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L’implantation des filiales sur les marchés étrangers est une décision stratégique et largement développée dans les travaux de recherche en management international, notamment dans le contexte des multinationales (Canabal et White III, 2008), mettant en exergue la gestion des relations siège-filiales (Mayrhofer, 2011). Néanmoins, Nakos et Brouthers (2002), puis Brouthers et Nakos (2004) soulignent que les PME ont reçu moins d’attention de la part des chercheurs, particulièrement sur la question de leurs modes d’implantation sur les marchés étrangers. L’établissement d’une filiale à l’étranger est un enjeu crucial pour la PME dont l’échec peut parfois conduire à l’effondrement de l’entreprise (Kuo et Li, 2003), sinon à son affaiblissement. En raison de leurs différences managériales, de leur indépendance et de leur manque de ressources financières, humaines et organisationnelles comparativement aux grandes entreprises, le choix des modes d’entrée des PME nécessite une attention particulière (Li et Qian, 2008; Schwens et al., 2011). Les PME sont moins préparées que les grandes entreprises à traiter des difficultés liées à la distance géographique, culturelle, et institutionnelle entre le pays d’origine et le pays hôte (Mayrhofer, 2004; Vachani 2005). Selon Schwens et al. (2011), de grandes différences culturelles entre le pays domestique et le pays hôte augmentent les coûts et les risques de faire des affaires à l’étranger.

L’internationalisation des PME est souvent réduite à la seule dimension de l’exportation (Choo et Mazzarol, 2001). Pour certains auteurs, l’exportation représente le mode d’entrée le plus adéquat des PME compte tenu de leurs capacités et ressources et de leur exposition limitée aux risques (Wolff et Pett, 2000). Néanmoins, les PME peuvent s’engager sur les marchés étrangers par des formes plus complexes que l’exportation, notamment par le biais de filiales. L’univers décloisonné de l’économie mondiale et les mutations récentes des pays émergents à forte croissance (Milliot et Tournois, 2009) attirent un nombre croissant de PME sur la scène internationale.

La littérature en management international relative au choix du mode d’implantation à l’étranger a mobilisé de nombreux courants théoriques notamment la théorie des coûts de transaction, le paradigme OLI et l’approche par les ressources (Canabal et White III, 2008). Le choix d’un mode d’entrée sur les marchés étrangers est trop complexe pour être abordé par une seule perspective théorique (Coviello et Jones, 2004). Toutefois, comme le soulignent Hsieh et al., (2010), le paradigme éclectique permet de combiner plusieurs courants, notamment la théorie des coûts de transaction et la théorie des ressources. Le paradigme OLI proposé par Dunning (1980) mobilise trois séries d’avantages perçus par les entreprises comme déterminants du choix du mode d’implantation retenu sur les marchés étrangers : les avantages spécifiques détenus par la firme (Ownership advantages), l’avantage à la localisation à l’étranger (Location advantage) et l’avantage à l’internalisation des activités (Internalization advantage). Ainsi, plus une entreprise détient d’avantages, plus grande sera la probabilité qu’elle privilégie un mode d’entrée caractérisé par un haut degré de contrôle tel qu’une filiale totalement détenue (Zhao et Decker, 2004, p. 8). Dans la même perspective que Hsieh et al. (2010) cette recherche s’articule autour du paradigme éclectique (OLI) et de la théorie processuelle (Johanson et Vahlne, 1977, 1990, 2009), ainsi que ses remises en cause par le phénomène des Born Global (Oviatt et McDougall, 1994). Ces approches théoriques présentent l’avantage d’intégrer les spécificités des PME. En effet, le paradigme OLI est plus adapté au comportement des PME (Brouthers et al.,1996).

Sur un plan empirique, la plupart des études analysent les stratégies internationales des entreprises issues de pays développés vers les pays émergents (Yamakawa et al., 2008). Néanmoins, en dépit de l’ouverture croissante des marchés émergents, ils n’en sont pas pour autant un bloc homogène et présentent des spécificités qui leur sont propres (Hoskisson et al., 2000). D’autre part, peu de recherches sont menées sur les stratégies adoptées par les petites entreprises issues de pays émergents à destination de pays développés (Yamakawa et al., 2008). Considérant l’augmentation du taux d’internationalisation des PME européennes sous la forme d’investissements directs à l’étranger (European Commission, 2010[1]), la présente recherche examine le flux des PME françaises implantées sur les marchés émergents et développés sous la forme de filiales.

Cette étude a pour objectif d’analyser les facteurs influençant les dirigeants de PME sur la question du choix de s’engager sur les marchés étrangers sous la forme d’entreprises conjointes ou de filiales totalement détenues. Nous cherchons à comprendre en quoi les comportements des PME sont spécifiques dans le choix d’une filiale détenue à 100 % ou d’une coentreprise internationale, lors d’une implantation à l’étranger.

Dans un premier temps, un développement théorique et empirique permettra d’identifier les facteurs explicatifs du mode d’implantation des PME à l’étranger. Dans un second temps, la méthodologie retenue sera exposée. Enfin, les résultats seront présentés et discutés dans la troisième partie.

Facteurs explicatifs du mode d’implantation des PME

Une filiale étrangère peut prendre plusieurs formes déterminées par le partage du capital social. Elle peut être entièrement détenue, dans ce cas le siège exercerait un contrôle total sur la filiale, ou prendre la forme d’une coentreprise internationale dans laquelle le capital est partagé avec un ou plusieurs partenaires étrangers dans l’optique de réduire certaines formes d’incertitudes afférentes aux affaires internationales (Slangen et Tulder, 2009).

De nombreuses études empiriques ont permis de mettre en évidence diverses variables prédictives du choix du mode d’entrée effectué par les multinationales : l’expérience internationale des entreprises, la distance culturelle, le risque pays, la taille de l’entreprise, les politiques d’accueil, l’intensité technologique, le degré de connaissances du pays hôte, la concurrence sectorielle, la taille de l’exploitation envisagée (Canabal et White III, 2008). Dans le contexte de PME, des facteurs internes et externes additionnels ont été identifiés comme pouvant également influencer la décision du mode d’entrée : ressources disponibles, orientation entrepreneuriale, spécificités des actifs (Koch, 2001; Brouthers et Nakos, 2004; Sanchez-Peinado et al., 2007; Ripollés et Blesa, 2012). Dans leur étude portant sur le choix des modes d’entrée de 234 PME danoises, Hollensen et al., (2011) montrent que le chiffre d’affaires du siège est le facteur essentiel permettant d’expliquer le choix d’un mode d’entrée impliquant un degré élevé de contrôle, tel qu’une filiale totalement détenue. Par ailleurs, selon ces auteurs, deux facteurs fondamentaux expliquent le choix d’une filiale conjointe : les réseaux personnels des dirigeants de PME qui permettent d’être attentifs à la sélection du partenaire, et l’interruption des activités internationales ayant amené la PME à concentrer ses ressources sur un seul marché.

Selon Li et Qian (2008), le processus d’internationalisation peut avoir une influence sur le processus de sélection des modes d’entrée. Examinons à présent les facteurs relatifs au rythme d’internationalisation des PME.

Facteurs liés au rythme d’internationalisation des PME

Dans le contexte des PME, le mode d’entrée en capital a été analysé comme un déterminant du rythme d’internationalisation rapide versus progressif (Tapia Moore et Meschi, 2010). Pour notre part, cette contribution étudie la relation inverse.

La plupart des PME adoptent un modèle graduel pour s’internationaliser (Modèle Uppsala). Bien que dominant, ce modèle a fait l’objet de nombreuses critiques (Petersen et al., 2003) face à son incapacité à expliquer la diversité des trajectoires des PME engagées à l’international. L’approche par les ressources (Julien, 2005) et l’approche par les réseaux (Johanson et Vahlne, 2009) ont par la suite enrichi le champ théorique relatif au développement international des PME.

Dans cette recherche, nous concentrons notre analyse sur les modèles théoriques de l’internationalisation des PME : l’internationalisation progressive (« stage model ») et les Born Global.

Selon le modèle progressif (Coviello et McAuley, 1999), le processus d’internationalisation revêt un caractère incrémental et cumulatif où l’engagement international suit un ordre séquentiel centré sur l’apprentissage expérientiel. Ce modèle est issu des travaux de Johanson et Wiedersheim-Paul (1975) et de Johanson et Vahlne (1977), menés dans les années 1970 au sein du programme de recherche de l’Université Uppsala en Suède. Dans cette perspective, les PME initient leur processus d’engagement international par le biais de l’exportation, puis par le recours à des agents commerciaux étrangers, suivi par l’établissement de filiales commerciales et enfin de filiales de production. Ce processus est appelé « chaîne d’établissement » où l’engagement de l’entreprise s’accroît à chaque étape. La notion de distance psychique[2] est un élément central de cette approche, influençant la prise de décision de l’entreprise dans son processus de développement international. Le concept de distance psychique inclut les notions d’interculturalité et de distance géographique. Dans ce sens, les ressources engagées de façon incrémentale dans la chaîne d’établissement de l’entreprise permettent de réduire la distance psychique et par conséquent de réduire l’incertitude et le niveau de risques associés (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975).

Alors que la plupart des PME suivent un chemin progressif, d’autres défient la logique de l’apprentissage et s’internationalisent rapidement. Ces entreprises ont en effet une envergure internationale dès leur création ou presque. Ce nouveau phénomène voit le jour à partir des années 1990. Il s’agit des Born Global (Rennie, 1993; Knight et Cavusgil, 1996; 2004; Andersson et Wictor, 2003) ou International New Ventures (Oviatt et Mc Dougall, 1994). D’après Oviatt et Mc Dougall (1997, p. 92), il s’agit « d’entreprises dont on peut observer des liens avec l’étranger (par exemple, efforts de ventes, investissements) dans une courte période de temps conventionnellement acceptée après sa formation »[3]. La courte période s’apparente selon eux à une durée inférieure à 6 ans.

Un autre phénomène - celui des Born again Global - présente des similitudes avec les Born Global dans leur rythme d’internationalisation. En effet, bien que tardive, l’internationalisation des Born again Global s’effectue à un rythme soutenu. Bell et al. (2001) identifièrent ces entreprises dans le cadre de leurs travaux, comme étant des entreprises qui s’internationalisent rapidement après une longue période de concentration sur leur marché domestique. Ce changement subit s’explique par l’acquisition soudaine de ressources humaines et/ou financières, l’accès à un nouveau réseau sur les marchés étrangers, l’acquisition d’un nouveau produit, ou de tout autre « incident critique » (Bell et al., 2003).

L’étude des deux rythmes (graduel et rapide) que représentent l’approche traditionnelle (« stage model ») et les phénomènes des entreprises nées globales et des Born again Global, indique bien des différences de comportement des PME dans leur développement international. Par ailleurs, le modèle progressif considéré comme déterministe laisse peu de place à la prise en compte de variables exogènes (Chetty et al., 2004).

La question du choix du mode d’entrée des Born Global est relativement peu analysée par la littérature en management international (Johnson, 2004; Freeman et al., 2006). Plus précisément, Freeman et al. (2006) soulignent l’importance pour les Born Global de mobiliser le réseau et les alliances pour compenser les contraintes structurelles et managériales des PME (manque d’économies d’échelle, manque de ressources financières et de connaissances, et aversion pour la prise de risques). Considérant les différences de comportement des deux modèles d’internationalisation des PME, nous présumons qu’ils auront une influence sur le type de filiale implantée à l’étranger.

Facteurs structurels

En investissant sur les marchés étrangers, une entreprise poursuit un certain nombre de buts stratégiques. Tout comme les grandes entreprises, les PME peuvent être à la recherche de débouchés commerciaux, installer une unité de production pour bénéficier d’une main d’oeuvre à coûts moindres, rechercher un accès aux matières premières ou encore le fait de contourner des barrières tarifaires et non tarifaires. En fonction de la stratégie retenue, le rôle et les activités attribués à la filiale étrangère seront différents.

La nature de l’activité envisagée à l’étranger, et plus particulièrement le secteur d’activité tend à influencer le choix du mode d’entrée sur les marchés étrangers (Hennart et Reddy, 1997). En étudiant les stratégies d’entrée de PME italiennes sur le marché chinois, Bontempi et Prodi (2009) soulignent que les entreprises créent des coentreprises lorsqu’elles entrent dans un secteur de biens intermédiaires avec des produits matures (textile, produits chimiques, métalliques, plastiques); en revanche elles optent pour des filiales totalement possédées en cas d’investissements à fort contenu technologique qui nécessitent un niveau de protection plus élevé. Selon la perspective des coûts de transaction, la spécificité des actifs engagés dans une filiale de production peut rendre la PME, moins préparée à traiter de l’incertitude environnementale, plus vulnérable au risque d’appropriation de la technologie par un partenaire potentiel. Dans cette perspective, la nature de l’activité peut influencer le type de filiales implantées à l’étranger (Brouthers et Brouthers, 2003).

De son côté, Sanchez-Peinado et al., (2007) avancent que la création de filiales commerciales dépend plutôt de raisons stratégiques que de variables économiques. Miesenbock (1988) souligne l’importance du dirigeant considéré comme l’une des principales variables de l’internationalisation des PME. Toutefois, la stratégie d’implantation nécessite d’intégrer les contraintes financières, humaines et organisationnelles qui pèsent sur ces entreprises et de les confronter aux opportunités que le dirigeant peut saisir (Ruzzier et al., 2006). « Les PME diffèrent des grandes entreprises sur des points importants, comme l’expérience avec les environnements étrangers, la capacité à résister aux exigences des gouvernements hôtes, et le niveau de ressources disponibles pour gérer les opérations étrangères » (Vachani, 2005, p. 416). Une filiale industrielle nécessite un investissement plus conséquent qu’une filiale exclusivement commerciale. Considérant la faiblesse de ressources caractéristique des PME comparativement aux entreprises de plus grande taille (Gemser et al., 2004), il est envisageable que la nature de l’activité dédiée à la filiale étrangère ait une influence sur le type de filiale retenue à l’étranger, et par conséquent le recours ou non à un partenaire étranger.

Facteurs liés à la perception du dirigeant à l’égard des pays hôtes

La distance culturelle renvoie à la différence de cultures entre deux pays. Cette notion est utilisée pour mesurer les différences de croyances ou de valeurs entre deux organisations, deux entités, deux équipes ou deux groupes d’individus de deux pays différents (Shenkar et al., 2008; Luo et Shenkar, 2011). La variable « distance culturelle » est très souvent mobilisée pour étudier son influence sur le processus d’internationalisation des entreprises, le choix du mode d’entrée sur les marchés étrangers et la performance des filiales étrangères des entreprises (Shenkar, 2001). L’éloignement culturel accroît l’incertitude environnementale. Ainsi, l’implantation d’une activité conjointe avec un partenaire local semble être un critère déterminant pour atténuer l’incertitude découlant de la distance culturelle.

La littérature en management consacrée à la stratégie d’internationalisation des entreprises et notamment le modèle Uppsala a permis de souligner le rôle de la distance psychique pour expliquer le processus incrémental de développement des activités à l’étranger (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975; Johanson et Vahlne, 1977, 2009). La mesure subjective de la distance s’attache à mesurer la perception individuelle du dirigeant à l’égard du pays d’accueil.

A l’opposé, de nombreux chercheurs se sont efforcés de mesurer la distance culturelle sur la base de facteurs exogènes (López-Duarte et Vidal-Suárez, 2012). En effet, la recherche sur cette question a mobilisé différents indicateurs de mesure de cette distance, très souvent en référence aux travaux de Hofstede (1980) ou de Schwartz (1994). Dans leur article « The effect of national culture on the choice of entry mode », Journal of International Business Studies, 19(3), p.411-432, Kogut et Singh (1988) ont élaboré un indice composite de la distance culturelle entre deux pays sur la base des scores établis par Hofstede (1980).

Dow et Larimo (2009) proposent de réconcilier les deux approches en conceptualisant la mesure de la distance sur la base d’indicateurs exogènes, considérés comme des stimuli influençant la distance psychique perçue à un niveau individuel.

Pour déterminer l’indicateur le plus approprié, Drogendijk et Slangen (2006) ont tenté d’étudier le choix des modes d’entrée sur les marchés étrangers en utilisant alternativement les mesures de la distance culturelle proposées par Hofstede (1980), Schwartz (1994) et les perceptions des dirigeants d’entreprises. Ils concluent qu’il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de souligner la prédominance des travaux de Schwartz au détriment de Hofstede. Ils mettent en avant l’intérêt de la prise en compte de la perception du personnel d’encadrement des entreprises comme modalité alternative de mesure de la distance culturelle.

Les travaux de recherche en management international sur le lien entre la distance culturelle et les modes d’entrée sur les marchés étrangers présentent des résultats assez contrastés. Certains établissent une influence significative de la distance culturelle sur l’internationalisation (Meschi et Riccio, 2008), alors que d’autres suggèrent une relation non significative (Slangen et Tulder, 2009; Abdellatif et al., 2010). Toutefois, malgré les nombreuses controverses d’ordre conceptuel et méthodologique, la distance culturelle est souvent mobilisée dans la littérature pour mesurer le degré de l’éloignement culturel (Luo et Shenkar, 2011). Les entreprises chercheront à localiser leurs activités dans des pays culturellement proches à leur pays d’origine pour accroître leur chance de succès (Slangen et Tulder, 2009).

Nous faisons le choix de nous intéresser à la distance culturelle perçue par les dirigeants des PME en matière de décision d’implantation d’activités à l’étranger (Drogendijk et Slangen, 2006). Selon ces auteurs, l’analyse de la distance culturelle au niveau individuel mesure la perception des différences de cultures, et permet d’évaluer les implications de cette perception sur les décisions stratégiques du manager. Compte tenu de la spécificité managériale des PME où la perception et la vision du dirigeant priment sur la stratégie internationale adoptée, la mesure de la distance culturelle perçue a été privilégiée pour évaluer son influence sur le mode d’implantation retenu.

La méthodologie retenue pour cette étude sera développée dans la seconde partie.

Méthodologie

Cette partie sera structurée en trois points. Présentons la méthode choisie, les variables retenues et le processus de recueil et de codage des données.

La méthode

Cette recherche s’appuie sur la méthode « Qualitative Comparative Analysis » (QCA) initiée par Ragin (1987). Une traduction en français a été proposée par De Meur et Rihoux (2002) sous l’appellation « Analyse Qualitative Quantitative Comparée » (AQQC). Cette méthode, issue de l’approche des similitudes et des différences théorisée par John Stuart Mill (1843), a été développée et vulgarisée en 1987 par l’ouvrage « The comparative Method : Moving beyond qualitative and quantitative strategies » de Ragin.

Dans les travaux fondateurs de l’AQQC, Ragin (1987) a préconisé l’utilisation de cette méthode dans un contexte de comparaison d’un nombre de cas dit « Small N », c’est-à-dire l’intérêt de traiter des échantillons relativement petits et pour lesquels les approches quantitatives et qualitatives ne sont pas très pertinentes (De Meur et Rihoux, 2002; Rihoux et Ragin, 2009). Or, à l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus sur les frontières délimitant le « Small N ». Par exemple, certains auteurs ont conduit leurs études sur un nombre d’observations relativement faible (Stokke, 2007; Schneider et al., 2010), alors que d’autres ont mobilisé un échantillon convenant à des études quantitatives (Woodside et al., 2011). Dans tous les cas, un accent est mis sur la recherche de configurations avec un objectif principal qui consiste à générer une multiplicité de chemins explicatifs des phénomènes à l’étude.

La diversité des problématiques examinées à l’aide des outils développés pour l’AQQC offre une large palette des possibilités dans le choix des unités d’analyse (individus, organisations, pays) et des variables mobilisées (binaires, multinomiales, ensembles flous). L’AQQC par les ensembles flous (« fuzzy sets ») permet de dépasser la vision restrictive de la dichotomisation d’une condition et d’un résultat en déterminant des scores d’appartenance de chaque cas à l’intérieur de l’intervalle [0, 1]. Dans la présente étude et compte tenu de la structure des données recueillies, nous retenons l’AQQC par les variables binaires (« crisp set ») pour mener la comparaison entre les modes d’implantation à l’étranger par filiales totalement détenues (filiales 100 %) et par coentreprises internationales.

L’AQQC a été introduite initialement en sociologie et en sciences politiques. Elle émerge progressivement en sciences de gestion. Greckhamer et al. (2008) montrent très précisément la capacité de cette méthode pour examiner les effets d’interdépendance et de complexité au sein d’une étude. L’AQQC est une méthode viable dans les travaux de recherche en management stratégique (Greckhamer et al., 2008) et est d’un intérêt croissant comme l’indiquent certains travaux publiés au sein des revues académiques francophones (Curchod, 2003; Chanson et al., 2005; Abdellatif, 2011; Beaujolin-Bellet et al., 2012). Cette méthode constitue une stratégie analytique de cas multiples dans le contexte d’un design de recherche qualitatif (Wagemann et Schneider, 2010). La diversité des problématiques examinées à l’aide des outils proposés par cette méthode offre une large palette des possibilités dans le choix des cas ou unités d’analyse (individus, organisations, pays) et des variables mobilisées (binaires ou non binaires).

Dans l’AQQC, la causalité suppose que dans chaque cas, différentes conditions se combinent pour produire un résultat. Autrement dit, il n’existe aucune présomption selon laquelle les mêmes conditions opèrent de la même façon dans tous les contextes et dans tous les cas. La causalité afférente à l’AQQC est qualifiée de « conjoncturelle » ou « configurationnelle » ou « multiple » en termes de combinaisons de conditions. Le chercheur construit, à partir d’un cadre théorique et de l’étude des premiers cas, un schéma descriptif, compréhensif et/ou explicatif, qu’il confronte aux cas suivants.

Les caractéristiques de l’AQQC imposent au chercheur une exigence dans le choix des cas et des variables, le traitement des données, le choix du type d’analyse, l’intervention au cours de l’analyse, etc. Lors de la mise en oeuvre de l’AQQC, le chercheur retourne régulièrement à ses observations (aux cas), considérées dans leur richesse et leur singularité. C’est une sorte de dialogue avec les cas, un processus itératif se met en place pour veiller à une analyse approfondie des observations.

L’AQQC permet de répondre à la question suivante (De Meur et Rihoux, 2002) : quelles sont les « conditions » qui permettent à un « résultat » de se produire ? Il faut alors définir une série de variables conditions (déterminants potentiels, facteurs explicatifs supposés de la variable résultat) et une variable résultat (le phénomène que l’on cherche à comprendre ou à expliquer). Ce procédé est renouvelé autant de fois qu’il y a de variables résultat à examiner. Les conditions servent de critères de comparaison des cas et sont contenues dans la (les) question (s) de recherche.

Pour conduire cette recherche, nous utiliserons l’AQQC par les variables binaires (crisp set) selon les principes de l’algèbre booléenne car l’objet de l’étude et les données collectées ne sont pas appropriés pour mobiliser les variables calibrées en ensembles flous (fuzzy set). L’algèbre booléenne est la soumission du raisonnement logique à des règles de calcul. Par conséquent, les variables prendront deux valeurs possibles : « vrai » ou « faux »; « présence » ou « absence »; « 0 » ou « 1 ».

Les variables mobilisées

Dans la présente étude, nous retenons une variable « résultat » (mode d’implantation à l’étranger des filiales des PME [kap]) et 3 variables « conditions » (choix du modèle d’internationalisation [internat], type d’activités envisagées [act], distance culturelle perçue [dist]). En respectant la démarche proposée par Ragin (1987) dans une AQQC, nous écrirons :

Mode d’implantation = f (Modèle d’internationalisation, Activité, Distance culturelle perçue), que nous noterons plus précisément : kap = f (internat, act, dist).

Toutes les variables seront rendues binaires sur un fondement théorique et/ou empirique (observation sur le terrain) comme le préconise la méthode. Pour chaque variable, nous avons retenu un critère de dichotomie afin d’attribuer les valeurs « 0 » et « 1 ».

La variable « résultat » et les 3 variables « conditions » se définissent comme suit :

  • la variable « kap » désigne la répartition du capital retenue par les PME lorsqu’elles s’implantent à l’étranger sous la forme d’une filiale. Les deux modalités sont : kap = 0, lorsque la PME détient plus de 95 % du capital de la filiale à l’étranger (WOS), et kap = 1 en cas de création d’une filiale conjointe avec un partenaire local (IJV).

  • la variable « internat » indique la forme d’internationalisation adoptée par une PME pour s’implanter à l’étranger. Nous distinguons le processus d’internationalisation graduel d’une part, et le processus d’internationalisation non graduel d’autre part, ce qui nous conduit à regrouper les Born Global et Born again Global. Cette variable prendra deux modalités : internat = 0, lorsque la PME opte pour un processus d’internationalisation graduel (codé SM pour stage model); internat = 1 en cas d’internationalisation rapide et spontanée (de type Born Global ou Born again Global);

  • concernant la variable « act », elle caractérise l’activité développée dans le pays hôte. On notera act = 0, en cas d’implantation d’une filiale de commercialisation (FC) et act = 1 lorsque l’activité dominante est la production des biens ou services (FP);

  • enfin la variable « dist » désigne la perception des répondants sur les différences de cultures entre la France et le pays hôte. S’ils perçoivent une faible différence qui ne constitue pas un obstacle au développement de leurs activités, la variable sera codée 0; et on notera dist = 1 dans le cas contraire.

La collecte des données

En l’absence de bases de données disponibles recensant les modalités d’implantation à l’étranger retenues par les PME françaises, la sélection des entreprises mobilisées pour la présente étude s’est appuyée sur la méthode du choix raisonné. Le critère d’échantillonnage n’a pas été la représentativité statistique mais bien la diversité des cas explorés (Symon et Cassel, 1999). L’enjeu consistait donc à inclure autant que possible des entreprises présentant des critères susceptibles d’affecter la variabilité du phénomène étudié. Dans ce sens, la sélection de l’échantillon s’est attachée à respecter la diversité en termes de secteurs d’activité, de nombre d’employés à la maison mère et de pays d’implantation.

A l’issue de chaque entretien semi-directif en face à face, les données collectées ont été reproduites sous forme de comptes-rendus, puis renvoyés quelques jours plus tard aux interviewés pour une relecture puis une validation. Cette étape avant traitement des données permet d’asseoir le contrôle et renforcer l’objectivité du chercheur (Miles et Huberman, 2003).

Pour recueillir des données sur une base homogène et permettre ensuite une codification conforme à l’application de l’AQQC, nous avons construit un guide d’entretien dont les thèmes abordés concernent : a) Histoire du développement international de l’entreprise; b) Raisons d’une implantation à l’étranger; c) Modalité d’implantation retenue et raisons du choix effectué; d) Pays d’implantation et facteurs d’incertitude associés.

Cette recherche est conduite sur la base d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de 10 PME françaises. Les entretiens réalisés ont été menés auprès de dirigeants de PME ayant fait la démarche d’une implantation à l’étranger, ou dans certains cas auprès de leurs cadres directement impliqués dans la démarche internationale de l’entreprise. La durée des entretiens s’est échelonnée de 50 minutes à 1 heure et 40 minutes. Les données ont été recueillies sur la période allant de juillet 2010 à septembre 2010 (cf. Tableau 1).

En croisant les 4 variables binaires décrites précédemment (kap, internat, act, dist) et les pays d’implantation des filiales, nous obtenons le tableau 2.

A partir des données du tableau 2, nous procéderons aux différentes étapes de l’analyse à l’aide du logiciel de traitement approprié fs/QCA 2.2[4]. Les résultats obtenus seront détaillés dans la suite de ce travail.

Résultats et discussions

L’encodage des données du tableau 2 sous fs/QCA permet d’obtenir une table de vérité, c’est-à-dire un tableau qui recense l’ensemble de configurations des conditions associées aux différentes valeurs de la variable résultat. Pour k conditions, la table de vérité générée sera de la forme 2k. Ici, nous obtiendrons une table de vérités de 23 = 8 configurations (cf. Tableau 3).

Cette table de vérité indique que, sur 8 configurations empiriquement possibles, 7 (lignes numérotées a, b, c,…g) correspondent à notre population de 15 filiales des PME identifiées par des lettres dans la dernière colonne du tableau 3 : A, B, C,...

Dans ce tableau, par exemple, la configuration (a) signifie que les PME de notre population ont implanté 4 filiales conjointes internationales (kap = 1) en suivant un processus d’internationalisation graduel (internat = 0), avec une activité de production (act = 1) et le pays d’accueil est perçu culturellement très éloigné de la France (cult = 1). Il s’agit de la filiale de l’entreprise D implantée en Chine, de la filiale de G implantée en Roumanie, de la filiale de l’entreprise H localisée en Afrique du Sud et de la filiale de l’entreprise I implantée en Inde.

Tableau 1

CARACTÉRISTIQUES des PME rencontrées

CARACTÉRISTIQUES des PME rencontrées
  1. Les PME rencontrées pour cette étude sont désignées comme suit : A, B, …, J.

  2. WOS (Wholly Owned Subsidiary) : Filiales 100 %; IJV (International Joint Venture) : coentreprise internationale.

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Ce sont ainsi différentes combinaisons de conditions qui vont expliquer un résultat. C’est pour cela que l’on parle alors de causalité « conjoncturelle », « configurationnelle » ou « multiple » comme nous l’indiquions déjà dans la présentation de la méthode. Dans le tableau 3, nous constatons que le résultat (kap) prend 3 valeurs possibles : « 0 », « 1 », « L ». Cette dernière valeur du résultat (kap = L) correspond à la configuration (h) du tableau 3. En fait, cette combinaison de conditions (internat = 0; act = 1; dist = 0) n’a pas été empiriquement observée par le chercheur, d’où la valeur « 0 » dans la colonne « Nombre de filiales ». C’est une configuration possible mais non rencontrée par le chercheur au moment de la collecte des données. Il revient ainsi au chercheur de formuler une hypothèse pour justifier la prise en compte de cette configuration dans la recherche des solutions du résultat. Les cas associés à de telles configurations de conditions sont dits logiques. Ils sont complémentaires aux cas observés et contribuent efficacement à la parcimonie du résultat. Leur prise en compte n’entraine pas de contradiction avec les cas empiriquement observés (De Meur et Rihoux, 2002, p.126). Cette procédure de simplification est une réponse à la critique selon laquelle les comparaisons dans les études de cas sont nécessairement incomplètes ou favorisent une certaine interprétation au détriment d’autres (Curchod 2003, p. 96).

A présent, nous allons déterminer les facteurs potentiels pour lesquels les PME rencontrées optent soit pour une filiale conjointe (kap = 1), soit pour une filiale 100 % (kap = 0) pour s’établir à l’étranger. Nous procéderons par des opérations de minimisation booléenne (Rihoux, 2004; Rihoux et Ragin, 2009) pour générer une multiplicité de chemins explicatifs des phénomènes à l’étude. Le résultat généré adoptera la convention suivante : des lettres majuscules lorsque la modalité d’une variable est « 1 » et des lettres minuscules lorsque la modalité est « 0 ». Dans une configuration, le signe « * » désigne l’expression logique « ET » (un produit) et le signe « + » se traduit par « OU BIEN » (une somme). L’ensemble des configurations de conditions correspondant aux résultats est repris dans le tableau 4.

Tableau 2

Liste des variables « conditions » et « résultat » après codage

Liste des variables « conditions » et « résultat » après codage

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Ces résultats seront discutés en analysant les facteurs potentiels d’implantation d’une coentreprise internationale, puis ceux d’une filiale totalement détenue.

Les facteurs potentiels d’implantation d’une filiale conjointe internationale

Les résultats de notre analyse indiquent que la présence d’un modèle d’internationalisation progressive, d’une unité de production à l’étranger et d’une distance culturelle perçue forte tend à influencer la création d’une coentreprise internationale. En effet, dans cette configuration, les dirigeants de PME interrogés préfèrent s’associer à un partenaire local pour créer une filiale à l’étranger.

Les PME sont moins préparées que les grandes entreprises à traiter des difficultés liées à la distance géographique, culturelle, et institutionnelle entre le pays d’origine et le pays dans lequel l’investissement a été réalisé (Mayrhofer, 2004; Vachani, 2005), comme nous l’indiquions déjà en introduction générale de cette recherche. Sur ce point, le répondant H implanté sous la forme d’une coentreprise en Afrique du Sud, précisait : « il y a un phénomène particulier là-bas, la Black Economic Empowerment qui tente de développer une classe moyenne et supérieure noire… C’était recommandé de s’associer à un partenaire noir pour avoir des marchés ».

Les filiales de PME doivent faire face à des défis singuliers par rapport à ceux relevés par les grandes entreprises. En effet, les PME diffèrent la plupart du temps des grandes firmes, en termes d’expérience de l’environnement international ou encore en fonction du niveau de ressources disponibles pour gérer les opérations sur les marchés étrangers (Vachani, 2005). Il apparaît par conséquent que l’apprentissage expérientiel, le niveau de ressources financières et humaines que représente l’installation d’un site de production à l’étranger (Brouthers et Brouthers, 2003), et une distance culturelle perçue élevée en fonction du choix du pays retenu, incitent les dirigeants de PME à se tourner vers les coentreprises internationales. « Y aller tout seul quand on est une PME, c’est pas facile… Pour bien s’intégrer, il faut avoir des locaux » soulignait le répondant H. Le partenaire étranger est vu comme une ressource complémentaire permettant de compenser les limites auxquelles sont confrontées les PME lorsqu’elles s’engagent sur les marchés internationaux par le biais de filiales. En effet, le recours à la coentreprise peut permettre aux PME de surmonter ces handicaps en ayant accès aux ressources du partenaire étranger (Lu et Beamish, 2006).

Tableau 3

Liste des 8 configurations et les cas associés

Liste des 8 configurations et les cas associés

NB : Dans la dernière colonne du tableau, les lettres permettent d’identifier les filiales dans notre population de PME et à l’intérieur des parenthèses on retrouve les pays d’implantation des filiales.

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Tableau 4

Résultats à l’issue d’une AQQC

Résultats à l’issue d’une AQQC

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La coentreprise internationale permet au partenaire étranger de bénéficier des compétences de son partenaire local relativement au contexte juridique, politique, économique, social et culturel. Dans la même veine que Bontempi et Prodi (2009), nos résultats indiquent que le niveau d’investissement que représente un site de production à l’étranger favorise l’établissement de coentreprises. Sur le cas de filiales de production de PME italiennes implantées en Chine, ces deux auteurs précisent que le recours à un partenariat permet de réduire les coûts et les risques associés à un investissement industriel. Ce mode d’implantation permet de maintenir un avantage compétitif sur les marchés étrangers.

Selon Obadia et Vida (2006), les PME sont moins préparées que les grandes entreprises à traiter des questions de distance institutionnelle, géographique et culturelle (Mayrhofer, 2004), ce qui les rend plus vulnérables à la complexité environnementale du pays d’accueil (Lu et Beamish, 2006). Dans ce sens, le niveau d’investissement et la distance culturelle perçue incitent les PME à se tourner vers la forme d’entreprises conjointes. Cependant, dans une coentreprise internationale, une grande différence de cultures entre les partenaires étrangers et locaux fragiliserait la survie des coentreprises internationales, comme ont pu le constater Meschi et Riccio (2008) dans leur étude réalisée sur un échantillon de 234 filiales conjointes internationales implantées au Brésil. Une coentreprise internationale est potentiellement plus instable qu’une filiale 100 %. Le répondant D nous confiait, au sujet de sa filiale conjointe implantée en Chine « même si on a un contrat, il y a toujours une part d’incertitudes ».

Après avoir identifié les facteurs susceptibles d’expliquer l’implantation des coentreprises internationales, revenons maintenant à la recherche des conditions potentielles de constitution d’une filiale totalement possédée (filiale 100 %).

Les facteurs potentiels d’implantation d’une filiale 100 %

La création d’une filiale détenue à 100 % intervient lorsque la PME opte pour une activité de distribution dans le pays hôte ou pour un développement rapide à l’étranger dès sa création (Oviatt et Mc Dougall, 1994; Knight et Cavusgil, 1996). Le choix d’une filiale totalement détenue permet de faciliter la stratégie globale de l’entreprise et d’asseoir ses propres choix organisationnels et ses orientations stratégiques. Sur la question de la nature de l’activité, on observe des similitudes de comportements entre les PME et les grandes firmes en matière des choix qu’elles opèrent entre filiales conjointes et filiales totalement détenues. Conformément aux résultats de Jaussaud et Schaaper (2003; 2009) observés dans leur étude traitant des comparaisons de modalités d’organisation et de contrôle entre les filiales des multinationales européennes et japonaises en Chine, les dirigeants de PME ont tendance à créer des filiales totalement détenues lorsqu’elles n’ont pas d’activité de production à l’étranger. Cependant, l’investissement dans une filiale 100 % est un moyen de contrôle par le capital mais représente le mode d’entrée le plus coûteux. Nous observons que lorsqu’il s’agit de créer une filiale commerciale, les dirigeants des PME rencontrés semblent détenir les ressources et les compétences nécessaires et ne perçoivent pas la nécessité de recourir à un éventuel partenaire. Ainsi par exemple, l’un de nos répondants indiquait : « on est à 100 % car ce ne sont pas des filiales de production… On n’a pas de problématique d’avoir une usine ou de gérer des contrats de travail compliqués. Donc il n’était pas nécessaire de s’associer avec des entreprises existantes localement » (cas B). L’implantation d’une filiale commerciale ne nécessite pas d’engager le même niveau de ressources financières, organisationnelles et humaines qu’une filiale de production.

Par ailleurs, le rythme d’internationalisation des PME a également une influence sur la structure du capital retenue, comme l’indique le deuxième terme du résultat kap = act + INTERNAT. En effet, lorsqu’elles sont assimilées aux Born Global, les entreprises s’engagent sur les marchés internationaux en créant des filiales totalement détenues. Nakos et Brouthers (2002) établissent une forte connexion entre l’expérience internationale et le recours à des modes d’entrée en capital en matière de développement international des PME. Les dirigeants de Born Global disposent la plupart du temps d’une expérience internationale préalable et d’une sensibilité au risque moindre, comparativement aux entreprises suivant un modèle d’internationalisation progressif. Le répondant A nous indiquait : « partager avec quelqu’un, c’est très difficile. Ce n’est pas la même culture. De plus, ce n’était pas utile, on avait la technologie. Pour le reste, on a recruté du personnel local qui avait des contacts avec le pays ». Ainsi, il apparaît que le haut degré d’expérience internationale, caractéristique des managers d’entreprises suivant le modèle d’internationalisation rapide et précoce (Rialp et al., 2005), relativise la recherche de la complémentarité auprès d’un partenaire étranger au profit d’une maîtrise des décisions.

Une autre explication pourrait trouver ses justifications dans le fait que les Born Global sont pour la majorité d’entre elles des entreprises évoluant dans le secteur de la haute technologie (Bontempi et Prodi, 2009). En optant pour une filiale 100 %, certains dirigeants ont pour volonté de s’inscrire dans une logique de centralisation des décisions stratégiques et opérationnelles car l’échec d’une filiale à l’étranger peut mettre en péril la survie de l’entreprise dans sa globalité (Jaussaud et Schaaper, 2006; 2009; Jean-Amans, 2011). A ce sujet, le répondant J précisait « ma filiale est une filiale détenue à 100 %. C’est un choix volontaire de ne pas s’associer à un partenaire. Ma volonté était de pouvoir tout contrôler. C’est plus simple à bâtir et cela permet de lever des fonds de façon plus simple ».

Il est communément admis que la gestion des PME est fortement centralisée, voire personnalisée autour du dirigeant (Kalika, 1984). Les PME sont dirigées et détenues dans la majorité des cas par le fondateur de l’entreprise (Lu et Beamish, 2006). La personnalisation de gestion des PME autour du dirigeant se manifeste par une interaction entre le pouvoir de gestion et le capital. Dans cette perspective, lorsqu’il s’agit d’implanter une filiale de commercialisation, les managers de PME répliquent leurs modèles de gestion centralisée autour du dirigeant, privilégiant les filiales détenues à 100 % aux dépens des coentreprises.

Conclusion

Cette étude avait pour objectif d’analyser les facteurs influençant les dirigeants de PME sur la question du choix de s’engager sur les marchés étrangers sous la forme d’entreprises conjointes ou de filiales totalement détenues. A cette fin, nous avons mobilisé trois déterminants potentiels que sont le modèle d’internationalisation (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975; Johanson et Vahlne, 1977; Oviatt et Mc Dougall, 1994; Knight et Cavusgil, 1996), la nature de l’activité (Bouquet et Birkinshaw, 2008; Bontempi et Prodi, 2009; Björkman et Piekkari, 2009) et la distance culturelle (Kogut et Singh, 1988; Meschi et Riccio, 2008; Angué et Mayrhofer, 2010).

Notre travail propose deux enseignements principaux. Primo, lorsque l’implantation d’une filiale industrielle se fait par étapes cumulatives dans un pays culturellement perçu éloigné de la France, la décision porte sur la constitution d’une activité partagée avec des entreprises locales. Ce mode d’implantation sur le marché étranger permet aux PME de bénéficier de la présence d’un partenaire local et d’accumuler de l’expérience pour protéger leurs actifs. Le recours à une entreprise conjointe n’est pas dénué de problèmes. Toutefois, la clé du succès des coentreprises pour les PME pourrait résider dans la sélection du partenaire (Kirby et Kaiser, 2003; Hollensen et al., 2011).

Ensuite, nous observons que la décision d’internationalisation rapide et spontanée ou le développement d’une activité de commercialisation sont deux facteurs qui expliquent le choix de conserver son autonomie, en établissant une filiale détenue à 100 %. Les comportements des dirigeants d’entreprises à internationalisation soudaine montrent qu’ils sont dotés de fortes compétences et d’expériences internationales pour envisager des activités à fort contenu technologique qu’ils ne souhaitent pas partager avec des opérateurs étrangers. Ils préfèrent opter pour un modèle de gestion de proximité, très centralisé. Ainsi, les avantages spécifiques détenus de façon générale par les PME correspondant au modèle Born Global (expérience internationale et investissement à fort contenu technologique) les incitent à privilégier un mode d’implantation garantissant un degré élevé de contrôle par le biais d’une filiale totalement détenue.

Sur le plan méthodologique, nous avons mobilisé une AQQC, méthode spécifique qui permet d’allier qualitatif et quantitatif. Cette méthode permet de combiner une analyse orientée variable (étude quantitative) et une analyse orientée cas (étude qualitative) afin de proposer une démarche comparative de cas multiples. Dans une AQQC, tous les cas sont d’importance égale et de ce fait ils contribuent conjointement à la recherche des résultats. Lors de la mise en oeuvre des outils de cette méthode, le chercheur retourne régulièrement aux cas, considérés dans leur richesse et leur singularité.

Au-delà de cet apport méthodologique, notre recherche gagnerait à mobiliser des variables non dichotomiques. La codification binaire et le traitement quantitatif des données qualitatives recueillies pourraient entraîner une perte de certaines informations et appauvrir la qualité du matériau. Toutefois, il revient au chercheur d’établir un dialogue entre les résultats obtenus et les observations pour enrichir l’analyse comme le préconise la méthode. Pour des travaux futurs, il est possible de dépasser cette dichotomie pour introduire des variables à modalités multiples. Le traitement sera réalisé en mobilisant la technique de fuzzy sets ou « ensembles flous » (Rihoux et Ragin, 2009) ou celle du MVQCA (Multi-Value Qualitative Comparative Analysis) développée par Cronqvist (2009). La contrainte de dichotomisation des variables sera ainsi levée.

La classification du mode d’implantation retenue dans cette recherche s’est appuyée sur la dichotomie filiale totalement détenue versus filiale conjointe. De futures investigations pourraient affiner le mode d’entrée d’une filiale totalement détenue entre acquisition versus création d’une entité nouvelle permettant de combiner la quête de ressources stratégiques en s’implantant sur les marchés étrangers et le contexte institutionnel du pays d’accueil (Meyer et al., 2009).

Face aux mutations actuelles des pays émergents à croissance rapide (Milliot et Tournois, 2009) et aux pratiques récentes en management international (Mayrhofer et Urban, 2011), les travaux à venir devraient intégrer la configuration dynamique proposée par le modèle OLI revisité (Dunning et Lundan, 2008a) qui prend en compte les changements susceptibles d’intervenir au fil du temps, tels que les changements technologiques et les évolutions de politiques gouvernementales. Ces facteurs institutionnels permettent en effet de combiner les facteurs d’analyse au niveau micro et macro pour comprendre le choix d’implantation des entreprises (Dunning et Lundan, 2008b). Sur un plan managérial, l’évaluation du contexte institutionnel du pays dans lequel s’implantent les PME, permet aux dirigeants d’appréhender les défis auxquels ils s’exposent à l’étranger (Schwens et al., 2011).

Pour finir, nous incitons par ailleurs les recherches futures à s’intéresser aux caractéristiques des firmes (mode de gouvernance, performance antérieure), aux profils des dirigeants, aux objectifs stratégiques recherchés à l’étranger (Sanchez-Peinado et al., 2007), aux initiatives des filiales locales… pour mieux appréhender les relations et les réseaux dans lesquels s’inscrivent les entreprises (Johanson et Vahlne, 2009).