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Au long de sa prolifique carrière, Conrad Laforte s’est illustré comme l’un des spécialistes de la chanson de tradition orale, du Moyen Âge à nos jours. Ses Poétiques de la chanson folklorique française (PUL, 1976, révisé en 1993) sont le fruit de près de 40 ans de recherche empirique et de patient travail de classement aux Archives de folklore de l’Université Laval. Son catalogue en six volumes du répertoire de tradition orale, avec 80 000 variantes de chansons (PUL, 1977-1987), fait autorité tant au Québec qu’en Europe. L’ouvrage collectif « M’amie, faites-moi un bouquet… » rend ainsi hommage aux travaux de cet infatigable bibliothécaire ethnologue, décédé en 2008.

Le livre fait appel à une vingtaine de collaborateurs, jeunes chercheurs et professionnels issus des disciplines d’ethnologie, d’histoire, de littérature et de musicologie. Au nombre des auteurs, Jean-Pierre Pichette est professeur d’ethnologie à l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’oralité et les traditions populaires des francophonies minoritaires ; Jean-Claude Dupont est professeur retraité d’ethnologie à l’Université Laval et spécialiste du conte ; et Jean-Nicolas De Surmont, le directeur de publication, travaille sur la chanson depuis plus de vingt-cinq ans. Il a notamment publié sur La bonne chanson de l’abbé Gadbois (Triptyque, 2001), sur l’histoire de la chanson au Québec (L’Instant même, 2010) et sur le lexique de la chanson (De Gruyter, 2010).

« M’amie, faites-moi un bouquet… » s’ouvre avec un sympathique portrait biographique de Conrad Laforte sous forme d’entrevue (p. 19-43). Chaque partie de la conversation, menée par Jean-Pierre Pichette en 2002, porte le titre d’une chanson folklorique en lien avec le parcours de l’ethnologue. Bien que ce matériel ne soit pas inédit, il trouve ici un nouveau lectorat hors des revues spécialisées en ethnologie. Suivent des témoignages personnels d’anciens collègues, comme il est d’usage dans ce type de publication (p. 45-62). Le corps de l’ouvrage (p. 65-322) se compose d’une quinzaine d’essais de qualité inégale sur une foule de sujets dont la chanson folklorique en littérature, le conte, l’analyse de variantes, l’informatisation de la recherche, les informateurs du terrain et l’analyse texte-musique. Parmi les contributions particulièrement intéressantes, Marcel Bénéteau suit à la trace les variantes lexicales d’une chanson sur une maladie vénérienne, du Canada français à l’Europe. Autre exemple, le texte d’Yvan Lepage met en lumière les travaux méconnus d’ethnologie de Félix-Antoine Savard sur le folklore acadien. Enfin, Véronique Ginouvès fait état d’un catalogue en ligne du patrimoine breton pour retrouver des versions classées, notamment par Laforte et Coirault (www.dastum.net).

La force de l’oeuvre d’un chercheur de la trempe de Conrad Laforte est de transformer sa propre discipline, mais également d’autres domaines. Il viendra inévitablement un jour de jeunes chercheurs pour scruter des angles morts d’une approche de la chanson héritière de Claude Lévi-Strauss, c’est-à-dire fondée sur les fruits d’une démarche de terrain pour identifier les structures génératives d’un corpus. Conrad Laforte lui-même se défend dans ses poétiques de laisser pour compte l’analyse musicale des chansons en élaborant son classement (1993). En dépit de ces critiques, l’oeuvre de l’ethnologue est abondamment citée, des poétiques du médiéviste Paul Zumthor (1983) au présent hommage, ce qui en fait un digne successeur des Marius Barbeau et Luc Lacourcière.