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En 1935, dans L’Est du Canada français (Paris/Montréal, Masson/Beauchemin, tome 2, p. 257), Raoul Blanchard dit éprouver des difficultés à décrire Montréal, « énorme métropole invertébrée » où il y a quelque chose d’un peu « monstrueux ». Quatre décennies plus tard, Jean-Claude Marsan, tout en gardant le regard englobant de Blanchard, surpasse ces difficultés et propose une oeuvre sur Montréal qui réussit à traduire « l’esprit du lieu » et à rendre possible son appropriation par l’ensemble des Montréalais. Parmi les nombreux écrits de Jean-Claude Marsan, citons Montréal en évolution (Fides, 1974) et Montréal, une esquisse du futur (Institut québécois de recherche sur la culture, 1983), deux ouvrages riches de faits et d’idées, incontournables pour qui veut mieux connaître les transformations de Montréal au cours de son histoire.

Montréal et son aménagement s’inscrit dans la même perspective. Son sous-titre « Vivre la ville » exprime l’importance accordée par l’architecte-urbaniste à la ville comme milieu de vie avant tout. Montréal est un écosystème dont font partie les Montréalais avant d’être un assemblage de formes construites. De là l’importance qu’accorde Marsan aux dimensions naturelles et sociales de ce cadre de vie. Deux faits de nature en définissent l’attrait : le fleuve et la montagne. Les aléas « sociopolitiques » de leur mise en valeur occupent une bonne part des 24 textes, écrits au fil d’une quarantaine d’années, qui composent cette anthologie publiée à l’occasion de la remise d’un doctorat honoris causa à Jean-Claude Marsan par l’Université du Québec à Montréal.

Les textes sont regroupés sous trois thèmes. Le premier, à saveur géographique, traite de la situation et du site de Montréal. Plusieurs observations judicieuses sont proposées. Les barons de l’industrie, qui érigent un mur d’entrepôts et de silos dans le port de Montréal au 19e siècle, installent leurs manoirs assez haut sur le mont Royal pour contempler le fleuve au-delà de ce mur, alors que la plupart des Montréalais n’ont plus accès à ce fleuve. Les deux solitudes rivalisent dans la conquête du mont Royal ; elles ont chacune leur cimetière et leur université mais elles se partagent le parc du Mont- Royal, espace public par excellence. Des textes éclairants portent sur des aspects urbanistiques, par exemple les liaisons visuelles qui mettent en rapport le mont Royal et la ville, sans jamais oublier ceux et celles qui vivent Montréal au quotidien.

Le second thème aborde la question du patrimoine urbain de Montréal. Ici également, une sensibilité sociale au ton juste imprègne le propos. Il y a bien un patrimoine architectural prestigieux à Montréal et Marsan l’évoque avec panache à l’aide de nombreuses illustrations. Mais c’est surtout l’architecture vernaculaire qu’il nous fait connaître. Il réhabilite l’habitation type montréalaise et montre l’intérêt de celle-ci pour les immigrants ruraux (faibles coûts de construction, familles intergénérationnelles occupant les duplex ou triplex). Il développe un plan stratégique de conservation des édifices religieux au centre-ville de Montréal qui se caractérise par sa mesure et son pragmatisme. Il invite les architectes à descendre « de leur tour imaginaire pour se préoccuper du cadre bâti existant » (p. 303).

Le troisième thème regroupe des textes qui prennent position sur des questions d’urbanisme et d’aménagement. Le Vieux-Montréal et le Vieux-Port de Montréal y occupent une place de choix. Marsan montre comment le ralentissement économique et démographique de la métropole a contribué, comme à Québec d’ailleurs, à éviter que des développements immobiliers massifs privatisent le front fluvial, le débat public jouant également un rôle majeur dans le processus de réappropriation par les citoyens de ces hauts lieux montréalais. Il insiste à plusieurs reprises sur l’aménagement minimaliste du Vieux-Port, contrairement à ce qui est arrivé dans la plupart des villes portuaires nord-américaines.

En somme, cet ouvrage confirme la prégnance de l’observation participante pratiquée par Marsan. Fortement impliqué dans des organismes comme « Sauvons Montréal » et « Héritage Montréal », il réussit à mettre en tension, de façon constructive, ses rôles comme « expert » et comme « habitant ». Il en appelle à un meilleur équilibre entre « ceux qui vivent de la ville et ceux qui vivent la ville » (p. 235). En résultent des propos qui rendent l’urbanisme passionnant et qui contribuent considérablement à un aménagement humaniste de Montréal.