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Diriger une revue en santé mentale est mener un combat contre les diverses inégalités dont sont victimes les personnes affligées par des difficultés psychiques.

Diriger une revue en santé mentale est mener un combat pour un système de santé juste et équitable pour tous.

« Il est temps de partir. » Cette phrase soulève son lot de craintes et d’angoisses quand il s’agit de mettre fin à 37 ans d’investissement intellectuel, émotif et financier. Elle éveille la tristesse associée au fait de ne plus éprouver à l’avenir le plaisir que procure un projet aussi stimulant que la direction d’une revue. Comment y réagir ? Certes, on peut le faire par de l’évitement. Mais il vaut mieux y faire face. Quoi qu’il en soit, se retrouver à un tel carrefour fait naître des émotions de nature diverse, allant de la fierté jusqu’à des regrets de ne pas avoir pu faire mieux ou plus. Mais l’émotion prégnante est l’humilité. Fonder et diriger une revue est un privilège qui doit être partagé avec tous ceux et celles qui ont contribué à cette aventure. Le mérite leur en revient.

Une revue est une oeuvre collective, le reflet du milieu dans lequel elle naît et se développe. Sans la participation de ce milieu, elle ne saurait exister. La mission d’une revue est de mettre de l’avant les collaborateurs et collaboratrices, de les soutenir pour qu’ils puissent communiquer et diffuser adéquatement leurs travaux afin qu’ils aient l’impact souhaité, faire reconnaître leur originalité et leur richesse. Une revue digne de ce nom en est une qui sait se mettre au service des divers acteurs du milieu. C’est ainsi qu’elle mérite la confiance qui lui est accordée. Si nous n’avions qu’un seul regret, ce serait celui de n’avoir peut-être pas soutenu tous les acteurs du milieu.

Santé mentale au Québec a 37 ans. Ses lecteurs ont beaucoup changé depuis sa création. Dans ce contexte, revenir sur ses origines et son projet initial n’est pas superflu pour en mesurer la portée historique. C’est aussi une façon de renouer avec les rêves et le dynamisme qui ont animé ses initiateurs. C’est se donner l’occasion de rêver à nouveau d’une revue ancrée dans les valeurs et les orientations actuelles du milieu de la santé mentale.

Fin février 1976. C’est le moment fort du mouvement québécois de psychiatrie communautaire. Vient d’avoir lieu le premier colloque en santé mentale à l’Hôpital Saint-Luc [1] intitulé « Psychiatrie de secteur, dix ans plus tard ». Ce colloque a réuni une centaine d’intervenants qui ont présenté divers projets d’intervention communautaire. Les responsables sont confrontés à un défi : comment diffuser ces travaux et poursuivre les échanges ? Pour ce faire, le consensus s’établit sur la nécessité de doter le milieu d’un organe régulier de diffusion, de transfert des connaissances dirait-on aujourd’hui [2]. Ce sera une revue bisannuelle. En y investissant le surplus financier du colloque auquel trois collègues ajoutent une contribution monétaire personnelle, les responsables permettent que l’aventure débute. Le premier numéro est consacré aux actes du colloque.

Pour nom de la revue, les responsables choisissent Santé mentale au Québec : Vers une nouvelle pratique (titre originel). Il s’agit d’un nom et d’une orientation d’avant-garde qui mettent l’accent sur la santé mentale avant que ce terme ne s’impose, et qui invitent les collaborateurs et les collaboratrices à s’orienter vers l’innovation, la valeur de notre temps.

Les responsables de la revue fixent les objectifs suivants : 1) créer un lieu de rencontres et d’échanges entre les divers professionnels quant aux sujets suivants : élaboration de théories, d’expériences concrètes de travail et de réflexions proprement thérapeutiques ; 2) créer une revue multidisciplinaire ; 3) créer une revue d’animation qui choisisse pour chaque numéro des auteurs différents permettant à plus de gens de s’exprimer.

On peut dire que la revue a atteint ses objectifs. Les multiples thématiques traitées rendent compte du premier objectif. La diversité des professions et des disciplines des collaborateurs et collaboratrices représentées dans la revue rejoignent le deuxième objectif. Enfin plus de 2 000 collaborateurs et collaboratrices ont publié dans la revue depuis son lancement.

Santé mentale au Québec a existé au moment « où les slogans révolutionnaires étaient encore possibles, à une époque où tous les horizons s’ouvraient » disait Michel Tousignant dans le volume 20 ans de Santé mentale au Québec [3]. La revue a été initiée à une époque où les mouvements sociaux étaient à leur apogée : question nationale, féminisme, luttes syndicales, coopératisme, expérimentation des cliniques communautaires de santé, insertion sociale des patients psychiatriques, etc. La revue a su en être l’écho. Par exemple, le numéro La femme québécoise (novembre 1979) a suscité un enthousiasme sans précédent dans le milieu. Il est d’ailleurs le numéro charnière dans l’évolution de la revue. En plus d’être le numéro qui a mis la revue en relation avec les forces vives à l’oeuvre dans la société, il est le premier numéro non soutenu par les services d’imprimerie institutionnels. Précisons que ce soutien était précieux mais qu’il avait un coût. Par exemple, il fallait défaire à domicile les exemplaires pour en soustraire les pages mal imprimées, et les réassembler. C’est donc à l’occasion de ce numéro que des responsables ont à nouveau pris le risque d’investir pour faire appel à des services d’imprimerie privés. C’est un choix qui s’est révélé judicieux car le tirage a triplé, et la revue a atteint le même niveau de présentation que celui des autres revues. La revue atteignait ainsi une audience inégalée.

Santé mentale au Québec est issue d’un milieu communautaire où des intervenants professionnels, des praticiens, des universitaires, s’impliquent avec des citoyens pour créer des ressources alternatives au milieu institutionnel. Il s’agit du Centre de santé mentale communautaire de Montréal [4]. Il n’est pas inutile de le décrire afin que les lecteurs et les lectrices puissent prendre la mesure de cette expérience et découvrir, s’ils ne le savaient pas, qu’elle comportait en germes les tendances et les valeurs actuelles. Santé mentale au Québec est l’un, sinon peut-être le plus grand, des berceaux importants des expériences de santé mentale actuellement en cours.

En 1966-1967, des organismes communautaires réalisent une première enquête sociale [5] sur les problèmes sociaux d’une zone défavorisée de Montréal [6], suivie d’une autre sur les problèmes de santé mentale. L’enquête conclut à la nécessité de créer des services de santé dans les communautés de cette zone [7].

S’inspirant du mouvement de psychiatrie communautaire américain, des psychiatres, des psychologues, des travailleurs sociaux issus des milieux anglophone et francophone, accompagnés de résidents en psychiatrie et d’étudiants au doctorat en psychologie de l’Université de Montréal, conjuguent leurs efforts, et offrent de 1967 à 1971 des services psychiatriques communautaires aux citoyens des quartiers Centre-sud et Saint-Jean-Baptiste. Des démarches sont parallèlement entreprises pour créer le Centre de santé mentale communautaire de Montréal afin d’offrir une structure légale à ces services.

En septembre 1972, le ministère des Affaires sociales accorde une subvention au CSMCM pour réaliser ses activités. Jusqu’en 1974, le CSMCM adopte la philosophie et le modèle de la psychiatrie communautaire des États-Unis. Toutefois, à l’inverse de nombreux centres de santé mentale américains, le CSMCM priorise les soins aux malades mentaux dits chroniques qui reçoivent leur congé de l’hôpital Louis-H. Lafontaine, et qui résident dans les quartiers Centre-sud et Saint-Jean-Baptiste.

Qu’entend-on par approche communautaire ? Une « politique des soins centrée sur la disponibilité des soignants, l’absence de liste d’attente, une réponse au client dans les quarante-huit heures qui suivent sa demande et l’intervention de crise sur le plan psychologique, une réponse aux demandes d’ordre social par un recours rapide à des organismes sociaux appropriés. Les interventions thérapeutiques se faisaient dans le cadre d’entrevues au bureau, de visites à domicile principalement pour favoriser la connaissance de l’entourage du malade et mobiliser certains parents, amis, concierges ou autres lorsque nécessaire. L’hospitalisation était réduite au minimum et la médication utilisée à des niveaux thérapeutiques les plus bas possibles. La philosophie du Centre voulait qu’on minimise le plus possible l’insistance mise sur la symptomatologie, les diagnostics et certaines attitudes issues de la « culture psychiatrique ».

Le Centre a aussi développé des contacts avec les organismes tant professionnels que populaires du quartier et a établi des modes de collaboration personnalisés avec ceux-ci, ceci, afin d’offrir une gamme de services concrets aux clients, de les amener à utiliser les ressources appropriées à certains de leurs besoins et à augmenter leurs possibilités de socialisation.

Les thérapeutes ont référé fréquemment les malades aux organismes de loisirs et aux activités diverses du quartier, au besoin en accompagnant le malade au début. Certains groupes ont été organisés à l’intérieur de la clinique, sous prétexte de renouveler la médication pour amener les sujets à discuter davantage de leurs problèmes pratiques et pour partager l’information sur le quartier.

Enfin, les malades n’ont pas fait l’objet d’un programme spécial de réadaptation mais ont été traités comme tous les autres sujets selon leurs besoins. Nous voulions par là éviter les risques de ségrégation inhérents au regroupement de malades chroniques [8].

Un aspect important de la philosophie communautaire est la gestion des ressources humaines. Les intervenants, quelque soit leur champ disciplinaire, étaient considérés comme des professionnels autonomes, imputables de leurs interventions. Les questions cruciales, administratives et cliniques, étaient l’objet de débats collectifs entre eux, et les décisions habituellement prises par consensus. Il y avait respect des décisions hiérarchiques, au préalable discutées par les intervenants dans le respect des divers points de vue, et des prérogatives des disciplines. Les valeurs dominantes étaient la créativité et l’initiative pour offrir des réponses originales et efficaces aux problèmes rencontrés. Le savoir dit expérientiel était aussi accepté. Une secrétaire est devenue éducatrice responsable de la gestion financière des patients, et a développé des habiletés pour lesquelles des professionnels désirant offrir le même service venaient la consulter [9]. Un concierge est devenu moniteur en rééducation, et a été intégré dans les groupes d’ergothérapie [10]. Par l’apport de tous ces savoirs, il y avait recherche et partage du nouveau savoir issu des expériences et des échanges. C’était une communauté de pratique avant que le terme ne devienne si populaire.

Enfin, la participation des usagers et des citoyens était favorisée par leur présence sur le conseil d’administration du CSMCM.

Afin d’évaluer cette approche communautaire, le CSMCM a entrepris une recherche expérimentale de trois ans auprès de trois groupes appariés sur diverses variables : les patients traités selon l’approche communautaire, les patients traités selon l’approche asilaire et un groupe de citoyens des quartiers Centre-sud et Saint-Jean-Baptiste. Les résultats ont démontré que les patients traités selon l’approche communautaire avaient vu améliorer leur adaptation psychosociale s’améliorer constamment et significativement, davantage que les patients traités selon l’approche asilaire. Toutefois, l’étude démontrait aussi que les patients avaient atteint un seuil d’adaptation semblable à celui des citoyens des quartiers, et qu’il était très difficile de dépasser ce seuil par les moyens thérapeutiques et communautaires habituels [11].

Comme les lecteurs et les lectrices peuvent le constater, le CSMCM prônait avant l’heure les valeurs actuelles du milieu de la santé mentale, et la nécessité de l’évaluation. Santé mentale au Québec s’est inspirée de ces valeurs pour définir sa mission et son fonctionnement, et proposer une vision éditoriale axée sur la création et l’expérimentation de nouvelles pratiques.

En juin 1974, le CSMCM réalise un contrat d’intégration avec l’hôpital Saint-Luc et devient la clinique externe de psychiatrie. Cette intégration est conforme à la loi 65 votée par le gouvernement du Québec qui instaure le régime d’assurance-maladie du Québec. Dans cette nouvelle structure hospitalière, les anciens employés du CSMCM continuent la pratique communautaire. Pour renouveler leurs pratiques, ils organisent durant un an (1975) un séminaire de réflexion et d’échanges sur la prévention. Ce séminaire était animé par Robert Sévigny, professeur titulaire en sociologie de l’Université de Montréal maintenant à la retraite.

Certains membres du CSMCM, également employés de l’hôpital Saint-Luc, décident de continuer les activités de l’organisme et de réorienter ses objectifs. Après une analyse du nouveau contexte de la psychiatrie après l’adoption de la Loi 65, ses membres optent pour la philosophie suivante : le CSMCM développera, pour les patients aux troubles sévères et persistants, des services cliniques, communautaires et administratifs, innovateurs dans le champ de la santé mentale, et complémentaires aux services psychiatriques étatiques. Également, le CSMCM développera pour les intervenants des projets d’enseignement et de recherche inexistants dans le réseau public. Donc, le CSMCM vise à fournir des services non offerts par le réseau public, et à expérimenter de nouvelles approches thérapeutiques non institutionnalisées. Santé mentale au Québec deviendra le médium de diffusion de cette philosophie.

Entre 1976 et 1994, le CSCMM devenu entretemps COSAME (Communauté et santé mentale) crée 12 ressources ou programmes qui allient le souci de l’intervention, de la formation et de la diffusion des connaissances :

  1. Service de fiducie et de gestion financière pour soutenir les patients dans la gestion de leur budget en 1975

  2. Fonds de dépannage pour les patients suivis en psychiatrie à l’Hôpital Saint-Luc en 1983

  3. Création d’un groupe d’entraide pour personnes affligées d’une psychose entre 1983 et 1990

  4. La communauté thérapeutique La Chrysalide [12] qui accueille depuis 1980 des patients psychotiques et dont le traitement s’inspire de l’approche psychanalytique

  5. Création de la structure intermédiaire Le Mutant [13] (devenu Le Parcours) qui offre depuis 1988 hébergement et soutien aux personnes avec des problèmes de santé mentale

  6. Création des Projets PART [14] de réinsertion au travail en 1987

  7. Centre de soir Denise Massé [15] qui offre un soutien social aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale en 1989

  8. Centre de crise Le Transit [16] depuis 1990

  9. Santé mentale au Québec [17] éditée depuis 1976

  10. Quatorze colloques de santé mentale entre 1976 et 1994 en association avec un établissement hospitalier ou autre

  11. Cours de 45 heures Itinéraires du psychotique à la Faculté d’éducation permanente de l’université de Montréal en 1982. Ce cours a initié les travaux qui ont mené au certificat en santé mentale de la Faculté d’éducation permanente de l’Université de Montréal

  12. Filigrane, une revue psychanalytique éditée depuis 1992 [18]

Santé mentale au Québec a été créée et a évolué entre 1976 et 1994 dans un milieu axé sur la création de diverses ressources qui permettaient aux usagers de recevoir dans leur milieu de vie une réponse à leurs besoins selon une approche psychosociale. Le milieu était très dynamique et axé sur la réflexion, la théorisation au service de la pratique et la création de réponses originales aux besoins des usagers. Tous ces facteurs nous semblent avoir influencé la revue. Santé mentale au Québec était en étroite relation avec les acteurs du terrain, avait le souci d’être à leur écoute et de refléter leurs préoccupations. Mais à partir des années 1990, la plupart des ressources sous la responsabilité de COSAME se sont autonomisées et incorporées comme organisme sans but lucratif. Il en fut de même pour la revue. Depuis 1990, la revue est sous la responsabilité administrative de la corporation « Revue santé mentale au Québec ».

Cette autonomisation a eu pour effet de créer une distance entre la revue et les acteurs du terrain. Tout en demeurant à leur écoute, elle a du composer avec d’autres demandes tirant son orientation vers des préoccupations universitaires telles la recherche. De plus, sous la pression d’organismes subventionnaires, la revue s’est internationalisée ; elle a progressivement publié davantage d’articles de recherche. C’est d’ailleurs pour renouer avec les praticiens cliniciens et mieux refléter leurs travaux qu’elle a créé en 1992 la revue Filigrane [19].

Lors de la célébration en 1996 des 20 ans de Santé mentale au Québec, Yves Lamontagne, psychiatre, divisait ces 20 premières années en trois étapes : vers une nouvelle pratique (1976-1981) ; la consolidation (1982-1990) et la mondialisation (1991-1996). Pour notre part, nous qualifions les 17 dernières années comme celles de l’étape de l’éclectisme et du changement environnemental (1997-2012). Durant ces années, la revue a abordé des thématiques sociales, cliniques et pharmacologiques qui faisaient l’objet de pratiques ou de questionnements dans les milieux institutionnel, communautaire et universitaire. Ainsi, elle a fait preuve d’éclectisme pour refléter les tendances du milieu.

Après 37 ans, la revue est connue dans le monde francophone. Elle est abondamment consultée, le tiers des consultations d’articles provenant de l’extérieur du Canada. Elle est l’une des trois revues de langue française en santé mentale répertoriées dans la célèbre banque de données Medline.

Mais, depuis une quinzaine d’années, la revue fait face à un environnement qui s’est complètement transformé. Le milieu de la santé mentale fonctionne sous les impératifs des Plans d’action en santé mentale qui ont le mérite d’assurer une meilleure cohérence au système de soins, et de favoriser les projets efficaces et efficients. Mais ces Plans d’action façonnent aussi les manières de penser et d’intervenir à tel point qu’ils peuvent en arriver à normaliser les manières d’envisager les problématiques au détriment des innovations. Ces Plans d’action ont aussi pour effet de rendre dominantes les préoccupations de gestion dans le système de soins, et de rendre les revues financièrement dépendantes de ces enjeux [20]. Les sources de publication se sont multipliées. Certaines associations québécoises publient des bulletins de haut niveau sur la pratique. Également, l’accès aux revues étrangères a pris une certaine ampleur. Cette éclosion de lieux de diffusion des travaux a créé une pression sur Santé mentale au Québec pour renouveler et améliorer son contenu. La recherche est devenue progressivement la « plus value » de tout projet, une sorte de nouvel imprimatur garant de sa valeur. Mais la recherche comporte des faiblesses et peut perdre sa capacité critique au nom d’impératifs et d’enjeux financiers et politiques. Également, la recherche est faite par des chercheurs dont les intérêts professionnels — par exemple de publier dans les revues internationales de langue anglaise — peuvent mettre en péril les petites revues ancrées dans leur milieu. Aussi, les praticiens des milieux institutionnels se font trop souvent silencieux, privant la revue de leur riche expérience. Malgré leur intérêt et investissement dans leur travail, ils ne semblent pas prendre collectivement la parole qui leur revient, et faire valoir leurs expériences de terrain.

L’environnement médiatique n’est plus le même. Toute revue, quelle que soit sa taille, est soumise à cet environnement. Les modèles financiers et de distribution des revues sont soumis aux diktats des grands consortiums qui imposent leurs manières de fonctionner, et d’évaluer l’impact des revues.

Cette énumération de facteurs illustre à quel point les revues comme Santé mentale au Québec sont fragiles, et sans cesse soumises à des aléas sur lesquels elles n’ont pas de contrôle. Mais n’est-ce pas le propre des ressources alternatives ? Des ressources qui se situent à la marge afin de conserver leur potentiel de créativité ?

Que désirons-nous que les lecteurs retiennent de ces 37 ans de Santé mentale au Québec ? Que la revue a été le fer de lance d’un combat pour un changement radical des soins offerts aux personnes souffrant de problèmes mentaux sévères et persistants de quelque nature que ce soit. Un combat pour que les soignants se transforment eux-mêmes en aidants qui croient aux capacités de ces personnes. Un combat pour que ces aidants les soutiennent dans la démarche qui les libérera de leurs propres préjugés et de ceux de la société ambiante. Un combat pour que la société mise sur les capacités de ces personnes et leur ouvrent toutes grandes ses portes. Mais surtout un combat pour que les personnes croient en elles-mêmes et en leur devenir. Un combat pour qu’il y ait un avenir pour tous dans notre société.

Santé mentale au Québec peut-elle survivre dans le nouveau contexte que nous avons décrit ? Santé mentale au Québec peut-elle survivre au fait que le ministère de la Santé et des Services sociaux a choisi de ne plus lui accorder de soutien financier, de même que le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada qui a décidé de ne plus financer de revues dans le domaine de la santé ?

Les responsables de la revue font le pari que oui. Aussi ont-ils finalisé une entente avec le Département de psychiatrie de l’Université de Montréal pour qu’il assume l’entière responsabilité de la revue à partir du 1er avril 2013. Le Département de psychiatrie connaît un mouvement de renouveau en osant réintroduire, dans son cursus de formation, une maîtrise en études psychanalytiques de même que davantage de sciences humaines. Nous pensons qu’il s’agit là d’une occasion unique pour la revue d’être à nouveau partie prenante d’un projet novateur, et de retrouver ses racines. Le dynamisme et les ressources humaines et financières du Département sauront redonner un nouvel élan à la revue, de même que renouveler sa politique éditoriale. Mais surtout, la revue demeurera l’organe privilégié auquel les divers acteurs en santé mentale s’identifieront, et auquel ils seront fiers de communiquer leurs travaux.

Au terme de ce témoignage, il nous faut remercier tous ceux et celles qui nous ont accordé leur confiance en nous confiant leurs travaux. Ils sont si nombreux qu’il n’est pas possible de tous les mentionner. Aussi je me permets de mentionner les collaborateurs immédiats. D’abord monsieur Aimé Lebeau, président de la corporation Revue santé mentale au Québec depuis sa fondation. Il a été d’un soutien indéfectible tout au long de ces années. Merci Aimé pour ce travail dans l’ombre mais ô combien essentiel. Je remercie aussi les membres actuels du conseil d’administration qui ont accepté de s’impliquer dans le projet (Bernard St-Onge, Grégoire Tremblay, Dominique Gaucher et Jean Gagné), ainsi que plusieurs membres qui ont été actifs au conseil durant de nombreuses années : Marie-France Thibaudeau, Diane Sanesac, Mireille Tremblay, Hélène Richard, Gisèle Lebeuf, Suzanne Viau pour ne nommer que ceux et celles-là. Merci à Bernard Venne qui nous a fait bénéficier de ses judicieux conseils pour l’aspect financier du projet.

Il faut reconnaître le travail indispensable des artisans tels que Jean-François Saucier, membre de la revue depuis 1980 et rédacteur depuis 2001, qui a inlassablement commenté les articles, coordonné des numéros et su aider les collaborateurs et collaboratrices à améliorer leur texte. Merci Jean-François pour ta contribution inestimable. La même reconnaissance s’adresse à Marie Guertin, Monique Robitaille, Louise Hade, David Cohen et Alain Lesage qui ont été rédacteurs de la revue. Nous remercions les autres membres du comité de rédaction qui ont, tâche parfois ingrate, commenté les textes et fait des suggestions pour que les auteurs approfondissent leur démarche : Georges Aird, Francine Jacob, Lyne Langlois, Richard Saint-Jean, Colette Bouchard, Suzanne Lamarre, Nicole Russ, Hubert Wallot, Dominique Scarfone, Simone Landry, Yvon Lefebvre, Lucie Cantin, Christian Côté, Céline Mercier, Paul Morin, Hélène Richard, Louise Blais, Suzanne King, Madeleine Moulin, Maryvonne Gognalons-Nicolet, Claude Leclerc, Eric Baruffol, Raymonde Hachey, Mario Poirier, Louise Blanchette, Anne Crocker et les membres du dernier comité, parfois membre depuis plusieurs années : Charles Bonsack, Catherine Briand, Jean Caron, Prometheas Constantinides, Marie-Josée Fleury, Marcel Jaeger, Gilles Lauzon, Christian Laval, Isabelle Paquette, Hélène Provencher, Emmanuel Stip, John Ward. Un grand merci aux nombreux « guest editors » qui ont coordonné les numéros spéciaux au cours des ans, ainsi qu’aux membres des comités consultatif et scientifique international qui ont parrainé la revue. Un merci spécial aux évaluateurs externes qui ont pris de leur temps pour commenter les articles. La revue leur est infiniment redevable car on ne compte plus le nombre d’articles dont la qualité s’est grandement améliorée grâce à leurs commentaires.

Nos pensées vont à Guy Baillon et à Pierre Noël qui ont rendu possible une collaboration entre la revue L’Information psychiatrique et Santé mentale au Québec. Madame Suzanne Cloutier qui a assumé la responsabilité de l’édition avec grand professionnalisme. Monsieur Jacques Houver qui inlassablement a oeuvré pour que la revue soit connue en Europe. Madame France Bush, adjointe administrative et secrétaire depuis plus de 20 ans pour son implication et professionnalisme, ainsi que les nombreuses autres personnes qui ont accompli les mêmes tâches. Monsieur Régis Normandeau, infographiste, qui a travaillé sans relâche pour que la revue soit d’une grande qualité. Les imprimeries Gauvin et Les Presses solidaires (coopérative militante malheureusement fermée trop tôt) parmi les nombreuses imprimeries qui nous ont fait bénéficier de leurs services. Santé mentale et Communautés (Villeurbanne, France) qui parraine la revue depuis les années 90. Il ne faut pas oublier les bailleurs de fonds qui au cours des années ont apporté leur contribution : le ministère de la Santé et des Services sociaux, le Fonds Québécois de Recherche Société et Culture, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. D’autres organismes ont contribué ad hoc : le Fonds de la recherche en santé du Québec par exemple. Un merci spécial à la TÉLUQ qui nous a accueillis à un moment critique de notre histoire, et qui nous a soutenus. Nous terminons par un merci spécial aux fonctionnaires progressistes qui, au début des années 1990, ont cru à la revue en lui faisant obtenir une subvention récurrente du ministère de la Santé et des Services sociaux : Jeannine Auger et Raynald Gendron.

C’est le moment de se dire au revoir. C’est le moment de laisser à d’autres de rêver à un projet novateur et de lui insuffler vie. Nous sommes assurés qu’ils réussiront tant leur passion pour pérenniser Santé mentale au Québec est vive. Mais c’est aussi le moment pour notre équipe d’expérimenter de nouveaux projets d’édition en santé mentale basées sur l’expérience acquise. Nous sommes encore habités par le désir de la création, par cette nécessité de poursuivre le combat pour une société inclusive mais aussi ouverte à la différence.