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Problématique

La pratique des jeux de hasard et d’argent (JHA) est un phénomène qui ne cesse de croître à travers le monde (Hardoon et Derevensky, 2002 ; Huang et Boyer, 2007 ; Derevensky, 2008), notamment en raison du développement de l’offre de jeu sur Internet (Hardoon et Derevensky, 2002 ; Wood et Griffiths, 2004 ; Huang et Boyer, 2007 ; Griffiths et Barnes, 2008 ; Monaghan, 2009). Une étude de Wood et Williams (2007) a montré que la prévalence mondiale du jeu sur Internet a augmenté significativement depuis 2000, passant de 1,3 % à 6,5 %. Or, cette progression est alarmante en raison du lien entre la disponibilité des JHA et le jeu pathologique dans la population (Winters et al., 2002 ; Côté etal., 2003 ; Griffiths, 2003 ; Welte et al., 2004 ; Derevensky et Gupta, 2006 ; Griffiths, 2006 ; Wood et Williams, 2007).

La prévalence du jeu pathologique chez les adultes canadiens est d’environ 0,5 %, alors que 1,5 % des adultes seraient à risque de développer un problème de jeu (Marshall et Wynne, 2003). Au Québec, selon une enquête menée par Kairouz et al. (2010) sur les habitudes de JHA chez les adultes, la prévalence du jeu pathologique et du jeu considéré à risque s’élève respectivement à 0,7 % et à 1,3 %. Or, bien qu’aucune relation causale n’ait pu être montrée à ce jour entre le jeu Internet et le jeu pathologique (Derevensky et Gupta, 2007), on note tout de même que les joueurs Internet (JI) manifestent davantage de problèmes de jeu que les autres joueurs (Petry, 2006 ; Wiebe, et al., 2006 ; Petry et Weinstock, 2007 ; Wood et Williams, 2007 ; Griffiths et Barnes, 2008 ; Griffiths et al., 2009 ; McBride et Derevensky, 2009 ; Wood et Williams, 2009 ; Griffiths et al., 2010). Selon une étude canadienne, la prévalence du jeu pathologique chez des adultes adeptes des JHA sur Internet serait de trois à quatre fois plus élevée que celle trouvée chez les joueurs non Internet (Williams et Wood, 2009).

Par ailleurs, les études menées auprès de joueurs pathologiques adultes en traitement montrent que la criminalité liée au jeu existe et est même fréquente (Blaszczynsky et McConaghy, 1994 ; Chevalier et al., 2003 ; Toce-Gerstein et al., 2003 ; Folino et Abait, 2009). Parmi une cohorte de joueurs présentant un problème de jeu, 45 % ont révélé avoir déjà commis des crimes en lien avec leurs activités de JHA (Chevalier et al., 2003). Le financement des activités de jeu ou le remboursement de dettes sont les principaux motifs invoqués pour justifier cette criminalité (Ledgerwood et al., 2007). Ces actes illégaux prennent habituellement la forme de délits lucratifs incluant la vente de stupéfiants (Blaszczynsky et McConaghy, 1994 ; Chevalier et al., 2003 ; Blanco et al., 2008). D’autres auteurs ont observé qu’en présence de problèmes de consommation de substances psychoactives, des crimes de violence sont aussi probables (Folino et Abait, 2009).

À l’instar des adultes, la pratique des JHA est aussi une activité courante chez les adolescents (Derevensky et Gupta, 2004 ; Splevins et al., 2010). En Amérique du Nord, approximativement 15,3 millions d’adolescents auraient déjà joué au moins une fois à des JHA au cours de leur vie, ce qui correspond aux deux tiers de l’ensemble des adolescents âgés de 12 à 17 ans (Gupta, 2000 ; Jacobs, 2000, 2004). Au Québec, dans le cadre d’une vaste enquête menée par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) auprès d’élèves âgés de 12 à 18 ans, 37 % ont affirmé avoir joué au moins une fois à des JHA dans l’année précédant l’étude. On note aussi que 4,9 % de l’ensemble des élèves interrogés disent avoir fait de véritables mises par Internet durant cette même période (Martin et al., 2009).

Les adolescents qui font un usage régulier d’Internet (Liau et al., 2008) sont de plus en plus exposés à l’offre de JHA en ligne (Welte et al., 2004 ; Van Hamel et al., 2007). Ceci est inquiétant puisqu’il est reconnu que les jeunes seraient plus vulnérables que les adultes en ce qui concerne le développement de problèmes de jeu (Chambers et Potenza, 2003 ; Derevensky et al., 2003 ; Messerlian et al., 2004 ; Huang et Boyer, 2007 ; Messerlian et al., 2007 ; Dickson et al., 2008 ; Hansen et Rossow, 2008 ; Molde et al., 2009). Les taux de prévalence combinés des joueurs à risque et des joueurs pathologiques probables parmi une population d’élèves québécois du secondaire âgés de 12 à 18 ans atteindraient 6,1 % (Martin et al., 2009), ce qui est de loin supérieur à ce qui a été observé dans les travaux de Kairouz et al. (2010) auprès d’adultes.

Des études conduites auprès d’adolescents ont aussi fait ressortir que les problèmes de jeu affectent plus les garçons que les filles, ceux-ci s’avérant proportionnellement plus nombreux à présenter des problèmes de jeu que les filles (Derevensky et Gupta, 2000 ; Griffiths, 2000 ; Welte et al., 2004 ; Desai et al., 2005 ; Moodie et Finnigan, 2006 ; Huang et Boyer, 2007 ; Lussier et al., 2007 ; Van Hamel et al., 2007 ; Barnes et al., 2009 ; Martin et al., 2009 ; Molde et al., 2009). Gupta (2000) rapporte un ratio de trois garçons pour une fille vivant des problèmes de jeu. Selon des études, les garçons commenceraient à jouer plus précocement, joueraient plus souvent (Stinchfield, 2002 ; Barnes et al., 2009), plus longtemps (Byrne et al., 2005), avec des mises plus importantes que les filles (Gupta, 2000 ; Stinchfield, 2002). Enfin, les quelques études qui se sont attardées à la question du jeu sur Internet chez les adolescents ont montré qu’une proportion plus élevée de jeunes joueurs pathologiques se trouvaient parmi les joueurs en ligne que parmi les joueurs non Internet (Byrne, 2004 ; Messerlian et al., 2004 ; Parker et al., 2008 ; Potenza et al., 2011). Le genre des adolescents et leur profil de joueur (Internet vs non Internet) semblent influencer la problématique du jeu.

D’autres études ont aussi mis en lumière l’existence de liens entre la commission d’actes délinquants et la gravité du jeu chez les adolescents (Fisher, 1993 ; Gupta et Derevensky, 1998 ; Jacobs, 2000 ; Vitaro et al., 2001 ; Barnes et al., 2005 ; Wanner et al., 2006). Entre autres, des études de trajectoires montrent que les jeunes joueurs qui ont des problèmes de jeu sont plus susceptibles que les autres joueurs de s’engager dans une trajectoire délinquante (Ladouceur et al., 1994 ; Wynne et al., 1996 ; Stinchfield, 2000 ; Vitaro et al., 2001 ; Hardoon et al., 2004). L’étude de Ladouceur et al. (1999) a montré quant à elle que les jeunes joueurs pathologiques probables obtiennent un score plus élevé sur l’échelle de la délinquance comparativement aux joueurs à risque qui obtiennent un score plus élevé que les joueurs non problématiques. Cette délinquance reliée au jeu chez les adolescents prendrait le plus souvent la forme de vols, de fraudes et de violence envers les personnes (Ladouceur et al., 1999 ; Vitaro et al., 2007). La présence de pairs déviants dans l’entourage du jeune joueur pathologique aurait aussi une influence sur son implication dans des activités de délinquance lucrative (Vitaro et al., 2001 ; Hussong et al., 2004 ; Wanner et al., 2009).

Les études s’intéressant au lien entre la gravité du jeu et la délinquance ont pour la plupart ciblé les délits lucratifs. Pourtant, il est reconnu que la délinquance des adolescents est plutôt variée. Selon Thomas (2008), cette délinquance se présente surtout sous la forme de crimes contre les biens, incluant des délits lucratifs (38 %) et des crimes contre la personne (27 %). Les infractions les plus fréquentes sont le vol (14 %), les voies de fait simples (10 %), l’introduction par effraction (9 %), les méfaits (7 %) et la possession de biens volés (6 %) (Thomas, 2008). Des travaux ont aussi mis en évidence que les garçons commettraient davantage de délits graves que les filles (Lanctôt et Le Blanc, 2000), tandis que celles-ci commettraient surtout des délits mineurs, en particulier des vols à l’étalage, et seraient aussi plus nombreuses à se livrer à la prostitution (Brunelle et al., 2005). La violence des filles se traduirait par une forme d’agressivité plus indirecte consistant à ridiculiser, à dénigrer, à isoler autrui (Owens et MacMullin, 1995), de même qu’à manipuler et répandre des rumeurs (Sanchez, 2008). Ce type de violence, appelé violence relationnelle, s’avère en effet plus présent chez les filles que chez les garçons (Moretti et al., 2001 ; Sullivan et al., 2006 ; Ellis et al., 2008 ; Sanchez, 2008 ; Skara et al., 2008).

En somme, à ce jour, peu d’études ont tenté d’expliquer les relations entre la gravité du jeu, le jeu par Internet et les comportements délinquants chez des adolescents (Meyer et Stadler, 1999 ; Wynne, 2002 ; Chevalier et al., 2004 ; Williams et al., 2005). Les liens entre la gravité du jeu et la violence relationnelle sont encore moins étudiés. Il reste beaucoup à faire afin de mieux comprendre la nature des liens entre ces phénomènes. Cet article poursuit donc deux objectifs principaux : 1) dresser un portrait des habitudes de JHA des filles et des garçons de l’échantillon ; et 2) examiner les liens entre la gravité du jeu, le jeu Internet et diverses conduites déviantes, séparément selon le genre des participants. Les conduites déviantes examinées sont : la délinquance grave, la violence relationnelle ainsi que les conduites déviantes clandestines et manifestes, telles que définies par Le Blanc (2010).

Méthode

Échantillon

L’échantillon de convenance est composé d’élèves fréquentant des écoles secondaires situées dans les régions de Montréal, de Québec et de la Mauricie-Centre-du-Québec. Chacune des trois régions comporte deux écoles, une école publique et une autre du secteur privé. Les indices du seuil de faible revenu (SRF) et celui du milieu socio-économique (IMSE) des écoles publiques sont respectivement de 1, 3 et 5 (SRF) et de 5, 7 et 6 (IMSE). Plus les indices se rapprochent de 10, plus ces derniers indiquent un niveau élevé de défavorisation (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008).

Au total, 1870 élèves (54,1 % = filles) de troisième (33,2 %), quatrième (32,8 %) ou cinquième secondaire (31,6 %) en classe régulière ou en adaptation scolaire (2,4 %) forment l’échantillon. Les participants sont majoritairement d’origine canadienne ou québécoise (92,4 %) et font partie d’une famille traditionnelle composée du père et de la mère biologiques (75,7 %). L’âge moyen est de 15,43 ans (é.t. = 0,97). Le taux de participation des élèves est de 96 % pour l’ensemble des écoles. Seulement huit participants ont été retirés de la base de données initiale (n = 1878) à la suite d’un examen de la qualité de leurs réponses.

Instruments

Après avoir rempli un formulaire de consentement, les élèves ont été invités à remplir des questionnaires sous la supervision d’assistants de recherche pendant une période de classe. Différents instruments ont été utilisés afin de mesurer la prévalence et la gravité du jeu et de la délinquance manifestée par les jeunes répondants participant à l’étude.

Jeu

La gravité du jeu a été évaluée à partir de l’instrument DSM-IV-MR-J de Fisher (2000). L’outil comprend neuf domaines (la préoccupation pour le jeu, la tolérance ou le besoin de miser plus d’argent pour obtenir un même niveau d’excitation, les symptômes de sevrage, la fuite des problèmes, les tentatives de « se refaire », les mensonges, les comportements illégaux, les troubles au sein de la famille, les difficultés scolaires et les soucis financiers) présentés en 12 items. En se référant aux 12 derniers mois, les jeunes joueurs devaient indiquer la fréquence à laquelle chacune de ces manifestations les avait affectés à partir d’une échelle de type Likert en quatre points (jamais, une ou deux fois, quelques fois, souvent). Un score de 0 est accordé aux réponses « jamais » et un score de 1 est attribué aux autres réponses. Ces données dichotomiques sont par la suite additionnées pour déterminer la gravité des problèmes de jeu. En suivant les critères proposés par Fisher (2000), trois catégories de joueurs sont dégagées : les non-joueurs (NJ : adolescents ayant dit ne pas avoir joué dans les 12 derniers mois), les joueurs non problématiques (JNP : adolescents pour lesquels l’addition catégories donne 0 ou 1) et les joueurs problématiques (JP : adolescents pour lesquels l’addition donne 2 et plus, combinant les joueurs à risque ou pathologiques probables). La consistance interne de l’instrument s’avère satisfaisante (alpha de Cronbach = 0,75 ; Fisher, 2000).

L’ajout de questions concernant les pratiques des adolescents du jeu sur Internet a permis de créer deux catégories particulières, soit les joueurs non Internet (JNI : jeunes qui ont joué dans les 12 derniers mois sans avoir joué sur Internet) et les joueurs Internet (JI : jeunes qui ont rapporté des expériences de JHA sur Internet). Les JHA sur Internet peuvent avoir été pratiqués en mode DÉMO (sites de démonstration sans engagement d’argent véritable), en mode ARGENT (avec de véritables mises monétaires) ou selon ces deux modalités (DÉMO et ARGENT). Bien que le jeu Internet en mode DÉMO n’entraîne pas l’engagement de mises monétaires, cette modalité constitue tout de même une véritable expérience de JHA (Derevensky et Gupta, 2007) justifiant l’inclusion de ces joueurs dans le groupe de JI.

Violence relationnelle et activités délinquantes

La violence relationnelle et les activités délinquantes ont été mesurées à partir du MASPAQ (Mesures de l’adaptation sociale et personnelle pour adolescents québécois, Le Blanc, 2010). Le répondant doit indiquer la fréquence à laquelle il a commis le comportement décrit au cours des 12 derniers mois sur une échelle de Likert en quatre points (jamais à très souvent). L’échelle de violence relationnelle comprend cinq items (ex. : alors que tu étais fâché contre quelqu’un, as-tu dit aux autres : « Je ne veux pas de lui/d’elle dans notre groupe » ?). Les activités délinquantes quant à elles se divisent en trois échelles : la délinquance grave, les conduites déviantes clandestines, et celles manifestes. L’échelle de délinquance grave inclut quatre items faisant référence aux infractions les plus graves contre les personnes et contre les biens (ex. : avoir pris et gardé un bien d’une valeur de 150 $ ou plus et qui ne t’appartenait pas). Les conduites déviantes clandestines comptent trois sous-échelles : la fraude, comprenant deux items (ex. : avoir utilisé des fausses cartes pour entrer quelque part), les vols, comprenant six items (ex. : avoir pris et gardé un bien d’une valeur de moins de 20 $ qui ne t’appartenait pas) et les vols de véhicules à moteur, comprenant quatre items (ex. : avoir pris une motocyclette pour faire un tour, sans la permission du propriétaire). Les conduites déviantes manifestes incluent deux sous-échelles : le vandalisme, qui comprend trois items (ex. : avoir détruit ou brisé par exprès quelque chose qui ne t’appartenait pas) et la violence interpersonnelle qui compte 12 items (ex. : avoir menacé et malmené les autres pour avoir ce que tu voulais). Dans le cas de la présente étude, les données ont été analysées à partir des scores cliniques. Les réponses initiales aux différents items se référant aux 12 derniers mois ont été recodées en scores dichotomiques (0 = jamais ; 1 = autres réponses). Ces scores dichotomiques ont ensuite été additionnés afin de faire ressortir la variété des comportements adoptés dans la dernière année. Finalement, ces scores ont été ajustés en fonction de l’âge et du genre des participants, ce qui permet de les positionner sur un continuum dont la zone de normalité se situe entre 40 et 60. Un score inférieur à 40 ou supérieur à 60 dénote un problème franchissant le seuil clinique prescrit (Le Blanc, 2010). L’indice de fidélité (alpha de Cronbach) est de 0,64 pour la violence relationnelle, de 0,70 pour l’échelle de délinquance grave, de 0,41 pour la sous-échelle des fraudes, de 0,74 pour celle des vols, de 0,50 pour celle des infractions liées aux véhicules à moteur, de 0,54 pour celle du vandalisme et de 0,82 pour la violence interpersonnelle. Ces indices sont satisfaisants et adéquats, considérant que les coefficients les plus faibles se rapportent aux sous-échelles comprenant un petit nombre d’items.

Résultats

Le jeu selon le genre des participants

Parmi les 1870 élèves interrogés, 58,4 % sont des non-joueurs, 37,0 % sont des joueurs non problématiques (JNP) et 4,6 % sont des joueurs problématiques (JP). Le pourcentage des garçons dans la catégorie des joueurs problématiques (6,8 %) est plus de deux fois supérieur à celui des filles (2,8 %). Un lien significatif entre la catégorie de joueurs et le genre est mis en évidence par un test du khi-carré (Χ2(2, n = 1870) = 19,85, p < 0,001).

Les activités de jeux de hasard et d’argent (JHA) auxquelles les jeunes joueurs ont participé au moins une fois au cours des 12 derniers mois sont par ordre d’importance : les paris entre amis (69,7 %), les jeux de cartes (ex. : poker) (49,4 %), les loteries instantanées à gratter (35,5 %), les paris sportifs (27,4 %), les jeux d’habiletés (ex. : billard) (17,5 %), le bingo en salle (16,2 %), les loteries (14,3 %), les appareils de loterie vidéo (9,5 %), les dés (9,5 %), aller au casino (4,2 %) et des Mise-o-jeu (3,9 %). Des différences liées au genre des joueurs sont observées dans le cas de sept activités de JHA (voir tableau 1). Une proportion significativement supérieure de joueurs que de joueuses indique s’adonner aux paris entre amis, aux jeux de cartes, aux paris sportifs, aux jeux d’habiletés, aux dés et à la loterie Mise-o-jeu. Par ailleurs, le pourcentage des joueuses qui rapportent avoir gratté des loteries instantanées est significativement plus grand que celui noté chez les joueurs.

Tableau 1

Distribution des types de JHA pratiqués au cours de la dernière année selon le genre

Distribution des types de JHA pratiqués au cours de la dernière année selon le genre

Note. ALV = Appareils de loterie vidéo.

*p < 0,05 ; ***p < 0,001.

1

Mise-o-jeu est une loterie étatisée gérée par Loto-Québec où le joueur est appelé à faire des paris sportifs.

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Parmi les adolescents qui disent avoir joué au moins une fois au cours des 12 derniers mois, 38,2 % rapportent avoir fait des mises sur Internet. Une proportion deux fois plus élevée de joueurs (53,1 %) que de joueuses (23,5 %) a rapporté avoir participé à des JHA sur Internet (Χ2(1, n = 778) = 72,33, p < 0,001). Aucune différence significative n’est apparue entre les joueurs et les joueuses sur Internet quant aux modalités de JHA sur Internet qu’ils ont choisies dans la dernière année. Ainsi, 78,1 % des joueurs et des joueuses sur Internet signalent avoir joué en mode démo, 4,4 % en mode argent, alors que 17,5 % révèlent avoir joué sous les deux modes dans la dernière année.

Jeu et conduites déviantes

Chez les adolescents

Le tableau 2 présente les scores moyens de gravité des conduites déviantes en fonction des catégories de joueurs (NJ, JNP, JP) et les résultats obtenus aux analyses de variance pour l’échantillon masculin. Les résultats montrent des différences significatives (p < 0,001) dans le cas des sept conduites prises en compte dans cette étude : violence relationnelle, délinquance grave, fraude, vols, vols de véhicules à moteur, vandalisme, violence interpersonnelle. Des analyses a posteriori (Hochberg, GT2) révèlent que les garçons JP obtiennent des scores moyens supérieurs aux JNP et aux NJ pour toutes les activités déviantes mesurées. Les scores de gravité associés à la fraude et à la violence interpersonnelle, pour leur part, sont significativement plus élevés chez les garçons JNP que chez les NJ.

Tableau 2

Scores moyens des conduites déviantes en fonction des catégories de joueurs et résultats des analyses de variance pour l’échantillon masculin (n = 858)

Scores moyens des conduites déviantes en fonction des catégories de joueurs et résultats des analyses de variance pour l’échantillon masculin (n = 858)

Note. NJ = non-joueurs ; JNP = joueurs non problématiques ; JP = joueurs problématiques.

*** p < 0,001.

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Des analyses de différences de moyennes (t-test) sur les conduites déviantes en fonction du fait d’avoir joué ou non sur Internet (JNI, JI) au cours des 12 derniers mois ont aussi été réalisées pour l’échantillon masculin (tableau 3). Les résultats montrent que les JI se distinguent des JNI sur deux des activités délinquantes étudiées, soit la fraude (conduite déviante clandestine) et le vandalisme (conduite déviante manifeste). Les JI présentent un score moyen de gravité significativement plus élevé sur ces deux conduites déviantes que les JNI.

Tableau 3

Scores moyens des conduites déviantes en fonction du fait de jouer ou non sur Internet et résultats des tests de différences de moyennes pour l’échantillon masculin (n = 386)

Scores moyens des conduites déviantes en fonction du fait de jouer ou non sur Internet et résultats des tests de différences de moyennes pour l’échantillon masculin (n = 386)

Note. JNI = joueurs non Internet 12 derniers mois ; JI = joueurs Internet 12 derniers mois.

* p < 0,05 ; ** p < 0,01.

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Les garçons JI ont été comparés entre eux selon les modalités de JHA sur Internet qu’ils ont choisies dans la dernière année. Deux groupes ont été créés, les JI qui rapportent des expériences de JHA par Internet en mode démo seulement et les JI qui ont fait de véritables mises monétaires au moins une fois (en mode argent : avec ou sans JI en mode démo). Les résultats montrent que les JI en mode démo seulement se distinguent des joueurs en mode argent sur certaines conduites déviantes (tableau 4). Les joueurs en mode argent obtiennent des scores significativement plus élevés à l’échelle de délinquance grave, aux conduites déviantes clandestines liées à la fraude, aux vols de même qu’aux deux conduites déviantes manifestes étudiées, soit le vandalisme et la violence interpersonnelle.

Tableau 4

Scores moyens des conduites déviantes en fonction du mode de jeu Internet et résultats des tests de différences de moyennes pour l’échantillon masculin (n = 204)

Scores moyens des conduites déviantes en fonction du mode de jeu Internet et résultats des tests de différences de moyennes pour l’échantillon masculin (n = 204)

Note. * p < 0,05 ; ** p < 0,01.

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Les associations entre les conduites déviantes et le fait d’avoir joué (score 1) ou non (score 0) au cours des 12 derniers mois sont significatives à des seuils de probabilité variant de 0,05 à 0,001 (tableau 5). Les coefficients des corrélations bisérielles de point les moins forts sont entre le fait d’avoir joué ou non et la violence relationnelle (r = 0,08, p < 0,05) ou les vols de véhicules à moteur (r = 0,07, p < 0,05). D’autres analyses de corrélations bisérielles de point effectuées entre la participation au jeu sur Internet (oui = score 1 ; non = score 0) au cours des 12 derniers mois et les conduites déviantes laissent voir que seulement deux relations sont positives et significatives : 1) avoir joué sur Internet et la fraude (r = 0,12, p < 0,05) ; 2) avoir joué sur Internet et le vandalisme (r = 0,15, p < 0,01).

Tableau 5

Corrélations (Pearson, bisérielles de point) entre les conduites déviantes étudiées selon le genre des participants

Corrélations (Pearson, bisérielles de point) entre les conduites déviantes étudiées selon le genre des participants

Note. 1 = Violence relationnelle ; 2 = Fraude ; 3 = Vols ; 4 = Vols de véhicules à moteur ; 5 = Vandalisme ; 6 = Violence interpersonnelle ; 7 = Délinquance grave ; 8 = Le fait d’avoir ou non joué au cours des 12 derniers mois NJ (0), J(1) ; 9 = Le fait d’avoir ou non joué sur Internet au cours des 12 derniers mois JNI (0) JI (1).

Au-dessus de la diagonale, corrélations pour l’échantillon masculin. Au-dessous de la diagonale, corrélations pour l’échantillon féminin. * p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001.

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Chez les adolescentes

Le tableau 6 présente les scores moyens des conduites déviantes en fonction des catégories des joueurs (NJ, JNP, JP) et les résultats des analyses de variance pour l’échantillon féminin. Des différences significatives liées aux catégories de joueuses sont observées pour toutes les conduites déviantes étudiées. Des analyses a posteriori (Hochberg, GT2) montrent que les filles JP obtiennent des scores moyens de gravité de violence relationnelle, de délinquance grave, de conduites déviantes clandestines (fraude, vols, vols de véhicules à moteur) et de conduites déviantes manifestes (vandalisme, violence interpersonnelle) plus élevés que les NJ et les JNP. Une particularité qui touche les filles comparativement aux garçons réside dans le fait que les différences significatives concernant le vandalisme sont moins claires, et les analyses a posteriori ne permettent pas d’identifier les écarts selon la gravité du jeu. Contrairement aux garçons, les filles JNP se distinguent peu des NJ, la seule différence observée touchant les vols qui paraissent significativement plus fréquents chez les filles JP que chez les JNP et les NJ.

Tableau 6

Scores moyens des conduites déviantes en fonction des catégories de joueurs et résultats des analyses de variance pour l’échantillon féminin (n = 1012)

Scores moyens des conduites déviantes en fonction des catégories de joueurs et résultats des analyses de variance pour l’échantillon féminin (n = 1012)

Note. NJ = non-joueurs ; JNP = joueurs non problématiques ; JP = joueurs problématiques.

** p < 0,01 ; *** p < 0,001.

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Les relations entre le fait d’avoir joué (score 1) ou non (score 0) au cours des 12 derniers mois et les conduites déviantes varient chez les adolescentes. Deux relations sont positives et significatives à un seuil de 0,05. Le fait d’avoir joué est en lien avec la violence interpersonnelle (r = 0,07) et la délinquance grave (r = 0,07). Quatre liens sont positifs et significatifs à un seuil de 0,01. Ces relations concernent le fait d’avoir joué avec plus de vandalisme (r = 0,08), de vols de véhicules à moteur (r = 0,09), de violence relationnelle (r = 0,09) et de vols (r = 0,10). Une association également positive et significative, cette fois à un seuil de signification de 0,001, met en lien le fait d’avoir joué à la présence de plus de fraudes (r = 0,13). D’autres analyses de corrélations (bisérielles de point) montrent que le fait d’avoir joué sur Internet au cours des 12 derniers mois (score 1) est en lien avec la présence plus grande de violence relationnelle (r = 0,15, p < 0,01), de vols (r = 0,15, p < 0,01), de fraude (r = 0,17, p < 0,001) et de violence interpersonnelle (r = 0,20, p < 0,001) chez les filles, contrairement au fait de ne pas avoir joué sur Internet durant la même période (tableau 5).

Des analyses de différences de moyennes (t-test) sur les conduites déviantes en fonction du fait d’avoir joué ou non sur Internet (JNI, JI) au cours des 12 derniers mois ont aussi été réalisées. Les résultats montrent la présence de cinq différences significatives comparativement à deux trouvées chez les garçons JI ou JNI. Les différences observées chez les filles indiquent que les JI ont un score moyen de gravité de violence relationnelle, de délinquance grave, de fraude, de vols et de violence interpersonnelle plus élevé que les JNI (tableau 7). Aucune différence significative n’a été trouvée dans une exploration des conduites déviantes en fonction de la modalité de JHA sur Internet (en mode démo ou en mode argent) rapportés par les filles JI.

Tableau 7

Scores moyens des conduites déviantes en fonction du fait de jouer ou non sur Internet et résultats des tests de différences de moyennes pour l’échantillon féminin (n = 392)

Scores moyens des conduites déviantes en fonction du fait de jouer ou non sur Internet et résultats des tests de différences de moyennes pour l’échantillon féminin (n = 392)

Note. JNI = joueurs non Internet 12 derniers mois ; JI = joueurs Internet 12 derniers mois.

* p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001.

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Discussion et conclusion

Le premier objectif de cet article visait à préciser les types de JHA pratiqués par les jeunes de cette étude. Les paris entre amis, les jeux de cartes, les loteries instantanées (gratteux) et les paris sportifs sont les activités de JHA les plus populaires. Également, tel qu’observé par Martin et al. (2009), les garçons s’adonnent davantage à des paris entre amis, aux jeux de cartes et aux paris sportifs que les filles. Celles-ci se démarquent des garçons en achetant davantage de loteries instantanées (gratteux). Il semble ainsi que les activités de JHA des garçons impliquent davantage un aspect de socialisation que celles des filles. À cet égard, Griffiths (1991) indique que les activités de JHA sont souvent décrites par les adolescents comme étant des occasions de se trouver entre amis, de s’amuser en groupe. Aussi, à l’instar des résultats obtenus dans différentes études (Barnes et al., 2009 ; Derevensky et al., 2010), on constate que les garçons sont proportionnellement plus nombreux que les filles à être des joueurs problématiques. Ils s’adonnent aussi davantage à des JHA sur Internet que les filles, ce qui correspond cette fois aux résultats de l’enquête de l’ISQ menée en 2008 auprès d’élèves québécois du secondaire (Martin et al., 2009).

En ce qui concerne le deuxième objectif poursuivi dans cet article, soit d’examiner la présence de liens possibles entre la gravité du jeu, le jeu Internet et les conduites déviantes chez les garçons, d’une part, et chez les filles, d’autre part, plusieurs constats ressortent. D’abord, chez les garçons, comme chez les filles, les joueurs problématiques présentent des scores cliniques plus élevés que les joueurs non problématiques en ce qui a trait à la violence relationnelle, la délinquance grave, la fraude, le vol de véhicules à moteur, le vandalisme et la violence interpersonnelle. La gravité du jeu est donc reliée à la fois à des conduites déviantes clandestines et manifestes tant chez les joueurs que chez les joueuses. Cette étude ne permet toutefois pas d’établir de lien de causalité entre la gravité du jeu et l’implication dans les diverses conduites déviantes, mais révèle une association importante qui pourrait aller dans le sens d’une cooccurrence de ces conduites à l’adolescence, rappelant la notion du syndrome général de déviance décrite par Donovan et Jessor (1985). Selon ces auteurs, et tel qu’observé par Vitaro et al. (2001), les différentes conduites déviantes partagent souvent des facteurs de risque communs dont la résultante est la concomitance des problématiques.

Par ailleurs, les résultats obtenus montrent aussi que le fait de présenter des problèmes de JHA change la configuration des différences de genre habituellement observées dans les données sur la délinquance et autres conduites déviantes. Il est intéressant de constater que les écarts habituellement observés chez les garçons et les filles quant à la gravité de certaines conduites déviantes sont absents en présence de problèmes de jeu. Par exemple, la délinquance grave est généralement plus le fait des garçons que des filles (Lanctôt et Le Blanc, 2000). D’autres études conduites auprès d’élèves montrent que les filles se démarquent des garçons sur le plan de la violence relationnelle (Ellis et al., 2008 ; Sanchez, 2008). Les résultats obtenus montrent que la gravité des problèmes de jeu est associée à la délinquance grave et à la violence relationnelle, peu importe que l’on soit un joueur ou une joueuse.

Il est important de rappeler d’entrée de jeu que l’originalité de la présente étude repose sur le fait que les liens entre le jeu Internet et les conduites déviantes chez les adolescents sont très peu documentés. En ce sens, les résultats obtenus montrent que les joueurs et les joueuses qui participent à des JHA par Internet se distinguent des joueurs non Internet quant à la gravité des conduites déviantes associées. Les joueuses Internet se démarquent des joueuses non Internet en regard de cinq formes de comportements déviants : délinquance grave, violence relationnelle, fraude, vols et violence interpersonnelle. Les joueurs Internet se distinguent quant à eux seulement sur deux formes de comportements déviants par rapport aux joueurs non Internet : la fraude, une conduite déviante clandestine, et le vandalisme, une conduite déviante manifeste. Le lien avec le vandalisme apparaît difficilement explicable, quoique cela puisse être une autre manifestation du syndrome de déviance générale évoqué plus haut. Pour ce qui est des conduites clandestines, on peut comprendre que la fraude et les vols soient reliés au jeu Internet — comme d’ailleurs aux JHA de manière générale. Les activités de JHA étant illégales pour les mineurs et les revenus des adolescents étant limités, la fraude et les vols pourraient vraisemblablement constituer des moyens de financement du jeu Internet. Pensons plus particulièrement au vol et à la fraude de cartes de crédit pour miser de l’argent réel sur Internet. Brunelle et al. (2000) avaient déjà documenté un lien économique important entre la délinquance et la consommation de SPA à l’adolescence en raison des ressources financières plus limitées des mineurs en comparaison de celles des adultes. Il est probable que le même phénomène s’applique aussi au jeu chez les adolescents.

Enfin, les garçons qui jouent sur Internet avec de l’argent réel présentent un score clinique plus élevé à la délinquance grave, la fraude, le vol, le vandalisme et la violence interpersonnelle, comparativement à ceux qui s’adonnent à des JHA sur Internet seulement en mode démo. Il n’est pas surprenant que les délits lucratifs ou clandestins soient associés au fait de jouer de l’argent réel sur Internet, d’autant que les ressources financières légales des adolescents sont généralement limitées. Il est important de rappeler que bien que cette étude ne permette pas d’affirmer que le fait de miser de l’argent réel sur Internet cause une implication déviante plus importante chez les garçons, l’association qu’elle révèle entre les deux comportements soulève un doute suffisant pour proposer que des efforts préventifs dans le domaine des JHA portent sur l’évitement ou le retardement du passage du jeu Internet en mode démo à celui en mode argent réel, particulièrement chez les garçons. Il s’agit d’un défi important de l’intervention préventive puisqu’il est montré que les sites de JHA sur Internet utilisent des stratégies favorisant le développement de la croyance qu’il est possible, voire systématique, de faire des gains substantiels en misant de l’argent réel sur Internet (Sévigny et al., 2005). Une voie à explorer consisterait à tenter de prévenir la participation des mineurs aux JHA sur Internet, pour qui cette pratique est illégale tout en étant reliée à des problèmes souvent importants de jeu et de délinquance. Le contrôle parental des sites Internet accessibles aux adolescents pourrait être une voie d’action à privilégier, mais des indices laissent entrevoir qu’une telle action ne va pas de soi. Ceci commanderait non seulement une certaine éducation technologique des parents, mais aussi, et surtout, une volonté de leur part d’exercer un contrôle sur les habitudes sur Internet de leurs adolescents. Selon les jeunes participants, leurs parents contrôlent davantage le temps qu’ils passent sur Internet que le contenu exploré (Brunelle et al., 2009).

Les résultats présentés dans cet article contribuent à parfaire les connaissances au sujet des liens entre la gravité du jeu, le jeu Internet et les conduites déviantes à l’adolescence. En s’attardant aux manifestations de délinquance grave, de violence interpersonnelle et relationnelle, aux conduites déviantes clandestines et manifestes, il a notamment été possible de constater que la délinquance lucrative, clandestine, n’est pas la seule à être reliée aux JHA ou à la gravité du jeu chez les adolescents. L’étude des conduites déviantes associées aux habitudes de jeu Internet des joueurs et des joueuses constitue également un apport important. Avec le développement de l’offre de JHA sur Internet, il est d’autant plus pertinent de se pencher sur cette question. Une analyse plus poussée de tous les items spécifiques à chacune des conduites déviantes étudiées permettrait d’éclairer davantage ces liens.

Enfin, cette étude ne permet pas d’établir de liens de causalité entre la gravité du jeu, le jeu Internet et les conduites déviantes à l’adolescence, ni de faire état de la séquence développementale des conduites étudiées. Il serait important que les projets de recherche ultérieurs sur le sujet s’inscrivent dans un devis longitudinal. Quoi qu’il en soit, en confirmant la présence d’une association entre la gravité du jeu, la pratique du jeu sur Internet, et différentes conduites déviantes à l’adolescence, nos résultats militent en faveur du développement d’initiatives de prévention des habitudes de jeu problématiques chez les jeunes, qui plus est dans un contexte où l’offre de jeux sur Internet est en plein essor.