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Depuis vingt ans, l’enjeu de l’interface entre le commerce et la culture a fait irruption sur la scène internationale et se pose comme l’un des principaux thèmes de controverse dans les négociations commerciales, multilatérales comme bilatérales. Au départ, plusieurs acteurs internationaux se sont réunis autour du terme d’exception culturelle en vue de préserver la spécificité du secteur culturel. Pourtant, au fil du temps, le terme d’exception culturelle est abandonné et celui de diversité culturelle lui est progressivement substitué. À partir de la fin des années 1990, les gouvernements français et canadien, les professionnels de la culture de ces deux pays, ainsi que l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) prennent la tête d’une initiative étendue visant à la reconnaissance internationale de l’importance des politiques culturelles pour la protection et la promotion de la diversité culturelle. En février 2003, le directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Koichiro Matsuura, se dit disposé à lancer le processus d’élaboration d’une « Convention internationale sur la diversité culturelle ». Pendant les deux années qui suivent, l’UNESCO devient le théâtre de débats âpres entre des pays favorisant un instrument international contraignant vis-à-vis des accords commerciaux et d’autres réticents envers la perspective d’une convention faisant contrepoids à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Adoptée par l’UNESCO le 20 octobre 2005 et entrée en vigueur en mars 2007, la Convention sur la diversité des expressions culturelles (ci-après dénommée « la CDEC ») a reçu à ce jour l’adhésion de 133 États et de l’Union européenne (UE). La CDEC admet explicitement la spécificité des produits et services culturels et la légitimité de l’intervention publique dans le secteur culturel, en intégrant ces principes dans une finalité plus large, celle de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles, objectif qui « apparaît pour la première fois en droit positif » (Kolliopoulos, 2005 : 488).

Partant de ce rappel historique, notre étude consiste à saisir l’action du secrétariat de l’UNESCO vis-à-vis de la gestion de l’interface entre le commerce et la culture, ainsi que ses marges de manoeuvre face aux entrepreneurs politiques de la diversité culturelle comme le Canada et la France qui gravitent autour de l’enjeu. En ce sens, alors que la plupart des études relatives à l’enjeu (Atkinson, 2000 ; Gagné, 2005a ; Martin, 2005 ; Graber, 2006 ; Musitelli, 2006 ; Germann, 2008 ; Mayer-Robitaille, 2008 ; Richieri Hanania, 2009 ; Neuwrith, 2010 ; Loisen et De Ville, 2011 ; Singh, 2011) supposent que le secrétariat général de l’UNESCO reste largement favorable au processus de l’élaboration et de la mise en oeuvre de la CDEC, dans cet article, nous nous interrogeons sur les conditions – empiriquement sondées[1] – qui permettent au secrétariat d’agir dans l’enjeu ainsi que sur son degré d’autonomie d’action face aux entrepreneurs de la diversité culturelle.

Le point de départ de notre analyse s’inscrit dans une problématique déjà étudiée par la discipline des relations internationales, à savoir le rôle des organisations internationales. D’un côté, les approches néoréalistes ont toujours réduit les organisations internationales au rang de simples instruments par lesquels les États cherchent à concilier leurs intérêts nationaux. Même fortement stato-centrés, les institutionnalistes néolibéraux ont développé une approche fonctionnaliste et présociale (Reus-Smit, 2005 : 192) sur l’apport des organisations internationales, limitant ainsi leur impact à la réduction des coûts de transaction entre les États (Petiteville, 2009 : 53-73 ; Battistella, 2012 : 447-481). D’un autre côté, dénonçant la rigidité conceptuelle du rationalisme, le courant constructiviste postule que les organisations internationales jouent un rôle essentiel pour façonner et générer les comportements des acteurs internationaux et plus spécifiquement des États. À cet égard, elles sont pourvues d’un pouvoir productif se traduisant par leur capacité à construire et à diffuser des normes internationales que les États visent à intégrer dans leurs priorités politiques (Ruggie, 1993 ; Dijkzeul et Beigbeder, 2003 ; Barnett et Finnemore, 2004).

Notre analyse se réclame davantage d’une approche sociopolitique des processus internationaux (Smouts, 1998 ; Devin, 2007) qui a comme point de départ « moins de parler du monde que de savoir ce qui s’y passe » (Smouts, 2001 : 313). Notre démarche nous conduit alors à une recherche au plus près des acteurs (Petiteville et Smith, 2006 : 360 ; Ambrosetti et Buchet de Neuilly, 2009). Tout en rejetant l’opposition entre intérêts et idées, ainsi que le statocentrisme (Ambrosetti, 2006 ; Saurugger, 2008), nous souhaitons saisir l’action politique du secrétariat de l’UNESCO et prendre en compte les façons dont celui-ci s’engage dans l’action, ses calculs stratégiques, ainsi que ses résistances vis-à-vis des acteurs impliqués dans l’enjeu. À la différence de la plupart des approches censées étudier le rôle des organisations internationales, nous supposons que l’UNESCO est une entité bureaucratique plus ou moins autonome, susceptible de contrôler des ressources qui lui apportent les compétences pour agir dans l’espace international (Reinalda et Verbeek, 1998 ; Nay et Petiteville, 2011). Ainsi, le pouvoir du secrétariat de l’UNESCO est d’ordre relationnel et, de ce fait, ses attributs n’ont, en eux-mêmes, aucun sens. Pour se traduire en influence et capacité d’action, le secrétariat les exerce en s’appuyant sur les ressources asymétriques que les structures d’un contexte d’action mettent à sa disposition (Baldwin, 1980 : 497 ; Friedberg, 1993 : 124). En fonction de ce contexte, nous supposons que l’UNESCO est pourvue de ressources différentes qui définissent ses marges de manoeuvre et lui permettent de satisfaire une série de préférences que nous devrions mettre en lumière.

Retraçant la trame politique de la construction de la CDEC et de sa mise en oeuvre, notre analyse se décline en quatre sections : premièrement, la mise en lumière de deux univers distincts dans lesquels l’enjeu « commerce-culture » a évolué pendant les années 1990 ; deuxièmement, les préférences et les marges de manoeuvre de l’UNESCO vis-à-vis de la perspective du lancement des négociations en vue de la CDEC ; troisièmement, la façon dont le secrétariat de l’UNESCO a cherché à traiter l’enjeu lors des négociations internationales pour l’adoption de la CDEC ; finalement, la relecture de la CDEC effectuée en fonction des ressources coutumières du secrétariat de l’organisation.

Exception culturelle et développement culturel : deux univers distincts de l’enjeu « commerce-culture »

Durant les années 1990, l’enjeu de l’interface « commerce-culture » se fonde sur deux problématiques qui ont été traitées de manière parallèle et distincte : la question du traitement des produits et services culturels dans les négociations commerciales et la question du rapport entre le développement et la culture, élaborée au sein de l’UNESCO (Musitelli, 2005 : 515).

D’un côté, favorisée par les règles multilatérales et bilatérales du commerce international, « la globalisation économique sert de catalyseur en vue de remettre en question la légitimité de l’intervention publique dans le domaine culturel » (Germann, 2008 : 29) et contester la position de certains acteurs comme la France et le Canada, relative à la nature spécifique des produits et services culturels. Lors de l’ultime phase des négociations du General Agreement on Tariffs and Trade / Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), les États-Unis s’attaquent aux mesures financières des pays en faveur de leurs industries audiovisuelles, ainsi qu’à leur capacité réglementaire en matière d’audiovisuel. De ce fait, suivie notamment par le Japon, l’administration des États-Unis réclame en 1993 que le secteur audiovisuel soit inclus dans le droit commun du General Agreement on Trade in Services / Accord général sur le commerce des services (GATS / AGCS) et que les produits et services du secteur audiovisuel fassent l’objet d’offres de libéralisation. Cette proposition rencontre toutefois le refus catégorique du gouvernement français, qui défend le terme d’exception culturelle dans le but de mettre l’accent sur la légitimité de l’intervention publique dans le domaine audiovisuel. L’aboutissement des négociations apparaît comme une « victoire à la Pyrrhus » (Roche, 2000 : 17). Alors que 18 membres[2], en majorité des pays en développement, se sont prononcés pour être soumis à certaines restrictions dans le secteur audiovisuel, en l’absence de toute offre, l’UE, le Canada et plusieurs autres pays ont choisi d’exclure leurs produits et services audiovisuels du droit commun de l’AGCS.

Ce désaccord revient, quelques années plus tard, au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), lors des négociations sur le projet de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Suivi par plusieurs pays, le gouvernement français insiste sur l’inclusion du terme d’exception culturelle dans l’AMI et veut que ce dernier n’affecte pas la latitude des États de promouvoir leurs industries culturelles respectives. Faute de pouvoir obtenir l’octroi d’une exception générale pour la culture dans le champ de l’accord, en octobre 1998 le gouvernement français décide de se retirer des négociations, signalant ainsi l’échec du projet. D’ailleurs, dans le cadre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) en 1987 et de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1992, les autorités canadiennes ont mis en avant la clause d’« exemption culturelle », obtenant en dépit des objections américaines que les industries culturelles soient soustraites aux obligations instituées par ces accords régionaux. Toutefois, comme le révèle l’affaire des périodiques en 1998 (Gagné, 1999 ; Atkinson, 2000)[3], la protection offerte par la clause d’exemption demeure faible, dans la mesure où les autorités américaines, s’estimant lésées par telle ou telle décision canadienne dans le secteur culturel, peuvent chercher à mener des représailles de portée équivalente dans un autre secteur.

D’un autre côté, la revendication de la diversité culturelle ne constitue nullement une terre vierge au sein de l’UNESCO. Au contraire, ses prémices apparaissent dans une succession de textes déjà anciens sur les questions de la politique culturelle et du développement culturel, l’organisation offre alors un espace de débat lors de ses grandes conférences mondiales[4], mais également grâce aux rapports publiés par ses différentes divisions. Malgré les obstacles financiers et symboliques dans les années 1980 et 1990[5], l’UNESCO cherche en grande partie à nourrir le débat sur les rapports entre le développement et la culture, devenant le théâtre où est mise en avant l’importance des politiques culturelles aux échelons national, régional et international. L’UNESCO devient le premier lieu d’expression du concept de développement culturel et est à l’origine de l’initiative « Décennie mondiale du développement culturel » (1988-1997), qui consiste à placer la culture au coeur du développement. Par ailleurs, en 1995, la Commission mondiale [indépendante] sur la culture et le développement présente son rapport, intitulé Notre diversité créatrice, pour faire des recommandations sur l’action destinée à éclairer la formulation des politiques en faveur du développement culturel. Enfin, à l’issue de la Décennie mondiale du développement culturel et prenant pour point de départ les conclusions avancées par la commission mondiale, la Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles pour le développement est tenue à Stockholm en 1998.

Pourtant, ces débats ne poussent pas l’analyse suffisamment loin pour opérer un renversement majeur des travaux de l’organisation et pour les déplacer vers une action prescriptive et concrète. Jugées comme « fragmentées et dispersées » (Maurel, 2009 : 134), les actions de l’UNESCO se cantonnent à énoncer des engagements politiques à caractère moral, sans instaurer des mécanismes institutionnels voués aux rapports entre le commerce et la culture.

Considérations du secrétariat de l’UNESCO vis-à-vis du projet de la CDEC

Depuis la fin des années 1990, une coalition d’acteurs, composée des gouvernements français et canadien, des professionnels de la culture et de l’OIF, entend proposer une nouvelle vision sur l’enjeu de l’interface « commerce-culture »[6], s’étendant « du traitement des biens et services culturels à l’impact de la libéralisation des échanges sur les identités culturelles » (Gagné, 2005b : 277-278). À cet égard, le Canada et la France instaurent le nouveau concept de la diversité culturelle comme paradigme de leur politique étrangère et sont largement les moteurs principaux de sa diffusion. De son côté, l’UNESCO s’insère progressivement dans le débat sur le traitement des produits et services culturels dans les accords commerciaux, organisant des colloques d’experts et des tables rondes des ministres de la Culture. Le 2 novembre 2001, il s’agit d’adopter la Déclaration universelle sur la diversité culturelle qui érige celle-ci au rang du « patrimoine commun de l’humanité ».

En effet, considérant que les normes prescrites par des organisations internationales en matière de commerce et d’investissement sont susceptibles de menacer l’intervention publique en matière de culture, plusieurs acteurs commencent à se positionner en faveur de l’élaboration d’un instrument juridique international voué à reconnaître l’importance des politiques culturelles. Ainsi, en reprenant le canevas de Jean-Gustave Padioleau (1982 : 23-47), il est nécessaire de souligner que l’inscription dans l’agenda de l’UNESCO du point de préparation de la convention comporte les mêmes phases que celles concernant la scène politique intérieure. Les entrepreneurs de la diversité culturelle définissent alors le traitement de l’enjeu « commerce-culture » comme « problématique », soulignant l’écart entre la visée commerciale qui prime dans les considérations de l’OMC et leur volonté d’aborder l’interface entre le commerce et la culture à partir d’un questionnement culturel. De ce fait, il s’agit de chercher à qualifier le problème comme relevant de la compétence de l’UNESCO et de la responsabilité de ses membres, en vue de faire entrer la question d’un instrument juridique international dans le mécanisme de consultations et de décision de l’organisation.

Au sein du RIPC [Réseau international sur la politique culturelle], nous avons décidé qu’il fallait mettre la culture face à une démarche personnelle auprès du directeur général. Pour cela, une dizaine de ministres de la Culture se sont réunis à Paris et ils ont pris un rendez-vous avec Matsuura pour le convaincre que l’UNESCO est synonyme de la culture et de l’éducation, et nous faisons partie de l’organisation ; nous finançons l’UNESCO, donc, nous demandons que cette convention soit négociée[7].

Il s’avère que l’UNESCO est, d’une part, une arène institutionnelle au sein de laquelle des acteurs ont des débats touchant de près ou de loin à l’enjeu « commerce-culture » et, d’autre part, un acteur collectif, considéré comme le « neutre empathique » (Cox et Jacobson, 1980 : 102) et censé disposer en réalité de ses propres préférences sur le fonctionnement de l’organisation et les questions traitées par celle-ci. Le secrétariat de l’UNESCO semble être réticent vis-à-vis la perspective du lancement des travaux dans l’optique d’une convention internationale limitée à la circulation des produits et services culturels. Il est pourvu de sa propre vision sur la culture et les textes négociés dans ce secteur sont en grande partie dévolus à la sauvegarde du patrimoine mondial. Par ailleurs, deux dossiers politiques apparaissent comme prioritaires pour l’organisation : la Convention internationale sur le patrimoine immatériel et la réintégration des États-Unis au sein de l’UNESCO.

La première objection du directeur général est que l’UNESCO n’est pas capable de négocier deux conventions en même temps. En 2002, nous étions au cours des négociations sur la Convention sur le patrimoine immatériel, c’était le grand pari du directeur général. Il fallait finir avec ce travail pour passer aux négociations sur la diversité culturelle. En plus, le directeur général voulait attacher son nom à une Convention sur le patrimoine immatériel. Il était réticent concernant l’idée d’une CDEC, car elle serait un obstacle à son projet personnel du patrimoine immatériel. Le deuxième dossier de l’UNESCO était le retour des États-Unis, et une CDEC pourrait perturber leur retour[8].

À cet égard, le projet sur le patrimoine immatériel s’inscrit dans les ambitions majeures du directeur général japonais[9] et traduit son intérêt personnel pour la sauvegarde du patrimoine culturel[10]. Il s’agit d’un projet qui poursuit les lignes directrices du dispositif normatif de l’organisation sur le patrimoine mondial et d’une dynamique à part entière visant à mettre dans son agenda politique un nouveau sujet qui n’est pas appuyé par les pays développés du Nord. Soutenu d’ailleurs par plusieurs pays asiatiques[11], le projet traite un enjeu culturel affectant notamment les pays en voie de développement et censé être une réponse de ces derniers aux asymétries du pouvoir politique au sein de l’organisation et au déséquilibre concernant l’enjeu du patrimoine matériel mondial. Par conséquent, selon le secrétariat de l’UNESCO[12], il est nécessaire d’accomplir le travail sur le patrimoine immatériel pour passer éventuellement aux négociations sur une CDEC. De plus, l’enjeu de l’interface entre le commerce et la culture est susceptible de porter ombrage à un projet si significatif aux yeux du directeur général et d’entraîner un dysfonctionnement de gestion administrative au sein de l’organisation en raison d’une multiplication d’inputs politiques.

Par ailleurs, la réintégration des États-Unis fait partie d’une des priorités majeures du mandat du nouveau directeur (Maurel, 2009 : 141). Contrairement au Royaume-Uni, les États-Unis refusent en 1997 de revenir, « sous prétexte que la gestion laiss[e] encore à désirer » (Frau-Meigs, 2004 : 874). Cependant, à la suite de l’arrivée de Koichiro Matsuura en 1999, la réintégration est considérée comme évidente, puisque l’UNESCO tend à corriger ses lacunes de gouvernance et à établir des réformes dans le domaine de la gestion et du financement. L’administration de Georges W. Bush a d’ailleurs rendu hommage au nouveau directeur pour sa capacité de gestion, estimant que, sous son mandat, la structure de la direction a changé, que les pratiques du favoritisme et du clientélisme ont été réduites et que des personnes capables ont été mises à des postes clés, notamment celui de la sélection du personnel (Holly, 2003 : 217-250 ; Frau-Meigs, 2004).

Compte tenu des ressources des États-Unis et de leur contribution au fonctionnement de l’organisation, leur retour est une nécessité pour le renforcement financier et la stimulation symbolique de l’UNESCO. En effet, leur contribution atteint 22 % du budget ordinaire, sans compter les ressources extrabudgétaires, et la réintégration de la puissance états-unienne incarne le retour de l’UNESCO à son universalité, un principe inséparable d’une institution des Nations Unies. À la suite de l’annonce du retour des États-Unis en 2002, le directeur général résume ainsi la situation précaire et aberrante de l’organisation en raison de la marque de défiance et du désintérêt prolongé des États-Unis :

Au cours des trois derniers exercices biennaux, notre organisation a subi les rigueurs de la « croissance nominale zéro » […] si la croissance nominale zéro devait se maintenir quatre exercices biennaux d’affilée, cela serait lourd de conséquences pour notre aptitude à nous acquitter de nos missions dans les domaines désignés comme prioritaires. Autrement dit, c’est notre viabilité et notre crédibilité en tant qu’organisation qui se trouveraient menacées[13].

Or, vu la position catégorique des États-Unis contre l’intervention publique dans le secteur des industries culturelles, le projet sur la diversité culturelle est susceptible de perturber leur retour et de transformer l’UNESCO en une arène de rivalités politiques, rappelant également le précédent marquant des négociations sur le Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC). Ajoutons d’ailleurs que, à la suite du retrait des États-Unis et de leur critique sur l’excessive politisation de l’institution, l’UNESCO évite « soigneusement les sujets controversés » (Holly, 2003 : 239). De ce fait, un tel projet risque de bouleverser l’esprit serein du travail du secrétariat qui devrait établir des compromis délicats et de l’obliger à entrer en confrontation avec l’OMC[14]. De plus, le projet semble être incompatible avec ce que l’organisation peut accorder en réponse et avec les attentes du secrétariat, car les exigences se révèlent nombreuses vis-à-vis de structures administratives peu adaptées à gérer des enjeux âpres. Il deviendrait source de perturbations au sein de l’UNESCO, de sorte qu’il pourrait aboutir à une surcharge insupportable, au mécontentement du directeur général, ainsi qu’au désagrément manifeste des États-Unis et du Japon, principaux contributeurs de l’organisation.

Malgré ses propres considérations sur l’enjeu, l’UNESCO dispose en l’occurrence d’une marge de manoeuvre très restreinte et ne réussit pas à empêcher l’inclusion de l’élaboration d’un instrument international relatif au « commerce-culture » dans son agenda politique. Comme le rappelle Pierre de Senarclens, « les secrétariats des organisations internationales ont une faible marge de manoeuvre, lorsqu’ils assument des tâches politiquement sensibles » (2005 : 51).

Des négociations internationales : l’UNESCO en quête de consensus politique

Lors des négociations internationales en vue de l’adoption de la CDEC, l’intérêt central de l’UNESCO est l’instauration d’un compromis politique entre des préférences opposées, et son secrétariat adopte une attitude de prudence face aux frictions politiques entre les États-membres. En tant qu’« autorité rationnelle-légale » (Barnett et Finnemore, 2004 : 20-29), l’UNESCO est guidée dans ses comportements par une certaine impartialité devant une fracture entre deux optiques divergentes sur l’enjeu, la méfiance de certains États sur le caractère « occidental » et franco-français du projet, ainsi que les malentendus par rapport au contenu de la diversité culturelle.

Entre la volonté d’un nombre considérable d’États-membres en faveur du lancement des négociations et l’opposition virulente des États-Unis, le secrétariat poursuit la tactique de la discrétion et de l’élimination des dégâts politiques sur la crédibilité de l’organisation. Cette dernière réussit à convaincre les États-Unis d’entamer des négociations et de commencer à débattre la question des politiques culturelles, même s’ils prononcent clairement leur opposition au projet de la CDEC.

L’UNESCO a cherché à diminuer les dégâts politiques et à empêcher les situations conflictuelles. Aller à l’encontre de la volonté d’un État aussi important que les États-Unis était vraiment désagréable. L’objectif du directeur général a été d’établir un consensus politique qui est le principe fondamental d’une organisation internationale[15].

Quant au déroulement des négociations internationales, les divergences se cristallisent autour de deux conceptions distinctes sur le type de convention souhaité, son caractère contraignant et son champ d’application. D’un côté, une majorité de pays, dont la France, le Canada, la plupart des États-membres de l’OIF, le Brésil et la Chine, se prononcent en faveur d’un instrument juridique contraignant, égal en valeur aux autres accords internationaux, en vue de légitimer l’intervention publique en matière de culture. Il s’agit de favoriser l’incorporation d’un mécanisme de règlement des différends et le renforcement de la coopération culturelle internationale grâce à la mise en place d’un Fonds international pour la diversité culturelle. De l’autre côté, un nombre restreint d’États, dont les États-Unis, le Japon et la Nouvelle-Zélande, se prononcent en principe contre le projet de la CDEC, tout en exigeant d’importantes concessions à leurs intérêts comme prix de leur soutien au projet. Il s’agit de s’opposer à une convention strictement destinée à reconnaître la spécificité des produits et services culturels, faisant contrepoids à la force juridique des accords négociés au sein de l’OMC. Ils préfèrent aussi reporter l’échéance du processus de deux années encore, jusqu’en 2007.

Plus spécifiquement, seuls les États-Unis s’opposent catégoriquement à la CDEC et attaquent de plein front la perspective de son adoption.

Les États-Unis étaient furieux. Il y avait un chantage au départ, soit notre intégration soit la CDEC. Le directeur général disait : « je ne suis pas l’UNESCO, je suis un mandataire, je ne peux pas bloquer le processus ». Il n’a pas eu la liberté de toucher un mot sur la CDEC. Son intérêt était plutôt d’arriver à un texte plutôt consensuel[16].

À part leur conception sur l’enjeu « commerce-culture », opposée à celle de la majorité des États, les États-Unis adoptent des positions catégoriques et un style de négociation intransigeant. Leur échec diplomatique à bloquer le processus d’adoption de la CDEC est attribuable à leur manque de ressources sociales et procédurales au sein de l’UNESCO[17]. Les États-Unis sont absents depuis vingt ans de cette organisation et leurs diplomates sont ainsi obligés de rétablir une relation de confiance et de réciprocité. Ils doivent donc s’adapter à une procédure et à un environnement social largement inconnus. « Les États-Unis n’ont pas réussi à s’adapter au style cérémonial de l’institution. L’UNESCO a des codes de comportement très particuliers basés sur la courtoisie et les compliments. Pour les États-Unis, cet environnement a été étranger. Leurs diplomates étaient très technocrates, ils ont eu le style de l’OMC[18]. » D’une part, les délégations française et canadienne travaillent sur la question de la diversité culturelle depuis longtemps, diffusant leurs idées et défendant leurs intérêts. Elles sont capables de maîtriser autant les négociations formelles qu’informelles (de couloir) (Freymond, 1984), au sens où elles ont déjà établi des contacts interpersonnels et des réseaux, permettant de construire des liens de confiance. D’autre part, la délégation états-unienne – démunie de ressources sociales – affronte un cadre institutionnel et un environnement humain qui lui sont largement étrangers et qui sont même parfois hostiles à ses positions.

Grâce à un entrepreneuriat actif, le Canada et la France marquent alors de leur empreinte le déroulement des négociations et le contenu de la CDEC. En premier lieu, au regard des rigidités administratives et des procédures longues, propres aux organisations internationales, la brièveté du délai des négociations semble être exceptionnelle et est largement attribuable au rôle dynamique de la France et du Canada. En deuxième lieu, ces deux pays réussissent à faire aboutir les négociations sur un texte juridique international relatif à l’enjeu « commerce-culture », qui reconnaît explicitement la légitimité de l’intervention publique dans le secteur des industries culturelles.

De son côté, le directeur général de l’UNESCO plaide pour la recherche d’un consensus sans exercer un leadership politique sur le dossier, reconnu de manière informelle à l’exécutif français et canadien. « Le directeur général n’était ni un frein ni un élément de moteur, il était plutôt distant ; il n’était pas capable d’être à l’encontre de tout ça[19]. » Vu l’importance du dossier pour plusieurs membres de l’UNESCO, le secrétariat de l’organisation suit la stratégie de neutralité, amenant finalement tous les membres à participer et à choisir la collaboration, plutôt que l’isolement (Smouts, 1995 : 35). Il réussit alors à éviter la rupture et à empêcher des analogies historiques avec le débat extrêmement politisé sur le NOMIC et le retrait des États-Unis.

Par ailleurs, le texte de la CDEC se négocie également sur la base d’un consensus délibérément ambigu (Palier, 2003), censé être le signe de négociations équitables et assurer une adhésion massive à cette Convention. Ainsi, les délégations française et canadienne se rendent compte que l’établissement d’une convention contraignante qui prévaudrait sur le régime commercial de l’OMC suscite de fortes réticences de plusieurs pays au-delà de l’opposition farouche des États-Unis[20]. De ce fait, le Canada et la France s’efforcent de restreindre volontairement la zone de conflit d’intérêts, souhaitant, par un compromis acceptable, réduire les divergences. En dernier ressort, l’article 20 qui traite des relations de la CDEC avec le régime commercial de l’OMC contient deux paragraphes à première vue inconciliables qui reflètent autant la volonté des États d’exclure tout lien de subordination de la CDEC aux autres traités que le souhait d’autres pays de ne pas remettre en cause leurs engagements internationaux[21].

Relecture de la CDEC : des ressources coutumières au service de l’UNESCO

D’une part, la CDEC représente une situation de rupture vis-à-vis de la continuité normative de l’UNESCO et est censée bouleverser les tâches de son secrétariat. D’autre part, même si la CDEC marque un terrain d’action inédit, cela n’implique pas nécessairement l’adoption de nouvelles pratiques pour le secrétariat de l’UNESCO (Lagroye, 2006 : 147).

En premier lieu, élaboré par la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel, le rapport L’UNESCO et la question de la diversité culturelle, 1946-2007 (2007) met en place les priorités du secrétariat de l’UNESCO dans le domaine de la diversité culturelle et est indicatif de sa stratégie relative à la CDEC. Le rapport dresse une relecture des travaux de l’UNESCO par le biais du terme de la diversité culturelle, reliant la totalité des principaux instruments normatifs en matière de culture au service de la promotion et de la protection de la diversité culturelle. À cet égard, la CDEC fait partie d’un corpus normatif, englobant également la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel (2003), la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique (2001), la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (1972), etc. De ce fait, le rapport souligne explicitement que, « parmi les conventions de l’UNESCO, deux instruments représentent désormais les piliers de la préservation et de la promotion de la diversité culturelle, vue, principalement, sous le prisme de la création : la Convention de 1972 sur le patrimoine mondial, naturel et culturel, et celle de 2003 sur le patrimoine culturel immatériel » (UNESCO, 2007 : 58). Il reste que parmi ses 70 pages, le rapport n’en consacre que deux à la CDEC et son contenu. D’ailleurs, il est intéressant de signaler que le rapport fait explicitement référence au Sommet mondial pour la société de l’information (2003), inscrivant la question des « sociétés du savoir » dans le débat sur la diversité culturelle. Pourtant, il ne considère pas le débat sur le NOMIC comme une étape importante de l’évolution du concept de la diversité culturelle au sein de l’organisation. Le rapport néglige ainsi la référence aux années de la dénonciation des inégalités communicationnelles entre le Nord et le Sud, alors que le débat sur la diversité culturelle englobe une série d’arguments majeurs du NOMIC, comme ceux de la souveraineté culturelle et de la coopération culturelle internationale.

En deuxième lieu, publié en 2010, le Rapport mondial de l’UNESCO. Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel se fonde également sur une définition large de cette dernière, se confrontant à un éventail d’enjeux divers qui abordent des domaines d’intervention étendus. Il s’agit ainsi de s’éloigner largement de l’enjeu de la régulation internationale des industries culturelles et d’énumérer un ensemble de principes et de valeurs suffisamment vagues pour qu’aucun État ne puisse s’y opposer, même si personne n’est disposé à les appliquer (Roche, 2009 : 200).

En troisième lieu, durant la période 2008-2013, la stratégie de la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel – en charge de la mise en oeuvre de la CDEC – se penche sur trois questions prioritaires : la sauvegarde et la gestion du patrimoine matériel et immatériel, l’importance du dialogue des cultures et le développement culturel (UNESCO, 2008 : 27-31). De ce fait, il s’agit d’aborder des enjeux sur lesquels le secrétariat dispose déjà d’expertise et d’une réputation positive et d’esquiver implicitement la particularité de la CDEC concernant l’interface entre le commerce et la culture.

Même maintenant, plusieurs États pensent que la diversité culturelle concerne la protection du patrimoine. L’UNESCO joue là-dessus et elle cherche à sous-estimer la CDEC. Elle a une vision très large de cette dernière qui a comme résultat de diluer son contenu spécifique. L’objectif de l’UNESCO est de traiter toutes les questions à travers la diversité culturelle, comme la problématique des minorités, des religions ou des langues. C’est pourquoi la CDEC est attachée aux autres conventions sur le patrimoine[22].

Il s’avère que le secrétariat de l’UNESCO traite la CDEC à partir d’un savoir pratique préétabli qui contribue à la simplification des enjeux complexes. Il cherche à nuancer la CDEC de façon à ce qu’elle soit consistante avec le savoir de l’organisation et à recourir à des modèles de comportement familiers pour assurer son fonctionnement serein. Ainsi, les agents de l’organisation n’intègrent pas passivement le contenu de la CDEC, mais ils inscrivent cette dernière dans le corpus de l’institution sur la diversité culturelle qui inclut également les questions du patrimoine matériel et immatériel et du développement culturel. La réappropriation du contenu de la CDEC n’est d’ailleurs pas le fruit d’une certaine pathologie de l’organisation. Elle aide en revanche les agents à éliminer les difficultés institutionnelles et humaines, ainsi qu’à choisir des solutions coutumières déjà expérimentées. Il s’agit de permettre à l’UNESCO à la fois d’identifier un objet politique inconnu en s’appuyant sur des choix effectués dans le passé et d’assurer la sécurité de son travail quotidien[23]. La pratique de la relecture sélective vise à empêcher la confrontation du secrétariat à un enjeu délicat qui dépasse ses capacités de gestion[24]. En effet, à la différence de la vision de Michael Barnett et Martha Finnemore qui considèrent la routine comme une certaine pathologie des organisations internationales (2004 : 34-41), à l’instar de Padioleau (1986 : 102), nous croyons qu’« obéir » à l’action routinière s’est doté de ressources essentielles.

Le secrétariat de l’UNESCO gère la routine attendue de lui, plutôt qu’il ne la remplit passivement. Selon Pascal Vennesson (2009 : 339), le secrétariat est plus actif et adaptable que nous le pensons. Il réussit ainsi à exercer son influence sur le contenu de la CDEC, en tirant sur les ressources coutumières que les structures institutionnelles de l’UNESCO mettent à sa disposition (Friedberg, 1993 : 124-125). Dès le début, l’intégration de l’enjeu « commerce-culture » dans son agenda est une source d’incertitude, vu ses implications accrues. L’attachement de la CDEC au réservoir normatif sur le patrimoine et le développement culturel réduit les coûts de l’enjeu liés à son importance commerciale, de façon à permettre à l’organisation de mettre en valeur son fonctionnement et ses instruments normatifs. Le secrétariat de l’UNESCO procède à un ajustement qui perturbe le moins possible la continuité de son action. Il s’agit d’une tentative en vue de préserver sa cohésion, évitant de se confronter à d’autres organisations internationales davantage robustes et de s’opposer ouvertement aux préférences des États-Unis[25] et du Japon. L’organisation opte alors pour un mode d’action distant par rapport à des enjeux politiques controversés[26], esquivant également les analogies historiques désagréables avec l’héritage du NOMIC et du retrait des États-Unis. De ce fait, la CDEC se transforme de plus en plus en un instrument normatif voué à favoriser la coopération culturelle internationale et l’échange d’expertise entre les États parties, écartant sa problématique de base relative à la régulation de l’interface entre le commerce et la culture.

En outre, faute de volonté politique du côté des parties à la CDEC, le processus de sa mise en oeuvre ne touche en aucun cas des questions ambiguës comme celle du rapport de la CDEC avec les accords commerciaux et, en ce sens, les parties cherchent actuellement moins l’affrontement politique que la prudence. Plusieurs gouvernements nationaux qui étaient à l’avant-garde de l’adoption de la CDEC, comme celui du Canada ou de l’Espagne, prennent par ailleurs la décision de réduire considérablement leurs aides financières destinées aux industries culturelles et affichent un net désengagement concernant les questions culturelles (Vlassis, 2011 ; CEIM, 2012).

Quels apprentissages des pratiques du secrétariat de l’UNESCO ?

Notre analyse a cherché à déconstruire l’action de l’UNESCO face à l’enjeu « commerce-culture », à mettre en valeur les luttes institutionnelles dont l’organisation est le cadre, ainsi qu’à analyser des ressources dont son secrétariat dispose pour défendre ses propres intérêts. Nous avons révélé que l’institution internationale a adopté une position conservatrice et réticente sur cette question et a formulé une série d’objectifs et de stratégies qui tiennent compte de logiques institutionnelles et bureaucratiques propres à l’UNESCO. Il s’avère que cette dernière n’est pas une simple entité désincarnée, au sein de laquelle ne se déroulent que des marchandages interétatiques et des rivalités de puissance et que le secrétariat de l’UNESCO n’est pas un simple mandataire des préférences étatiques, même s’il se situe dans une relation de dépendance à l’égard des gouvernements nationaux (Nay et Petiteville, 2011 : 16). Ses ressources (techniques, financières, cognitives) donc sont différentes et lui permettent de satisfaire deux types de préférences : d’un côté, assurer la crédibilité de l’organisation et son autorité rationnelle-légale et, d’un autre, empêcher la perturbation de la continuité de son travail normatif et de son fonctionnement serein. Partant de ces constats, deux ensembles de conclusions méritent alors d’être approfondis.

D’abord, comme l’illustre le débat sur le développement culturel, l’UNESCO est pourvue des ressources énonciatrices qui lui permettent d’élaborer et de propager des nouveaux concepts. Sa faiblesse réside toutefois dans le fait que ses actions sont éparpillées et ses concepts polysémiques ; pour cette raison, ces derniers peuvent être accaparés par des acteurs qui cherchent à atteindre leurs objectifs particuliers. Même si le secrétariat de l’UNESCO émet des réserves quant au lancement des négociations en vue de l’adoption de la CDEC, les entrepreneurs de la diversité culturelle – aux prises avec la question du traitement des produits et services culturels dans les accords commerciaux – font entrer la question de l’élaboration de la CDEC dans l’agenda de l’organisation et profitent de son autorité légale. Il s’avère que face à une multitude d’enjeux considérables, comme le retour des États-Unis à l’UNESCO et l’adoption de la Convention sur le patrimoine immatériel et de la CDEC, la préoccupation majeure du secrétariat est la sauvegarde de la notoriété de l’organisation elle-même. Ses objectifs consistent alors à éviter la rupture institutionnelle, à établir des compromis politiques, ainsi qu’à poursuivre volontairement une attitude d’impartialité et de neutralité vis-à-vis des gouvernements nationaux ; de ce fait, il cherche tant à limiter les tensions parmi les États-membres qu’à remplir au mieux à ses tâches bureaucratiques.

Ensuite, nous avons montré que l’inclusion de la question « commerce-culture » dans les mécanismes de l’UNESCO multiplie les domaines relevant de la compétence de celle-ci et fait d’elle une institution sujette à des sollicitations divergentes et confrontée à la dispersion. À cet égard, une fois que la CDEC est entrée en vigueur et que les pressions externes s’affaiblissent, le secrétariat de l’organisation tente de mettre au point une politique d’intégration de la CDEC qui consiste à empêcher la dispersion intérieure et à grouper ses activités proposées autour du concept de diversité culturelle. Appuyé sur des ressources coutumières, le secrétariat réussit à effectuer une relecture de la CDEC, permettant de retraduire l’orientation de cette dernière et d’accorder plus de cohérence à son travail normatif sur le développement et le patrimoine culturels. Même si la routine est en principe synonyme de la résistance d’une organisation internationale au changement, il s’agit également d’offrir sécurité et sérénité au travail du secrétariat. La routine est alors susceptible de tamiser les influences externes et d’empêcher la confrontation de l’organisation à des enjeux qui dépassent sa capacité de gestion et mettent en péril son fonctionnement.

Le secrétariat s’est méfié de l’inclusion de l’enjeu « commerce-culture », car il ne disposait pas de l’expertise et des ressources financières et humaines appropriées pour gérer un tel enjeu et devenir un interlocuteur égal à l’OMC. De ce fait, les ressources coutumières permettent l’intégration de la CDEC dans le corpus normatif de l’UNESCO et la relecture à la carte contribue à faire converger ses priorités dans un ensemble logique et harmonieux. À cet égard, il s’agit de mettre à l’écart la question « commerce-culture » et de préserver une gestion efficace de ses affaires, définie moins en fonction des attentes externes qu’en fonction des attentes du secrétariat et des réponses qu’il peut accorder. La CDEC devient ainsi un instrument international, d’un côté intégré dans le corpus normatif de l’organisation sur le patrimoine culturel et, d’un autre, voué à favoriser l’échange d’informations entre les parties et à renforcer la coopération culturelle internationale et le développement culturel, des domaines d’intervention qui demeurent compatibles avec l’héritage, la réputation, la compétence, ainsi que l’expertise de l’organisation.