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Introduction

La période de transformations qui secoue violemment la sphère de la formation des enseignants, notamment en France avec la réforme de la mastérisation, s’émancipe assez largement des apports de la recherche en éducation. L’avis de ses chercheurs n’est bien sûr aucunement sollicité, mais, plus ennuyeux, ses résultats ne sont même pas pris en compte. D’autres logiques, notamment budgétaires, président aux choix politiques et nous ne reviendrons pas ici sur leurs analyses auxquelles nous avons déjà contribué par ailleurs (Marcel, 2012, à paraître). Il n’est toutefois pas question de se résigner, d’une part parce que la recherche en éducation n’est pas toujours exempte de maladresses dans ses rapports au politique et, d’autre part, parce que la fonction citoyenne d’un chercheur est d’alimenter le débat social en lui fournissant des connaissances scientifiquement élaborées.

Le premier objectif de ce texte est donc d’apporter une contribution au débat sur la formation des enseignants. Pour ce faire, il se cible sur un dispositif de formation initiale qui a été supprimé en France par la mastérisation : le stage dit de pratique accompagnée. L’analyse qui en est proposée tend à montrer que ce dispositif est propice à la mise en oeuvre d’un apprentissage professionnel spécifique.

Après avoir présenté le contexte de la formation des enseignants en France et repéré la suppression du stage de pratique accompagnée comme symptomatique de l’esprit de la réforme, l’article développe la démarche d’analyse retenue. À partir d’un cadre théorique permettant d’investir l’apprentissage professionnel (les théories de l’apprentissage social pour les processus et une typologie des savoirs professionnels des enseignants pour les produits), les résultats d’une étude empirique sont brièvement présentés. Ils mettent au jour des savoirs professionnels et les processus sociocognitifs qui ont permis leur élaboration par sept enseignants stagiaires de l’enseignement agricole public français pendant leur stage de pratique accompagnée. La phase d’analyse du dispositif est structurée par les trois catégories d’activités du stagiaire (activités observées, réalisées et analysées) et par leurs interrelations. Cette analyse, qui s’émancipe progressivement de l’enquête pour accéder à un niveau de généralisation plus important, est prolongée par une modélisation systémique du stage de pratique accompagnée. Cette modélisation emprunte trois étapes et envisage tour à tour le stage comme un système social, comme un système d’activités et comme un système d’apprentissage professionnel.

1. Problématisation

À partir de la présentation du contexte de la formation des enseignants en France, nous analyserons les modifications introduites par la réforme de la mastérisation des enseignants, en ciblant plus précisément le nouveau statut des stages. Dans ce cadre, la disparition de « stage de pratique accompagnée » apparaît comme particulièrement emblématique des nouvelles orientations en matière de formation des enseignants et l’objectif de ce texte sera de montrer comment et en quoi ce dispositif de formation offre un espace sociocognitif original aux apprentissages professionnels des enseignants stagiaires.

1.1 Le contexte de la mastérisation de la formation des enseignants en France

En France, la réforme dite de la mastérisation mise en place en 2010, au-delà de la hausse du niveau de recrutement, a considérablement modifié la formation des enseignants. Avant sa mise en place, les enseignants stagiaires du secteur public entraient en formation professionnelle après la réussite de leur concours, durant une année, au sein de centres spécifiquement dédiés à cette formation (les instituts universitaires de formation des maîtres, IUFM, pour l’Éducation nationale ; l’École Nationale de Formation agronomique, ENFA, pour l’enseignement agricole). Avec la mastérisation ont été créés des masters d’enseignement, diplômes universitaires visant un triple objectif : l’obtention d’un master, la formation « professionnelle » au métier d’enseignant et la préparation d’un concours, sésame indispensable pour accéder au statut d’enseignant. L’année de professionnalisation, à la suite de la réussite au concours, voit les enseignants stagiaires directement nommés dans un établissement avec charge de classe. Elle fait l’objet d’une sorte d’accompagnement à l’entrée dans le métier, mais elle atteste aussi de la disparition du modèle historique français de formation professionnelle initiale des enseignants, hérité des écoles normales et dont les Écoles normales supérieures (responsables de la préparation de l’agrégation) sont les dernières survivantes.

En ce qui concerne l’enseignement agricole public, le contexte sur lequel se centrera cette contribution, les lauréats du concours sont directement nommés sur un poste en établissement avec un service d’enseignement partiellement réduit (2/3 du service d’un titulaire). Conformément à sa mission nationale, l’ENFA a été chargée d’accompagner et de coordonner cette année de formation alternée (dite de professionnalisation) par un dispositif comportant trois composantes principales :

  • des sessions de formation regroupant l'ensemble des enseignants stagiaires sur le site de l'ENFA, « regroupements » animés par les formateurs de l'ENFA et comportant à la fois des apports théoriques et pratiques et des analyses de l'expérience des stagiaires,

  • une formation dans l'établissement d'affectation (assumée par des « conseillers pédagogiques », des pairs expérimentés, avec la contribution des équipes de direction). Il s'agit d'une modalité d'accompagnement à la première expérience et prend la forme de la communication d'un certain nombre d'informations, de la promulgation de différents conseils en lien avec les difficultés que peut rencontrer le stagiaire dans sa découverte de l'exercice professionnel,

  • une modalité de suivi à distance, sous forme d'une plate-forme collaborative, permettant les interrelations entre les enseignants stagiaires et les différents référents de la formation (ENFA et établissement).

1.2 Une refonte des stages

Parmi les différentes transformations initiées par la mastérisation, nous retiendrons celles relatives aux stages, fortement caractéristiques des formations par alternance en général et de la formation des enseignants en particulier. Dans ce cas, il paraît même difficile de parler d’alternance. Mauduit-Corbon (1996) distingue trois types d’alternances : l’alternance juxtapositive (quand il n’existe pas de lien pédagogique construit a priori, mais un simple partenariat institutionnel), l’alternance associative (quand le lien pédagogique commence à s’organiser à travers une répartition de la formation entre les deux pôles) et l’alternance intégrative (ou interactive) qui se fait sur la base d’un projet pédagogique commun. Avec ce nouveau dispositif de formation, et malgré la plateforme collaborative, nous sommes dans le meilleur des cas, dans une forme juxtapositive (Marcel, 2011c).

Au-delà des liens ténus entre les deux sphères de l’alternance, la forme même des stages a été modifiée. Dans l’ancien dispositif de formation des enseignants existaient les stages de pratique accompagnée. L’enseignant stagiaire se voyait attribué un référent (un conseiller pédagogique, désormais CP) et il effectuait son stage auprès de ce référent, c’est-à-dire au sein des mêmes classes, auprès des mêmes élèves et dans le cadre des mêmes formations. Généralement, nous avions une période d’observation du CP par le stagiaire puis, progressivement, le stagiaire prenait les classes. Dans ce cas, le CP observait la séance et effectuait un retour au stagiaire dans une sorte d’entretien de mise au point.

Dans la nouvelle formule, ces stages n’existent plus. L’enseignant stagiaire est nommé dans l’établissement et se voit attribué ses propres classes (certes dans le cadre d’un service un peu réduit comme nous l’avons dit). Le référent existe toujours, mais a ses propres classes, différentes de celles du stagiaire. Dès lors, la phase d’observation du CP par le stagiaire, quand elle est possible au niveau de l’emploi du temps, perd beaucoup de son opérationnalité, car il s’agit d’autres classes et d’autres formations[1]. De la même manière, lorsque le CP observe le stagiaire (de manière très ponctuelle pour des questions d’emploi du temps), il ne connaît ni les élèves ni, nécessairement, les formations, ce qui rend les mise au point quelque peu superficiels. Ce principe de « dissociation » entre l’espace du stage et celui d’exercice du CP est renforcé par deux éléments relatifs à la relation CP/stagiaire. Le premier concerne le temps partagé entre le CP et le stagiaire qui se trouve réduit à quelques séances et perd le caractère longitudinal du modèle précédent. Or, ces temps un peu informels (dans les classes avant ou après les cours, salle des professeurs, cantine, cour de récréation, etc.) fournissent une contribution non négligeable au processus de formation, notamment en terme de socialisation et d’identité professionnelles (voir, par exemple, à ce propos Blanc, 2007). Le second élément concerne le positionnement symbolique des protagonistes : le statut stagiaire/référent se trouve ici « affaibli » par le fait que le stagiaire est un collègue du CP quasiment à part entière puisqu’il a charge de classe, comme lui et, le plus souvent, dans le même établissement.

1.3 Mettre au jour les caractéristiques du stage de pratiques accompagnées

L’objectif de ce texte est d’analyser le dispositif « stage de pratique accompagnée » dont la suppression, au profit d’un « compagnonnage » par des enseignants expérimentés (selon la formule du Ministère français), est quasiment passée inaperçue.

Cette analyse vise à mettre au jour et à caractériser les processus d’apprentissage professionnel que peut permettre cette modalité de stage et les savoirs professionnels qu’il peut permettre de construire.

2 Approche méthodologique : la démarche d’analyse

La démarche d’analyse du dispositif « stage de pratique accompagnée » s’appuiera sur les cadres théoriques de l’apprentissage social qui s’avèrent les plus opératoires pour explorer les processus sociocognitifs dans un contexte structuré par l’interaction stagiaire/CP. Ainsi seront utilisées les propositions de Bandura (quand le stagiaire apprend « avec » son CP), les propositions de Bruner (quand le stagiaire apprend « de » son CP) ou celle des néopiagétiens (quand le stagiaire apprend « contre » son CP, au travers d’un conflit sociocognitif).

En ce qui concerne les « produits » de l’apprentissage, les savoirs professionnels (SP) seront appréhendés à partir d’une double typologie. En premier niveau seront distingués les SP relatifs à la prise en charge des tâches couvrant l’exercice professionnel (tâches d’enseignement, de préparation, de concertation, de collaboration, etc.) et les SP relatifs à la socialisation professionnelle (normes, règles, positionnement, identité, etc.). En second niveau, au sein des SP relatifs à la prise en charge des tâches professionnelles, nous différencierons des SP de type académique (en lien avec le savoir enseigné, sa didactisation, mais en lien aussi avec la gestion pédagogique d’une classe) de SP beaucoup moins formalisés et relatifs à la gestion de la contingence de l’action en situation (qui, bien sûr, ne sont pas coupés des SP académiques).

Ces cadres théoriques et ces typologies seront mobilisés pour éclairer les résultats d’une enquête empirique, conduite en 2008, étudiant l’apprentissage professionnel de sept professeurs stagiaires de l’enseignement agricole public français durant leur stage de pratique accompagnée.

L’analyse s’appuiera sur les trois catégories d’activités principales du stagiaire durant ce stage : l’activité observée (quand il observe le CP faire classe), l’activité réalisée (quand il conduit des séances de classe) et l’activité analysée (qui recouvre aussi bien les phases de préparation et d’autoanalyse des séances que les séances de mise au point ou les échanges plus informels entre CP et stagiaire). Chacune de ces catégories d’activités sera d’abord analysée séparément pour mettre au jour sa contribution potentielle à l’apprentissage professionnel du stagiaire. Dans une seconde phase, la même démarche sera appliquée aux interactivités, c’est-à-dire aux interrelations, 2 à 2, de ces activités. Dans chaque cas l’analyse partira de l’enquête empirique, mais la dépassera pour accéder à un niveau de généralisation plus important. Cette démarche, régulièrement mobilisée pour l’analyse des dispositifs (voir par exemple à ce propos Audran 2010), s’appuie sur l’étude empirique d’un dispositif en situation pour dégager des éléments de réflexion transposables au dispositif dans son ensemble. Elle aboutira ici à la proposition d’une modélisation systémique du dispositif « stage de pratique accompagnée » construite en trois étapes.

3 Cadre théorique : l’apprentissage dans le champ de la formation des enseignants

Un cadre théorique relatif à l’apprentissage se doit de prendre en charge deux volets, le processus d’apprentissage (qui sera étudié à partir des théories de l’apprentissage social) et le produit de cet apprentissage (qui sera étudié à partir des savoirs professionnels construits).

3.1 Le processus d’apprentissage : les théories de l’apprentissage social

Avant de présenter les trois principales théories de l’apprentissage social que nous allons mobiliser, il est important de préciser qu’elles ont été proposées, notamment celle de Bruner, pour le processus d’apprentissage chez l’enfant. Nous avons fait le choix, assumé, de les transposer dans le cadre de la formation des enseignants, car si ces processus sociocognitifs peuvent varier (dans leur durée, leur degré, etc.), leur nature reste identique.

3.1.1 Apprendre « des » autres professionnels : l’imitation active

La théorie de l’apprentissage vicariant, proposée par Bandura (1976), fait de l’imitation active (c’est-à-dire basée sur une « transformation » du modèle initial) le processus privilégié de l’apprentissage. L’individu apprend en observant les comportements d’autrui, mais aussi les conséquences de ces comportements. Ce processus de modeling, traduit par modelage, est défini par Carré (2004) comme « un travail d’observation active par lequel, en extrayant les règles sous-jacentes aux styles de comportement observé, les gens construisent par eux-mêmes des modalités comportementales proches de celles qu’a manifestées le modèle et le dépassent en générant de nouvelles compétences et de nouveaux comportements, bien au-delà de ceux observés » (p. 25-26).

Le processus de modelage regroupe quatre composantes : l’attention, la mémorisation, la reproduction et la motivation. Bandura (1976) distingue trois types de modelage : le modelage comportemental (par observation directe du comportement d’autrui), le modelage verbal (le modèle est décrit par le langage) et le modelage symbolique (le modèle est fourni par différents médias). Il précise toutefois que « le processus fondamental du modelage est le même, que le comportement soit transmis au moyen de mots, d’images ou d’actions vivantes » (p. 43).

Dans ce cadre, la dimension « symbolique » du modèle revêt une importance première. Ainsi, l’enseignant ne pourra choisir « d’imiter activement » qu’un (e) collègue qu’il considère comme susceptible de lui apprendre quelque chose, ce qui est précisément souvent le cas de son CP. Mais il faudra également qu’il infère, à partir de « l’objet » imité (une manière de faire, l’organisation d’un dispositif, la construction d’un support pédagogique, etc.), l’utilisation qu’il pourra en faire dans son travail. Dans la proposition de Bandura, l’autre (ici le CP, et plus précisément ses actions) est considéré comme une ressource potentielle. Cette potentialité du « modèle » reste tributaire du choix de son imitation en fonction de l’utilité présumée par l’enseignant stagiaire concerné. Elle échappe donc à toute forme de cadrage préalable (tant de la part du stagiaire que du CP) et est fortement tributaire de la situation au sein de laquelle elle pourra s’actualiser et où elle apparaît, aux yeux du stagiaire, comme une opportunité (une ressource de la situation, pourrions-nous dire).

3.1.2 Apprendre « avec » les autres professionnels : la relation de tutelle

Bruner (1998) introduit le concept d’étayage. Lié à celui de zone proximale de développement (Vygotsky, 1993 /1985), l’étayage désigne « l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ ». (Bruner, 1998, p. 148). L’étayage des apprentissages permet de préciser la définition du processus de tutelle : « Il s’agit des moyens grâce auxquels un adulte (ou un spécialiste) vient en aide à une personne moins adulte ou moins spécialiste que lui. » (Ibid., p. 150). Dans un souci de synthèse, nous avons choisi de regrouper ces fonctions en trois registres différents correspondant aux trois composantes principales de l’activité de conseil : entrer en relation, guider et montrer.

  1. La fonction relationnelle. Elle concerne la prise en charge de l’autre (ici, le professeur stagiaire) pour lui permettre de participer pleinement à la situation de tutelle. Elle regroupe deux fonctions :

    • la fonction « d’enrôlement » consiste à engager l’intérêt et l’adhésion du formé envers les exigences de la tâche, mais aussi envers la situation de tutelle ;

    • la fonction de « contrôle de la frustration » s’attache à rendre la situation si ce n’est confortable tout au moins acceptable pour le formé (l’encourager, valoriser son travail, lui permettre de ne pas « perdre la face » en cas d’erreur) tout en évitant que ne s’installe une trop grande dépendance du formé à l’égard de son tuteur.

  2. La fonction de guidance. Elle se caractérise par le fait que le tuteur adopte la logique du formé (accompagnement), mais lui permet de ne pas s’égarer et de pouvoir tirer le meilleur profit de la situation (guidage). Elle regroupe deux fonctions :

    • la fonction « maintien de l’orientation » demande au tuteur de préserver la poursuite des objectifs définis, d’éviter que les formés ne s’attardent ou ne s’égarent vers d’autres buts. Cela passe par la valorisation des enjeux de la tâche à effectuer.

    • La fonction « signalisation des caractéristiques déterminantes » invite les tuteurs à souligner les caractéristiques pertinentes de la tâche pour que le formé réussisse à la réaliser.

  3. La fonction d’intervention. Elle concerne les volets de la tâche que le CP va prendre en charge, car le stagiaire n’est pas encore capable de les mener à bien. C’est principalement sur la fonction d’intervention que seront mobilisés les formats[2]. Elle regroupe deux fonctions :

    • la fonction de « réduction des degrés de liberté » recourt à « une simplification de la tâche par réduction du nombre des actes constitutifs requis pour atteindre la solution » (Bruner, 1998, p. 277). Le tuteur va combler les lacunes du formé pour lui permettre de réaliser la tâche fixée.

    • La fonction de « démonstration » (ou « présentation de modèles de solution pour une tâche ») ne se limite pas à réaliser cette tâche en présence du formé, mais s’accompagne de formes de théorisations permettant au formé de s’approprier la démonstration.

3.1.3 Apprendre « contre » les autres professionnels : le conflit sociocognitif

Même si Bandura insiste fortement sur les fonctions du langage dans les processus vicariants, les néopiagétiens théorisent, avec le conflit sociocognitif (Doise & Mugny, 1991, Perret-Clermont, 1996) un autre mode d’apprentissage. Ils mettent en avant le rôle des controverses dans la construction des schèmes. Ainsi, l’autre ne sera plus une ressource, mais, à l’inverse, une contrainte, génératrice de perturbations et de conflits, qui va obliger l’enseignant concerné à trouver, tour à tour, les arguments pour convaincre (modalité interindividuelle) et pour réorganiser la cohérence de sa pensée en intégrant les arguments adverses (modalité intra-individuelle). Bertrand (1993) précise les trois principes régissant cette théorie :

  1. « La construction des connaissances est nécessairement sociale et repose sur un ensemble d’interactions entre les personnes » (Bertrand, 1998, p. 119). Bourgeois et Nizet (1997) rappellent que toute interaction n’est pas source d’apprentissage et qu’il faut, pour cela, qu’il y ait « déséquilibre » entre les protagonistes pour que se mette en oeuvre le processus « d’équilibration » ;

  2. « le conflit sociocognitif est à la source de l’apprentissage » (Bertrand, 1998, p. 119) ce que Bourgeois et Nizet (1997) développent à l’aide de trois arguments : le conflit favorise d’abord « une décentration de l’individu par rapport à son propre point de vue, par la prise de conscience de réponses possibles autres que la sienne » (p. 160), il permet ensuite que les protagonistes découvrent de nouvelles informations et développent ainsi leur potentiel de solutions possibles, enfin, « dans une situation de conflit sociocognitif, le conflit cognitif comporte un enjeu social » (Bourgeois & Nizet, 1997, p. 161) qui le positionne, en plus du niveau intra-individuel, au niveau interindividuel ;

  3. « la recherche d’un dépassement du déséquilibre cognitif interindividuel provoque un dépassement du déséquilibre cognitif intra- individuel » (Bertrand, 1993, p. 120). C’est parce que le conflit est social, donc partagé, que les protagonistes sont contraints de négocier (et/ou de convaincre) et d’élaborer ensemble une solution collective et acceptable par tous.

Dans le cadre du stage de pratique accompagnée, nous pouvons repérer que les séances de mise au point, que ce soit d’ailleurs à la suite d’une séance de classe conduite par le CP ou, bien sûr, à la suite d’une séance de classe conduite par le stagiaire, correspondent à des situations potentiellement génératrices de conflits sociocognitifs.

3.2 Le produit de l’apprentissage : les savoirs professionnels de l’enseignant

À la suite de l’exposé d’un cadre relatif aux processus d’apprentissage, nous présenterons une catégorisation des produits de ces apprentissages, les savoirs professionnels (SP). Cette catégorisation se fera en deux étapes: la première s’efforcera de couvrir l’ensemble de ces SP tandis que la seconde précisera ceux relatifs aux tâches d’enseignement sur lesquels se focalise ce texte.

3.2.1 Des savoirs professionnels pour « faire » et pour « être à » son métier

À la suite d’Osty (2003), nos travaux ont permis de distinguer deux catégories de « savoirs professionnels » entendus ici dans une large acception, c’est-à-dire comme les savoirs mobilisés par l’enseignant dans le cadre de son exercice professionnel pour prendre en charge les tâches qui lui incombent (Marcel, 2009). Il s’agit, d’une part, des savoirs professionnels relatifs à la prise en charge des tâches professionnelles (savoirs qui permettent à l’enseignant de « faire » son métier) et, d’autre part, des savoirs professionnels relatifs à la socialisation professionnelle (savoirs qui permettent à l’enseignant « d’être à » son métier). Ils se déclinent au niveau individuel et au niveau collectif des équipes d’enseignants et nous préciserons brièvement la nature de ces savoirs à l’aide du tableau suivant :

Tableau 1

La nature des savoirs professionnels de l’enseignant (d’après Marcel, 2009)

La nature des savoirs professionnels de l’enseignant (d’après Marcel, 2009)

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3.2.2 Des savoirs professionnels « académiques » et des savoirs professionnels « de situation »

Cette seconde différenciation ne cible que la première case du tableau, c’est-à-dire le niveau individuel des savoirs professionnels relatifs à la prise en charge des tâches professionnelles.

Selon Hadji (2002), « [la pratique] au sein de l’institution d’exercice de cet acteur éducatif, exige la manipulation de savoirs. Mais toutes les formes repérées de la vie des savoirs sont (ou peuvent être) concernées. Soit un enseignant : il enseigne des savoirs (propres à une discipline) ; pour cela, il les transpose ; il utilise et mobilise d’autres savoirs ; enfin, il en produit (au moins sur sa propre activité d’enseignement). Il est tout à la fois professeur, ingénieur, rédacteur (d’un texte de savoir) et savant ». (p. 20). L’auteur propose de distinguer « savoirs détenus » (inobservables) et « savoirs objectivés » (visibles) et rejoint en cela la distinction de Barbier (1996) entre « savoirs théoriques » et « savoirs d’action » ou d’Altet (1996) entre « savoirs théoriques » (savoirs à enseigner et savoirs pour enseigner) et « savoirs pratiques » (savoirs sur la pratique et savoirs de la pratique). La classification de Bélair (1996) est assez proche et, en termes de compétences, elle distingue celles « reliées à la vie de la classe », celles « identifiées dans le rapport aux élèves et à leurs particularités », celles « liées aux disciplines enseignées », celles « exigées par rapport à la société » et celles « inhérentes à la personne » (p. 69-70). Inscrite dans une perspective clinique, pourtant assez différente, la proposition de Cifali (1996) qui envisage des « savoirs constitués », des « savoirs d’expérience » et des « savoirs d’altérité » peut aisément la retrouver.

Gautier et al. (1997) nous invitent à considérer le métier d’enseignant ni comme un « métier sans savoirs » ni comme un « savoir sans métier » (p. 19) : « Nous pensons simplement qu’il est important qu’il y ait un savoir théorique sur l’enseignement et qu’une partie de ce savoir soit tirée de la pratique en classe et validée par la recherche » (p. 133). Ils proposent d’envisager la pratique « comme la mise en action de nombreux savoirs composant une sorte de réservoir dans lequel l’enseignant puise pour répondre à certaines demandes précises les formes de sa situation concrète d’enseignement » (p. 20). Ils présentent une catégorisation des savoirs que nous allons reprendre sous forme d’un tableau (synthèse des pages 20 à 26) :

Tableau 2

Typologie des savoirs de l’enseignant, d’après Gautier et al. (1997)

Typologie des savoirs de l’enseignant, d’après Gautier et al. (1997)

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Dans ce prolongement, nous proposerons une typologie simplifiée distinguant :

  • des savoirs professionnels « académiques », c'est-à-dire explicites, transmissibles dans des séances de formation. Ils regroupent les catégories précédentes de savoirs disciplinaires, curriculaires et des sciences de l'éducation. Nous pourrions les rapprocher de l'épistémè entendue comme « un ensemble d'affirmations qui peuvent être expliquées, étudiées, transmises. Ces affirmations sont de nature générale : elles s'appliquent à plusieurs situations et problèmes différents »[3](Kessels & Korthagen, 1996, p. 18). En revanche, il nous paraît important de rajouter que ces savoirs peuvent être abordés de manière déductive, à partir des théories de référence (c’est le cas des séances de formation), mais aussi de manière inductive, quand les connaissances empiriques sont conceptualisées et s’émancipent partiellement de l’empirie pour tendre vers une généralité (c’est le cas pendant les stages).

  • Des savoirs professionnels « de situation », indissociables de l’exercice du métier, des pratiques, de l’expérience, des situations professionnelles. Ils sont largement tacites, difficilement verbalisables et transmissibles. Leur mobilisation est requise pour la mobilisation des savoirs académiques. Ils regroupent les savoirs d’expérience, les savoirs d’action pédagogiques et ceux de la tradition pédagogique. Nous pourrions les rapprocher de la phronesis, entendue comme « un type de connaissance essentiellement différent, qui n’est pas lié aux théories scientifiques, mais avec la compréhension de cas spécifiques concrets et de situations complexes » (Kessels & Korthagen, 1996, p. 18)[4]

4. Résultats : étude de cas en formation initiale des professeurs de l’enseignement agricole public français

Nous nous limiterons à une brève présentation de cette étude qui, d’une part, a fait l’objet d’une thèse (Garcia, 2011) et qui, d’autre part, a alimenté un autre article de ce présent numéro. De plus, l’objectif de ce texte est de s’inscrire dans un au-delà de cette étude pour analyser le dispositif « stage de pratique accompagnée » au sein duquel elle a été conduite.

4.1 Présentation de l’étude de cas

Cette étude de cas a ciblé l’apprentissage professionnel d’enseignants stagiaires durant ce type de stage (piloté rappelons-le par des CP), aussi bien le processus d’apprentissage (à partir des théories de l’apprentissage social) que les produits d’apprentissage (les savoirs professionnels). Elle s’est appuyée sur deux « indicateurs » de cet apprentissage :

  • l'évolution des pratiques d'enseignement des stagiaires a permis, par observation des transformations de ces pratiques, de repérer la mobilisation de nouveaux SP (voir à ce propos, par exemple, Marcel 2009 a) ;

  • le développement du sentiment d'efficacité professionnelle des stagiaires a permis de mettre au jour l'élaboration d'autres SP (voir par exemple, à ce propos, Marcel 2009 b). Nous avons défini le sentiment d'efficacité professionnelle (désormais SEP) dans le prolongement de la notion de sentiment d’efficacité personnelle entendue comme : « L’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités » (Bandura, 2003, p. 12). Galand et Vanlede (2004) soulignent « l’existence d’une relation entre sentiment d’efficacité personnelle et performance ou persévérance » (p. 6).

Si les produits des apprentissages ont pu être repérés au travers de la mobilisation des SP dans les pratiques et leur évolution (par observation) ou dans le développement du SEP (au travers du discours), les processus d’apprentissage ont été inférés. Cette inférence s’est alimentée à deux sources principales :

  • des entretiens (postséance, semi-directifs) auprès des stagiaires pour investir le volet « perçu » de ce processus ;

  • des observations de type ethnographique des échanges entre le stagiaire et son CP qu’ils sont formalisés (comme lors des mises au point) ou plus informels (après une séance ou dans la salle des enseignants) pour investir un volet complémentaire du volet « perçu » de ce processus.

Elle a évidemment pris en compte la chronologie en mettant en lien les évolutions des pratiques ou le développement du SEP entre des temps T1 et T2 avec les informations recueillies (relatives aux échanges CP/stagiaire par exemple) entre T1 et T2.

L’enquête s’est déroulée dans trois établissements et a concerné sept stagiaires durant chaque fois une semaine de stage. Les caractéristiques des stagiaires sont les suivantes :

Tableau 3

Principales caractéristiques des stagiaires suivis dans l’étude de cas

Principales caractéristiques des stagiaires suivis dans l’étude de cas

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Les observations (avec grille ouverte) ont concerné 92 séances d’enseignement par les stagiaires et 14 séances de mise au point tandis que des observations ethnographiques ont porté sur les échanges CP/stagiaire durant tous les temps de présence dans l’établissement, mais hors des séances de classe.

Les entretiens ont eu lieu après les séances d’enseignement et un entretien plus approfondi a été effectué auprès de chaque stagiaire et auprès de chaque CP.

Enfin, des fiches de renseignements concernant les différents acteurs concernés et les établissements ont complété la collecte empirique.

4.2 Synthèse des résultats

Nous présenterons ces résultats à l’aide d’un tableau croisant les processus sociocognitifs et les produits (SP) de l’apprentissage. Lorsque les SP ont pu être repérés (sans prétention à l’exhaustivité), il est indiqué dans la case correspondante l’indicateur qui a permis ce repérage, soit l’évolution des pratiques, soit le développement du SEP, mais parfois les deux.

Tableau 4

Synthèse des apprentissages (processus et produits) repérés par l’étude de cas

Synthèse des apprentissages (processus et produits) repérés par l’étude de cas

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Nous préciserons ce tableau à partir de chaque processus sociocognitif.

a) Le processus de vicariance (quand le stagiaire apprend « de » son CP) permet, principalement au travers du modelage comportemental, l’élaboration de SP qui contribue au développement du SEP du stagiaire. Basés sur l’observation directe des comportements du CP, érigé en modèle, ces apprentissages sont stabilisés par renforcement, en raison de la réussite qui accompagne leur mobilisation.

Ces SP relèvent de la catégorie « académique » (élaborés de manière inductive, c’est-à-dire partant de l’empirie pour s’en émanciper et tendre vers les théories de référence) tant sur le plan des savoirs disciplinaires qui ont nécessité d’être approfondis dans des secteurs particuliers pour permettre leur contextualisation (établir des liens avec l’exploitation agricole de l’établissement, avec les stages, avec les territoires) et leur interdisciplinarité (liens avec d’autres disciplines) que sur celui de la connaissance précise des élèves ou plus généralement de la relation pédagogique (manière de s’adresser aux élèves, vocabulaire à utiliser, réactions face aux difficultés d’un élève, etc.).

D’autres SP relèvent de la catégorie « de situation » comme la gestion du temps de la séance, sa structuration en différentes phases, la préparation de séances de travaux pratiques ou même la maîtrise du stress.

Il est intéressant de relever que les SP construits par vicariance contribuent à développer le SEP des stagiaires. En effet, ces SP ont été formalisés tout au long de leur élaboration : sélection parmi les comportements du CP, transformation et adaptation au projet du stagiaire puis renforcement. Il est donc assez logique qu’ils viennent développer le SEP, car ils sont pleinement conscientisés et revendiqués par le stagiaire.

b) Les processus d’étayage (quand le stagiaire apprend « avec » son CP) ont permis l’élaboration de SP principalement « de situation ». Ils concernent

  • la gestion de la classe : les interactions avec les élèves, la précision des consignes, la discipline, le temps et la structuration de la séance, l'annonce des objectifs aux élèves en début de séance,

  • la préparation de la classe : le matériel pour les travaux pratiques, la coordination avec le personnel technique.

Ces SP sont construits grâce à l'interaction CP/stagiaire. À ce propos, les stratégies des CP pour conduire un entretien de mise au point et pour permettre à un stagiaire de résoudre ses difficultés sont aisément repérables (voir à ce propos Marcel & Garcia, 2009). Le lien avec les séances de classe et les pratiques sont très prégnants. Les points qui posent souci sont repérés, analysés grâce à l'appui du CP qui, de plus, propose de nombreuses solutions supplémentaires, des « ficelles » du métier, construites par expérience, et très opératoires. Les processus d'étayage sont ceux qui contribuent le plus nettement à l'évolution des pratiques des stagiaires, mais il est important de souligner que ces transformations sont d'une part plutôt conscientisées (essais de nouvelles stratégies, appropriation et contextualisation des « ficelles »), mais qu'elles sont ensuite revendiquées comme permet de le repérer le développement du SEP.

c) Aucun SP construit par conflit sociocognitif (quand le stagiaire apprend « contre » son CP) n'a pu être repéré. Cela ne signifie pas obligatoirement que ce processus ait été totalement absent, mais cela pose question. Nous expliquerons cette absence, que nous avons d'ailleurs pu repérer par ailleurs (Marcel, 2011 b), par la « dissymétrie »[5] de la relation entre CP et stagiaire écrase les échanges. Face à l’expérience, l’assurance et l’autorité du CP, le stagiaire ne s’autorise pas à défendre un point de vue différent qui pourrait déclencher une controverse. Il s’agit peut-être là d’une des limites de la relation de tutelle dont nous avons pourtant vu précédemment les nombreux intérêts.

5. Analyse

À la suite de la rapide présentation de cette étude, la première analyse du stage de pratique accompagnée examinera séparément chacune des trois catégories d’activités mises en oeuvre par le stagiaire tandis que la seconde se centrera sur les interrelations, deux à deux, des trois catégories d’activités mises en oeuvre par le stagiaire.

5.1 Première phase d’analyse : activités et apprentissage professionnel

L’analyse portera donc dans un premier temps sur les trois catégories d’activités repérées durant le stage, l’activité réalisée, l’activité observée et l’activité analysée.

5.1.1 L’activité réalisée (AR)

L’activité réalisée correspond à l’exercice effectif du métier d’enseignant, c’est-à-dire à l’ensemble des pratiques d’enseignement du stagiaire, lorsqu’il conduit des séances de classe. Précisons à ce propos que le stage prévoit six heures d’enseignement hebdomadaires par le stagiaire.

Pastré (2008) défend le caractère indissociable du binôme activité/apprentissage. Si chaque activité est productive et transforme le réel en fonction d’un but, elle est simultanément constructive, c’est-à-dire qu’elle transforme le sujet agissant. Rajoutons que si la dimension productive se termine nécessairement avec la fin de l’action, la dimension constructive peut se poursuivre bien au-delà, notamment au travers d’un retour réflexif sur l’action passée (son déroulement, son résultat, etc.).

Dans le cas d’une activité professionnelle, la dimension productrice est première, les buts sont clairement liés aux tâches à effectuer et la dimension constructive peut être qualifiée de secondaire ou d’incidente. Dans le cas d’un stage, cette hiérarchie entre les deux dimensions est en partie inversée. En fait, l’activité poursuit simultanément deux buts, l’un relatif à la dimension productive (conduire les séances de classe) et l’autre relatif à la dimension constructive (permettre au stagiaire d’apprendre son métier). Cette activité doublement finalisée et dont les modalités de hiérarchisation des buts peuvent varier selon le déroulement du stage est caractéristique du stage de pratique accompagnée. En effet, elle n’est rendue possible que par la présence du CP qui simultanément l’autorise (sa présence pose le cadre d’un dispositif de formation) et la légitime (il assume la responsabilité d’un éventuel dysfonctionnement). La fonction constructive n’est donc plus incidente, mais clairement explicite et même revendiquée, lors des séances de mise au point, par exemple. Nous pourrions d’ailleurs illustrer ce point avec les cas où un CP demande à un stagiaire de se préoccuper principalement, durant la séance, soit de la formulation des consignes, soit des résumés notés par les élèves, soit de la « durée » de démarrage de la séance.

Retenons que, contrairement aux nouvelles modalités de stage, le stage de pratique accompagnée, au travers des caractéristiques particulières de l’activité réalisée, valorise la fonction constructive de l’activité sans, bien sûr, la dissocier totalement de sa fonction productive.

5.1.2 L’activité observée (AO)

Le stage de pratique accompagnée accorde une place privilégiée à l’observation et chacun des acteurs (stagiaires et CP) mentionne son importance, notamment en début de stage. Il s’agit, bien sûr, de l’observation par le stagiaire de l’activité d’enseignement du CP.

La première fonction de l’observation est une fonction de découverte de ce qu’est la conduite d’une séance de classe en modifiant d’ailleurs le point de vue initial. Au-delà d’une représentation un peu ancienne et souvent partiale[6] de ce qu’est une classe d’un lycée agricole, avec ses élèves, son cadre et son matériel, ses contenus enseignés et qui gagne à se voir actualisée, c’est principalement la posture qui est différente. Il s’agit alors d’une observation finalisée par le fait que le stagiaire va devoir très prochainement assumer le rôle d’enseignant. La première fonction de l’observation est donc de rompre avec ses représentations d’ancien élève et de découvrir la classe en tant que nouvel enseignant.

La seconde fonction est d’apprendre. Nous avons développé l’importance des processus de vicariance qui sont à l’oeuvre dans le cas d’une imitation active. Pour ce faire, le stagiaire doit d’abord ériger le CP en modèle, c’est-à-dire un processus symbolique le reconnaissant comme susceptible de pouvoir être imité. Dans cette étude, comme dans les autres que nous avons pu conduire sur ce champ, le CP est systématiquement reconnu et légitimé comme modèle.

Ensuite, nous pourrions reprendre les différentes phases de l’imitation active rappelées par Winnykamen (1990) :

  • l'attention sélective, qui consiste à repérer des éléments considérés comme utiles dans la perspective de pratiques futures. Cette utilité est fortement corrélée à l'efficacité de l'action observée ;

  • la rétention des éléments modèles, qui ne consiste pas en une simple mémorisation, mais à une véritable catégorisation (voir théorisation) de ces éléments qui sont décontextualisés, appropriés, codés, dotés d'hypothèses de réinvestissement, etc. ;

  • la production d'une performance, c'est-à-dire la réussite du réinvestissement de cet élément dans les pratiques ;

  • le renforcement qui, dans le prolongement du point précédent, peut relever de 3 stades : le renforcement direct (effet sur le sujet des résultats de son action), l'autorenforcement (degré de satisfaction) et renforcement vicariant (effet sur le sujet des résultats de l'action observée).

L'apprentissage vicariant, s'il souligne l'importance de l'observation, insiste sur le lien avec l'action (nous l'avons vu avec les deux dernières phases retenues par Winnykamen). Bandura (1976) précise que l'observation ne remplace pas l'expérience, mais permet de la préparer (de la stimuler, de la faciliter), mais surtout de « l'autoriser », c'est-à-dire d'inciter le stagiaire à prendre un risque qui apparaît maîtrisé.

Retenons que le lien entre observation et réinvestissement d'éléments « sélectionnés » dans les pratiques est facilité et renforcé, dans le stage de pratique accompagnée, par le fait que les deux processus concernent les mêmes élèves, les mêmes classes, les mêmes lieux, les mêmes matériels pédagogiques et les mêmes contenus d'enseignement (du moins leurs suites). Dans les nouvelles modalités de stage, ce lien est rompu puisque, outre le fait que le temps consacré à l'observation des séances du CP se trouve nettement réduit, il y a dissociation entre ces séances et celles conduites par le stagiaire (autres élèves, autres classes, autres lieux, autres matériels pédagogiques et autres contenus d'enseignement).

5.1.3 L'activité analysée (AA)

Nous distinguerons deux modalités pour l'activité analysée[7] :

  • L'autoanalyse, pratiquée par le stagiaire principalement lors de la phase de préparation et qui peut être prospective (en lien avec la séance à venir) ou rétrospective (en lien avec la séance passée). Elle renvoie à la réflexivité professionnelle.

  • L'interanalyse, basée sur l'interaction entre CP et stagiaire et pouvant se déployer dans des situations formalisées (comme les séances de mise au point) ou peu formalisées (échanges avant ou après les séances, dans divers espaces de l'établissement).

Dans le premier cas, nous retrouvons le champ du « praticien réflexif » (Schön, 1994) et l'analyse permet de découvrir le « savoir caché dans la pratique ». En suivant cet auteur, le stagiaire pourrait apprendre par ses succès (à partir d'une théorisation de ce qui a bien fonctionné et réussi), par ses blocages (à partir d'une redéfinition de la situation de blocage et de l'élaboration de solutions pour le dépasser) et par le « transfert réflexif » (c'est-à-dire la conceptualisation en vue de sa généralisation d'un élément de la pratique s'étant avéré efficace).

Bien sûr, chacun de ces processus peut également être socialement partagé. Toutefois, pour ce que nous avons appelé « l'interanalyse » nous retrouvons de manière privilégiée l'espace des processus d'étayage (Bruner, 1998). Cette interanalyse s'alimente à deux sources, les séances conduites par le CP et les séances conduites par le stagiaire (qui font toutefois l'objet de mises au point plus systématiques).

Elle bénéficie de deux facteurs favorisants, caractéristiques du stage de pratique accompagnée. Le premier facteur est l'unité déjà mentionnée (mêmes élèves, mêmes classes, mêmes lieux, mêmes matériels pédagogiques et mêmes contenus d'enseignement) qui va d'une part permettre au CP de bien maîtriser l'ensemble des séances (ce qui n'est plus le cas dans le dispositif actuel) et d'autre part de mobiliser des démarches de comparaison (dans les manières de faire, dans les réactions des élèves, dans les résultats obtenus, etc.). Ces comparaisons faciliteront la décentration du stagiaire par rapport à ses pratiques, lui permettront de construire un regard critique (à partir de la « référence » que constituent les pratiques du CP) et lui proposeront des ressources aisément transférables. Ces comparaisons seront d'autant plus fécondes qu'elles s'inscrivent dans le cadre protégé d'une relation de tutelle (qui prévient à la fois des dérives de rivalité ou de trop forte dépréciation). Le second facteur est la durée, plus exactement la durée partagée. Le processus d'analyse pour qu'il accède à un niveau satisfaisant requiert du temps. Il demande d'abord une inter connaissance[8] minimale (entre le CP et le stagiaire) et sans doute une confiance réciproque et il demande ensuite « d’entrer » dans l’analyse. De plus, cette analyse sera d’autant plus précise et approfondie qu’elle s’alimentera d’aller-retour avec des pratiques d’enseignement.

Retenons la durée partagée (entre le CP et le stagiaire) du stage de pratique accompagnée comme une condition facilitante de « l’activité analysée ».

5.2 Seconde phase d’analyse : interactivités et apprentissage professionnel

Cette analyse du stage de pratique accompagnée examinera les interrelations, deux à deux, des trois catégories d’activités mises en oeuvre par le stagiaire. En effet, ce dispositif se caractérise par les liens importants que ces catégories d’activités entretiennent entre elles.

5.2.1 L’interactivité AO /AR

Lorsque Bandura définit l’apprentissage vicariant, il insiste, nous l’avons vu, sur son lien avec les pratiques. Ainsi, il s’avère facilitant pour ces pratiques, mais en même temps ces pratiques contribuent à cet apprentissage, notamment par le processus de renforcement.

L’activité d’observation est une activité importante pour peu qu’elle soit au service d’une imitation active. Ainsi, les éléments des pratiques du CP qui sont sélectionnés par le stagiaire au cours de « l’activité observée » le sont toujours dans l’objectif de les mobiliser dans « l’activité réalisée ». Bien sûr, il faudra au préalable la décontextualiser, se l’approprier, la transformer avant de pouvoir la réinvestir (nous retrouvons d’ailleurs là la 3e catégorie de « l’activité analysée »). Ensuite, « l’activité réalisée » permettra de valider ou pas la mobilisation de cet élément (c’est le renforcement).

Nous pourrions même insister sur le processus circulaire qui unit les deux catégories d’activités, car « l’activité réalisée » peut générer des questions ou se heurter à des difficultés qui orienteront « l’activité observée » suivante et la finalisera pour trouver des pistes de réponses ou de solutions. Ce processus circulaire entre les catégories d’activités, particulièrement important pour l’apprentissage professionnel, est largement facilité par l’unité et la durée qui caractérisent le stage de pratique accompagnée.

5.2.2 L’interactivité AA /AO

Nous venons de voir comment, dans le processus de vicariance, « l’activité analysée » pouvait s’alimenter à « l’activité observée » par la conceptualisation des éléments de modèle sélectionnés, et ce, en vue de leur réinvestissement. L’analyse de l’activité observée peut également adapter d’autres visées : comprendre les choix, mettre au jour les stratégies, évaluer les résultats, etc.

Nous pouvons aussi dépasser la partie individuelle et réflexive avec l’analyse partagée durant les situations d’interactions CP/stagiaire. D’une part, « l’activité observée » peut ainsi être mobilisée par le CP au sein du processus d’étayage, que ce soient les observations des séances passées pour, par exemple alimenter la comparaison, où que ce soit les observations des séances futures pour les orienter vers tel ou tel point particulier. D’autre part, ces mises au point permettent de surcroît d’établir des liens très étroits avec la troisième catégorie, celles de « l’activité réalisée » par le stagiaire.

Là encore, nous constatons que les interrelations entre les catégories d’activités, particulièrement importantes pour l’apprentissage professionnel, sont largement facilitées par l’unité et la durée qui caractérisent le stage de pratique accompagnée.

5.2.3 L’interactivité AA /AR

Ces deux catégories d’activités s’alimentent et se fondent réciproquement surtout dans une logique de formation où il paraît difficile d’envisager une analyse coupée de la pratique et une pratique émancipée de toute forme d’analyse. L’analyse de « l’activité réalisée » peut, nous l’avons dit, relever d’une autoanalyse (ce qu’a théorisé Schön avec le praticien réflexif) ou d’une interanalyse (ce qu’a théorisé principalement Bruner avec la relation de tutelle) :

  • En ce qui concerne l'autoananalyse, nous avons vu que la dimension constructive de « l'activité réalisée » se poursuivait au-delà de la fin de l'action et se déployait donc au sein de la sphère de « l'activité analysée » ;

  • En ce qui concerne l'interanalyse, modalité spécifique de ce stage, elle s'alimente à la confrontation entre l'activité vécue par le stagiaire et l'activité observée par le CP même si, nous l'avons vu, elle ne génère pas (ou peu) de conflits sociocognitifs. Elle est facilitée par la maîtrise que le CP à de l'espace du stage, par l'alternance entre les catégories d'activités du stagiaire et par la durée du stage qui caractérisent le stage de pratique accompagnée.

6. Interprétation : le modèle systémique d'un espace d'apprentissage professionnel

Nous prolongerons l'analyse en proposant une modélisation systémique du stage de pratique accompagnée.

6.1 Le choix de l'approche systémique

En nous appuyant sur les définitions des principaux théoriciens de l'approche systémique dont Lugan (1993) propose une large synthèse, nous caractériserons un système à l'aide de six propriétés aisément applicables au stage de pratique accompagnée :

  • un système est repérable d'un environnement avec lequel il est en interrelations ;

  • un système est doté d'une organisation qui lui assure une certaine stabilité dans le temps ;

  • un système est finalisé et orienté vers un but qui donne sens à l'organisation et peut se traduire par le repérage d'une instance de pilotage ;

  • l'organisation d'un système est constituée par un réseau d'interrelations entre les composantes de ce système. Cette organisation, pouvant s'avérer plus ou moins efficace par rapport à la finalité du système, explique que, dans un système, le tout (la globalité) soit différent de la somme des parties (les composantes) ;

  • ces interrelations s'opérationnalisent dans des interactions au cours desquelles chaque composante est simultanément modifiante et modifiée par les autres composantes de l'interaction ;

  • la stabilité d'un système n'exclut pas ses évolutions, avec notamment des émergences en lien avec le temps, avec les interrelations avec l'environnement ou produites par son organisation.

Le stage de pratique accompagnée peut être lu comme un système, car il est aisément repérable, doté d'une certaine stabilité et d'une durée, caractérisé par une unité sur laquelle nous avons insisté et finalisé par la formation du stagiaire. En ce qui concerne l'identification de ses composantes, nous proposons de distinguer trois stages différents, complémentaires entre eux et dont la « conjugaison » témoigne de la consistance particulière du système « stage de pratique accompagnée ».

6.2 Le stage de pratique accompagnée, un système social

Un premier niveau de composantes est celui des acteurs. Il s’agit de la dyade stagiaire/CP à laquelle il est toutefois nécessaire d’ajouter les élèves des classes qu’ils se partagent (en étant d’ailleurs présents en même temps), ce qui dépasse les problématiques du tutorat ordinaire (Baudrit, 2002). Nous avons trois types d’interrelations (CP/élèves, stagiaire/élèves et CP/stagiaire) qui, nous l’avons vu, sont fortement liées entre elles puisqu’elles s’alimentent réciproquement.

Il s’inscrit dans la durée du stage, offrant un temps suffisant pour que les relations se construisent, notamment celles du stagiaire avec les élèves et avec le CP. Cette durée permet à ces relations à la fois de s’inscrire dans une courte histoire (pour en repérer les évolutions) et de se projeter vers un avenir (pour planifier des évolutions), borné dans un premier temps par le stage, mais ouvert en fait sur la carrière du stagiaire.

Ce système est finalisé par l’objectif de formation du stagiaire et les élèves se trouvent enrôlés dans cet objectif. En forçant à peine le trait, nous pourrions dire que si les pratiques d’enseignement du stagiaire sont orientées, par le CP, prioritairement vers des objectifs de formation du stagiaire (au détriment des objectifs d’enseignement), c’est également en partie le cas des pratiques d’enseignement du CP qui, à minima, intègrent des objectifs de formation du stagiaire. Le stage est un système social de formation qui fait passer au second plan les objectifs d’enseignement habituels.

En termes d’environnement social avec lequel ce système entretient des échanges, nous mentionnerons principalement les personnels techniques (dans certaines disciplines), les autres enseignants, notamment lors des réunions et au cours d’échanges informels dans l’établissement, les autres élèves (à un niveau moindre) et l’équipe de direction de l’établissement qui a la charge de l’organisation du stage. Rajoutons, dans le cas d’une formation par alternance, l’importance des interrelations avec les formateurs de l’institut de formation, notamment dans les phases de préparation et d’exploitation du stage.

6.3 Le stage de pratique accompagnée, un système d’activités

Une deuxième partie de composantes est celui des activités. Nous avons déjà largement présenté à la fois les trois catégories d’activités du stagiaire (les activités observées, réalisées et analysées) et leurs interrelations. Nous avons insisté sur leur interdépendance parlant même de circularité, chacune s’alimentant aux deux autres.

Ces trois catégories d’activités s’inscrivent aussi dans la durée et même si l’activité observée est sans doute quantitativement plus importante en début de stage, elles sont toutes mobilisées de la première à la dernière semaine.

La finalisation de ces activités par la formation du stagiaire oriente très fortement ces activités. Ainsi, l’observation se voit dotée d’un projet précis (et régulièrement redéfinit), les activités réalisées priorisent la dimension constructive par rapport à la dimension productive et l’ensemble de l’analyse, qu’elle soit réflexive ou interactive, se voit dotée d’une fonction sinon de pilotage tout au moins de coordination de ce système d’activités[9].

L’environnement avec lequel ce système entretient des échanges est particulièrement prégnant, en particulier pour ce qui est des activités d’enseignement du CP et des activités d’apprentissage des élèves. Là encore nous pourrions sans doute rajouter les activités des personnels techniques, celles des autres enseignants (notamment en termes « d’habitudes » de l’établissement) et les pratiques de pilotage de l’équipe de direction (pour l’organisation et la régulation du stage).

6.4 Le stage de pratique accompagnée, un système d’apprentissage professionnel

Une troisième partie de composantes est celle des apprentissages, plus précisément celle des processus cognitifs et sociocognitifs que ce stage permet d’initier. Parmi les processus cognitifs, nous avons convoqué la dimension constructive de l’activité (en nous appuyant sur les travaux de Pastré) et la réflexivité (en nous appuyant sur les travaux de Schön). Parmi les processus sociocognitifs, nous avons mobilisé les processus vicariants (en nous appuyant sur les travaux de Bandura) et les processus d’étayage (en nous appuyant sur les travaux de Bruner). Nous avons également constaté que le conflit sociocognitif n’était pas aisément repérable dans cette modalité de formation.

Nous avons vu que ces processus se répondaient et s’interalimentaient. Tous sont importants et renvoient à des caractéristiques du stage (observer, s’exercer, être encadré). Pourtant, nous accorderons une place particulière au processus de réflexivité, car la mise en cohérence globale de ces apprentissages professionnels relève, in fine, du stagiaire lui-même.

Ces processus sont finalisés par l’élaboration de savoirs professionnels (leurs produits). Nous avons vu que le stage permettait principalement la construction de SP dits « de situation », ce qui est somme toute logique pour cette modalité de formation très en prise sur l’exercice professionnel. En revanche, et il est important de le souligner, nous avons également repéré la construction de SP dits « académiques ». Bien sûr, ces SP relèvent d’une démarche inductive et s’ancrent dans les situations professionnelles fréquentées. Toutefois, ils s’en détachent pour accéder à un stade de formalisation et de généralité qui leur permet d’être mobilisables dans des catégories, assez larges, de situations. Leur niveau d’abstraction permet surtout d’établir des liens avec les savoirs académiques abordés selon une démarche déductive, à partir des théories de référence, lors des séances de formation.

Le repérage de cette catégorie de SP souligne le fait que le stage de pratique accompagnée n’a rien d’un dispositif de formation autonome. D’une part, il trouve tout à fait sa place dans un dispositif d’alternance et ces SP constituent une interface particulièrement riche en potentialité pour développer des liens entre les deux sphères de l’alternance et renforcer la cohérence du dispositif global de formation. D’autre part, malgré un intérêt que nous pensons avoir démontré, le stage de pratique accompagnée montre son incomplétude. La formation des enseignants ne peut faire l’économie de la convocation et de la mobilisation de SP académiques qui ne peuvent se construire que par une démarche déductive. Il est important que les cadres théoriques (relatifs aux disciplines enseignées, à leurs didactiques, à la connaissance des élèves, à la gestion d’une classe, à l’organisation d’un établissement, etc.) soient présentés et appropriés par les stagiaires. C’est de cette appropriation et des liens qui pourront s’établir avec les situations professionnelles rencontrées que dépend la mise en oeuvre d’une démarche inductive sur laquelle repose la cohérence et la richesse (devenue potentielle) de la formation des enseignants.

Conclusion

Notre conclusion comportera deux volets en positionnant l’objet « stage de pratique accompagnée » dans deux champs de préoccupations de niveaux très contrastés, la formation des enseignants d’abord et le lien entre dispositif et pratiques ensuite.

De la formation des enseignants

Ce texte a montré l’intérêt, pour la formation des enseignants, du stage de pratique accompagnée. Ses modalités d’organisation (mobilisation d’un CP et de ses classes, unité, durée, etc.), basées sur un système triadique d’activités, permettent le déploiement de processus cognitifs et sociocognitifs et l’élaboration de SP, principalement « de situations », mais aussi « académiques » selon une démarche inductive. Bien sûr, ce stage n’est pas en mesure d’assumer, de manière isolée, l’ensemble de la formation des enseignants. Il trouve pleinement sa place dans un dispositif d’alternance et contribue, nous l’avons vu, aux renforcements des liens entre les deux sphères de cette alternance et à la cohérence de l’ensemble.

Cette analyse fait apparaître en creux, les limites de la réforme de la mastérisation qui fonctionne selon un principe de segmentation, les SP académiques d’abord (avec le master), un stage « en responsabilité » ensuite (quelque peu renforcé par le « compagnonnage » d’un enseignant expérimenté). À l’approche globale et systémique du stage de pratique accompagnée, elle oppose une vision analytique basée sur des dissociations multiples : dissociations des catégories de SP dans le temps sans envisager des modalités d’articulation, dissociation de la dyade stagiaire/CP, dissociation du système des activités. Ce nouvel espace analytique exclut de fait la mise en oeuvre des processus sociocognitifs d’apprentissage professionnel analysés dans ce texte et hypothèque la construction de leurs produits, les SP des enseignants.

Dispositif et pratiques

Le stage de pratique accompagnée est un dispositif que nous avons analysé dans ce texte à partir des pratiques des acteurs et principalement celles des stagiaires.

Un dispositif peut être pensé de deux manières opposées, soit en privilégiant sa fonction « normalisante », c’est-à-dire visant à circonscrire et à limiter autant que possible la marge d’initiative des acteurs, soit en l’envisageant comme un moyen ou comme une ressource au service de l’autonomie des acteurs (Audran, 2007, 2010). Il se trouve ainsi caractérisé par une tension entre sa fonction structurante (dans ce cas, il constitue plutôt une contrainte pour l’action) et une fonction plus émancipatrice (dans ce cas, il constitue plutôt une ressource pour l’action). Belin (2002) précise cette seconde fonction quand il introduit la notion d’espace potentiel, une « aire intermédiaire » dans laquelle se déploient les initiatives du sujet. Cette notion maintient la tension entre l’espace qui contraint et l’espace qui permet et, d’autre part, montre bien les limites du dispositif par rapport à l’action. La potentialité qu’il pose ne sera rendue effective qu’au travers des situations et des pratiques des acteurs.

Nous avons pu voir l’intérêt du dispositif « stage de pratique accompagnée », mais ce n’est qu’au travers des pratiques que nous avons pu l’analyser. Dès lors, s’il est important (du moins à nos yeux) que ce dispositif existe, il reste pour partie tributaire de la manière dont les acteurs le font vivre. Or cette dimension qu’opérationnalisent, au sein des situations constitutives de ce stage, les pratiques des stagiaires et les pratiques des CP est largement dépendante des acteurs, de leurs stratégies et de leurs engagements. Elle est également en lien avec les conditions dans lesquelles se déroule ce stage, son organisation par la direction de l’établissement sans doute, mais plus encore la reconnaissance institutionnelle dont il jouit. Cette reconnaissance concerne aussi bien les stagiaires (avec la place et l’importance du stage par rapport à l’ensemble de la formation et à son évaluation) que les CP (aménagement du service, prime, formation spécifique, etc.).