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Les réseaux sociaux offrent aujourd’hui un champ de recherche particulièrement riche pour les différentes disciplines de la gestion. Il faut dire que la logique du réseau[1] s’est imposée d’elle-même depuis les premières remises en cause au début des années 80, du modèle d’organisation hiérarchique jusqu’alors dominant dans les entreprises (Thorelli, 1986). Au niveau individuel également, l’importance prise par les réseaux sociaux dans les relations professionnelles (ex. : Facebook, Viadeo, LinkedIn, Xing…) n’est plus à démontrer (Davern, 1999).

S’intéresser aux phénomènes de réseaux nécessite, pour le chercheur, de préciser le niveau d’analyse auquel il entend se situer (Chauvet, Chollet, 2010). Nous souhaitons, pour notre part, étudier leur impact sur les organisations. Plus précisément, il s’agit de voir dans quelle mesure la participation à un réseau collectif a un effet positif sur l’innovation, variable-clé de la performance de l’entreprise. Nous repartons pour cela du concept de capital social introduit par les sociologues et désormais largement utilisé en sciences de gestion.

La mise en évidence du capital social induit par la participation à un réseau n’est pas nouvelle (Bourdieu, 1985). Son rôle dans le processus de création de valeur est également bien connu : les réseaux favorisent le transfert de connaissances entre firmes, ils interviennent dans le processus d’apprentissage et dans la détection de nouvelles opportunités commerciales (Nahapiet, Ghoshal, 1998; Tsai, 2000; Meeus, Oerlemans, Hage, 2004).

L’innovation produit est l’un des effets majeurs de la participation à un réseau chez les participants (Tsai, Ghoshal, 1998; Molina-Morales, Martinez-Fernandez, 2010). Dans le contexte de notre recherche, nous souhaitons étudier le rôle d’un réseau sur l’innovation sociale désormais considérée comme un enjeu majeur pour la société (Mulgan et al., 2007) et a fortiori pour les entreprises qui doivent désormais apporter leur contribution au Développement Durable. Notre modèle de recherche adopte la perspective du capital social puisqu’il inclut les trois dimensions de ce capital (structurelle, relationnelle et cognitive), qu’il prend en compte l’implication des réseaux, et cherche à vérifier leur rôle en matière d’échanges, de partages d’expériences source d’innovation sociale chez les participants.

Nous avons choisi de focaliser notre attention sur une population particulière d’entreprises, celles qui composent l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) en France. Vienney (1994) les définit comme des « organisations dont la particularité est d’être la combinaison d’une association de personnes et d’une entreprise, ayant pour caractéristique discriminante l’adhésion à un principe de non-domination du capital et consistant à donner la primauté à la gestion de service sur la gestion de rapport, au service rendu sur le profit dégagé, à l’activité sur la rentabilité, aux droits de la personne sur les droits de la propriété ». Compte tenu de leurs spécificités, ces structures souffrent d’un handicap majeur par rapport aux entreprises « classiques » : la règle de non-lucrativité accompagnant les singularités fiscales qui leurs sont octroyées, entraîne, chez elles, un déficit de fonds propres. Les partenariats constituent donc un mode de développement privilégié, la croissance externe ou interne leur étant difficilement accessible. D’autre part, ces entités ont, probablement plus que les autres, besoin de différencier leur offre[2]. Dès lors, le rôle des réseaux apparaît essentiel, non seulement parce que ceux-ci permettent d’initier des partenariats entre acteurs de l’ESS, mais aussi parce qu’ils sont susceptibles de favoriser l’innovation sociale chez les participants. Cette recherche vise donc deux objectifs : tout d’abord, vérifier les incidences positives de la participation d’une entreprise à un réseau, notamment en matière d’innovation sociale; ensuite, étudier le rôle des réseaux dans le phénomène d’émulation entre les acteurs de l’ESS.

Cet article est structuré de la façon suivante : nous apporterons tout d’abord des éléments concernant le soubassement théorique de cette recherche; puis nous préciserons la méthodologie adoptée avant de décrire les résultats et leurs implications sur le plan théorique et pratique. Nous utiliserons pour cela les données collectées auprès de 115 entreprises de l’ESS afin d’analyser les relations entre les différents aspects du capital social, l’implication des réseaux du Tiers secteur[3] et l’innovation sociale dans les entreprises concernées.

Théorie et hypothèses

Nous nous attacherons tout d’abord à préciser le cadre conceptuel de cette étude, puis nous exposerons notre problématique et les hypothèses formulées dans le cadre de notre recherche.

Cadre conceptuel

Nous aborderons successivement les concepts d’innovation sociale, de capital social, puis nous analyserons le rôle des réseaux en matière d’innovation sociale.

Innovation sociale

Pour les économistes, le concept d’innovation est souvent entendu au sens technologique du terme et associé aux travaux de Schumpeter dans les années 20. Cette dimension technologique de l’innovation est également centrale dans les problématiques des gestionnaires. Il n’y a là rien d’étonnant dans la mesure où la technologie est une fonction essentielle de la vie de l’entreprise, une variable stratégique dont on admet qu’elle a un rôle majeur sur l’activité et le marché (phénomènes d’obsolescence et apparition de nouveaux produits, procédés, matériaux, ainsi que de nouveaux concurrents), les variables de segmentation stratégique et de positionnement concurrentiel et la validité de l’effet d’expérience (Aït-El-Hadj, 1989). Cette importance explique d’ailleurs la forte focalisation des travaux de recherche sur cet aspect particulier de l’innovation (Henderson, Clark, 1990). Néanmoins, la tendance depuis une quinzaine d’années est d’explorer d’autres formes d’innovation (ex. : les innovations de process, de service ou encore les innovations stratégiques) et de voir dans quelle mesure celles-ci contribuent à la réussite de l’entreprise sur le long terme (Birkinshaw, Hamel, Mol, 2008).

De nombreuses typologies ont été proposées pour dissocier les différentes formes d’innovation[4]. L’une d’entre elles identifie deux catégories d’innovations (Dandurand, 2005; Witkamp, Raven, Royakkers, 2006) :

  • Les innovations technologiques qui couvrent les produits et procédés technologiquement nouveaux ainsi que les améliorations importantes qui y ont été apportées.

    OCDE, 1997
  • Les innovations sociales qui concernent toute nouvelle approche, pratique, ou intervention, ou encore, tout nouveau produit/service mis au point pour améliorer une situation ou résoudre un problème social.

    Tardif, 2005; Dandurand, 2005; Mulgan et al., 2007; Hess, Warren, 2008

C’est cette deuxième catégorie d’innovation qui nous intéresse ici. L’innovation sociale (qu’il convient ici de dissocier de l’innovation organisationnelle[5]) prend une place croissante dans les problématiques de management, notamment parce que certaines parties prenantes sont sensibles au comportement social/sociétal des entreprises (ex. : ceux que l’on qualifie de consom’acteurs). A ce titre, Kesselring et Leitner (2008, p. 28) soulignent que « les innovations sociales sont des éléments du changement qui peuvent créer de nouveaux faits sociaux, c’est-à-dire impactant le comportement d’individus ou de certains groupes sociaux dans un sens et vers des objets reconnus et pour lesquels le souci économique n’est pas prioritaire ».

Bien que la définition de l’innovation sociale fasse désormais l’objet d’un certain consensus, force est de constater que son objet reste difficile à cerner. Ceci tient en partie à l’aspect moins tangible de son produit (i.e., de sa substance) et de ses extrants (Dandurand, 2005). A partir d’une analyse approfondie des différentes approches relevées dans la littérature, Moulaert et al. (2005, p. 1976) mettent en évidence les trois dimensions de l’innovation sociale :

  • matérielle : « satisfaction de besoins humains qui n’ont pas encore été satisfaits soit parce qu’ils ne sont pas encore, soit parce qu’ils ne sont plus considérés comme importants par le marché ou l’Etat (…) ».

  • processuelle : « chances dans les relations sociales, spécialement au regard de la gouvernance, qui rend possible la satisfaction des besoins décrits précédemment, mais qui augmente aussi le niveau de participation de tous, et spécialement des groupes sociaux défavorisés »,

  • empowerment (i.e. le fait de donner du pouvoir) : « accroissant la capacité sociopolitique et l’accès aux ressources nécessaires pour renforcer le droit à la satisfaction des besoins humains et la participation ».

Réseau et capital social

Le capital social constitue un concept-clé dans la théorie des réseaux sociaux. Selon Tsai (2000, p. 927), « c’est un concept puissant pour comprendre l’émergence, la croissance et le fonctionnement de liens de réseau ». Le capital social est défini par Bourdieu (1985) comme « l’ensemble des ressources actuelles et potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance ou d’interreconnaissance ». Pour l’auteur, ce capital est décomposable en deux éléments distincts : d’une part, les relations sociales qui permettent aux individus d’avoir accès aux ressources possédées par leurs associés; d’autre part, l’étendue et la qualité de ces ressources. Dans l’optique de Bourdieu, le capital social est réductible à sa dimension économique. Ainsi, au travers du capital social, les acteurs peuvent avoir accès aux ressources économiques (ex. : prêts subventionnés, conseils en investissement, marchés protégés); ils peuvent accroître leur capital culturel au travers des contacts avec des experts (embodied cultural capital) ou encore par le biais de l’affiliation à des organismes de référence et faisant autorité dans leurs domaines (institutionalized cultural capital).

Pour sa part, Coleman (1988) insiste sur le caractère intangible de cet actif. Alors que le capital économique est matérialisé par un montant sur un compte en banque et le capital humain par des capacités intellectuelles présentes dans le cerveau des individus, le capital social est inhérent à la structure de leurs relations. La vision de Coleman tranche sensiblement avec l’approche instrumentale de Bourdieu : selon lui, le capital social est, avant tout, producteur de normes (Marsden, 2005). Les risques d’opportunisme de la part des acteurs d’un réseau s’en trouvent donc limités (Portes, 1998).

Nahapiet et Ghoshal (1998) identifient les trois dimensions du capital social : structurelle, relationnelle et cognitive. La dimension structurelle fait référence aux schémas de connexions entre acteurs. La structure du réseau concerne les liens directs et indirects entre ses différents membres. La position d’un acteur au sein du réseau est importante puisqu’elle est susceptible de lui conférer un accès privilégié à l’information. Cette idée renvoie à la notion de trou structural conceptualisée par Burt (1992).

La dimension relationnelle concerne la nature des connexions interpersonnelles, i.e. ce qui, au fond les caractérise. Elle trouve son expression dans l’intensité des liens entre acteurs (Granovetter, 1985). Comme le soulignent Carolis (de) et Saparito (2006), les liens forts sont typiquement associés à une grande confiance entre les acteurs; ils facilitent les flux d’informations précises et le transfert de connaissances tacites. Dans la construction d’un réseau, la confiance revêt évidemment une importance capitale puisqu’elle conditionne la pérennité des relations en limitant le risque d’opportunisme des acteurs.

La dimension cognitive s’intéresse aux représentations, interprétations et systèmes de croyances partagées (Nahapiet, Ghoshal, 1998) qui permettent aux acteurs du réseau de donner du sens à l’information et de la classifier en catégories perceptuelles (Augoustinos, Walker, 1995). Cette dernière dimension éclaire sur les éléments favorisant une même vision au sein du réseau, celui-ci devenant, non seulement un cadre de référence pour les acteurs, mais également un cadre d’interprétation de ce qui s’y déroule (Coleman, 1988).

Réseaux, capital social et innovation sociale

Le rôle des facteurs internes dans les processus d’innovation a été mis en évidence par de nombreux chercheurs (voir, par exemple, Birkinshaw et al., 2008). L’idée que certaines entreprises pourraient intrinsèquement être innovantes et d’autres, non, laisse à penser que la source de l’innovation serait principalement d’origine interne (ex. : nombre de chercheurs présents dans l’entreprise, montant des investissements en RD…). Pourtant, l’influence de facteurs externes est également déterminante (ex. : impact de la coopération entre firmes et des partenariats initiés avec des instituts de recherche, rôle des agents extérieurs de changement, Alänge et al., 1998). Pour notre recherche, nous privilégions cette deuxième catégorie de facteurs et souhaitons étudier l’influence des réseaux sur l’innovation.

La mise en évidence d’un lien entre capital social et création de valeur, grâce à l’innovation technologique, n’est pas récente. Dans leur recherche consacrée aux réseaux intra-firmes, Tsai et Ghoshal (1998) montrent comment les différentes dimensions du capital social influencent la combinaison et l’échange de ressources entre les participants qui ont, à leur tour, une incidence sur la création de valeur par le biais du développement de nouveaux produits. Plus récemment, Molina-Morales et al. (2010) étudient l’effet des réseaux sociaux sur les innovations produit et process des membres de ces réseaux. Leurs résultats suggèrent une relation positive entre (1) l’affiliation à un district, l’implication dans des institutions locales, le capital social et (2) l’innovation.

Les travaux concernant le rôle des réseaux dans l’innovation sociale restent, en revanche, marginaux. Pourtant, le terme d’innovation sociale renvoie à l’idée de processus collectif de la part d’acteurs désireux d’inventer de nouvelles façons de faire. Pour Howaldt et Schwarz (2010), « la dimension processuelle des innovations sociales concerne la « construction sociale de nouvelles réalités », la création et la structuration d’institutions, autant que le changement comportemental et la capacité des acteurs à se mettre en ordre de marche dans un collectif spécifique pour avoir les compétences cognitives, relationnelles et organisationnelles requises » (p. 29). Pour les auteurs, l’utilisation du marché et des mécanismes incitatifs sont, dans le cas présent, inopérants. La genèse de innovations sociales et leur diffusion s’opère tout d’abord au travers des « expériences de vie » et de la capacité des acteurs à conduire le changement (Moulaert et al., 2005).

Par définition, l’innovation sociale ne peut être acceptée isolément (i.e. par un acteur social agissant seul). L’invention sociale n’est transformée en innovation que si la pratique est socialement acceptée (Howaldt, Schwarz, 2010). L’assentiment collectif conduit à sa diffusion, à son institutionnalisation et, au final, à la disparition de son caractère novateur. Tant vis-à-vis des publics-cibles que des acteurs qui contribuent à leur diffusion (i.e. les « initiateurs » et « offreurs »), les innovations sociales participent d’une démarche collective.

L’appui d’un réseau en matière d’innovation sociale s’avère essentiel puisqu’il est un des supports du processus d’institutionnalisation (Howaldt, Schwarz, 2010). Mulgan et al. (2007) exposent les différents modèles de diffusion de l’innovation sociale. Selon eux, celle-ci peut se faire par diffusion incontrôlée, par le biais d’une organisation parente ou d’une entité reconnue mais qui n’en serait pas l’initiatrice, et enfin par le biais d’une croissance organisationnelle. A chaque fois les auteurs mettent en exergue l’importance du réseau dans sa diffusion : celui-ci serait moins un lieu de création d’innovations sociales qu’un support de diffusion/d’adoption d’innovations créées par ailleurs (Peredo, Chrisman, 2006).

Comme l’indique le terme « Tiers secteur », l’ESS se veut être un secteur à part en France : ni totalement privé (i.e. motivé par l’idée de profit), ni étatique, celui-ci se donne pour ambition d’offrir une réponse à des demandes sociales que, ni les entreprises capitalistes, ni l’Etat, ne sont en mesure d’assouvir. L’innovation sociale constitue donc, la véritable raison d’être de l’ESS. Dans cette perspective, les réseaux jouent un rôle capital, non seulement en tant que stimulateurs d’idées, mais également de diffuseurs de nouvelles pratiques mises au point de façon individuelle ou collective par les organisations participantes. Comme le relevent Nicolaou et Birley (2003, p. 1702), « dans l’innovation sociale, les réseaux jouent un rôle de catalyseurs pour les acteurs ».

Ailenei et al. (2007) soulignent l’importance de l’institutionnalisation pour certaines organisations de l’ESS, notamment celles du milieu associatif qui sont pour la plupart dépendantes des subsides de l’Etat : ces structures, pourvoyeuses d’actions socialement innovantes, doivent sortir de leur périmètre par le biais de nouveaux partenariats pour exister. A défaut, « elles prennent (…) le risque de dépérir faute de financement et d’une visibilité suffisante auprès des décideurs politiques et économiques-clés » (p. 32). Finalement, il y a là tous les éléments d’une relation symbiotique entre les entités de l’ESS et les structures collectives chargées de les soutenir : les réseaux ont besoin des entreprises qui, elles-mêmes ont besoin des réseaux pour exister dans un contexte de concurrence accrue.

Problématique et hypothèses de recherche

Le rôle du capital social dans la capacité de l’entreprise à créer de la valeur grâce à la mise au point de nouveaux produits ou l’évolution des process, a maintes fois été exploré (cf. supra). Ce que nous souhaitons examiner, ici, concerne son impact sur l’innovation sociale. Nous postulons ici que le capital social induit par l’appartenance aux réseaux de l’ESS, a un effet positif sur ce type d’innovation. L’argument qui permet de soutenir cette hypothèse est double. Il y a tout d’abord l’argument de Moran et Ghoshal (1996) selon lequel le capital social facilite l’échange entre acteurs, échange qui est le précurseur à une combinaison de ressources[6], nouvelles ou existantes, permettant de mieux servir les marchés et/ou la collectivité. Il y a ensuite le fait que l’innovation sociale résulte d’un processus d’institutionnalisation qui nécessite l’assentiment collectif de la part des acteurs impliqués (cf. supra). Partant, le capital social est un préalable à l’innovation qui se diffusera progressivement au sein du/des champ(s) organisationnel(s) (Di Maggio, Powell, 1983).

Nous sommes donc repartis des différentes dimensions du capital social (interactions, confiance, vision partagée) auxquelles nous avons ajouté le rôle supposé stimulant des réseaux de l’ESS dans le processus aboutissant à l’innovation sociale. Les relations examinées ici peuvent être représentées de la façon suivante : [capital social + soutien des réseaux] ð [échanges et partages d’expériences] ó [innovation sociale + processus d’innovation sociale]. Nous reprenons ci-après chaque point.

Influence des interactions sociales sur les échanges et partages d’expériences

Les interactions sociales sont une des manifestations de la dimension structurelle du capital social (Tsai, Ghoshal, 1998). Elles sont définies comme « (…) des chaînes au travers desquelles l’information et les ressources circulent et qui permettent à un acteur d’avoir accès aux ressources des autres acteurs » (Molina-Morales et al., 2010, p. 263). Les interactions sociales éliminent les frontières entre les organisations et stimulent la recherche et la mise au point de solutions « gagnant-gagnant » pour les différents protagonistes. Les communautés de pratiques sont ainsi reconnues comme des lieux de partage d’expériences et de circulation de connaissances (notamment tacites) et d’informations à forte valeur ajoutée (cf. supra).

Pour une entreprise, le fait de faire partie d’un réseau lui permet d’interagir avec d’autres firmes et d’imaginer, avec certaines d’entre elles, des échanges (ex. : partage de données) et de nouvelles combinaisons de ressources (ex. : coopération basée sur les complémentarités entre acteurs), ceci dans un intérêt commun (ex. : mise au point d’un service commun de traitement de sinistres pour deux mutuelles d’assurances). Partant, nous faisons l’hypothèse que les interactions favorisent l’échange et le partage d’expériences entre les acteurs des réseaux de l’ESS (H1).

Influence de la confiance sur les échanges et partages d’expériences

La confiance, manifestation de la dimension relationnelle du capital social, est généralement considérée comme un élément-clé dans les relations d’échange. Selon Uzzi (1996), elle peut agir comme un mécanisme de gouvernance pour les relations encastrées. Elle favorise ainsi les interactions et la coopération entre les individus engagés dans une relation d’échange. Comme le soulignent Nahapiet et Ghoshal (1998, p. 256), « (…) Là où les relations sont marquées par la confiance, les gens sont plus disposés à s’engager dans l’échange social en général et dans des interactions de coopération, en particulier ». La confiance est parfois définie comme une assurance face à l’incertitude (Gardet, Mothe, 2010). Ainsi, quand le niveau de confiance est élevé, les individus sont prêts à prendre plus de risques dans leurs rapports respectifs.

Pour Nahapiet et Ghoshal (1998), la confiance accroît le potentiel d’une relation entre acteurs. Molina-Morales et al. (2010) soulignent que la confiance facilite le partage d’informations et de connaissances entre les individus. De surcroît, elle facilite les efforts conjoints et améliore l’entraide entre les participants. En revanche, l’absence de confiance accroît les risques d’incompréhension mutuelle et entraîne la mise en place de mécanismes de coordination, généralement coûteux, destinés à faciliter le pilotage de liens bilatéraux (établissement de contrats, procédures de résolution de conflits…).

Sur le plan des relations inter-organisationnelles, la confiance facilite l’échange d’informations confidentielles en diminuant le risque qu’une des parties ne les exploite au désavantage de l’autre. De surcroît, elle promeut l’échange de ressources rares ayant pour objet d’améliorer la capacité compétitive des organisations partenaires. En réduisant le besoin en temps afin d’assurer un fonctionnement optimal du système, la confiance permet de consacrer plus de temps à la recherche d’actions bénéfiques pour l’ensemble des parties. En ce sens, elle contribue aussi à l’émergence de solutions socialement innovantes. Nous émettons donc l’hypothèse que la confiance entre les acteurs de l’ESS incite à l’échange et au partage d’expériences entre les participants (H2).

Influence de l’existence d’une vision partagée sur les échanges et partages d’expériences

Nahapiet et Ghoshal (1998) mettent en évidence le rôle essentiel de la dimension cognitive du capital social dans le processus d’innovation. Une vision commune incarne les objectifs collectifs et les aspirations des membres d’un groupe. Selon eux, l’existence de ce corpus commun aux acteurs est nécessaire à l’échange et à la combinaison de ressources qui sont à la base de l’innovation. Les auteurs mettent en évidence les trois voies permettant de faire émerger cette vision partagée (p. 259) : « tout d’abord, au travers de l’existence d’un vocabulaire et d’un langage commun; ensuite, au travers d’une expérience commune et du développement de connaissances tacites partagées; et (enfin) au travers du partage de récits collectifs ».

Pour Tsai et Ghoshal (1998, p. 465), cette référence commune à l’ensemble des acteurs engagés dans une relation est utile, notamment parce qu’elle les guide dans leurs décisions et actions : « (…) un code ou un paradigme commun qui facilite une compréhension commune des objectifs collectifs et une façon appropriée d’agir dans un système social ». En ce sens, son rôle est autant normatif qu’instrumental. En d’autres termes, les membres d’un réseau qui ont une vision similaire, seront plus à même de devenir des partenaires dans l’échange et le partage de ressources (Molina-Morales, Martinez-Fernandez, 2010). Nous émettons donc l’hypothèse que l’existence d’une vision partagée entraîne l’échange et le partage d’expériences entre les membres des réseaux de l’ESS (H3).

Rôle des réseaux de l’ESS sur les échanges et partages d’expériences

Comme nous l’avons indiqué précédemment, nous avons ajouté le rôle des réseaux et du soutien qu’ils apportent dans la politique d’innovation sociale au sein du Tiers secteur. Selon nous, ce rôle est un des éléments clés de la pérennité et du développement de l’ESS et de sa différenciation vis-à-vis du secteur capitaliste.

Dans le même esprit, Molina-Morales et al. (2010, p. 265) soulignent le rôle des institutions locales dans le partage de connaissances et l’innovation au sein des réseaux : « (Elles) sont en contact avec divers cercles d’influence externes et, dans le même temps, sont proches des réseaux locaux d’entreprises; en conséquence, elles peuvent explorer et transférer des informations, connaissances et opportunités nouvelles et exclusives ». En tant qu’intermédiaires, elles facilitent l’acquisition de capacités compétitives en compilant et en disséminant les connaissances, mais également en réduisant les coûts d’accès à l’information pour les entreprises locales. Ces institutions jouent finalement le rôle d’entrepôts de connaissances et de répertoire d’opportunités sources potentielles d’innovations.

Pour les auteurs, les institutions locales peuvent faciliter la création de valeur pour les entreprises de plusieurs manières : (1) Elles disposent de services supports spécifiques (ex. : services techniques) qui permettent aux entreprises d’améliorer leurs systèmes de management de la qualité. (2) Elles organisent des sessions de formation qui permettent aux employés des entreprises locales d’améliorer leur qualification et d’acquérir des compétences qui seraient, sans cela, difficiles à obtenir. (3) Elles interagissent avec de nombreuses organisations ou institutions nationales et internationales, et fournissent aux entreprises de précieuses informations sur les options possibles en matière d’amélioration de leur compétitivité. (4) Elles soutiennent voire sont à l’initiative de programmes de recherches dont les retombées sont essentielles pour les entreprises, notamment dans le domaine de l’innovation. (5) Enfin, elles promeuvent les produits et les entreprises locales, tant sur le plan national qu’international.

Si la fonction des réseaux de l’ESS n’est pas comparable à celle des institutions locales (stimulation territoriale), il n’en reste pas moins que ces réseaux jouent un rôle de catalyseur vis-à-vis des entreprises du Tiers secteur. Nous émettons donc l’hypothèse que ces réseaux, par le soutien qu’ils apportent, contribuent à l’échange et aux partages d’expériences entre les membres participants (H4).

Impact des échanges et partages d’expériences sur l’innovation sociale et les processus d’innovation

Les rencontres organisées au sein des réseaux de l’ESS ont principalement pour objet d’initier et de favoriser les échanges et partages d’expériences entre les entreprises du Tiers secteur. Elles contribuent au phénomène d’émulation entre acteurs et sont susceptibles de faire émerger des innovations sociales majeures[7]. Nous souhaitons donc vérifier au travers de l’hypothèse H5 que l’innovation sociale est liée aux échanges et partages d’expériences entre les membres des réseaux de l’ESS.

Cependant, pour qu’une invention sociale se transforme en innovation, il convient que celle-ci soit socialement admise, voire plébiscitée par les acteurs concernés (ex. : les consommateurs). Comme l’indiquent Howaldt et Schwarz (2010, p. 31), « cela nécessite sa diffusion ou sa dissémination qui, en retour, prennent racines dans l’évaluation et l’acceptation des effets des nouvelles pratiques sociales par les groupes cibles ou ceux qui sont affectés par elles ». Dans le prolongement des arguments précédents, nous émettons donc l’hypothèse que les échanges et partages d’expériences sont liés aux processus qui permettent l’émergence d’innovations sociales (H6).

Nous résumons l’ensemble des hypothèses émises dans le cadre de notre recherche au travers du schéma suivant (schéma 1) :

Figure 1

Modèle de recherche

Modèle de recherche

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Méthodologie

Echantillon et collecte des données

Comme nous l’avons indiqué en début d’article, cette recherche a été effectuée sur une population spécifique d’entreprises, celle qui constitue l’ESS en France. Nombreux sont les réseaux qui gravitent autour de secteur et qui ont pour mission de stimuler les coopérations inter-firmes (ex. : le CEGES Conseil des Entreprises, des Employeurs et des Groupements de l’Economie Sociale ou encore les Unions Régionales des SCOP, Sociétés COopératives et Participatives…). L’un des plus importants et des plus structurés concerne les CRES(S)[8], Chambres Régionales d’Economie Sociale (et Solidaire). Il s’agit d’associations représentatives et transversales qui ont vocation à réunir les acteurs de l’ESS de leur région : les associations, les coopératives, les fondations d’entreprise de l’ESS, les mutuelles, les syndicats employeurs de l’ESS et dans la plupart des régions, les réseaux d’économie solidaire et de développement local. Leurs activités répondent à 3 grands objectifs :

  • Structurer et représenter l’ESS,

  • Accompagner le développement et des filières de l’ESS,

  • Faire connaître l’ESS.

Les CRES(S) se sont regroupées, depuis 2004, sous la bannière du CNCRES (Conseil National des CRES) qui se donne pour mission de :

  • Consolider la représentation des CRES(S) au niveau national,

  • Contribuer à la structuration de l’ESS,

  • Soutenir la structuration des CRES(S) et la mutualisation inter CRES(S),

  • Connaître, faire connaître et reconnaître l’ESS en région,

  • Favoriser le développement de l’action au service de l’innovation sociale.

Les idées de « mutualisation » (i.e. de partage et de combinaison de ressources entre les entreprises) et d’« innovation sociale » apparaissent clairement comme des objectifs du CNCRES et indirectement des seize CRES(S) présentes sur le territoire français. Nous avons donc choisi de nous adresser à ces structures pour toucher leurs adhérents et collecter leur avis sur le rôle des réseaux en matière d’innovation sociale.

Nous avons également sollicité le réseau des SCOP, structure qui accompagne la création, la reprise et la transformation d’entreprises sous forme SCOP (Société Coopérative de Production) ou SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif). Ce réseau propose un service complet aux entrepreneurs : accueil, accompagnement dans la durée, financements, formations, échanges entre entrepreneurs, représentation auprès des Pouvoirs publics. Animé par la Confédération Générale des SCOP, il est présent sur tout le territoire avec treize Unions régionales et trois Fédérations de métiers (BTP, communication, industrie). Nous avons procédé de la même manière que pour les CRES(S), à savoir que nous avons contacté ces seize structures pour qu’elles soient notre relais dans le cadre de l’enquête terrain[9]. Au final, nous avons obtenu 115 réponses au questionnaire mis en ligne sur la plate-forme SphinxOnline Manager. Cet outil permet la conception de l’enquête sur internet, ainsi que sa diffusion auprès des cibles qualifiées.

Concernant le traitement des données, nous nous sommes servis du module WebStat de SphinxOnline Manager et du logiciel SPSS. Les analyses statistiques ont principalement consisté en analyses descriptives (tris à plat, tris croisés et tests), traitement et simplification de données, analyses de variance et de régression.

Variables et mesure

Concernant les variables et leur mesure, nous avons choisi d’utiliser une échelle de Likert : le principe consiste à demander à l’interviewé de se placer sur un continuum par rapport à une série d’opinions portant sur un même sujet et pour lesquels il doit exprimer son plus ou moins grand accord (ou désaccord) en choisissant entre cinq réponses possibles (Evrard et al., 1993) : pas du tout d’accord, plutôt pas d’accord, sans opinion, plutôt d’accord, tout à fait d’accord. Conformément à la conception initiale de Likert, nous avons opté pour une échelle de mesure multi-items (échelle additive). Les quatre items proposés au répondant sont censés opérationnaliser la variable à mesurer (par exemple, la variable « interactions sociales »). Ils ont été sélectionnés parmi une liste plus importante de questions mises au point de façon spécifique pour cette recherche[10]. La sélection des items a été opérée après un test auprès de quelques responsables d’entreprises et de structures collectives de l’ESS. Avant de procéder aux analyses statistiques, nous avons évidemment pris soin de vérifier la cohérence interne de l’échelle de mesure ainsi créée grâce à l’Alpha de Cronbach[11]. A la suite de quoi, nous avons calculé un score global d’attitude pour chaque variable, ceci en sommant les scores obtenus sur chacun des items (de « pas du tout d’accord » = 1, à « tout à fait d’accord » = 5).

S’agissant des analyses, notre modèle de recherche se scinde en deux parties : il s’agit tout d’abord de vérifier l’influence du capital social et du soutien des réseaux de l’ESS (variables explicatives) sur les échanges et partages d’expériences (variable dépendante) entre les membres des réseaux de l’ESS. Il s’agit ensuite de tester l’existence d’une relation significative entre ces échanges/partages d’expériences et les processus d’innovation et l’innovation sociale (autres variables) dans les entreprises du Tiers secteur.

Variables indépendantes

Interactions sociales

Il s’agit des chaînes au travers desquelles circulent l’information et les ressources (ex. : les connaissances) et qui permettent à un acteur d’avoir accès aux ressources d’autres acteurs (Kanter, 1988; Tsai, Ghoshal, 1998). Une entreprise qui entretient des relations avec d’autres organisations, est en meilleure position pour acquérir et gérer de nombreux flux de connaissances en provenance de celles-ci (Molina-Morales et al., 2010). Les quatre items retenus pour évaluer le niveau d’interactions sont les suivants : temps important consacré aux rencontres avec des autres entreprises de l’ESS, communications et échanges fréquents avec partenaires de l’ESS, encouragement des responsables des réseaux à la mise en place de partenariats au sein de l’ESS, interactions recherchées au sein du Tiers secteur.

Confiance

La confiance peut être vue comme un aspect du contexte organisationnel et comme un antécédent de la coopération entre acteurs (Tsai, Ghoshal, 1998). Elle tend à modérer la crainte qu’un des partenaires de l’échange puisse agir de façon opportuniste selon les événements. Quand deux parties ont confiance l’une en l’autre, elles se sentent plus disposées à partager leurs ressources pour un bénéfice commun. Un comportement coopératif qui implique un échange et une combinaison de ressources, nécessite l’existence d’une confiance entre acteurs. Les quatre items permettant de mesurer ce niveau de confiance sont les suivants : engagements et promesses tenus vis-à-vis des autres partenaires de l’ESS, cohésion entre acteurs de l’ESS, partenariats au sein de l’ESS basés sur la confiance et le principe de réciprocité, solidarité entre entreprises de l’ESS en cas de difficulté majeure.

Vision partagée

La vision partagée incarne l’existence d’objectifs collectifs et d’aspirations communes à l’ensemble des membres d’une communauté. Selon Tsai et Ghoshal (1998, p. 467), « quand les membres d’une organisation ont la même perception de la façon d’interagir, ils peuvent éviter d’éventuelles incompréhensions dans leurs communications et ont plus la possibilité d’échanger librement leurs idées et ressources ». Au-delà, les auteurs soulignent que l’existence d’objectifs et d’intérêts communs les amènent à mieux percevoir la valeur potentielle des échanges et des combinaisons de leurs propres ressources. Partant, nous avons mesuré l’existence d’une vision partagée grâce aux quatre items suivants : partage de la même ambition, de la même vision que les entreprises de l’ESS, avenir lié à celui des autres entreprises de l’ESS, encouragement à poursuivre les mêmes buts que ceux prônés par l’ESS, importance accordée au fait que les acteurs de l’ESS partagent le même point de vue sur le rôle de l’entreprise dans la société.

Soutien des réseaux de l’ESS

Le soutien des réseaux exprime le souci des structures fédératives de stimuler les coopérations inter-firmes et de développer les pratiques de mutualisation au sein du Tiers secteur en organisant notamment des rencontres réelles ou virtuelles entre acteurs de l’ESS. Les quatre items retenus sont les suivants : entreprise ayant reçu un soutien important de la part des réseaux de l’ESS en matière d’innovation sociale, salariés de l’entreprise ayant bénéficié de formations spécifiques à l’ESS pour répondre aux défis sociétaux actuels et à venir, appui des réseaux de l’ESS considéré comme essentiel pour l’évolution de l’entreprise, appui des réseaux de l’ESS pour favoriser l’innovation sociale dans l’entreprise.

Variable dépendante

Echanges et partages d’expériences

Outre la volonté de fédérer le secteur, les échanges et partages d’expériences constituent la raison d’être des rencontres organisées par les réseaux de l’ESS. Il s’agit ici de mesurer le niveau de ces échanges au travers des quatre items suivants : rencontres organisées par les réseaux ayant pour but de favoriser le partage d’expériences, encouragement à la diffusion des meilleures pratiques par les promoteurs de l’ESS, rencontres organisées par les réseaux ayant pour but de contribuer à l’innovation sociale, moyens de communication virtuels basés sur l’interactivité afin de favoriser les échanges entre acteurs de l’ESS.

Autres variables

Innovation sociale

L’innovation sociale est, en théorie ce qui permet de différencier l’ESS de l’EC. En d’autres termes, par son souci d’apporter une réponse aux besoins économiques, mais aussi, non-économiques, de la société et des consommateurs/citoyens, le Tiers secteur cherche à montrer sa différence. Nous avons mesuré l’innovation sociale au travers des quatre items suivants : offre de l’entreprise qui permet de satisfaire des besoins non satisfaits par l’économie classique, offre de l’entreprise qui améliore la capacité d’accès aux ressources des plus démunis et favorise la solidarité entre acteurs, offre de produits/services qui contribue à combattre les problèmes de précarité au sein de la société, produits/services de l’entreprise qui offrent une réponse aux challenges du Développement Durable.

Processus d’innovation sociale

Si l’innovation sociale constitue le résultat supposé des échanges et partages d’expérience entre les acteurs de l’ESS impliqués dans des réseaux, le processus par lequel cette innovation prend corps nous semble tout aussi important. Les changements induits dans l’approche des marchés, les bouleversements dans la démarche à l’égard des parties prenantes, sont autant d’éléments essentiels dans l’émergence et la diffusion d’une innovation sociale. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu en mesurer les impacts dans le processus d’innovation : réponse apportée au marché qui contribue à améliorer les relations sociales dans et en-dehors de l’entreprise, processus de production de produits/services qui augmente le niveau de participation des exclus à la vie sociale, offre qui favorise un rééquilibrage de la gouvernance des systèmes en faveur des classes moyennes et des plus faibles, offre qui contribue à augmenter la capacité des plus démunis à agir sur leur avenir.

Variables de contrôle

Afin d’isoler les effets de certains facteurs externes, nous avons sélectionné deux variables de contrôle, soit :

  • La taille de l’entreprise mesurée par le nombre de salariés (soit 7 classes : 1 à 9 salariés, 10 à 19, 20 à 49, 50 à 99, 100 à 499, 500 à 999, 1000 et plus) et le chiffre d’affaires (soit 7 classes : 0 à 99 k€, 100 à 199, 200 à 499, 500 à 999, 1000 à 4999, 5000 à 9999, 10000 et plus).

  • L’intensité concurrentielle perçue : nous avons demandé au répondant à quel niveau celui-ci évaluait la pression concurrentielle au sein de son secteur d’activité (sur une échelle de 0 à 10, 10 étant le niveau maximal).

  • Les chiffres ci-après montrent les entreprises ayant participé à cette enquête sont majoritairement des structures de petite taille (cf. tableaux 1 et 2). En effet, 66 % ont entre 1 et 9 salariés[12] et 63,5 % ont un chiffre d’affaires inférieur à 500 k€/an.

Tableau 1

Taille des entreprises en nombre de salariés

Taille des entreprises en nombre de salariés

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Tableau 2

Taille des entreprises en chiffre d'affaires annuel

Taille des entreprises en chiffre d'affaires annuel

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L’intensité concurrentielle telle qu’elle est perçue par les répondants est, quant à elle, plutôt élevée (6,17 sur une échelle de 0 à 10 avec un écart-type de 2,85). Cela signifie que les entreprises sociales ayant accepté de participer à l’étude ne se situent pas sur des marchés protégés, bien au contraire.

Après avoir abordé les aspects méthodologiques de cette recherche, passons désormais à la présentation des résultats.

Résultats

Analyse unidimensionnelle

Par souci de concision, nous limiterons nos analyses aux deux variables dépendantes « innovation sociale » et « processus d’innovation sociale ». S’agissant de la première, nous mettrons aussi en évidence ce que recouvre le terme d’innovation sociale pour les entreprises.

L’innovation sociale est un des facteurs de différenciation de l’ESS. Les entreprises du Tiers secteur soutiennent que leur offre permet de satisfaire des besoins non couverts par l’économie classique (plutôt d’accord à 73,1 %), qu’elle favorise la solidarité au sein de la société (idem 72,2 %), qu’elle permet de combattre les problèmes de précarité (idem 72,2 %) et d’offrir une réponse aux challenges du Développement Durable (idem 74 %).

La volonté des organisations de l’ESS d’apporter une « plus-value sociale » contribue, selon elles, à modifier les rapports avec les parties prenantes. L’ensemble du processus d’innovation sociale semble impacté par ce souci de mieux répondre aux défis sociétaux actuels et à venir. Que ce soit sur le plan de l’amélioration des relations dans et en dehors de l’entreprise (plutôt d’accord à 85,2 %), d’une participation accrue des exclus à la vie sociale (idem 61,7 %), du rééquilibrage de la gouvernance des systèmes productifs en faveur des classes populaires (idem 65,2 %), ou encore de l’amélioration de la capacité des plus démunis à agir sur leur propre avenir (idem 60 %), les effets sont jugés positifs.

Les innovations sociales recensées correspondent bien à la définition du concept exposée dans la première partie de ce travail (cf. supra). C’est au niveau de l’insertion de personnes en difficulté dans l’entreprise (32,79 %), de la participation des salariés au capital, à la gouvernance et/ou au processus décisionnels (22,95 %), ou encore de l’amélioration des relations sociales dans l’entreprise (13,1 %) que les innovations sociales sont les plus fortes. En d’autres termes, le concept d’innovation sociale couvrirait préférentiellement la dimension interne du fonctionnement de l’entreprise (cf. tableau 3). Celle-ci chercherait à rester dans sa sphère d’influence habituelle.

Tableau 3

Type d’innovation sociale

Type d’innovation sociale

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Tests d’hypothèses

Après avoir vérifié la cohérence interne de l’échelle de mesure (cf. tableau 4), nous avons procédé à l’évaluation des scores pour chacune des variables (Evrard et al., 1993). Pour cela, nous avons agrégé les scores obtenus sur chacun des items (4 par variable). S’agissant d’une étude exploratoire, nous avons considéré le niveau de l’alpha de Cronbach comme étant acceptable s’il était supérieur à 0,6.

Tableau 4

Cohérence interne de l’échelle de mesure

Cohérence interne de l’échelle de mesure

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L’analyse effectuée à partir des scores obtenus sur chacune d’entre elles montre que c’est la variable « soutien des réseaux » qui recueille le moins bon résultat (cf. tableau 5). En d’autres termes, les répondants pensent qu’ils ne reçoivent pas un appui suffisant pour innover. A l’inverse, c’est la variable dépendante « innovation sociale » qui obtient le meilleur score. Les répondants pensent donc que leur offre leur permettrait de satisfaire des besoins non-économiques. En d’autres termes, la plus-value sociale offerte par les entreprises de l’ESS serait jugée significative par les responsables d’ES.

Tableau 5

Statistiques descriptives scores par variable

Statistiques descriptives scores par variable

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Afin de valider (ou non) les hypothèses émises dans notre modèle de recherche, nous avons procédé en deux temps : tout d’abord, nous avons testé l’existence de relations bi-variées entre chacune des variables explicatives (interactions sociales, confiance, vision partagée) et la variable dépendante (échanges et partages d’expériences)[13]; ensuite, nous avons effectué une régression linéaire à partir des quatre variables explicatives et de la variable dépendante. Nous avons préalablement vérifié que celle-ci n’était pas influencée par certains facteurs externes, en particulier par la taille de l’entreprise ou par l’intensité concurrentielle. On peut en effet se demander si les structures de petite taille ne sont pas moins disposées à échanger et à partager leurs expériences dans la mesure où elles sont plus vulnérables que les entreprises de taille importante. De la même façon, une forte intensité concurrentielle pourrait conduire les organisations à des comportements moins coopératifs.

L’analyse de variance (ANOVA) montre que les échanges et partages d’expériences ne sont liés ni au nombre de salariés (cf. tableau 6), ni au chiffre d’affaires (cf. tableau 7).

Tableau 6

Lien échanges/nombre de salariés

Lien échanges/nombre de salariés

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Tableau 7

Lien échanges/chiffre d’affaires

Lien échanges/chiffre d’affaires

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De la même façon, cette variable n’est que très faiblement reliée à l’intensité concurrentielle (Coef. Corrélation Pearson = -0,206, sign = 0,05). Nous considérons donc cette influence comme négligeable (signification > 1 %[14]).

Les tests de corrélation que nous avons effectués par ailleurs, montrent l’existence de liens significatifs entre chacune des variables « interactions sociales », « confiance », « vision partagée », « soutien des réseaux » et la variable « échanges et partages d’expériences » (cf. tableau 8). En d’autres termes, plus les interactions sociales, plus la confiance, plus la vision partagée et plus le soutien des réseaux sont forts, plus les échanges et partages d’expériences au sein des réseaux de l’ESS sont importants.

Tableau 8

Corrélation capital social et soutien des réseaux/échanges et partages expériences

Corrélation capital social et soutien des réseaux/échanges et partages expériences

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Nous avons par la suite procédé à une analyse de régression linéaire entre les variables explicatives (interactions, confiance, vision partagée, soutien des réseaux) et la variable dépendante (échanges et partages d’expériences), de façon à mesurer le rôle combiné des premières sur la seconde. Nous avons alors opté pour la méthode de régression « pas-à-pas », ceci afin d’éliminer les variables ne contribuant pas significativement à la régression. A ce titre, nous avons pris soin de vérifier l’absence de colinéarité entre les variables explicatives subsistantes (au travers du test de tolérance t et du calcul du facteur d’inflation VIF). A l’issue de l’analyse, seules les variables « soutien des réseaux » et « vision partagée » ont subsisté[15]. On peut donc en conclure que les échanges et partages d’expériences sont principalement expliqués par le soutien des réseaux et l’existence d’une vision partagée entre les partenaires de l’ESS (cf. tableaux 9). En d’autres termes, plus la stimulation collective est grande, plus les réseaux cultivent cette vision propre au Tiers secteur, plus les effets positifs se font ressentir sur les échanges et le partage d’expériences entre acteurs de l’ESS. Sur les quatre hypothèses de notre modèle de recherche, seules H3 et H4 sont donc validées.

Tableau 9

Régression vision partagée, soutien des réseaux/échanges et partages expériences

Model Summary[b]

Model Summaryb
a

Predictors: (Constant), SOUTIEN, VISION

b

Dependent Variable: ECHANGE

ANOVA[b]

ANOVAb
a

Predictors: (Constant), SOUTIEN, VISION

b

Dependent Variable: ECHANGE

Coefficients[a]

Coefficientsa
a

Dependent Variable: ECHANGE

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Par la suite, nous avons procédé à une analyse de corrélation entre la variable « échanges et partages d’expériences » et les variables dépendantes « innovation sociale » et « processus d’innovation sociale ». Dans un cas comme dans l’autre, les tests apparaissent comme significatifs (tableaux 10 et 11). Il existe donc bien un lien entre le fait que les partenaires échangent et partagent leurs expériences et qu’ils tendent à innover dans le domaine social. Ceci valide donc les hypothèses H5 et H6 précédemment formulées.

Attachons-nous désormais à commenter les résultats des analyses que nous venons d’exposer plus haut.

Tableau 10

Corrélation échanges et partages d’expériences/innovation sociale

Corrélation échanges et partages d’expériences/innovation sociale

**. Correlation is significant at the 0,01 level (2-tailed).

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Tableau 11

Corrélation échanges et partages d’expériences/processus d’innovation sociale

Corrélation échanges et partages d’expériences/processus d’innovation sociale

**. Correlation is significant at the 0,01 level (2-tailed).

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Discussion

L’innovation sociale constitue bien, selon les responsables d’entreprises de l’ESS, un moyen de différencier leur offre de celle des entreprises « classiques » (i.e. entreprises fondées sur le modèle capitaliste). Ceci apparaît comme un atout, notamment parce que la demande pour une économie durable et des entreprises responsables s’intensifie progressivement. Cependant, l’innovation sociale telle qu’elle est pratiquée par les structures de l’ESS aujourd’hui, n’est pas déconnectée de la problématique entrepreneuriale : l’entreprise reste dans sa sphère d’influence et ne cherche pas à s’impliquer, outre mesure, sur des sujets trop généraux ou qui ne la concernent pas directement (ex. : financement d’une cause externe, fût-elle légitime). En d’autres termes, c’est principalement au travers de sa politique de ressources humaines ou de la participation des salariés aux dispositifs de gouvernance et aux processus décisionnels que l’entreprise apporte cette plus-value sociale[16].

L’analyse de corrélation montre qu’il existe un lien entre (1) les interactions sociales, la confiance, l’existence d’une vision partagée, le soutien des réseaux et (2) les échanges et partages d’expériences au sein de l’ESS. Ainsi, plus les interactions sont fortes, plus le niveau de confiance est élevé, plus la vision est partagée parmi les membres des réseaux de l’ESS, plus les échanges et partages d’expériences sont importants. Ce résultat s’inscrit donc dans la continuité des travaux de Tsai et Ghoshal (1998) évoqués précédemment (lien entre le capital social et les échanges). D’autre part, plus le soutien des réseaux est fort, plus ces échanges et partages d’expériences sont élevés entre acteurs de l’ESS. Ce résultat est également conforme aux constats faits par Molina-Morales et al. (2010) sur le rôle des réseaux institutionnels dans le processus d’innovation.

L’analyse de régression montre néanmoins que ces « échanges et partages d’expériences » ne sont expliqués que par les variables « vision partagée » et « soutien des réseaux ». Seules deux des quatre premières hypothèses de notre modèle sont donc validées (H3 et H4). Elles nous amènent donc au constat que le rôle des structures fédératives est fondamental à double titre :

  • D’une part, sur un plan purement pratique (i.e. animation des réseaux de l’ESS) : c’est en effet par l’organisation de rencontres entre les acteurs de l’ESS, par le partage d’expériences au travers de forums virtuels, que s’imaginent de nouveaux échanges ou de nouvelles combinaisons de ressources (matérielles, financières, humaines, incorporelles) entre de futurs partenaires. C’est aussi par le biais de ces échanges que se diffusent les inventions sociales et idées nouvelles qui progressivement se transformeront en véritables innovations sociales. Howaldt et Schwarz (2010) font, ici, l’analogie avec le processus d’adoption de nouveaux produits sur les consommateurs : « les adopteurs précoces, leaders d’opinion pour le courant des réceptifs à l’innovation, suivent la poignée d’innovateurs qui croient et ont la volonté de l’expérimenter tout en assumant le risque. Vient ensuite la majorité qui hésite face à l’innovation mais finit par l’adopter, plus ou moins par obligation, et finalement le groupe des retardataires qui adoptent l’innovation quand elle est déjà bien établie, voire dépassée ».

  • D’autre part, sur le plan symbolique (i.e. développement d’une vision partagée) : Nahapiet et Ghoshal (1998), rappellent qu’une vision commune et/ou un ensemble commun de valeurs sont propices aux actions individuelles ou de groupe qui peuvent bénéficier à l’ensemble des membres. Ces structures fédératives sont donc idéalement placées pour faire prendre conscience aux entités du Tiers secteur, de leur appartenance à une famille spécifique, celle de l’ESS. A défaut, les entreprises hésitent à partager leurs connaissances et à s’engager dans des actions de coopération avec des partenaires potentiels. Finalement, cette action symbolique sur la culture, les valeurs, permet de combattre la perception d’un risque d’opportunisme dans la relation d’échange nécessaire au processus d’innovation sociale.

Enfin, la mise en évidence de l’impact de ces échanges et partages d’expériences, d’une part, sur l’innovation sociale, d’autre part, et sur les processus d’innovation sociale, est conforme aux hypothèses que nous avions précédemment formulées (H5 et H6). Ces échanges jouent un rôle de stimulateurs sur l’ensemble des membres du réseau. Ils les amènent à imaginer, individuellement ou collectivement, de nouvelles réponses à des besoins non-économiques identifiés au travers des marchés ciblés. De là découlent certaines innovations sociales majeures qui constituent « la marque de fabrique de l’ESS », i.e., l’élément-clé de différenciation vis-à-vis de l’EC (ex. : mise en place d’une filière de recyclage commune employant des personnes en voie de réinsertion).

Enfin, la démarche d’innovation sociale favorise l’implication des parties prenantes, en particulier, non-économiques, dans les processus décisionnels (Sharma, 2001; Persais, 2006; 2010). Moulaert et al. (2005) soulignent cette spécificité de l’innovation sociale qui permet une redistribution des pouvoirs au profit des citoyens, augmentant ainsi leur capacité sociopolitique à agir pour une amélioration des conditions de vie. Au-delà d’une réponse à des besoins que l’économie classique n’est pas en mesure de satisfaire, l’innovation sociale est donc une occasion privilégiée pour augmenter le niveau de participation des groupes défavorisés aux décisions (i.e. pour accroître leur implication dans la gouvernance des systèmes productifs). Finalement, ce rééquilibrage des pouvoirs au profit des stakeholders, améliore le climat dans et autour de l’entreprise. La légitimité sociale des entreprises de l’ESS s’en trouve ainsi renforcée.

Conclusion

Cette recherche menée dans le cadre d’une approche hypothético-déductive, avait pour principal objectif de vérifier les effets positifs des réseaux collectifs sur l’innovation sociale dans les entreprises. Le terrain choisi était celui de l’Economie Sociale et Solidaire en France. Ce secteur est composé d’entreprises ayant pour particularité de donner la prééminence à l’homme et au service rendu (utilité collective ou sociale), par rapport au capital et à sa rétribution (Lipietz, 2000, 2001). L’innovation sociale (Howaldt, Schwarz, 2010) constitue pour l’ESS un enjeu stratégique majeur puisqu’il est un moyen, pour elle, de se différencier de l’Economie Capitaliste.

La construction de notre modèle de recherche s’est appuyée sur la théorie des réseaux (Wasserman, Faust, 1994) et sur le concept de capital social (Bourdieu, 1985) dont Nahapiet et Ghoshal (1998) ont identifié les trois dimensions : structurelle (matérialisée par le niveau d’interactions sociales), relationnelle (idem, par la confiance) et cognitive (idem, par l’existence d’une vision partagée). L’idée générale (i.e., celle qui a présidé au lancement de cette recherche) est que l’implication dans des réseaux collectifs contribue aux échanges/partages d’expériences, ce qui a un effet positif sur les processus d’innovation et l’innovation sociale dans les entreprises de l’ESS.

Les données collectées auprès de 115 entités du Tiers secteur ont permis de mettre en évidence des liens significatifs entre certaines variables. Ainsi, les différents aspects du capital social sont en relation avec le niveau d’échanges/partages d’expériences entre les entreprises au sein des réseaux de l’ESS : plus le niveau d’interactions sociales est élevé, plus la confiance est forte, plus les entreprises partagent la même vision de leur rôle dans la société, plus leur niveau d’échanges et de partages d’expériences est important. De même, l’appui des structures collectives de l’ESS s’avère être lié à cette dernière variable : plus le soutien est fort, plus l’émulation au sein du Tiers secteur se fait ressentir.

L’analyse de régression entre les variables explicatives (les trois dimensions du capital social et la variable « appui des réseaux ») et la variable dépendante (« échanges et partages d’expériences ») indique néanmoins que les échanges/partages d’expériences s’expliquent d’abord par l’appui des réseaux, puis par l’existence d’une vision partagée entre les entreprises du Tiers secteur. Le rôle des structures fédératives de l’ESS est donc essentiel, non seulement parce que les pratiques de coopération naissent des rencontres réelles ou virtuelles initiées par ces réseaux, mais aussi parce que l’émergence et le renforcement d’une vision partagée ne peut provenir que de l’action d’une entité dite « supérieure ». Face à la diversité des entreprises sociales (en termes de statut, de taille ou d’activité), ces structures jouent à la fois un rôle de catalyseur et de diffuseur des valeurs spécifiques au Tiers secteur. Sans cette vision commune, les entreprises hésitent à coopérer et à envisager la combinaison/le partage de ressources pour développer un projet commun.

Les échanges et partages d’expériences sont également liés au processus d’innovation ainsi qu’aux innovations sociales. Cela se traduit par une forte implication des parties prenantes dans les processus d’innovation (en particulier, les parties prenantes non-économiques), mais également par la mise en place de produits ou services qui offrent une plus-value sociale significative.

De cette recherche, nous tirons principalement deux enseignements. Le premier concerne directement les entités du Tiers secteur. Les innovations sociales constituent une réponse originale à cette exigence de Responsabilité Sociétale à laquelle ont à faire face les entreprises, aujourd’hui. Elles sont un moyen pour les structures de l’ESS de se différencier des entreprises capitalistes dont la finalité est, avant tout, économique (rémunération des actionnaires). Ces organisations ont donc tout intérêt à s’impliquer dans les réseaux de l’ESS qui sont à l’origine de coopérations engagées avec d’autres entités du Tiers secteur, d’idées nouvelles qui leur permettent de répondre aux besoins non-économiques identifiés sur les marchés ciblés (Besser, Miller, Perkins, 2006).

Le deuxième concerne les réseaux et structures fédératives de l’ESS. Si leur mission consiste à développer les échanges et partages d’expériences au sein du Tiers secteur, à favoriser les pratiques de coopération et, au final, à contribuer aux innovations sociales, il reste que la famille de l’ESS n’apparaît pas, aujourd’hui, suffisamment unie pour que cette mission puisse être remplie correctement. Le sentiment d’appartenance et l’existence d’une véritable confiance étant des éléments majeurs d’une collaboration fructueuse entre acteurs, un travail reste donc à accomplir pour que l’objectif assigné aux réseaux de l’ESS soit atteint. Il en va finalement de la survie et du développement du Tiers secteur qui peine à trouver sa voie dans un monde qui, progressivement, se libéralise.