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Les extraits d’humour présentés dans l’article qui suit ont été collectés lors d’entretiens de couples effectués entre 2005 et 2009 en Suisse francophone. Les conjointes et conjoints de 25 ménages, âgés de 25 à 45 ans, tous mariés avec des enfants à charge[1], ont été interrogés séparément avant l’entrevue collective. La comparaison des entretiens individuels a servi de base à l’élaboration du guide d’entretien commun. Il s’agissait de voir, à l’instar de Kaufmann (1992), si une fois réunis les partenaires adoptaient un discours commun sur leur organisation financière. Cette hypothèse s’est révélée partiellement fausse. Les femmes et les hommes sont restés congruents avec ce qu’ils avaient dit lors des entretiens individuels, laissant apparaître dans certains ménages des divergences d’appréciation et de perception de leur situation. Ces divergences ne semblaient pas avoir suscité de discussions et la plupart des partenaires s’y confrontaient pour la première fois. Les entretiens collectifs ont ainsi mis en évidence l’absence de négociation et d’explicitation autour des questions d’argent lorsque celles-ci impliquaient des rapports de pouvoir ou la défense de ses intérêts personnels. Mes questions qui tentaient de soulever le voile ont parfois provoqué de la réticence, des tensions et un certain malaise chez mes interlocuteurs et interlocutrices. Elles ont aussi suscité beaucoup d’humour et de rires, ces différentes émotions se relayant parfois au cours du même entretien.

L’analyse des entretiens collectifs par la démarche méthodologique de la théorie ancrée (grounded theory) a mis en évidence le rôle central des femmes en tant que productrices d’humour. Bien plus souvent que les hommes, elles prenaient le parti du rire et de la plaisanterie. Leurs traits d’humour et d’ironie portaient sur la situation économique de la famille, sur leur propre attitude ou celle de leur partenaire durant l’entretien ou encore sur l’écart entre leurs attentes en matière de comportements amoureux et l’attitude de leur partenaire. Cependant, le principal objet de leurs plaisanteries concernait les rapports de genre et les inégalités au sein du couple.

Dans le présent article, je me propose d’examiner plus particulièrement cette dernière forme d’humour et d’en explorer la fonction : pourquoi les femmes recourent-elles davantage que leur conjoint aux rires et à l’ironie dans les entretiens collectifs?

Le va-et-vient constant (Glaser et Strauss 1967) entre des théories sur l’humour qui ne portent pas nécessairement sur les femmes ou le cadre domestique et les données empiriques met en lumière la spécificité de l’humour féminin dans la sphère conjugale. En Suisse où les mères de famille vivent en partielle dépendance économique, le recours à l’humour peut s’analyser comme une compétence sociale mobilisée par les femmes pour subvertir les rapports de pouvoir, gérer et réguler les inégalités domestiques.

« Parlez-moi d’humour »

Les travaux anthropologiques sur la parenté et les relations à plaisanterie ont démontré que l’humour et l’ironie sont des expressions culturelles qui nécessitent un certain nombre de prérequis socioculturels (Radcliffe-Brown 1940). En ce sens, le choix des extraits à venir a sans doute été conditionné par ma propre sensibilité et mes représentations de l’humour et du comique. Bien que j’aie mobilisé un certain nombre d’indicateurs pour sélectionner les extraits, comme l’accompagnement de rires ou d’autres signes difficiles à retranscrire indiquant que les propos tenus n’étaient pas à prendre au premier degré (le ton utilisé, le regard ou les gestes), il me semble important de préciser à partir de quelles définitions s’est opérée l’analyse.

Pour en reprendre la définition communément admise, l’humour est une « forme d’esprit railleuse qui attire l’attention, avec détachement, sur les aspects plaisants ou insolites de la réalité ». L’ironie, quant à elle, est une « figure de rhétorique par laquelle on dit le contraire de ce qu’on veut faire comprendre ». Par extension, on la considère aussi comme une « moquerie sarcastique qui utilise, le ton ou l’attitude aidant, cette figure de style »[2].

Dans son essai sur le rire, Bergson précise cette définition :

Tantôt on énoncera ce qui devrait être en feignant de croire que c’est précisément ce qui est : en cela consiste l’ironie. Tantôt, au contraire, on décrira minutieusement et méticuleusement ce qui est, en affectant de croire que c’est bien là ce que les choses devraient être : ainsi procède souvent l’humour.

Considérés comme des expressions satiriques de cette dissonance entre « ce qui est » et « ce qui devrait être », l’humour et l’ironie ne sont pas distingués dans mon étude. Ces mots d’esprit tirant leur sel d’une réalité bien spécifique, il me semble central, si l’on veut en rendre l’analyse intelligible, de présenter le contexte socioculturel dans lequel ils s’inscrivent (Radcliffe-Brown 1940).

L’humour en contexte

Au moment de nos entretiens, les couples interrogés expérimentent de manière particulièrement prégnante cette dissonance entre « ce qui est » et « ce qui devrait être ». D’un côté, ils affirment souscrire aux normes[3] contemporaines d’égalité, d’autonomie, d’indépendance et d’indifférenciation des rôles au sein du couple (Kellerhals et Widmer 2005; Roux et autres 1999). De l’autre, l’arrivée des enfants les a conduits à adopter une division traditionnelle des rôles à la suite de la diminution du taux d’activité professionnelle féminin. Comme c’est le cas dans la majorité des familles suisses hétérosexuelles avec enfants, l’homme exerce une activité professionnelle à temps plein et la femme à temps partiel[4]. En Suisse où l’on privilégie une politique familiale libérale non interventionniste[5], la flexibilité du temps de travail féminin et le partage sexué des responsabilités constituent en effet le principal moyen de concilier vie professionnelle et vie familiale (Adema et Thévenon 2004). La diminution du taux d’activité professionnel féminin a bien évidemment des conséquences au niveau individuel et collectif; des conséquences qui constitueront, nous le verrons, les sujets sur lesquels porte l’humour des femmes. Ces dernières prennent en charge davantage de travail non rémunéré (Levy, Gauthier et Widmer 2006), leur revenu diminue et, par conséquent, celui du ménage aussi. En Suisse, dans neuf couples avec enfants sur dix, les femmes ont des revenus inférieurs à ceux de leur partenaire[6]. Lors de l’entretien, les femmes interrogées gagnent en moyenne un salaire équivalent à la moitié de celui de leur conjoint.

Les fonctions de l’humour

Dans les pages qui suivent, nous verrons que l’humour se révèle une stratégie mobilisée par les femmes pour partager leurs expériences inhérentes aux changements occasionnés par l’arrivée des enfants (Merril 1988). L’humour favorisant la distanciation, il peut être perçu comme une façon détournée et socialement acceptable de s’accommoder des inégalités subies. Cependant, l’humour est aussi une compétence sociale développée par les femmes pour contester et réguler les rapports de pouvoir. En favorisant l’alliance plutôt que la confrontation, l’humour féminin peut aussi être compris comme un outil du changement social.

Gérer les dissonances entre « ce qui est » et « ce qui devrait être »

C’est, pour reprendre Bergson (2012), la discordance produite socialement entre des normes rattachées à la vie conjugale et aux rapports de genre et leur situation effective qui, selon moi, explique pourquoi les femmes ont davantage recouru à l’humour et à l’ironie dans les entretiens collectifs. Non pas que les hommes n’aient pas le sens de l’humour, d’autres recherches (dont Ziv (1988)) l’attestent, mais ils n’expérimentent pas, ou en tout cas pas autant que les femmes, ce décalage entre ce qui est et ce qui devrait être. En effet, les contributions financières et domestiques des hommes, et par là même leur statut au sein du couple, sont beaucoup moins sensibles aux différentes étapes de la vie familiale (Henchoz 2008; Henchoz et Wernli 2010). En ce sens, ils vivent moins de changements et de dissonances.

En plaisantant sur les inégalités ou en se riant des rapports de genre et de pouvoir au sein du couple, les femmes prouvent qu’elles ne sont pas dupes, que leur sens critique s’exerce aussi bien au sein de leur ménage qu’à l’extérieur (Singly 2000) :

Boris : C’est vrai que sur les problèmes de gestion financière, c’est plutôt moi qui gère. Alors toute la question pour moi était de savoir : est-ce que la partie, non pas adverse, mais l’autre moitié le perçoit bien, moyennement, ou comme une catastrophe? Parce que si c’était perçu comme une catastrophe, bien, ça veut dire qu’il fallait qu’on change quelque chose. Moi, j’étais bien content de voir que finalement… Moi j’avais le sentiment que ça allait et je n’ai pas le sentiment…
Olivia : Oui, très docile, la femme… [Elle sourit.]
Boris : Oui, c’est ça! [Rires.] Non, mais vous voyez ce que je veux dire?

En mettant en lumière sur le mode comique les ruptures et les dissonances entre les principes d’égalité et d’autonomie et leur propre situation, les femmes expriment leur (re)connaissance des normes socialement valorisées. Hochschild (2003) considère ainsi l’humour comme une stratégie permettant aux femmes de gérer les conflits internes liés à leurs rôles changeants. L’arrivée des enfants conjuguée à un contexte peu favorable à la conciliation famille-travail amène les mères à suivre des codes de conduite traditionnels : investissement dans la sphère domestique et retrait partiel ou temporaire du marché du travail. Le bon moyen de suivre une vieille règle dans un monde moderne qui valorise officiellement l’égalité sans trop en souffrir est de s’en désaffilier soi-même, de s’en sentir distante. En prenant de la distance par rapport à leur situation, ces femmes se présentent comme des femmes modernes. La configuration traditionnelle dans laquelle elles sont engagées depuis leur maternité ne les empêche pas d’afficher des valeurs contemporaines.

Partager l’expérience et le point de vue des femmes

En diminuant leur taux d’activité professionnelle, les femmes font une expérience nouvelle : celle de la dépendance économique. « Maintenant, je suis entretenue! », confirme en riant Magali. À l’instar de Fanny, ce changement de statut au sein du couple n’a rien d’évident dans un contexte où l’indépendance et l’égalité sont valorisées :

Fanny : C’est vrai que je me suis quand même bien améliorée à ce niveau-là. Le fait qu’on soit, d’avoir imaginé le fait qu’on soit une famille et un couple. Que justement je me sente pas mal s’il paie une facture. Je me dis : « Mais bon, ce n’est pas QUE [elle accentue le que] son argent. C’est NOTRE [elle accentue le NOTRE] argent.
Question : Ça, ça a été un travail à faire?
Fanny : Ah oui, moi, j’ai dû faire ce travail. Mais maintenant je crois que c’est fait. Je dirais que ça me semble assez… logique, naturel qu’il paie cette machine à laver s’il a l’argent. Mais c’est son argent, c’est notre argent, c’est l’argent du ménage, quoi.
Question : Et vous, vous avez aussi dû faire ce travail de…
Hugo : De devoir en payer plus?
[Rires de Fanny et Hugo.]
Question : De dire que ce n’est pas seulement votre argent, mais que c’est aussi l’argent de la famille?
Hugo : Non, non. Il faut aussi dire qu’au début elle a aussi beaucoup payé pour moi, parce que je ne gagnais rien. Puis ça fait partie du fonctionnement. Ça serait peut-être différent si c’était un truc que tu t’offres personnellement.
Fanny : Bien, tu ne prendrais pas cette facture. Ce n’est pas toi qui la paierais.
Hugo : Non, ce n’est pas moi qui la paierais. Mais j’aurais peut-être plus de réticences si…
Fanny : Ah, bien ça, c’est sûr. Alors ça, c’est sûr…
Hugo : … c’était des factures de…
Fanny : d’esthéticienne? [Ton ironique.]
Hugo : Voilà!
[Rires de Fanny et Hugo.]

En perdant une partie de leur indépendance financière, les femmes interrogées passent du statut socialement valorisé de pourvoyeuse de revenu à celui nettement plus délicat de récipiendaire de l’argent masculin. En effet, avec la nouvelle répartition des tâches qui s’effectue à l’arrivée des enfants, les femmes deviennent les principales consommatrices du ménage (Zelizer 2005), se chargeant d’effectuer la plupart des achats quotidiens :

Alice : Qu’est-ce qu’on fait avec cet argent? On ne fait rien d’autre… Et puis toi, tu le gagnes en grande partie et moi, je le dépense. Si on résume la situation… [Rires.]

Pour beaucoup, ces nouvelles responsabilités ne peuvent être accomplies sans accéder à une partie au moins du revenu masculin. Le salaire des femmes est en effet rarement suffisant pour préserver une totale indépendance dans le financement des dépenses qu’elles prennent en charge. Elles se trouvent alors en position de devoir accepter de l’argent de la part de leur conjoint :

Albert : Ah, ah, on va s’engueuler parce qu’elle ne veut pas mon argent maintenant… tu n’es pas gentille quand même!
Fleur : Mais pourquoi je céderais toujours à tes caprices, non!
Albert : [Rires.]
Question : Il vous donne de l’argent, c’est un caprice sympa quand même!
Fleur : Il me donne de l’argent, mais je n’aurais pas voulu qu… ou alors il me l’aurait prêté puis je lui aurais redonné ultérieurement.
Albert : Oui, elle est un peu comme moi. Elle n’aime pas être aidée, ça gêne.
Question : Même si c’est le conjoint?
Fleur : Non, parce que je ne voudrais pas qu’il me reproche…
Albert : Tu veux que je te reproche quoi?
Fleur : De me dire : « Tu étais bien contente que je te donne 3 000 francs pour acheter ta voiture! » [Elle l’imite puis rit.]

L’humour féminin rend compte de la position ambivalente des femmes. D’un côté, elles peuvent éprouver de la gratitude d’avoir un conjoint qui partage une part de ses revenus, mais, de l’autre, elles se retrouvent en position de devoir fournir un contre-don ou de se voir rappeler leur statut de débitrice. Ironiser sur l’apport masculin permet de rééquilibrer les statuts au sein du couple en réduisant l’importance de la « dette », ce qui, par conséquent, revient à se sentir moins redevable :

Morris : Quand je rembourse les courses à Vivienne, c’est parce qu’elle est en danger avec son compte. Si elle en a assez, je ne lui rembourserais jamais rien. Si elle ne dépense pas plus que ce qu’elle gagne, je ne lui rembourserais rien du tout.
Vivienne : C’est pour me sauver la vie! [Ton ironique.]

Relever des inégalités et des rapports de pouvoir au sein du couple

L’humour féminin cible également le pouvoir que les hommes acquièrent à la suite de la redéfinition des rôles au sein du ménage inhérente à la parentalité comme le contrôle sur les dépenses, le pouvoir de décision, le droit à des dépenses personnelles ou encore l’abrogation de la règle égalitaire quant à la participation aux tâches domestiques. Ces privilèges ne sont pas uniquement rattachés au statut de pourvoyeur principal, les femmes dans la même situation en usant peu (Tichenor 2005). C’est ce statut conjugué aux compétences financières que l’on attribue traditionnellement aux hommes qui rend leur exercice légitime.

Par exemple, l’argent entrant dans le ménage est généralement présenté dans les entretiens comme « notre argent » ou « l’argent de la famille », ce qui est perçu comme un moyen de rétablir la solidarité conjugale dans une configuration où les revenus sont inégaux. L’humour des femmes souligne toutefois que les pratiques se distinguent parfois de ce qui est annoncé. En effet, le statut masculin de pourvoyeur principal des revenus est fortement rattaché au droit de possession sur l’argent gagné (Nyman 2003). Comme nous l’avons vu avec la situation de récipiendaire, l’argent des hommes reste considéré comme une ressource personnelle qui peut être donnée, prêtée ou contrôlée plutôt que comme une ressource collective à laquelle chacun aurait accès. Cette façon de définir l’argent influence la consommation et le standard de vie individuels (Nyman 2003). Les femmes ne manquent pas de relever que les hommes ont moins de scrupules à effectuer des dépenses personnelles :

Fleur : Je me souviens [Elle imite son conjoint.] : « Ah en fait, il y a Spirou qui vient, il m’amène un ordinateur. » [Elle reprend sa propre voix.] : « Ah bon? Combien tu as payé ça? Ah! » Ça, c’est vrai que tu me fais des petits coups comme ça par derrière. On ne peut pas l’en empêcher tant que ce n’est que ça [Rires.]. Si jamais tu achètes une maison, tu me préviens, si tout d’un coup elle ne me plaît pas! [Rires.]

Le sentiment de possession sur l’argent, d’autant plus puissant que le travail ménager est mal ou peu valorisé (Nyman 2003), implique également plus de pouvoir dans les prises de décision concernant des dépenses familiales :

Ivan : Et si on doit acheter quelque chose d’autre que des habits ou des trucs comme ça, on en parle.
Ana : On hésite.
Ivan : On réfléchit. Je ne vais pas du jour au lendemain rentrer avec un home cinéma et dire : « Voilà, ça m’a coûté 4 000 francs. » Bien non!
Ana : Euh… tu es quand même rentré avec!
[Ana et Ivan rient.]

La restructuration des taux d’activité professionnelle justifie également un réajustement du partage des tâches ménagères. Celles-ci relèvent alors principalement de la responsabilité féminine :

Fabien : Il y a aussi une, comment appeler ça, une notion qui nous échappe, c’est le partage des tâches ménagères, parce que ça j’entends, on connaît des couples où tu passes l’aspirateur. Ta chemise, c’est toi qui la repasses. C’est vrai qu’on n’a jamais travaillé là-dessus. Avant qu’on ait des enfants, je faisais la lessive, le ménage. Jamais le repassage, je ne repassais rien pour moi. Je n’aimais pas et pour mes affaires, je ne le faisais pas, je ne voulais pas m’y mettre. Et puis c’est vrai qu’avec les enfants Emma a arrêté de travaillé, et c’est devenu un peu plus, c’est elle qui fait le ménage, entre guillemets toujours. À moins que des fois, je le fasse. Ça m’arrive de passer l’aspirateur.
Emma : On peut dire : toujours. C’est quand même la règle.
Fabien : Oui mais…
Emma : Ça n’a pas été institutionnalisé.
Fabien : … des fois, je fais la terrasse.
Emma : Mais quand j’ai repris le travail, on n’a pas dit que tu referais quelque chose.
Fabien : Non, non.
Emma : J’ai tout gardé. Ah! Ah!
[Rires des deux conjoints.]

Rien ne nous permet d’affirmer que, dans ces passages, l’humour est un indicateur de l’insatisfaction que les femmes éprouvent quant à leur situation conjugale (Barelds et Barelds-Dijkstra 2010; Ziv 1988). Si c’est le cas, l’humour est alors un moyen d’exprimer son mécontentement et son désaccord de manière socialement acceptable (Bing 2004), car, dans les entretiens, la contestation du pouvoir masculin n’est jamais frontale. Cette contestation naît moins des propos tenus par les femmes que de l’alliance, pour reprendre les termes de Mauss (1928) et de Radcliffe-Brown (1940), que les femmes créent avec le public, soit leur conjoint, dont nous discuterons plus loin, ou l’enquêtrice.

En se riant des digressions par rapport à la norme égalitaire, les femmes interrogées rendent compte de leurs compétences sociales à reconnaître le pouvoir masculin. Le mettant en évidence, elles ont parfois embarrassé leur compagnon ou suscité une question de ma part qui a contraint ce dernier à justifier son comportement, voire à rendre des comptes. À l’instar de Durkheim (1975), on peut dire que l’humour féminin a ici une fonction de sanction diffuse. Il souligne les infractions aux conventions et aux usages. Contrairement aux générations précédentes interrogées où l’humour était bien moins présent dans les entretiens, les inégalités de genre ne vont plus de soi, elles doivent se justifier.

Contester et réguler les relations de pouvoir et les prérogatives masculines

En prenant pour cible les prérogatives masculines, l’humour féminin n’a pas seulement un rôle de sanction diffuse, il agit aussi comme un régulateur des rapports de pouvoir, un garde-fou indiquant les limites à ne pas franchir :

Milo : Je le sais qu’elle en a ras-le-bol parfois. Elle me dit, enfin, la réponse c’est : « T’es pas mon père. » Ça montre bien qu’il y a un truc […] : « T’es pas mon père, tu n’as pas à me contrôler. » Ça, c’est un truc, je l’ai déjà entendu.
[…]
Iris : Ouais, je ne me laisse pas faire. Je vais culpabiliser, mais je ne me laisse pas faire.
Milo : D’où la tension effectivement. Iris, elle ne se soumet pas du tout. Elle continue avec son fonctionnement.
Iris : Je me dis inconsciemment : « Quelle chance qu’il me mette des freins! » [Ton ironique.]
Milo : Mais moi, je lâche des fois. Je lâche, puis voilà, allons-y!

Dans l’extrait ci-dessus comme dans le prochain, l’humour féminin semble faire partie d’un dispositif de contestation du pouvoir masculin (Case et Lippard 2009; Merril 1988). Outre l’ironie, on peut détecter dans les entretiens d’autres stratégies féminines de contestation : la résistance passive, les petites remarques, la rétention d’informations ou encore la mauvaise humeur. Ce dispositif indique les limites à ne pas franchir. Dans certains cas, il peut aussi mener à l’abandon temporaire ou définitif des prérogatives masculines. Ainsi, Milo relâche parfois son contrôle sur les dépenses d’Iris. Dans l’échange ci-dessous, Alain et Irène reviennent sur la brève période où celui-ci contrôlait scrupuleusement l’ensemble des dépenses du ménage :

Question : Vous avez tous les deux parlé de cette époque où vous avez comptabilisé toutes vos dépenses, que vous aviez acheté un logiciel de comptabilité […].
Alain : Oui, je te demandais tout le temps les tickets [de caisse], tu ne te rappelles pas? On était ici.
Irène : Ah oui, c’est vrai. Ah oui, c’est juste. J’avais oublié ça.
Question : Comment tu l’as vécu?
Irène : Ah, c’était chiant! Je n’aimais pas trop. Des fois j’oubliais un peu […] Combien de temps on a fait ça?
Alain : Je ne sais pas si on a tenu deux mois. Je ne crois pas. C’était un mois et demi peut-être. Non, c’était lourd, c’est vrai. C’était lourd du point de vue administratif et…
Irène : « T’as un ticket! » [Elle l’imite. Irène et Alain rient.]

Affirmer le pouvoir des femmes

Historiquement, l’humour a été dominé par les hommes, sa production et son usage par les femmes étant découragés, discrédités, voire ignorés (Merril 1988; Stillion et White 1987). L’humour et l’ironie des femmes peuvent ainsi être considérés comme une cause et une conséquence de l’augmentation de leur pouvoir dans la société (Case et Lippard 2009 : 243) et, dans le cas qui nous intéresse, dans la sphère privée. D’une part, l’humour féminin conteste les rapports de pouvoir et les prérogatives masculines au sein du couple. D’autre part, il relève la dissonance inverse, soit le pouvoir des femmes dans une situation d’inégalité salariale et de répartition traditionnelle des rôles :

Natasha : Je suis forte hein parce que réussir à le convaincre que ça ne change rien qu’il gagne le double de moi [Rires.] […]
Question : L’achat de la voiture, vous en avez parlé? [La voiture] qui a été choisie, achetée par toi [Arnaud] et utilisée par Natasha?
[Rires des conjoints.]
Natasha : Tu es en train de lui faire se rendre compte qu’il s’est fait arnaquer… mais ça fait trois ans que je le saigne à mort tranquille et puis toi, tu arrives avec tes questions! [Rires.]

Acte de définition sociale de soi qui combine un principe d’identité (qui tu es) et un principe d’opposition (de qui ou de quoi tu ris) (Flandrin 2011), l’humour féminin souligne le pouvoir que les femmes détiennent. Malgré leur situation conjugale traditionnelle, les femmes interrogées se présentent comme des femmes modernes et émancipées, capables de conserver de l’autonomie financière malgré leur moindre revenu :

Fanny : Je l’ai acheté avec mon argent. J’ai acheté ça. Et je suis revenue avec ça. Bien sûr, ce n’est pas très beau dans le salon. Quand il a vu ça, il a hurlé. [Rires.] Il ne voulait pas ça dans le salon. Je savais que j’allais avoir une crise en revenant et je l’ai fait quand même. Voilà, je fais du vélo d’appartement. [Elle jette un regard moqueur à son conjoint.]

Par l’humour, les femmes indiquent que les inégalités qu’elles relèvent ne sont pas (que) subies. Ces inégalités sont présentées comme temporaires et circonstanciées. Elles seraient ainsi les conséquences d’un choix et d’une configuration spécifique que les femmes peuvent en tout temps remettre en question :

Question : Le fait que tu dépenses moins pour toi, tu ne le vois pas comme une frustration?
Lila : Non, je ne le vois pas comme une frustration. Si je le voyais comme une frustration, je lui dirais : « Écoute, moi, j’ai aussi envie de, alors tu calmes tes envies », et voilà!
Hugo : Je mettrais la queue entre les jambes! [Rires.]
Lila : Non mais!
[Hugo et Lila rient.]

En faisant de l’humour, les femmes relativisent les inégalités. Non seulement ces inégalités ne sont pas prises au sérieux, mais les femmes affirment pouvoir les repérer et les déjouer si l’envie leur prend. L’humour leur permet de rejeter le soupçon d’une éventuelle soumission de leur part :

Question : Tu le savais [que Morris paie en cachette une partie de tes factures]?
Vivienne : Bien sûr. Il sait que je sais tout ici! [Rires.]

L’alliance conjugale par l’humour

En faisant de l’humour en présence de leur partenaire, parfois à son détriment, les femmes expriment leur point de vue et elles le font connaître à leur conjoint. Ce faisant, elles requièrent une réaction. Le fait que leurs compagnons partagent leurs plaisanteries, rient à leur humour ou rient d’eux-mêmes peut être interprété comme une reconnaissance de leur part des normes égalitaires et de la situation spécifique de leur compagne :

Vivienne : Je crois que tu interprètes très bien la situation parce que c’est ça. Pour moi, l’important, je ne sais pas si c’est vraiment de gagner de l’argent.
Morris : C’est de ne pas dépenser le mien! [Ton moqueur.]

L’humour des femmes conduit aussi les hommes à se positionner sur les stéréotypes masculins ou les attentes traditionnelles de genre, les amenant parfois à les tourner en dérision :

Arnaud : Je me prends, moi aussi, pour le pilier de ma famille.
Question : Ah, aussi par ton rôle de gestionnaire [des revenus]?
Arnaud : De mâle! [Rires.]

Lila raconte comment son conjoint négocie quand il voudrait effectuer une dépense qu’elle refuse :

Lila : Il y a la douceur, il y a le râleur. [Rires.] Tout!
[Hugo rit.]
Question : Quand il dit : « Je travaille comme un fou » [comme argument pour la convaincre de céder], tu n’as pas envie de dire : « Moi aussi? » C’est un argument qui te touche?
Lila : Je me dis : « Oh, je le laisse, il va s’arrêter avant. » [Rires.] Il fait son Calimero, ça va passer. Non, ça ne m’énerve pas. [Rires.]
Hugo : C’est affreux! [Rires.]
Lila : Quand il me dit : « Je bosse comme un fou, je ne peux jamais rien m’acheter », je lui dis : « Eh, eh! Réfléchis à tout ce que tu as acheté, il ne faut pas exagérer! »
Hugo : Ça, je ne le dis plus […] C’est Michel qui l’a dit à Aude et j’ai repris cet argument. [Rires.] Parce qu’une fois je l’ai entendu dire ça et j’ai repris cet argument après. [Rires.] En fait, je ne le pense même pas tellement. Je n’ai pas l’impression de ramener l’argent à la maison, même si c’est moi qui gagne de l’argent. Je ne le considère pas comme mon argent, je ne crois pas. Si tu veux, c’est nous qui, c’est notre argent, on l’a gagné ensemble à la limite. Je n’ai pas l’impression que c’est moi, avec mon dur labeur.

Dans ces extraits, l’alliance par l’humour (Mauss 1928; Radcliffe-Brown 1940) se noue non pas avec l’enquêtrice comme précédemment mais avec le conjoint. L’humour est alors un moyen d’entrer en relation et de confirmer que l’on partage bien les mêmes valeurs. Plus précisément, l’humour peut davantage s’analyser comme forme discursive d’« opposition et [de] solidarité mélangées et alternées » (Mauss 1928 : 9) :

Fabien : Non, elle gère ça très bien. J’entends même si elle me fait des cervelas parce qu’elle me dit : « Écoute, on est limite », voilà. Non, non, j’ai beaucoup de chance. [Il parle dans le dictaphone.] Beaucoup, beaucoup de chance.
Emma : Mais ce qu’il est bête! [Rires.] J’espère qu’il marche [le dictaphone]! [Rires.]

L’humour : contestation douce des rapports de pouvoir ou confirmation du statu quo?

« Combinaison singulière de bienveillance et d’antagonisme », l’humour pour Radcliffe-Brown (1940 : 109) « ne signifie rien de sérieux ». Dans un même esprit, Kaufmann (1992 : 196) perçoit l’ironie et le rire comme un moyen de casser « le sérieux de la parole » et d’interdire « un développement risqué de la conversation conjugale […], désamorçant les conflits par refus de s’expliquer davantage ». Les extraits présentés semblent bien indiquer que l’humour reste une « douce » contestation des rapports de pouvoir. Par exemple, certaines prérogatives masculines sont perçues comme résultant des caprices d’un grand garçon : « J’ai trois enfants à la maison », sourit Lana. « Il viendra jusqu’à ce qu’il l’ait eu son truc. Ça peut durer six mois, c’est comme un enfant! [Rires.] », renchérit Lila.

Ces remarques relèvent d’une forme de généralisation de la norme de la bonne mère pourvoyeuse de soins et d’attentions au mari. Elles soulignent la prégnance des attentes de genre encore très traditionnelles en ce qui concerne les comportements des hommes et des femmes :

Question : Ce qui est rigolo, c’est que tu n’es pas la première dont le mari dit : « Prends une femme de ménage », et qui répond : « Non, je peux le faire. » Est-ce que c’est le fait de travailler à temps partiel qui fait que tu te sens un peu gênée de prendre une aide-ménagère?
Sonia : Peut-être que si je bossais à 100 % vraiment et tout… peut-être, c’est possible.
Oscar : Peut-être que si tu avais un compte et que tu payais ta femme de ménage, ça passerait mieux?
Question : Ça serait à Sonia de payer?
Oscar : [Rires.] On coupera ça au montage!

L’humour souligne parfois l’ambivalence des partenaires tiraillés entre des « codes de genre traditionnels et modernes », pour reprendre les termes d’Hochschild (2003 : 49). Ainsi, bien qu’Irène ait subi durant quelque temps le contrôle rigoureux de son conjoint sur les dépenses du ménage, elle ne souhaite pas pour autant s’investir davantage dans la gestion du budget. Cette tâche qu’elle n’avait aucun mal à prendre en charge lorsqu’elle vivait seule est, comme c’est le cas pour d’autres femmes, redéfinie comme relevant des compétences masculines lorsqu’elle est en couple, ce qui rend ainsi particulièrement pénible la transgression des rôles de genre :

Alain : Un moment donné, je me disais : « C’est toujours facile de dire : Tu dépenses trop. » […] Finalement, je t’avais dit : « Écoute, tu t’occupes des paiements un moment donné et tu verras bien. » Et c’est comme ça que tu peux te rendre compte aussi. Tu dis : « Voilà, tu as ça à gérer, tu as ça comme somme mensuelle de revenus. » […] puis, après tu regardes à la fin du mois ce qu’il te reste […] Au fur et à mesure que tu vois le compte qui baisse, tu te dis : « Bien, c’est vrai, tu dépenses trop. » C’est comme ça que tu te rends compte des fois.
Irène : Oui.
Question : Tu l’avais tenue [la comptabilité], alors?
Irène : Ah non!
Alain : Non, elle ne l’avait pas tenu […].
Irène : Je m’étais dit : « Oh non, pitié, pas les comptes! » [Irène prend un air effaré. Ils rient.]

L’humour des femmes prend ainsi des formes paradoxales. Lorsqu’il relève les inégalités de genre, on peut le considérer comme subversif, capable de remettre en question les rapports de genre ou au minimum de focaliser l’attention sur des inégalités et de susciter des discussions. Dans les exemples susmentionnés, il s’agit plutôt d’un humour de renforcement qui aide au maintien du statu quo (Holmes et Marra 2002) en confirmant les attentes de genre traditionnelles en matière de rôles et de responsabilités :

Lana : Non mais l’histoire pour les travaux justement […], laissons couler. Moi, je serais plus à me battre. Mais en même temps, j’aimerais que lui se batte, pas moi. Alors voilà! [Rires.]

L’humour féminin relève aussi un autre point qui semble aller dans le sens du statu quo. Le fait que le désintéressement est au coeur des relations amoureuses et qu’en ce sens il serait bien malvenu de revendiquer ses propres intérêts (Henchoz 2008) :

Question : Le fait que ton salaire soit versé sur le compte de ton mari, tu avais l’air surprise lors de notre entretien. Tu le savais ou tu ignorais que tu avais une procuration sur son compte?
Fanny : Ah, c’est sur ton compte?
Albert : Oui. En fait, on n’a pas fait de compte joint. Excuse-moi. On n’a pas fait de compte joint, on a relié en fait le compte au mien. C’est juste.
Fanny : On n’en a pas ouvert un troisième.
Albert : Non.
Fanny : C’est une astuce de banquier! [Elle rit en faisant référence au métier de son conjoint.]

En prenant la forme de commentaires plus que de discussions (Goffman 1988), l’humour féminin ne semble pas contester le statu quo. Il formule des critiques sans pour autant remettre explicitement en question les rapports de pouvoir. Il laisse à l’autre l’opportunité d’y répondre par le rire plutôt que par l’explication. En ce sens, on peut le considérer comme une forme de contestation « douce » ou « diplomatique » des rapports traditionnels de genre. Ne peut-on dès lors pas y voir un aveu d’impuissance? Les conjoints interrogés ont rarement formulé des reproches à l’égard de leur partenaire ou de la relation. Que ce soit dans les entretiens individuels ou collectifs, l’autocensure a toujours été présente lorsque surgissait la critique : les phrases n’étaient pas terminées, les mots restaient en suspens. Dans ce cadre, l’autocensure peut être analysée à la fois comme une volonté de fournir, par le silence, une image de soi et de la relation socialement légitime (Szinovacz et Egley 1995), mais également comme le souci partagé de préserver la bonne entente conjugale.

Conclusion

L’humour des femmes a un goût doux-amer. C’est une forme de contestation qui ne semble qu’effleurer les rapports de pouvoir. Est-elle pour autant inoffensive? Les entretiens que j’ai effectués avec des couples de générations plus âgées suggèrent une conclusion plus optimiste. Chez les plus jeunes dont j’ai présentés ici des extraits d’entretien, l’humour et l’ironie des femmes ont été centraux pour débusquer les rapports de pouvoir et les inégalités conjugales. Dans les entretiens, les deux partenaires se présentaient selon les normes conjugales contemporaines socialement valorisées et l’humour a parfois été le seul indicateur des divergences par rapport à cette norme. Si les couples plus âgés n’ont pas manqué d’humour, les femmes semblaient moins présentes sur ce plan. Les rapports de pouvoir et les inégalités étaient moins sujets à plaisanterie. Il m’a dès lors été plus difficile de les relever, car ils semblaient aller davantage de soi. Ils n’étaient pas identifiés ni critiqués. Or, l’humour c’est aussi cela, une forme de critique. Le fait qu’elle est formulée sous-entend qu’elle est autorisée socialement (Radcliffe-Brown 1972 : 108). En ce sens, l’humour féminin est l’indicateur d’une relation plus symétrique, les deux partenaires pouvant se permettre de plaisanter sur l’autre et sur la relation (Case et Lippard 2009) et de demander des comptes quand cela leur semble nécessaire. Cependant, mon analyse montre que l’humour féminin n’est pas seulement l’indicateur du changement vers plus de symétrie conjugale, c’est aussi l’instrument de ce changement.

En effet, l’humour est l’outil particulièrement approprié du changement au sein du couple, car il ne met pas en danger la relation. En ciblant un système inéquitable plutôt qu’un oppresseur spécifique (Bing 2004), l’humour féminin favorise le ralliement des hommes aux points de vue des femmes. Que les hommes y répondent par le rire – forme de reconnaissance de la situation de leur compagne – ou par la justification, l’humour renforce l’alliance entre les partenaires. L’humour est ainsi un moyen d’introduire de la disjonction dans la conjonction pour reprendre les termes de Radcliffe-Brown, un moyen d’introduire la critique avec du respect pour l’autre et pour la relation. En ce sens, c’est l’outil idéal pour introduire du changement dans la pérennité.

Les extraits présentés rendent ainsi compte de tentatives en vue de rétablir un certain équilibre dans les niveaux de vie individuels et d’aplanir les relations de pouvoir. La mise en commun des revenus masculins ou encore la création d’un argent personnel féminin afin que les femmes aient moins de réticences à dépenser pour leur propre usage en sont des exemples. Certes, ces tentatives peuvent avoir des effets pervers que l’humour des femmes ne manque pas de relever. L’accès à l’argent masculin est souvent soumis à condition; l’état de donataire conduit les femmes à se sentir redevables; l’accès à de l’argent personnel ne remet pas pour autant en question l’attribution « genrée » des dépenses, et notamment le fait que les frais rattachés aux enfants et au ménage sont considérés comme des dépenses féminines. On peut interpréter ces tentatives (qui relèvent souvent d’initiatives masculines) comme un moyen pour les hommes de s’assurer le pouvoir tout en préservant l’illusion de l’égalité. On peut toutefois aussi les considérer comme le fruit de l’empathie masculine envers la situation économique des femmes et comme des actes tentant de mettre en oeuvre les normes d’égalité et de solidarité entre les conjoints.

L’humour féminin peut ainsi s’analyser comme un outil du changement. Un changement certes lent et imparfait, car les rapports de pouvoir au sein du couple ne sont pas seulement la conséquence des (mauvaises) volontés individuelles mais aussi le résultat de conjonction d’un ensemble de facteurs structurels et institutionnels, mais néanmoins un changement vers plus d’égalité.