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L’origine et la mission

NPS D’où vient le GIAP et quelle est sa mission?

Le GIAP existe depuis maintenant 16 ans. Le tout a débuté avec la Clinique des jeunes St-Denis. À l’époque, les intervenants commençaient à se rendre compte que les jeunes qu’ils voulaient rejoindre, les jeunes marginaux en situation de précarité, n’utilisaient pas leurs services. Donc, c’est de là que l’idée a germé d’aller directement vers eux, dans la rue. Ainsi, en 1992-1993, la Clinique a monté un projet qui s’appelait : « C’est dans la rue que ça se passe ». Il s’agissait de dépasser les limites de l’intervention traditionnelle, et l’option d’embaucher des pairs-aidants a alors été retenue.

Le projet et les critères de sélection ont évolué. Aujourd’hui, au GIAP, un pair-aidant est une personne que l’on a recrutée pour son vécu et pour ses aptitudes à l’utiliser comme base de son intervention auprès d’autres personnes avec lesquelles il partage une proximité reliée à l’expérience de la rue, à la consommation, à la violence, aux situations familiales difficiles, aux séjours en centre jeunesse, etc. Au moment de l’embauche, le pair-aidant doit démontrer un recul critique face à son expérience de vie et avoir entre 18 et 30 ans.

Le GIAP fonctionne grâce à l’expertise des pairs-aidants, qui sont au coeur de notre philosophie d’intervention. Ils doivent donc prendre part à l’ensemble des facettes de l’organisation, allant de l’embauche des nouveaux pairs-aidants aux orientations du GIAP et à la reddition de comptes. Le travail d’équipe est donc essentiel au bon déroulement des activités du GIAP.

Notre mission comporte deux volets. Le premier est la prévention de la transmission des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), particulièrement le VIH ainsi que l’hépatite C. Le deuxième se concentre sur la réduction des méfaits reliés à la consommation de drogues et au mode de vie de la rue.

NPS — Deux champs d’action donc, un préventif et l’autre, en aval, visant à réduire les méfaits? Le tout en s’abstenant de juger ceux avec qui on entre en contact?

Oui, tout à fait. Dans notre perspective, l’épisode de rue n’est pas négatif en soi. Ce sont plutôt les conséquences qui découlent de ces comportements qui peuvent le devenir. Une personne peut faire le choix d’être dans la rue et ça peut très bien aller pour elle. Au GIAP, on respecte cet espace appartenant à l’individu. On veut travailler avec lui à partir de sa perspective et à son rythme. Notre mission n’est donc pas de vouloir à tout prix sa réinsertion, mais de l’aider à cerner ses propres besoins et à trouver les solutions nécessaires pour y répondre. C’est ça l’important dans notre façon de faire et ça transcende toute notre action. Par contre, il ne faudrait pas encenser la rue parce qu’après la lune de miel du début, il peut y avoir un désenchantement. C’est certain que, dans la rue, tu peux être en gang, tu peux être avec des amis, tu peux vivre enfin un sentiment d’appartenance qui est signifiant pour toi. Par contre, avec la violence qu’il peut y avoir, la consommation qui prend parfois de plus en plus de place et les conditions de vie qui sont souvent rudes, une personne peut s’essouffler et s’isoler ou encore prendre des risques inutiles.

La rue peut donc avoir des aspects négatifs, et on veut justement travailler sur ces aspects avec les gens. Et s’ils continuent de fréquenter la rue, on continuera à contribuer à la réduction des méfaits en adoptant une approche humaniste selon laquelle chaque individu a des qualités, des défauts, des goûts dans la vie, des champs d’intérêt, des désirs, des besoins et des problèmes. On part d’où la personne est et on la guide vers où elle veut aller. Donc si une personne a un problème de toxicomanie et qu’elle cherche seulement pour le moment à diminuer les abcès sur ses bras, on va l’épauler dans cette direction en lui donnant les informations nécessaires pour y arriver tout en la tenant au courant des risques qu’elle pourrait prendre. L’objectif est de l’outiller avec l’information et le matériel nécessaire pour qu’elle puisse jouir d’une meilleure sécurité, d’une meilleure santé, et ce, dans le respect de sa dignité.

Les pairs-aidants offrent aussi un soutien continu afin d’appuyer ceux qui ont des problèmes plus sérieux ou qui veulent quitter le milieu de la rue. Et, dans le même esprit, l’intervention, avec un plan, des moyens et des échéances, n’est pas la méthode utilisée par les pairs-aidants. Souvent, il s’agit de rencontres tout à fait informelles, de discussions qui, sous des apparences anodines, permettent quand même de partager de grandes choses. Simplement de parler de ce que la personne aime dans la vie, de ses loisirs, de ses pratiques ou encore de ses rêves est plutôt important pour tisser un lien de confiance qui pourrait s’approfondir. L’intervention du pair-aidant prend toute sa valeur dans son approche.

Les actions

NPS — Comment pourrait-on définir les interventions du GIAP?

Au GIAP, nous avons deux modes d’intervention, l’un est individuel à chaque pair selon sa ressource d’accueil, et l’autre est de groupe, fait par le GIAP lui-même. Chaque pair-aidant est jumelé à un organisme partenaire (L’Anonyme, Dans la rue, Pact de rue, Plein Milieu, Cactus Montréal et le Centre de santé et de services sociaux [CSSS] Jeanne-Mance) où il travaille selon le mandat du GIAP. Toutefois, chaque pair aura individuellement des tâches pouvant varier selon la ressource, certains faisant du travail de rue, d’autres de l’outreach ou encore du travail à l’intérieur d’un site fixe. D’autre part, le GIAP offre également des activités de groupes faites par plusieurs pairs-aidants qui travailleront en équipe pour réaliser un projet.

Par conséquent, les pairs-aidants travaillent dans une démarche de relation d’aide individuelle ou en petits groupes pour atteindre les objectifs de prévention et de réduction des méfaits en étant jumelés à un organisme. Au-delà de l’intervention individuelle, on a développé des interventions de groupe faites par les pairs-aidants pour le GIAP, à travers lesquelles on essaie de toucher les jeunes par des animations ou des activités qui demeurent très alternatives dans leurs approches et leurs formes. Être alternatif, c’est notre créneau. Et dans le cadre de ces activités de groupe, on en est venus à développer deux types d’activités différents pour travailler à la cohabitation sociale, dans l’optique de rendre les milieux du centre-ville favorables aux efforts de prévention et de réduction des méfaits.

Le premier vise à sensibiliser les gens qui côtoient ou qui vont côtoyer les JSM. Les étudiants dans les domaines des soins infirmiers, de la sécurité publique ou encore du travail social, les policiers et gardiens de sécurité, sans oublier ceux qui travaillent à proximité de lieux fréquentés par des JSM sont ceux qui sont ciblés par cette initiative. Il s’agit de les sensibiliser, par des ateliers de formation, à la réalité de la rue afin de démystifier certains comportements et leurs conséquences, tout ça dans le but de créer un climat de tolérance dans les espaces publics où les interactions avec les JSM sont probables.

Le deuxième type d’activités tourne autour de l’organisation du « Festival d’expression de la rue » (FER) qui a lieu chaque été, depuis maintenant 15 ans. On y crée une plateforme d’expression pour les jeunes, où ils peuvent s’afficher et diffuser leurs créations librement. C’est important qu’ils aient un espace pour eux qui leur permette de vivre une expérience, d’être ce qu’ils sont, de développer leur estime, tout en démystifiant le mode de vie de la rue pour les citoyens qui sont invités à venir se joindre à nous pendant tout le déroulement des activités. On voit vraiment le festival comme une brèche dans le temps où les JSM ont le droit à un répit des nombreux problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. Dommage que cela ne dure que trois jours.

L’insécurité et le manque de reconnaissance

NPS — Quels sont les obstacles qui se dressent devant un jeune qui se trouve dans la rue?

La vie dans la rue n’est pas des plus faciles. Je ne parlerai même pas des besoins de base, des questions quotidiennes autour des endroits où dormir et des repas à prendre. Au-delà de la survie quotidienne, la personne doit faire face à un contexte où se côtoient des problématiques reliées à la toxicomanie, à la santé mentale, à l’intolérance et à la répression. La qualité de la drogue varie, de nouvelles drogues arrivent. Les vendeurs de drogue veulent garder leur territoire. Certaines dépendances peuvent amener les consommateurs dans un contexte toujours plus violent. Parfois c’est entre personnes marginalisées, parfois c’est avec les policiers ou les citoyens, à d’autres occasions c’est contre elles-mêmes. Par exemple, l’automne dernier, le climat résultant des tensions dans la rue se répercutait jusque dans nos ressources. On pouvait nettement ressentir la pression qui régnait dans la rue. Et pour certains JSM, c’est très difficile de supporter cette situation.

Mais ce qui me semble majeur, c’est le manque de reconnaissance au profit d’une étiquette qui est mise en fonction de l’habillement, du look ou du dossier médical. Pour les JSM, qui portent plusieurs préjugés, être reconnus comme des êtres humains à part entière est difficile à obtenir dans les rues de Montréal. Très visibles, ils deviennent facilement imputables des problèmes qui s’acharnent sur le centre-ville. L’intolérance se nourrit de ces représentations qui apparaissent évidentes. On ignore les JSM, ou pire, on les insulte. De plus en plus, on fait des plaintes. Les agents de la paix ont le devoir de répondre aux plaintes, mais il nous semble que leur approche manifeste souvent une intolérance à l’égard des JSM.

Puisque pour la majeure partie des infractions, l’acte auquel on fait référence est perpétré par la majorité de la population, on peut en déduire que l’agent de la paix ou le garde de sécurité n’a souvent pas d’autres raisons concrètes que l’accoutrement pour interpeller un JSM. Comme l’a bien démontré la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, il apparaît clair que les interventions visent davantage un groupe d’individus en particulier catégorisé comme problématique[1]. Ainsi, les décisions qui seront prises à leur égard, que ce soit le montant des tickets, que ce soit même de leur donner un ticket ou non, que ce soit d’opter pour un ton de voix particulièrement agressif ou un brin d’empathie, seront teintées par leur apparence. On fait même des réglementations cherchant à limiter ces groupes dans leur fréquentation des lieux. Prenons l’exemple de la réglementation liée aux chiens, entre autres dans le parc Émilie-Gamelin. Interdire les chiens dans ce lieu vise surtout à contrôler l’accès des JSM qui, nous le savons tous, se promènent souvent avec des chiens qui leur procurent amitié, sécurité et chaleur.

Parfois, je me pose la question à savoir pourquoi on fait ça. C’est quoi l’objectif derrière ces pratiques d’exclusion du parc? Est-ce vraiment une question de sécurité? Est-ce une question d’appropriation? D’esthétisme? De développement urbain? Pour qui? Pour quoi? De plus en plus, les plans pour attirer les gens qui n’habitent pas le centre-ville pour le travail ou les loisirs exercent des pressions sur les décideurs montréalais quant à leur gestion des espaces publics. Le Quartier des spectacles en est un exemple. Puisqu’on pourrait penser que la clientèle visée est plus facilement importunée ou intimidée par les JSM, on s’assure de pouvoir leur fournir un climat rassurant pour qu’ils puissent vivre une expérience favorable sans une ombre au tableau.

Pourtant, la précarité existe et, historiquement, elle se trouve dans les centres des grandes villes. Les JSM devraient avoir le droit, comme tous les autres citoyens, de profiter des espaces publics sans se faire interpeller sous prétexte qu’ils ne consomment pas l’espace de la manière appropriée. C’est ce qu’on essaie de procurer aux JSM dans le cadre du Festival.

Le Festival Expression de la Rue : se présenter pour cohabiter

Comme je le mentionnais plus tôt, le festival est un espace où il y a une diversité d’activités pour tous. Le FER poursuit une démarche de prévention grâce à la collaboration de groupes communautaires et institutionnels qui présentent des ateliers sur différents thèmes. Les pairs-aidants vont également animer des activités de prévention ludiques. C’est un peu comme un petit village communautaire qui est là pour proposer des services et pour faire connaître les différents organismes aux jeunes ainsi qu’au grand public. Par ailleurs, la programmation doit être entièrement réalisée par des gens provenant du milieu de la rue ou s’y identifiant, ce qui procure sa raison d’être au festival. Les prestations artistiques prennent des formes très variées. Par exemple, cette année, on a eu droit à de la musique punk, à du hip-hop, à du cirque et même à du swing et à de la danse. Il est primordial pour nous de laisser la scène aux jeunes à qui normalement elle ne serait pas accessible. Cette expérience leur donne l’occasion de démontrer leur savoir-faire et contribue à la consolidation de l’estime de soi, objectif premier de toute notre démarche. Seulement à les voir quitter la scène, si fiers, on obtient la confirmation que nos actions font une différence.

La tenue du festival donne aussi lieu à l’élaboration de tout un espace connexe où l’on donne de la nourriture et des repas chauds à l’heure du souper. Depuis deux ans, on organise, avec la Table de concertation du faubourg St-Laurent, un café citoyen. C’est un espace où les gens provenant de différents horizons peuvent en profiter pour se rencontrer afin d’échanger sur des thèmes qui les touchent. Il y a aussi d’autres types d’activités incluant par exemple des ateliers et des kiosques orientés vers l’artisanat, permettant d’acquérir de nouvelles compétences, comme c’est le cas avec le DIY (do it yourself), pour apprendre à travailler le cuir, à faire des moulages et à les peinturer. Il ne faudrait pas non plus oublier notre espace pour enfants avec maquillages et dessins à la craie. Le FER se veut inclusif et vise donc à rejoindre tout le monde.

NPS — Le festival se tient dans le lieu symbolique de la place Pasteur depuis le tout début. Après une absence d’un an, vous y êtes revenus pour les deux dernières éditions. Il est évident que, depuis quelques années, le contexte y a beaucoup changé. Si on pouvait jadis voir en tout temps plusieurs JSM sur les murets adjacents à la rue Saint-Denis, il est maintenant rarissime de les y voir tellement ils n’y sont plus tolérés. Ce contexte n’ajoute-t-il pas, en quelque sorte, plus d’importance à y tenir le festival?

Oui, en effet. Investir ce lieu est important puisque cela permet sa réappropriation, même si ce n’est que pour trois jours. C’est effectivement un lieu traditionnellement important pour les jeunes. Malheureusement, ils en sont tenus éloignés, même s’ils sont des citoyens comme les autres. C’est pour ça que c’est important d’y retourner. À l’heure actuelle, l’UQAM nous fait encore une place en se fondant sur sa mission sociale, mais il faut avouer que ça devient de plus en plus difficile puisque tout le monde n’est pas d’accord. Disons que la cohabitation entre les JSM et la sécurité de l’UQAM ne va pas toujours sans anicroche, de sorte que cela complique un peu la tenue de l’événement. Mais le dilemme reste toujours de déterminer s’il vaut mieux mettre ses efforts pour conserver le lien symbolique avec un lieu d’où on a déjà été chassés, ou au contraire s’il vaudrait mieux tenter d’investir un autre lieu. Dans tous les cas, il ne faudra pas oublier que, puisque nous poursuivons le double objectif de nous approprier la rue, mais aussi de la démystifier, il sera toujours important d’avoir pignon sur rue dans un endroit connu qui sera en mesure de favoriser les rencontres.

NPS — Pourquoi misez-vous tant sur l’organisation de ces rencontres?

On croit sincèrement que le fait de mettre les gens ensemble permettra de créer des ponts entre les différents types d’individus, de démystifier et de comprendre leurs réalités. On pense que sensibiliser une personne va l’amadouer, va peut-être même orienter ses pratiques, par exemple en l’incitant à adopter une attitude plus empathique quand vient le temps d’interagir avec d’autres. Pour y arriver, il faut d’abord s’attaquer aux préjugés de part et d’autre. En effet, il faut reconnaître que les JSM ont eux aussi leur répertoire de préjugés qu’ils entretiennent envers ceux qui ne sont pas dans leur groupe. Des préjugés qui remettent en question le mode de vie des citoyens, le fait qu’ils soient propriétaires, qu’ils travaillent dans le système, etc. Chacun se retrouve campé dans la réalité qui lui est propre et, souvent par ignorance, va adopter une attitude fermée, voire hostile. Dans un premier temps, on vise donc la tolérance pour ensuite envisager la création de liens. C’est de là qu’il devient possible d’entrevoir une interaction qui peut être différente, et c’est très intéressant. Pour nous, c’est la base pour obtenir une cohabitation plus harmonieuse.

La concentration des JSM et des ressources

NPS — On entend souvent l’argument selon lequel il ne faudrait pas trop permettre aux JSM de s’approprier des lieux au centre-ville, qu’il faut éviter la concentration des JSM. Pour ce faire, il faudrait plutôt répartir les services sur le territoire pour en délocaliser la marginalité. Que doit-on penser de tout ça?

En effet, on les pousse, on les déplace, ça a déjà commencé. Les JSM sont de plus en plus repoussés vers des quartiers périphériques. Devant cette situation, il y a des organismes qui se posent la question à savoir s’ils doivent suivre les mouvements des jeunes. Peut-être que les résidents, les commerçants, les élus et les visiteurs seront contents de voir les organismes se déplacer, mais cela ne réglerait pas le problème, au contraire, ça en créerait de nouveaux. En effet, la délocalisation n’empêchera pas le phénomène du « pas dans ma cour » et recréera les mêmes tensions dans un autre lieu. Sans compter que les JSM ont un attachement au centre-ville. Ce n’est pas un choix par défaut s’ils s’y trouvent. Historiquement, le centre-ville a toujours attiré les jeunes marginaux, particulièrement à Montréal. À cela, il faudrait ajouter deux autres problèmes. Le premier est économique. Les coûts de déménagement seraient très importants. On ne peut pas déménager une ressource tous les six mois. Mais ça serait un problème moins important encore que celui qu’entraînerait le manque d’expertise. En effet, les différents organismes travaillent en complémentarité les uns avec les autres, de sorte qu’une décentralisation des services compliquerait les pratiques d’intervention. Comment pourrait-on assurer des services équivalents avec des intervenants de qualité s’il fallait multiplier les expertises dans chacun des arrondissements de la ville?

NPS — Donc pour vous, la déconcentration des ressources ne semble pas représenter une solution.

Non. Et j’ajoute encore un autre problème, celui lié au déplacement. Les JSM doivent déjà parcourir plusieurs kilomètres à pied ou à vélo parce qu’ils n’ont pas les moyens de se déplacer avec les transports en commun. Décentraliser les services contribuera à agrandir les circuits qu’ils auront à parcourir quotidiennement, un obstacle de plus dans la longue liste d’obstacles qu’ils accumulent déjà. Et de toute façon, une autre question se pose. Est-ce qu’il faut nécessairement déplacer les JSM? On a beau vouloir cacher le phénomène, on ne peut pas faire semblant qu’il n’existe pas. Puisqu’ils sont des citoyens comme les autres, leur condition sociale ne devrait pas être une raison de les exclure des espaces publics.

Les défis

NPS — Il semble ressortir de cette entrevue que vous devez vous activer sur tous les fronts. D’un côté, dans le contexte d’une fragilisation socioéconomique toujours plus importante, les problèmes sociaux qui affectent les JSM se complexifient. D’un autre côté, comme si la situation n’était pas assez sérieuse, vous semblez également devoir justifier votre existence et défendre votre approche auprès d’une partie de la population et des bailleurs de fonds. Bref, les défis ne manqueront vraisemblablement pas, mais lesquels vous interpellent particulièrement?

En effet, de tous les défis qui se présentent à nous, j’en nommerai deux principaux : continuer à fonctionner dans le cadre des financements par projet et maintenir une reconnaissance de l’approche par les pairs. Je dirais que l’approche de financement par projet, même si ça peut représenter de belles occasions, expose clairement ses limites en ce moment. Notre survie dépend de l’obtention des financements à chaque appel de projets. Or, les demandes en ce domaine sont très nombreuses et le financement est insuffisant. Cette situation a bien l’avantage de nous motiver à innover, mais il faut tout de même convenir qu’elle a aussi le défaut d’alourdir le travail et de risquer la pérennité de notre approche, puisque nous devons continuellement réinventer la roue. En effet, le financement par projet n’octroie qu’une reconnaissance momentanée aux projets supportés, et oblige à répondre aux objectifs des nouvelles demandes, objectifs qui deviennent de plus en plus politisés et mesurés en termes quantitatifs.

Parallèlement à cette situation, il faut s’interroger sur la façon dont sont articulés les projets par les pairs, afin de s’assurer d’octroyer à cette approche toute la reconnaissance nécessaire pour qu’elle ne soit pas subordonnée aux autres pratiques d’intervention. En optant pour cette approche de plus en plus reconnue, on vise à offrir un service complémentaire. L’autonomie du pair-aidant est donc fondamentale. Par exemple, le GIAP se base sur l’expertise des pairs-aidants comme point central de son action. Ceux-ci deviennent des acteurs clés, en étant impliqués à tous les niveaux. Malheureusement, une tendance pour les nouveaux projets consiste à consulter les pairs sans les inclure dans le processus. On perd leur expertise, en la diluant à travers des décisions déjà orientées. Le pair devient donc un simple exécutant. À mon avis, cette façon de faire ne maximise pas tout le potentiel des pairs.

Enfin, il ne faut pas oublier que certaines personnes ne reconnaissent pas cette approche non conventionnelle parce qu’elle ne cadre pas avec l’intervention plus traditionnelle que l’on retrouve habituellement dans le milieu de la santé et des services sociaux. Puisque les pairs-aidants prennent appui sur leur expérience de vie et non sur un bagage académique, certains travailleurs peuvent être déstabilisés devant leurs points de vue. En outre, il peut être exigeant de travailler avec eux, car ils n’ont pas été formatés aux rouages du système. Cela demande une grande capacité d’adaptation, autant de la part des organisations que des collègues, pour leur permettre de se réaliser pleinement en leur accordant une place propre à eux, et non pas en faisant l’erreur de leur demander de « sous-traiter » des aspects du travail.

NPS — Merci beaucoup.