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Ce petit livre de conviction sur les enjeux de la transition écologique de l’économie et le rôle que les coopératives et l’économie solidaire peuvent y tenir est une « synthèse accessible », comme le précise la ligne éditoriale de la collection. Si le contexte québécois tient dans cet ouvrage un rôle non négligeable, son point de départ est une série de rencontres internationales, dont les Rencontres du Mont-Blanc (RMB) de la fin 2011 ont été le pivot. C’est donc comme suite et prolongement des réflexions développées alors, mais aussi en vue de la conférence Rio+20 que les auteurs ont composé ce livre. A ces égards, celui-ci est assez circonstanciel : c’est un ouvrage d’intervention, politique dans le sens des propositions concernant l’organisation du monde.

L’ESS aux points de basculement du monde

Il est composé de sept chapitres. Le premier brosse un portrait du « basculement du monde » opéré depuis trois décennies et dans lequel est apparue « l’urgence écologique ». Les coopératives et plus largement l’économie solidaire (ou l’économie sociale et solidaire, la terminologie employée par les auteurs fluctue) doivent intégrer les leçons de ce basculement et proposer des « alternatives viables, crédibles et durables » à l’économie capitaliste de marché, la piste privilégiée ici étant « un secteur non capitaliste d’entreprises sous contrôle démocratique » (p. 9). Ces alternatives doivent être marquées par la démocratie, l’autonomie et le pluralisme (p. 11) et saisir les questions sociales dans toutes leurs dimensions, et particulièrement celle écologique (p. 18). La thèse centrale du livre est ainsi que, pour les questions environnementales principales autour desquelles tournent l’énergie, l’agriculture, la foresterie, les services collectifs, la solidarité nord-sud et la diversification et la territorialisation de l’économie, « le mouvement coopératif, et l’ESS en général, est bien positionné pour agir » (p. 18).

Le deuxième chapitre précise la crise écologique, qui constitue la pire menace pesant aujourd’hui sur le modèle capitaliste. Elle est triple : climatique, énergétique et alimentaire. Leur croisement nous promet « un saut qualitatif vers le pire » (p. 25), et c’est ainsi que « l’urgence écologique [est] en passe de devenir une question plus décisive, celle qui est en voie d’en structurer bien d’autres » (p. 26). C’est la raison pour laquelle une transition écologique de l’économie est nécessaire. Le troisième chapitre présente l’économie sociale et solidaire comme une force de cette transition, articulant dynamiques d’économie populaire au sud et d’économie sociale et solidaire au nord, avec un accent particulier sur le monde coopératif. L’utopie mobilisatrice est ainsi posée : « Il n’est pas interdit de penser à l’émergence au xxie siècle d’une nouvelle utopie, une sorte de New Deal écologique, d’une entente générale entre les Etats, cette fois-ci à l’échelle mondiale, visant un développement durable » (p. 63). Le chapitre s’achève avec la plateforme que les RMB ont adoptée pour s’adresser directement aux pouvoirs publics nationaux et aux institutions internationales. Les trois chapitres suivants approfondissent les points de cette plateforme en déclinant trois thématiques environnementales à partir de la même grille : les questions énergétiques et climatiques (chapitre quatre), les questions agricoles et forestières (chapitre cinq) et le rapport des Etats aux territoires et aux communautés (chapitre six) sont abordés d’abord en en présentant l’enjeu, ensuite en montrant des expériences et des projets et, enfin, en élaborant des « propositions générales pour renouveler les politiques publiques ». Le chapitre sept clôt le livre en analysant en quoi le mouvement coopératif en particulier et l’économie sociale et solidaire en général « font mouvement ».

Comprendre les échecs

C’est un livre utile, intéressant et revigorant. Je me permettrai ici quelques remarques et critiques, dont certaines sont liées à l’exercice qui semble imposé par le format de la collection. Le propos est très militant, combattif, normatif et résolument optimiste. Dans le cadre réduit qui est le sien, cela conduit à quelques approximations et raccourcis qui affaiblissent la portée du propos normatif (d’autres faiblesses de forme et de formulation ainsi que de jolies coquilles pourraient être notées, concernant Hannah Arendt par exemple). L’ouverture de la focale par de nombreux exemples se fait au prix de l’absence d’analyse en profondeur de chacun. L’optimisme revendiqué fait que les exemples pris sont toujours positifs, un trait commun, mais gênant d’une littérature militante qui ne s’encombre pas des échecs. Admettons, pourtant, que dans le temps de la génération qui vient la sauce coopérative et d’économie solidaire souhaitée par les auteurs ne prend pas. Les survivants dotés d’un minimum de réflexivité se posent la question des raisons de l’échec. Comprendre dès aujourd’hui les conditions de l’échec via certains cas concrets peut être une façon de l’éviter. Il est vrai que le lecteur est vite convaincu des contributions positives des coopératives et de l’économie solidaire à la soutenabilité. Cela n’implique pas pour autant un mouvement de « transition ». Le problème central et condition d’une transition est celui de l’échelle : à la fois le changement de taille (comment passer « d’expériences exemplaires », mais à ce titre spécifiques, à une diffusion générale qui fasse basculer les dynamiques économiques globales, sans nécessairement faire grossir la taille de chacune des initiatives) et le changement de rapport au territoire (comment passer d’initiatives territoriales au niveau local à la mise en oeuvre de politiques plus globales, à l’échelle de la nation ou d’un ensemble d’Etats). L’une des forces du livre est ainsi de montrer une certaine convergence entre organisations internationales d’économie sociale et solidaire (comme le forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire, Fidess, ou l’Alliance coopérative internationale, ACI) et des organisations internationales comme le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation internationale du travail ; c’est aussi de chercher à convaincre le monde politique.

Lever des ambiguïtés

Il reste cependant à lever des ambiguïtés quant aux modèles à promouvoir, que le livre lui-même ne soulève pas forcément. Par exemple, alors que l’objectif souhaitable en matière agricole et alimentaire semble être de développer une « production alimentaire locale destinée aux villes plutôt qu’à l’exportation », les exemples proposés renvoient notamment à une agriculture respectueuse de l’environnement et des populations, mais destinée à l’export (p. 92, 97), ce qui est le cas typique d’une grande partie du commerce équitable. Les deux directions sont-elles compatibles ? La première tend à raccourcir les circuits et à soustraire les paysans de la nécessité de l’export et de ce qui va avec – la monoculture exportatrice. La seconde renforce potentiellement la dépendance à l’égard du commerce international et des monocultures. Que faut-il alors privilégier ?

« On sent un énorme virage », écrivent les auteurs en page 138, évoquant la montée spectaculaire du monde coopératif et de l’économie solidaire dans l’espace public. On aimerait les suivre et penser que ce virage mettra sur la voie de la transition vers une société soutenable, mais il y a un je-ne-sais-quoi de doute qui subsiste.