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L’ouvrage coordonné par Gagnon et Sasseville marque une contribution importante aux recherches menées depuis plus de trente ans sur les expérimentations de la pratique de la philosophie en communauté de recherche, hors des cadres institutionnels classiques (comme l’Université au Canada et en Belgique ou la dernière année de lycée en France). L’originalité de cet ouvrage consiste à ce que les auteurs s’intéressent non seulement aux applications de la communauté de recherche à des publics, des contextes et des lieux qui ont été encore peu interrogés (comme les prisons, les maisons de retraite, les centres de jour), mais réfléchissent aussi aux effets de ces ateliers sur l’estime de soi et le bien-être des participants. Au delà des compétences réflexives qui sont évidemment visées dans les ateliers de philosophie (penser avec rigueur et cohérence), ce sont aussi et surtout les conséquences sur le besoin de reconnaissance, d’empathie, d’écoute mutuelle, de convivialité et de dignité qui sont ici soulignées. Pour ne donner que deux exemples significatifs, les chapitres de Gagnon et de Abel sur « La pratique de la philosophie en communauté de recherche auprès de personnes en centre de jour » et « Une pratique atypique pour des enfants atypiques » marquent ce souci de prendre en compte les participants des ateliers dans leur globalité humaine et affective, et d’interroger de la sorte les frontières ténues et mouvantes entre philosophie et psychanalyse, entre philosophie et médecine de l’âme. Les auteurs ouvrent ainsi de nouveaux champs de recherche particulièrement riches et complexes.

L’ouvrage se caractérise aussi par ce qui peut apparaître à la fois comme une richesse et une faiblesse : la grande diversité des approches entre les différents articles. Certains textes relèvent effectivement du simple témoignage, alors que d’autres sont de véritables articles de recherche. Les articles qui témoignent subjectivement d’une pratique apportent certes une certaine fraîcheur par leur enthousiasme, mais ils pèchent aussi par leur quasi-absence de méthodologie et pourraient faire croire à une certaine naïveté à propos des effets positifs, presque magiques, des ateliers de philosophie. Compensés par la rigueur d’autres articles, c’est finalement la richesse apportée par la pluralité des regards portés sur ces pratiques qui l’emporte à la lecture globale.

En bref, il reste que cet ouvrage non seulement montre la richesse des applications possibles de la communauté de recherche philosophique, réaffirme avec conviction le pari de l’éducabilité philosophique de tous (enfants et adolescents en grande difficulté, en souffrance, prisonniers, personnes âgées, hospitalisées, etc.) et ouvre ainsi de passionnants nouveaux chantiers de recherche.