature de son expérience, de même qu’à celle des autres en situation de lecture collective. Cela recoupe jusqu’à un certain point les concepts de sujet lecteur et de textes du lecteur, développés en France par Langlade et Rouxel (2004), et qui renvoient plus largement à une approche contemporaine de la littérature et de l’art qui prend plus en compte les affects du lecteur ou du spectateur que son habileté critique, la relation esthétique plus que la posture herméneutique (…) et qui accorde une place déterminante à l’activité des lecteurs dans l’actualisation et la reconfiguration des oeuvres (Mazauric, Fourtanier et Langlade, 2011, p. 20).

Selon les travaux de divers didacticiens ou sociologues de la lecture, la lecture littéraire se distinguerait par une mise en tension de plusieurs modes de lecture. Les principaux modèles (heuristique de Canvat [1999], dialectique de Dufays et al. [2005], empirique de Langer [1990] et celui de Leenhardt [1980] : voir la recension détaillée dans Hébert [2003]) retiennent en général trois ou quatre types de processus, dont lire pour comprendre et interpréter (contact initial, précadrage, modes factuel/littéral, inférentiel), lire pour le plaisir de vivre une expérience imaginaire de langage (mode identificatoire/émotionnel, fantasmatique, d’appropriation) et lire pour évaluer, critiquer un objet d’art et de culture (mode textuel, analytique, critique). Le premier souci de ceux qui ont pour tâche d’enseigner la lecture littéraire devrait donc être, selon Dufays et al. (1996, p. 100) de veiller constamment à préserver le va-et-vient et l’équilibre entre ces modes.

Cependant, même si selon Rosenblatt (1995), c’est le degré d’investissement personnel ou l’attitude du lecteur qui déterminerait avant tout la valeur esthétique du texte ou son degré de littérarité, on reconnaît tout de même que certaines caractéristiques propres au texte favoriseraient l’éclosion d’une lecture littéraire : ses dimensions polysémique, formelle, intertextuelle, imaginaire et culturelle. Plusieurs théoriciens de la poétique du texte considèrent aussi la lecture littéraire davantage comme une activité de production d’un discours. De ce fait, on parle davantage d’une compétence littéraire (en termes de retour sur le texte, de volonté de l’interroger et de capacité à le commenter) qui exige non seulement du lecteur qu’il effectue un constant va-et-vient entre les divers modes de lecture, mais qu’il sache aussi selon les différents contextes élaborer et légitimer ses interprétations par une démonstration rigoureuse à l’écrit ou à l’oral (Daunay 1999 ; Jouve, 2001).

2.2 Les stades de réaction de l’élève sujet lecteur : perspective empirique

Du côté des recherches visant à modéliser l’acte de lecture littéraire des jeunes lecteurs sur un plan plus empirique, la recherche de Thomson (1987), conduite sur une période de six ans et à partir de questionnaires et d’entrevues d’adolescents australiens de 13 à 16 ans, révèle que la plupart des adolescents resteraient au niveau des trois premiers stades identifiés, soit 1) le stade dit impulsif ou irréfléchi, centré sur l’action et les personnages stéréotypés ; 2) le stade de l’empathie, qui dénote un intérêt plus grand pour comprendre la motivation des personnages ; et 3) le stade de l’analogie avec soi-même. Dans une même perspective développementale, Beach et Wendler (1987) ont montré que les capacités d’interprétation des jeunes lecteurs évoluent avec l’âge et avec leur capacité graduelle à adopter un point de vue extérieur au leur, à se dégager de leur égocentrisme. Leurs difficultés à parvenir aux stades d’interprétation et d’évaluation seraient en partie attribuables à une question de maturation dans leur développement intellectuel et moral de même qu’à des pratiques scolaires inadéquates.

Applebee (1978) a dégagé quatre types ou stades de réponses aux textes littéraires qui varient en fonction de l’âge : 1) le stade littéral montre que l’enfant n’établit pas encore de différences entre son expérience personnelle immédiate et l’objet littéraire (ex. : J’aime ce roman parce que c’est bon) et qu’il a besoin de beaucoup résumer pour recréer l’action ; 2) les réponses de type catégorique montrent une capacité d’identifier certaines catégories littéraires (ex. : C’est un roman d’aventure qui est excitant) ; 3) celles de nature analytique révèlent une capacité d’analyser le texte en tant qu’objet ; et 4) celles qualifiées de généralisations dénotent une volonté de comprendre le monde à travers l’oeuvre. Applebee (1978) a d’ailleurs émis l’hypothèse que ces différences observées chez des lecteurs âgés de 6 à 17 ans pourraient s’expliquer en fonction des stades piagétiens. En effet, Analyser et généraliser exigent la construction de structures alternatives, d’aller derrière les facteurs présents dans l’oeuvre. Une capacité d’extrapoler, typique du stade formel de Piaget (1970, p. 110). Les résultats de l’étude de Galda (1990), qui a tenté d’évaluer ces mêmes types de réponses (avec des élèves bons lecteurs allant de la 4e à la 8e année), mais en fonction du genre de roman, ont confirmé ceux d’Applebee (1978). Notamment, plus les élèves vieillissent, plus leur intérêt pour la psychologie des personnages augmente comparé à l’intérêt pour l’intrigue qui caractériserait les plus jeunes. Le genre de romans influencerait aussi le type de réponses. Les romans fantaisistes et de science-fiction, considérés comme plus difficiles sur un plan métaphorique, ont entraîné plus de réponses de type catégorique, alors que les romans réalistes ont suscité plus de réponses de type analytique.

Enfin, dans son étude phare réalisée en 1964, Squire remarque aussi que les lecteurs qui s’investissent sur un plan émotionnel pendant qu’ils lisent un récit ont aussi tendance à en analyser davantage les qualités littéraires que ceux qui ne s’engagent pas (1964, p. 35, traduction libre). Ce serait ainsi une erreur d’opposer ces deux types d’attitude. Après avoir analysé le verbatim d’adolescents très bons lecteurs (de 10e et 11e année), Squire a identifié pour sa part six catégories de réponses : résumés ; réponses associatives ; engagement et identification personnelle ; jugements prescriptifs ; réponses interprétatives (interpréter le sens, les actions des personnages, les thèmes et visualiser) ; et jugements littéraires (comme évaluer l’oeuvre). Ce sont les réponses interprétatives qui ont dominé, mais les élèves moins bons lecteurs, ou de niveaux économiques plus faibles, ont fourni plus de réponses de type résumé.

Il ne date donc pas d’hier que l’on essaie de dégager des indices de progression en lecture littéraire, le problème étant plutôt de voir comment faire en sorte qu’ils soient davantage considérés dans les actes de planification, d’enseignement et d’évaluation en classe. C’est pourquoi nous avons modestement tenté ici d’observer comment pourraient se traduire ces indices en classe, et ce, dans le cadre d’une même lecture et de mêmes activités transactionnelles vécues par des groupes d’âges différents.

2.3 Des dispositifs favorisant la lecture littéraire : bref rappel

Le travail en intégration des aspects socioaffectifs, éthiques, esthétiques et cognitifs que permet la lecture littéraire en classe pourrait donc en faire un outil de transformation psychologique et sociale, un outil socioculturel de premier plan pour pouvoir développer l’identité du jeune lecteur et son rapport au monde. Cependant, nous devons encore, à titre de didacticien de la littérature, chercher comment mettre en place lesconditions non élitistes d’une expérience esthétique et d’un engagement subjectif dans l’écriture et dans la lecture, pour reprendre les propos de Nonnon (2008, p. 94). En effet, le discours de révérence face au texte littéraire, ou encore cette instauration en norme d’un investissement personnel et d’un plaisir face aux textes, ne rendent pas claires pour autant les règles du contrat didactique lié aux tâches d’appréciation des oeuvres longues en classe. Les nombreux attendus implicites des enseignants quand il s’agit de faire commenter ou critiquer les oeuvres contribuent souvent à exclure du jeu les élèves en difficulté, comme le souligne aussi Bautier (2002).

Selon les théories socioculturelles de l’apprentissage, l’acquisition des outils culturels ou de ces habiletés de lecture dites de haut niveau, sur lesquels repose en grande partie la lecture littéraire, se ferait par imitation et intériorisation progressive grâce à la verbalisation, au modelage des pairs et aussi à la médiation artistique (Vigotsky, 1985). Ainsi, depuis les années 1980, ces postulats ajoutés à ceux du courant anglo-saxon du reader-response (Rosenblatt, 1995) se sont traduits dans les classes de littérature par l’usage du journal de lecture et des cercles littéraires, que l’on peut associer aujourd’hui au courant de l’écrit et de l’oral réflexifs parce qu’ils facilitent la verbalisation et la réflexion de l’élève sur ses processus et stratégies d’apprentissage (Hébert, 2003, 2007). Dans le cas des élèves en difficulté par exemple, les cercles littéraires sont jugés parmi les pratiques d’enseignement très efficaces. Le modelage des pairs leur rendrait le processus de lecture plus transparent, ils y développeraient une vision plus positive d’eux-mêmes en tant que lecteurs et aussi un sentiment plus grand d’autonomie et d’appartenance (Blum, Lipsett et Yocom, 2002). Cependant, les enseignants manifestent certaines résistances face à l’utilisation de ces dispositifs décentralisés et dialogiques, surtout au secondaire. En parallèle, la recherche en psychologie cognitive conclut que la lecture est une démarche stratégique et qu’il faut enseigner aux lecteurs des moyens favorisant une grande flexibilité pour lire et comprendre tous les genres de textes qu’ils rencontreront. Surtout, en l’absence de connaissances adéquates du domaine étudié, les stratégies que possède un individu constituent une variable fondamentale du processus d’apprentissage et deviennent la ressource privilégiée du lecteur pour réussir sa tâche (Deschênes, 1988).

Afin de réunir ces diverses perspectives théoriques (littéraire, cognitive et socioculturelle) sur l’acte de lecture et l’apprentissage, Brown, Pressley, Van Meter et Schuder (1995) ont proposé pour le début du primaire un modèle d’enseignement transactionnel (Transactional strategy instruction). Il s’agit de travailler les actes de lire, commenter et discuter en intégration, à l’aide de différentes phases d’enseignement (explicite pour les stratégies de lecture et notions textuelles ; différenciée pour l’écriture d’un journal et collaborative pour les échanges) (Hébert, 2006). Nous avons tenté dans nos travaux de thèse d’adapter ce modèle au secondaire et en contexte francophone (2003). Notre expérimentation s’est déroulée, à titre de professeure-chercheure, avec un échantillon de quatre équipes d’élèves (n = 20) issus de deux classes de première secondaire (une enrichie, une régulière) dans le contexte favorisé d’une école privée montréalaise.

Nos résultats, qui portaient sur le roman Vendredi ou la vie sauvage de Tournier (1971), ont révélé que dans les huit cercles littéraires analysés, le mode de lecture littéral est le plus employé (44 %) comparé aux trois autres modes (personnel, 24 % ; textuel, 17 % et critique, 15 %) et que la stratégie S’identifier, juger moralement a été la plus utilisée. Sur le plan de l’élaboration de la pensée, c’est dans les modes de lecture axiologique/personnel et textuel que les élèves ont le mieux élaboré leurs propos, ce qui rejoint un peu les résultats de Squire (1964) déjà cités. Quant aux modes de collaboration dans les cercles littéraires autogérés, la proportion d’interventions visant à Fournir des rétroactions ou à Gérer la tâche (48 %) est à peu près aussi importante dans les échanges que celle visant à Articuler et à Développer le sujet (42 %). Notamment, on a pu observer que les élèves dits réguliers (moyens et faibles lecteurs) approuvent davantage leurs pairs que les élèves meilleurs lecteurs et qu’ils font moins d’interventions visant à aider un pair. Dans les épisodes de discussion jugés excellents, les élèves plus forts semblent aussi adopter une modalité de co-élaboration du sens plutôt divergente.

2.4 Questions de recherche

Une fois ces conditions d’enseignement mises en place pour libérer et soutenir la parole du jeune lecteur en contexte de classe authentique, ce qui est déjà beaucoup, qu’en est-il des différences à prévoir en fonction de l’âge des élèves ? À quel point des élèves de primaire et de secondaire réagissent-ils différemment à une même oeuvre littéraire lue en classe sans intervention aucune de l’enseignant ? Qu’est-ce qui pourrait ainsi différer dans les contenus de leurs journaux et cercles de lecture en ce qui a trait aux modes de lecture adoptés et aux types de sujets commentés ? Leur façon de discuter entre pairs est-elle différente en fonction de l’âge ? Ce sont là les questions spécifiques auxquelles nous avons voulu répondre.

3. Méthodologie

Le principal objectif de cette recherche exploratoire est d’observer quels indices de différenciation de la compétence littéraire peuvent se manifester à l’intérieur d’une même situation de classe (même roman et même modèle d’enseignement). Pour ce faire, nous avons tenté d’évaluer et de comparer la capacité de lire, commenter et discuter (à l’écrit et à l’oral) le roman de science-fiction de Lowry (1992), Le passeur, chez des élèves de cycles différents (6e primaire/10-12 ans, 2e et 4e secondaire/13-14 et 15-16 ans) et provenant de trois classes d’écoles montréalaises dites défavorisées.

3.1 Sujets

Pendant les trois semaines de lecture du roman (le roman a été lu intégralement en classe), cinq équipes par classe (n = 76 élèves) ont été constituées et un échantillon de trois équipes par classe a été retenu (= 9 x 5, 45 élèves) en fonction de l’assiduité des membres, de la qualité sonore des vidéos et de la complétude des travaux et documents, ce qui, nous en sommes consciente, peut constituer un biais puisque certains de ces critères pourraient aussi traduire une désaffection de certains élèves. À tout le moins, dans la classe de primaire, l’échantillon correspond à 100 % de la population des élèves qui étaient en 6e année, puisqu’il s’agissait d’une classe double niveau et que tous les autres élèves étaient en 5e année. D’autre part, au secondaire, les résultats aux deux tests de lecture n’ont révélé aucune différence significative entre les élèves de la population et ceux de l’échantillon.

3.2 Instrumentation

Nos données premières viennent des transcriptions de verbatims issus des :

  1. Cercles et journaux de lecture : chaque équipe a réalisé trois discussions filmées avec une caméra vidéo sur pied par équipe. Les deux meilleures, selon l’avis des élèves, ont été transcrites pour analyse, pour un total de 18 cercles de lecture de 45 min (3 classes x 3 équipes x 2 cercles). Nous avons également transcrit les journaux de 45 élèves retenus. Avant chaque discussion, les élèves devaient y noter cinq idées à discuter ; après la discussion, ils devaient rédiger trois commentaires plus élaborés (entre 75 et 100 mots), selon le modèle développé par la chercheure (entrée par stratégie de lecture).

Nous avons aussi cueilli d’autres données secondaires pour nous aider à interpréter l’ensemble de la situation :

  1. Journaux de bord des participantes : les trois enseignantes et la chercheure ont eu à écrire un journal de bord afin de noter leur emploi du temps, leurs observations et leurs questions. Ces journaux ont été transcrits et analysés.

  2. Questionnaires et tests : les élèves ont répondu tout au long de l’année à plusieurs questionnaires (goûts en lecture, intérêts personnels, expériences collaboratives, bilan sur les expérimentations) et effectué deux tests de compréhension en lecture (dont un test ministériel en octobre, conçu pour les élèves de 6e année primaire, et un test conçu par la chercheure sur le roman Lepasseur en avril).

3.3 Déroulement

Dans le cas de cette recherche, nous avons formé (à raison d’environ huit jours entre septembre et avril) et accompagné trois enseignantes volontaires dans chacune des trois phases de la démarche d’enseignement de ce modèle transactionnel. La première phase d’enseignement explicite qui devait précéder les discussions visait à fournir aux élèves des mêmes outils, tant liés au sujet lecteur (processus et stratégies de lecture), à l’objet texte (notions d’analyse littéraire) qu’au contexte discursif (notions liées aux règles d’écriture et d’oral réflexifs). Dans la phase collaborative, tous les élèves étaient réunis en petits groupes de pairs hétérogènes et autonomes (CL, pour cercles de lecture) pendant la lecture d’un même roman pour discuter de ces stratégies de lecture et de leurs interprétations, et ce, une fois semaine, pour chaque tiers du roman lu, donc pendant trois semaines. Avant et après chaque cercle de lecture, les élèves devaient écrire aussi un journal de lecture auquel répondait l’enseignante lors d’une phase dite différenciée, et qui permet à la fois de structurer les apprentissages à l’écrit sur un plan individuel et aussi de préparer et de faire un retour sur les discussions (Hébert, 2011). Après une pré-expérimentation conduite en octobre-novembre, où les enseignantes ont expérimenté chacune de ces différentes phases avec un roman de leur choix, lors de l’expérimentation en mars-avril, tous les élèves ont eu cette fois à lire le roman imposé à tous par la chercheure.

Oeuvre à l’étude : Le passeur de Loïs Lowry

Le roman de l’écrivaine américaine Lowry, Le passeur, publié aux États-Unis en 1993 a été retenu pour l’expérimentation. Il s’agit de l’histoire d’un jeune garçon, Jonas, qui vit dans une communauté en apparence parfaite, exempte de souffrance, de pauvreté et d’inégalités. Le jour de ses douze ans, parce qu’il a ce don de voir au-delà, il sera désigné le dépositaire de la mémoire, le seul être autorisé à connaître le passé de sa communauté. C’est Le passeur qui sera chargé de lui transmettre les souvenirs de ce passé. Cette oeuvre magistrale, souvent comparée à 1984 de Georges Orwell, obtient dès 1994 la Newbery Medal, une très haute distinction qui récompense un ouvrage pour la jeunesse. Elle est parue en France la même année, à L’école des loisirs, dans la collection « Medium » qui s’adresse aux adolescents.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce succès : l’ouvrage s’apparente d’abord à plusieurs genres sans appartenir véritablement à aucun (conte, utopie, contre-utopie, science-fiction, récit fantastique, récit d’initiation), incertitude qui offre une multiplicité de repères à des publics d’âges (et de cultures) très différents. Et même si le genre science-fiction est peu lu à l’école, Lowry est parvenue à bâtir son intrigue autour d’un jeune héros dont l’âge et la personnalité attachante peuvent certes faciliter le phénomène d’identification pour les élèves. Il y a aussi une écriture limpide dont la clarté même est signifiante, car elle voile en même temps la complexité de la réalité et participe du malaise qui progressivement s’installe chez le lecteur. On notera également le rythme soutenu des événements, la combinaison très équilibrée des dialogues et des descriptions qui ne donnent jamais l’impression d’être gratuites. Par contre, c’est une oeuvre très longue (288 pages sans illustrations), dont le titre et l’illustration de couverture très peu attrayants rendent difficile l’émission de toute hypothèse sur la forme et l’intérêt du récit. Enfin, la gravité des questions que la fiction soulève (la douleur, la mort, la violence, la sexualité, le mensonge) et que la fin du récit ne résout pas, ajoutée à la diversité des grilles interprétatives (symboliques et réalistes, mythiques et historiques) auxquelles les lecteurs peuvent se référer pour inspirer et soutenir leur interprétation, fait du Passeur un très bon objet de communication esthétique, c’est-à-dire de débat et de partage (Burgos et Hébert, 2011).

3.4 Considérations éthiques

Tous les élèves de chaque classe ont eu à faire l’ensemble de ces activités, considérées comme régulières en classe de français. Cependant, seules les données provenant des élèves dont les parents avaient signé le formulaire de consentement ont été conservées pour analyse. Puis, par souci de confidentialité, toutes les transcriptions ont été anonymisées à l’aide de surnoms fictifs pour la transmission des résultats. Les enseignantes ont par ailleurs reçu les résultats qui ont été publiés dans les revues sous forme d’articles.

3.5 Méthodes d’analyse des données

Les comparaisons inter-classes ont été effectuées à partir d’une analyse de contenu des productions écrites et orales des élèves selon trois grandes variables : les modes de lecture utilisés et types de sujets abordés dans les journaux et les cercles de lecture ; le degré d’élaboration de la pensée atteint dans ces commentaires ; puis les modes de collaboration utilisés pendant les discussions. Ces variables ont été traitées dans un mouvement de va-et-vient à la fois sur un plan quantitatif (analyses de fréquences, de moyennes, de proportions et de variance) et qualitatif (analyse de contenu) à l’aide de grilles d’analyse validées dans nos travaux antérieurs (Hébert, 2003, 2004). Nous avons analysé ces données en collaboration avec trois assistantes de recherche (une pour chaque classe), puis contre-codé environ 10 % de l’ensemble jusqu’à atteindre 80 % d’accord interjuges.

  1. La grille pour la variable modes de lecture se divise en quatre modes qui peuvent résumer l’acte de lecture littéraire (littéral, personnel, textuel et critique). Chacun de ces modes requiert l’utilisation de différents types de connaissances (socioaffectives, textuelles, littéraires, etc.), dont certaines sont essentiellement acquises à l’école. Ainsi, si un élève commente surtout sa compréhension factuelle du texte, il utilise un mode littéral ; s’il réagit à des aspects affectifs, éthiques, c’est un mode personnel ou axiologique ; s’il analyse les caractéristiques textuelles, c’est un mode textuel, et s’il critique le texte d’un point de vue plus global et culturel en le comparant à d’autres oeuvres, il utilise un mode critique (voir les exemples 7 et 8, section Résultats).

  2. Quant au degré d’élaboration, il se détermine en fonction du nombre et de la pertinence de certains éléments tels que le sujet amené, posé, le texte cité et les éléments de développement (voir l’exemple 8, section Résultats). Les 45 journaux de lecture des élèves de l’échantillon comportaient au total 398 commentaires que nous avons analysés.

  3. Le verbatim des 18 cercles de lecture a été codé en plus à l’aide d’une troisième grille pour identifier les modes de collaboration selon les types d’interaction. Nous avons ici dégagé quatre modes de collaboration et leurs indicateurs qui traduisent les principales intentions de participation des locuteurs : rétroagir aux propos d’un pair (approuver, désapprouver, interroger), gérer la tâche (gérer les tours de parole, discipliner, aider un pair), puis articuler et élaborer les sujets de discussion. Chaque discussion transcrite a ainsi 1) été divisée en 264 épisodes (ensemble d’énoncés visant à verbaliser une stratégie de lecture) ; puis 2) chaque tour de parole dans ces épisodes a ensuite été divisé en unités de sens (n = 13, 132 US) pour analyser le mode de collaboration et le degré d’élaboration. Par exemple, un énoncé comme Oui, c’est une bonne idée // parce que Robinson est un homme civilisé… serait divisé en deux unités de sens parce que le locuteur rétroagit aux propos d’un pair, puis commence à développer le sujet.

Il s’agit donc principalement d’une recherche de type qualitatif à visée descriptive dont aucun résultat n’est généralisable. On ne cherche pas ici à mesurer l’effet des dispositifs ou à évaluer l’effet enseignant sur le développement de la compétence des élèves dans ce contexte de mise à l’essai de nouvelles pratiques, ce qui aurait nécessité d’autres outils méthodologiques. Nous nous limitons à vouloir documenter et comparer les productions d’élèves d’âges différents dans des types de tâches indirectement contrôlées par la chercheure. L’objectif est donc d’analyser, de la façon la plus exhaustive possible, les phénomènes qui se sont produits lors de ces activités d’enseignement-apprentissage complexes que sont les journaux et cercles littéraires, à l’aide de données difficilement mesurables et multiples (verbalisation écrite et orale de stratégies de lecture, interactions sociales) ainsi que de techniques de collecte variées (observations in situ pendant plusieurs mois, enregistrements vidéo, productions écrites, journaux de bord, questionnaires, etc.).

4. Résultats

Nous allons présenter les résultats en trois grandes parties, relatives au lire, commenter et discuter, ou selon nos trois variables : 1) modes de lecture et types de sujet développés dans les journaux et cercles de lecture ; 2) degré d’élaboration de la pensée ou du commentaire ; et 3) façons de discuter. Chaque fois, nous présenterons les résultats d’un point de vue quantitatif et qualitatif, à l’aide d’exemples de verbatim, et aussi dans une perspective développementale en comparant les trois classes. Il faut par ailleurs préciser ici que certains de ces résultats ont déjà été publiés ailleurs de manière parcellaire et que l’objectif de cet article est justement d’établir une synthèse de l’ensemble des résultats de cette recherche pour en dresser un portrait global.

4.1 Modes de lecture et types de sujets discutés

Nous allons décrire en deux temps dans cette section les résultats qui concernent le type de contenu abordé par les élèves. D’abord (4.1.1), nous montrerons a) dans quelles proportions chacun des modes de lecture a été utilisé dans l’ensemble des commentaires écrits/oraux et b) quelles sont les différences selon les classes ; ensuite (4.1.2), nous concentrerons notre attention a) sur le mode personnel ou du réagir, pour dégager les principaux thèmes que les élèves ont choisi d’aborder sous cet angle et b) sur les différences qui peuvent être dégagées selon l’âge.

4.1.1 Différences dans les pourcentages d’utilisation des modes de lecture à l’oral et à l’écrit

  1. En général, les modes de lecture littéral et personnel (46 %, 41 %) ont été, comme il fallait s’y attendre, les deux principaux modes de lecture utilisés par les élèves, tant à l’oral qu’à l’écrit (voir tableau 1). Dans les trois classes, dans cette situation de dévolution où, rappelons-le, il s’agit de voir ce que les élèves sont capables de faire seuls sans questions de l’enseignant, les élèves ont donc très peu adopté une posture distanciée requérant selon la tradition d’utiliser leurs savoirs sur les textes et la littérature pour interpréter ce roman.

  2. Pour ce qui est des comparaisons interclasses, le comportement des élèves plus vieux diffère de celui des plus jeunes (analyse de χ2, p = 0,000, statistiquement significatif au seuil de 0,05). Par exemple, ils adoptent plus souvent le mode personnel (51 %) et moins souvent les modes littéral et textuel (2 %). Il est étonnant ici de voir que les élèves du primaire adoptent davantage le mode textuel (16 %) alors qu’ils possèdent en principe moins de connaissances sur les textes et la littérature pour appuyer leurs interprétations et se distancier de la fiction. On peut penser que l’âge d’affirmation qu’est l’adolescence conduit peut-être les plus vieux à vouloir profiter davantage du dispositif pour exprimer leurs valeurs et leur identité. Nous pourrions aussi attribuer cela au fait que les élèves du primaire étaient plus scolaires ou meilleurs lecteurs. En effet, les résultats aux deux tests de lecture diagnostics n’ont étonnamment révélé aucune différence significative entre les trois classes, ce qui laisse sous-entendre que notre classe du primaire était une classe plutôt forte. Comme il s’agissait d’une école à pédagogie alternative, même si l’école était située en zone défavorisée sur un plan géographique et cotée de la sorte selon le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, nous avons constaté en cours de route qu’il s’agissait d’élèves non représentatifs de milieux défavorisés. De ce fait, les comparaisons inter-classes sont plus difficiles à interpréter.

Figure 1

Modes de lecture utilisés dans les commentaires écrits/oraux : différences inter-classes en %

Modes de lecture utilisés dans les commentaires écrits/oraux : différences inter-classes en %

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4.1.2 Différences dans les types de sujets abordés dans le mode de lecture personnel

  1. Sur un plan qualitatif, en examinant de plus près le contenu des commentaires écrits et relevant du seul mode personnel (n = 170/398), nous avons voulu mieux comprendre quels types de retours sur soi et de réflexions sur le monde provoque ce roman. En ordre de fréquence, les six thèmes ayant suscité le plus de commentaires sur un plan axiologique ou personnel sont : l’euthanasie des personnes âgées ou des nourrissons jugés atypiques ; le manque de liberté des individus et la suppression des différences dans les sociétés totalitaires ; puis le sentiment d’empathie pour la douleur des personnages ; la relation entre le héros et les autres principaux personnages ainsi que le sens de la situation finale et de la mort possible du héros.

Tableau 1

Principaux thèmes abordés dans le mode axiologique et différences inter-classes

Principaux thèmes abordés dans le mode axiologique et différences inter-classes

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Par exemple, Maya, une très bonne lectrice du primaire, réfléchit ici aux différences entre notre société et celle présentée dans le roman en ce qui a trait à l’euthanasie et au rituel de la mort (l’un des deux thèmes les plus commentés) :

Sur ce même thème de l’euthanasie, les élèves plus vieux se sont montrés beaucoup plus choqués par l’injustice que représente à leurs yeux le fait par exemple de tuer un nourrisson simplement parce qu’il est différent (ou, encore, trop identique à un autre dans le cas d’un jumeau). De manière plus distanciée, ils se sont aussi montrés davantage préoccupés par la question de la responsabilité sociale face à cet acte, comme en témoigne ce commentaire de Jules, un très bon lecteur :

  1. Les élèves du primaire et du secondaire se rejoignent dans la fréquence avec laquelle ils ont commenté le thème de la douleur ressentie par le héros, au moment où il commence à devenir un passeur, et celui de l’ambiguïté de la situation finale. Ils ont ainsi souvent fait preuve d’empathie pour Jonas, comme en témoigne par exemple ce commentaire d’Annie, une bonne lectrice de 2e secondaire :

Ils se sont aussi beaucoup questionnés sur la signification de la fin ouverte que Manuel, un bon lecteur de 4e secondaire, interprète comme étant la mort du héros :

Par contre, les sujets les plus abordés par les élèves du primaire concernent la question de l’euthanasie (voir l’exemple 1) et leur besoin d’analyser la nature des relations entre Jonas, le héros, et les autres personnages, comme l’a fait Alexia (une lectrice moyenne) :

Alors que les deux thèmes les plus commentés par les élèves du secondaire, et faut-il s’en étonner, ont été ceux de la liberté brimée et de la suppression des différences dans cette société totalitaire. Par exemple, le fait de ne pas pouvoir avoir de vélo avant l’âge de neuf ans ou d’amis plus vieux que soi a souvent été critiqué (élèves de 2e secondaire surtout), tout comme le fait de ne pas pouvoir choisir son métier ou son conjoint, comme le dénonce vivement Sylvia, une bonne lectrice de 4e secondaire :

En résumé, l’analyse thématique des commentaires de lecture relevant du mode personnel montre que, selon l’âge, il y a des différences dans les sujets que choisissent de développer les élèves et dans la manière dont ils le font. Par exemple, les élèves du primaire resteraient davantage dans l’ordre de l’intime (relations entre le héros et les autres personnages), alors que les élèves plus vieux aborderaient des sujets dans une perspective plus sociale et critique (liberté, injustice, etc.).

4.2 Degré d’élaboration de la pensée dans les commentaires à l’écrit ou l’oral

Nous allons, dans cette section, aborder notre deuxième variable, soit la question du degré d’élaboration des commentaires. Nous exposerons d’abord les résultats des analyses quantitatives (4.2.1), puis qualitatives (4.2.2), en examinant plus en détail comment un même sujet, en l’occurrence ici relatif à la langue de l’auteur, peut être traité différemment selon le mode de lecture utilisé, le degré d’élaboration et l’âge.

4.2.1 Différences inter-classes dans le degré d’élaboration des commentaires

Avant de comparer les résultats des trois classes, il faut d’abord mentionner que les élèves avaient des consignes différentes pour ce qui est de la longueur minimale à respecter pour la rédaction de leurs commentaires écrits dans le journal (allant de 75 mots pour les plus jeunes à 150 pour les plus vieux). La comparaison n’a donc pas été facile à établir ici. Cependant, à l’oral, où les consignes étaient les mêmes, les analyses statistiques confirment qu’il y a une différence entre les groupes. Les élèves de 6e primaire parviennent moins à élaborer leur propos à l’oral que les deux groupes du secondaire. Ainsi, 28 % des épisodes (= 264) discutés au secondaire atteignent en moyenne un excellent degré d’élaboration, contre seulement 8 % au primaire (voir le tableau 2). Par contre, il n’y a pas de différence entre les élèves de 2e et 4e secondaire à ce sujet (test ANOVA à un facteur, < 0,05 : {F(2, 261) = 13,53} et analyses post-hoc de Bonferroni, < 0,05 : M-6e = 2,64, ÉT = 1,32 ; M-2e = 3,88, ÉT = 1,76 ; M-4e = 3,66, ÉT = 1,62).

Les élèves plus vieux parviennent aussi à développer le sujet plus rapidement tout en ayant pourtant un pourcentage beaucoup plus élevé d’interventions codées hors sujet (22 % contre 8 %). Ainsi, pour un même temps de discussion donné, le nombre de sujets développés est plus élevé chez les plus vieux (98 en 4e secondaire contre 77 au primaire), les épisodes sont donc plus courts (2’20 à 1’47 par épisode en moyenne), mais plus denses (25 TP/min en 4e secondaire contre 17 TP/min au primaire). Compte tenu qu’ils sont aussi mieux réussis dans l’ensemble, nous pouvons affirmer que cela illustre une certaine efficacité ou indication de progression.

Tableau 2

Différences dans le degré d’élaboration à l’oral

Différences dans le degré d’élaboration à l’oral

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4.2.2 Le souci de la langue : exemples de différences selon le mode de lecture, le degré d’élaboration et la classe

Nous entendrons ici par souci de la langue les moments où les élèves choisissent de commenter explicitement un aspect langagier relatif au lexique ou au style employé par l’auteur, aspect sur lequel tous les enseignants de français espèrent voir leurs élèves se pencher. Pour ce faire, nous avons donc observé l’ensemble du corpus oral et écrit (n = 662 commentaires, 398 à l’oral et 264 à l’écrit). Ainsi, nous pouvons constater que le souci de la langue, dans ce contexte d’activités réflexives autogérées, fait l’objet de 6 % des commentaires des élèves du secondaire en moyenne, contre 17 % des commentaires des plus jeunes (les élèves de 11-12 ans), lesquels, donc, semblent s’en préoccuper davantage comme nous l’avions déjà souligné. Nous exposerons ici trois exemples portant sur ce même sujet, mais très différents. Ils nous permettront ainsi d’illustrer différents modes de lecture (textuel, littéral et critique), divers degrés d’élaboration (A+, C+/B, C), différents types d’élèves (excellent/6e primaire ; en grande difficulté/2e secondaire ; moyen/4e secondaire) et de conditions (commentaires écrit et oral).

  1. Mode textuel : on a retrouvé chez les élèves du primaire quelques excellents commentaires qui illustrent un souci certain de la langue comme dans cet exemple tiré du journal de Marilou, une élève âgée de 11 ans :

L’obtention de ce type de commentaire peut être attribuable à plusieurs facteurs : il provient d’abord d’une élève très scolaire, très bonne lectrice et soucieuse de faire comme l’enseignante a montré, une caractéristique qui nous a semblé plus courante chez les élèves du primaire que chez ceux du secondaire en général. Il constitue aussi un bel exemple du transfert direct de ce qui avait été enseigné avant de manière très explicite et magistrale. Tous les enseignants avaient eu en effet à faire observer aux élèves l’usage du et dans un extrait du Petit Nicolas.

  1. Mode littéral : dans le cas des élèves en difficulté ou des moins bons lecteurs, tant au primaire qu’au secondaire, la langue a été commentée d’un point de vue plus littéral, souvent pour s’interroger sur le sens d’un mot inconnu. Comme le souligne Bautier (2002, p. 210), le rapport au langage est surtout pragmatique chez les élèves en difficulté. Mais dans le commentaire de Sylvain qui suit, même si le mode est littéral, nous pouvons tout de même constater plusieurs apprentissages d’ordre langagier, notamment le fait de réfléchir à la différence entre deux mots (imaginaires et disparus) et à leur incidence dans le contexte de cette fiction (Hébert, 2009).

  1. Vers un mode plus interprétatif, critique : Marc, un élève moyen de 4e secondaire adopte pour sa part un mode à la fois littéral et critique lorsqu’il fait remarquer à ses pairs l’utilisation fréquente du mot acquiescer dans ce roman, car il tente d’attribuer cet usage à un phénomène sociopolitique. Ce faisant, il convoque des connaissances d’ordre lexical et historique, témoignant ici d’un empan d’analyse plus large, caractéristique que nous avons déjà soulignée pour les élèves plus vieux. Cet épisode, dont le degré d’élaboration a été jugé moyen/faible (ou C), illustre aussi un tissage, un transfert de ce que l’enseignante de cette classe avait fait dans ses cours en amont, lors de la lecture du roman épistolaire Inconnu à cette adresse de Kressman Taylor dont elle avait expliqué le contexte historique.

4.3 Modes de collaboration

Pour terminer l’examen de cette dernière variable, nous présenterons brièvement les différences entre les classes qui sont significatives sur le plan statistique dans l’utilisation des quatre modes de collaboration identifiés. Sur un plan qualitatif, nous illustrerons certaines de ces modalités de collaboration entre pairs à l’aide d’un exemple de verbatim tiré d’un cercle de lecture au primaire et montrant leur souci de la langue autour de ce même mot acquiescer qui avait retenu l’attention des plus vieux (exemple 5).

4.3.1 Différences dans les modes de collaboration à l’oral

Dans l’ensemble, 24 % des unités de sens codées dans toutes les discussions sont de l’ordre de la Rétroaction aux pairs (approuver, désapprouver, écouter de manière neutre ou demander une rétroaction) ; 20 % servent à la Gestion (gérer les tours de parole, discipliner, aider un pair, gérer la tâche) ; 40 % des unités visent à Élaborer le sujet ; 3 % à l’Articuler (avec 13 % de résidus pour les unités de sens non codables parce qu’incomplètes, inaudibles ou hors sujet). On peut constater, tout comme dans nos résultats antérieurs, qu’à peu près la moitié des interactions servent à élaborer et à articuler le sujet, l’autre à rétroagir et à gérer la tâche. Il s’agit donc peut-être d’une caractéristique de ce genre d’oral réflexif entre pairs.

Il existe des différences selon l’âge dans l’utilisation de chacun des cinq modes de collaboration (test ANOVA à un facteur, < 0,05 : Rétroagir, F(2, 261) = 71,57 ; Gérer, F(2, 261) = 34,44 ; Articuler F(2, 261) = 18,7 ; Élaborer F(2, 261) = 18,87 ; Hors sujet F(2, 261) = 131,28). Les élèves de 4e secondaire se distinguent des élèves plus jeunes (de 6e primaire et de 2e secondaire) à plusieurs points de vue. Ils font plus d’interventions visant à rétroagir ou à faire des remarques hors sujet, mais moins d’interventions pour gérer la tâche et élaborer le sujet (ce qui ne les empêche pas par ailleurs d’atteindre un meilleur degré d’élaboration).

Ainsi, les élèves de 4e secondaire rétroagissent beaucoup plus aux propos de leurs pairs (32 % contre 20,5 %) (analyses post-hoc de Bonferroni, p < 0,05 : M-4e = 31,91, ÉT = 8,71 ; M-6e = 18,28, ÉT = 8,42 et M-2e = 19,10, ÉT = 9,59). En particulier, ils approuvent environ deux fois plus leur pairs que ne le font les élèves du primaire (p < 0,05 : M-4e = 26,67, ÉT = 8,45 ; M-6e = 11,31, ÉT = 7,56 et M-2e = 14,31, ET = 13,36) (voir l’exemple 6, tour de parole no 10 et no 54). Est-ce là une caractéristique de l’adolescence que de vouloir davantage plaire au groupe de pairs en les approuvant ? Dans notre thèse, rappelons que c’était aussi là une caractéristique des élèves moins bons lecteurs.

D’autre part, les élèves plus vieux font plus d’interventions Hors sujet (22 % contre 8 %) (p < 0,05 : M-4e = 20,62, ÉT = 7,30 ; M-6e = 10,13, ÉT = 6,57 et M-2e = 5,69, ÉT = 5,04) et aussi moins d’interventions pour Gérer la tâche en général (10 % contre 25,5 %) (p < 0,05 : M-4e = 10,51, ÉT = 11,03 ; M-6e = 26,24, ÉT = 17,87 et M-2e = 26,37, ÉT = 17,81). Notamment, ils font moins d’interventions visant à aider un pair à élaborer que ne le font les plus jeunes (voir les tours de parole #16, 21, 23, 27, 30 et 46 mis en gris dans l’exemple 6) (p < 0,05 : M-6e = 6,01, ÉT = 7,48 ; M-2e = 7,93, ÉT = 11,49 et M-4e = 1,16, ÉT = 2,51). Ainsi, les élèves plus vieux parviennent à mieux approfondir leurs propos même si, à la différence des plus jeunes, ils se montrent plus hésitants à partager leur incompréhension et à donner ou à demander de l’aide.

4.3.2 Des limites de l’entraide au primaire

Dans ce dernier exemple ci-dessous, malgré l’entraide, on peut en effet constater la relative difficulté des élèves à élaborer leur sujet quand ils discutent du vocabulaire. Même s’ils adoptent un mode textuel en manifestant clairement leur intention d’apprécier le style de l’auteur (voir le TP no 7), le développement du propos reste tout de même de l’ordre du littéral, faute de connaissances externes qui pourraient les aider à élaborer davantage.

5. Discussion des résultats

Nos résultats proviennent d’analyses quantitative et qualitative de journaux et de cercles de lecture entièrement autogérés par les pairs. Les élèves y choisissent eux-mêmes les sujets dont ils veulent discuter à l’oral et commenter à l’écrit, dans la mesure de leurs moyens et à l’aide des consignes, outils et notions qui leur ont été fournis en amont (et relativement les mêmes dans chaque classe dans les moments d’expérimentation). À notre connaissance, les recherches francophones effectuées dans ce type de conditions sont à peu près inexistantes, ce qui rend donc ardue la comparaison de nos résultats avec ceux d’autres chercheurs, sans parler du fait que la lecture littéraire s’avère une notion scolaire encore très instable et considérée comme encore difficile à opérationnaliser en classe. De ce fait, pour ce qui est du pari d’analyser le degré d’élaboration des commentaires d’élèves dans un tel contexte, de manière à pouvoir les évaluer et les comparer, il faut souligner la grande difficulté de l’entreprise, notamment dans cette perspective qui est la nôtre où la compréhension se définit comme le résultat d’une transaction entre lecteur/texte et contexte. Comme le souligne Dumortier (2006), la recherche doit d’ailleurs continuer à mieux cerner les caractéristiques formelles de ces discours scolaires souvent naïfs d’élèves, mais qui témoignent néanmoins de leur attitude envers la lecture et de leur réception des oeuvres d’art.

Évidemment, les limites de cette recherche descriptive ne permettent pas d’expliquer jusqu’à quel point ces résultats découlent des dispositifs d’enseignement mis à l’essai ou du savoir-faire individuel des élèves et des enseignants. L’intérêt de ce genre de données est avant tout heuristique en ce qu’elles nous donnent des exemples réels de textes du lecteur, de ce que les élèves en situation de dévolution parviennent ou ne parviennent pas à faire une fois qu’on les laisse libres de démontrer leur compétence à lire et à apprécier. En effet, la condition de dévolution, telle que la définit Sensevy (2006) à partir du modèle didactique de Brousseau (1998), répond à la nécessité que l’élève se fasse responsable, au sens de la connaissance, de son action. Il s’agit de faire en sorte que les élèves résolvent eux-mêmes le problème en mettant en jeu des connaissances et des savoirs. Ainsi, étudier sous l’aspect de la dévolution un jeu d’apprentissage amènera donc à relever les transactions qui peuvent montrer comment les élèves intègrent dans leur comportement les incitations fournies par le professeur (…) (2006, p. 210). Si l’on considère les données présentées ici comme des exemples de situations-problèmes posées par les élèves, des exemples que nous avons essayé ici de catégoriser et de mettre en relation, ils peuvent certes nous amener à réfléchir sur ce qu’il faudrait encore faire en recherche et en formation pour aider les enseignants à mieux enseigner et évaluer la lecture littéraire dans une approche plus ascendante, donc qui part de l’élève en tant que sujet lecteur et qui varierait aussi selon l’âge.

Pour résumer et discuter brièvement de l’essentiel de nos résultats, en ce qui a trait d’abord au lire et au commenter, on observe que le mode de lecture adopté ici en dominante par les élèves (littéral et axiologique), de même que le degré d’élaboration qu’ils ont atteint peuvent en partie s’expliquer en fonction de l’âge, comme l’avaient vérifié les chercheurs déjà cités (Applebee, 1978 ; Thomson, 1987). On ne peut ignorer non plus ici l’effet roman. Par exemple, Galda (1990) avait démontré que les romans de science-fiction, parce que plus difficiles comparés aux romans réalistes, entraînaient des réponses moins analytiques chez les élèves. Dans le cas du Passeur, comme les principaux éléments de résistance de cette oeuvre sont de nature socioéthique, il était aussi prévisible qu’elle suscite des réactions de type plus personnel ou axiologique. Par exemple, nos résultats antérieurs avec le roman Vendredi ou la vie sauvage (plus réaliste) avaient montré un pourcentage plus élevé de réponses de type analytique ou textuel (Hébert, 2003). Nous avons pu aussi illustrer concrètement comment l’âge des élèves peut influencer leurs choix de sujets. Ces constats peuvent enrichir la réflexion sur l’importance à accorder à la question du choix des oeuvres dans une perspective à la fois développementale et générique. Enfin, l’on peut aussi tout de même convenir du fait que ces dispositifs transactionnels ont permis à la très grande majorité des élèves d’exprimer leur subjectivité et de témoigner de leur capacité relative à comprendre et à apprécier ce roman, puisque 42 élèves sur les 45 élèves de l’échantillon ont réussi le test final sur le roman. Celui-ci consistait principalement à répondre à une question de compréhension (à choix multiple), puis à cinq questions à développement portant sur les grandes catégories notionnelles propres au roman (thèmes, personnages, langue, genre) pour les volets réaction et interprétation.

Quant à nos résultats d’analyse relatifs au discuter, ou aux modes de collaboration dans ces dispositifs de type réflexif, Brice (1999) avance que les recherches sur l’enseignement collaboratif, dans la lignée de celles de Slavin (1983), sont trop souvent axées sur des critères de productivité. Nous avons pu en effet observer que le degré de réussite d’une discussion ne tient pas qu’à la seule quantité d’interventions axées sur le contenu. Dans ce genre de discussion autogérée et axée sur l’expression du sujet lecteur, les interactions visant à rétroagir aux propos des pairs et à gérer la tâche occupent nécessairement une place importante, et pas nécessairement au détriment du degré d’élaboration de la pensée comme nous l’avons vu dans le cas des élèves plus vieux par exemple. Cela renvoie selon nous au besoin que nous avons encore de mieux comprendre comment peuvent se distinguer et se compléter les discussions entre pairs et celles conduites par l’enseignant, et comment l’étayage peut mieux s’établir ou non dans ces deux situations. À ce sujet, nous avons commencé à dégager des indicateurs plus précis à l’oral (Hébert, 2012).

6. Conclusion

Dans une perspective empirique et développementale, nous avons voulu à travers cette expérimentation enrichir l’état des connaissances quant aux façons dont peuvent différer les manifestations de la compétence littéraire chez des lecteurs engagés dans des tâches identiques mais à des cycles différents, ce qui nous semble un apport. L’étude de toutes ces traces de l’activité du lecteur en situation réelle de classe nous semble nécessaire pour chercher ensuite à mieux comprendre où peuvent se situer les difficultés d’enseignement et d’évaluation de cette compétence (Hébert, 2011). Nos résultats reflètent aussi la complexité des notions que nous voulions observer et mettre en relation, la difficulté de comparer des niveaux scolaires dont les logiques et les impératifs diffèrent forcément, puis aussi les limites de la méthodologie employée (échantillons réduits et non aléatoires, difficulté du codage, situation empirique complexe, etc.). Le fait de vouloir croiser plusieurs variables pour tenter de saisir la situation dans sa globalité (à l’écrit et à l’oral) a aussi limité la profondeur des analyses.

En ce sens, nous aurions ainsi aimé pouvoir accorder davantage de temps à des études de cas, ou encore à l’examen plus approfondi des problèmes de lecture qui surviennent dans chaque mode de lecture en faisant davantage de recoupements thématiques ou notionnels comme nous avons commencé à le faire. Le choix de devoir nous limiter à l’analyse du contenu des productions d’élèves laisse aussi en suspens la question cruciale de l’effet enseignant. Nous avons commencé à examiner quelques différences observées à ce sujet dans les annotations de journaux de lecture par exemple (Hébert, 2011), mais les recherches futures doivent poursuivre en ce sens, et avec des outils méthodologiques appropriés à ce problème de recherche.

Il reste encore beaucoup à faire en didactique de la littérature pour aider les enseignants à mieux formaliser, organiser la progression et anticiper les diverses catégories de problèmes littéraires que nous voudrions voir les jeunes lecteurs capables de résoudre, mais aussi de formuler eux-mêmes et d’apprécier. Enfin, sur un plan formel de l’analyse des types de discours, les journaux et cercles de lecture comme outils d’expression et d’accès au texte du lecteur restent encore des genres scolaires réflexifs à définir, car ils sont un lieu où s’enchevêtrent et se jouent plusieurs logiques (celle de l’oral et de l’écrit, de la justification et de l’argumentation, de l’individuel et du collectif, etc.) d’un grand intérêt pour le développement du sujet lecteur.