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Introduction

Au cours des dernières années, plusieurs chercheurs ont utilisé des microdonnées censitaires historiques pour comprendre les éléments clés entourant les comportements des individus, notamment dans le contexte familial. Les modifications des habitudes de vie au sein de la famille, par exemple la mobilité sociale, le contrôle de la fécondité et le recul du mariage, témoignent de l’évolution de la structure et de l’économie familiale. Les instantanés de populations produits à l’aide des recensements décennaux illustrent plusieurs de ces tendances. Le jumelage des données d’un recensement à l’autre ou d’un recensement à une autre source de données (registres paroissiaux, annuaires municipaux ou registres militaires) permet la réalisation d’analyses à de plus grandes échelles. Plus la série de données portant sur les populations anciennes est longue dans le temps, plus raffinées et complètes seront les analyses historiques portant sur les changements observés d’une décennie à l’autre. Le premier recensement nominatif canadien du xixe siècle, celui de 1851-1852 pour le Québec et l’Ontario, dénombrant chaque occupant du logement, représente une occasion unique pour les chercheurs d’observer les comportements sociaux avant les grands bouleversements économiques et démographiques de la seconde partie du xixe siècle et du xxe siècle. Ce recensement a cependant suscité quelques réactions de la part de certains historiens et de sociologues canadiens, qui ont argumenté, entre autres, que ce recensement n’est pas utile pour mener des recherches en démographie historique et en histoire quantitative.

De nombreuses évaluations du recensement de 1852 sont axées sur les micro-études de communautés spécifiques, les analyses des instructions aux recenseurs ou les études de cas provenant de manuscrits particuliers. Dans un premier temps, nous reprenons les évaluations critiques du recensement de 1852 élaborées par David Gagan, Michael Doucet, Bruce Curtis et Gordon Darroch, qui évoquent certaines forces et faiblesses de ce recensement. Dans un deuxième temps, nous discutons de l’absence d’un tiers des manuscrits du recensement de 1852, de la conséquence de cette perte sur la distribution géographique des observations incluses dans notre échantillon, ainsi que de la représentativité des données subsistantes selon les caractéristiques sociodémographiques les plus importantes. Dans un troisième temps, nous décrivons le format des pages de manuscrits ayant un impact sur notre capacité à saisir tous les renseignements pour chaque individu dans l’optique de définir les numéros de logement. Cette évaluation nous amène à notre quatrième point : l’identification des membres et des non-membres des familles à l’intérieur des logements. La construction d’un échantillon systématique de 20 % du recensement de 1852 (PRDH) nous permet de mener une série d’évaluations critiques sur les microdonnées tirées de ce recensement.

Les évaluations critiques du recensement de 1852

La première évaluation du recensement canadien de 1852, publiée par un chercheur contemporain dans Histoire sociale/Social History en 1974, fut une note de recherche écrite par David Gagan (1974). Ce dernier souligne la qualité inégale des questionnaires du recensement de 1852, qui rebute les chercheurs désirant travailler avec ces données et les rend perplexes. Ayant présenté les instructions aux recenseurs préalablement disponibles, il observe un grand manque de consistance et de logique dans les manoeuvres d’énumération de la part des recenseurs.

Most observers, including the government, agreed that the 1851 census had been rather badly done ; but they ascribed its deficiencies to the suspicions of a population who associated both the decennial enumerations and the more frequent local assessments with the imposition of new or increased taxes, and who therefore withheld information.

Gagan 1974

Selon Gagan, il aurait été souhaitable de connaître la nature précise des instructions aux recenseurs afin d’avoir quelques standards sur lesquels s’appuyer pour évaluer la réelle exactitude et complétude des questionnaires de recensement. Il souligne également la présence exagérée de « ditto » sur les pages des manuscrits, une notation signifiant que la réponse se répète sur la ligne suivante. La plupart du temps, ces marques surchargent la lecture et altèrent la saisie des données.

Gagan présente par la suite quelques interprétations de base dont les chercheurs doivent tenir compte lors de leurs analyses. Il est principalement question de la manipulation qu’ont pu faire certains énumérateurs sur les variables suivantes : les frontières de districts, les familles et les logements, l’occupation, la fréquentation scolaire, l’alphabétisation et enfin les décès durant l’année 1851 selon leur cause. Au niveau de la structure des logements, cet auteur précise par exemple qu’à l’aide des colonnes Résidents/Non-résidents et Membres/Non-membres de la famille, les chambreurs ne sont jamais identifiés. Les chercheurs doivent donc déduire qu’un individu recensé comme non-membre de la famille et sans occupation est soit un chambreur, soit un domestique dont l’occupation n’a pas été recensée. Gagan a aussi déploré l’utilisation fréquente des dénombrements totaux dans les colonnes Membre de la famille et Non-membre de la famille au lieu d’user de notations unitaires sur chacune des lignes des individus. Néanmoins, les diverses critiques de Gagan concernant le recensement de 1852 démontrent que malgré les nombreuses complications encourues, les données ont été recueillies et elles peuvent être exploitées par les chercheurs avertis et conscients des limites de ce recensement.

Trois ans après la publication de la note de recherche écrite par Gagan, Michael Doucet a publié dans Historical Methods une note dégageant une perspective plus optimiste sur l’utilisation du recensement de 1852 pour l’étude de la composition des familles (Doucet, 1977 ; Katz, Doucet et Stern, 1982, pour l’utilisation des mêmes données). Doucet a d’abord relaté l’absence d’une question sur la relation au chef de ménage dans le recensement du Canada de 1871. Il cerne ensuite certaines difficultés liées à la caractérisation des pensionnaires qui ne partagent pas le même nom de famille que celui du chef de ménage. Doucet a concentré son analyse sur l’information concernant la composition des logements dans les recensements de 1852 et 1861. Cette approche permet d’établir les profils respectifs de ces deux groupes (Membres et Non-membres de la famille) par rapport à d’autres caractéristiques personnelles ou relevant du logement. Doucet a présumé que la catégorie Membre de la famille regroupe tous les individus apparentés au chef de ménage, tandis que la catégorie Non-membre de la famille réunit les pensionnaires et les domestiques. Il a exclu les individus qui partagent le même nom de famille que celui du chef de ménage, sur la présomption que leur lien de parenté est évident. Probablement que Doucet a également écarté ceux qui ont déclaré occuper les fonctions de domestique, même s’il ne le précise pas. De plus, son modèle comprend divers métiers non spécifiés. L’auteur utilise une analyse discriminante multiple pour associer le statut Membre ou Non-membre de la famille à diverses caractéristiques sociales et économiques. Dans son article, Doucet présente les colonnes Membre de la famille/Non-membre de la famille comme des sources d’information valides en soi. Contrairement à Gagan, Doucet ne discute pas de la qualité des manuscrits des recensements de 1852 ou de 1861, ni de l’apparition des totaux inscrits par les recenseurs dans les colonnes. Alors que Gagan se plaignait que les recenseurs n’avaient pas bien caractérisé les pensionnaires sur le recensement de 1852, Doucet argumente que « […] the earlier enumerations did distinguish between individuals who were members of the family (whom we can safely equate with relatives) and those who were not family members (boarders) » (Doucet, 1977 : 150). Ses associations entre le statut apparenté-pensionnaire et les autres caractéristiques socioéconomiques lui ont permis de prédire le statut apparenté-pensionnaire pour 90 % des hommes et 77 % des femmes dans les données censitaires de 1852 et 1861 (Doucet, 1977 : 153). Ses résultats de recherche sont vraisemblablement à l’origine de l’optimisme de son discours.

Les analyses du recensement de 1852 de Gagan et Doucet datent de l’époque de la « nouvelle histoire sociale » des années 1970. Une troisième analyse critique du recensement de 1852 a été publiée en 2001 par le sociologue Bruce Curtis (Curtis, 2001), durant une ère de baisse de popularité à l’égard de l’histoire quantitative. Son ouvrage, The Politics of Population : State Formation, Statistics and the Census of Canada, 1840-1875, a suscité l’admiration d’historiens et de sociologues reconnus. Curtis explique comment les recensements historiques du Canada de 1840 à 1871 ont été utilisés par les recenseurs, les politiciens et d’autres commentateurs comme des instruments véhiculant une certaine image de la population. Il a rédigé un chapitre sur le recensement de 1852, dans lequel il décrit la construction de ce recensement et la collecte des données, et où il synthétise les limites et les incohérences liées aux questionnaires. Curtis a accompli un travail complexe, rassemblant des articles de journaux, des extraits de journal personnel, de la correspondance entre officiels et des documents administratifs. Ces derniers concernaient la préparation du recensement, le suivi des étapes d’énumération et de collecte d’information ainsi que l’interprétation des résultats. L’objectif était de détailler la création et la mise en oeuvre des recensements canadiens anciens, ce qui a été fait avec une approche véritablement sociologique. Il a concentré ses recherches et son analyse sur la structure des recensements, les modalités de leur implantation et la correspondance à leur propos. Il précise que les chercheurs doivent avoir en mémoire ces vecteurs contextuels lors de l’interprétation et de l’analyse des données censitaires anciennes.

Curtis relève plusieurs problèmes touchant spécifiquement le recensement de 1852, et il en déduit que ce dernier souffre d’un manque de cohérence interne. Il évoque entre autres le risque de surdénombrement, qui serait le résultat de la présence simultanée des colonnes Résidence si hors limite, Non-membre de la famille absent et Membre de la famille absent. La coexistence de ces questions peut entraîner l’énumération multiple d’un individu. En effet, un individu recensé à son lieu de résidence habituel même lorsqu’il en est absent peut également être recensé là où il se trouve au moment du recensement. Selon Curtis, il n’y a pas eu de démarches précises, ou plutôt de lignes directrices à ce sujet, permettant d’uniformiser l’adaptation faite par les recenseurs à propos des différentes colonnes ou pour résoudre les incertitudes causées par le manque de documentation accompagnant les questionnaires. D’après l’analyse de cet auteur, cette approche aurait abouti à des résultats hétérogènes et non systématiques sur la base de l’interprétation faite par le recenseur sur les différentes catégories et de celle faite par les individus énumérés sur leur propre situation.

Dans quelle mesure pouvons-nous nous fier aux conclusions plutôt négatives de Curtis sur le recensement canadien de 1852 ? Curtis n’explique pas sa stratégie d’évaluation directement dans son texte, mais ses notes en bas de page fournissent des indications. Il cite au moins 19 lettres provenant de recenseurs et de commissionnaires à leurs superviseurs. Ses exemples de problème observés dans les questionnaires semblent avoir été tirés de 17 communes, comtés ou villes répartis à travers le Canada. À cette époque, il y avait 1 006 sous-districts censitaires différents sur le territoire du Canada-Ouest et du Canada-Est (Ontario et Québec actuels). Malgré la preuve convaincante de Curtis concernant l’incohérence des protocoles d’observation dans la structure du recensement de 1852, son explication du travail des recenseurs repose en fait sur une proportion minime de questionnaires.

Une perspective intéressante sur le travail de Curtis à propos du recensement du Canada de 1852 a été présentée par Gordon Darroch en 2003 dans le cadre d’une table-ronde sur The Politics of Population à la réunion annuelle de la Société historique du Canada (Darroch, 2003). Dans ses commentaires, Darroch a chaleureusement félicité Curtis pour avoir contribué à l’avancement de la recherche dans le domaine historique (Darroch, 2003 : 9). Il a cependant également contesté l’argumentation de Curtis concernant le surdénombrement engendré par la structure des questionnaires de recensement en 1852 et en 1861. Il pose ainsi : « the tactless empirical question, what exactly is the incidence of multiple names in the census ? » (Darroch, 2003 : 8). Pour lui, au vu des données de sa base centrée sur le centre-sud de l’Ontario en 1861, en réalité peu de recenseurs ont effectivement inscrit une note sur la ligne des individus pour les colonnes Membre de la famille absent ou Non-membre de la famille (environ respectivement 1 % et 8 % de toutes les observations). Il juge donc que le problème de surdénombrement s’avère minime. Selon Darroch, Curtis a fait usage d’une conception du recensement comme d’une entreprise dans laquelle les pratiques seraient imposées par l’État, du haut vers le bas. Au contraire, Darroch pense que :

those being enumerated, in consort with local enumerators, routinely and quite consistently resolved the glaring confusions of the census categories in their own terms […]. In this respect local folk inscribed their own self-understandings in the census against the grain of its design, by responding in terms of their own, cogent knowledge of the everyday meanings of “resident” and “family” and “household,” in the case of this specific example.

Darroch, 2003 : 9-10

Au vu des évaluations critiques portées par Gagan et Curtis, le recensement de 1852 représenterait un maillon faible dans la lignée des recensements historiques du Canada. La mauvaise réputation de ce dénombrement de la population contrairement aux recensements subséquents s’explique également par la destruction de près d’un tiers des manuscrits avant la transposition sur microfilms par les Archives nationales du Canada. Les chercheurs ne pourront donc jamais accéder, malheureusement, à une base de données complète du recensement de 1852. Comme nous le précisons dans la section suivante, l’application de pondération entre données agrégées et données subsistantes permet d’ajuster notre échantillon. Ce recensement représente le premier dénombrement nominatif de tous les individus et de tous les logements du Canada pour le milieu du xixe siècle. Comme il constitue le premier recensement canadien de l’ère statistique moderne, il est important d’explorer de manière approfondie les avantages et les limites de cette source.

Les microdonnées et la distribution de la population par unité géographique

Notre première évaluation concerne la représentativité géographique des cas échantillonnés pour notre base de données, sachant qu’un tiers des manuscrits a été perdu. Entre 2003 et 2006, un échantillon de 20 % du recensement du Canada-Est (Québec) et du Canada-Ouest (Ontario) de 1852 a été constitué par le Programme de recherche en démographie historique (PRDH) du Département de démographie de l’Université de Montréal, avec la contribution du projet Population et histoire sociale de la ville de Québec (PHSVQ) pour les données de la ville de Québec (PRDH ; Marcoux et St-Hilaire). Actuellement accessible à partir du site Internet du PRDH, cette base de données comprend 236 674 individus de milieu rural et 11 921 individus de milieu urbain. Des bénévoles généalogistes travaillent à saisir dans leur totalité les données du recensement canadien de 1852[1]. Le détail du processus de saisie des données a été décrit ailleurs (Dillon, 2005).

La population du Canada-Est et du Canada-Ouest enregistrée en 1852 était de 1 842 265 individus (Bureau d’enregistrement et de statistiques, 1853c et 1853d). Dans un premier temps, nous analysons la représentativité géographique de notre échantillon en nous référant aux concepts et aux regroupements géographiques des données agrégées portant sur la population totale. Le recensement du Canada de 1852 a été organisé par sous-districts (parfois scindés en divisions) qui ont été regroupés par la suite en districts. Les districts ont été regroupés par province. Il y avait en 1852 47 districts pour le Canada-Ouest (Ontario), comprenant 448 sous-districts, tandis que le Canada-Est (Québec) comptait 32 districts, comprenant 557 sous-districts. Environ 508 892 Canadiens et Canadiennes sont absents des données du recensement de 1852, soit 27,6 % de la population totale, du fait de la disparition des manuscrits censitaires provenant de certains sous-districts entièrement manquants. En comptabilisant les sous-districts partiellement manquants, on arrive à 120 558 personnes supplémentaires omises du recensement. Au total, les données ne sont donc pas disponibles pour 629 450 individus, soit 34,2 % de la population recensée en 1852.

Une étude plus détaillée de la composition des districts manquants fournit des éclaircissements sur l’ampleur du problème. Au Canada-Est (Québec), 6 des 38 districts sont complètement absents : Drummond, Shefford (St-Hyacinthe), Stanstead (Sherbrooke), Mégantic, Gaspé et Bonaventure. Ces 6 districts de recensement sont parmi les 11 plus petits. La ville de Montréal, la plus grande ville du Canada-Est avec 57 715 individus recensés, n’a pour sa part qu’une seule division disponible, celle de St-Louis. Les régions de Richelieu, de Yamaska et de Dorchester sont également hautement touchées par cette destruction. Au total, 7 districts ont entre 35 % et 46 % de données manquantes, et 7 autres en ont entre 18,5 % et 30 %. Nous avons cependant des données presque exhaustives pour la ville de Québec, où plus de 43 000 individus ont été recensés. Cela représente un atout pour notre base, étant donné le nombre élevé de données manquantes pour les autres grandes villes. En fin de compte, seulement 6 des 38 districts n’ont aucun sous-district entier manquant. Au Canada-Ouest, 5 districts sur 47 ont des données totalement absentes : il s’agit principalement de grandes villes, comme Toronto (30 775 individus), Kingston (près de 12 000 individus) et London (avec 7 000 individus), ainsi que du grand district de Simcoe (totalisant plus de 27 000 individus). Au total, l’absence de données frappe 6 districts avec des pourcentages variant entre 50 % et 57 %, 7 districts avec des pourcentages entre 35 % et 48 %, et 14 districts avec des pourcentages entre 17,3 % et 32 %. Seuls 5 districts ne sont pas touchés par le manque de données affectant un sous-district.

Nous avons examiné l’impact des données absentes sur la représentativité de notre échantillon au niveau de certains regroupements géographiques. Les 1 005 sous-districts variant selon leur taille, nous avons créé une variable pour caractériser les communautés selon la taille du sous-district, et nous avons distingué les petites villes, les villages et les grandes villes. Nous présentons dans le tableau 1 la distribution de la population issue des statistiques agrégées et celle de notre échantillon en fonction de ces critères. Cette population est composée à 66 % d’individus vivant principalement dans de petits sous-districts ruraux (de moins de 3 999 personnes). À cela il faut ajouter les 20 % d’individus vivant dans des sous-districts ruraux plus grands (de 4 000 personnes ou plus). Selon les statistiques publiées pour la population totale, seulement 4 % des individus vivaient en 1852 dans des petites villes ou des villages. Près de 5 % des personnes de notre échantillon résidaient dans une grande ville : soit la ville de Québec, soit le quartier St-Louis de Montréal, soit Bytown (Ottawa) soit Hamilton.

En utilisant les mêmes regroupements que ceux provenant des données agrégées, nous constatons, comme nous l’avions anticipé, que la différence la plus marquée se situe au niveau des grandes villes canadiennes, pour lesquelles la plupart des questionnaires manuscrits ont été détruits. En effet, 9,3 % de Canadiens ont été recensés dans les villes de Québec, Montréal, Bytown, Kingston, Toronto, Hamilton et London selon les données agrégées portant sur la population totale, tandis que seulement la moitié (4,8 %) figurent dans notre échantillon. Dans notre échantillon, une plus grande proportion de Canadiens est distribuée dans les sous-districts ruraux, les villages ou les petites villes (26,6 %) que ce qu’indiquent les données agrégées (24,6 %). Malgré les lacunes énumérées précédemment, la conclusion qui émerge de cette analyse demeure teintée d’optimisme. Certes, la population résidant dans les grandes villes sera proportionnellement moins bien représentée que les autres populations, mais, selon les statistiques publiées, seulement un Canadien sur dix vivait dans ces grandes villes en 1852. Notre échantillon offre donc un large éventail de renseignements sur les populations canadiennes rurales, celles provenant des villages et des plus petites villes. La présence des manuscrits provenant des villes de Québec, Bytown et Hamilton rend par ailleurs possible l’analyse des populations urbaines. Même si l’absence d’un tiers de la population originellement recensée crée certaines limites, nous pouvons maximiser les deux tiers du recensement disponibles. Pour compenser en partie les lacunes des données géographiques, notre base de données comprend une variable de pondération attribuant des poids aux observations selon la taille de la localité. Les résidents de la ville de Québec, du quartier St-Louis de Montréal, de la ville de Bytown et de celle d’Hamilton sont ainsi pondérés afin de mieux représenter la vie urbaine au Québec et en Ontario.

Tableau 1

Nombre d’observations par taille de sous-district, échantillon 20 % et données agrégées, Recensement du Canada de 1852

Nombre d’observations par taille de sous-district, échantillon 20 % et données agrégées, Recensement du Canada de 1852
Source : échantillon 20 % du Recensement du Canada de 1852 (PRDH) ; données agrégées de 1852 (Bureau d’enregistrement et de statistiques, 1853c et 1853d)

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Le défi de la représentativité selon certaines caractéristiques sociodémographiques

Pour évaluer la représentativité de l’échantillon quant aux différentes caractéristiques sociodémographiques susceptibles de varier spatialement, nous avons comparé des proportions d’individus de notre échantillon de 20 % à des proportions d’individus au sein de la population totale. Les tableaux 2 et 3 montrent que les distributions des caractéristiques personnelles au Canada-Ouest et au Canada-Est sont très similaires aux distributions publiées dans les données agrégées de 1852, et ce, pour toutes les variables sélectionnées. Les données de nos échantillons comprennent légèrement plus de célibataires, probablement parce que, à la suite d’une inspection manuelle, notre équipe a attribué l’état matrimonial de célibataire aux personnes n’ayant pas répondu à cette question sur les manuscrits. Les distributions des lieux de naissance dans l’échantillon et dans les données agrégées sont également très similaires, avec un peu plus d’individus nés au Canada dans notre échantillon. Nos résultats par rapport à la variable de l’âge montrent quelques divergences entre notre échantillon et les données agrégées. En outre, la proportion des moins de cinq ans est légèrement inférieure dans notre échantillon, alors que les proportions des 20-30 ans et des 50-60 ans sont similaires à celles des données agrégées de 1852 et à celles de l’échantillon de 1 % du recensement du Canada de 1871 (Darroch et Orstein, 1979).

Tableau 2

Distribution en pourcentage des caractéristiques des individus, Recensement du Canada-Ouest de 1852 et Recensement de l’Ontario de 1871

Distribution en pourcentage des caractéristiques des individus, Recensement du Canada-Ouest de 1852 et Recensement de l’Ontario de 1871
*

Seuls les sous-districts dont les manuscrits subsistent aujourd’hui sont inclus.

Source : échantillon 20 % du Recensement de 1852 (PRDH) ; données agrégées de 1852 (Bureau d’enregistrement et de statistiques, 1853c et 1853d) ; échantillon 1 % du Recensement de 1871 (Darroch et Olstein, 1979)

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Tableau 3

Distribution en pourcentage des caractéristiques des individus, Recensement du Canada-Est de 1852 et Recensement du Québec de 1871

Distribution en pourcentage des caractéristiques des individus, Recensement du Canada-Est de 1852 et Recensement du Québec de 1871
*

Seuls les sous-districts dont les manuscrits subsistent aujourd’hui sont inclus.

Source échantillon 20 % du Recensement de 1852 (PRD H) ; données agrégées de 1852 (Bureau d’enregistrement et de statistiques, 1853c et 1853d) ; échantillon 1 % du Recensement de 1871 (Darroch et Olstein, 1979)

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Figure 1

Distribution des sous-districts en fonction de l’écart de pourcentage entre l’échantillon de 20 % et les données agrégées, selon différentes caractéristiques démographiques et la province, Canada, 1852

Distribution des sous-districts en fonction de l’écart de pourcentage entre l’échantillon de 20 % et les données agrégées, selon différentes caractéristiques démographiques et la province, Canada, 1852

Figure 1 (suite)

Distribution des sous-districts en fonction de l’écart de pourcentage entre l’échantillon de 20 % et les données agrégées, selon différentes caractéristiques démographiques et la province, Canada, 1852

Figure 1 (suite)

Distribution des sous-districts en fonction de l’écart de pourcentage entre l’échantillon de 20 % et les données agrégées, selon différentes caractéristiques démographiques et la province, Canada, 1852

Figure 1 (suite)

Distribution des sous-districts en fonction de l’écart de pourcentage entre l’échantillon de 20 % et les données agrégées, selon différentes caractéristiques démographiques et la province, Canada, 1852
Source : échantillon 20 % du Recensement de 1852 (PRDH) ; données agrégées de 1852 (Bureau d’enregistrement et de statistiques, 1853c et 1853d) ; échantillon 1 % du Recensement de 1871 (Darroch et Olstein, 1979)

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Notre échantillon est suffisamment représentatif de la population totale au niveau des sous-districts présents, malgré le manque de données pour certains d’entre eux. Au moins 91 % des sous-districts ont un écart relatif entre 0 % et 5 % (très bon) pour le pourcentage d’hommes et de femmes recensés, tant au Canada-Ouest qu’au Canada-Est. Entre 87 % et 100 % des sous-districts de notre échantillon ont un écart de pourcentage très bon pour ce qui est de la répartition des individus selon leur état matrimonial. Notons que l’identification des veuves et des veufs est la plus fiable, peut-être en raison de leur effectif moindre. Pour la classification selon les groupes d’âge, les différenciations sont plus marquées. Pour les enfants de moins de cinq ans, nous avons constaté que les étiquettes pour les catégories de l’âge des enfants dans les données agrégées sont légèrement nébuleuses. Les enfants de moins de cinq ans sont en fait les enfants âgés de quatre à cinq ans seulement. En corrigeant l’analyse pour réaliser une simple comparaison des données pour la catégorie des cinq ans ou moins, nous observons que 18 % des sous-districts démontrent un écart de 5 à 10 % plus élevé ou plus faible que la distribution observée dans notre échantillon, tandis qu’en moyenne 80 % ont un écart minime. Finalement, pour le lieu de naissance, les écarts se situent entre 87 et 99 %, sauf pour l’Irlande au Canada-Ouest, où 73 % des sous-districts ont un écart entre 0 et 5 %. Les individus provenant d’Irlande sont-ils mal identifiés dans notre échantillon, ou simplement mal classés dans la base, où ils semblent sous-estimés ? Pour les personnes nées au Canada, nous avons regroupé les natifs dits « français » et les natifs « non français » du Canada afin d’effectuer une juste comparaison avec les statistiques publiées. Ces regroupements ont permis de constater que, pour 68 % des sous-districts du Canada-Ouest et 85 % de ceux du Canada-Est, on observe de très forts écarts dans l’identification des Canadiens.

Ces statistiques permettent d’étudier convenablement les caractéristiques sociodémographiques de la population formant notre échantillon. Les comparaisons de nature économique sont pour leur part limitées. En effet, les informations sur les professions dans les données agrégées sont par exemple classées par district seulement, ce qui entrave l’évaluation de l’impact des sous-districts manquants sur la représentativité de l’information économique dans notre base. Nous avons plutôt poussé nos recherches sur les types de maisons habitées par les familles recensées (Joubert, à paraître).

Toujours dans un souci de vérifier si certaines catégories de population sont surreprésentées ou sous-représentées dans notre échantillon par rapport aux données agrégées, nous avons étudié les écarts de proportions, non plus en valeurs absolues, mais en valeurs relatives (écarts négatifs, nuls ou positifs). On constate alors que, pour le Canada-Est, la majorité des sous-districts de notre échantillon contiennent une proportion d’individus provenant des cinq pays évoqués équivalente à celle présente dans la population totale. Il en va de même pour la plupart des variables étudiées à l’échelle du pays. Les variations présentent une dispersion centrée des données autour de la moyenne. En d’autres termes, la majeure partie des variables ont autant de variations vers le haut que vers le bas. Trois variables sont quant à elles sous-représentées dans notre échantillon par rapport aux statistiques agrégées : il s’agit des individus vivant au Canada-Ouest et nés en Irlande, des personnes célibataires et vivant au Canada-Est, et des enfants de moins de cinq ans vivant dans chacune des provinces. Par ailleurs, au Canada-Ouest, une surreprésentation dans notre échantillon par rapport aux statistiques agrégées concerne les personnes nées au Canada.

Somme toute, cette étude sommaire de représentativité et de comparabilité révèle que notre échantillon, même au niveau des sous-districts, répond substantiellement à des critères de validité de base. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit bel et bien dans l’ensemble d’un échantillon aléatoire et représentatif de la population totale de l’époque. Les écarts ne sont pas substantiels, mais ils restent notables dans le cas des jeunes enfants et des individus nés en Irlande vivant au Canada-Ouest. Une explication possible serait que les données manquantes de certains sous-districts entraînent un déséquilibre dans la proportionnalité générale de quelques variables. Les chercheurs désirant produire des statistiques au niveau de certains sous-districts vont donc devoir être plus vigilants quant à la représentativité de l’échantillon pour ces variables (voir Joubert, à paraître).

Les manuscrits du recensement de 1852 et la caractérisation des logements

Un des grands défis du recensement de 1852, surmonté par les recenseurs, entourait la structure même du questionnaire rural[3]. Il a été construit sous forme de livre dans lequel les familles ont été enregistrées sur quatre pages distinctes. Chaque page permettait d’inscrire l’information personnelle de 50 individus, soit un par ligne. Étant donné le format du recensement, les énumérateurs devaient constamment se référer à la première page pour rattacher l’information enregistrée dans les colonnes des pages suivantes à l’identité des individus, ce qui compliquait leur travail. Lors de la saisie des données, nous avons d’ailleurs parfois constaté que les notations inscrites sur une ligne dans les différentes colonnes ne correspondaient pas, d’une page à l’autre, au même individu.

La première page du questionnaire rural, comme l’illustre la figure 2, contient les colonnes suivantes : noms et prénoms, profession ou occupation, lieu de naissance, religion, résidence si elle est hors des limites du district, âge au prochain anniversaire et sexe.

Figure 2

Village de Perth, Recensement du Canada de 1852, page 1

Village de Perth, Recensement du Canada de 1852, page 1

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La deuxième page (côté gauche de la figure 3), pour sa part, permettait notamment d’identifier l’état matrimonial de tous les individus, les personnes de couleurs, les Indiens, les membres et les non-membres de la famille ainsi que les membres absents le jour du recensement, en plus des naissances et des décès survenus durant l’année 1851. Sur la troisième page (côté droit de la figure 3) étaient enregistrés les renseignements sur les maisons, les magasins, les lieux publics et de culte.

Figure 3

Village de Perth, Recensement du Canada de 1852, page 2

Village de Perth, Recensement du Canada de 1852, page 2

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La dernière page (partie de gauche de la figure 4) permettait aux recenseurs d’ajouter des détails sur les usines, le nombre d’engagés ainsi que des remarques générales. Nous avons saisi dans notre échantillon les commentaires concis notés à ces questions. Si le recenseur avait inscrit un long commentaire sur la page 4, nous avons signalé la présence de ce commentaire, mais nous ne l’avons pas enregistré, car l’apparition de ces longs commentaires n’était pas systématique et ne pouvait pas être transformée en variables organisées avec méthode et rigueur. Cependant, les chercheurs intéressés par le détail des annotations peuvent utiliser nos indicateurs dans le but de consulter les images exactes du manuscrit où l’on retrouve ces commentaires.

Figure 4

Village de Perth, Recensement du Canada de 1852, page 4

Village de Perth, Recensement du Canada de 1852, page 4

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Les manuscrits urbains, pour leur part, contenaient tous les renseignements relatifs à chaque logement sur deux pages seulement, comme on le voit sur la figure 5. Cette disposition a facilité la tâche des recenseurs, car toutes les colonnes étaient visibles simultanément. Le problème entourant la correspondance de l’information sur chacune des lignes à travers les nombreuses colonnes et pages a donc été négligeable dans le recensement urbain.

Figure 5

Hamilton, quartier St. Lawrence, Recensement du Canada de 1852, pages 1 et 2

Hamilton, quartier St. Lawrence, Recensement du Canada de 1852, pages 1 et 2

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L’identification des familles et des ménages dans les regroupements de logements est un défi dans le questionnaire rural compte tenu de la continuité des lignes d’une page à l’autre. Contrairement aux recensements du Canada à compter de 1871, le recensement de 1852 ne comprend pas de colonne pour indiquer le numéro de logement (parfois nommé numéro de ménage) ni de colonne pour le numéro de ménage (parfois nommé numéro de famille). Par ailleurs, une colonne pour identifier le type de maison a été incluse sur la troisième page du recensement (voir Bibliothèque et Archives Canada, 2006). Cette variable facilite la division des personnes recensées selon leur logement respectif. Lors de la planification de l’échantillonnage de ce recensement, nous avons observé que ces réponses ont majoritairement été notées sur les lignes des hommes mariés présumés chefs de logement. À l’étape de la saisie des données, l’attribution du type de maison au chef de logement hypothétique nécessitait l’interprétation de l’auxiliaire de recherche. De plus, les lignes à peine visibles et l’absence d’une numérotation de ces dernières sur la troisième page ont requis encore une fois une évaluation subjective de la part de l’auxiliaire.

À partir de ces données, nous allons établir les divisions des ménages à l’intérieur des logements, à l’image de celles disponibles dans les bases de données censitaires à compter de 1871. Ces attributions seront fondées sur notre compréhension de la structure — et de la complexité — des familles à l’intérieur de chaque logement. Pour ce faire, nous allons exploiter les questions originales dans ce recensement sur l’appartenance à la famille.

La conceptualisation des membres et non-membres de la famille

Les questions concernant l’identification des membres et non-membres de la famille ainsi que les membres absents sont spécifiques aux recensements du Canada de 1852 et 1861 (Bibliothèque et Archives Canada, 2006). Les instructions données aux recenseurs en 1851 ne fournissaient pas d’explications claires pour l’énumération des individus dans les colonnes membres de la famille. « Cols. 12 & 13 — Those who are actually members of the family, staying in the house on the night of the 11th of January. » (Gagan, 1974 : 360). Toutefois, les instructions ont fourni davantage de précision concernant les non-membres de la famille, telle que « those who stopped in the house on that night, but who are not members of the family, such as travellers, lodgers, clerks, servants, etc. ». Michael Doucet, dans une analyse discriminante, a cherché à identifier les caractéristiques distinguant les pensionnaires des membres apparentés. Ce chercheur a convenu que ces questions étaient des indicateurs fiables du statut d’un individu par rapport aux autres membres de la famille. Cependant, une étude informelle des questionnaires du recensement de 1852 a plutôt suggéré que le traitement de ces colonnes pouvait diverger entre les recenseurs.

Les deux illustrations suivantes fournissent un exemple de la confusion dans l’interprétation de l’information disponible. Dans un premier temps, nous observons sur la première ligne, le chef de ménage, Joseph Racicot, fils de Jean-Baptiste (figure 6, en haut). Dans un deuxième temps, nous retrouvons sa femme suivie de leurs trois enfants, puis son père, Jean-Baptiste Racicot père, sur la 6e ligne. Malgré l’évidence de la présence d’une famille étendue, le recenseur a attribué le statut de non-membre de la famille à Jean-Baptiste père (figure 6, en bas). Ce recenseur a apparemment utilisé une conception restreinte de la famille, celle de la famille nucléaire, qui a exclu le grand-père malgré son affiliation.

Figure 6

Logement Racicot, La Petite Nation, district d’Ottawa, Québec, Recensement du Canada de 1852, pages 1 et 2

Logement Racicot, La Petite Nation, district d’Ottawa, Québec, Recensement du Canada de 1852, pages 1 et 2

Figure 6 (suite)

Logement Racicot, La Petite Nation, district d’Ottawa, Québec, Recensement du Canada de 1852, pages 1 et 2

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Nous constatons que le recenseur, comme plusieurs autres, a fourni les nombres totaux sur la ligne du chef de ménage pour dénombrer les membres masculins (2) et les membres féminins (3) de la famille. Sur la ligne de Jean-Baptiste Racicot père, le recenseur a fait une marque singulière dans la colonne Non-membre de la famille.

Pour les recenseurs, l’attribution du statut Membre de la famille peut être compromise par l’effort d’enregistrement de ces informations sur les lignes correspondantes après avoir tourné la page du manuscrit. En d’autres termes, un risque d’erreur peut être observé quant à l’inscription du statut de l’individu concerné sur la ligne appropriée. Pour illustrer ce problème, nous présentons le cas de Jacob Hermann et sa femme enregistrés sur les lignes 24 et 25, suivis par Jonathan Parrott, sa femme ainsi que leurs deux enfants (figure 7). Ces derniers ont été enregistrés sur les lignes 28 et 29 sur la première page, mais apparaissent aux lignes 27 et 28 sur la deuxième page. Comme nous l’avions anticipé, leurs parents Jonathan et Esther devraient être inscrits précédemment sur cette deuxième page. Cependant, seule Esther semble être indiquée en tant que membre de la famille. L’attribution du statut de Jonathan n’est pas explicite. Est-il identifié en tant que non-membre de la famille ou est-il regroupé avec le statut membre d’Esther ? De plus, il se pourrait que Jacob Hermann et sa femme appartiennent en réalité au logement du haut. L’attribution des statuts de membre ou de non-membre de la famille ainsi que les divisions entre les logements sont donc problématiques étant donné l’enregistrement des données sur plusieurs pages.

Figure 7

Logement Hermann/Parrott, Recensement du Canada de 1852, extrait des pages 1 et 2

Logement Hermann/Parrott, Recensement du Canada de 1852, extrait des pages 1 et 2

Figure 7 (suite)

Logement Hermann/Parrott, Recensement du Canada de 1852, extrait des pages 1 et 2

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La prochaine figure illustre un dénombrement adéquat. En effet, Louis et Elizabeth Gardanier, en tête de ce ménage, sont dénombrés dès la ligne 24 sur la première page (figure 8). Leur statut ainsi que celui de leurs enfants sont bien identifiés sur la seconde page. Puis, leur type de maison est également noté sur la ligne du chef de ménage, soit la ligne 24 (sur la troisième page de recensement). Le recenseur a cependant attribué à un journalier un statut de non-membre de la famille, Lois ou Louis Wheeler (ligne 30). Il a également enregistré deux autres résidents de ce logement, Heller et Betsey Prish, en tant que membres de la famille (lignes 31 et 32). Néanmoins, leur relation avec Louis et Elizabeth demeure inconnue.

Figure 8

Logement Gardanier, Recensement du Canada de 1852, extrait des pages 1 et 2

Logement Gardanier, Recensement du Canada de 1852, extrait des pages 1 et 2

Figure 8 (suite)

Logement Gardanier, Recensement du Canada de 1852, extrait des pages 1 et 2

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Les instructions aux recenseurs ne précisaient pas la manière d’identifier les familles étendues et les ménages multiples résidants dans un seul logement. Ce manque de cohérence dans le protocole d’énumération a suscité une controverse quant à la qualité du recensement canadien de 1852. Nos assistants de recherche ont d’ailleurs exprimé leurs doutes à l’égard de l’information sur les membres et les non-membres de la famille. Certains d’entre eux ont précisé que plusieurs recenseurs semblaient catégoriser les personnes appartenant à une deuxième famille comme des membres de la famille tandis que d’autres les ont plutôt classés comme des non-membres de la famille.

Une analyse systématique des 250 000 observations dans la base de données nous permettrait d’évaluer l’ampleur réelle de ce problème. Par exemple, le risque de double dénombrement que Curtis a décrit et que Darroch a contesté est probablement, comme Darroch conclut, minime : seulement 2 % des personnes inclus dans notre échantillon de 20 % ont été enregistrées comme absentes du logement et seulement 5 % ont été enregistrées comme des visiteurs avec une résidence « hors limite ». Comme nous l’avons mentionné précédemment, certains recenseurs avaient l’habitude de noter les nombres totaux dans les colonnes Membre et Non-membre de la famille à défaut d’inscrire des marques individuelles. Gagan et Curtis ont tous les deux fait mention de ces additions. En réalité, la majorité des recenseurs ont utilisé des notations singulières pour dénombrer le statut de membre ou de non-membre de la famille sur chacune des lignes. En fait, 89 % des observations provenant des questionnaires ruraux et urbains ont été enregistrés avec des marques unitaires pour chaque individu (tableau 4). À l’inverse, seulement 6 % des observations présentent une notation globale. Nos auxiliaires de recherche ont donc révisé ces cas afin d’attribuer leur statut respectif à chacun des membres ou des non-membres de la famille. Dans le même ordre d’idée, les auxiliaires ont dû intervenir à nouveau dans 5 % des cas en raison des problèmes liés à la correspondance des lignes à travers les pages du manuscrit. La grande majorité des individus s’était vue assigner une appartenance familiale correcte de la part du recenseur original, mais une proportion appréciable de cas a nécessité une intervention pour obtenir le statut adéquat.

Tableau 4

Interprétation des réponses sur l’appartenance à la famille, Recensement du Canada de 1852

Interprétation des réponses sur l’appartenance à la famille, Recensement du Canada de 1852
Source : échantillon 20 % du Recensement de 1852 (PRDH), variable QMEM

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Analyse quantitative du traitement des questions des membres et non-membres de la famille et des membres absents

Les colonnes Membre de la famille, Non-membre de la famille et Membre de la famille absent ont généralement été remplies par les recenseurs (tableau 5). Pour mieux comprendre comment les recenseurs ont rempli les colonnes pour identifier le statut familial des individus, nous avons exclu les observations pour lesquelles les recenseurs ont inscrit les nombres totaux ainsi que les cas pour lesquels nos auxiliaires de recherche ou le Bureau du recensement ont fait une interprétation. Nous analysons donc seulement les réponses originales pour lesquelles les recenseurs ont noté une marque singulière pour chaque personne. Les 211 522 personnes provenant du questionnaire rural pour lesquelles l’information sur le statut familial est disponible ont fourni 211 715 réponses distinctes dans l’une des trois grandes colonnes. Ce total est le signe d’une légère incohérence, avec 193 occasions de doubles réponses à travers les différentes colonnes. Dans le recensement urbain, tout comme dans le recensement rural, il y a eu peu de réponses doubles, car les 10 606 personnes pour lesquelles une information individuelle sur le statut familial était disponible ont conduit à 10 422 réponses distinctes pour l’une des trois questions traitées ici. La décision de nos collègues du projet PHSVQ de ne pas saisir la colonne Membre de la famille absent nous empêche de réaliser cette évaluation pour la ville de Québec. Cependant, seulement 52 personnes recensées dans les villes de Bytown (Ottawa) et Hamilton ont été déclarées comme membres de la famille absents. Enfin, davantage de résidents urbains que de résidents ruraux ont été déclarés non-membres de la famille.

Pour la grande majorité des individus des échantillons des questionnaires ruraux et urbains, les recenseurs ont inscrit seulement une réponse, soit membre ou non-membre de la famille (98 % dans l’échantillon rural et 93 % dans l’échantillon urbain, tableau 6), peu de membres étant identifiés comme absents. Deux types de réponses divergentes et inattendues ont cependant été observés à travers les trois colonnes concernant l’appartenance familiale. Parmi les 3 770 personnes déclarées absentes dans l’échantillon rural (presque 2 % de l’échantillon), la plupart étaient identifiées comme membre de la famille absent. Dans 1 % des cas, les personnes pour lesquelles le statut « membre de la famille » est noté, le sexe inscrit dans cette colonne ne correspond pas à celui que l’on retrouve dans la colonne identifiant le sexe de l’individu sur la page précédente du manuscrit (tableau 6). Dans les manuscrits urbains, moins de contradictions entre le sexe identifié dans le statut familial et le sexe de l’individu sont observées. Les recenseurs n’avaient pas l’habitude d’attribuer de statuts multiples à des individus à travers les trois grandes colonnes. D’ailleurs, seulement 2 % des répondants dans les échantillons des questionnaires ruraux et urbains n’avaient aucune réponse pour leur statut membre ou non-membre de la famille.

Tableau 5

Réponses originales sur l’appartenance à la famille, Recensement du Canada de 1852

Réponses originales sur l’appartenance à la famille, Recensement du Canada de 1852

*la colonne Membre de la famille absent n’a pas été saisie pour la ville de Québec

Source : échantillon 20 % du Recensement de 1852 (PRDH), réponses originales par le recenseur (QMEM = 0)

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L’analyse précédente illustre le fait que les recenseurs ont largement respecté les procédures censitaires dans le classement de chaque individu selon un statut unique au sein de la famille. Par contre, cette analyse ne dit rien sur le choix de l’identité familiale inscrite pour chaque répondant. Pouvons-nous alors observer des variations dans les réponses notées par les différents recenseurs dans leur classement des individus en tant que membre ou non-membre de la famille ? Les habitudes des recenseurs divergent dans le classement du statut familial des répondants. En général, 90 % des répondants dans l’échantillon rural et 82 % dans l’échantillon urbain ont été classés comme membres de la famille (tableau 5). Afin d’approfondir la réponse à cette question, nous nous concentrerons uniquement sur la partie rurale de notre échantillon, car la partie urbaine couvre une proportion relativement faible de la population entière. L’accès à d’autres informations personnelles nous permet d’inférer directement la relation des individus au chef de ménage, ainsi que certaines relations interfamiliales, ce qui constitue un avantage considérable. Les variables pertinentes pour réaliser ces manipulations sont l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la profession ainsi que les noms de famille des individus. L’inférence de la relation au chef de ménage à l’aide de ces variables de base a été effectuée par le projet IPUMS dans le but de construire la variable IMPREL pour les échantillons des recensements américains de 1850, 1860 et 1870, puis par Ruggles et Dillon pour la variable CANREL pour l’échantillon du recensement canadien de 1871 (Ruggles, 1995 ; Dillon, 2000). Nous avons adopté ces procédures pour construire une version de CANREL pour notre échantillon du recensement de 1852[4].

Tableau 6

Conflits dans les réponses sur l’appartenance à la famille, Recensement du Canada de 1852

Conflits dans les réponses sur l’appartenance à la famille, Recensement du Canada de 1852
Source : échantillon 20 % du Recensement de 1852 (PRDH)

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Dans le recensement rural, l’attribution du statut familial des chefs de ménage, de leurs épouses ainsi que de leurs enfants a probablement été faite de façon systématique. Nous nous attendions cependant à observer des divergences dans les identités attribuées aux personnes n’appartenant pas à la famille nucléaire du chef de ménage. La proportion de personnes ne faisant pas partie du noyau familial mais classées comme membre de la famille dans l’échantillon rural s’élève à 68 % (tableau 7). Comme nous l’avions prévu, l’attribution du statut familial de ces personnes diverge d’un recenseur à l’autre. Puisque chaque recenseur était responsable du dénombrement d’un seul sous-district (ou division, s’il y avait lieu), il est possible de les distinguer par leur manière d’effectuer les classements des individus selon leur statut familial, donc par sous-district ou division. Environ 40 % des recenseurs ont classé de 57 à 79 % des répondants comme étant des membres de la famille (tableau 8). Seulement 20 % des recenseurs ont classé moins de 50 % des personnes n’appartenant pas au noyau familial comme membres de la famille, tandis qu’un autre 20 % des recenseurs étaient plus consistants en classant plus de 84 % de ces individus comme membres de la famille.

Tableau 7

Distribution en pourcentage des personnes par appartenance à la famille, recensement du Canada de 1852

Distribution en pourcentage des personnes par appartenance à la famille, recensement du Canada de 1852
Source : échantillon 20 % du Recensement de 1852 (PRDH)

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Tableau 8

Distribution en pourcentage des recenseurs selon le pourcentage de personnes non nucléaires classées comme membres de la famille

Distribution en pourcentage des recenseurs selon le pourcentage de personnes non nucléaires classées comme membres de la famille
a

moyenne dans cette catégorie : 68 %

Source : échantillon 20 % du Recensement de 1852 (PRDH)

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Étant donné cette divergence entre les pratiques de classement des recenseurs, comment les divers modes de classement ont-ils affecté les différents types de statut des individus ? La notion de « famille » faisait-elle référence simplement aux membres de la famille nucléaire ou plus généralement à la famille étendue ? Que se passait-il lorsque le ménage comprenait une deuxième famille, peut-être une famille de logeurs ? Les logeurs apparentés les uns aux autres étaient-ils identifiés comme des membres de la famille ou leur statut de logeurs a-t-il empêché cette pratique ?

Le tableau 9 montre la distribution en pourcentage du statut (membre ou non-membre) pour les diverses catégories d’occupants. Les recenseurs étaient très constants et fidèles dans leur classement des membres pour les familles nucléaires. En effet, de 97 à 99 % des chefs de ménage, des épouses et de leurs enfants étaient identifiés comme membres de la famille. Ces résultats correspondent à nos attentes. En spécifiant la nature des non-membres de la famille, par exemple, les travailleurs, les pensionnaires, les commis et les domestiques, les instructions aux recenseurs semblent suggérer que toutes les personnes apparentées au chef de ménage devraient être classées comme des membres de la famille. Les parents du chef de ménage, qui font partie de la famille étendue de ce dernier, étaient généralement identifiés comme les membres de la famille (dans 89 % des cas). Plus de 4 sur 5 des autres individus apparentés, comme les personnes partageant le même nom de famille que celui du chef mais ayant une différence d’âge de moins de 15 ans, et représentant potentiellement la fratrie du chef, étaient aussi identifiés comme membres de la famille.

Tableau 9

Distribution en pourcentage des personnes selon l’appartenance à la famille et la relation au chef du logement, recensement du Canada de 1852

Distribution en pourcentage des personnes selon l’appartenance à la famille et la relation au chef du logement, recensement du Canada de 1852
Source : échantillon 20 % du Recensement de 1852 (PRDH)

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Le statut de membre ou de non-membre des individus appartenant à une deuxième famille ou d’autres personnes recensées dans le même logement est difficile à déterminer selon les instructions aux recenseurs. En pratique, nous observons moins d’homogénéité parmi les recenseurs pour le classement de ces individus. Il est envisageable que les personnes ne partageant pas le même nom de famille que celui du chef de ménage soient moins identifiées en tant que membres de la famille. Ces personnes étaient d’une part des domestiques ou des journaliers travaillant pour le chef, d’autre part des pensionnaires ou bien des membres apparentés à l’épouse du chef. Nous pouvons d’ailleurs distinguer les domestiques et les journaliers par la profession qu’ils ont déclarée sur le recensement. Les pensionnaires, les autres personnes apparentées et celles sans profession ou avec une autre occupation mais ne partageant pas le même nom de famille que celui du chef font partie du groupe résiduel dans la variable CANREL. Conformément aux instructions fournies aux recenseurs, ces derniers ont pu identifier aisément et de façon uniforme les domestiques comme étant non-membres de la famille. En outre, seulement 14 % des domestiques ont été identifiés comme membres de la famille, tandis que 84 % l’ont été comme non-membres (tableau 9). Les journaliers, par ailleurs, constituent un groupe plutôt diversifié. Les recenseurs ne les identifiaient pas tous dans le même groupe. Près de la moitié (46 %) sont inscrits comme membres de la famille, même en excluant ceux qui partagent le même nom de famille que celui du chef, éliminant ainsi plusieurs dont la profession est décrite comme « fils-journalier » ou « travail pour son père ». À l’opposé, seulement 52 % de ces individus sont classés comme non-membres de la famille. Le statut des autres personnes susceptibles d’être par exemple pensionnaires ou apparentées est également varié. En effet, ce groupe comprend 60 % de membres de la famille et 37 % de non-membres.

En 1852, les logements comprenaient à l’occasion d’autres individus formant une deuxième famille, soit plus de deux personnes partageant un nom différent de celui de la première famille. Parmi celles-ci, 87 % ont été identifiées comme membres de la famille. Les notations des recenseurs sont incertaines quant à l’identification de ces individus. Voulaient-ils indiquer qu’il s’agissait d’une relation au chef du logement (chef de ménage de la première famille) ou voulaient-ils tout simplement indiquer l’existence de relations familiales à l’intérieur de ce deuxième noyau ? Les instructions aux recenseurs n’ont fourni aucune spécification sur ce volet particulier de la question. Enfin, la colonne concernant la profession offre une dernière opportunité pour évaluer l’utilisation des questions sur l’appartenance familiale. Par exemple, sur les 52 enfants identifiés comme adoptés, 42 % sont identifiés comme membres de la famille tandis que 57 % sont identifiés comme non-membres.

Finalement, les réponses aux questions sur l’appartenance familiale faites par les recenseurs démontrent certaines variations, mais à l’intérieur des paramètres attendus. Les chefs, les épouses et leurs enfants sont normalement identifiés comme membres de la famille. Les parents du chef ainsi que les autres personnes partageant le même nom de famille que celui du chef ont également été classés comme membres de la famille, tandis que les domestiques ont généralement été identifiés comme non-membres de la famille. Les statuts des autres types de personnes déterminés par les recenseurs sont demeurés plutôt disparates, ce qui peut refléter les pratiques de classification divergentes d’un recenseur à l’autre. Ainsi, 20 % des recenseurs ont attribué le statut membre de la famille à maintes reprises, tandis qu’un autre 20 % ne l’a attribué que rarement. Les différents statuts alloués au reste des individus peuvent aussi refléter des réalités historiques : dans les ménages canadiens du xixe siècle, nous retrouvons souvent des personnes non apparentées telles que des pensionnaires, des chambreurs, des journaliers ou des apprentis. Plusieurs caractéristiques ont pu être attribuées à une même personne. Par exemple, un individu a pu être identifié à la fois comme apparenté et pensionnaire, ou comme apparenté et journalier travaillant sur la ferme familiale. En croisant les différentes variables, on peut découvrir des identités multiples et des relations complexes au sein des logements.

Possibilités de recherche

Notre étude du recensement du Canada de 1852 nous ouvre plusieurs possibilités de recherche. Nous pouvons tout d’abord créer un portrait démographique de la population du Canada-Est et du Canada-Ouest, notamment sur le rapport enfant-femme, la fécondité de chaque femme mariée (« own-child fertility »), l’âge moyen au mariage, l’écart d’âge entre les conjoints, les mariages mixtes et les origines des immigrants. Nous pouvons ensuite répartir toutes ces caractéristiques démographiques en fonction de l’espace, de la classe sociale et de l’identité ethnoreligieuse. Trouverons-nous par exemple dès cette époque des indications sur les espacements ou les arrêts des naissances dans la bourgeoisie ? La tendance des catholiques et des journaliers à se marier tôt était-elle généralisée dans les deux provinces au milieu du xixe siècle ? En 1852, où vivaient les immigrants britanniques, population qui, après des vagues successives d’arrivées au Canada depuis 1830, va s’étioler vers 1855 ?

Ce recensement est aussi particulièrement adapté aux études portant sur les structures des ménages et de la corésidence intergénérationnelle au milieu du xixe siècle. Une étude préliminaire des configurations résidentielles des aînés en 1852 a montré l’existence d’une grande proportion de logements multigénérationnels (Dillon, 2012). Un quart de toutes les personnes de 65 ans et plus vivaient dans des logements ayant 2 couples mariés ou plus, et au maximum la moitié des veuves de 65 ans ou plus vivaient comme parents du chef de logement en 1852. Cet exemple soulève une question de fond : avant la Confédération, comment les stratégies de reproduction sociale et de transmission de la terre se manifestaient-elles dans les structures des ménages ? Par rapport à la corésidence des parents avec leurs enfants adultes, y avait-il dominance de la famille souche, dans laquelle les parents vivaient avec seulement un enfant marié, les autres enfants vivant ailleurs ? Ou, dans un contexte de forte fécondité (comme celui de la population canadienne-française catholique), y avait-il davantage de diversité dans les formes familiales, dont la corésidence de plusieurs enfants mariés avec leurs parents ?

Nous pouvons également explorer d’autres formes de complexité des logements, comme l’inclusion d’autres enfants, étrangers ou apparentés, dans le logement, l’existence des familles recomposées, ou la corésidence de familles non apparentées. Les chercheurs peuvent utiliser de manière exploratoire les questions sur les membres et les non-membres de la famille pour distinguer les apparentés des non-apparentés. Même si ces questions révèlent une certaine ambiguïté, leur disponibilité offre un avantage qui n’existe pas dans les recensements de 1871 et de 1881, celui d’établir les limites maximum et minimum de corésidence avec les apparentés et les non-apparentés. Les chercheurs peuvent aussi bénéficier de la tendance d’environ la moitié des femmes canadiennes-françaises à donner leur nom de jeune fille au lieu de leur nom de femme mariée : cette tendance nous aidera à identifier la corésidence de ces femmes avec leurs pères, avec leurs frères ou avec leurs soeurs non mariées. Il est également possible de dénombrer les familles en jumelant ce recensement aux sources complémentaires comme les registres paroissiaux catholiques. L’identification des couples mariés et de leurs enfants à partir des actes de mariage et de baptême avant 1852 nous aidera à distinguer, sur le recensement, la corésidence des parents avec les beaux-enfants ou les enfants adoptés. Ce genre d’étude nous aiderait à comprendre les réponses spécifiques des familles aux besoins des veuves et des veufs et à ceux des orphelins, victimes des forts taux de mortalité.

En plus des études portant sur les formes familiales au milieu du xixe siècle, les chercheurs peuvent exploiter des questions sur la profession et le type de bâtiment (maison, magasin, édifice public ou lieu de culte). Les réponses à la question portant sur l’usage du bâtiment (Type de moulin…) sont faibles : parmi les hommes de 20 à 80 ans, chefs de logement et ayant comme profession marchand, agent, manufacturier, artisans, travailleur qualifié ou cultivateur, seuls 407 sur plus de 28 138 ont fourni une réponse à cette question. La question « type de magasin » a été mieux recensée. Parmi les hommes de 20 à 80 ans chefs de logement, la moitié de ceux ayant indiqué comme profession marchand, agent ou manufacturier ont indiqué leur type de magasin, par exemple auberge ; presque 1 col blanc ou artisan sur 5 a également fourni une réponse à cette question, par exemple boutique de forgeron ou tannerie. Avec ce recensement, nous pouvons explorer la distribution, à un niveau géographique fin, de la main d’oeuvre par classe professionnelle, ainsi que la distribution des lieux de travail agricole, artisanal ou industriel. Nous pourrions ainsi mesurer plus soigneusement le caractère des économies locales du Canada-Est et Canada-Ouest à cette époque et les modalités de la protoindustrialisation dans les sous-districts ruraux. En intégrant ces microdonnées censitaires aux fichiers fournissant les limites géographiques associées dans un système d’information géographique, nous pourrions cartographier la répartition spatiale des populations, de leurs caractéristiques démographiques et de leurs activités économiques. La période de forte immigration couplée à une forte fécondité juste avant le dénombrement de 1852 rend pertinente l’analyse de la distribution de la population par sous-district et la localisation des communautés saturées ou encore ouvertes. Les limites géographiques au niveau des sous-districts du Canada-Est sont déjà disponibles (Courville et St-Hilaire). Enfin, avec les microdonnées censitaires, nous pouvons relier ces configurations aux caractéristiques familiales, par exemple en comparant les professions des pères et leurs fils corésidant pour analyser la mobilité sociale.

Tous ces sujets de recherche peuvent être poursuivis dans l’optique d’une recherche comparative avec le recensement des États-Unis de 1850, en particulier celui des États du Nord-Est (Minnesota Population Center[5]). Le recensement du Canada de 1852 étant le premier recensement nominatif portant sur chaque membre des logements au Canada-Est et au Canada-Ouest au xixe siècle, il représente le début précieux d’une série d’échantillons censitaires historiques se poursuivant jusqu’en 1951, à l’exception de 1861. Les chercheurs peuvent ainsi entreprendre des analyses portant sur les transformations de la société canadienne de l’ère de la pré-Confédération jusqu’après la Seconde Guerre mondiale et le début du baby-boom. À partir de quel moment la diminution de la corésidence des aînés avec leurs enfants adultes est-elle visible ? Les différences entre les professions des pères et leurs fils se sont-elles intensifiées à un moment particulier ? Il serait particulièrement intéressant de préciser la périodisation des changements au cours de ces 100 ans et de montrer la diversité des configurations spatiales touchant les principaux regroupements ethno-religieux. Ces pistes de recherches ne représentent qu’un fragment des possibilités offertes par ces données.

Conclusion

Cette analyse approfondie des réponses aux questions sur le recensement du Canada de 1852, analyse qui exploite un échantillon aléatoire, nous offre de nouvelles perspectives sur le travail des recenseurs sur le terrain. Le manque d’instructions aux recenseurs a évidemment nui à leur travail. L’organisation des questions sur la présence ou non des membres de la famille et l’appartenance à la famille a engendré des protocoles de collecte d’information variés. Cependant, les données provenant des manuscrits manifestent un dénombrement largement (quoique pas toujours) systématique. Cette analyse suggère que les recenseurs étaient généralement en mesure de cerner les relations évidentes. Malgré des instructions incomplètes et imprécises, ils ont su se référer aux situations familiales du même type croisées tout au long de leur parcours. En ce sens, notre appréciation du travail des recenseurs en 1852 va dans le même sens que l’argument de Darroch selon lequel les individus à l’échelle des localités ont enregistré l’information dans le recensement selon leurs connaissances et leur propre compréhension de la famille et du ménage. Relativement peu de recenseurs ont utilisé les marques « ditto » ou les totaux au lieu des marques unitaires, et peu ont donné plus d’un statut à chaque personne. Les membres des familles nucléaires, les parents du chef de ménage et les domestiques ont été classés dans la plupart des cas de façon uniforme d’un recenseur à l’autre. Les divergences de pratique de classification entre les différents recenseurs sont plus évidentes touchant les autres membres du logement ne partageant pas le nom de famille du chef. Des recherches plus détaillées sont nécessaires afin d’évaluer si ces classements discordants dans l’attribution du statut des journaliers et des pensionnaires-apparentés reposent sur des habitudes différentes entre recenseurs ou sur des réalités historiques.

Par rapport aux évaluations ultérieures du recensement de 1852, notre estimation est plus systématique et juxtapose des problèmes qui se révèlent plutôt minimes par rapport à un défi plus fondamental : l’absence du tiers des manuscrits du recensement de 1852. La principale difficulté dans la transcription des données apparaissant sur les manuscrits du recensement de 1852 pour notre base de microdonnées est bien l’absence des données pour 34 % de la population. Notre comparaison des statistiques de base produites à partir de notre échantillon aux statistiques produites à partir des données agrégées publiées démontre que notre échantillon est néanmoins représentatif de la population quant au sexe, à l’âge, à l’état matrimonial et au lieu de naissance au Canada-Est. Cependant, certaines divergences dans la distribution des enfants en bas âge et des personnes nées en Grande-Bretagne au niveau des sous-districts suggèrent que les chercheurs travaillant sur ces sous-districts devraient vérifier leur représentativité. Malgré ces défis, cette base de données offre des pistes de recherches sur les comportements démographiques, sur les formes familiales, sur la répartition spatiale de la population et sur l’état de l’économie au milieu du xixe siècle. En somme, les résultats de nos analyses nous encouragent à poursuivre — avec à la fois prudence et enthousiasme — l’exploitation des échantillons du recensement du Canada de 1852, car elle offre l’opportunité de dresser un portrait de la population canadienne au début de l’ère statistique moderne.