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Le concept de diversité a pénétré la sphère organisationnelle depuis quelques années, faisant écho au concept de compétence, de capital humain et de talent. Depuis le traité d’Amsterdam et les Directives Européennes de 1999, un certain nombre de textes encadre la diversité en France. Du label diversité aux initiatives spontanées, les entreprises mettent en oeuvre des pratiques de diversité. L’entreprise prendrait enfin, en compte le développement humain dans toute sa richesse. La célébration de la diversité envahit toutes les sphères sociétales en faisant évoluer la notion et les pratiques de gestion de la diversité « à la française » : L’égalité républicaine reconnaît la diversité mais par abstraction de toutes les différences (Renaut 2009) et se transforme en une injonction paradoxale, valoriser les différences et ne pas les prendre en compte.

Comment les entreprises se saisissent-elles de cette injonction ? S’agit-il d’un simple effet de mode managériale, comme ont pu l’être les cercles qualité, les pratiques d’« incentive », les stages « hors limites », ou d’un changement profond qui va bouleverser les pratiques managériales, organisations et stratégies des entreprises ?

Cette contribution est une réflexion sur l’émergence de cette notion de diversité comme principe de gestion dans les organisations. À cette fin, les principes stratégiques et juridiques de la diversité seront rappelés. Puis, les « bonnes pratiques » de gestion de la diversité en entreprise seront illustrées afin d’analyser les opportunités que ce nouveau paradigme offre aux entreprises. Enfin il s’agira de s’interroger sur le caractère aliénant de cette nouvelle idéologie.

Les principes stratégiques et juridiques de la diversité

La diversité s’est immiscée dans l’organisation, sous l’apanage d’un enjeu stratégique et juridique.

Stratégie de la diversité

La diversité est d’abord un enjeu économique : il existe déjà une pénurie de main-d’oeuvre dans certains secteurs (BTP, services à la personne). Les entreprises doivent apprendre à élargir leur panel de recrutement et s’adresser à tous les viviers de compétences. La notion de diversité est donc salutaire pour leur survie. La liste de l’argumentaire des entreprises en faveur de la diversité est longue, comme le montre l’étude suivante.

Selon la Communauté Européenne, la diversité est un enjeu économique dans la compétitivité mondiale. Des études ont démontré « que la création et la gestion de la diversité au sein de l’entreprise étaient génératrices d’avantages réels ». La mise en place de stratégies de gestion de cette diversité permet d’établir un lien entre les aspects internes et externes de l’activité d’une organisation. Les avantages retirés sont les suivants :

  • La sélection, le recrutement et la fidélisation d’individus provenant d’un vivier plus large de « talents »;

  • La réduction des coûts de rotation du personnel et d’absentéisme;

  • Une plus grande souplesse et réactivité du personnel;

  • Un meilleur engagement et moral du personnel;

  • Une meilleure gestion de l’impact de la mondialisation et des bouleversements technologiques;

  • Une meilleure capacité de créativité et d’innovation;

  • Une meilleure connaissance des différentes cultures;

  • Une meilleure compréhension des besoins des clients actuels;

  • Une meilleure compréhension des besoins des nouveaux clients;

  • Une assistance dans la mise au point de nouveaux produits, services et stratégies marketing;

  • Le renforcement de la réputation et de l’image de marque de l’entreprise auprès des acteurs externes;

  • La création d’opportunités pour les groupes défavorisés, et donc la contribution à une meilleure cohésion sociale.[1]

Le discours dominant des institutions européennes et de leur centre de recherche est que l’absence de diversité est pénalisante : sans effort massif pour encourager la diversité, l’uniformisation aura raison de la compétitivité de l’image et de l’attractivité des entreprises.

D’ailleurs, les chercheurs sur la diversité rappellent que la communication sur la diversité permet de tirer des avantages commerciaux et sert la réputation de l’employeur (Hon et Brunner, 2000). Point (2010) analyse « la promotion d’une marque diversité » à travers les discours de l’entreprise sur son implication dans cette problématique, grâce à « l’amélioration des relations avec la communauté locale ou encore la création d’un véritable contrat social entre les salariés et les clients ».

Consciente et sensible aux évolutions de son environnement, l’entreprise s’engage sur les trois piliers que sont l’économique, l’environnement et le social. Sa raison d’être est bien de croître et de créer de la richesse mais en cherchant à satisfaire ses actionnaires, ses dirigeants, ses employés et ses clients tout en respectant son environnement. En outre, elle s’engage à proposer à ses employés des conditions de travail stimulantes prenant en compte leurs aspirations individuelles et collectives, préservant leur identité et leurs différences dans le souhait de créer une communauté de travail harmonieuse.

Le droit de la diversité

Parallèlement à la montée de ce discours économico-stratégique, le législateur a développé un véritable arsenal juridique pour promouvoir et encadrer la diversité. La diversité est au croisement de deux préoccupations collectives : la reconnaissance dans l’espace public des identités culturelles religieuses ou nationales et de l’existence de discriminations qui atteint les membres de groupes et en particulier ceux qui relèvent des « minorités visibles » (Wieviorka, 2008). « La mise en oeuvre, le déploiement des politiques de lutte contre les discriminations en France ont été marqués, ces dix dernières années, par des processus de redéfinition multiple, agissant notamment par extension, déplacement et euphémisation de leur action ». (Dotytcheva et al, 2007). En dix ans, selon Sénac (2010) il y a eu un déplacement de la problématique des discriminations, vers l’égalité des chances puis vers la diversité. « On assiste progressivement à la construction d’une politique publique de contribution à la construction d’une norme managériale, entre le secteur privé, les partenaires sociaux et les pouvoirs publics. (…). La légitimation et le travail de diffusion par les pouvoirs publics du modèle de la gestion de la diversité, ont modelé la gestion même de la diversité et l’ont clairement adossée, comme au niveau européen, aux politiques de lutte contre les discriminations et d’égalité des chances qu’elle est censée compléter » (Van de Walle et al, 2008). En 1997, l’article 14 du traité d’Amsterdam oblige les pays de l’Union Européenne à se doter d’outils pour combattre les discriminations. Sous l’angle juridique, la diversité est abordée par le prisme des discriminations. Discriminer c’est distinguer, établir une différence entre des individus ou des choses. Une discrimination est une inégalité de traitement fondée sur un critère prohibé par la Loi, comme l’origine, le sexe, le handicap etc., dans un domaine visé par la Loi, comme l’emploi, le logement, l’éducation, etc. La Loi française liste une série de 18 critères ne devant pas influencer le recrutement, ni les décisions relatives à l’évolution, la sanction, le départ d’un collaborateur : l’origine, le sexe, les moeurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’appartenance à une ethnie, l’appartenance à une nation, l’appartenance à une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé, le handicap, l’état de grossesse.

Rappelons que la Constitution de 1945 avait engendré des politiques de lutte contre les discriminations et le respect de l’égalité des droits dans toutes les sphères de la vie publique en prohibant la reconnaissance et la valorisation des différences individuelles ou communautaires. Depuis 1999, la Directive Européenne sur la diversité, mise en oeuvre progressivement dans les différents états européens, a impulsé en France l’élaboration de nombreuses lois ou accords nationaux interprofessionnels. La législation a créé des catégories de diversité pour combattre les discriminations qui les touchent. Le droit français commence à reconnaître les différences communautaires ou d’identité individuelle qui n’avaient pas le droit de cité dans l’espace public afin d’assurer l’égalité, la fraternité et la liberté, bien qu’il soit difficile pour le législateur de distinguer les qualités qui sont discriminées parmi toutes les qualités d’un individu (Dubet, 2010). Ce principe est fondateur de l’universalisme « français »[2]. Seul l’individu s’intégrait et c’est à lui que la République était censée assurer l’égalité de droit (Marbot, 2010). Ainsi, le législateur, sous l’impulsion européenne, donne des armes différentes à l’entreprise pour qu’elle combatte des comportements (racistes, exclusifs, aliénants) que la République n’a pas su annihiler. Nous ne recensons que celles qui ont vu le jour au XXIe siècle :

  • 2001 : transposition en droit français des Directives Européennes de 2000 et du Traité d’Amsterdam sur la diversité (L 122-45). Elle renforce le dispositif de lutte contre les discriminations au profit des salariés et aménage la charge de la preuve dans la procédure civile. La loi Génisson instaure l’obligation pour les entreprises sous peine de délit d’entrave de diffuser des indicateurs précis sur la situation des hommes et des femmes, de négocier l’égalité professionnelle et d’inclure ce thème dans les négociations sociales (L 2001-397).

  • 2002 : la Loi de Modernisation Sociale condamne le harcèlement moral et comporte des dispositions prohibant la discrimination dans l’accès au logement (L 2002-73).

  • 2004 : la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité) est créée. Ses missions sont d’accompagner les victimes de discrimination dans leurs parcours de justice, de favoriser le progrès des procédures et de sensibiliser la société française dans son ensemble. La charte de l’égalité des hommes et des femmes traite, notamment de la notion d’égalité professionnelle.

  • 2005 : la Loi sur le handicap pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est promulguée. L’accord national interprofessionnel relatif à l’emploi des seniors en vue de promouvoir leur maintien et leur retour à l’emploi est signé. Enfin, la Loi de programmation pour la cohésion sociale (Loi n°2005-32) comporte trois volets : mobilisation pour l’emploi, dispositions en faveur du logement, promotion de l’égalité des chances.

  • 2006 : la Loi pour l’égalité des chances offre de nouveaux outils pour lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité. La Loi légalise la pratique du « test de discriminations » comme moyen de preuve d’éventuelles discriminations. Cette dernière prévoit la mise en place du CV anonyme dans les entreprises de plus de 50 salariés selon des modalités d’application qui restent à fixer par le Conseil d’État. Elle demande au CSA de veiller à ce que la programmation des radios et télévisions reflète la diversité de la société française (Loi n°2006-396). La Loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes prône la suppression des écarts de rémunération, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale et l’accès des femmes à des instances délibératives et juridictionnelles.

  • 2008 : une loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est votée (Loi n° 2008-496). Un décret porte sur les conditions dans lesquelles des associations de lutte contre les discriminations peuvent mener des actions en justice en faveur d’une victime d’une discrimination (Décret n° 2008-799). Enfin un décret crée le label en matière de promotion de la diversité et de prévention des discriminations dans le cadre de la gestion des ressources humaines et la mise en place d’une commission de labellisation. Ce décret crée un « label diversité « qui sera décerné aux entreprises, services publics, collectivités territoriales et associations promouvant la diversité (Décret n° 2008-1344).

  • Enfin, la LFSS 2008 pour 2009 (Loi de Financement de la Sécurité Sociale) contraint également les branches à négocier un accord senior avant le 1er janvier 2010. Si aucun accord de branche n’est négocié ou si aucun plan d’action senior n’est prévu avant cette date, les entreprises de plus de 50 salariés subiront une pénalité financière : 1 % de la masse salariale.

La diversité est donc devenue une obligation juridique mais aussi pour toutes entreprises, « stratégiquement bien pensantes », une obligation économique. Comment se traduit-elle concrètement ?

Identifications des « bonnes pratiques » de gestion de la diversité

De ces grands principes stratégiques et juridiques découlent des principes de gestion de la diversité : « ils visent les changements d’attitudes et de comportements : promouvoir le respect et la tolérance et de sensibiliser aux différences possibles au regard du travail » (Bender, 2004).

C’est à la gestion des ressources humaines et donc au management que revient la charge de mettre en oeuvre ces principes. La diversité devient un levier de management pour prévenir, accroître la cohésion interne, attirer et fidéliser de nouveaux talents, développer la fierté d’appartenance et entretenir la motivation des salariés et donc leur performance.

Selon Igalens et Sahraoui (2010) « le management de la diversité a pour but que chaque employé maximise son potentiel et sa contribution à l’entreprise » en valorisant les différences individuelles. Pour Bender (2004) les politiques de gestion de la diversité se fondent sur l’intégration de tous dans le but de servir la culture d’entreprise la satisfaction du personnel et la réalisation d’objectifs.

La DRH insiste sur les principes de tolérance, d’égalité de traitement car ils apportent une meilleure cohésion sociale et favorisent la concertation interne (Joras et Souillard, 2010). Toujours, selon Bender (2004) toutes les politiques de gestion de la diversité sont guidées par deux grands principes : la satisfaction des différentes attentes de catégories de salariés et le principe d’inclusion (l’environnement de travail doit être adapté à tous les travailleurs).

En 2008, le label diversité a permis de formaliser le consensus existant sur la diversité et de formaliser un référentiel des bonnes pratiques. Ces pratiques ont été recensées par types de fonction Ressources Humaines[3] en les illustrant par des exemples d’entreprises qui ont toutes obtenues le label diversité. Les pratiques présentées sont celles relayées par les médias (ou autres leaders d’opinions). Ces données secondaires sont considérées comme emblématiques des bonnes pratiques de gestion de la diversité (Deloitte, 2010). Dans le cas d’une épistémologie interprétativiste, « Silverman (2000) souligne plusieurs fois que l’analyse de données est de manière décisive plus importante que la collecte de données elle-même, de telle sorte que, pour raccourcir ou faciliter cette phase, il encourage à travailler sur des données recueillies et traitées par d’autres chercheurs (analyse secondaire) ou trouvées dans la sphère publique (documents). » (Chabaud et Germain, 2006). Nous considérons de ce point de vue que les pratiques mises en valeur par le label diversité et la presse sont des données valides. Il ne s’agit pas de faire un inventaire à la Prévert des pratiques de GRH, d’autant plus qu’elles doivent être contingentes, mais de lister les « Best Practices » (meilleures pratiques), qui servent aujourd’hui de référence en matière de gestion dans l’objectif d’interroger les fondements qui sous-tendent ces choix de gestion des RH :

Le recrutement

Le changement le plus visible s’est opéré dans le processus de recrutement. Grâce à l’introduction de la gestion des compétences, les recruteurs développent leur vivier : aucune restriction n’est portée sur des critères de diversité. La fonction recrutement se focalise sur l’adéquation poste/compétence et non poste/personne.

Le service ressources humaines crée des descriptions de poste qui prennent à la fois en compte les compétences et l’expérience requises, écartant ainsi tous critères pouvant être discriminants. Mais plus largement grâce aux principes de diversité tout le processus de recrutement a été revisité en se basant sur les compétences de la personne. Par exemple la méthode développée par l’ANPE[4], le recrutement par simulation (1995) permet de mettre la bonne personne à la bonne place et d’ouvrir sur des profils qui jusqu’alors étaient écartés d’office. Dans ces méthodes, les critères d’évaluation éliminent les dimensions personnelles et donnent ainsi une deuxième chance à un public jusqu’à présent exclu de l’entreprise.

Enfin, les méthodes de recrutement de la diversité ont permis de faire prendre conscience aux entreprises que l’intégration était une étape à part entière du processus de recrutement, qu’elle pouvait être source de discrimination et même d’échec du recrutement. Les managers sont également impliqués dès la définition du poste jusqu’à la dernière étape du processus de recrutement, pour faciliter l’intégration de la nouvelle recrue.

Ainsi, certains groupes, comme Accor[5] ont adopté le CV anonyme. BNP Paribas[6] met en place des procédures de recrutement permettant d’apprécier « les personnalités plus que les cursus ». En association avec un cabinet spécialisé dans la promotion de la diversité, les jeunes de banlieue sont formés pendant trois jours à passer des entretiens de recrutement. Lors de cette session de formation (ante recrutement), la banque, le métier de conseiller en patrimoine et le rapport annuel de la banque sont également présentés. Le résultat sur 2009-2010 n’est que de deux embauches de femmes sur 200 CV, ce qui équivaut chez BNP Paribas aux 2 % de « diversité », recrutés chaque année par le processus de recrutement classique[7].

La GPEC

La loi de cohésion sociale (2005) a institutionnalisé les pratiques de gestion des compétences à l’intérieur de l’entreprise. Les décisions de mobilité et de gestion des carrières sont abordées dans la mesure du possible sous l’angle des compétences et non plus sur des critères subjectifs.

Cette vision compétence a permis à une réflexion sur les métiers d’émerger. Ainsi, le concept de compétence ouvre l’accès pour certaines populations à des métiers dont elles étaient écartées. Elle encourage également à dépasser le débat désuet de l’orientation prédéterminée. Cette démarche compétence oblige les entreprises à effectuer une étude systématique des postes de travail pour adapter si besoin est, le poste à la personne. Pour ce faire, une réflexion ergonomique s’est introduite dans les pratiques de gestion de ressources humaines. L’organisation du travail, les aménagements des postes et les adaptations des horaires deviennent des leviers de la GRH afin de concilier vie professionnelle et vie privée dans le respect de la diversité.

Auchan[8] constitue ainsi un vivier de directrices. L’enseigne a constaté qu’elle manquait de candidates à des postes de directeurs de magasins (5 femmes directrices de magasins sur 116) alors qu’ils intéressent 4 % des femmes. Ces salariées n’osent pas exprimer leur souhait en sus d’éprouver de la difficulté à concilier vie familiale et vie privée. Une première promotion a été constituée pour les aider à définir un projet professionnel et les faire réfléchir à ce que l’entreprise doit mettre en oeuvre afin de développer le nombre de femmes à la direction de l’entreprise. Dans cette même logique de gestion de la diversité, Thales[9] a instauré des entretiens individuels dans les deux mois qui suivent le retour de ses salariées de congé de maternité afin d’évaluer les besoins éventuels de formation de celles-ci et de pouvoir répondre à l’ activité avec de bonnes perspectives professionnelles et un réajustement salarial est proposé si le congé a eu un impact défavorable sur la rémunération.

La Gestion des carrières et l’Évaluation

Les outils de la gestion des carrières deviennent transparents pour retenir les talents. La fonction RH effectue un travail considérable en amont sur les critères d’avancement et les indicateurs de promotion, désormais décorélés de toutes références à des critères personnels. Les fiches de poste sont ainsi diffusées à tous dans un souci d‘égalité et d’accès équitable aux postes vacants. La fonction RH transmet également ces principes à l’ensemble du management afin que l’évaluation s’inscrive dans une logique d’appréciation de la performance transparente et efficiente.

Par exemple, le Club Méditerranée[10] a analysé les trajectoires de ses 26 000 salariés au regard de la discrimination. Les Gentils Employés (GE), portant un prénom discriminant sont surreprésentés à la plonge. Cette discrimination cesse au bout de 20 ans d’ancienneté. Les GE ne portant pas de prénom discriminant évoluent avec l’ancienneté dans les services techniques. Mais le sexe et le prénom jouent un rôle également. Les hommes GE portant un prénom discriminant accèdent en moindre proportion à un contrat permanent, même avec de l’ancienneté. Face à ce constat, les professionnels RH du Club Méditerranée vont donc être sensibilisés pour qu’ils suscitent des mobilisations de la part des managers et des personnes « discriminées » et les salariés seront formés en interne aux risques de discrimination.

La Formation

Que tous, sans discrimination, accèdent à la formation devient une des préoccupations principales de la fonction. Des indicateurs sont créés pour vérifier que toutes les « catégories de personnes » sont représentées dans la formation. Des actions correctives sont envisagées pour les publics discriminés. Pour certaines catégories de personnel, des formations spécifiques peuvent être créées (femmes manager, tutorat..). Parallèlement les cadres sont formés au management de la diversité. Les salariés sont responsabilisés dans le choix de leur formation pour assumer pleinement cette diversité (Joras et Souillard, 2010).

La formation à la non-discrimination permet également de renforcer une vision partagée. Ainsi, Senge (1991) identifie 5 strates qui permettent de passer d’une vision interindividuelle à une vision partagée dans l’entreprise apprenante : la construction d’une vision partagée, la recherche de la maîtrise personnelle, la remise en cause de schémas mentaux existants, l’utilisation de la pensée systémique et l’apprentissage en équipe. Selon Drummond Abdala et Chanlat (2010) la formation permet, au-delà de la construction de l’identité organisationnelle de renforcer la construction identitaire, de « discuter des différences entre les cultures et de mettre ainsi en place plus facilement des pratiques de transversalité des équipes ».

SFR[11] a mis en place un programme massif de formation à la non-discrimination et au management de la diversité en direction de ses 9 950 salariés.

La Rémunération

Dans cette même logique, afin d’éviter le turnover et pour maintenir la motivation des salariés et leur engagement dans l’entreprise, la mise en place de politiques de rémunération transparentes, liées avant tout à des critères objectifs, est essentielle.

La fonction RH s’efforce alors de neutraliser les effets de la diversité (maternité, heures de délégation..) sur les augmentations salariales et met à disposition des managers des outils d’analyse et d’aide à la décision efficients et personnalisables, pour les aider à prendre les bonnes décisions, améliorer ainsi leur politique salariale et le pilotage de leur masse salariale.

20 % des bonus des dirigeants de Starwood dépendent d’objectifs concernant la diversité (Point et Singh, 2005)

Le dialogue social

Les partenaires sociaux sont sensibilisés à la gestion de la diversité et voient dans cet enjeu la possibilité de raviver les autres politiques sociales en intégrant la diversité dans leurs thèmes de négociation. Ce qui se traduit dans des entreprises par la signature de nombreux accords notamment sur l’égalité entre les hommes et les femmes, sur l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, la charte de prévention des harcèlements. C’est ce que confirme le Directeur Diversité et Égalité des chances d’AREVA lors d’un colloque sur la Diversité[12] : à la question qui lui est posée : « Comment négocier des politiques égalité/discrimination/diversité avec les partenaires sociaux ? », il répond « C’est un sujet sur lequel on ne peut être que d’accord ! ». Ce qu’approuvent les partenaires sociaux (CGT et CFE-CGC) présents à cet échange.

Maintenance de la diversité

Les entreprises se dotent d’outils car il leur revient de prouver qu’elles n’ont pas discriminé, la loi de 2001 inversant la charge de la preuve. Ainsi, la création d’une cellule de gestion de la diversité permet de regrouper divers instruments :

  • Création de réseaux officiels de la diversité (femmes chez Michelin[13]). Ces réseaux permettent de nouer de fortes relations, de diffuser des valeurs, et de faire évoluer l’équilibre social (Thévenet, 1987). Un référent d’un réseau (formel ou informel) est souvent chargé d’impliquer toutes les parties prenantes.

  • Sensibilisation des parties prenantes (dont les dirigeants). Elles sont formées sur les stéréotypes, mais aussi sur la façon de fixer des objectifs non discriminants et de manager la diversité. Ainsi EDF a divulgué à ses managers et à ses RH un document interne de 35 pages pour donner des repères et les aider dans le traitement des questions religieuses (Angelini et Pignatel, 2010).

  • Évaluation des actions conduites par des indicateurs ou par les intéressés au travers d’un baromètre social, qui s’en trouve « recrédibilisé ». Le bilan diversité de l’Oréal a été diffusé aux 67 000 salariés du Groupe. Il permet de constater que la diversification des sources a progressé, que 418 jeunes de moins de 26 ans issus de zones difficiles ont été accueillis en stages, en apprentissage en CDD ou CDI, que 38 % des femmes sont dans le comité de direction, que les écarts de salaires se sont réduits depuis 2004. Ce bilan est aussi à destination du grand public et des interlocuteurs de l’Oréal (Igalens et Sahraoui, 2010).

  • Actions citoyennes. Par exemple, certaines entreprises vont dans les lycées montrer que certains métiers ne sont pas uniquement réservés aux femmes ! Ainsi le groupe Colas[14] a réalisé plusieurs films sur le handicap, l’insertion et la présence des femmes dans des métiers très masculinisés.

Avec la gestion de la diversité, l’entreprise se donne le plus de chance possible pour retenir les compétences et attirer les personnes, au-delà de toute catégorisation. C’est une véritable stratégie, fondée sur une rationalité économique éthique, qui permettra peut-être enfin de mettre en oeuvre une véritable gestion des ressources humaines. Mais pour que ces pratiques, soient mises en place, il faut qu’il y ait un triptyque gagnant : salariés, clients, dirigeants. La coopération et la performance, entre et pour ces trois acteurs doivent donc être interrogées. Les modèles fondamentaux de gestion, le lien de subordination, le dialogue social, la performance économique humaine, sont-ils à revisiter à la lumière de la diversité ? La partie suivante tentera d’identifier les opportunités de la diversité.

Les opportunités d’une diversité « à la française »

Par le principe de diversité, l’entreprise prend donc en compte l’évolution sociétale et s’inscrit dans le courant de l’histoire. Elle essaye de devenir exemplaire et remplit sa fonction d’institution. Mais l’entreprise a-t-elle les moyens et la volonté de saisir les opportunités offertes par la diversité ?

La liberté et la justice sociale, conditions de la diversité ?

La notion de diversité interroge, le vivre ensemble puisqu’elle questionne le rapport à la différence. Aristote[15] explique que « la plus grande des injustices est de traiter également des choses inégales et la nature propre de l’équité consiste à corriger la loi dans la mesure où celle-ci se montre insuffisante en raison de son caractère général ». Aristote réfléchissait à la « communauté[16] » comme cadre de vie naturel dans lequel chacun peut s’accomplir. Le contrat assure la cohésion de cette communauté : il désigne l’effort collectif (con) pour mener à bien une action (trahere). L’idée de contrat suppose celle de mutualité et de solidarité pour mener à bien les actions structurant la société.

Si l’on reprend ces raisonnements au niveau organisationnel, le salarié ne devrait pas se définir par ses caractéristiques d’appartenance sociale mais par le contrat qu’il passe avec les autres individus et l’organisation. Le questionnement du vivre ensemble, et donc de la coopération devrait pouvoir interroger le contrat de travail, la justice organisationnelle sous l’angle de l’égalité, et donc la liberté.

La diversité repose sur une vision de l’égalité de traitement et de l’égalité des chances : les différences ne doivent pas devenir un facteur d’exclusion, mais un atout pour être traité comme un égal.

Il semble donc impossible d’aborder la question de la diversité sans approfondir les fondements de l’entreprise et notamment le lien de subordination qui régit les rapports sociaux en entreprises. La diversité organisationnelle doit être envisagée en interrogeant le vivre ensemble et la justice dans l’entreprise. Les acteurs qui défendent la diversité doivent déterminer en premier lieu, le contrat social le plus adapté à la « restauration », de l’égalité entre les salariés.

D’autant plus que l’entreprise n’est pas une démocratie et le contrat qui la transcende n’est pas social mais économique. Il se traduit par un lien de subordination. Et ce contrat, par définition soumet la liberté de l’un au « bon vouloir » de l’autre. Qui osera ouvrir cette boîte de pandore pour répondre à l’injonction d’égalité dans l’altérité, essence de la diversité ?

De la Loi à la soft Low, une obligation de consensus social

En matière de diversité, pour l’entreprise, il s’agit d’abord de respecter et d’appliquer la Loi. Et ainsi, de se prémunir d’une perte de réputation. Face au flot législatif produit, nous pouvons alors nous interroger sur l’efficacité de ces textes.

La dynamique des relations entre l’État, les employeurs et les salariés (également citoyens) exerce une influence certaine sur le niveau de diversité en organisation. D’abord parce qu’elle pèse sur la définition ou la révision des règles et politiques institutionnelles. Ensuite parce qu’elle agit sur la légitimité accordée à ces règles par les différents acteurs. Or la performance d’une règle dépend de son acceptabilité par les acteurs et de son interprétation. Lorsque le consensus est fort, les règles sont parfaitement appliquées.

Au travers de la logique d’acteur, ce ne sont pas la qualité des mesures et leur efficacité qui sont évaluées, mais le degré de consensus qu’elles recèlent. Ainsi, l’entreprise peut être le lieu ou les acteurs construisent ce consensus, grâce à leur proximité.

La législation en faveur de la lutte contre les discriminations a mis en exergue la force juridique de la charte. La « soft Low » a pour but d’amorcer le dialogue social au niveau local et de créer un consensus organisationnel fort. Ainsi, le label diversité incite à un partage de diagnostic et à une concertation avec les partenaires sociaux. Parallèlement, en 2010, 149 accords ont été signés sur l’égalité professionnelle entre homme et femme, ce qui place ce thème en quatrième position du dialogue social en France (Ministere du Travail, 2011). Une opportunité s’ouvre : la protection du bien commun ne serait plus seulement une responsabilité de l’État mais de tous et donc également des organisations, lieux dans lesquels, elle s’élabore et se concrétise.

Gérer les différences individuelles et assurer l’équité collective

L’objectif d’un service RH d’une entreprise est de disposer à tout moment des ressources nécessaires aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif pour satisfaire ses objectifs de développement. Intégrer la diversité, c’est gérer la richesse d’une communauté humaine forte de l’inter générationnel de l’inter genres, de tous les styles de pensée... C’est disposer sur le marché de l’emploi de ressources correspondant aux besoins en compétences sans a priori subjectifs. C’est construire des équipes plurielles dont la différence enrichit les points de vue et les idées innovantes au profit de l’entreprise. Cet équilibre précieux est la garantie du pacte social. En effet, la diversité questionne en premier lieu : soi et l’autre. L’altérité doit donc être à la base du compromis social. « Dans l’existence, Platon l’a souligné, les réalités sont des mélanges, des mix de Même et d’Autre. C’est pourquoi elles peuvent être déterminées et appartenir, comme déterminations distinctes, complémentaires, à un même système dans lequel l’unité englobe la différence sans s’y perdre ». L’altérité est un témoignage de compréhension de la particularité de chacun, hors normalisation, individuelle ou collective. Le paradigme de la diversité, donnerait pour missions à la GRH, de réaliser l’alchimie entre le droit des individus d’être soi et différents, mais égal à l’autre.

En choisissant de gérer la diversité, l’organisation répond concrètement aux questions philosophiques millénaires telles que : la place du travail dans le développement de l’homme, le rapport entre l’individuel et le collectif, l’unicité, l’altérité et l’universel, la coopération malgré les différences individuelles, etc. Ainsi aujourd’hui, l’entreprise est ouverte a tous (jeunes, femmes, vieux, handicapés, noirs, etc..) et ce, à tous les niveaux hiérarchiques. Et pour n’importe quelle fonction. « Réussir avec tous[17] », insérer socialement et professionnellement tous les individus fonde un nouvel ordre du travail. La gestion de la diversité rend possible le dépassement du modèle constitutif de la République Française, de la recherche de l’égalité par l’abstraction de toutes les différences, en s’autorisant à valoriser les multiples facettes de nos identités.

Et pourtant ce nouveau modèle de gestion attendu tarde à venir. Les nouvelles pratiques ne constitueraient-elles qu’un vernis et un alibi pour les Services de Communication des Grands Groupes du CAC 40 ? La gestion de la diversité ne servirait-elle pas fondamentalement les transformations sociales promises ? Ne serait-elle qu’un nouvel opium sociétal ?

La diversité : l’opium des parties prenantes ?

Selon Vateville (2010) : « l’engagement en faveur de la diversité présente un fort contenu idéologique et coïncide avec le moment libéral vécu par notre pays entre 1983 et 2008. »

Michaels l’explique par le fait que : « La diversité, c’est ce qui remplace l’égalité dans les sociétés néolibérales. Et plus les inégalités se creusent, plus ces sociétés ont intérêt à promouvoir la diversité ».

La dimension idéologique de la diversité peut être décortiquée selon l’analyse marxiste :

  • La diversité est hallucinogène : elle propose l’entreprise comme un paradis artificiel. « Contrairement à l’approche par l’égalité, qui raisonnait en termes de régulations entre groupes, la diversité relève de la philosophie libérale, individualiste et méritocratique » (Bender, 2004). Derrière ce paradis artificiel, des changements de système apparaissent : l’individu est privilégié au détriment du groupe et la performance individuelle devient la pierre angulaire de l’organisation qui intègre la diversité.

    La Charte de la Diversité en entreprise, lancée fin 2004 par Claude Bébéar et Yazid Sabeg[18], est un texte d’engagement proposé à la signature de toute entreprise, qui définit la gestion de la diversité comme « Une approche centrée sur l’individu, de reconnaissance et de valorisation des différences individuelles, comme atouts pour la performance de l’entreprise ». La diversité est source de performance (Cox, 1993; Dass et Parker, 1999; Rosenzweig, 1998). Considérer que la performance est le moteur et l’objectif de la diversité, implique d’exclure ceux qui ne rentrent pas dans la norme de cette performance. Certaines personnes ne vont peut-être pas avoir les attributs de la diversité que recherchent les entreprises pour leur performance. Parallèlement certaines qualités vont être affectées à des types de populations au détriment d’autres catégories, dont les normes de performances organisationnelles seront moindres. Selon Laufer (2001), « les femmes et les hommes n’occupent pas généralement les mêmes emplois, les emplois à ‘majorité féminine’ sont globalement moins qualifiés, moins valorisés, moins rémunérés que les ‘emplois masculins’, plus souvent à temps partiel et n’offrant pas les mêmes carrières ».

    La diversité renforce la logique organisationnelle dominante et ne soutient que ceux qui contribuent à la performance économique de l’entreprise. La diversité est le nouveau paradigme de la performance maximale. L’entreprise valorise et reconnaît les performances individuelles d’individus divers à performance normée. D’ailleurs des différences de traitement sont acceptées par la Loi. L’ART 1133-1 du code du travail « ne fait pas obstacle aux différences de traitement lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ». Même les chartes, au nom de l’éthique de la diversité, mettent à distance les valeurs républicaines en faisant, de la performance, l’indicateur « objectif et universel » de ce qui est juste. Or pour que la diversité individuelle ou organisationnelle, émerge il serait souhaitable de ne pas juger, hiérarchiser et exclure selon l’unique norme de la performance.

    En outre, le postulat de performance et de créativité des équipes diverses est un postulat qui n’a jamais été démontré (Barth, 2007). Les leviers de l’instauration de la diversité en entreprise relèvent davantage d’une croyance. N’est-ce pas pour cette raison que la diversité est bien mieux intégrée dans le discours que dans les faits ? À partir d’un diagnostic des discours théoriques sur la performance des politiques de diversité, Robert-Demontrond et Joyeau (2010) apportent la réserve suivante : « Il parait actuellement compte tenu du trop faible nombre de recherches effectuées, peu raisonnables de vouloir identifier la part contributive de la diversité dans la performance économique des entreprises, quand on sait la complexité des facteurs qui concourent à cette performance. »

    La diversité n’est acceptée en entreprise qu’à travers le prisme de la performance. Ce prisme de la performance comporte un biais : « seule l’inégalité d’accès au marché est perçue comme une injustice, tandis que les inégalités produites par les marchés eux-mêmes, sont-elles considérées comme tout à fait acceptables, voire méritées » (Michaels, 2009). C’est la nouvelle approche, nommée « business Case » (Barth, 2007).

  • La diversité est dormitive : elle endort les consciences en les installant dans un système de valeurs décrétées.

    En dehors de la diversité point de salut. Ce dogme entrave toutes autres lectures de l’altérité. « Les politiques de management de la diversité impliquent également la création d’un respect mutuel et d’inclusion » (Point, Charles-Fontaine et Berthélémé, 2010). La diversité semble donc être à la fois les moyens et la finalité de toutes politiques ressources humaines des entreprises, ce qui permet de ne plus se questionner sur la légitimité de l’organisation et de ses modes de management.

    L’injonction de diversité en RH serait « révélatrice d’une conviction forte : celle selon laquelle la reconnaissance des valeurs de la diversité, non seulement serait devenue politiquement correcte, mais ferait désormais partie intégrante de ce que l’opinion publique estimerait non négociable au point d’y voir une condition nécessaire de légitimité et de réussite pour les organismes privés ou publics appelés à gérer des ressources humaines » (Renaut, 2009).

    Par exemple, un comité de réflexion a été créé pour savoir si le principe de diversité ne devait pas être introduit dans le préambule de la Constitution pour lui donner une valeur constitutionnelle. Ce groupe de réflexion a conclu que le cadre constitutionnel qui prohibe la reconnaissance et la valorisation des différences individuelles ou communautaires pour assurer l’égalité de droit permet de combattre les inégalités actuelles. Ce groupe de sages rappelle que la gestion de la diversité est un des paradigmes de réduction des inégalités, mais qu’il en existe d’autres.

  • La diversité est anémiante : elle produit des consensus, la lutte contre les discriminations a remplacé la lutte contre les inégalités. « Les discriminations sont toujours une pathologie de la distance sociale et de l’absence de mixité sociale » (Mutabizi et Pierre, 2010). La discrimination est devenue l’explication principale de toutes les inégalités et difficultés rencontrées par les individus.

    La diversité est un cache-misère des inégalités sociales. D’un point de vue historique, la notion de diversité a émergé avec la notion de minorité identifiée après la seconde guerre mondiale aux États-Unis. En France, le nouveau paradigme des différences est apparu dans les années quatre-vingt dans toutes les sphères sociales en remplaçant le paradigme des inégalités sociales et économiques. La notion de diversité a pu naître à travers l’aggravation des inégalités, l’augmentation des exclusions et l’émergence des nouvelles revendications identitaires et culturelles (femmes, gays et lesbiennes, black, beurs….) pour contrer ces inégalités.

    La diversité a l’avantage pour les entreprises de ne pas aborder la question de l’inégalité sociale. Le sujet permet donc d’éluder les rapports de pouvoir et les questions de régulation collective. Selon Vateville (2010) la diversité est un moyen de gérer l’inégalité. Ainsi dans la société, les décideurs déplacent le problème des classes sociales et le nient, pour le remplacer par celui de critères identitaires. Sur le plan économique, l’identité telle que définit par la diversité, conduit à repenser « les différences : matérielles qui existent entre les gens (« j’ai plus que toi, tu as moins que moi, tant pis pour toi ») comme des différences de culture (« J’ai la mienne, tu as la tienne et tout le monde est content »). Alors que le problème posé est l’inégalité, la solution proposée est l’identité…. Pendant ce temps l’idée d’une redistribution des richesses devient quasi impensable[19] »

    Si les déterminants des inégalités ne sont plus traités, en sus un phénomène de victimisation individuelle s’amorce. L’entreprise est déresponsabilisée des inégalités économiques produites alors que l’individu est sur-responsabilisé : la diversité performante est l’affaire de tous et particulièrement de soi-même. En s’inspirant de Dubet (2010), plus le cadre de la diversité est prégnant moins les salariés peuvent se consoler en attribuant leurs échecs à d’autres facteurs qu’à eux-mêmes : « pour que les vainqueurs ne doivent leurs succès qu’à eux-mêmes, il faut bien que les vaincus ne s’en prennent qu’a eux-mêmes ».

  • La diversité est hallucinante : elle confisque l’identité des comportements au travail et les soumet à l’arbitraire des dirigeants. Les tableaux de bords constituent la seule méthode permettant de rendre compte de l’efficacité des pratiques mises en place. Ceux-ci présentent un risque de réduire l’être humain à 18 critères et de nier la complexité de la diversité humaine. Même si Point et Singh (2005), recensent une trentaine de dimensions inhérentes à la notion même de diversité, définir l’individu selon un critère, et le faire rentrer dans une case figée, c’est contester le concept d’évolution de l’individu et celui de résilience. Au regard des autres, les critères de diversité enferment dans des rôles. C’est nier l’humanité, qui réside en chaque individu (Mutabazi et Pierre, 2010). Ces critères renforcent également les penchants taxinomistes mais réducteurs et aveuglants de la pensée humaine.

    La diversité devient la seule différence acceptée. Si les 18 critères sont devenus des facteurs identitaires de discussion sans tabou, ils renforcent les stéréotypes et ne permettent pas d’évoquer les faces obscures de la différence ou d’assumer les appartenances multiples des identités. Or, « partout se fait sentir la nécessité d’une réflexion sereine et globale sur la meilleure manière d’apprivoiser la bête identitaire » (Maalouf, 1998). Les pratiques de diversité organisationnelle éradiquent la complexité de la question identitaire. Elle renoue avec le concept « d’universalisme à la française » : les 18 critères de la diversité deviennent des critères identitaires.

    Enfin si la vocation première de la Charte était d’amorcer le dialogue social, elle a en fait renforcé le pouvoir discrétionnaire des dirigeants (Castel, 2007), avec le consentement des partenaires sociaux. Le législateur met en exergue les « soft Low », règles autoproduites dans les entreprises qui s’intègrent dans des lois qui n’ont pas de caractère obligatoire et contraignant (Bodet et Lamarche, 2007). Ces pratiques volontaires ne relèvent plus de l’intérêt commun, ni donc d’une logique protectrice et égalitaire. La charte ne contraint en rien les signataires à respecter leurs engagements. La lutte contre les discriminations dépend de la bonne volonté des dirigeants.

    Au-delà de la pertinence des mots marxistes, cette critique a l’intérêt de proposer un cadre d’analyse qui convient à la fois à l’échelle de l’individu, de l’entreprise, de la nation et du monde. La globalisation de l’économie, a structuré tant notre système de pensée que nos comportements, via les entreprises. Le concept de diversité a permis l’abandon de la lutte collective pour l’égalité et la justice sociale à travers le contrat social au profit de l’ « épanouissement » humain, via un contrat individuel.

    Pour conclure, le républicanisme à la française, dans sa constitution voulait faire abstraction des différences pour intégrer toute la variété des profils humains, individuels ou collectifs. Ce principe n’a pas évité les exclusions de celles ou ceux, qui ne correspondent pas à la « norme standard dominante ». Pour lutter contre la domination de l’homo-economicus (homme blanc, 25/40 ans, occidental…) prototype crée par l’entreprise taylorienne, des mesures correctives ont été mises en place, en se fondant sur le principe de diversité. Mais la diversité est une construction économique et sociale. « Le rapport à la différence est une construction qui s’applique dans un contexte particulier. Et les différences se ressentent par rapport à une référence sociale historique, culturelle, géographique économique » (Haas et Shiomada, 2010). La référence Française de la construction de la diversité s’appuie sur les concepts économiques néolibéraux. Aujourd’hui, les pratiques de gestion de la diversité « à la française » valorisent les différences individuelles tout en assurant à chacun une égalité de traitement sans prise en compte de leurs différences. Les pratiques de GRH, décrites dans la partie 2, valorisent la diversité de chacun tout en assurant l’égalité de tous et en neutralisant les effets de la diversité (congés maternité, parentaux, heures de délégation, etc..). Ce principe est aussi flou que paradoxal.

    Pour dépasser ce paradoxe, l’organisation a associé diversité et performance. Or, la performance est intrinsèquement liée aux normes, à la compétition et donc à l’exclusion. C’est parce que l’entreprise a exclu, que la diversité est devenue une nécessité. Mais cette nécessité d’ouverture à l’autre, via la diversité, s’enferme sous le joug de la norme de performance économique libérale. Sous couvert de diversité, l’entreprise n’exclut plus les mêmes.

    Les questions d’égalité de traitement, de sécurité de la vie au travail, de conditions d’adaptation du travail à l’homme, s’effacent au profit des préoccupations majeures de la diversité : l’implémentation de l’individualisme, la valorisation quantitative de caractéristiques qualitatives et la mise en concurrence des individus dans un collectif.

    Certes, l’entreprise affiche aujourd’hui, une certaine diversité. Mais le processus amorcé n’est-il pas voué à l’échec, tant que les acteurs ne se confronteront pas à la question préalable de l’égalité et de la justice sociale et que la diversité devra être comptabilisée, normée et évaluée à travers le prisme de la doctrine gestionnaire ? Il reste aujourd’hui à repenser les notions d’entreprise, de contrat social, de performance et de productivité avec diversité.