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Introduction

Les études portant sur l’impact des changements climatiques sur les ressources en eau ont intéressé la communauté mondiale suite à plusieurs manifestations climatiques de grande ampleur. Parmi celles-ci, on note la sécheresse qui a touché les deux bandes tropicales de notre planète, surtout les pays sahéliens d'Afrique de l'Ouest, depuis les années 1970 (SIRCOULON, 1976). À cette sécheresse, s'ajoutent les constatations de l'Organisation Météorologique Mondiale (OMM) sur le réchauffement de la planète, supérieur à 0,7 °C, depuis le début du siècle dernier et les récents phénomènes d'El Niño (CANTAT, 1995 NICHOLLS, 1988). La réalité de la variabilité climatique, dont les causes sont difficiles à cerner, se manifeste dans certains pays par de longues périodes de sécheresse avec, pour conséquences, des effets négatifs sur le cycle hydrologique, l’environnement et les activités socio-économiques. La sécheresse qui a sévi depuis une trentaine d'années dans les pays sahéliens a connu une extension vers les pays humides en bordure du Golfe de Guinée, avec de graves conséquences : la baisse des précipitations, la baisse des niveaux piézométriques et la chute des débits des cours d'eau (SAVANÉ et al., 2001; SERVAT et al., 1998). Une tendance à la baisse de la pluviométrie a été observée en Afrique de l’Ouest à partir de la fin des années 1960 et au début des années 1971 (BRICQUET et al., 1997; HUBERT et al., 1987; MAHÉ et OLIVRY, 1995; SERVAT et al., 1998). Le déficit des apports a été estimé à 16 % pour l’Afrique tropicale.

La Côte d'Ivoire n'est pas en marge de ce phénomène. En effet, des études sur la variabilité climatique ont montré qu’une tendance à la sécheresse s’est manifestée à partir de la fin de la décennie 1960 (BIGOT et al., 2005; BROU, 1997). Ce phénomène ne s’est pas réalisé de façon homogène dans le temps; il a d’abord affecté le nord puis progressivement s’est étendu vers le Centre et, enfin, sur le littoral (KOUASSI, 2008). Ces anomalies pluviométriques constatées depuis près de quatre décennies ont connu une résonance exceptionnelle dans les régions Nord et Centre du pays.

L'exemple de l’est de la Côte d'Ivoire choisi pour cette étude est intéressant car, cette région subit de plus en plus de longues saisons sèches chaque année au cours des dernières décennies. Elle est surtout marquée par de fortes pressions anthropiques. La population locale, principal acteur de cette pression sur le couvert végétal, est caractérisée par une forte densité de population (30 habitants•km‑2) qui continue à croître. Les eaux souterraines, principales ressources d’approvisionnement en eau potable, semblent être affectées par les manifestations du changement climatique.

La caractérisation de la variabilité climatique et son influence sur les ressources en eaux souterraines à l'aide de méthodes statistiques et hydrologiques constituent les objectifs majeurs de cette étude. Il s’agit donc de mettre en évidence les périodes de ces changements climatiques et d’évaluer leurs impacts sur les ressources hydriques. Le secteur Est de la Côte d’Ivoire qui sera étudié est le département de Bongouanou, précisément compris entre les latitudes 6° 9’ 50’’ N et 6° 59’ N et les longitudes 3°44’ W et 4° 47’ W. Sur le plan administratif, il fait partie de la région du N’Zi-Comoé dont Dimbokro est le chef-lieu de région, et couvre une superficie de 6 670 km2, soit 2 % de la superficie de la Côte d’Ivoire. Le milieu hydrologique est composé de trois bassins versants de surface, à savoir le bassin du N’Zi à l’ouest et au nord, le bassin de la Comoé à l’est et le bassin d’Agnéby-M’bé au sud (Figure 1). La région bénéficie d’un climat tropical humide, avec une pluviométrie moyenne annuelle actuellement comprise entre 700 et 1 500 mm. Dans ce milieu, le sol est essentiellement hydromorphe et ferrallitique et présente des textures et des structures favorables à l’infiltration des eaux de pluie. Le taux d’évapotranspiration dépend de l’état de saturation du sol et de son état de surface. Lorsque l’humidité du sol a dépassé le point de ressuyage, tout apport de pluie supplémentaire se retrouve dans l’écoulement superficiel et souterrain.

Figure 1

Situation géographique du département de Bongouanou

Geographic location of Bongouanou department

Situation géographique du département de Bongouanou

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Le couvert végétal, très hétérogène, passe du fait de la déforestation, au début du XXe siècle, des forêts denses humides sempervirentes en accord avec une pluviométrie moyenne annuelle excédant 1 600 mm (GUILLAUMET et ADJANOHOUN, 1971; LENEUF, 1959), à la végétation actuelle de type jachère, moins ligneux, caractéristique des régions où la pluviométrie annuelle est inférieure à 1 200 mm. Au début des années 1950, la forêt dense primitive couvrait plus de 600 000 ha, soit 81 % de la superficie totale. En 1980, il n’en restait que 320 000 ha dont 210 000 ha de forêts classées (SODEFOR, 1992). Actuellement, cette forêt primitive n’existe pratiquement plus dans le département de Bongouanou à cause de la forte pression anthropique. Cette pression est liée à la pratique de l’exploitation du bois, à la culture itinérante sur brûlis, à la mobilisation de vastes territoires pour les cultures de rente et industrielles (cacao, café, hévéa et palmier à huile). Cette agression constante et irréversible de la forêt fait que les périodes de jachères deviennent de plus en plus courtes et, par conséquent, la reconstitution de l’écosystème forestier est de plus en plus difficile. Il naît alors un type de végétation nouveau formé d’espèces à croissance rapide (arbustes et herbes) à caractère savanicole, et on constate en parallèle la diminution générale de la biodiversité. La figure 2 issue de la classification supervisée par maximum de vraisemblance des compositions colorées des images ETM+ de Landsat7 du 13 avril 2003, met en évidence l’actuelle occupation du sol du département de Bongouanou. Le résultat de cette classification supervisée montre qu’il ne reste que 3 253 ha de forêts primitives dans les zones classées. La déforestation et la dégradation des forêts entrainent très vraisemblablement un changement climatique qui, en retour, endommage les forêts (WWF, 2011). Leur destruction massive a donc certainement une incidence sur le climat local.

Figure 2

Carte d’occupation du sol du département de Bongouanou issue de la classification supervisée d’une composition colorée des images ETM+ de Landsat 7 (13-4-2003) montrant les restes des forêts primitives

Map of land use in Bongouanou department obtained from the supervised classification of Landsat 7 ETM+(13-4-2003) colour composition showing the remainder of primitive forests

Carte d’occupation du sol du département de Bongouanou issue de la classification supervisée d’une composition colorée des images ETM+ de Landsat 7 (13-4-2003) montrant les restes des forêts primitives

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Le milieu géologique est en grande partie constitué de formations paléoprotérozoïques dont la lithologie est composée de métasiltites, de métaarénites, d’intrusions granitiques et de leurs produits d’altération (notamment, cuirasses latéritiques). On observe aussi de petites formations quaternaires en bordure des rivières N’Zi et Comoé, formées de sables lessivés (Figure 3). Les cuirasses bauxitiques épousent des topographies importantes, pouvant atteindre 600 m d’altitude. Les autres formations sont relativement plates et l’altitude moyenne est d’environ 120 m. Le sous-sol est essentiellement formé d’aquifères discontinus de socle (altérites et horizon fissuré) de nature schisteuse ou granitique. Les altérites ont des épaisseurs qui varient de quelques mètres à plus de 100 m et contiennent souvent des nappes d'eau importantes en relation avec le degré d'altération de la roche-mère. Ces systèmes d’aquifères discontinus sont, pour ce qui concerne leur recharge, sous l’influence des fluctuations saisonnières. Contrairement aux aquifères continus des bassins sédimentaires, leur perméabilité et porosité sont relativement faibles et leur productivité très modeste.

Figure 3

Carte géologique simplifiée du département de Bongouanou

Simplified geological map of Bongouanou department

Carte géologique simplifiée du département de Bongouanou

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1. Matériel et méthodes

1.1 Données

Les données climatiques (1920-2005) de la région de Bongouanou ont été obtenues auprès de la société d’exploitation pour le développement aéroportuaire et météorologique de la Côte d’Ivoire (SODEXAM). Les données hydrométriques ont été mises à notre disposition par la direction de l’hydraulique humaine, précisément la sous-direction de l’hydrologie. Ces données concernent les débits journaliers de la rivière N’Zi et du fleuve Comoé, couvrant la période 1953 à 1987, recueillies respectivement aux stations hydrométriques près de Bocanda et de Brou-Attakro.

1.2 Méthodes

1.2.1 Méthodes de mise en évidence du changement climatique

La méthodologie de cette étude a commencé par une analyse statistique de la série pluviométrique. Ainsi, la moyenne, l’écart-type et le coefficient de variation ont été calculés. Le coefficient de variation (CV), qui est le rapport entre l’écart-type et la moyenne, permet d’apprécier la dispersion de la pluviométrie autour de la moyenne.

Des tests de détection de ruptures dans une série pluviométrique ont été élaborés pour mettre en évidence un changement climatique au sein d’une période chronologique. On peut citer, entre autre, la procédure de segmentation de HUBERT (HUBERT et al., 1989) et le test de PETTITT (1979). En effet, une rupture est définie comme un changement dans la loi de probabilité des variables aléatoires dont les réalisations successives définissent les séries chronologiques étudiées (SERVAT et al., 1998). Dans cette étude, pour la détection des ruptures, nous avons appliqué le test de Pettitt. Il consiste à décomposer la série principale de N éléments en deux sous-séries à chaque instant t compris entre 1 et N-1. La série principale présente une rupture à l’instant t si les deux sous-séries ont des distributions différentes. Les variables de Pettitt (U) sont définies par l’équation 1 suivante :

  • où D(i,j) = s g n (xi – xj)

  • s g n (x) = 1 si x > 0

  • s g n (x) = 0 si x = 0

  • s g n (x) = -1 si x < 0

La probabilité (Prob) de dépassement d’une valeur k est définie et permet d’apprécier l’importance de la rupture.

Prob (kn>k) ≈ 2 exp / Prob (kn>k) ≈ 2 exp (-6 k2/n3+n2)

L’absence de rupture dans la série de taille N constitue l’hypothèse nulle. Si l’hypothèse nulle est rejetée, une estimation de la date de la rupture est donnée à cet instant, définissant le maximum en valeur absolue de la variable U.

L’indice de NICHOLSON (1994) ou indice pluviométrique (Ip) est une variable centrée réduite qui traduit l’écart de la pluie d’une année i à la pluie moyenne de la période considéré par rapport à l’écart-type. Cet écart traduit soit des excédents, soit des déficits pluviométriques annuels de la série climatique. Ainsi, les successions des périodes excédentaires et déficitaires mettent en évidence les changements climatiques de cette série. L’expression mathématique de l’indice de Nicholson est définie par l’équation 2 :

  • Ip : indice de Nicholson ou Indice pluviométrie

  • Pi : pluie annelle de l’année i

  • P : moyenne pluviométrique de la période considérée

  • σ : écart-type de cette série.

Par ailleurs, une confirmation des résultats de détection des changements pourrait être vérifiée par une comparaison des températures moyennes mensuelles de chaque période déterminée.

1.2.2 Bilan hydrologique

Il existe plusieurs méthodes permettant d’estimer les paramètres du bilan hydrologique. On peut citer, entre autre : la méthode de TURC (1931), de THORNTHWAITE (1948) et de PENMAN (1948). Chacune de ces méthodes a ses avantages et ses limites. Pour la détermination des paramètres du bilan hydrique, nous avons opté pour la méthode de Thornthwaite. Le choix de cette méthode s’explique par le manque de données climatiques supplémentaires qui pourraient permettre l’utilisation des méthodes plus précises, notamment celle de Penman qui rend bien compte du processus physique réel. La fiabilité de la méthode de Thornthwaite dans notre étude se résume à la superficie de la zone d’investigation et au calcul du bilan hydrologique qui est mieux exprimé par celle-ci (BROCHET et GERBIER, 1974). Les principaux paramètres recherchés sont l'évapotranspiration potentielle (ETP), l'évapotranspiration réelle (ETR) et l'excédent du bilan (P-ETR). On calculera ensuite l’infiltration efficace (Ie) après avoir estimé le ruissellement moyen annuel. Ainsi, pour le calcul de l’ETP de chaque mois, Thornthwaite propose l’équation 3 suivante :

  • avec

  • ETP : évapotranspiration potentielle (mm•mois‑1);

  • t : température mensuelle moyenne en degré Celsius;

  • α : fonction complexe de l’indice thermique (α = 6,75•10‑7•I3 – 7,71•10‑5•I2 + 1,79•10‑2•I + 0,49239);

I : Indice thermique annuel est calculé selon l’équation 4 :

  • avec

  • equation: 5016111n.jpg : indice thermique mensuel

  • equation: 5017279n.jpg : facteur correctif fonction du mois m et de la latitude λ

L’ETP mensuelle étant calculée, les valeurs de l'ETR et de l'excédent sont estimées selon les procédures suivantes :

1er cas : Pour P > ETP (P : pluviométrie du mois)

alors ETR = ETP

Si P + Ri-1 – ETR ≥ RFU; alors Ri = RFU, ∆RFU = Ri – Ri-1 et S = P + Ri-1 – ETR – RFU;

Si P + Ri-1 – ETR ≤ RFU; alors Ri = P + Ri-1 – ETR, ∆RFU = Ri – Ri-1 et S = 0;

2e cas : Pour P < ETP

Si Ri-1 ≥ ETP – P, alors ETR = ETP, Ri = P + Ri-1 – ETR, ∆ RFU = Ri – Ri-1 et S = 0;

Si Ri-1 ≤ ETP – P, alors ETR = P + Ri-1, Ri = 0, ∆RFU = Ri – Ri-1 et S = 0.

avec : RFU : Réserve facilement utilisable par les végétaux (la valeur maximale est fixée ici à 100 mm, compte tenu de la nature argilo-sableuse des sols); Ri : Réserve effective du mois en cours;

Ri-1 : Réserve effective du mois précédent; S : Surplus disponible pour l’écoulement de surface ou souterrain du mois en cours; ∆RFU = Variation de la réserve.

Pour le calcul de la lame d’eau ruisselée, nous avons appliqué le modèle de TIXERONT (1964) amélioré plus tard par MOUELHI (2003). L’idée de base adoptée en proposant ce modèle est l’existence d’une certaine corrélation entre la pluviosité moyenne annuelle et le ruissellement moyen annuel pour une longue période d’observation, une trentaine d’années par exemple. On estime que ces corrélations existent quand on a affaire à des bassins aux sols normalement constitués, ni trop perméables (terrains karstiques ou dunaires), ni trop squelettiques (zones trop arides en particulier). La formule de ce modèle amélioré s’établit selon l’équation 5 ci-dessous :

  • R : lame d’eau annuelle ruisselée (mm);

  • P : lame d’eau précipitée annuelle (mm);

  • E : lame d’eau évapotranspirée (ETP) annuelle; et

  • a : coefficient correctif de l’évapotranspiration potentielle (ETP).

Les estimations des lames d’eau ruisselées annuellement sur les différentes périodes d’observation du changement climatique permettront de quantifier l’impact du changement climatique sur les eaux de surface. Une fois ETR et R calculés, les estimations des infiltrations efficaces (Ie) se déduisent de l’équation du bilan hydrologique (Équation 6) :

1.2.3 Coefficients de tarissement et volume d’eau mobilisés par les aquifères

En absence de précipitation, un cours d’eau est alimenté par les eaux souterraines de son bassin versant. Il en résulte que le tarissement représente le volume d’eau libéré par cette réserve régulatrice pendant la durée de la vidange en régime non influencé. À travers cette relation entre eau de surface et eau souterraine, il s’est avéré important de connaître l’évolution des réserves en eaux souterraines pendant les éventuelles variations climatiques. Les variabilités du coefficient de tarissement et du volume d’eau mobilisé par les aquifères définis par MAILLET (1905) peuvent nous permettre de mettre en évidence cette évolution. Les formules des courbes de tarissement donnent une valeur approchée des réserves régulatrices et les facteurs hydrologiques de la zone étudiée. L’expression mathématique du tarissement s’écrit selon l’équation 7 :

  • avec :

  • Qt : débit à l’instant t, exprimé en m3•s‑1;

  • Q0 : débit initial, exprimé en m3•s‑1;

  • k : coefficient de tarissement (j‑1).

L’équation 8 du coefficient de tarissement de Maillet est la suivante :

L’intégration de cette équation sur l’intervalle [0, + ∝) donne le volume annuel mobilisé par l’ensemble des aquifères du bassin versant, dont l’expression mathématique est définie par l’équation 9 :

Pour le calcul du coefficient de tarissement en région tropicale, on utilisera la détermination par dichotomie proposée par COULIBALY (1997). Dans la méthode dichotomique, la courbe annuelle de tarissement est l’expression de la vidange du réservoir souterrain. La quantité d’eau récupérée à la station de jaugeage correspond exclusivement aux volumes dynamiques mobilisés par l’ensemble des aquifères du bassin. De façon pratique, on part du débit journalier le plus élevé de l’année, considéré comme débit initial Q0 et on reporte en abscisse les débits mesurés tous les dix jours, jusqu’à ce qu’ils remontent de façon significative. Le pas de temps de dix jours a été retenu, car ce pas de temps a donné de bons résultats avec COULIBALY (1997), SAVANÉ et al. (2001) et SAVANÉ et al. (2003), respectivement dans le bassin versant du fleuve Sassandra et sur le Drou à Man. Ainsi, le coefficient de tarissement et le volume mobilisé chaque année par les aquifères sur le bassin du N’Zi et de la Comoé seront estimés et représentés graphiquement pour analyser les fluctuations.

2. Résultats et discussion

2.1 Résultats

2.1.1 Les tests de détection de rupture

Dans la région de Bongouanou, la valeur moyenne de la pluviométrie de 1920 à 2005 est égale à 1 300 mm. La pluie annuelle maximale (1 893 mm) a été observée en 1950. La valeur minimale de la pluviométrie a été de 910 mm et a été observée en 1983. Le coefficient de variation est égal à 110 %. On remarque une forte dispersion de la pluviométrie autour de la valeur moyenne. Ces résultats statistiques témoignent de la grande variabilité des précipitations dans cette région.

Le résultat du test de Pettitt montre que la série pluviométrique présente une rupture en 1968. La rupture est identifiée avec un seuil de confiance de 99 %. Le graphe de la variable du test de Pettitt (Figure 4) présente aussi une rupture probable en 1951. Mais le résultat du test indique que la rupture est peu significative. En effet, le calcul des moyennes pluviométriques annuelles des séries 1920-1951 et 1952-1968 donne respectivement 1 444,8 mm et 1 428,3 mm, soit une différence peu significative de 16,5 mm. La discrimination d’une variabilité climatique n’est donc pas bien perceptible dans la série 1920-1968, malgré l’existence d’une rupture probable. Ainsi, on distingue vraisemblablement deux grandes périodes :

  • une période humide de 1920 à 1968, durant laquelle les pluies sont abondantes. Ainsi, plus de 60 % des précipitations annuelles sont supérieures à la moyenne 1920-2005;

  • une période sèche ou déficitaire de 1969 à 2005 où les précipitations annuelles sont faibles, seulement 12,2 % des pluies sont supérieures à la moyenne 1920-2005.

Figure 4

Fluctuations couplées de la pluviométrie et de la variable U du test de Pettitt (Station de Bongouanou)

Coupled fluctuations of the rainfall and the variable U of the Pettitt test (Bongouanou station)

Fluctuations couplées de la pluviométrie et de la variable U du test de Pettitt (Station de Bongouanou)

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Les indices pluviométriques (indice de Nicholson) permettent de dégager les grandes tendances dans une série chronologique. L’étude de la variabilité interannuelle des indices pluviométriques de la zone d’étude montre aussi deux grandes tendances de variabilité climatique (Figure 5). On a une période humide de 1920 à 1968 où les indices sont caractérisés par une alternance de valeurs positives et négatives. Les indices positifs caractérisent les pluies supérieures à la moyenne et sont plus représentés dans la période humide. La période déficitaire de 1969 à 2005 est dominée par une succession d’indices négatifs montrant que les pluies annuelles sont presque toutes faibles et inférieures à la moyenne.

Figure 5

Fluctuation de l’indice de Nicholson de la zone d’étude (Station de Bongouanou)

Fluctuation of the Nicholson index of the study region (Bongouanou station)

Fluctuation de l’indice de Nicholson de la zone d’étude (Station de Bongouanou)

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Une étude des variations des températures moyennes annuelles des périodes 1920-1968 et 1969-2007 a été effectuée et représentée par les graphes de la figure 6. L’analyse de ces graphes montre que la courbe de la période 1969-2007 est au-dessus de la courbe de la période 1920-1968, excepté pour les mois d’août et novembre. Dans l’ensemble, la température a subi une hausse d’environ 0,7 °C, pour presque chaque mois de l’année après la rupture de 1968. Le changement climatique au cours de la période 1920-2005 se manifeste donc à la fois par une diminution très sensible de la pluviométrie et par une augmentation de la température.

Figure 6

Variation des températures moyennes mensuelles autour de la rupture 1968 (Station de Bongouanou)

Variation of the average monthly temperature around the 1968 rupture (Bongouanou station)

Variation des températures moyennes mensuelles autour de la rupture 1968 (Station de Bongouanou)

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2.1.2 Résultat du bilan hydrologique

Pour évaluer l'impact du changement climatique sur les ressources en eau dans cette région tropicale, nous avons calculé les paramètres du bilan hydrologique mensuel et annuel avant et après la rupture de 1968. Les résultats sont consignés dans les tableaux 1, 2 et 3. L’analyse des tableaux montre que la pluie moyenne annuelle, qui était estimée à 1 436,6 mm avant la rupture, est passée à 1 163,4 mm après la rupture, soit une baisse de 19 %. L’excédent ou la pluie efficace, qui était de 297,5 mm avant la rupture, est réduit à 180,3 mm après la rupture, soit une baisse de 39 %. Le ruissellement moyen annuel, qui était environ 80 mm avant la rupture, est passé à 35 mm après la rupture, soit une baisse de 56 %. La lame d’eau estimée qui s’infiltre pour recharger les aquifères de fissures de la région est passée de 217 mm avant la rupture à 145 mm après, soit une baisse de 33 %. On peut donc déduire de toutes ces observations que le volume d’eau qui s’infiltre dans les aquifères, qui était de 1,45 km3 en moyenne annuelle avant la rupture, est actuellement réduit à 0,96 km3. À la lumière de ces résultats, on peut dire que le changement climatique doit avoir entraîné une baisse non négligeable de la recharge des ressources en eau souterraine et, par conséquent, une diminution très sensible des écoulements, au moins en étiage, dans la région de Bongouanou.

Tableau 1

Bilan mensuel par la méthode de Thornthwaite avant la rupture (1920-1968)

Monthly water balance by the Thornthwaite method before the rupture (1920-1968)

Bilan mensuel par la méthode de Thornthwaite avant la rupture (1920-1968)

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Tableau 2

Bilan mensuel par la méthode de Thornthwaite après la rupture (1969-2005)

Monthly water balance by the Thornthwaite method after the rupture (1969-2005)

Bilan mensuel par la méthode de Thornthwaite après la rupture (1969-2005)

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Tableau 3

Récapitulatif des paramètres du bilan hydrologique avant et après la rupture (1998)

Summary of hydrological balance parameters before and after the rupture (1998)

Récapitulatif des paramètres du bilan hydrologique avant et après la rupture (1998)

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2.1.3 Résultat des calculs du tarissement

Pour élucider d’avantage l’impact du changement climatique sur les réserves régulatrices de la zone d’étude, les coefficients de tarissement et les volumes mobilisés par les aquifères ont été déterminés pour chaque année de la période 1956-1985, avant et après la rupture de1968. Les résultats des calculs pour les fleuves N’Zi et Comoé ont été représentés graphiquement afin de mettre en évidence l’évolution des durées de vidange et les volumes mobilisés par les aquifères (Figure 7 et 8). De même, les valeurs moyennes de ces paramètres, avant et après la rupture, ont été estimées et consignées dans le tableau 4. Au niveau du fleuve N’Zi (Figure 7a), le coefficient de tarissement avant la rupture fluctue entre 0,015 j‑1 et 0,070 j‑1, avec une valeur moyenne de 0,036 j‑1 (inverse de 28 jours). Après la rupture, il varie entre 0,017 j‑1 et 0,080 j‑1, avec une moyenne de 0,046 j‑1 (inverse de 22 jours). Au niveau du fleuve Comoé (Figure 7b), le coefficient de tarissement avant la rupture fluctue entre 0,02 j‑1 et 0,07 j‑1, avec une moyenne de 0,04 j‑1 (inverse de 25 jours). Après la rupture, il varie entre 0,020 j‑1 et 0,078 j‑1, avec une moyenne de 0,048 j‑1 (inverse de 20 jours). La tendance croissante des valeurs du coefficient de tarissement est bien marquée pour les deux courbes. Un raccourcissement de la durée de tarissement après 1968 est ainsi mis en évidence. Les volumes d’eau mobilisés par les aquifères au niveau du fleuve N’Zi (Figure 8a) fluctuent entre 0,70 km3 et 2,40 km3 avant la rupture de 1968, avec une moyenne de 1,52 km3. Après la rupture, ces volumes varient entre 0,35 km3 et 1,50 km3 et leur moyenne est estimée à 1,07 km3. Au niveau du fleuve Comoé (Figure 8b), le volume d’eau mobilisé avant la rupture fluctue entre 0,50 km3 et 2,30 km3, avec une moyenne de 1,43 km3. Après la rupture, ce volume d’eau varie entre 0,50 km3 et 1,45 km3 et la moyenne est 0,97 km3. De manière générale, on note dans la région de Bongouanou une tendance à la baisse d’environ 31 % des volumes d’eau mobilisés par les aquifères après la rupture. Cette réduction des volumes d’eau mobilisés par les aquifères est interprétée comme la conséquence d’une moindre recharge qui se traduit en apparence par une vidange plus rapide. Après la rupture de 1968, on observe donc très régulièrement de plus faibles infiltrations efficaces chaque année, à cause de la réduction des précipitations. Ces résultats mettent en évidence une diminution des volumes d’eau mobilisés par les aquifères en période sèche ou déficitaire. Le changement climatique a donc entraîné, de manière générale, la réduction de la recharge des aquifères, et donc la baisse de la quantité d’eau souterraine dans les aquifères discontinus de la région de Bongouanou. La bonne concordance des résultats obtenus, au moyen de deux approches indépendantes (par l'évaluation de la recharge et par l’évaluation du drainage des aquifères) est tout particulièrement remarquable.

Figure 7

Variation des coefficients de tarissement dans la région de Bongouanou : (a) sur le N’Zi à la station de Bocanda; (b) sur la Comoé à la station Brou-Attakro

Variation of the recession coefficients in the Bongouanou region: (a) at Bocanda station, on the N’Zi; (b) at Brou-attakro station, on the Comoé

Variation des coefficients de tarissement dans la région de Bongouanou : (a) sur le N’Zi à la station de Bocanda; (b) sur la Comoé à la station Brou-Attakro

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Figure 8

Variation des volumes d’eau mobilisés par les aquifères dans la région de Bongouanou : (a) sur le bassin du N’Zi; (b) sur le bassin de la Comoé.

Variation of the mobilized water volumes in the aquifers in the Bongouanou region: (a) in the N’Zi basin; (b) in the Comoé basin

Variation des volumes d’eau mobilisés par les aquifères dans la région de Bongouanou : (a) sur le bassin du N’Zi; (b) sur le bassin de la Comoé.

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tableau 4

Coefficients de tarissement et volumes d’eau mobilisés par les aquifères autour de la rupture 1968

Recession coefficients and mobilized water volumes in the aquifers around the 1968 rupture

Coefficients de tarissement et volumes d’eau mobilisés par les aquifères autour de la rupture 1968

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2.2 Discussion

La date de rupture obtenue pour la série pluviométrique de Bongouanou est 1968 selon les deux méthodes appliquées. L’année de rupture s’insère bien dans la période de rupture de la majorité des stations pluviométriques en Afrique de l’Ouest, particulièrement en Côte d’Ivoire, c'est-à-dire entre 1966 et 1972 (ADJA, 2009; ARDOIN, 2004; BROU, 1997; BROU et al., 1998; BROU, 2005; HUBERT et CARBONNEL, 1987; HUBERT et al., 1989; LUBÈS-NIEL et al., 1998; MARIEU, 1999; PATUREL et al., 1997; PATUREL et al., 1998; SERVAT et al., 1998; SIRCOULON, 1976). Le déficit pluviométrique qui en a résulté est en moyenne 19 %. Il est pratiquement de même ordre de grandeur que ceux obtenus par MORON (1996), SERVAT et al. (1998) et MEDDI et MEDDI (2009) dans les régions sahélo-soudaniennes. Cette similitude du comportement climatique serait d’échelle planétaire, car elle se vérifie également sur certaines zones du pacifique (GIEC, 2007; MERLE, 1995). Par ailleurs, ce changement des précipitations pourrait aussi être accentué par une augmentation de la température de l’air estimée à environ 0,7 °C dans la région de Bongouanou et associée aux impacts des gaz à effet de serre (ADIAFFI, 2008), en accord avec une tendance à l’augmentation des températures des régions entre les deux hémisphères de l’ordre de 0,08 °C•10 ans‑1, entrainant une dérégulation du mécanisme de migration du front intertropical (FIT), qui détermine le climat en Afrique de l’Ouest (ADIAFFI, 2008; GIEC, 2007; PÉNÉ et ASSA, 2003). Il ne peut aussi être exclu que la hausse des températures et la baisse de la pluviométrie soient aussi localement liées à la régression des forêts denses sempervirentes (effets liés à l’albédo et à une moindre évapotranspiration) (WWF, 2011), en plus, régionalement, de la variabilité de la dynamique de la circulation des masses d’air qui engendrent la mousson ouest-africaine (ADIAFFI, 2008).

Les cumuls des années déficitaires après 1968 ont eu pour conséquence une diminution très sensible de la recharge, entrainant une baisse régulière des volumes d’eau des aquifères de socle. Compte tenu de leur perméabilité et porosité relativement faibles, la capacité de stockage des eaux en milieu de socle est modeste et toujours sous la dépendance des fluctuations saisonnières et de l’intensité de la recharge (LACHASSAGNE et al., 2011; ROUX, 2005). La vidange rapide des cours d’eau de la plupart des bassins fluviaux en zones soudano-sahélienne et tropicale humide est due aux déficits pluviométriques observés depuis les décennies 1970 (BRICQUET et al., 1997; KANOHIN et al., 2009; MAHÉ et al., 1998; MAHÉ et al., 2000; OLIVRY et al., 1998). Néanmoins, certaines nappes phréatiques des bassins sédimentaires tertiaires du Niger ont enregistré une augmentation de leur recharge, malgré la réduction de la pluviométrique (FAVREAU, 2002; LEDUC et al., 2001), du fait d’une moindre évapotranspiration, et surtout d’une augmentation du ruissellement due au déboisement, avec une recharge plus forte, grâce à l’eau de surface accumulée dans les bas-fonds endoréiques. Dans la région d’étude, zone de socle, les effets du changement climatique (diminution de la recharge) semblent plus importants pour la ressource en eau que ceux liés à la déforestation.

Conclusion

Comme la plupart des pays de la zone tropicale, la Côte d'Ivoire est sujette au changement climatique. Cette étude menée dans sa partie Est de son socle, précisément le département de Bongouanou, illustre ce phénomène et donne une idée de son impact sur les ressources en eau. En effet, l’indice de Nicholson et le test de Pettitt indiquent une rupture en 1968 dans la série climatologique 1920-2005 et mettent en évidence une période humide, se situant entre 1920 et 1968, où les pluies sont abondantes, et une période déficitaire qui commence à partir de 1969 et se poursuit jusqu’aujourd’hui. La période déficitaire est caractérisée par une réduction de la pluviométrie annuelle d’environ 19 % et une augmentation de la température de l’air estimée à 0,7 °C pour presque tous les mois de l’année. Les ressources en eau ont subi une diminution non négligeable de leur alimentation suite à ce changement climatique, car le bilan hydrique montre une diminution de 56 % des écoulements de surface et une baisse de 33 % des infiltrations efficaces en moyenne annuelle après 1968. La diminution, du même ordre de grandeur, des tarissements des cours d’eau confirme cette estimation.