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1. Introduction

Les pratiques de conservation des eaux et des sols en Tunisie sont nombreuses, allant des petites cuvettes individuelles pour collecter les eaux de ruissellement au niveau des plantations arboricoles jusqu’aux grandes terrasses de protection et de maîtrise des eaux de ruissellement. Au sud-est de la Tunisie, la zone montagneuse est caractérisée par un grand nombre de petits barrages cultivés et plantés d’arbres fruitiers (oliviers, figuiers, palmiers, etc.) Ces petits barrages, avec leurs retenues comblées en partie ou en totalité par les sédiments, sont désignés sous le nom de jessour (BONVALLOT, 1979; CHAHBANI, 1984; EL AMAMI, 1984; FLORET et PONTANIER, 1982; FOURNET, 1967; HIZEM, 1979).

Le jesr (singulier de jessour) est une technique de gestion des eaux de ruissellement utilisée dans les régions arides. Cet aménagement consiste en une occupation des fonds d’oueds (cours d'eau temporaire d'Afrique du Nord) en terrasses sous forme de petites zones cultivées étagées sur la pente (ALAYA et al., 1993). Les composantes d’un jesr sont la digue, la zone cultivable ou champ et l’impluvium (Figure 1). La digue ou Tabia, appelée aussi « ketra », est construite le plus fréquemment avec de la terre prélevée au fond de la vallée ou sur les versants (BONVALLOT, 1986). La digue, de section trapézoïdale, est construite souvent en terre avec des renforcements en pierres sèches appelés Sirra. La hauteur de la digue varie de deux à cinq mètres en général et la longueur peut atteindre jusqu’à une centaine de mètres dans les vallées les plus larges mais atteint plus fréquemment quelques dizaines de mètres (BONVALLOT, 1986). La digue construite perpendiculairement à l’axe du talweg (ligne de plus grande pente d'une vallée vers laquelle se dirige les eaux de ruissellement) et la dépression de la zone cultivable permettent de retenir les eaux de ruissellement et les matériaux de charriage.

Figure 1

Représentation schématique d’un système de jessour (d’après EL AMAMI (1984) modifiée par SNANE et MECHERGUI (1996)).

Chematic representation of a jessour system (from EL AMAMI (1984) modified by SNANE et MECHERGUI (1996)).

Représentation schématique d’un système de jessour (d’après EL AMAMI (1984) modifiée par SNANE et MECHERGUI (1996)).

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L’eau en excès est évacuée par un déversoir latéral (menfess) ou central (masraf) et les sédiments déposés forment de nouvelles couches de terre derrière la digue. Le volume important de matériaux meubles, généralement des limons et des sables arrachés au versant par le ruissellement, constitue le champ du jesr où sont cultivés les arbres fruitiers, principalement l’olivier, et les cultures vivrières. Chaque jesr aura comme impluvium (bassin pour recueillir les eaux de pluie) la partie du bassin versant située en aval du jesr précédent. Toutefois, l’impluvium du premier jesr est constitué par la partie amont du bassin versant dont la superficie, assez importante, donne souvent lieu à un volume de ruissellement provoquant des débordements vers les autres jessour situés en aval. Selon la hauteur du déversoir par rapport au lit de jesr, la hauteur d’eau retenue par la digue varie d’un jesr à l’autre. La majorité des jessour sont équipés de déversoirs situés en moyenne à 50 cm au-dessus de la surface du jesr. Ces déversoirs limitent la capacité de rétention du jesr. Ainsi, un jesr ayant une surface de 200 m2 et une hauteur de rétention de 50 cm, avec un impluvium de 10 000 m2, aura une capacité de rétention de 100 m3. Cette capacité est atteinte après un ruissellement de 10 mm sur l'ensemble de l'impluvium. Une telle lame d'eau ruisselée est fréquente et même souvent dépassée dans les djebels (montagne, terrain montagneux, d'Afrique du Nord) de Beni Khédache (KOUAKBI, 2005).

L’entretien du jesr conditionne sa durée de vie. Sans entretien, le jesr peut être endommagé par la première crue. Par contre, une réfection des seuils, un colmatage des brèches dues au ruissellement et des terriers de rongeurs, et une surélévation progressive du faîte de la « Tabia » et des seuils des déversoirs au rythme de l’alluvionnement, rendent le jesr résistant aux plus fortes crues pour des siècles. La grande ancienneté des jessour est maintenant prouvée car suite aux travaux de TROUSSET (1974) et BALLAIS (1991a), un jesr daté du IIe - IIIe siècle de notre ère a été identifié sur l'oued Seradou (BALLAIS, 1990).

Les jessour constituent un moyen efficace pour réduire les effets de l'érosion hydrique en cassant la vitesse du ruissellement sur des pentes fortes. Ce système peut fournir, pour une pluviométrie de l'ordre de 200 mm•an-1, l'équivalent d'un apport d'eau d'une pluie de 500 mm•an-1. Ceci permet de multiplier les ressources hydriques par 2,5 et d'augmenter de façon significative les possibilités offertes pour pratiquer l'agriculture en milieu aride (BEN OUEZDOU et TROUSSET, 2002). Sans ces aménagements hydrologiques, les cultures seraient pratiquement impossibles dans ces montagnes arides à roche calcaire affleurante ou à sols squelettiques, où la pluviométrie moyenne annuelle varie de 150 à 200 mm et se manifeste sous forme d’averses de forte intensité (SNANE et MECHERGUI, 1996).

Ces ouvrages, désignés comme alternative de développement durable pour la bonne gestion de l’eau et la protection des sols, ont fait l'objet depuis plusieurs années d’une série d’études descriptives (BONVALLOT, 1986; CHAHBANI, 1984; EL AMAMI, 1984; ENNABLI, 1993; MTIMET, 1983; OUESSAR, 2007) et analytiques (BONVALLOT, 1979). D’autres études traitent des aspects purement techniques en proposant des solutions à des défaillances observées au niveau des composantes du système jessour. SNANE et MECHERGUI (1996) ont suggéré d’élaborer une équation qui permet de dimensionner rapidement la digue et la surface de la zone cultivable du jesr. CHAHBANI (1996) a proposé un évacuateur d’eau souterrain pour protéger la digue du jesr durant les événements pluvieux extrêmes. D’autres travaux ont traité des propriétés géotechniques de la digue construite en terre en utilisant des machines mécaniques (MELLOULI, 1996; MTIMET, 1992; OUESSAR et RABOUDI, 2002). Une contribution à l’étude de ces ouvrages de petite hydraulique dans les conditions arides de la Tunisie, en utilisant le Système d’Information Géographique (SIG), a été réalisée par BEN MECHLIA et al. (2009), afin de promouvoir ces pratiques menacées de disparition (EL AMAMI, 1984). Une telle action ne peut être réalisée qu'à travers une méthodologie automatisée simple, permettant d’identifier, d’une part, des zones propices à l’implantation de ces ouvrages et d’inventorier, d’autre part, les ouvrages existants en vue de contrôler leur évolution.

2. Présentation de la zone d'étude

La présente étude a été faite sur deux bassins versants qui font partie de la zone montagneuse de Matmata au sud-est tunisien (Figure 2).

Figure 2

Carte de localisation de la zone d’étude; (a) bassin versant d’oued Jir et (b) bassin versant d’oued Hallouf.

Location map of study area; (a) watershed of wadi Jir and (b) watershed of wadi Hallouf.

Carte de localisation de la zone d’étude; (a) bassin versant d’oued Jir et (b) bassin versant d’oued Hallouf.

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Le bassin versant d’oued Jir au barrage de Matmata Nouvelle est situé dans la région de Matmata au sud du Gabès et couvre une superficie totale de 145,6 km2. Cet affluent principal d’oued El Ferd est utilisé pour le calage de l’outil développé. Les données du bassin versant d’oued Hallouf au village d’El Bhayra, qui couvre une superficie de 45,8 km2 et occupe le flanc ouest du gouvernorat de Médenine, ont été utilisées pour l’opération de validation.

Le climat est aride et caractérisé par une précipitation insuffisante et irrégulièrement répartie dans le temps et l’espace. La pluviométrie moyenne annuelle enregistrée à la station de Matmata Délégation, durant une période de 32 ans d’observation (1970/71 – 2001/02), est de 203 mm. La variabilité interannuelle est très grande avec un maximum de 550,8 mm enregistré durant l’année 1975/76 et un minimum de 27,7 mm enregistré durant l’année 2000/01. La pluviométrie mensuelle peut atteindre des valeurs extrêmes. La torrentialité des pluies et leur variabilité saisonnière sont fréquentes. L’essentiel des précipitations tombe en hiver (environ 41 % du total) alors que l’été est totalement sec.

La végétation naturelle est composée d’une steppe à sparte (Lygeum spartum) associée à l’alfa (Stipa tenacissima) et au romarin (Rosmarinus officinalis) et des vestiges d’une ancienne forêt à Genévrier (Juniperus phoenicea) alors que l’Artemisia herba-alba et l’Artemisia campestris occupent les piémonts des Djebels (LOUHICHI, 2004).

La zone d’étude est constituée d’une seule région naturelle caractérisée par un relief accidenté. Elle se trouve dans une région soumise à l’érosion hydrique. En effet, plusieurs facteurs physiques, climatiques, environnementaux et humains se conjuguent pour aggraver les effets de ce fléau. Les sols de la région sont principalement des sols minéraux bruts d’érosion qui subissent en permanence l’action de l’érosion hydrique. Ce sont des sols squelettiques caillouteux. Des régosols sur limons à nodules calcaires ont dans certaines zones une épaisseur importante, soit 5 à 6 m à Matmata (REGAYA, 1980) et 17 m à Téchine (COUDE-GAUSSEN et al., 1982). Les sols peu évolués d’apport alluvial ont une épaisseur qui dépasse parfois 2 m derrière les jessour et de 1 à 1,5 m au bord des talwegs (MTIMET, 1983). Des sols isohumiques sur limons à nodules parfois encroûtés, couverts ou non d’un voile éolien, sont également rencontrés. L’épaisseur de ces sols dépasse souvent 1,20 m dans des sites favorables et permet à des cultures comme l’olivier, le figuier et quelques céréales de se développer (MTIMET et ESCADAFAL, 1982).

Les populations de la région ont depuis l’antiquité oeuvré pour la mise en place de techniques de conservation des sols et de maîtrise des eaux de ruissellement, notamment le système de jessour, pour tirer profit, autant que faire se peut, des conditions très sévères du climat aride de la région. En effet, un travail de cartographie réalisé en 2011 a montré que plus de 1 650 hectares du bassin d’oued Jir (Figure 3) et environ 475 ha du bassin d’oued Hallouf (Figure 4) avaient déjà été aménagés en jessour par les populations locales.

Figure 3

Carte des jessour effectivement existants dans le bassin versant d’oued Jir.

Map of jessour actually existing in the watershed of wadi Jir.

Carte des jessour effectivement existants dans le bassin versant d’oued Jir.

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Figure 4

Carte des jessour effectivement existants dans le bassin versant d’oued Hallouf.

Map of jessour actually existing in the watershed of wadi Hallouf.

Carte des jessour effectivement existants dans le bassin versant d’oued Hallouf.

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3. Matériel et méthodes

3.1 Logiciels utilisés

Les logiciels utilisés sont principalement le logiciel SIG de l’éditeur ESRI, ArcView3.2, et le logiciel Google Earth©.

Le logiciel ArcView3.2 et ses extensions Spatial Analyst et 3D Analyst permettent de réaliser des tâches de superposition et de calculs à partir d’images géoréférencées.

Google Earth© est un logiciel gratuit qui permet d'accéder à une collection d'images satellites de la Terre. Ce logiciel permet de survoler la Terre et de focaliser sur un lieu de son choix. La simplicité du logiciel et l'exceptionnelle qualité des images permettent une numérisation facile et à haute précision des entités (lignes, polygones et points). Pour notre étude, cet outil est intéressant puisqu’il permet une localisation exacte des ouvrages existants (jessour) et la délimitation du bassin versant, permettant ainsi d’avoir des couches d’informations géo-spatiales simples à utiliser.

La première opération consiste à importer la zone d’étude délimitée dans ArcView vers l’image satellite géoréférencée à haute résolution. La deuxième étape consiste à agrandir l’image Google Earth© de façon à pouvoir identifier et délimiter clairement chaque unité jesr et sauvegarder le résultat sous format (*.kml). L’ensemble des unités numérisées dans Google Earth© est exporté vers une nouvelle image ArcView pour être assemblé et transformé du format (kml) au format (shp). Le résultat de l’union de tous les polygones (jessour) donne naissance à la carte des jessour effectivement existants en format (shp).

3.2 Modèle numérique de terrain

Le modèle numérique de terrain (MNT) permet de délimiter des bassins versants et de déterminer leur réseau hydrographique théorique par des méthodes informatisées, reproductibles et automatisables. La précision des limites des bassins versants et du tracé des cours d’eau générés dépend de la résolution du MNT. Pour notre étude, deux MNT de 10 m et de 90 m ont été utilisés respectivement pour le bassin versant d’oued Jir et pour le bassin versant d’oued Hallouf.

Le MNT de 90 m pour le bassin versant d’oued Hallouf a été extrait directement du SRTM (CGIAR-CSI, 2008) et utilisé sans effectuer de modifications pour manque des données détaillées accessibles. Par contre, le MNT de 10 m pour le bassin versant d’oued Jir a été produit. Le traitement de ce dernier consiste en une série d’opérations. D’abord, les contours 10 m ont été extraits du SRTM couvrant la zone d’étude. Puis, une couche de réseau hydrographique détaillée (échelle, 1:25,000) a été numérisée à partir d’images Quickbird obtenues du logiciel Google Earth©. Ensuite, les contours d'élévation ont été géographiquement correspondus à ceux du réseau du cours d'eau en appliquant une traduction appropriée utilisant ArcView. Enfin, un MNT de 10 m a été produit par la routine Topogridtool d'ArcInfo. L’extension d'ArcView SWAT2000 (Gassmanet al., 2007) a été utilisée pour vérifier le tracé du cours d’eau.

4. Méthodologie d'identification des jessour

La méthodologie adoptée repose sur les travaux réalisés par ANANE et al. (2008), BACCARI et al. (2007), JOANNE (2010) et BEN MECHLIA et al. (2009) adaptée aux aménagements des jessour, et basée sur la considération de trois facteurs : Pente - Sol - Zone cultivable. Le critère hydrologique n’a pas été retenu parce qu’il entre dans la conception de la digue et que le déversoir du jesr n’est pas dans les critères de sélection du site. Les deux paramètres qui conditionnent l’hydrologie des jessour sont l’impluvium de l’ouvrage et la pluie. L’impluvium est influencé par la pente latérale, la capacité d’infiltration (sols), et la capacité du stockage d’eau derrière la digue. Tous ces paramètres sont représentés directement ou indirectement par les facteurs utilisés dans cette méthodologie qui sont la pente, le sol et la zone cultivable. Nonobstant la pluie, intensité et volume ne constituent pas un critère pertinent par rapport aux autres critères déjà choisis.

Ces trois facteurs, élaborés sous forme de cartes, sont évalués par des classes de qualité. Le principe de calcul des classes et de sélection est expliqué ci-dessous. Pour avoir la carte des sites favorables à l’implantation des jessour, il a fallu effectuer la superposition de ces trois couches d’information. La dernière étape est le test de la carte de synthèse afin de vérifier si elle permet de retrouver l'emplacement des sites des jessour déjà existants.

L’hypothèse principale de l’étude (calibration et validation) est que les jessour déjà existants sont situés sur des sites favorisés par des apports d’eau de ruissellement (Floret et Pontanier, 1982).

La méthodologie générale est schématisée par le diagramme de la figure 5.

Figure 5

Schéma récapitulatif de la méthodologie générale.

Schematic summary of the general methodology.

Schéma récapitulatif de la méthodologie générale.

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4.1 Méthodologie pour le calcul des classes de pente

En général, la pente moyenne d’un jesr est obtenue en effectuant le rapport de la dénivellation (différence d’altitude entre l’amont et l’aval du jesr en respectant le sens d’écoulement d’eau) par la distance à l’horizontale. Cette pente est exprimée en pourcentage en multipliant la valeur trouvée par 100. Vu le nombre très élevé des jessour dans le bassin versant, la méthodologie suivante a été adoptée pour le calcul de la pente. Après la création d’un thème zone cultivable des jessour à partir de l’image géoréférencée (disponible gratuitement sur Google Earth©) en fichier de forme (Shapefile), il a été superposé au Modèle Numérique du Terrain (MNT) de toute la zone d’étude. Puis, la pente a été calculée par l’outil « Derive Slope » d’ArcView. La classification de la pente suivant les spécifications requises a été faite par l’outil (Reclassification).

Une première classification automatisée a été effectuée pour obtenir une répartition détaillée des classes de pente. Par la suite une reclassification a permis de délimiter les classes finales pour trouver un jesr (Tableau 1).

Tableau 1

Répartition des classes de pente de jessour

Distribution of jessour slope classes

Répartition des classes de pente de jessour

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4.2 Méthodologie pour le calcul des superficies de la zone cultivée et la zone tampon (Buffer)

La méthode de cartographie utilisée pour identifier la zone cultivée repose sur la simple numérisation des polygones cultivés dans les talwegs. La partie amont est identifiée par la limite de labour pour le jesr en tête de ravin et par la digue du jesr amont pour les autres jessour. La partie aval du jesr est toujours délimitée par sa propre digue. La couche d’information est utilisable sur ArcView par une simple exportation des fichiers en format (kml) de Google Earth© vers ArcView pour ensuite être assemblés et transformés du format (kml) au format (shp).

Les digues des jessour sont disposées en gradins perpendiculairement au sens d’écoulement de l’eau dans les ravins (Figure 1). Par conséquent, le lit du ravin constitue pratiquement l’axe de symétrie de la zone cultivable, appelée aussi la zone tampon. Pour déterminer cette zone automatiquement, il a suffi d’appliquer l’outil « Buffer » d’ArcView sur la carte hydrographique préparée auparavant.

Une prospection de la largeur de la zone cultivable d’une centaine de jessour aménagés dans la région d’étude montre que la largeur maximale de la majorité des jessour (46 %) est comprise entre 50 et 70 mètres alors qu’une bonne partie des jessour (29 %) ont une largeur maximale pouvant atteindre 90 m. Les petits ouvrages (largeur maximale inférieur à 50 m) ne représentent que 13 % des jessour existants dans la région d’étude. Pour couvrir la totalité de la zone de culture des jessour, une zone tampon de 45 m a été choisie, c'est-à-dire une largeur maximale de 90 m, ce qui représente 88 % (13 % + 46 % + 29 %) de la superficie couverte par les jessour. Le traitement de l’information consiste en l’application d’une zone tampon (B = 45 m) pour tous les cours d’eau, oueds et ravins. Les polygones obtenus forment la carte des zones tampons.

Les cartes des réseaux hydrographiques de deux bassins versants étudiés ont été déduites de la carte agricole (La carte agricole est une base de données géographiques nationale dotée d’un ensemble de modèles nécessaires à la simulation de différentes situations agronomiques et économiques) de Gabès pour le bassin versant d’oued Jir et celle de Médenine pour le bassin versant d’oued Hallouf. La superposition des couches des réseaux hydrographiques de la carte agricole à grande échelle sur l’image géoréférencée de Google Earth© a permis de compléter la numérisation des petits ravins.

5. Répartition des poids des indicateurs

Tel qu'il a été mentionné auparavant, trois paramètres ont été jugés pertinents pour localiser les aménagements des jessour : la pente, le sol et la largeur maximale de la zone cultivée (ANANE et al., 2008; BEN MECHLIA et al., 2009; BONVALLOT, 1984). Ces trois paramètres ont été évalués par un poids arbitraire allant de 10 (très favorable pour implanter un jesr) à 0 (non favorable). Les cartes de la pente, du sol et de la zone cultivable présentent le même poids (0-10) étant donné que les trois représentent des indicateurs de même importance.

5.1 Répartition des poids pour les classes de pente

Le poids d’une classe de pente a été évalué proportionnellement au pourcentage de la superficie couverte par cette classe de pente sur le basin versant d’oued Jir (calibration). Il varie entre 10 (pente propice pour implanter un jesr) et 1 (zone à pente non favorable mais en réalité on peut trouver quelques aménagements de jessour) selon les barèmes du tableau 2.

Tableau 2

Barème de notation des classes de pente dans le bassin versant d’oued Jir

Scoring of slope classes in the watershed of wadi Jir

Barème de notation des classes de pente dans le bassin versant d’oued Jir

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5.2 Répartition des poids pour la zone tampon (la zone cultivée)

La méthodologie de répartition des poids pour la zone tampon doit tenir compte des impératifs suivants :

  • le lit du ravin (oued) est l’axe de symétrie du champ du jesr;

  • la zone tampon constitue le champ du jesr puisque les arbres fruitiers et les cultures vivrières y sont cultivés;

  • la zone au-delà de la zone tampon fait partie de l’impluvium et non pas de la zone de culture.

Par conséquent, le champ du jesr (B = 45 m) est noté par un poids 10 alors que l’impluvium (B > 45 m) est noté par un poids nul (Figure 6).

Figure 6

Procédure pour sélectionner les sites favorables à l’implantation des jessour.

Procedure to select suitable sites for construction of jessour.

Procédure pour sélectionner les sites favorables à l’implantation des jessour.

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La zone tampon (B = 45 m) est caractérisée par un poids très élevée (10) car elle couvre la zone de culture des jessour dans 88 % des cas. Les 12 % restants sont caractérisés par un poids nul car ces jessour sont localisés en majeure partie dans la zone de Haddaj qui présente un aspect tendant vers le système Tabia (Le système Tabia se pratique dans les zones plates ou à pentes faibles ayant des sols assez profonds. Cette technique est plus récente et émane d’une adaptation de la technique des jessour pour les zones plates: plaines et piedmont (ALAYA et al., 1993). Les Tabias représentent le système typique de retenue d’eau de ruissellement des sites plats à sol profond dans la région. La distinction entre jessour et Tabias se fait par une simple comparaison des dimensions des deux systèmes et de leurs emplacements respectifs. En effet, si les jessour occupent les talwegs des montagnes, les Tabias, qui sont de dimensions plus considérables, se trouvent dans les zones de piémont de la chaîne montagneuse de Matmata (Figure 7). Il est important de signaler que lorsqu’on parle de Tabias ou système Tabia on se réfère nécessairement au système typique de retenue d’eau de ruissellement. Cependant, le mot « Tabia » identifie aussi la digue du jesr. La figure 7 permet d’éclaircir la confusion existant concernant le terme « Tabia ».

Figure 7

Les systèmes d’exploitation des eaux de ruissellement dans les régions arides de la Tunisie; (a) Jessour et (b) Tabias (d’après ALAYA et al., 1993).

The operating systems of runoff in arid regions of Tunisia; (a) Jessour and (b) Tabias (from ALAYA et al., 1993).

Les systèmes d’exploitation des eaux de ruissellement dans les régions arides de la Tunisie; (a) Jessour et (b) Tabias (d’après ALAYA et al., 1993).

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5.3 Répartition des poids pour les classes pédologiques

Le barème de notation des classes pédologiques varie de 0 à 10 (Figure 6). Le poids maximal 10 est accordé aux sols peu évolués tandis que les sols minéraux bruts 2 sont notés par un poids nul. Les deux autres classes, à savoir les sols isohumiques et les sols minéraux bruts 1, sont notés respectivement par un poids 7 et 5.

Les jessour existants sont très répandus sur les sols peu évolués. Ces sols, de texture sablo-limoneuse à limono-sableuse, sont touchés par l’érosion hydrique et contribuent à enrichir de sédiments la zone aménagée pour les cultures en contrebas. Les sols isohumiques sont aussi des sols favorables à l’aménagement des jessour, toutefois la présence des nodules calcaires et d’encroûtements diminue leur poids par apport à celui des sols peu évolués.

Les sols minéraux bruts sont repartis en deux classes :

  • Les sols minéraux bruts « 1 » sont des sols d’érosion sur colluvions grossiers des versants d’épaisseur très peu développée. Les jessour ont été depuis longtemps considérés comme étant un des moyens les plus sûrs pour garantir les récoltes dans les zones arides à sols squelettiques. Il a été attribué à cette classe de sols un poids moyen (5).

  • Les sols minéraux bruts « 2 » sont des sols qui occupent les sommets et les crêtes des montagnes ou les lits des oueds principaux occupés généralement par des gros galets. Ce sont des zones qui ne peuvent pas être aménagées en jessour, c’est pourquoi elles sont évaluées par un poids nul.

6. Superposition des couches des indicateurs

Afin d’élaborer une carte de synthèse des sites favorables à l’implantation des jessour, trois cartes ont été produites et superposées : la carte de pente, la carte des classes de sol et la carte de la zone de culture. Le principe de calcul et de sélection est schématisé à la figure 6.

La superposition des trois couches donne une carte de synthèse avec quatre classes d’aménagement (Figures 6 et 8). La première classe (C1) regroupe les zones très favorables à l’implantation des jessour, et se caractérise par une pente de 1 à 8 % sur des sols peu évolués ou isohumiques. La deuxième classe (C2), notée zone favorable, accuse deux petits problèmes par rapport à la première classe, soit la présence de sols d’érosion sur colluvions grossiers des versants d’épaisseur très peu développée ou l’existence d’une pente peu souhaitable (8-15 %). La troisième classe (C3), notée zone peu favorable, regroupe les secteurs qui ont une pente supérieure à 8 % associée aux sols d’érosion sur colluvions grossiers des versants d’épaisseur très peu développée. Les zones qui se trouvent en dehors de la zone tampon (la zone de culture des jessour) sont groupées dans la quatrième classe (C4), notée zone non favorable.

7. Calage

Le calage consiste à ajuster les poids des paramètres pente et sol afin de s’approcher le plus possible des données observées (jessour existants). L'ajustement de ces poids se fait par essai et par calcul de l’erreur, c'est-à-dire par analyse des résultats précédents et modification des poids des indicateurs sol et pente (en cherchant par ailleurs à en réduire, autant que possible, la valeur de croisement entre la couche de la classe notée « non favorable » de la carte de synthèse et la carte des jessour existants) jusqu’à l’obtention d’un maximum de jessour existants. On procède ainsi de façon itérative jusqu'à l'obtention de résultats comparables aux données observées (jessour existants).

L’appréciation de la qualité du calage a été faite sur la base des critères suivants :

  • comparaison visuelle des données simulées (carte de synthèse) aux données observées (carte des jessour existants);

  • analyse de la répartition des jessour effectivement existants sur les différentes classes de la carte de synthèse suite à l’intersection de cette dernière avec la carte des données observées;

  • calcul de l’erreur de l’outil proposé par un croisement entre la couche de la classe notée « non favorable » de la carte de synthèse et la carte des jessour existants pour identifier les jessour réellement existants dans les zones considérées non aptes à l’implantation des jessour dans la carte simulée;

  • on considère que tous les jessour existants sont situés sur des sites favorables.

Les poids obtenus par cette étape de calage sont ceux présentés à la figure 6.

Pour évaluer la méthodologie et la tester, la carte des jessour effectivement existants dans le bassin versant d’oued Jir (Figure 3) a été superposée (avec l’option intersection) à la carte de synthèse (Figure 8). Le résultat de cette intersection donne le pourcentage des jessour effectivement existants qui coïncident avec les différentes classes d’aménagement simulées (Figure 9).

Figure 8

La carte de synthèse; répartition spatiale des sites potentiels pour l’implantation des jessour dans le bassin versant d’oued Jir basée sur la superposition des trois couches d’informations (pente, sol et zone de la culture).

The synthesis map; spatial distribution of potential sites for the implementation of jessour in the watershed of wadi Jir based on the overlay of three layers of information (slope, soil and cropping area).

La carte de synthèse; répartition spatiale des sites potentiels pour l’implantation des jessour dans le bassin versant d’oued Jir basée sur la superposition des trois couches d’informations (pente, sol et zone de la culture).

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Figure 9

Répartition des jessour effectivement existants sur les différentes classes de la carte de synthèse suite à l’intersection de cette dernière avec la carte des données observées dans le bassin versant d’oued Jir.

Distribution of actually existing jessour on the different classes of the synthesis map following the intersection of this map with the map of observed data in the watershed of wadi Jir.

Répartition des jessour effectivement existants sur les différentes classes de la carte de synthèse suite à l’intersection de cette dernière avec la carte des données observées dans le bassin versant d’oued Jir.

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L’application de la méthodologie proposée sur le bassin versant d’oued Jir a permis de détecter la majorité des jessour (94 %) effectivement existants (Figure 3) dans la zone considérée apte à l’implantation des aménagements dans la carte de synthèse (Figure 8 : classe très favorable, classe favorable et classe peu favorable). Le pourcentage des aménagements repérés dans la classe non favorable (6 %) représente les jessour détectés dans la zone considérée non apte pour l’implantation des aménagements de jessour (Figure 8), et représente, par conséquent, l’erreur de l’outil utilisé en considérant l’hypothèse de travail principal qui considère que tous les jessour existants sont situés sur des sites favorables. Ces erreurs résultent surtout de la qualité des couches d'informations géographiques utilisées. Par exemple, pour le bassin versant d’oued Jir, malgré l’utilisation d’un MNT de haute résolution (10 m), le problème peut se résumer, d’une part, par l’utilisation d’une carte pédologique non détaillée (Les cartes pédologiques ont été déduites de la carte agricole de Gabès pour le bassin versant d’oued Jir et de Médenine pour le bassin versant d’oued Hallouf. Ces deux cartes ont étés numérisées à partir de la carte des ressources en sols de la Tunisie au 1:200 000) et, d’autre part, par la méprise possible avec le système Tabia.

8. Validation

La qualité d’un modèle se mesure par les résultats de sa validation. La validation a consisté à comparer des données observées aux données simulées du bassin versant d’oued Hallouf en utilisant les mêmes poids utilisés pour l’évaluation de la qualité de calage effectué sur le bassin d’oued Jir. L’utilisation d’un bassin versant autre que celui utilisé pour le calage a pour but de vérifier si la méthodologie est applicable à n’importe quel bassin versant, en utilisant les mêmes poids obtenus lors du calage.

La procédure déjà utilisée pour le calage a été réutilisée pour la validation; la carte des jessour effectivement existants dans le bassin versant d’oued Hallouf (Figure 4) a été superposée à la carte de synthèse du même bassin versant (Figure 10). L’intersection des deux couches d’information donne le pourcentage des superficies des jessour existants qui coïncide avec les différentes classes d’aménagement (Figure 11).

Figure 10

La carte de synthèse; répartition spatiale des sites potentiels pour l’implantation des jessour dans le bassin versant d’oued Hallouf.

The synthesis map; spatial distribution of potential sites for the implementation of jessour in the watershed of wadi Hallouf.

La carte de synthèse; répartition spatiale des sites potentiels pour l’implantation des jessour dans le bassin versant d’oued Hallouf.

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Figure 11

Répartition des jessour effectivement existants sur les différentes classes de la carte de synthèse suite à l’intersection de cette dernière avec la carte des données observées dans le bassin versant d’oued Hallouf.

Distribution of actually existing jessour on the different classes of the synthetic map following the intersection of this map with the map of observed data in the watershed of wadi Hallouf.

Répartition des jessour effectivement existants sur les différentes classes de la carte de synthèse suite à l’intersection de cette dernière avec la carte des données observées dans le bassin versant d’oued Hallouf.

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L’application de la méthodologie proposée sur le bassin versant d’oued Hallouf a permis de repérer 87 % des jessour effectivement existants (Figure 4) dans la zone considérée apte à l’implantation des aménagements dans la carte de synthèse (Figure 10). Ce pourcentage est relativement moins important que celui enregistré lors de la phase de calage (94 %) mais reste toutefois élevé. Ce résultat est attendu, étant donné que la précision des couches d’informations utilisées dans les deux cas n’est pas la même. Par exemple, dans le cas du bassin versant d’oued Jir (calage), la résolution du MNT est de 10 m. Elle est beaucoup plus précise que celle du MNT du bassin versant d’oued Hallouf (validation) qui est égal à 90 m. Cette différence dans la qualité d’information se reflète directement sur l’erreur de la méthodologie. Par conséquent, l’erreur enregistrée au niveau d’oued Hallouf (13 %), bien qu’elle soit supérieure à celle obtenue lors du calage de la méthodologie (6 %), reste tolérable, considérant que le but de la méthodologie proposée est d’orienter les personnes concernées vers les zones potentielles d’aménagement des jessour et non pas de choisir leur emplacement final.

9. Conclusion

Le présent travail constitue une contribution méthodologique à un effort de recherche visant à promouvoir le système jessour, qui représente l’une des techniques traditionnelles de collecte des eaux de ruissellement et des sédiments dans les régions arides tunisiennes où les précipitations moyennes annuelles sont inférieures à 200 mm, et où les cultures ne peuvent se développer sans apport d’eau supplémentaire.

Cette étude avait pour objectif de mettre en place une méthodologie automatisée simple, fondée sur l’utilisation d’un SIG (ArcView) et du logiciel Google Earth© (ou n’importe quelle autre source d’images satellites à haute résolution) pour l’identification des jessour existants et la localisation des sites potentiels d’aménagement des jessour.

La méthodologie proposée permet d’identifier les sites propices à l’implantation des jessour, moyennant bien sûr une visite de terrain pour examiner la faisabilité de l’ouvrage.

La précision de l’outil développé est en relation directe avec la qualité des informations utilisées. Il est conseillé d’utiliser des supports cartographiques détaillés et un modèle numérique de terrain (MNT) de résolution inférieure ou égale à 10 m. Néanmoins, la validation des informations spatiales sur terrain avant leur utilisation est indispensable pour corriger éventuellement les anomalies qui peuvent exister.

Bien que cette méthodologie paraisse suffisante pour identifier les sites potentiels d’implantation des jessour et de localiser des sites statiques, elle n’est pas recommandée pour inventorier les ouvrages existants en vue d’y contrôler leurs évolutions. Ainsi, il est fortement conseillé d’utiliser la télédétection comme outil complémentaire au système d’information géographique et au logiciel Google Earth©.