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1. Introduction et problématique

Dans les sociétés modernes, l’entrée à l’école constitue une étape importante du développement de l’enfant. Or, les études sur la préparation scolaire et sur les conditions de la transition des enfants de la maison vers l’école sont relativement récentes (Pianta et Cox, 1999). Au Québec, bien que la fréquentation au préscolaire ne soit pas obligatoire, près de 98 % des enfants âgés de cinq ans entrent à la maternelle à temps plein (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2010).

La capacité de l’enfant à participer aux activités, à établir des relations sociales et à faire des apprentissages, dès son entrée à l’école, s’avère une condition importante à sa réussite scolaire (Belsky et MacKinnon, 1994 ; Entwisle, Alexander et Olson, 2005). Cunha et Heckman (2010) soulignent que, sur le plan des habiletés cognitives et sociales, les écarts entre les enfants en fonction du revenu et des caractéristiques familiales apparaissent avant l’entrée à l’école et tendent à persister jusqu’à l’âge adulte. À leur avis, pour être en mesure d’offrir des services adaptés et ainsi prévenir l’échec scolaire, il est essentiel que les systèmes d’éducation puissent reconnaître, dès leur entrée à l’école, les caractéristiques des enfants. En conséquence, les recherches sur la préparation scolaire des enfants s’avèrent pertinentes sur le plan scientifique et social.

Dans cette perspective, notre étude vise à examiner l’état de la préparation des enfants à la maternelle en relation avec leurs caractéristiques personnelles, familiales et scolaires. De plus, elle consiste à comparer, à huit années d’intervalle, la préparation scolaire de deux cohortes d’enfants issus de milieux socioéconomiques défavorisés.

2. Contexte théorique

Traditionnellement, la notion de préparation scolaire ou school readiness renvoie à un modèle conceptuel sur la transition de l’enfant entre la maison et la maternelle dont les auteurs postulent que les caractéristiques personnelles de l’enfant jouent un rôle déterminant dans son intégration scolaire (Rimm-Kaufman, Pianta et Cox, 2000). Ainsi, un enfant bien préparé possède un ensemble d’habiletés physiques, cognitives, affectives et sociales qui favorise sa réussite dès son entrée à l’école (Magnuson, Meyers, Ruhm et Waldfogel, 2004). Ce constat ressort à l’examen des conclusions de nombreuses recherches empiriques sur le développement de l’enfant. Par exemple, des études longitudinales effectuées au Québec ont révélé que les enfants qui montrent un degré élevé d’agressivité physique en maternelle sont susceptibles de manifester un bon nombre d’autres problèmes. Ainsi, on observe chez eux, comparativement aux autres enfants, un niveau plus élevé d’hyperactivité, d’inattention et d’anxiété, ainsi qu’un taux moindre de comportements prosociaux. Ils sont aussi plus rejetés par leurs pairs, ils ont un rendement scolaire plus faible et ils manifestent davantage des comportements perturbateurs en classe (Haapasalo et Tremblay 1994 ; Vitaro, Tremblay, Gagnon et Boivin, 1992).

Si l’adaptation socioaffective est un élément important qui aide l’enfant à commencer l’école du bon pied, ses compétences cognitives sont, elles aussi, d’importants facteurs prédictifs d’une trajectoire scolaire réussie. En effet, il importe que les enfants possèdent de bonnes aptitudes langagières, la capacité de communiquer clairement leurs besoins et leurs idées, une connaissance des notions mathématiques de base ainsi que des connaissances générales pour pouvoir bénéficier pleinement de ce que l’école peut leur offrir (Doherty, 1997 ; Duncan, Dowsett, Claessens, Magnuson, Huston, Klebanov, Pagani, Feinstein, Engel, Brooks-Gunn, Sexton, Duckworth et Japel, 2007 ; Thomas, 2006).

Pour mieux comprendre la contribution différentielle de l’adaptation socioaffective et des compétences cognitives à la réussite scolaire, Duncan et ses collaborateurs (2007) ont analysé des données de six études longitudinales effectuées aux États-Unis, en Angleterre et au Canada. En tenant compte de multiples caractéristiques de l’enfant et de sa famille avant l’entrée à l’école, ces chercheurs concluent que les meilleurs facteurs prédictifs du rendement scolaire ultérieur sont les habiletés numériques et langagières ainsi que les capacités d’attention de l’enfant au début de sa scolarisation. En fait, des recherches plus récentes montrent que les capacités d’autorégulation de l’enfant, comme sa motivation et son habileté à contrôler ses émotions et ses comportements dans des situations potentiellement stressantes, sont directement reliées au rendement scolaire et à la manifestation de comportements inappropriés en classe (Duckworth et Seligman, 2005 ; McClelland, Cameron, Connor, Farris, Jewkes et Morrison, 2007 ; Suchodoletz, Trommsdorff, Heikamp, Wieber et Gollwitzer, 2009).

Durant les années 1990, les dirigeants politiques en Amérique du Nord commencent à reconnaître que la préparation des enfants d’âge préscolaire constitue un facteur de réussite à l’école primaire (Meisels, 1999). C’est pourquoi, aux États-Unis comme au Canada, des politiques et des programmes sont mis en oeuvre pour permettre à un plus grand nombre d’enfants d’être prêts à apprendre dès leur entrée à l’école (Lapointe et Martin, 2005 ; National education goals panel, 1997). Au Québec, cela se manifeste par l’instauration de mesures de prévention et d’intervention dans les écoles des quartiers défavorisés de Montréal, notamment au préscolaire (Ministère de l’Éducation du Québec, 1992). De même, le Programme de soutien à l’école montréalaise, lancé en 1997, met à la disposition des écoles de milieux défavorisés, dont celles visées par la présente étude, des ressources supplémentaires en vue d’assurer un meilleur développement des enfants (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2009). Enfin, la création d’un réseau provincial de services de garde vise aussi à mieux préparer les enfants au regard des exigences du système scolaire, notamment ceux vivant en milieu socioéconomique faible (Ministère de la Famille et de l’Enfance du Québec, 1997).

Dans ce contexte, plusieurs instruments de mesure sont testés pour mesurer la préparation scolaire des enfants à leur entrée à l’école (Costenbader, Rohrer et Difonzo, 2000). En 1997, des chercheurs canadiens responsables de l’Étude longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes mettent en commun leur expertise pour concevoir un questionnaire qui serait facile à remplir par les enseignants et qui fournirait des renseignements sur les caractéristiques personnelles, cognitives et sociales de l’enfant à la maternelle (Doherty, 1997 ; Janus et Offord, 2000). Les énoncés de ce questionnaire, dénommé l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (IMPDE), ont été sélectionnés après une revue systématique des principaux outils de mesure utilisés dans l’évaluation des enfants au préscolaire. L’Instrument de mesure du développement de la petite enfance a été utilisé pour évaluer une cohorte d’enfants montréalais inscrits à la maternelle en 1998-1999 (Lapointe et Tremblay, 2000), puis une autre cohorte d’enfants montréalais inscrits en 2005-2006 (Direction de la santé publique de Montréal, 2008). Dans la présente étude, ces deux bases de données seront traitées à partir d’une sélection des énoncés originaux de l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (IMPDE) proposée par Lapointe, Pagani et Martin (2007). Cette sélection prend en compte quatre domaines de la préparation scolaire : santé et bien-être, développement cognitif, intégration sociale et autorégulation.

Plusieurs chercheurs ont tenté de déterminer les caractéristiques personnelles, familiales et scolaires qui constituent des facteurs de risque ou de protection liés à la préparation scolaire des enfants. Ces travaux ont montré que la pauvreté matérielle, l’origine culturelle, la monoparentalité et la faible scolarité des parents sont reliées, de manière négative, à plusieurs indicateurs sur le développement des enfants (Bornstein et Bradley, 2003 ; Reynolds, Mavrogenes, Bezruczko et Hagemann, 1996). D’autres chercheurs ont comparé les compétences scolaires, cognitives et sociales des enfants à la maternelle en fonction du genre et de l’âge des enfants (Mathew, Ponitz et Morrison, 2009 ; McClelland, Morrison et Holmes, 2000 ; Ready, LoGerfo, Burkam et Lee, 2005). Ces recherches suggèrent que les filles manifestent des capacités d’autorégulation supérieures à celles des garçons (Mathew et al., 2009), ce qui pourrait être un facteur explicatif des différences de performance observées, notamment sur le plan de la littéracie (Ready et al., 2005). Par ailleurs, Mathew et ses collaborateurs (2009) signalent que, selon des données observationnelles, les capacités d’autorégulation des enfants à la maternelle varient en fonction de l’âge chronologique des enfants.

Enfin, plusieurs chercheurs ont tenté de mesurer l’impact de la participation d’enfants issus de milieux défavorisés à des programmes éducatifs au préscolaire. Par exemple, Lapointe, Tremblay, Hébert et Boulerice (2006) ont suivi près de 10 000 élèves montréalais inscrits au préscolaire entre les années scolaires 1989 et 1994. À partir de mesures relevées à la fin de la 1re année, ils observent que ceux qui sont entrés à l’école à l’âge de quatre ans (prématernelle) ont un rendement scolaire et une adaptation psychosociale similaires à ceux des enfants qui ont commencé l’école à l’âge de cinq ans (maternelle).

Dans une enquête menée en 1996 avec un échantillon représentatif des écoles américaines, 3 995 enseignants de maternelle ont estimé le pourcentage d’enfants qui éprouvaient des difficultés à leur entrée en maternelle (Rimm-Kaufman, Pianta et Cox, 2000). Selon eux, 52 % des enfants n’avaient aucune difficulté, 32 % éprouvaient des difficultés mineures, tandis que 16 % avaient des difficultés importantes. Les problèmes le plus souvent relevés chez les enfants avaient trait au respect des consignes, à l’apprentissage, au vécu familial et à l’autonomie au travail. Ces résultats montrent l’importance de considérer à la fois les compétences sociales et les aptitudes cognitives dans l’évaluation de la préparation scolaire des enfants. Cette dernière étude permet d’estimer la prévalence de certains problèmes scolaires dans les populations d’enfants à la maternelle, mais elle ne rend pas compte de l’état de préparation de chaque enfant. De plus, ce genre de recherche tend à mettre en évidence les déficits des enfants plutôt que leurs forces.

À partir des données de deux enquêtes indépendantes, pour la présente étude, nous adoptons une perspective différente dans l’évaluation de la préparation scolaire des enfants à la maternelle. En premier lieu, afin de déterminer si ces enfants ont des profils de préparation scolaire similaires, nous traitons des données de l’évaluation effectuée par des enseignants, à huit années d’intervalle, de deux cohortes d’enfants inscrits à la maternelle.

Ensuite, nous examinons si les profils de préparation scolaire varient en fonction des caractéristiques personnelles, familiales et scolaires des enfants. Enfin, nous comparons la préparation scolaire des enfants de ces deux cohortes qui ont fréquenté les mêmes écoles en milieux défavorisés, à huit années d’intervalle, pour juger si, pendant cette période historique marquée par une intensification des interventions en petite enfance, la préparation scolaire des enfants s’est améliorée.

3. Méthodologie

Cette section vise à présenter les participants, l’instrumentation, le déroulement, la méthode d’analyse des données recueillies lors de deux enquêtes menées en 1999 et en 2006 dans des établissements publics d’enseignement primaire sur l’île de Montréal. Des considérations éthiques suivront.

3.1 Sujets

Durant l’année scolaire 1998-1999, les enseignants de maternelle (5 ans) de 160 écoles primaires anglophones et francophones de quatre commissions scolaires de l’île de Montréal ont été invités à participer à une enquête sur la préparation scolaire des enfants. Dans 57 écoles participantes, 148 enseignants ont consenti à évaluer la moitié de leur groupe d’élèves qui avaient été sélectionnés au hasard. De cette manière, 1 482 enfants ont été évalués au printemps de l’année 1999.

En 2005-2006, selon une procédure de recrutement identique, 616 enseignants des cinq commissions scolaires francophones ou anglophones de l’île de Montréal ont accepté de participer à une enquête similaire. Dans cette seconde étude, les enseignants devaient évaluer tous les enfants de leur groupe. Ainsi, 8 974 enfants dans 223 écoles publiques ont été évalués au printemps de l’année 2006, soit 71 % des individus de la population visée.

3.2 Instrumentation

Les enseignants ont évalué chaque enfant de leur classe à l’aide de l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (IMPDE) qui inclut 103 questions (Janus et Offord, 2000). De ce nombre, 83 énoncés ont été retenus pour évaluer quatre composantes du développement de l’enfant : 1) Santé et bien-être (développement physique, habitudes de vie, motricité manuelle et globale) (neuf énoncés) ; 2) Développement cognitif (communication, lecture, écriture, mathématiques et intérêt scolaire) (31 énoncés) ; 3) Intégration sociale (socialisation, accomplissement et motivation) (19 énoncés) ; et 4) Autorégulation (prosocialité, hyperactivité, inattention, agressivité physique, dépression et anxiété) (24 énoncés).

Cette sélection d’énoncés, selon quatre composantes, correspond à celle retenue par Lapointe, Pagani et Martin (2007) à la suite de l’expérimentation de l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance auprès d’un échantillon de 4 336 enfants québécois. La fidélité test-retest des scores à ces composantes a été mesurée avec un échantillon de 356 enfants évalués à deux reprises, à trois mois d’intervalle. Les analyses de corrélation entre les scores individuels aux quatre composantes de la préparation scolaire montrent que le degré de fidélité temporelle de ces mesures est de modéré à élevé (n = 356 ; r = 0,68 à 0,80 ; p < 0,01). Le niveau de cohérence interne entre les énoncés inclus dans chaque composante est satisfaisant (n = 4 336 ; alpha de Cronbach variant de 0,84 à 0,93). La validité convergente des mesures à ces quatre composantes a été démontrée par rapport aux notes en français et en mathématiques au bulletin de la maternelle (n = 318 ; r = 0,46 à 0,61 ; p < 0,001) et aux résultats à des tests d’aptitudes (Échelle de vocabulaire en images Peabody et Test de connaissance des nombres). De même, la validité prédictive de ces mesures a été établie en lien avec le rendement scolaire des enfants en 4e année du primaire en lecture, en écriture et en mathématiques (n = 205 ; r = 0,22 à 0,44 ; p < 0,001) (Lapointe et al., 2007).

Plusieurs études montrent que les enseignants fournissent des renseignements valides sur le développement des enfants. Par exemple, Mashburn et Henry (2004) ont mesuré la fidélité des données d’évaluation des enfants fournies par les enseignants de maternelle en comparaison des tests standardisés. Le degré de correspondance entre ces deux types d’évaluation est assez élevé, surtout en ce qui concerne l’acquisition des préalables à la lecture et aux mathématiques. Selon Piotrkowski, Botsko et Matthews (2000), les enseignants seraient de meilleurs juges que les professionnels de la consultation en milieu scolaire parce qu’ils évaluent les enfants à partir de multiples situations d’apprentissage et d’interactions sociales vécues en classe. Plus récemment, Forget-Dubois, Lemelin, Boivin, Ginette, Séguin et Vitaro (2007) ont montré que la validité prédictive des mesures de l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance par rapport au rendement scolaire en 1re année est similaire à celles d’une batterie de tests cognitifs administrée par des évaluateurs indépendants.

Afin d’uniformiser la procédure d’évaluation des enfants, un guide explicatif est fourni à l’enseignant. Le temps requis pour remplir un questionnaire varie de 20 à 30 minutes. L’appréciation de l’enseignant est consignée à l’aide d’une échelle de type Likert. Par exemple, on lui demande de répondre aux questions suivantes : Diriez-vous que cet(te) enfant respecte les consignes ? (échelle de souvent à jamais) ; comment évalueriez-vous cet(te) enfant en ce qui concerne son habileté à relater un fait vécu ? (échelle d’excellent à très faible).

3.3 Déroulement

Tous les renseignements sur les enfants ont été compilés à partir de données fournies par les enseignants et les commissions scolaires, à l’exception des données concernant les indices de défavorisation des écoles, données que nous avons extraites de fichiers produits par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Certains renseignements nominatifs ont été recueillis uniquement lors de l’enquête réalisée en 2006. Les variables à l’étude renvoient aux caractéristiques personnelles, familiales et scolaires des enfants.

3.3.1 Caractéristiques personnelles

Préparation scolaire. Les résultats de l’évaluation des enfants des cohortes 1998 et 2005 pour chaque énoncé du questionnaire à l’enseignant ont été compilés dans deux bases de données distinctes. Les valeurs ordinales (par exemple, jamais ou très souvent) ont été converties en valeurs numériques (1 ou 5). Pour chacune des quatre composantes de l’évaluation, un score total a été calculé à partir des réponses aux énoncés correspondants. Puisque le nombre d’énoncés reliés à chaque composante varie, les scores individuels ont été ramenés sur une échelle de 1 à 10.

Âge de l’enfant. Calculé en mois au moment de l’évaluation de l’enfant par l’enseignant, soit environ six mois après le début de l’année scolaire. L’âge moyen des enfants de la cohorte 1998 était de 5,92 ans (écart-type : 0,39) et celui des enfants de la cohorte 2005 s’établissait à 5,96 ans (écart-type : 0,29).

Genre de l’enfant. La cohorte 1998 comprenait 49 % de garçons et 51 % de filles, tandis que la cohorte 2005 comptait 52 % de garçons et 48 % de filles.

Langue maternelle de l’enfant. La première langue apprise et encore comprise par l’enfant. Ici, le terme allophone désigne un enfant dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais. La cohorte 1998 comprenait 8 % d’anglophones, 51 % de francophones et 41 % d’allophones. La cohorte 2005 incluait 23 % d’anglophones, 36 % de francophones et 41 % d’allophones.

Lieu de naissance de l’enfant. Dans la cohorte 2005, 84 % des enfants étaient nés au Québec et 16 % hors du Québec.

3.3.2 Caractéristiques familiales

Lieu de naissance de la mère. Parmi les mères des enfants de la cohorte 2005, 56 % étaient nées au Québec et 44 % hors du Québec.

Scolarité de la mère. Parmi les mères des enfants de la cohorte 2005, 11 % n’avaient pas obtenu de diplôme d’études secondaires, 27 % en avaient un, 24 % avaient obtenu un diplôme d’études collégiales et 38 % détenaient un diplôme universitaire.

3.3.3 Caractéristiques scolaires

Indice de défavorisation de l’école. Chaque année, le Ministère calcule les indices de défavorisation des écoles, à partir de données de recensement sur la scolarité et le revenu des parents (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2005). L’indice du seuil de faible revenu fournit une estimation de la proportion de familles dont les revenus se situent autour du seuil de faible revenu ou en dessous. La valeur de cet indice varie de 0 à 100 : plus celle-ci est élevée, plus la population scolaire de l’école est reconnue comme défavorisée sur le plan socioéconomique. L’indice moyen de défavorisation des 57 écoles fréquentées par les enfants de la cohorte 1998 était de 57,80 (écart type = 9,31 ; minimum = 10,93 et maximum = 74,16) et de 36,31 pour les 223 écoles des enfants de la cohorte 2005 (écart type = 14,73, minimum = 4,46 et maximum = 71,33).

Fréquentation de la prématernelle. Selon les enseignants, 27 % des enfants de la cohorte 2005 avaient fréquenté une classe de prématernelle à l’âge de quatre ans, à raison de cinq demi-journées par semaine, tandis que 73 % n’avaient pas eu accès à un tel service.

3.4 Méthode d’analyse des données

Dans ce qui suit, en premier lieu, les données de l’évaluation des enfants des cohortes 2005 et 1998 seront traitées séparément, selon une procédure d’analyse par classification hiérarchique, en vue de déterminer des profils de préparation scolaire. De cette manière, il sera possible de juger si les enfants de ces deux cohortes ont des profils de préparation scolaire similaires. Puisque l’échantillon d’enfants évalués en 2005 est davantage représentatif de la population scolaire de l’île de Montréal, l’analyse de l’évaluation des enfants de cette cohorte sera présentée de manière détaillée, tandis que les conclusions de l’analyse de l’évaluation des enfants de la cohorte 1998 seront brièvement rapportées.

En deuxième lieu, à l’aide de tests du khi-carré, les profils de préparation scolaire des enfants de la cohorte 2005 seront examinés en tenant compte des caractéristiques personnelles, familiales et scolaires des enfants. Par la suite, à partir d’un modèle de régression, il sera possible de déterminer, parmi l’ensemble de ces mesures, lesquelles sont les plus associées au jugement des enseignants envers les enfants.

En dernier lieu, nous comparerons le classement des enfants dans les cohortes 1998 et 2005, selon leurs profils de préparation scolaire, dans 43 écoles de milieux socioéconomiques défavorisés. Cette comparaison, effectuée à l’aide d’un test du khi carré, permettra de juger de l’évolution de l’état de la préparation scolaire parmi cette population d’enfants. Au préalable, la procédure d’analyse par classification hiérarchique sera reprise afin de déterminer les profils de préparation des enfants, et ce, à partir d’une mise en commun des données de l’évaluation des enseignants dans ces écoles en 1998 et en 2005.

3.5 Considérations éthiques

La réalisation de ces enquêtes a été autorisée par le Comité d’éthique de la recherche du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Les enseignants étaient libres d’y participer et les parents ont consenti à ce que leur enfant soit évalué par son enseignant. Les faits saillants de ces enquêtes ont été communiqués aux participants, notamment par la Direction de la santé publique de Montréal.

4. Résultats

Dans cette section, nous présentons les profils de préparation scolaire des enfants des cohortes 2005 et 1998, nous examinons les relations entre les profils des enfants et leurs caractéristiques personnelles, familiales et scolaires, et enfin, nous comparons les profils de préparation de deux cohortes d’enfants.

4.1 Profils de préparation scolaire des cohortes 2005 et 1998

La procédure d’analyse par classification hiérarchique porte, en premier lieu, sur l’évaluation des 8 974 enfants de la cohorte 2005. Cette analyse s’effectue en examinant les scores individuels aux quatre composantes de l’évaluation qui, en moyenne, varient de 7,42 à 8,92 (écart type : 1,55 à 1,99). D’abord, le calcul des mesures d’intervalle de distance euclidienne au carré fournit des indices de similarité entre les scores individuels qui servent à constituer une matrice où sont représentées les valeurs associées à chaque paire de sujets. Ensuite, la méthode d’agrégation de Ward est employée pour classifier les sujets et former des groupes, selon une règle de sélection progressive qui privilégie d’abord l’association des sujets pour lesquels la valeur de la mesure d’intervalle est la plus faible (Ward, 1963). Lors du regroupement des sujets, ce mode de sélection permet de conserver un degré minimal de variance intragroupe (Blashfield, 1980). Au terme de cette procédure, un dendrogramme est constitué dans le but de représenter les différents regroupements possibles entre les sujets.

Ce dendogramme permet de distinguer, à chaque niveau de coupure, des groupes d’enfants, chaque groupe réunissant des sujets qui ont obtenu des scores similaires aux quatre composantes évaluées. Deux critères guident le choix du niveau de coupure à privilégier et, conséquemment, du nombre de profils à retenir. D’une part, la sélection du nombre de profils conservés doit permettre de rendre compte de la variabilité des évaluations des enseignants. D’autre part, ces profils doivent être exclusifs, c’est-à-dire que le niveau de coupure retenu doit permettre de distinguer des groupes d’enfants qui ont obtenu des moyennes statistiquement différentes aux quatre composantes de l’évaluation.

Selon ces critères, la sélection de quatre profils de préparation scolaire apparaît comme une solution optimale. L’analyse de variance multivariée (MANOVA), selon la trace de Pillai (p < 0,001), puis des analyses de variance univariée (ANOVA) confirment l’existence de différences significatives entre les moyennes de ces quatre groupes d’enfants (F (3, 8970) = 2 040,08 à 7 702,58, p < 0,001). De manière plus précise, des comparaisons a posteriori (tests de Scheffé) montrent que tous les scores moyens des groupes d’enfants sont statistiquement différents pour chaque composante. Pour comparer les quatre profils dégagés selon une échelle commune, les scores individuels sont transformés en valeur centrée réduite (score Z). La figure 1 illustre la distribution des scores moyens de ces quatre groupes d’enfants pour chaque composante de la préparation scolaire.

Selon nos observations, 67 % des enfants ont un profil distinct dit Mature (n = 6051) puisque, comparativement aux autres, ils sont évalués de manière plus positive sur toutes les composantes de la préparation scolaire. En fait, la valeur des scores moyens de ces enfants aux quatre composantes est supérieure à la moyenne générale, qui correspond ici à une valeur de zéro (0,38 à 0,53 écarts-types au-dessus de la moyenne).

Deux autres profils sont identifiés dans la classification ; le premier regroupe 1 217 enfants (14 %) et le second, 1 118 (12 %). En général, les enfants de ces deux groupes obtiennent des scores dont la valeur se situe sous la moyenne générale. En comparant ces deux groupes d’enfants, on remarque qu’ils se différencient nettement au regard de l’évaluation du développement cognitif. En effet, même si les différences entre les scores moyens de ces deux groupes d’enfants aux trois autres composantes sont statistiquement significatives, elles sont plutôt de faible ampleur. En raison de cela, les enfants du premier groupe sont dits En difficulté d’adaptation tandis que ceux du second groupe sont reconnus En difficulté d’apprentissage. Les enfants En difficulté d’adaptation ont une meilleure évaluation pour la composante développement cognitif (0,16 écart-type au-dessus de la moyenne) par rapport aux trois autres composantes (0,54 à 0,90 écarts-types sous la moyenne). Au contraire, les enfants En difficulté d’apprentissage sont jugés nettement plus faibles pour la composante développement cognitif (1,53 écart-type sous la moyenne), comparativement aux autres composantes (0,43 à 0,84 écarts-types sous la moyenne). Finalement, 588 enfants obtiennent les scores les plus faibles à toutes les composantes de la préparation scolaire, comparativement aux autres enfants (1,76 à 2,38 écarts-types sous la moyenne). Ce groupe d’enfants reconnus comme À risque représente 7 % de l’échantillon.

Figure 1

Profils de préparation scolaire des enfants de la cohorte 2005 (n = 8 974)

Profils de préparation scolaire des enfants de la cohorte 2005 (n = 8 974)

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Afin d’examiner s’il est possible d’identifier des profils de préparation similaires chez les enfants de la cohorte 1998 (n = 1 482), la démarche d’analyse par classification hiérarchique est reprise avec la base de données de l’évaluation de cette cohorte d’enfants. Dans l’ensemble, les résultats de ces analyses sont concluants, puisqu’ils mettent en évidence une typologie de quatre profils de préparation scolaire qui apparaît très similaire à celle établie avec la base de données de l’évaluation des enfants de la cohorte 2005 (Figure 2). À partir de deux échantillons indépendants, la reproduction de la sélection des profils de préparation scolaire constitue une forme de validation empirique des résultats de l’analyse typologique.

Figure 2

Profils de préparation scolaire des enfants de la cohorte 1998 (n = 1 482)

Profils de préparation scolaire des enfants de la cohorte 1998 (n = 1 482)

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4.2 Profils de préparation scolaire selon les caractéristiques personnelles, familiales et scolaires des enfants

Examinons maintenant si les enfants de la cohorte 2005, regroupés selon ces quatre profils de préparation scolaire, ont des caractéristiques communes sur le plan personnel (âge, genre et langue maternelle), familial (lieu de naissance et scolarité de la mère) et scolaire (indice socioéconomique de l’école et fréquentation de la prématernelle quatre ans). Au terme de ces analyses, toutes ces variables seront prises en compte simultanément pour déterminer lesquelles sont les plus liées à la sélection des enfants dits Matures.

4.2.1 Caractéristiques personnelles des enfants et profils de préparation scolaire

L’analyse de variance univarié (ANOVA) indique que l’âge a un effet significatif dans la répartition des enfants selon leur profil (F (3, 4600) = 6,50, p < 0,001). Des analyses complémentaires (test de Tukey) révèlent que les enfants Matures sont un peu plus âgés que ceux jugés À risque (p < 0,001). En moyenne, la différence d’âge entre les enfants de ces deux groupes est de 36 jours (6,04 ans comparativement à 5,94 ans).

Comme le rapporte le tableau 1a, les tests du khi carré révèlent des effets significatifs quant à la répartition des enfants en fonction du genre (χ2(3) = 426,75 ; p < 0,001), de la langue maternelle (χ2(6) = 98,72 ; p < 0,001) et, dans une moindre mesure, du lieu de naissance (χ2(3) = 9,37 ; p < 0,02). Le calcul des résidus standardisés permet d’estimer, par rapport à chacune de ces caractéristiques personnelles, s’il existe un écart statistiquement significatif entre le nombre de sujets dans l’échantillon total et le nombre d’individus regroupés selon chaque profil de préparation scolaire.

La répartition des enfants selon le genre montre que les filles sont surreprésentées dans le groupe d’enfants dits Matures. Elles constituent 48 % de l’échantillon total, mais elles représentent 55 % des enfants de ce groupe jugés bien préparés (écart de 7 points de pourcentage). Par contre, elles sont sous-représentées dans les groupes d’enfants reconnus À risque (écart de 24 points), En difficulté d’adaptation (écart de 17 points) et En difficulté d’apprentissage (écart de 6 points). Une tendance inverse est observée chez les garçons qui forment 52 % de l’échantillon. Ces derniers sont surreprésentés dans les groupes d’enfants jugés À risque (76 %), En difficulté d’adaptation (69 %) et En difficulté d’apprentissage (58 %), mais ils sont sous-représentés parmi le groupe d’enfants reconnus comme Matures (45 %).

En ce qui concerne la langue maternelle, les anglophones, qui forment 23 % de l’échantillon, sont représentés en proportion équivalente dans les quatre profils de préparation scolaire. De leur côté, les francophones (36 % de l’échantillon) sont surreprésentés dans le groupe d’enfants jugés En difficulté d’adaptation (42 %) mais sous-représentés parmi le groupe d’enfants désignés comme En difficulté d’apprentissage (27 %). On relève une tendance inverse pour les enfants allophones, qui représentent 41 % de l’échantillon total : ces derniers sont sous-représentés dans le groupe d’enfants jugés En difficulté d’adaptation (33 %) et surreprésentés parmi le groupe d’enfants reconnus comme En difficulté d’apprentissage (52 %).

Tableau 1a

Répartition des enfants de la cohorte 2005 en quatre profils de préparation scolaire selon le genre, la langue maternelle et le lieu de naissance (n = 8974)

Répartition des enfants de la cohorte 2005 en quatre profils de préparation scolaire selon le genre, la langue maternelle et le lieu de naissance (n = 8974)

* p < 0,05, selon le calcul des résidus standardisés

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Enfin, une relation de faible ampleur est observée entre le lieu de naissance et le profil de préparation scolaire de l’enfant. Les enfants nés hors du Québec représentent 16 % de l’échantillon total, mais constituent 19 % du groupe d’enfants reconnus comme étant En difficulté d’apprentissage (écart de trois points).

4.2.2 Caractéristiques familiales des enfants et profils de préparation scolaire

Les profils de préparation scolaire varient-ils en fonction des caractéristiques familiales des enfants ? Les tests du khi-carré révèlent des différences significatives dans la répartition des enfants en fonction du lieu de naissance et de la scolarité de la mère (χ2(3) = 25,45 ; p < 0,001 ; χ2(9) = 77,07 ; p < 0,001). Le tableau 1b montre que, parmi le groupe d’enfants dits En difficulté d’apprentissage, le pourcentage de mères nées à l’extérieur du Québec est supérieur à celui attendu, compte tenu de leur représentation dans l’échantillon (53 % contre 44 %). Ces résultats suggèrent que c’est le lieu de naissance de la mère, plutôt que celui de l’enfant, qui permet de caractériser les individus de ce groupe.

Tableau 1b

Répartition des enfants de la cohorte 2005 dans les quatre profils de préparation scolaire selon le lieu de naissance et la scolarité de la mère (n = 3781)

Répartition des enfants de la cohorte 2005 dans les quatre profils de préparation scolaire selon le lieu de naissance et la scolarité de la mère (n = 3781)

* p < 0,05, selon le calcul des résidus standardisés

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En ce qui concerne la scolarité des mères, les différences les plus importantes (écart de 5 points ou plus entre le pourcentage observé et celui attendu) sont relevées pour les groupes d’enfants jugés En difficulté d’apprentissage et À risque. Les mères sans diplôme d’études secondaires (DES) sont surreprésentées dans le groupe d’enfants dits À risque ; elles forment 11 % de l’échantillon total, mais 18 % de ce sous-échantillon. Les mères détenant un diplôme d’études secondaires sont aussi surreprésentées parmi les groupes d’enfants reconnus En difficulté d’apprentissage et À risque (respectivement 35 et 32 % des sous-échantillons visés contre 27 % dans l’échantillon total). Par contre, les mères détenant un diplôme universitaire sont sous-représentées dans le groupe d’enfants jugés À risque (22 % de ce sous-échantillon contre 38 % dans l’échantillon total).

4.2.3 Caractéristiques scolaires des enfants et profils de préparation scolaire

Dans cette section, nous examinons s’il y a une relation entre l’indice de défavorisation socioéconomique de l’école, la fréquentation de la prématernelle quatre ans et la préparation scolaire de l’enfant. Selon l’analyse de variance multivarié (MANOVA), le profil de préparation scolaire des enfants varie en fonction de l’indice de défavorisation socioéconomique de l’école fréquentée ((3, 8454) = 11,22 ; p < 0,001). Comparativement au groupe d’enfants dits Matures, les enfants des groupes jugés En difficulté d’apprentissage et À risque fréquentent des écoles qui accueillent des élèves issus de familles plus défavorisées sur le plan socioéconomique (tests de Scheffé ; p < 0,001).

En ce qui concerne la relation entre la fréquentation de la prématernelle et la préparation scolaire de l’enfant, le test du khi carré montre qu’il n’y pas de différence significative entre la répartition des enfants, selon chaque profil de préparation scolaire, et le fait d’avoir ou non fréquenté la prématernelle.

4.2.4 Déterminants de la préparation scolaire des enfants selon les enseignants

À l’aide d’un modèle de régression logistique multinomiale, il est possible d’examiner, toutes choses égales par ailleurs, l’effet spécifique des caractéristiques personnelles, familiales et scolaires examinées précédemment dans l’évaluation des enfants par les enseignants. En considérant que les enfants Matures constituent le groupe de référence et en contrôlant les effets des autres variables dans le modèle statistique, les résultats d’une telle analyse montrent que plusieurs variables contribuent au classement des enfants (χ2(30) = 294,34 ; p < 0,001). Les termes d’interaction entre les paramètres ont été testés, mais ils ne sont pas rapportés parce qu’ils ne sont pas significatifs.

Le tableau 2 montre que comparativement aux garçons, les filles ont de 2,5 à 5,0 fois moins de chances d’être jugées en Difficulté d’adaptation, en Difficulté d’apprentissage ou À risque que d’être reconnus Matures (p < 0,001). De même, plus les enfants sont âgés à leur entrée à la maternelle, plus ils ont de chances d’être reconnus comme Matures plutôt qu’en Difficulté d’adaptation, en Difficulté d’apprentissage ou À risque (p < 0,001). La langue maternelle de l’enfant apparaît aussi comme un facteur discriminatif dans l’évaluation de la préparation scolaire des enfants. En effet, comparativement aux allophones, les francophones et les anglophones ont près de 2,0 fois plus de risques d’être jugés en Difficulté d’adaptation plutôt que d’être reconnus Matures (p < 0,001).

En ce qui concerne les caractéristiques familiales reliées au classement des enfants, la scolarité de la mère a son importance. Comparativement aux enfants dont les mères détiennent un diplôme universitaire, les enfants dont les mères ont réussi ou non leurs études secondaires (diplôme d’études secondaires) sont plus susceptibles d’être reconnus en Difficulté d’apprentissage ou À risque que d’être jugés Matures (p < 0,001). Par rapport aux enfants dont les mères sont nées au Québec, ceux dont les mères sont nées à l’extérieur sont plus susceptibles d’être reconnus en Difficulté d’apprentissage ou À risque que d’être jugés Matures (p < 0,05). Enfin, en tenant compte de toutes les autres variables dans le modèle, l’indice de défavorisation de l’école et la fréquentation de la prématernelle n’apparaissent pas comme des facteurs prédictifs de la sélection des enfants du groupe Matures.

Tableau 2

Caractéristiques personnelles, familiales et scolaires reliées à la sélection des enfants de la cohorte 2005 reconnus comme en Difficulté d’adaptation, en Difficulté d’apprentissage et À risque par rapport à ceux jugés Matures (n = 2122)[1]

Caractéristiques personnelles, familiales et scolaires reliées à la sélection des enfants de la cohorte 2005 reconnus comme en Difficulté d’adaptation, en Difficulté d’apprentissage et À risque par rapport à ceux jugés Matures (n = 2122)1

* p < 0,05, ** p < 0,001

1

Les termes d’interaction entre les paramètres ont été testés, mais ils ne sont pas rapportés ici parce qu’ils ne sont pas significatifs.

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4.3 Évolution de la préparation scolaire des enfants en milieux défavorisés

En dernier lieu, nous avons comparé le classement des enfants des cohortes 1998 et 2005 selon leurs profils de préparation scolaire, dans 43 écoles de milieux socioéconomiques défavorisés, à l’aide du test du khi-carré, afin de juger de l’évolution de la situation de la préparation scolaire parmi cette population d’enfants (Tableau 3). Au préalable, les résultats de l’évaluation des 2 974 enfants inscrits dans ces écoles en 1998 (n = 1 096) et en 2005 (n = 1 878) ont été mis en commun et traités selon la procédure de classification hiérarchique. Dans ces écoles, les indices moyens de défavorisation des populations scolaires en 1998 et 2005 étaient très similaires. En 1998, cet indice s’établissait à 57,43 (écart type = 11,32) tandis qu’en 2005, il était de 50,80 (écart type = 10,01). Autrement dit, ces enfants fréquentaient des écoles où près d’un élève sur deux vivait dans une famille dont le revenu se situait autour du seuil de faible revenu ou en dessous.

Tableau 3

Répartition des enfants des cohortes 1998 et 2005 selon les profils de préparation scolaire (n = 2974)

Répartition des enfants des cohortes 1998 et 2005 selon les profils de préparation scolaire (n = 2974)

* p < 0,05, selon le calcul des résidus standardisés

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Le test du khi-carré montre qu’il y a une différence statistiquement significative dans la répartition des sujets des cohortes 1998 et 2005 selon les quatre profils de préparation scolaire (χ2(3) = 8,28 ; p < 0,05). Cependant, cette différence est significative seulement dans le cas des enfants reconnus À risque. En tenant compte de la représentation de ce groupe d’enfants dans l’échantillon total (8 %), on constate qu’il y a un peu moins de cas de ce type dans la cohorte de 1998 (6 %) que dans celle de 2005 (9 %). Par contre, la représentation des enfants jugés Matures, En difficulté d’adaptation ou En difficulté d’apprentissage est équivalente dans les deux cohortes. En conséquence, à huit années d’intervalle, il apparaît globalement que l’état de la préparation scolaire des enfants dans ces écoles est demeuré inchangé.

5. Discussion des résultats

À partir des données de deux enquêtes indépendantes, menées à huit années d’intervalle, notre recherche rend compte, selon le jugement de leur enseignant, de la préparation scolaire de près de 10 000 enfants de la maternelle. Cette analyse distingue quatre profils de préparation scolaire et chacun d’entre eux met en relief les forces et les faiblesses des enfants par rapport à quatre domaines du développement sollicités dans la réalisation des activités à la maternelle et reliés à la réussite scolaire à plus long terme.

Selon les données de l’enquête menée en 2005, un grand nombre d’enfants montréalais (67 %) étaient jugés bien préparés pour entreprendre le programme de formation du primaire. Par contre, près d’un enfant sur trois éprouvait des difficultés plus marquées au regard de l’adaptation sociale (14 %), de l’apprentissage (12 %) ou par rapport à ces deux aspects du développement (7 %).

Durant les années 2000, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec (2008) reconnaissait seulement 2 % des enfants du préscolaire comme des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage. Notons que ces statistiques sont établies à partir de déclarations des commissions scolaires, c’est-à-dire de listes nominatives d’élèves qui, en raison de leurs besoins particuliers, reconnus par des professionnels des services complémentaires, devraient bénéficier de services éducatifs supplémentaires. De cette manière, les commissions scolaires ne visent pas à dénombrer tous les enfants vulnérables, mais à désigner, selon les critères et les catégories établis par le ministère, ceux qui pourraient bénéficier d’un financement additionnel. En fait, le ministère ne dispose pas de données complètes sur la préparation des enfants qui entrent dans le réseau des écoles primaires du Québec. Ainsi, la présente étude fournit des indicateurs plus précis sur l’état du développement des enfants à leur entrée à l’école.

De plus, elle montre que les profils de préparation scolaire des enfants varient en fonction des caractéristiques personnelles, familiales et scolaires des enfants. Toutefois, en considérant simultanément plusieurs de ces variables pour déterminer ce qui différencie les enfants jugés bien préparés (matures) par rapport à ceux qui le sont moins, on observe que la classification des enfants selon leur profil de préparation scolaire est davantage reliée à des caractéristiques personnelles (genre, âge et langue maternelle de l’enfant) ou familiales (scolarité et lieu de naissance de la mère) qu’à des caractéristiques scolaires (fréquentation de la prématernelle et indice de défavorisation socioéconomique de l’école).

Notre étude montre que les enseignants perçoivent des différences entre les filles et les garçons dès le début du cheminement scolaire des enfants. De même, plusieurs indicateurs sur la réussite des élèves illustrent que, comparativement aux filles, un plus grand nombre de garçons éprouve des difficultés à l’école (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2011 ; Saint-Laurent, 2001). Selon le ministère, deux fois plus de garçons que de filles sont reconnus handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage à la maternelle (respectivement 3,5 % et 1,4 %) (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2011).

Deslandes (2004) soutient que les filles s’adaptent plus facilement que les garçons aux normes scolaires. En fait, comparativement aux filles, les garçons adoptent plus souvent des comportements inappropriés, ils sollicitent davantage l’attention et ils sont plus indisciplinés et moins performants, selon Potvin, Paradis et Pouliot (2000). Nos résultats appuient ces conclusions : les garçons sont nettement surreprésentés dans les groupes d’enfants reconnus en difficulté d’adaptation et à risque, comparativement aux filles. Ces observations recoupent celles de Mathew et ses collaborateurs (2009) qui rapportent, à partir de mesures observationnelles, que les filles démontrent des capacités d’autorégulation supérieures à celles des garçons. Enfin, si les filles apparaissent en meilleure position que les garçons à leur entrée à l’école, on ne doit pas ignorer le fait que plusieurs d’entre elles sont aussi jugées en difficulté d’apprentissage.

Le jugement des enseignants sur la préparation scolaire semble varier en fonction de l’âge des enfants ; les enfants jugés bien préparés (matures) sont un peu plus âgés que ceux reconnus moins bien préparés (à risque). Au terme d’une étude longitudinale menée de la maternelle à la 3e année du primaire auprès de 900 enfants, le NICHD Early child care research network (2007) rapporte des résultats similaires. Selon ce rapport, à des tests de vocabulaire et de mathématiques, les enseignants tendent à évaluer plus positivement les enfants plus âgés.

En ce qui concerne la relation entre la scolarité de la mère et la préparation scolaire de l’enfant, nos résultats sont cohérents avec ceux rapportés dans d’autres études (Alexander, Entwisle et Bedinger, 1994 ; Paquin et Drolet, 2005 ; Zill, 1999). Par exemple, Paquin et Drolet (2005) observent que les parents plus scolarisés tendent à s’investir davantage dans des activités d’apprentissage à la maison, et ils assureraient ainsi une meilleure préparation scolaire de leurs enfants.

Notre étude montre que ce sont les écoles les plus défavorisés sur le plan socioéconomique qui accueillent le plus grand nombre d’enfants jugés moins bien préparés. Ces résultats ne sont pas surprenants et ils tendent à corroborer les conclusions de recherches similaires (Bornstein et Bradley, 2003 ; Reynolds et al., 1996). Par contre, si on considère simultanément les facteurs personnels, familiaux et scolaires reliés au jugement des enseignants sur la préparation scolaire, l’indice socioéconomique de l’école n’apparaît pas comme une variable importante comparativement à celle de la scolarité de la mère. Ces résultats montrent que l’indice socioéconomique de l’école ne reflète pas toujours bien la diversité des situations vécues par les individus qui composent la population de l’école, ni l’ensemble des ressources familiales des enfants.

Selon les enseignants de maternelle cinq ans, les enfants qui étaient inscrits en prématernelle à l’âge de quatre ans ne sont ni mieux ni moins bien préparés que leurs camarades qui n’ont pas eu accès à ce service éducatif. Ces résultats suggèrent que l’augmentation de la durée de la fréquentation de l’école au préscolaire n’assure pas une meilleure préparation de l’enfant à son entrée à l’école primaire. Pagani, Larocque, Tremblay et Lapointe (2003 ; 2004) parviennent à des conclusions similaires au terme de recherches longitudinales menées auprès d’un grand échantillon d’enfants ayant des caractéristiques comparables à celles de nos participants. Selon ces chercheurs, comparativement aux enfants inscrits seulement à la maternelle cinq ans, les enfants qui ont aussi fréquenté la prématernelle quatre ans n’ont pas moins de difficultés de comportement ou d’apprentissage en première année. Ces résultats suggèrent que l’augmentation de la durée de la fréquentation de l’école au préscolaire n’assure pas nécessairement un meilleur rendement scolaire des enfants au primaire.

En dernier lieu, notre étude a permis de comparer, en fonction de quatre profils de préparation scolaire, le classement d’enfants évalués dans 43 écoles de milieux défavorisés durant les années 1998 et 2005. Cette analyse visait à vérifier si l’intensification des mesures de prévention et d’intervention en petite enfance depuis les années 1990 était associée à une amélioration de la préparation scolaire des enfants. Par exemple, l’observation d’un pourcentage plus élevé d’enfants jugés bien préparés (matures) dans la cohorte 2005, comparativement à la classification des enfants de la cohorte 1998, aurait fourni un appui à cette hypothèse. Tel n’est pas le cas : les résultats montrent plutôt qu’en 1998 et 2005, on trouvait un nombre équivalent d’individus bien préparés dans ces écoles, et que près de 40 % des enfants manifestaient des difficultés par rapport à l’une ou l’autre des composantes de la préparation scolaire. Toutefois, ces résultats doivent être interprétés avec prudence, puisque l’indice socioéconomique de l’école constitue ici la seule mesure de contrôle et que des effets de cohorte peuvent être associés à la sélection d’un échantillon non probabiliste. Toutefois, ils tendent à montrer que l’amélioration des services en petite enfance dans les quartiers défavorisés montréalais entre les années 1998 et 2005 n’est pas reliée à une augmentation du nombre d’enfants jugés bien préparés à leur entrée à l’école.

6. Conclusion

En 1998 et 2005, des enseignants d’écoles publiques sur l’île de Montréal ont évalué la préparation scolaire de 10 867 enfants de la maternelle, à l’aide d’un questionnaire. Principalement, ces enquêtes visaient à identifier les forces et les faiblesses des enfants à leur entrée à l’école, en fonction de quatre composantes de la préparation scolaire jugées importantes par les spécialistes du domaine.

Selon l’évaluation des enseignants, quatre profils de préparation scolaire des enfants ont été établis : Mature, Difficulté d’adaptation, Difficulté d’apprentissage et À risque. À partir de deux bases de données indépendantes, constituées à huit années d’intervalle, nous avons pu identifier, à deux reprises, ces quatre profils de préparation scolaire des enfants à la maternelle dans les écoles de milieux socioéconomiques défavorisés.

Au regard des cycles de vie, la transition vers l’école constitue une période critique. L’enfant accède alors à un nouvel environnement social offrant de multiples possibilités de développement, mais aussi des défis de taille. Sa capacité à établir des relations sociales, à participer aux activités proposées et à réaliser des apprentissages dès l’entrée à l’école pourrait s’avérer un facteur déterminant dans son parcours scolaire. À cet égard, cette étude illustre la diversité des modes d’adaptation des enfants à l’entrée à l’école, et elle met en évidence certaines constances dans l’évaluation de la préparation scolaire des enfants par les enseignants.

Notre recherche porte sur un échantillon représentatif de la population d’enfants inscrits à la maternelle dans des écoles publiques sur l’île de Montréal durant l’année scolaire 2005-2006. En conséquence, elle fournit uniquement un portrait de la préparation scolaire des enfants de cette région, à cette époque. Durant l’année scolaire 2011-2012, l’Institut de la statistique du Québec évaluera la préparation scolaire des enfants québécois à la maternelle, avec l’instrument de mesure utilisé dans la présente recherche (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2011). Les données de cette enquête permettront, à nouveau, de comparer l’état du développement des enfants de la région de Montréal, à quelques années d’intervalle.

Comme cette étude sur la préparation scolaire des enfants repose uniquement sur le jugement des enseignants, cela peut limiter la validité de ces résultats. Bien que les enseignants soient compétents pour juger de l’état du développement des enfants, il serait opportun, dans une recherche future, de comparer leur jugement avec celui de professionnels des services complémentaires oeuvrant dans les mêmes écoles. Une telle démarche permettrait de valider le jugement des enseignants et de détecter, s’il y a lieu, des biais cognitifs dans leur évaluation des différentes composantes de la préparation scolaire des enfants.

Finalement, l’évaluation de la préparation scolaire ne permet pas de déterminer à l’avance la trajectoire scolaire des élèves au primaire et au secondaire. Cependant, elle fournit des indicateurs sur l’état du développement des enfants à leur entrée à l’école, indicateurs qui pourraient être couplés avec des mesures recueillies ultérieurement afin d’examiner comment les modes d’adaptation des enfants évoluent au fil de leur scolarisation.