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« Quand on sait entendre, on parle toujours bien. »

Molière

Introduction

Le marketing est souvent considéré comme un levier de compétitivité et une source d’avantage concurrentiel (Walsh et Lipinski, 2009). Pourtant, de nombreuses TPE/PME[1] ont une démarche commerciale/marketing[2] très souvent limitée (Pacitto et Tordjman, 1998 ; Pacitto et Julien, 2006). Consciente de cette situation, la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) a réalisé, en 2009, un état des lieux sur plusieurs secteurs industriels. Celui-ci « a livré le constat de la nécessaire progression de l’intégration du marketing dans les petites et moyennes entreprises ». Dans ces circonstances, la DGCIS a lancé une action collective nationale destinée à développer la démarche marketing au sein des petites et moyennes entreprises françaises[3] (accompagnement personnalisé, ouverture d’un site Internet, opérations de sensibilisation).

Les raisons souvent évoquées par les responsables de TPE/PME pour expliquer cette présence insuffisante du marketing dans leur structure sont : le manque de connaissances marketing, de temps et de moyens financiers (Gilmore, Carson et Grant, 2001 ; Delobelle, 2008).

Cependant, les travaux de recherche, notamment sur le rapport entre la démarche marketing et les petites (ou très petites) structures, font transparaître l’idée selon laquelle l’hostilité des dirigeants ne se manifeste pas envers le marketing en lui-même, mais plutôt envers l’approche traditionnelle du marketing qui semble peu appropriée à leurs attentes (Carson, 1993 ; Pacitto et Julien 2006 ; Reijonen, 2010).

La nature informelle, parfois même chaotique, de la commercialisation effectuée en TPE peut radicalement différer des lignes directrices proposées en la matière dans les manuels universitaires. Pour autant, cela n’a pas empêché de nombreuses TPE et PE d’opérer avec succès sur les marchés (Fillis, 2002). En réalité, il convient de prendre en compte les nouvelles avancées du marketing (marketing relationnel, marketing communautaire, de réseau, marketing d’affaires, etc.), susceptible de nous fournir une meilleure compréhension de la façon dont le marketing est mis en pratique par les TPE et surtout en capacité de séduire davantage ces petites structures. Comme le soulignent Pacitto et Tordjman (1998, p. 14), « Pensé par la grande entreprise pour la grande entreprise, le marketing doit effectuer un recentrage salutaire qui lui permettra d’intéresser toutes les entreprises ».

Dans un tel contexte, les petites structures éprouvent une certaine réticence à l’égard des prescripteurs d’outils de gestion et, par voie de conséquence, envers les conseils externes en marketing (Cullière, 2004). En effet, ces derniers ont bien du mal à convaincre, sans doute parce qu’ils s’appuient souvent sur des outils « classiques », formalisés parfaitement applicables aux grandes entreprises (GE), mais sans doute beaucoup moins aux petites unités.

L’objectif principal de notre recherche est de voir comment intégrer dans le quotidien des TPE la démarche marketing. Dans cette optique, le présent article va justement tenter de présenter une méthode bien adaptée aux TPE, que nous choisissons de nommer la méthode du « parler courant client » (PCCL). La présentation de la méthode empirique du « parler courant client » est utilisée par les deux auteurs sur la base de leurs expériences au contact de nombreuses PME et TPE.

Après avoir précisé le champ de la démarche marketing en TPE et justifié l’émergence de nouveaux outils marketing (1), notre attention va se porter sur la présentation de la méthode du PCCL (2) et sur les retombées de cette dernière pour les entreprises ayant déjà bénéficié de cette « caisse à outils » PCCL (3).

1. Quelle prise en compte de la démarche marketing en TPE ?

D’une manière générale, les TPE reconnaissent l’importance du marketing, mais l’intègrent encore insuffisamment dans leurs stratégies globales. Le marketing dans les petites structures est trop souvent utilisé pour les besoins du moment et peu d’attention est accordée au plan marketing (Stokes, 2000 ; Delobelle, 2008).

La réalité s’avère beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. En effet, aux démarches rationnelles informationnelles (p. ex., les études quantitatives telles les enquêtes de satisfaction) peuvent se substituer des démarches plus informelles fondées davantage sur le relationnel (p. ex., la visite et le contact direct avec les clients). Une réflexion sur le développement de procédés et d’outils plus adaptés, plus novateurs et distincts de ceux utilisés dans la GE s’avère alors indispensable.

1.1. Un marketing traditionnel rejeté au profit d’un marketing relationnel ?

Acteurs majeurs de l’économie en France, les TPE représentent, selon les sources du ministère[4], environ 95 % des entreprises de l’Industrie, du Commerce et des Services (ICS), réalisent 27 % de la valeur ajoutée des entreprises de l’ICS et emploient 37,5 % des effectifs occupés. L’économie est donc en voie de « TPisation » (Marchesnay, 2008).

Cependant, malgré leur poids économique et leur nombre (plus de 2 millions sans compter les unités « non déclarées »), les études en sciences de gestion semblent davantage s’intéresser au domaine de la PME qu’à celui de la TPE (Marchesnay, 2003 ; Jaouen et Torrès, 2008 ; Cyr, Meier et Pacitto, 2009). En effet, force est de constater que si les travaux de recherche entrepris sur le marketing et les PME sont de plus en plus nombreux[5], ceux concernant directement le marketing et les TPE demeurent modérés (Romano et Ratnatunga, 1995 ; Marchini, 1997 ; Pacitto et Tordjman, 1998, 2000 ; Pacitto et Julien, 2006).

L’ensemble de ces études aussi bien en TPE qu’en PME montre que la démarche marketing n’est pas aussi influente dans les petites structures que dans les GE (Walsh et Lipinski, 2009). La démarche marketing oblige l’entreprise à bien connaître sa concurrence et ses clients. Or, pour ce qui concerne la TPE, la concurrence est très souvent ignorée et l’identification de la demande rarement mise en oeuvre. Les résultats de la recherche menée par Pacitto et Julien (2006) montrent, par exemple, que les responsables de TPE estiment bien connaître leur marché alors même que 80 % d’entre elles déclarent ne pas utiliser d’études de marché et n’en avoir pas besoin ! Ajoutons également qu’en 2005 une enquête menée par le ministère de l’Industrie indique que seulement 38 % des TPE menaient des actions marketing-communication.

Pourtant, instaurer une démarche marketing en TPE s’avère tout aussi important que pour une multinationale, même si les attentes et les contraintes en TPE dans ce domaine ne sont pas nécessairement identiques.

L’accessibilité des études de marché (manque de ressources, de savoir-faire dans le domaine) semble bien souvent difficile pour les dirigeants de petites entreprises (Mac Daniel et Parasunaran, 1985). De même, les outils de décisions liés au marketing stratégique apparaissent souvent coûteux, complexes, inadaptés et difficiles à mettre en oeuvre pour les TPE. Incontestablement, la taille de l’entreprise a un impact relativement important sur les pratiques marketing ainsi, pour la plupart des TPE, ce qui est primordial, c’est de créer un lien durable avec le client, une relation personnalisée. La préférence est clairement donnée aux clients actuels et non à une hypothétique clientèle à conquérir (Pacitto et Julien, 2006). Autrement dit, même si la démarche de la PME et plus encore celle de la TPE ne se situe pas dans une perspective marketing au sens strict, elle repose très souvent sur une relation particulière avec ses clients et son environnement, davantage fondée sur de l’informel (Pacitto, Julien et Meier, 2002 ; Pacitto et Julien, 2006). Les TPE, tout comme de nombreuses PME, s’appuient ainsi sur de nouvelles approches marketing et fonctionnent très souvent avec des moyens, des schémas, des pratiques qui leur sont propres, par exemple, un management de proximité (Torrès, 2003 ; Mallard, 2007 ; Jaouen et Torrès, 2008). Les TPE vont mettre en oeuvre ce que Gilmore, Carson et Grant (2001) nomment le networking en mobilisant des réseaux sociaux, des réseaux d’entreprises, des contacts personnels, etc. L’expérience permettant d’améliorer l’efficacité de ce marketing de réseau.

Au regard de l’importance accordée ici aux clients actuels, certaines stratégies de fidélisation client[6] (par exemple la GRC[7]) peuvent très certainement jouer un rôle intéressant dans la démarche commerciale/marketing des TPE/PME à condition notamment de ne jamais oublier que la relation client est un « combat » de tous les instants (Lehu, 2003 ; Waarden, 2004) et que la qualité de la relation est très certainement un élément déterminant de la performance d’une entreprise (Palmatier et al., 2007 ; Borle, Singh et Jain, 2008 ; Sueur, 2009). Cependant, si de nombreuses grandes structures issues de secteurs divers (bancaire, jouet ou encore agroalimentaire) semblent avoir un programme de fidélisation rigoureux et une « orientation client » précise (Lehu, 2005 ; N’Goala, 2007 ; Guichard, 2009 ; Bonin et Jean, 2010), les TPE/PME paraissent avoir plus de difficultés dans cette mise en oeuvre. Par exemple, d’après un livre blanc publié par le cabinet de conseil en marketing IDC (International Data Conseil) en 2006, 23 % des PME sont équipées de progiciels de GRC, 19 % y réfléchissent et 58 % en sont dépourvues. Ces résultats témoignent donc d’une utilisation encore bien modeste de cet outil…

Très récemment, Reijonen (2010) a mené une recherche dont les résultats peuvent être, à notre sens, facilement transposables et applicables aux TPE françaises. Il s’agit d’une étude empirique réalisée en Finlande auprès de petites et moyennes entreprises issues de secteurs différents (fabrication ; immobilier, location et services aux entreprises ; autres activités de services). L’auteur examine la façon dont les petites et moyennes structures perçoivent et mettent en place leur démarche de commercialisation. Cette démarche est ainsi liée aux éléments suivants, à savoir :

  • le marketing en tant que philosophie (besoins et orientation client) ;

  • le marketing en tant que stratégie de commercialisation (référence à la façon dont l’entreprise réagit à la concurrence et comment elle survit sur les marchés ; segmentation, ciblage et positionnement) ;

  • le marketing en tant que tactique/méthode (renvoi à l’utilisation du marketing-mix) ;

  • et enfin le marketing au sens « d’intelligence du marché » (référence à la production, diffusion et réactivité des informations sur le marché).

Ce dernier élément a été quasiment occulté par les répondants, ce qui tend à confirmer la nature informelle de la commercialisation au sein des petites et moyennes entreprises. En revanche, plusieurs répondants ont fait référence aux besoins des clients (marketing comme philosophie) lorsqu’ils ont défini le marketing. Cependant, l’étude constate que les entreprises interrogées n’ont pas forcément commencé par examiner les besoins existants, mais ont plutôt développé un produit/service et tenté ensuite de susciter de l’intérêt pour celui-ci. Pour la majorité d’entre elles, l’objectif principal du marketing est de développer des ventes. Dans cette perspective, la création et le maintien de relations avec la clientèle font partie des principales préoccupations de leurs dirigeants. Certains interviewés estiment qu’ils n’ont pas assez de connaissances en marketing et reconnaissent que pour réussir, ils doivent avoir une compréhension claire des principes de base et des techniques du marketing, par exemple la segmentation et la différenciation (marketing comme stratégie). Enfin, le présent travail d’investigation réalisé par Reijonen (2010) montre que parmi les 4P, les seules variables prédominantes sont la communication marketing et la promotion des ventes (marketing en tant que tactique/méthode). Les questions liées au produit, au prix et au lieu font partie des tâches de commercialisation les moins importantes.

Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant de remarquer que, malgré les besoins des PME et des TPE, le recours aux acteurs externes de conseils en mercatique reste faible ; ces derniers s’appuyant très (trop) souvent sur les outils « classiques » du marketing.

1.2. La nécessaire adaptation des méthodes et outils marketing aux attentes des TPE

Sur le terrain, les différents prescripteurs d’outils de gestion (cabinets-conseils, centres de recherche, associations de promotion des outils de gestion, institutions représentatives, etc.) se heurtent très souvent à la réticence des PME (Bayad, Gallais et Schmitt, 2006) et plus encore à celle des TPE (Cullière, 2004). Les raisons évoquées par les chercheurs (Julien et Marchesnay, 1998 ; Mazars, 2000 ; Cullière, 2004 ; Bayad, Gallais et Schmitt 2006, etc.) sont multiples. On peut citer :

  • la dimension patrimoniale qui positionne les TPE dans une logique de contrainte ;

  • une organisation centralisée qui limite fortement les ajustements ou changements nécessaires lorsque la structure s’agrandit ;

  • la crainte de confier ses projets (forcément liés à sa stratégie) à des personnes extérieures à la structure ;

  • le profil du dirigeant ;

  • la représentation que se fait le dirigeant de l’outil de gestion ou encore un rejet lié au prescripteur lui-même.

Ce dernier point évoqué nous paraît particulièrement intéressant au regard de notre article. En dehors des motifs pragmatiques (p. ex., le coût) et psychologiques (p. ex., le désir d’autonomie), il y aurait donc des causes plus perceptuelles liées à la crédibilité accordée aux intervenants externes (Cullière, 2004). Cela semble signifier au moins deux contraintes fortes pour les praticiens qui s’intéressent à la cible TPE :

  • un ajustement souhaitable des méthodes/outils marketing aux attentes de ces dernières ;

  • une nécessaire appropriation et imprégnation du langage utilisé dans les petites et moyennes entreprises (Bayad, Gallais et Schmitt, 2006). Le prescripteur, s’il veut être accepté et efficace, doit être en mesure de comprendre « les représentations plus ou moins codées de l’acteur organisationnel » (Mazars, 2000), en l’occurrence celles du dirigeant de TPE. Ce positionnement d’empathie pourrait alors susciter l’intérêt de l’entrepreneur et l’inciter à se diriger vers une « formation continue » (Falque, 2004).

Notons bien évidemment qu’il convient de relativiser l’ensemble des propos évoqués ci-dessus, car l’intégration du marketing et de ses techniques peut différer selon plusieurs paramètres et notamment la taille de l’entreprise (Pacitto et Julien, 2006).

En outre, si la perception et les pratiques marketing ont été comparées entre les GE et les PME, beaucoup moins d’attention a été donnée à l’examen des différences éventuelles au sein des PME (Reijonen, 2010) ou des TPE (Cyr, Meier et Pacitto, 2009). Or, les TPE tout comme les PME peuvent difficilement être considérées comme des groupes homogènes (Marchesnay, 2003). Pacitto et Tordjman (2000) constatent, par exemple, que les TPE innovantes sont souvent de taille plus importante que les TPE non innovantes et que leurs segments de clients sont souvent composés de ME et de GE (contrairement aux TPE non innovantes qui ont plutôt comme clients des TPE et des particuliers).

Les pratiques marketing peuvent donc varier selon la taille des unités, mais aussi selon le secteur d’activité et les clients considérés (Reijonen, 2010). En réalité, la taille de l’entreprise, mais aussi la typologie des TPE, les facteurs socioculturels, le profil du responsable d’entreprise, la culture d’entreprise, l’attitude du dirigeant, la localisation, le secteur d’activité sont autant de facteurs susceptibles d’exercer une influence sur la prise en compte de la démarche commerciale/marketing en TPE[8].

Sensibiliser les dirigeants des TPE au marketing s’avère donc une tâche complexe. Les prestataires extérieurs de conseils en mercatique se retrouvent face à une difficulté majeure consistant à proposer des méthodes et outils de gestion formalisés, « standardisés » à une population d’entreprises hétérogènes, aux attentes diverses et pas toujours identifiées.

Dans de telles circonstances, il devient donc souhaitable de proposer des prestations de conseils marketing plus personnalisées et adaptées aux besoins des TPE (Cullière, 2004). Notre article tente justement de répondre à ces attentes en se situant du côté de la principale source de préoccupation des TPE, à savoir la fidélisation de leur clientèle existante. L’approche PCCL peut être une des réponses possibles à cette attente prioritaire.

2. Présentation de la méthode empirique du « parler courant client »

Dans la construction de notre réflexion, il est indispensable de prendre en considération le fait que, dans l’environnement de certaines TPE, la démarche marketing traditionnelle reste encore vague et sous-utilisée. Le dispositif devra ainsi pouvoir être porté par des personnes qui n’ont pas forcément une disponibilité et une « culture » marketing très importante[9].

Forts de ce constat, mais bien évidemment sans vouloir inventer un nouveau marketing, nous avons éprouvé une méthode qui s’inspire des tendances actuelles du marketing (p. ex., le marketing relationnel ou encore le marketing d’affaires) et tentons de proposer un outil simple qui permet aux TPE de faire entrer les clients « à l’intérieur » de l’entreprise.

Au préalable, il convient de cibler le client (le segment) avec qui établir la démarche. Selon la taille du portefeuille, une segmentation commerciale devra être établie pour identifier les clients chez qui mettre en place le dispositif du « parler courant client » (PCCL).

Cette méthode PCCL est mise en place depuis 2004 par le consultant coauteur de cet article au sein de l’Institut français de gestion (IFG[10]).

Le PCCL repose sur un processus en quatre étapes avec d’abord deux préalables importants que sont la segmentation (un PCCL par segment) et l’empathie client. Afin de pouvoir illustrer notre approche, nous avons retenu trois TPE issues de domaines d’activité différents (cf. tableau 3 et annexe I).

2.1. Présentation synthétique des quatre étapes clés de la méthode

Cette méthode PCCL va se mettre en oeuvre de la façon suivante (tableau 1) :

  1. Dans un premier temps, il faut partir du client ou du segment visé. Il s’agit d’une démarche structurée de conduite d’entretiens (étape 1) pour l’écoute du client. Il est fréquent d’observer qu’en raison de leur manque de temps les TPE n’organisent pas cette étape comme elles le devraient. Écouter le client, ce n’est pas uniquement le laisser parler, c’est s’efforcer de comprendre ses attentes, son écosystème (contraintes, craintes, espoirs, menaces) pour comprendre ses choix. Dans la tempête économique actuelle, offrir de la valeur au client (et donc, lui donner satisfaction) est une donnée plus que jamais d’actualité (Dussart, 2010), notamment pour atteindre un développement durable.

  2. Dans un deuxième temps (étape 2), il convient de procéder à une exploitation des résultats des entretiens menés auprès des clients afin d’identifier la nature des écarts entre les attentes exprimées (souvent non perçues, étape 1) et les réponses actuelles apportées par la TPE (étape 2).

  3. La troisième étape a pour objectif de proposer des pistes d’ajustement susceptibles d’apporter une réponse adaptée au besoin exprimé.

  4. Enfin, l’étape 4 cherche à répondre à l’interrogation suivante : comment viser l’efficience avec une gestion pertinente des ressources ? En effet, le chef d’entreprise d’une TPE, compte tenu de ses choix stratégiques (segment prioritaire) pour atteindre ses objectifs, devra procéder à une allocation intelligente des ressources financières dont il dispose.

Tableau 1

Les quatre étapes de la méthode PCCL – Une offre ajustée

Les quatre étapes de la méthode PCCL – Une offre ajustée

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2.2. « Déroulé » de la méthode à travers l’illustration de TPE

Une illustration de la méthode peut être exposée ici à travers le cas de la TPE Baromatic. Le dirigeant de cette entreprise agroalimentaire (tableau 2) a récemment suivi la formation PCCL à titre individuel, ce qui est intéressant, car, dans ce cas, le travail d’accompagnement est forcément plus riche que lors d’une formation administrée simultanément à plusieurs entreprises[11] (6 à 10 généralement, car fonctionnement par pôle de région).

Tableau 2

Fiche signalétique de l’entreprise Baromatic en région Corse

Fiche signalétique de l’entreprise Baromatic en région Corse

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Très orientée sur le métier de la distribution automatique (DA) et peu finalement sur les attentes clients, l’entreprise cherchait justement un outil comme l’approche PCCL susceptible de faire entrer le client « à l’intérieur » de l’entreprise, grâce notamment à une bonne sensibilisation des équipes à cette méthode.

Il convient de signaler que, dans le but de ne pas alourdir le propos, seul le segment compagnie maritime sera exposé[12] (tableau 3). La mise en place de la méthode du PCCL a été réalisée par le directeur général de la structure Baromatic et supervisée par l’un des auteurs de l’article.

Concernant le mode de collecte, des entretiens exploratoires semi-directifs auprès des décideurs des compagnies maritimes ont été privilégiés. Ce type d’approche qualitative part du principe que le comportement de l’individu est influencé par plusieurs facteurs dont il n’a pas forcément conscience (Thiétart, 2007 ; Evrard, Pras et Roux, 2009). Les conditions requises pour entreprendre cette démarche sont les mêmes que dans le cadre d’entretiens non directifs, les voici :

  • L’attention « positive inconditionnelle » ou comment accorder de l’attention à tout ce que dit et exprime l’interviewé (Evrard, Pras et Roux, 2009) ;

  • L’attitude empathique, autrement dit la capacité à percevoir et à comprendre le cadre de référence (système de valeurs, motivations, aspirations) de l’interviewé.

Ces caractéristiques vont ainsi développer la prise en compte de l’affectif, du subjectif et de l’implicite, autant de déterminants de comportements utiles pour une meilleure compréhension du « parler courant client ». Ces entrevues semi-dirigées, d’une durée variant de 40 à 70 minutes, ont été enregistrées à l’aide d’un dictaphone. La grille d’entretien utilisée sous forme thématique était composée d’une série de questions ouvertes, construites selon le principe défini par Rubin et Rubin (1995). Les questionnements ont porté sur l’offre des produits et services, le niveau de perception du service apporté, la qualité du suivi, etc. Ces interrogations seront d’ailleurs précisées ci-dessous.

L’analyse des données qualitatives récoltées lors des diverses rencontres avec les directeurs de compagnies clients de la TPE s’est faite manuellement à partir de la retranscription des enregistrements (verbatim). Le tableau 3 synthétise l’ensemble des résultats obtenus à partir de la présente étude qualitative.

Deux autres illustrations de la méthode sont exposées à l’annexe I.

Tableau 3

Illustration de la méthode PCCL chez Baromatic – Segment des navires (compagnies de navigation)

Illustration de la méthode PCCL chez Baromatic – Segment des navires (compagnies de navigation)

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Lors de la formation, les quatres étapes de la méthode PCCL ont été abordées selon le processus présenté ci-dessous.

Étape 1 (illustration dans le tableau 3 et l’annexe I)

Les attentes du client ne se limitent pas au seul produit. Le client a appris à apprécier la valeur des services liés au produit comme sa rapidité d’obtention, la capacité à obtenir du « sur mesure ». L’entrevue préparée doit porter sur l’ensemble des points clés de la prestation (autrement dit les 4 P du marketing opérationnel). Nous n’oublierons pas d’interroger le client sur ses attentes en matière de produits et services (notion de gamme, de qualité, de packaging) mais aussi sur celles concernant :

  • La politique tarifaire, la facture, les conditions et le mode de règlement ;

  • La politique de distribution, le respect des délais et du mode de livraison, la mise à disposition, ses attentes relatives au point de vente autour de l’accueil, la disponibilité du personnel, le choix offert, la dimension-conseil, le canal Internet… ;

  • Les compétences commerciales (capacité à sécuriser, rapidité des réponses, ouverture d’esprit, clarté des courriers, aptitude à conseiller), l’organisation commerciale, la relation client et les relations avec les prescripteurs ;

  • La politique de promotion, communication : Que lisent-ils ? Quelles sont les promotions qui les attirent le plus ? À quoi est-il sensible concernant la communication ? Se sent-il suffisamment reconnu, considéré par l’entreprise ? Les avantages développés dans nos argumentaires ont-ils de la valeur à leurs yeux ?

Le client pourra s’exprimer de façon générale durant cet entretien sur ses attentes réelles (et non supposées). Nous insistons bien dans le cadre de la formation au PCCL sur la nécessité à faire émerger les attentes selon les niveaux de priorités, notamment à travers des techniques de reformulation. Outre le volet 1 de l’étape du PCCL (collecte de données), nous observerons que dans le cadre d’un entretien bien préparé, le client appréciera l’implication de l’entreprise à saisir ses attentes et cette étape aura des répercussions positives sur la qualité de la relation clientèle (« cette entreprise s’intéresse vraiment à moi »).

Étape 2 (cf. tableau 3 et annexe I)

Cette deuxième étape demande un minimum d’objectivité et d’analyse. Il est important de jauger l’écart, mais aussi de le rendre concret. Autrement dit, de déterminer sur les attentes « prioritaires exprimées », la qualité actuelle de la réponse apportée par la TPE. Bien évidemment, durant les entretiens, le client aura laissé échapper quelques informations sur son ressenti autour du service rendu (est-il satisfait ou pas de la réponse apportée ?). Dans la mesure du possible, le formateur conseille au porteur de projet PCCL de demander à l’interviewé (donc le client) d’illustrer l’écart à travers un exemple concret ou une action concurrente pour « tracer » la route qu’il faudrait parcourir. Ainsi, dans le cadre de la TPE Baromatic, le client identifie comme axe progrès un élargissement de la gamme actuelle (vers des produits insulaires), il sera alors intéressant de l’interroger sur les assortiments proposés par les autres fournisseurs suscitant son attention (type de produits, caractéristiques, largeur ou longueur de gamme, etc.).

Étape 3 (cf. tableau 3 et annexe I)

Forte du contenu acquis dans les deux premières étapes, la personne responsable du « parler client » est en mesure à présent d’identifier les orientations éventuelles à mettre en place. Lors de la formation PCCL, pour être efficaces, nous lui conseillons de réunir son équipe (production, administrative, commerciale) pour faire remonter la voix du client, trouver des pistes d’ajustements possibles et réfléchir ensemble aux meilleures solutions et à leurs conséquences (contraintes sur la structure, analyse du produit concurrent et de son avantage compétitif, etc.).

Étape 4 (cf. tableau 3 et annexe I)

Cette dernière étape financière et « calendaire » devra permettre au chef d’entreprise de vérifier s’il a bien les moyens de financer ce plan d’action. Il pourra le cas échéant, selon les niveaux de priorités, décaler un projet sur l’exercice suivant ou chercher à « prioriser » un segment une année, au détriment d’un autre. Il pourra s’interroger également sur le retour sur investissement, compte tenu du budget (étape 4) et des objectifs du segment concerné.

La méthode PCCL semble pouvoir s’appliquer à différents secteurs (cf. tableau 3 et annexe I) et représente un outil de management relativement facile à mettre en oeuvre. Elle amène l’entreprise à réfléchir sur les trois volets du marketing (le marketing étude, le marketing stratégique et le marketing opérationnel) et consiste surtout à suivre au plus près ses clients.

Au-delà de l’illustration du PCCL et de l’intérêt déclaré pour la méthode par les dirigeants de ces trois TPE (cf. tableau 3 et annexe I), il convient à présent de s’interroger sur les apports concrets pour les TPE qui ont suivi cette formation. Dans cette optique, la troisième partie va s’intéresser aux entreprises ayant pu mettre en place cette approche au coeur de leur fonctionnement.

3. Premières retombées de la méthode PCCL

L’objectif de la présente étude exploratoire est de tenter d’estimer les premières retombées de la méthode et surtout de mieux apprécier sa mise en application. Dans cette perspective, nous nous efforcerons de répondre à certaines interrogations, dont celles-ci :

  • Le PCCL a-t-il donné satisfaction aux TPE qui ont suivi la formation ?

  • Est-il perçu comme une approche simple d’utilisation que les chefs d’entreprise peuvent s’approprier rapidement ?

  • Le PCCL est-il davantage au service du développement que de la fidélisation ?

  • Permet-il d’impliquer davantage les collaborateurs dans un processus d’écoute client ?

3.1. Méthodologie

La formation PCCL a été majoritairement suivie par les TPE (tableau 4), ce qui tend à confirmer l’intérêt pour la démarche mercatique et l’attrait qu’exercent sur ces petites structures les outils marketing moins « classiques ».

Tableau 4

Descriptif des TPE/PME ayant suivi la formation PCCL depuis 2007

Descriptif des TPE/PME ayant suivi la formation PCCL depuis 2007

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À ce jour, 45 TPE et PME ont suivi la formation PCCL ; cependant, dans le cadre de notre étude exploratoire, sur ces 45 entreprises dénombrées :

  • seules les TPE (moins de 19 salariés) ont été retenues pour la collecte de l’information ; les GE et les PME n’ont donc pas été interrogées, la priorité étant donnée ici à l’appréciation de la satisfaction des TPE envers la méthode PCCL ;

  • seules les TPE qui ont suivi la formation PCCL il y a plus d’une année ont été contactées afin d’avoir un recul suffisant eu égard à la méthode et surtout pour laisser un délai raisonnable au dirigeant lors de sa mise en application du PCCL.

Par conséquent, la population véritablement concernée par l’étude se compose de 25 TPE se répartissant géographiquement de la manière suivante :

  • 9 en régions centres (Rhône-Alpes, Ain…) – Année de formation 2007 ;

  • 7 en régions sud-est (Marseille, Aix…) – Année de formation 2008 ;

  • 9 en régions Bretagne (Nantes, Rennes, Lorient…) – Année de formation 2009 (de janvier à juin).

L’architecture du questionnaire est présentée dans le tableau 5. Des questions fermées (types ordinaux ou nominaux), semi-ouvertes et ouvertes ont été utilisées pour la construction de celui-ci.

Le recueil de l’information s’est réalisé par le biais de l’envoi par courriel d’un questionnaire aux TPE de notre échantillon. Plusieurs raisons justifient le choix de ce mode d’administration :

  • la dispersion géographique des TPE à interroger ;

  • la connaissance de leurs adresses électroniques (demandées lors de la formation) ;

  • la volonté de laisser un temps de réponse suffisant à nos interviewés ;

  • le souhait de ne pas trop interférer dans leur emploi du temps.

Notons que préalablement à l’envoi du questionnaire, des prises de contact téléphonique auprès des TPE concernées par l’enquête ont eu lieu afin de présenter les objectifs de l’étude et de solliciter leur coopération. Sur les 25 TPE contactées, 22 ont répondu au questionnaire[13], soit 88 % de la population cible[14].

Tableau 5

L’architecture du questionnaire envoyé par courriel

L’architecture du questionnaire envoyé par courriel

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3.2. Présentation des principaux résultats

Les TPE interrogées ici relèvent de secteurs et de domaines d’activité divers : BTP, bureautique, bureau d’études, chimie, commerce de gros, formation linguistique B To B, fournitures industrielles, négoce de bois, nutrition animale, vente de solutions de dématérialisations auprès des PME, courtage d’assurances, cosmétiques, etc.

Concernant la démarche marketing, nous retrouvons ici les résultats observés par les travaux de recherche mentionnés précédemment, à savoir que :

  • le marketing représente une activité importante dans l’entreprise (17 sondés sur 22 dans le cadre de notre travail empirique) ;

  • les responsables d’entreprise déclarent dans l’ensemble plutôt bien connaître la concurrence et la clientèle alors même que les études de marché demeurent faibles. Ainsi, concernant la présente étude, 15 répondants sur 22 estiment bien connaître la concurrence et 18 interviewés sur 22 pensent plutôt bien connaître (voire très bien connaître) leurs clients, mais seulement 2 questionnés réalisent souvent des études de marché…

Les attentes en matière de démarche marketing sont respectivement tournées vers la fidélisation de la clientèle, vers la conquête de nouveaux clients par une meilleure connaissance de leurs besoins puis, dans une moindre mesure, vers l’identification de nouveaux marchés (5 répondants sur 22).

De nombreux avantages perçus

Les TPE interrogées se déclarent plutôt satisfaites de la méthode PCCL. La facilité d’application de la méthode PCCL et la fidélisation client représentent les deux principaux atouts de la méthode PCCL. Ainsi, la grande majorité des répondants (19 sur 22) considèrent que la méthode PCCL est apparue simple d’application et 18 interviewés sur les 22 interrogés sont plutôt d’accord ou tout à fait d’accord avec le fait que le PCCL permet de mieux fidéliser les clients. « Pour moi qui suis dans l’informatique, l’approche PCCL, c’est un peu comme si on avait misen place un CRM, un projet de dispositif type fidélisation à notre échelle » (Nicolas Terrier, directeur de projet de la TPE chez Lané Hexapage, vente des solutions de dématérialisations auprès des PME).

Dix-sept responsables de TPE (environ 77 %) estiment également que le PCCL implique davantage les collaborateurs dans l’écoute du client (« un salarié écouté est un salarié reconnu »). Cette approche peut alors permettre de libérer des gisements d’informations par l’ensemble des salariés qui, par le biais de leurs fonctions ou de leurs postes, sont susceptibles d’éclairer le chef d’entreprise grâce à leurs contacts privilégiés avec la clientèle (un chauffeur, une standardiste, etc.). C’est donc tout le personnel qui doit se mettre progressivement à parler couramment client. « L’approche nous a permis de libérer les énergies, de formaliser, structurer les choses, que nous savions, mais que nous faisions de façon désordonnée » (Nicolas Terrier, directeur de projet chez Lané Hexapage).

Le PCCL permet non seulement de comprendre les besoins de son client, mais aussi ses aspirations, « son système de valeurs ».

Il convient également de noter que 16 répondants sur 22 pensent que le PCCL peut être un atout vis-à-vis de la concurrence, au sens où il permet une meilleure connaissance des segments clients susceptible de représenter un élément de différenciation appréciable. Cependant, concrètement, les utilisateurs de la méthode PCCL n’ont pas observé une réelle amélioration de la connaissance du champ concurrentiel grâce à ce procédé.

Des mises en application encourageantes

À ce jour, 82 % (c’est-à-dire 18 TPE sur les 22 interrogées) ont tenté de mettre en application la méthode PCCL dans leur structure et 56 % (10 d’entre elles) ont obtenu des résultats probants grâce au PCCL. Les huit autres sont soit en attente de retour des retombées, soit elles sont confrontées à des retards dans la mise en place du PCCL (souvent liés au manque de temps et de moyens humains).

Notons que si l’on part du principe de ne retenir que les entreprises ayant suivi la formation depuis plus d’un an, l’utilisation de la méthode PCCL et les résultats tangibles sont beaucoup plus importants (respectivement 91 % et 70 %).

La grande majorité des TPE interrogées déclarent que cette méthode a permis d’être très centrée sur le client. Il s’agit ici de partir du client visé et non d’imposer l’offre de l’entreprise comme l’attestent les déclarations suivantes.

Nous pensons trop à la place de nos clients et grâce au PCCL, j’ai développé l’empathie et les questions ouvertes chez mes commerciaux […] et les mentalités évoluent […] Nous avons ainsi développé la maison ossature bois en appliquant la méthode dans le cadre de ce projet : que souhaite mon client ? Quelles sont ses attentes ?.

directrice générale dans le secteur de la construction écologique, Rhône-Alpes

« Lors de notre projet pilot Kids Inc [15], la formation PCCL nous a permis de façonner la solution bottom up (du bas vers le haut) en écoutant les clients et ainsi ne pas imposer notre idée préconçue de la solution idéale », indique John Cullen PDG et fondateur du réseau « Cullen Language Services » spécialisé dans le coaching linguistique (anglais) pour les cadres et dirigeants d’entreprises et qui a monté récemment une offre destinée aux enfants (« Ateliers d’anglais ») en s’appuyant sur le concept du PCCL.

Les responsables de TPE interrogés ont mis en application la méthode PCCL au sein de leur structure parce qu’elle est facile d’application (72 %) et qu’elle répond à leurs attentes (61 %), notamment en termes de praticité, d’accessibilité, de fidélisation client et de formalisation. « Nous cherchions à écrire des processus, nous ne structurions rien ou pas grand-chose… ce n’est plus le cas aujourd’hui » (Marc Place, gérant de la société Elan, vente de machines et consommables dans l’univers de l’impression auprès des professions libérales).

Les freins sont, quant à eux, principalement reliés au manque de moyens humains (44 %) puis, dans une moindre mesure, au manque de moyens financiers (17 %) et au manque de temps (11 %). En outre, la méthode prend souvent plus de temps que prévu (culture client à intégrer, entretiens, etc.) et oblige alors à faire des choix de segments clients.

Le suivi de la méthode PCCL dans le temps se fait à travers la mise en oeuvre d’enquêtes ou de compte rendu par courriel. Ce suivi est indispensable, car il permet l’intégration progressive au sein de la structure d’une culture client et de l’instauration d’une relation de confiance. Il sera plus ou moins régulier en fonction de l’importance accordée au segment client ou au client lui-même.

On applique la méthode cible par cible (segmentation autour des critères CA, rentabilité), on mesure la qualité de la relation clientèle avec une enquête annuelle. Nous n’avons pas assez de recul, mais le baromètre semble plus au vert chez les clients OR (segment le plus important) chez qui on a prioritairement mis en place l’approche PCCL (environ 70 clients) que chez les autres (ARGENT ou BRONZE).

Marc Place, gérant de la société Elan

3.3. Le PCCL : une méthode plutôt bien adaptée aux TPE

Dans notre activité de conseil au quotidien, nous observons très souvent dans les GE une séparation entre le marketing stratégique (sous l’autorité de la direction générale), le marketing opérationnel (direction marketing) et la stratégie commerciale (politique de comptes clés sous la direction des ventes). Le constat, en revanche, est bien différent dans les petites structures où les projets vertueux sont portés par une seule personne chargée d’animer le tout (segmentation, animation promotionnelle, gestion de portefeuille), ce qui explique la quête d’outils simples d’utilisation et convergents.

Notre étude a démontré que la méthode du PCCL peut s’inscrire comme une réponse pertinente eu égard aux attentes des TPE concernant le marketing.

Essayons à présent d’en lister les principaux atouts et de voir comment l’approche répond aux contraintes évoquées précédemment (ressources limitées, disponibilité temps, argent, accessibilité, praticité, etc.).

  • Des coûts accessibles : une fois la formation PCCL effectuée, les coûts directs de cette approche sont relativement bas puisqu’elle évite le recours à l’achat de données (qualitatives, quantitatives). Les coûts seront essentiellement consacrés alors pour rencontrer les clients ou les réunir dans des conditions agréables (frais de restaurant par exemple), ce premier critère est donc respecté.

  • Transférabilité : même si le chef d’entreprise doit jouer un rôle moteur dans la mise en pratique de la méthode PCCL, les savoir-faire et savoir-être de l’approche sont facilement transférables par expérience, et ce, quel que soit la situation ou le cycle de vie de l’entreprise (démarrage, maturité, etc.). Le chef d’entreprise pourra donc s’approprier plutôt aisément le PCCL (dans un délai variable selon les dirigeants) et le transférer ensuite à l’ensemble de ses équipes. Cet élément est d’ailleurs évoqué par les TPE interrogées au sein de notre étude exploratoire. « Avec la formation PCCL, on assiste à une motivation des équipes, des nouvelles opportunités voient le jour, nous formons actuellement au PCCL un technicien qui viendra étoffer l’équipe » (Marc Place, gérant de la société Elan).

  • Le PCCL conduit à une certaine transversalité au sens où il intègre l’ensemble du personnel de l’entreprise qui se sent ainsi impliqué dans la dynamique de projet de l’entreprise. « À titre anecdotique, nous avons découvert avant de mettre en place le parler courant client, que nous avions installé une machine non conforme sur un parc depuis plus de deux ans alors même que les techniciens visitaient ce parc tous les jours ou presque ! L’instauration du PCCL a permis d’écarter définitivement ce type de dysfonctionnement » (Marc Place, gérant de la société Elan).

  • Si, comme nous venons de le voir, le PCCL s’adapte plutôt bien aux contraintes exprimées par les TPE, il semble aussi répondre favorablement aux attentes exprimées et mentionnées dans notre revue de la littérature sur le sujet (fidélisation, proximité clientèle, nouvelles approches du marketing, etc.).

  • Cette méthode permet de « prioriser » la fidélisation de ses clients avant le développement des prospects (cf. résultats de l’enquête). En effet, selon Paccitto et Julien (2006), c’est plus sur une assistance à l’accompagnement de la clientèle existante qu’à la conquête de nouveaux clients que les TPE expriment des besoins. Là aussi, le PCCL apporte une réponse adaptée à ce besoin exprimé puisque cet effort concerté auprès de clients « à fidéliser » permet d’améliorer la connaissance du marché, des offres effectuées auprès de la clientèle existante d’abord puis, sans doute dans un deuxième temps, d’aider les TPE à bâtir des offres plus consistantes pour les prospects.

  • Le parler client est aussi une bonne illustration de ce que Gilmore et al. (2001) appellent le « networking », outil clé du marketing des TPE. En effet, le PCCL est en mesure d’aider les TPE à développer le networking client et ainsi améliorer la connaissance des personnes influentes chez le client partenaire (notamment dans le cas d’un client important type GE). Ainsi, pour avoir des réponses aux questions clés sur la distribution ou le suivi commercial, les TPE peuvent être amenées à rencontrer d’autres personnes que l’interlocuteur habituel. L’expérience montre que ce type de rencontre est vital pour assurer la pérennité du compte client.

  • La méthode PCCL est également susceptible de répondre à certaines caractéristiques de la démarche marketing dans les petites et moyennes structures exprimées par Reijonen (2010). Grâce à son orientation client (« Marketing as a philosophy »), le PCCL nous amène à réfléchir à partir des besoins du client (colonne 1). De même, la notion de segmentation s’avère être un préalable fondamental dans la méthode PCCL (« Marketing as a strategy »/« Marketing as tactics »). Enfin, au travers de sa progression, le PCCL présuppose dans un premier temps de collecter les données (colonne 1).

Les divers points évoqués ci-dessus montrent bien la richesse qu’une TPE pourra tirer d’une utilisation régulière de la méthode PCCL. Celle-ci apporte des bénéfices tant en externe (développement commercial, fidélisation) qu’en interne (mobiliser ses équipes sur le parler client, collecter et analyser des informations). Évidemment, comme toute méthode, la mise en oeuvre du PCCL reste subordonnée à la volonté du dirigeant et de son équipe de s’imprégner de sa philosophie et de sa rigueur (p. ex. collecte des données).

Conclusion et implications

Le présent article met l’accent sur la présentation et les premières retombées de la méthode PCCL. Celle-ci trouve sa justification à partir d’un double constat nécessairement corrélé :

  • la démarche marketing traditionnelle au sein des TPE s’avère limitée et conduit certains chercheurs à préconiser le recours aux nouvelles approches marketing telles que le marketing relationnel, le marketing d’affaires ;

  • les outils de gestion (à fortiori de marketing) ne répondent pas vraiment aux attentes actuelles des TPE. Le recours aux prestations de conseil et de formation n’est pas naturel, le chef d’entreprise ne se reconnaissant pas toujours dans les offres types « catalogues » (plutôt destinées aux cadres de GE).

Partant de ces constats, nous avons porté notre réflexion sur la mise en place d’un marketing « intégré » dans la TPE que nous avons appelé le PCCL. La présente méthode ne prétend pas généraliser ses enseignements à l’ensemble des TPE, mais elle contribue à faire réfléchir leurs dirigeants sur la nature du pilotage de leurs relations clientèles et de la construction des offres qui leur sont destinées.

Notre papier de recherche montre que l’approche PCCL est plutôt bien adaptée aux TPE pour l’accessibilité, la praticité et la proximité client, ainsi qu’aux observations faites par les chercheurs sur les pratiques et caractéristiques du marketing en TPE mentionnées dans notre revue de la littérature.

Les apports liés à la mise en oeuvre de la méthode PCCL se situent à plusieurs niveaux :

  • À l’instar des recherches menées en marketing relationnel et en GRC, la présente méthode permet de montrer et de mieux comprendre l’importance du client dans l’entreprise (et ce, quelle que soit la taille de la structure). Elle donne l’occasion, à travers l’exercice autour du questionnement, de mieux « faire entrer le client » dans les préoccupations quotidiennes de l’entreprise.

  • Elle conduit le manager de la TPE et son équipe à réfléchir en amont sur les besoins opérationnels des clients et à remonter, s’il y a écart, à la chaîne de causalité et non l’inverse (ce qui est très souvent le cas de certaines TPE, notamment dans l’industrie).

  • Elle semble renforcer la relation clientèle en lui conférant une dimension personnelle et affective plus forte. Au gré des entretiens se tissent des accointances entre des personnes dans un processus de compréhension et d’interactions mutuelles. Le client peut d’ailleurs apparaître comme une source d’inspiration.

  • La méthode amène le responsable de la TPE à clarifier et à entraîner collectivement ses équipes à mieux organiser le changement orienté vers une relation client de haute qualité, notamment dans la construction de l’étape 3. Le PCCL permet de sensibiliser l’ensemble du personnel de la TPE à la relation clientèle, y compris les employés qui ne sont pas en contact direct avec le client final. Il semble, en effet, acquis que la partie pour un manager de TPE en 2012 ne se gagnera pas uniquement sur le terrain des savoir-faire techniques, mais surtout (et de plus en plus) sur des postures et des attitudes de ses équipes envers les clients qui feront son efficacité de demain.

  • La méthode PCCL consiste à rédiger, formaliser, structurer un processus d’échange entre le client et le contact commercial de la société, contact qui, dans l’immense majorité des cas, s’effectue de façon très informelle et désordonnée. En d’autres termes, le PCCL consiste à « scénariser » la relation client, à en écrire le scénario détaillé.

  • Enfin, la démarche présente un caractère transversal qui nécessite un solide travail de communication et de pédagogie d’abord, puis de formation afin de cultiver cette méthode et de la faire vivre au quotidien.

Comme toute recherche, cette étude n’est pas dénuée de limites. Ainsi, sur le plan méthodologique, le présent travail empirique mériterait d’être enrichi par une étude extensive portant sur d’autres observations d’entreprises, y compris les PME. Une autre limite de l’article tient au caractère récent de la formation PCCL. À ce jour, elle a été suivie par moins d’une centaine d’entreprises dont 35 entre 2010 et 2011, ce qui occasionne forcément un manque de recul dans la mise en application concrète de la méthode et une visibilité réduite en termes de suivi de mise en oeuvre du PCCL. La troisième limite porte sur le volet des concurrents. Le PCCL ne semble pas apporter une réelle connaissance de la concurrence (sans doute parce que cette dernière s’appuie sur le déclaratif client). Enfin, le PCCL est très orienté client, ce qui peut avoir des effets pervers, car cela risque d’entraîner une certaine inattention envers les prospects et peut constituer un obstacle à l’innovation, à un marketing plus entrepreneurial (Marion, 2006).

Les prolongements peuvent prendre trois orientations. Tout d’abord, à moyen terme, une nouvelle étude empirique sur les retombées du PCCL (incluant bien sûr les nouvelles TPE ayant bénéficié de la formation) doit être entreprise afin de conforter et d’affiner l’ensemble des premiers résultats obtenus. Par exemple, il serait intéressant de voir si les déclarations des dirigeants à propos de la connaissance de leurs concurrents se confirment (voire se précisent) et, pourquoi pas, également d’envisager une comparaison avec le champ des PME. Ensuite, le second prolongement possible du présent article peut être de procéder à une réflexion par secteur ou par filière (agroalimentaire, BTP, etc.) et/ou par type de clients (B to B ou B to C). En effet, le manque de recul actuel par rapport à la mise en place de ce dispositif au sein des TPE milite pour des recherches futures de nature dynamique et sectorielle (exemple : le PCCL est-il plus pertinent au sein des entreprises de services ou, au contraire, dans les TPE de fabrication de produits ?). Ces réflexions nous conduiront alors à examiner les adaptations éventuelles, voire nécessaires, de l’outil proposé. Enfin, parallèlement à l’optimisation de l’approche PCCL, il paraît judicieux d’examiner les modalités d’une diffusion efficace de cette méthode au sein du territoire et des filières.