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1. Introduction et problématique

Le développement du langage oral en petite enfance constitue l’une des pierres angulaires sur lesquelles repose la réussite éducative des élèves, et plus particulièrement le succès dans l’apprentissage de la lecture. En effet, pour comprendre les textes écrits, un lecteur doit non seulement extraire le sens des mots qu’il lit, mais aussi se construire une représentation mentale du texte en mettant à contribution des habiletés langagières communes à la compréhension orale et écrite (Snow, 2002). En effet, les habiletés de compréhension en lecture des élèves au primaire sont corrélées à plusieurs habiletés langagières dont, notamment, les habiletés à effectuer des inférences (Oakhill et Cain, 2007). L’inférence est définie comme toute information qui est prise en compte au cours de l’activité de compréhension d’un message, mais qui n’est pas explicitement formulée dans le discours oral ou écrit (van den Broek, 1994 ; McKoon et Ratcliff, 1992). Selon Cunningham (1987), pour parler d’inférence, il faut que l’interlocuteur ou le lecteur dépasse la compréhension littérale, c’est-à-dire qu’il apporte une information supplémentaire à l’énoncé de départ. Le rôle déjà crucial des inférences à l’oral serait d’autant plus important pour la compréhension de l’écrit ; dans la mesure où ce dernier est généralement plus décontextualisé que le discours oral (Kamhi et Catts, 2005). En effet, à l’écrit, le lecteur doit faire davantage d’inférences pour contrer le manque d’indices contextuels dû à l’absence physique de l’auteur du texte.

Les inférences ont suscité un grand nombre d’études, mais la majorité d’entre elles se sont intéressées à la compréhension de textes chez les adultes et les élèves qui ont déjà développé leurs compétences en lecture ainsi qu’aux difficultés observées chez les jeunes lecteurs (Ackerman, 1988 ; Bowyer-Crane et Snowling, 2005 ; Cain, Oakhill, Barnes et Bryant, 2001 ; Graesser, Singer et Trabasso, 1994). Les quelques études qui ont porté sur le développement des habiletés des enfants d’âge préscolaire à faire des inférences à l’oral ne se sont centrées que sur un nombre limité de catégories d’inférences et ne fournissent pas nécessairement de cadre conceptuel sur lequel appuyer les interventions en petite enfance (Botting et Adams, 2005 ; Ford et Milosky, 2003 ; Makdissi et Boisclair, 2006 ; Trabasso et Nickels, 1992 ; van Kleeck, Vander Woude et Hammet, 2006 ; Wenner, 2004). Pourtant, selon une approche développementale constructiviste (Piaget, 1936, 1937), il est primordial de stimuler les habiletés à faire des inférences en petite enfance à l’oral, car elles forment les fondations des mécanismes du développement ultérieur de la compréhension inférentielle en lecture des enfants d’âge scolaire et des adultes.

La présente étude apporte donc une contribution unique à l’avancement des connaissances en ayant pour objectif de proposer une conceptualisation des inférences en petite enfance en contexte de textes lus par des adultes. De telles assises théoriques sont nécessaires pour l’élaboration de stratégies de stimulation visant à activer les mécanismes présents en petite enfance qui facilitent le développement ultérieur de la compréhension écrite à l’école et par le fait même, la réussite éducative des élèves.

2. Contexte théorique

2.1 Cadres conceptuels de la compréhension à l’oral et à l’écrit

Lors de la lecture, la compréhension peut être conceptualisée comme un processus qui permet simultanément d’extraire et de construire du sens à travers une interaction et un engagement du lecteur avec le texte (Snow, 2002). Le processus d’extraction du sens d’un texte repose sur des mécanismes qui permettent d’identifier les mots du texte et d’accéder à la signification des phrases qui sont explicites dans le texte. Quant au processus de construction du sens, il nécessite une élaboration mentale progressive qui suppose ou implique la contribution d’habiletés langagières communes à la compréhension en modalité orale et qui incluent les habiletés à effectuer diverses catégories d’inférences (van den Broek, 1997). En effet, des études longitudinales ont montré que les enfants qui ont des troubles du langage oral pendant la période de la petite enfance présentent habituellement des difficultés d’apprentissage de la lecture lorsqu’ils fréquentent l’école (Bishop et Adams, 1990 ; Catts, Fey, Tomblin et Zhang, 2002). Cependant, selon la nature de leurs déficits langagiers, les répercussions en lecture diffèrent (Nation, 2005). Les enfants qui sont aux prises avec des déficits qui touchent leurs habiletés de traitement phonologique, c’est-à-dire à traiter les sons du langage (par exemple : difficultés en conscience phonologique, difficultés de mémoire verbale, troubles d’accès lexical, troubles expressifs sévères des sons de la parole), présentent généralement des difficultés dès la première année du primaire où les apprentissages en lecture se concentrent sur l’identification de mot, le mécanisme principal qui permet d’effectuer le processus d’extraction de sens dans un texte. En effet, de nombreuses études ont montré l’importance du traitement phonologique dans l’apprentissage de l’identification de mots en lecture (Liberman, Shankweiler et Liberman, 1989 ; Stanovich et Siegel, 1994). Par contre, si les déficits langagiers des enfants touchent plutôt les habiletés de compréhension à l’oral, leurs difficultés en lecture apparaissent davantage vers la 4e année du primaire où les apprentissages sont davantage en lien avec la compréhension en lecture (Catts, Hogan et Adlof, 2005). Ces données empiriques soutiennent le modèle conceptuel simplifié de la lecture (en anglais, Simple View of Reading) proposé par Gough et Tunmer (1986). En effet, selon ce modèle, la compréhension en lecture résulte de l’interaction entre, d’un côté, les habiletés à identifier correctement et rapidement les mots d’un texte, ce qui permet le processus d’extraction de sens et, d’un autre côté, les habiletés de compréhension langagière qui permettent d’enclencher le processus de construction du sens du texte.

Le modèle de van Dijk et Kintsch (1983) offre un cadre conceptuel complémentaire qui permet de mieux comprendre les composantes langagières sous-jacentes à l’activité de compréhension ainsi que la place qu’y occupent les habiletés inférentielles. Bien que ce modèle ait été créé pour décrire l’activité de compréhension en lecture, il est généralement admis qu’il s’applique aussi à la compréhension du discours oral (Bianco, Pellenq et Coda, 2004). Selon ce modèle, trois niveaux de représentation participent à la compréhension : la structure de surface, la base de texte et le modèle de situation. Le premier niveau fait appel au traitement du sens des mots et des propositions qui sont explicites dans le texte. Le deuxième niveau correspond au traitement sémantique du discours ; il établit les liens entre les informations explicites qui sont fournies au lecteur. C’est à ce niveau que s’organisent la microstructure et la macrostructure du discours. La microstructure concerne la compréhension des référents et des connecteurs entre les propositions. Quant à la macrostructure, élaborée à partir de certains éléments inclus dans la microstructure, elle touche l’identification des idées les plus importantes et la génération d’un résumé thématique. Le troisième niveau de représentation, le modèle de situation, fournit la représentation mentale de la situation décrite. Cette représentation comporte les personnages, les objets, les lieux, les actions et les évènements évoqués. À ce niveau, non seulement le lecteur intègre les données explicites issues du texte, mais il utilise aussi ses propres connaissances ou son raisonnement pour inférer les données implicites nécessaires à l’interprétation juste du message. Ainsi, le processus inférentiel serait présent à deux niveaux : 1) celui de la base du texte, pour établir des liens entre les éléments explicites (par exemple : inférer les référents des pronoms) ; et 2) celui du modèle de situation, pour générer de nouvelles informations (par exemple : inférer les états internes d’un personnage) (Kintsch et Rawson, 2005).

2.2 Les habiletés d’inférence en petite enfance

La grande majorité des études recensées portent sur la production des inférences chez les enfants d’âge scolaire ou chez les adultes qui lisent des textes (Ackerman, 1988 ; Bowyer-Crane et Snowling, 2005 ; Cain, Oakhill, Barnes et Bryant, 2001 ; Graesser et al., 1994). Néanmoins, lors des activités de compréhension d’un texte lu par un adulte, les jeunes enfants doivent faire appel à des habiletés inférentielles qui s’apparentent à celles mises en jeu lors de la compréhension en lecture (Dupin de Saint-André, Montésinos-Gelet et Morin, 2008). Par exemple, les histoires lues à voix haute et les échanges verbaux à propos des personnages et des actions de ces derniers amènent l’enfant à inférer des informations pour se construire une représentation mentale nécessaire à la compréhension.

Les quelques études menées auprès d’enfants d’âge préscolaire ont montré que ces derniers pouvaient effectuer des inférences liées aux états internes des personnages en contexte d’histoires lues à voix haute ou filmées, et ce, dès 4 ans (Botting et Adams, 2005 ; Ford et Milosky, 2003 ; Makdissi et Boisclair, 2006 ; Trabasso et Nickels, 1992 ; van Kleeck et al., 2006 ; Wenner, 2004). Selon ces études, dès la période préscolaire, les enfants possèdent les compétences leur permettant de générer des inférences. Cependant, d’après Oakhill et Cain (2007), ces enfants seraient moins susceptibles de le faire spontanément. En fait, pour effectuer des inférences, ils auraient besoin d’être guidés ou questionnés. Ainsi, le niveau de soutien apporté par l’adulte semble influencer considérablement l’habileté à faire des inférences des jeunes enfants. Ce constat concorde avec la théorie socioconstructiviste de Vygotsky (1978), selon laquelle l’apprentissage s’effectue lors d’un processus de coconstruction où l’adulte module le soutien qu’il offre à l’enfant de façon à le guider progressivement vers la maîtrise d’une habileté.

2.3 Objectif spécifique

Les rares études qui se sont attardées aux habiletés inférentielles en petite enfance ne fournissent qu’un portrait partiel de leur développement. Par ailleurs, ces études ne s’appuient pas nécessairement sur un cadre conceptuel qui permettrait de concevoir des activités de stimulation destinées aux enfants d’âge préscolaire. Étant donné qu’il existe dans les écrits scientifiques de nombreuses conceptualisations des inférences menant à une terminologie hautement hétéroclite, il devient difficile, pour les intervenants, d’utiliser ces assises théoriques lors de la mise sur pied d’activités visant le développement des habiletés inférentielles chez les enfants d’âge préscolaire. À l’heure actuelle, le système éducatif est moins bien préparé pour aider les élèves qui ont des difficultés de compréhension orale et prévenir leurs difficultés en lecture (Nation, 2005). Il devient donc impératif de fournir les bases théoriques nécessaires à l’élaboration de programmes préventifs dans ce domaine. L’objectif spécifique de cet article est donc de formuler une conceptualisation des inférences qui intègre celles déjà existantes, mais qui serait applicable à la compréhension orale des enfants d’âge préscolaire dans le contexte de textes lus par un adulte. Cette conceptualisation vise à offrir des assises théoriques plus claires afin d’appréhender les différentes dimensions des inférences auxquelles doivent s’attarder les intervenants lorsqu’ils planifient des activités de stimulation précoce en petite enfance, telles que la lecture d’histoires.

3. Méthodologie

Afin de mieux comprendre les inférences en contexte préscolaire, une analyse conceptuelle à partir des différentes conceptualisations déjà existantes a été réalisée. Cette analyse a été effectuée en deux étapes : une recension des écrits identifiant les conceptualisations déjà publiées, suivie d’une analyse du contenu des conceptualisations trouvées.

3.1 Recension des écrits

La recension des écrits scientifiques a débuté par une première recherche utilisant des mots clés dérivés de la terminologie anglaise reliée aux inférences (inferen $, implicit, comprehen $, decontextual $) et aux cadres conceptuels (framework $, concept $, model $, definition $). Aucun filtre relié aux dates de publication n’a été appliqué, mais seuls les documents publiés en français et en anglais ont été retenus. Nous avons utilisé le catalogue électronique de la bibliothèque de l’Université d’Ottawa pour répertorier des livres et des chapitres de livres. La recherche a aussi été effectuée dans les trois bases de données suivantes :

  1. Educational resources information center (ERIC) : cette base de données répertorie des revues scientifiques en éducation, dont la majorité est dotée de comités de révision par les pairs, ainsi que d’autres types de publications, toujours reliés au domaine de l’éducation, tels que publications gouvernementales, organisationnelles ou universitaires, des thèses et des monographies. Elle regroupe le Resources in education index et le Current index to journals in education.

  2. PsychInfo : cette base de données répertorie principalement des revues scientifiques dotées de comités de révision par les pairs, mais inclut aussi des livres et des thèses du domaine de la psychologie et des disciplines connexes. Elle est gérée par l’American psychological association.

  3. CSA linguistics and language behavior abstracts (LLBA) : cette base de données répertorie les écrits scientifiques internationaux en linguistique et dans les disciplines connexes aux sciences du langage. Ces écrits incluent les revues dotées de comités de révision par les pairs, des livres et chapitres de livres ainsi que des thèses.

À partir des titres des documents identifiés dans les bases de données et dans le catalogue de la bibliothèque, nous avons effectué un premier tri afin d’identifier les plus pertinents ; le titre devait contenir les mots dérivés des termes inférence et cadre conceptuel. Un second tri des documents restants a ensuite été réalisé à partir des résumés ; ces derniers devaient porter sur les cadres conceptuels visant à décrire les inférences. Les documents sélectionnés qui étaient disponibles en version électronique ou en version papier dans les bibliothèques de l’Université d’Ottawa ou à travers le système de prêt entre les bibliothèques de l’Ontario (RACER) ont été consultés et lus. Finalement, à partir des références jugées pertinentes dans les documents sélectionnés, d’autres articles ou livres ont été identifiés et lus. Au total, 23 documents ont été retenus pour l’analyse conceptuelle ; ils sont identifiés par un astérisque dans les références à la fin de l’article.

3.2 Analyse de contenu

Une analyse de contenu des différentes conceptualisations trouvées a été effectuée selon les procédures suivantes proposées par Krippendorf (1980) et Weber (1990). Comme première procédure, les différentes catégories d’inférences ont été extraites des modèles conceptuels pendant la lecture des 23 documents retenus. Par exemple, dans le modèle de Ducrot (1972), les inférences présupposées et sous-entendues ont été extraites. Les catégories d’inférences n’étaient pas prédéfinies par le chercheur ; elles ont été tirées des modèles eux-mêmes. La fréquence des catégories d’inférence n’était pas prise en compte dans l’analyse ; une seule occurrence d’une catégorie d’inférence savait le même poids qu’une haute fréquence d’une autre catégorie, car l’objectif était d’intégrer toutes les conceptualisations existantes, non seulement les plus fréquemment énoncées. Comme deuxième procédure, toutes les catégories d’inférences qui ont été extraites ont été comparées puis regroupées afin de pouvoir identifier les dimensions conceptuelles importantes permettant de définir ces inférences. Par exemple, la dichotomie des inférences présupposées et sous-entendues de Ducrot (1972) a été regroupée avec celle des inférences logiques et pragmatiques de Brewer (1977), ce qui a permis d’identifier la source d’information des inférences comme une dimension conceptuelle importante. Finalement, comme dernière procédure, les différentes dimensions ont été intégrées pour bâtir une conceptualisation unifiée des inférences qui tiennent compte de toutes les dimensions et de toutes les catégories d’inférences répertoriées.

4. Résultats

En comparant les nombreux modèles et travaux expérimentaux sur les inférences, il est possible de dégager trois grandes dimensions permettant de conceptualiser les inférences : a) la source d’information des inférences ; b) la contribution des inférences à la compréhension ; et c) la direction des inférences.

4.1 Source d’information des inférences

Au début des années 1970, les linguistes (Ducrot, 1972 ; Just et Clark, 1973) distinguent deux principales catégories d’informations issues du contexte verbal qui sont susceptibles d’enclencher un processus inférentiel : les présupposées et les sous-entendues. Les présupposées sont des informations qui se déduisent à partir d’un mot présent dans l’énoncé. Par exemple, Pierre a cessé de fumer présuppose que Pierre fumait. D’autre part, les sous-entendues sont des informations à reconstruire à partir de certains indices donnés par le discours. À la différence de la présupposée, une sous-entendue n’est jamais littéralement indiquée dans l’énoncé. Selon la situation, l’énoncé Il fait froid peut vouloir dire : Ferme la fenêtre, Rentrons à l’intérieur ou encore Tu as oublié d’allumer le chauffage. Ainsi, les sous-entendues font appel à des connaissances extralinguistiques (Bert-Erboul, 1979).

Une seconde distinction, introduite par Brewer (1977), puis maintenue par d’autres auteurs (Kerbrat-Orecchioni, 1986 ; Campion et Rossi, 1999 ; Bianco et Coda, 2002 ; Gaonac’h et Fayol, 2003), est établie entre deux autres catégories d’inférences : les inférences logiques et les inférences pragmatiques. En plus de référer à la source des inférences, cette distinction renvoie au type de raisonnement impliqué ainsi qu’à la valeur de vérité qui leur est accordée. Le terme pragmatique est utilisé pour les déductions probables qui s’appuient davantage sur les connaissances du monde. Par exemple, l’énoncé Sophie pédale jusqu’à la maison implique pragmatiquement que Sophie se déplace à vélo. Cette inférence est plausible, mais pas nécessairement vraie, car Sophie pourrait se déplacer en pédalo. À l’inverse, les inférences logiques prennent appui sur les éléments inclus dans le texte et sont produites par un raisonnement logique (Bianco et Coda, 2002). Si le raisonnement est adéquat, la déduction logique produite est vraie. Ainsi, la phrase Jean est plus grand que Paul implique, logiquement, que Paul est plus petit que Jean (Bert-Erboul, 1979).

L’étude des inférences selon la source de l’information évoquée se poursuit avec les travaux de Müsseler, Rickheit et Stronher (1985) qui distinguent également trois catégories d’informations inférées. Cette fois, une terminologie différente est utilisée. Premièrement, une inférence centrée sur la relation entre au moins deux propositions contenues dans le texte est nommée une inférence intratextuelle (en anglais, text-text inference), alors qu’une inférence basée sur les connaissances (en anglais, world knowledge inference) provient exclusivement des expériences personnelles ou des connaissances générales du sujet. Lorsque l’information inférée découle partiellement d’éléments textuels et des connaissances du monde, on parle alors d’inférence basée sur le texte et les connaissances (en anglais, text-world knowledge inference). Par exemple, à partir de l’énoncé Le garçon a remporté la médaille d’or. Son père le félicite, les propositions suivantes sont susceptibles d’être inférées : a) Le père félicite son garçon (inférence intratextuelle) ; b) Le garçon et son père sont très heureux (inférence basée sur le texte et les connaissances) ; et c) Ils iront célébrer au restaurant (inférence basée sur les connaissances).

Le regroupement des catégories d’inférences citées précédemment permet de formuler le constat que la source d’information permettant d’effectuer les inférences se présente comme un continuum entre les connaissances personnelles d’un individu et les informations qu’on lui a fournies antérieurement dans le texte. Ainsi, les inférences sous-entendues, pragmatiques ou basées sur les connaissances seraient effectuées à partir des connaissances personnelles, tandis que les inférences présupposées, logiques ou intratextuelles le seraient à partir d’informations transmises antérieurement dans le texte. Quant aux inférences basées sur le texte et sur les connaissances, elles nécessiteraient les deux sources d’information. En plus de cette distinction, plusieurs auteurs (Frederiksen, 1979 ; Johnson et Johnson, 1986 ; Graesser et collab., 1994) ; McGinnis, Goss, Tessmer et Zelinski, 2008) ont détaillé des sous-catégories d’inférences basées sur les connaissances personnelles. Selon Johnson et Johnson (1986), cet éventail d’habiletés inférentielles fournit une base solide qui contribue à la compréhension approfondie d’un discours. Le tableau 1  ci-dessous regroupe les sous-catégories d’inférences basées sur les connaissances personnelles proposées par les auteurs les plus cités dans les écrits scientifiques (Frederiksen, 1979 ; Johnson et Johnson, 1986 ; Greasser et al., 1994 ; McGinnis et al., 2008).

Tableau 1

Sous-types d’inférences fondées sur les connaissances personnelles (Frederiksen, 1979 ; Graesser et al., 1994 ; Johnson et Johnson, 1986 ; McGinnis et al., 2008)

Sous-types d’inférences fondées sur les connaissances personnelles (Frederiksen, 1979 ; Graesser et al., 1994 ; Johnson et Johnson, 1986 ; McGinnis et al., 2008)

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4.2 Contribution des inférences à la compréhension

D’autres chercheurs ont tenté de déterminer, parmi les inférences potentielles, lesquelles sont effectivement générées et quel est leur apport à la compréhension. Cette problématique les a ainsi menés à plusieurs classifications additionnelles d’inférences basées sur leur contribution au processus de compréhension.

En 1979, Crothers introduit les termes latins a posteriori et a priori pour distinguer deux catégories d’inférences. Les a posteriori sont déduites de l’information fournie antérieurement dans un texte et contribuent à la cohérence, tandis que les a priori proviennent des connaissances personnelles sans contribution à la cohérence du discours. Cette conceptualisation rejoint celles présentées dans la section précédente en se référant à la source d’information des inférences, mais elle innove en ajoutant la dimension de la contribution à la compréhension.

L’année suivante, Reder (1980) retient la notion de contribution à la cohérence pour classer les inférences en précisant un nouvel élément : l’intention de l’auteur du discours. Il distingue alors les inférences obligatoires des inférences facultatives. Les inférences obligatoires, aussi appelées nécessaires, sont celles qui sont intentionnellement provoquées par l’auteur et qui contribuent à la cohérence de la représentation mentale. Il existerait deux sous-catégories d’inférences obligatoires : les inférences anaphoriques et les inférences causales (Bianco et Coda, 2002 ; Fayol, 1996 ; Graesser et al., 1994 ; van den Broek, 1994). Les inférences anaphoriques, aussi appelées inférences référentielles ou coréférences, permettent de faire le lien entre un mot de substitution et son référent (par exemple : faire le lien entre un pronom et le personnage qu’il désigne). Quant aux inférences causales, elles requièrent la compréhension d’un lien de causalité (cause à effet) entre les évènements décrits (McGinnis et al., 2008 ; van Dijk et Kintsch, 1983). Cette catégorie d’inférences permettrait de comprendre, par exemple, pourquoi un personnage d’une histoire voudrait se venger après avoir été humilié par un autre personnage. En plus d’être fondé sur des éléments présents dans le discours, ce type d’information inférée provient également de l’activation des connaissances du monde et revêt une importance capitale dans la cohérence de la représentation mentale, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un texte narratif (Bianco et Coda, 2002 ; Galletti et Tapiero, 2008 ; Graesser et al., 1994 ; Martins et Le Bouédec, 1998). Ces inférences obligatoires causales sont aussi parfois nommées des inférences de connexion ou des inférences de liaison.

À l’inverse, les inférences facultatives, parfois nommées optionnelles, sont celles qui ne sont pas planifiées par l’auteur du discours, mais que son interlocuteur pourrait faire délibérément en ajoutant des informations supplémentaires qui enrichissent le contenu d’un discours sans contribuer à sa cohérence (Rickheit, Schnotz et Strohner, 1985 ; Rossi et Campion, 2008). Parmi ces inférences, on retrouve, par exemple, celles qui permettent de prédire une suite probable à certains évènements d’une histoire.

Il est possible de dresser un parallèle entre les inférences obligatoires ou facultatives et la terminologie utilisée par Barnes, Dennis et Haefele-Kalvaitis (1996). Selon ces auteurs, les inférences de cohérence (en anglais, coherence inferences) ont pour fonction principale d’assurer les liens essentiels à la compréhension. De leur côté, les inférences d’élaboration (en anglais, elaborative inferences) ne sont pas nécessaires à la compréhension d’un discours : elles contribuent plutôt à l’enrichissement de la compréhension. Bref, un certain consensus se dégage : les inférences peuvent assurer la cohérence, faute de quoi la compréhension échoue, ou enrichir le contenu, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas indispensables à la cohérence de la représentation mentale de la situation.

4.3 La direction des inférences

La construction de la compréhension peut nécessiter la formation de liens issus d’un retour en arrière ou encore d’une projection vers ce qui est à venir. Cette nature dynamique de l’activité de compréhension inférentielle a amené les chercheurs, dans leurs cadres théoriques, à exploiter la direction des inférences comme l’une des dimensions conceptuelles de la compréhension. Parmi les différentes catégories d’inférences que l’on peut identifier dans les écrits scientifiques, trois catégories proposées par van den Broek (1994) réfèrent à la direction des inférences : les inférences rétrogrades, les inférences antérogrades et les inférences orthogonales. Les inférences rétrogrades connectent un évènement décrit (évènement focal) aux énoncés présentés antérieurement dans le discours. Ainsi, au même titre que les inférences obligatoires, ces inférences contribuent à assurer la cohérence de la représentation mentale élaborée par l’individu. Les inférences anaphoriques et causales expliquées plus haut sont donc considérées comme des inférences rétrogrades (Bianco et Coda, 2002). De plus, dans ce modèle, l’auteur ajoute la notion de distance entre les éléments à relier pour les inférences rétrogrades. Selon lui, plus la distance augmente, plus l’élaboration de ce type d’inférence est difficile, car l’information antérieure n’est plus directement accessible en mémoire à court terme. Ainsi, le recouvrement se traduit par une recherche en mémoire à long terme suivie de la réactivation de l’information nécessaire à la production de l’inférence rétrograde (Galletti et Tapiero, 2008). Deuxièmement, les inférences antérogrades visent à connecter l’information en cours de traitement avec celle à venir. Les inférences antérogrades incluent donc, par exemple, la prédiction d’un évènement ou l’anticipation des conséquences de celui-ci. Finalement, les inférences ou élaborations orthogonales réfèrent aux informations supplémentaires qui ajoutent des détails à l’évènement focal (Galletti et Tapiero, 2008). Celles-ci incluent donc, par exemple, l’inférence des sentiments ou des états d’un personnage. Tout comme les inférences antérogrades, elles ne sont pas nécessaires pour maintenir la cohérence dans la compréhension d’un discours (Martins et Le Bouédec, 1998).

4.4 Intégration des dimensions conceptuelles

Plus récemment, Bianco et Coda (2002) ont proposé une classification des inférences qui tient compte, simultanément, de plus d’une dimension. Selon elles, les inférences peuvent être différenciées selon trois dimensions : a) la valeur de certitude de leur résultat ; b) leur nécessité pour la compréhension ; et c) leur direction. La valeur de certitude de leur résultat distingue les inférences logiques des inférences pragmatiques. En effet, les inférences logiques étant fondées sur des informations fournies antérieurement dans le discours, leur résultat est prévisible avec certitude, comparativement aux inférences pragmatiques qui dépendent des connaissances personnelles. La valeur de certitude de leur résultat est donc une autre façon de décrire la dimension liée à la source d’information des inférences, comme nous l’avons décrite précédemment. C’est leur caractère nécessaire pour la compréhension qui permet de différencier les inférences obligatoires des inférences facultatives, et donc d’identifier la contribution à cette compréhension. Finalement, la direction des inférences permet de séparer les inférences rétrogrades des inférences antérogrades. Selon Bianco et Coda (2002), les différentes dimensions associées à cette catégorisation ne sont pas mutuellement exclusives. Autrement dit, une catégorie d’inférences peut s’inscrire dans plus d’une dimension. Par exemple, une inférence anaphorique appartient autant à la catégorie des inférences nécessaires, qu’aux catégories des inférences logiques et rétrogrades. Cette classification unifiée permet donc de mettre en relation les trois dimensions identifiées précèdemment.

Dans les écrits scientifiques retenus, 16 sous-catégories d’inférences ont été répertoriées au total. Ces sous-catégories font habituellement l’objet de classifications variées. Le tableau 2 propose une classification intégrée des sous-catégories d’inférences selon les dimensions et catégories présentées jusqu’à maintenant. En y intégrant les différentes dimensions décrites précédemment, cette conceptualisation apporte une vision plus globale de la problématique liée à la diversité des critères de classification. Il s’agit donc d’une typologie unifiée qui permet de mieux cerner à quoi réfèrent les inférences en établissant des liens entre les terminologies existantes, tout en clarifiant leurs sources d’information, leur contribution à la compréhension et leur direction. Elle constitue un outil systématique pour l’analyse des écrits scientifiques qui porte sur les habiletés d’inférences. Une telle approche aide à mieux cerner les différentes dimensions des inférences à stimuler dans les activités de stimulation destinées aux enfants d’âge préscolaire.

Tableau 2

Sommaire des sous-catégories d’inférences et de leurs dimensions respectives

Sommaire des sous-catégories d’inférences et de leurs dimensions respectives

Ce sommaire inclut les sous-types d’inférences proposées par Frederiksen, 1979 ; Johnson et Johnson, 1986 ; Graesser et al., 1994 ; McGinnis, Goss, Tessmer et Zelinski, 2008

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5. Discussion des résultats

5.1 Stimulation des habiletés inférentielles en petite enfance

Les rares auteurs qui se sont intéressés à la stimulation des habiletés de compréhension inférentielle chez l’enfant d’âge préscolaire (Ezell et Justice, 2005 ; Lefebvre et Giroux, 2010 ; van Kleeck, 2008a, 2008b ; van Kleeck et al., 2006) proposent d’exploiter la lecture d’histoires avec les jeunes enfants pour le faire. Ce contexte éducatif est idéal, car il offre un registre langagier propice aux inférences. De plus, des interruptions pendant la lecture fournissent l’occasion d’enseignements explicites concernant les inférences. Effectivement, lorsque ces enseignements se déroulent dans un contexte pertinent et authentique qui intéresse l’enfant, leur efficacité s’accroît selon l’approche explicite contextualisée (en anglais, embedded-explicit) (Justice et Kaderavek, 2004), recommandée lors des activités de promotion d’éveil à l’écrit. De plus, même si la narration de l’histoire offre un contexte propice aux inférences, le jeune enfant n’est pas susceptible d’en faire spontanément (Oakhill et Cain, 2007). Il est donc plus stratégique que l’adulte fournisse à l’enfant des modèles de génération d’inférences avant même de lui demander d’en effectuer par lui-même (van Kleeck, 2008a). En effet, selon les principes de l’enseignement stratégique, un soutien adéquat qui est graduellement estompé permet de guider les enfants vers une pratique autonome (Tardif, 1992). Ces principes reposent sur le concept d’étayage (Bruner, 1983), selon lequel l’adulte ajuste le soutien qu’il offre à l’enfant dans le but de l’amener finalement à maîtriser un concept ou une compétence. Ainsi, un éducateur devrait tout d’abord exposer les enfants à du modelage en exprimant à voix haute les réflexions issues du processus inférentiel. Ce type de support permettrait d’introduire le concept d’inférence à l’enfant avant de lui poser des questions ouvertes qui l’amènent à en effectuer de façon plus autonome. Finalement, afin de développer chez les enfants toutes les dimensions de leurs habiletés inférentielles, il serait avantageux de prendre en compte la grande variété des types d’inférences. Pour ce faire, la conceptualisation unifiée et opérationnalisée dans la section précédente (voir tableau 2) fournit des pistes aux intervenants pour élaborer des stratégies éducatives qui tiennent compte de l’ensemble des modèles théoriques en ciblant une variété de types d’inférences.

Selon une étude menée par Girolametto, Weitzman, Lefebvre et Greenberg (2007), les éducateurs en garderies invitent rarement les enfants de 4 et 5 ans à faire des inférences pendant la lecture de livres d’histoires en groupe. Lorsqu’ils le font, ils posent directement une question ouverte qui demande à l’enfant de faire une inférence de façon autonome dès le départ. De plus, ils privilégient les inférences plus communes comme la prédiction et l’inférence de sentiment des personnages. Ils ne ciblent jamais les inférences basées sur le texte (les anaphores, par exemple), et très peu les autres types d’inférences basées sur les connaissances. Par conséquent, les enfants sont peu exposés aux inférences obligatoires qui assurent la cohérence ou aux inférences rétrogrades. À la lumière de ces données, il devient pertinent de proposer une approche planifiée qui tienne compte des lignes directrices énoncées plus haut : cela permettrait aux éducateurs et aux parents d’optimiser la stimulation qu’ils offrent en lien avec le développement des habiletés inférentielles en petite enfance.

5.2 Implications éducatives

Le contexte de lecture d’histoire à voix haute par l’adulte demeure une activité des plus pertinentes pour stimuler la compréhension inférentielle des jeunes enfants, car elle fournit un discours de registre littéraire plus décontextualisé propice aux inférences. Afin de tenir compte de la conceptualisation unifiée des dimensions et des catégories d’inférence, ces activités de lecture aux enfants devraient cibler une variété d’inférences plutôt que de cibler de façon répétée des inférences comme la prédiction ou le sentiment des personnages, communément visées par les adultes. Le tableau 2 qui classe les sous-catégories d’inférences permet de planifier l’activité de lecture devant un groupe d’enfants en sélectionnant tour à tour des inférences variées qui exploitent toutes leurs dimensions. Ainsi, les inférences sélectionnées devraient permettre de varier leur source d’information (les informations fournies antérieurement et les connaissances personnelles), leur contribution à la compréhension (obligatoire et facultative) ainsi que leur direction (antérograde, rétrograde et orthogonale). De plus, selon les principes de l’étayage (Bruner, 1983), le niveau de soutien offert lors des activités devrait être gradué au lieu de consister à seulement questionner les enfants. Une séquence comprenant quatre niveaux de soutien est donc proposée. Elle se présente comme suit : 1) le modelage ; 2) le contre-exemple ; 3) la question dirigée à l’enfant avec reformulation ; et 4) la question pour la pratique autonome.

Prenons l’exemple d’une éducatrice qui veut raconter devant son groupe d’enfants l’histoire fictive intitulée Suzie, la souris qui avait peur du noir. L’éducatrice ou l’enseignante lit préalablement l’histoire et identifie les inférences qui pourraient y être exploitées grâce au tableau 2. Elle sélectionne ensuite des inférences qui exploitent des dimensions variées. Par exemple, en sélectionnant l’inférence anaphorique (basée sur le texte, qui assure la cohérence et rétrograde) et l’inférence de solution (basée sur les connaissances, qui enrichit le contenu et antérograde), elle s’assure de faire varier les trois dimensions des inférences.

Lors des premières lectures, l’éducatrice offre d’abord aux enfants un modèle à voix haute de réflexions inférentielles. Pour l’anaphore, après avoir lu les phrases : Suzie se retrouve seule dans le noir. Elle se met alors à trembler de peur, elle dit : Je me demande bien de qui l’auteur parle quand il utilise le mot « Elle ». Ah ! Ce doit être Suzie la souris parce qu’il l’a nommée dans la phrase précédente ! Pour la solution, elle ajoute : Je me demande bien comment la souris pourrait se sortir de cette pièce sombre. Je crois qu’elle pourrait crier à l’aide pour que quelqu’un ouvre la porte. Lors d’une lecture subséquente de la même histoire, l’éducatrice demande préalablement aux enfants d’être attentifs pour s’assurer qu’elle ne fera pas d’erreurs pendant son histoire. Elle insère alors des erreurs volontaires pour inciter les enfants à identifier ces contre-exemples et à les corriger s’ils en sont capables. Par exemple, pour l’anaphore, elle dit : Je crois que lorsque l’auteur parle du chat quand il utilise le mot « Elle ». Pour la solution, elle ajoute : Pour sortir de cette pièce, elle pourrait s’assoir par terre et se fermer les yeux. Si les enfants détectent l’erreur inférentielle, mais qu’ils sont incapables de la corriger, l’éducatrice donne le modèle adéquat en félicitant les enfants d’avoir identifié l’erreur.

À la troisième lecture de l’histoire, l’éducatrice pose directement les questions aux enfants : Quand l’auteur utilise le mot « Elle », il parle de qui ? Que pourrait faire la souris pour se sortir de là ? Si les enfants n’arrivent pas à répondre, l’éducatrice offre un soutien : 1) un choix de réponses (par exemple : « Elle », c’est le chat ou la souris ? ;Elle devrait se fermer les yeux ou crier ?) ; 2) une ébauche (par exemple : C’est la… ; Elle pourrait…) ; 3) un synonyme ou une caractéristique liée à la réponse attendue (par exemple : « Elle », c’est une fille, donc ça doit être la… ; Pour attirer l’attention de quelqu’un, elle pourrait…). Chaque fois qu’un enfant produit une inférence inadéquate, l’éducatrice reformule en donnant la réponse correcte. À l’étape de la pratique autonome, elle pose les questions sans offrir de soutien ou crée un contexte qui incite l’enfant à expliquer verbalement une inférence devant ses pairs, en lui demandant, par exemple, de venir raconter la page reliée aux questions devant le groupe.

5.3 Limites de l’étude

L’analyse de contenu effectuée dans le cadre de cette étude comporte des limites en ce qui concerne la fidélité de l’extraction des catégories de références et du codage de leurs dimensions conceptuelles. Étant donné que l’extraction et le codage n’ont été effectués que par un seul chercheur, la reproductibilité des résultats obtenus n’est pas assurée. De plus, une triangulation des résultats obtenus permettrait d’assurer une meilleure validité de l’étude. Cette triangulation pourrait s’effectuer en consultant, par exemple, d’autres chercheurs dans le domaine. Les limites financières ainsi que la nature exploratoire de l’étude n’ont pas permis la double extraction et le double codage indépendants, ni la triangulation des résultats obtenus. Finalement, le nombre de documents retenus (N = 23) étant relativement restreint, il est raisonnable de croire que d’autres conceptualisations qui ont pu échapper à la recension des écrits existent, publiées en d’autres langues, par exemple.

6. Conclusion

6.1 Résumé de l’étude

La présente étude avait pour objectif spécifique de formuler une conceptualisation des inférences, en contexte de textes lus à des enfants d’âge préscolaire, qui intègre les diverses conceptualisations déjà existantes. Pour ce faire, une analyse conceptuelle des inférences a été effectuée à partir de la recension des différents modèles disponibles dans les écrits scientifiques identifiés dans les bases de données ERIC, PsychInfo, CSA LLBA et le catalogue électronique de la bibliothèque de l’Université d’Ottawa. Les résultats ont révélé trois dimensions dont on peut tenir compte lors des activités éducatives en petite enfance : la source d’information des inférences, leur contribution à la compréhension et leur direction.

6.2 Pistes de recherche futures

Il s’avérerait maintenant opportun de mettre en place une étude à devis observationnel de type longitudinal (étude de cohorte) pour examiner la séquence développementale du processus inférentiel chez l’enfant d’âge préscolaire, tout en tenant compte de toutes ces dimensions. Forts de telles connaissances, il serait possible de développer des épreuves de dépistage au préscolaire, pour identifier les enfants qui ont des difficultés à faire des inférences et qui sont à risque de développer des difficultés de compréhension en lecture. Ici encore, une autre étude à devis observationnel de type longitudinal (étude de cohorte) pourrait servir à vérifier la sensibilité et la spécificité d’un tel outil à dépister les enfants à risque de développer des difficultés en compréhension de lecture en lien avec des difficultés inférentielles. Enfin, il importe aussi de souligner l’importance de mesurer l’efficacité de la mise en oeuvre des stratégies éducatives proposées pour stimuler les habiletés inférentielles en petite enfance grâce à des études à devis expérimentaux qui permettent de distribuer au hasard les participants dans des groupes expérimentaux et témoins.