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Cet ouvrage collectif regroupe des auteurs d’univers différents (anthropologues, sociologues, démographes, médecins, statisticien, etc.) autour du thème « famille et santé ». L’ensemble des contributions fait suite au Colloque international d’Oran (avril 2006). La majorité des auteurs, spécialistes du domaine, n’offrent pas pour autant de « déjà lu », les contributions émanant de terrains auxquels les auteurs appliquent une nouvelle lecture, ou de terrains débutants (la méthode est toujours d’importance). Le but de l’ouvrage est d’analyser les liens entre le fonctionnement de la famille et le système de santé, et de cerner ainsi la famille comme « espace de production de santé » (p. 11).

Dès l’introduction (Mebtoul), le caractère sexué que présente la distribution des rôles au sein de la famille en ce qui concerne la santé est mis en exergue : le statut de la femme comme garante du prendre soin, un statut considéré comme « allant de soi » (p. 11), gratuit et à disposition, est questionné. À la suite de cela, l’ouvrage dépeint en première partie les enjeux sociaux et politiques liés à la famille face à la maladie. Les auteurs montrent que le système de santé s’évertue à faire entrer, tout en la repoussant adroitement, la famille en ses murs, en la mettant face aux limites du système – et ce, quelle que soit l’aire géographique considérée. Les différentes contributions soulignent entre autres que la famille est, par sa présence même, un enjeu de santé pour le malade et la famille elle-même.

La deuxième partie de l’ouvrage se concentre sur le travail familial en matière de soins. Les cinq premiers chapitres prennent pour base une pathologie donnée (diarrhée de l’enfant, drépanocytose, VIH, cancer) pour décrire les caractéristiques d’un travail de soins surtout féminin. Dans ces études, les compétences et les savoirs du domaine médical et du domaine profane s’entremêlent (Chérif et Belarbi) et se transfèrent (Tennci, Castra). C’est la famille comme acteur du soin, du parcours, de la décision qui est mise en avant dans les contributions suivantes, avec l’utilisation d’Internet par exemple (Akrich et Méadel). Enfin, la troisième partie traite des liens familiaux, de leur production en santé, notamment en se rapportant aux notions de risque et de prévention, et en questionnant différents modes d’accompagnement développés par les familles et les institutions. Coulon présente dans ce contexte une recherche-action décrivant les ajustements et les adéquations des familles face au mode d’accompagnement institutionnel de l’arrivée d’un premier enfant.

L’ouvrage se termine sur un chapitre dont le lecteur attend beaucoup, en raison de promesses de nouvelles perspectives de recherche. Geneviève Cresson y entame une discussion conceptuelle autour des interrelations entre les notions de famille et de santé. Elle revient tout d’abord sur la place et le(s) rôle(s) de la famille dans le champ de la santé au travers d’une comparaison entre l’école et la santé, qui lui permet un retour sur l’histoire de ce champ de recherche et ses aspects théoriques. Elle souligne ainsi la diversité des travaux possibles en santé, ne serait-ce qu’en raison de la diversité des maladies – dont cet ouvrage est un bon aperçu.

Dès lors, l’auteure livre différents conseils et soulève certains écueils en termes de recherche sur la famille. Elle met en lumière le problème de la variation de la définition de la notion de famille et montre comment cette dernière varie selon l’objet de la recherche, la question posée ou simplement l’identité sociale et culturelle de la personne (p. 290). Il s’agit là d’un véritable enjeu théorique et éthique à ne pas omettre en santé, tant il est vrai que l’influence des commanditaires et des financeurs peut être grande et subtile dans un champ aux revers politiques. On retiendra à ce sujet dans l’ouvrage la contribution de Michel Castra concernant les soins palliatifs.

En fin de compte, les pistes de recherche sont à chercher dans les deux dernières pages de l’ouvrage où l’auteure souligne que la famille a été surtout définie, dans le domaine de la santé, par sa façon de s’accommoder de l’événement maladie. Selon Geneviève Cresson, il est temps à présent d’appréhender la notion de famille à l’« inverse » (p. 298), c’est-à-dire comme espace de production de santé nourri, traversé ou possiblement traversé par des événements liés à la santé. Une telle intention, si elle n’est pas novatrice, a le mérite de poser à nouveau des questions méthodologiques importantes pour ceux qui travaillent dans le domaine de la santé, mais également de soulever et de présenter à des décideurs et financeurs potentiels la nécessité d’effectuer des travaux sur les populations « bien portantes ».