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1. Cadre de l’étude

Les collaborations éducatives entre parents et enseignants font l’objet depuis plusieurs années de recherches en psychologie, sociologie et sciences de l’éducation. Elles analysent les perceptions réciproques, les actions, les interactions ou les types de communication mis en oeuvre et les obstacles qu’elles rencontrent (Montandon et Perrenoud, 1987; Thin, 1998; Meirieu, 2000; Kherroubi, 2008). Certaines recherches se centrent particulièrement sur les caractéristiques des familles et des processus mis en jeu dans leur rapport à l’école, aux enseignants et à la scolarité de leur enfant (Deslandes et Bertrand, 2004; Bergonnier-Dupuy, 2005; Bardouet al.,2010; Poncelet et Francis, 2010). D’autres explorent essentiellement les postures et les pratiques enseignantes dans la collaboration avec les familles (Careil, 1995; Maulini, 2000; Larivée, 2008; Guigue, 2010).

Bien que la collaboration ne participe pas de la base historique du travail des enseignants (Marcel et al., 2007) « le travail en équipe et la coopération avec les parents et les partenaires de l'école » constituent désormais l’une des dix compétences qui définissent la profession d’enseignant et mettent en jeu des « connaissances, des capacités et des attitudes professionnelles » (ministère de l’Éducation nationale, 2010). Outre l’importance que cela revêt pour les familles, développer la réflexion sur cette thématique nous paraît essentiel dans un contexte d’évolution du fonctionnement de l’école, de réaménagement de la formation des enseignants et de mise en place de textes et dispositifs qui prennent en compte la place et le rôle grandissants des parents dans le cadre scolaire et la coéducation, comme c’est le cas en France (Thélot, 2004; Warzée et al., 2006; OCDE, 2010).

Certaines écoles se réfèrent à ce cadre réglementaire comme à des obligations minimales tandis que d’autres élaborent des projets spécifiques et présentent des démarches originales dans cette perspective. Au-delà des orientations et des sensibilités propres aux enseignants ou aux équipes, les établissements situés dans le secteur de l’éducation prioritaire sont souvent impliqués dans des collaborations avec les familles, car ils sont confrontés à des enjeux de réussite/échec scolaire, de prévention du décrochage et de pacification du climat scolaire.[1] Il s’agit donc pour les enseignants d’informer les parents et de communiquer avec eux sur la scolarité, mais aussi de faciliter leur engagement dans le suivi scolaire de leur enfant et dans la vie de l’établissement, ou même de les accompagner dans ce suivi scolaire. Cette collaboration doit être amorcée dès le début de la scolarité, quand les enseignants font cause commune avec les parents et partagent leurs espoirs de réussite (Perrenoud, 1998).

Cet article propose une réflexion sur les représentations et les interventions des enseignants du premier degré pour collaborer avec les parents dans le domaine de l’éducation scolaire. Les familles concernées sont majoritairement confrontées à des situations où les facteurs de précarité socio-économique, de migration, ou de faible scolarisation peuvent être combinés. Nous cherchons à comprendre sur quoi peut s’appuyer l’aide apportée et quels sont les obstacles rencontrés. Qu’est-ce qui, dans la façon dont les enseignants animent les relations et dans les dispositifs mis en place, peut soutenir, ou au contraire fragiliser, l’engagement des parents et des enseignants eux-mêmes? Nous étudions essentiellement le point de vue des enseignants et nous appréhendons l’engagement des parents à travers l’impact qu’il a sur eux (à savoir le regard qu’ils portent sur lui et les résonnances qu’il produit). Dans une première partie, nous interrogerons les raisons et les conditions de la collaboration ainsi que ses liens avec l’engagement dans la scolarité afin de présenter le contexte de l’étude et la méthodologie de recherche. En deuxième partie, nous analyserons les représentations des enseignants et les dispositifs de rencontre et d’échanges parents-enseignants, puis nous discuterons de l’engagement et du malaise des enseignants avant de conclure.

1.1 Collaborer pour réussir la scolarité?

La collaboration parents-enseignants est souvent considérée comme renforçant l’égalité des chances de réussite scolaire, notamment en milieu populaire, mais est-on certain que si les parents se rapprochent de l’école leurs enfants réussiront mieux (Glasman, 1997)? Pour Chauveau (2000), la collaboration ne suffit pas à assurer la réussite, elle vient enrichir les moyens pédagogiques et didactiques efficaces pour entrer dans l’écrit. Sans doute peut-elle assurer une qualité des relations, une confiance nécessaires à l’adhésion aux projets de l’école et des enseignants pour l’élève ainsi qu’une cohérence des objectifs entre l’école et la maison. Une scolarité réussie est alors un ajustement délicat qui prend en compte non seulement les résultats de l’élève par rapport à une norme scolaire, mais aussi l’exercice du métier d’élève et d’apprenant (Perrenoud, 1996), la socialisation scolaire (Amigues et Zerbato-Poudou, 2000), le sens de la culture et des apprentissages en fonction du projet scolaire ainsi que la progression propre en termes d’apprentissages et de compétences. Les enjeux de cette collaboration concernent également le fonctionnement de l’école : les conditions de scolarisation, la gestion de la sécurité dans et aux abords des établissements, le climat scolaire, les processus de régulation.

Pour autant, quand les parents rencontrent les enseignants, les problèmes sont-ils aplanis et les conflits résolus? Une implication des parents dans la collaboration avec l’école s’accompagne-t-elle d’un engagement dans la scolaritéde leur enfant? Sommes-nous sûrs que les parents qui ne viennent pas ne s’impliquent pas, et dans quoi doivent-ils s’impliquer pour que leur enfant réussisse? Enfin, qu’attendent au juste les enseignants et l’institution scolaire de ce rapprochement (Glasman, 1997)?

1.2 Des décalages entre partenaires, des réticences et des enjeux de pouvoir

Malgré les enjeux communs de réussite, les relations avec les parents sont qualifiées de : « dialogue impossible » (Montandon et Perrenoud, 1987), « malentendu » (Dubet, 1997), « contentieux » (Gayet, 1999), « différend » (Périer, 2005), « partenariat obligé » (Guigue, 2010). La volonté d’affirmer le rôle des parents à l’école se confronte aux réticences des enseignants (Moreau, 2003).La mission de l’école française était, historiquement, de faire accéder les élèves à l’universalité de la culture en opérant une coupure avec l’univers familial. Nombre d’enseignants maintiennent encore une distance tout en favorisant une « normalisation implicite des parents, sous la forme d’une éducation externalisée […] déléguée aux enfants » (Maubant et Leclerc, 2008 : 31). Leurs réticences seraient alimentées par une formation initiale beaucoup plus centrée sur les disciplines que sur les finalités éducatives et citoyennes de l’école (Moreau, 2003). Dans le partenariat, les enseignants se centrent sur une logique de transmission, ils attendent des familles qu’elles aident l’élève à achever ou à préparer les tâches effectuées dans le temps scolaire. Les parents se centrent sur une logique de développement personnel et familial et attendent de l’école qu’elle garantisse des contenus, des règles et des perspectives professionnelles.

Il existe donc des décalages entre ces partenaires et des enjeux de pouvoir. Associer les parents et leur permettre de s’investir dans la scolarité de leurs enfants est positif, pour autant que cela ne devienne pas une injonction avec l’idée que s’ils « ne s’impliquent pas, ils diminuent singulièrement les chances de leurs enfants », ce qui reviendrait à leur faire porter la responsabilité de l’échec (Glasman, 1995 : 14). En cas d’absentéisme ou de violence scolaire, le contrat de responsabilité parentale prévoit déjà des dispositifs de soutien à la parentalité ainsi que des sanctions pénales ou portant sur les prestations familiales(ministère de l’Éducation nationale, 2006). Dès lors, comment susciter la participation des familles, en particulier pour les plus méfiantes ou les plus rétives d’entre elles à toute intervention? Le risque de stigmatisation des familles populaires est sous-jacent, alimenté par l’écart sociologique entre enseignants et parents. Des représentations stéréotypées s’expriment à travers les termes de « démission » scolaire (Thin, 1998; Périer, 2005), de parents « fuyants » (Verba, 2006), « inaptes à suivre leurs enfants » (Lorcerie et Carvalo, 2002 : 6). Pourtant, les parents paraissent très préoccupés par la scolarité (73,2 %) et par l’éducation (64,4 %) de leurs enfants, quels que soient leurs revenus, leur niveau de formation, le type de famille (nucléaire, monoparentale, recomposée), le statut des répondants (père, mère, beau-parent), l’âge ou le sexe des enfants (Prévôt, 2008). Parmi eux, 82,1 % souhaitent avoir des informations sur l’école et la réussite scolaire, sur les programmes (40,9 %) et sur des méthodes pour aider leur enfant (45 %). Il y a donc « un enjeu extrêmement fort à doter les familles d’outils d’accompagnement à la scolarité » (Prévôt, 2008 : 46). En outre, certaines causes associées à la non-participation des familles populaires ou immigrées sont connues : une appréhension liée à la position culturelle, au passé scolaire, à la barrière linguistique, à un sentiment de dévalorisation ou de distance (Warzée et al., 2006).

Partant du postulat selon lequel la collaboration entre parents et enseignants serait favorable à la réussite de la scolarité des enfants, nous en venons à nous interroger sur l’implication des acteurs. À la notion d’implication, qui n’est pas nécessairement « volontaire » ni « consciente » (Monceau, 2010), nous préférerons celle d’engagement, qui indique le mouvement dynamique plutôt que l’inscription de fait en tant que membre d’une communauté éducative.

1.3 L’engagement des parents dans la scolarité, l’engagement des enseignants

De quelle nature sont ces engagements et en quoi consistent-ils? Ils incluent la participation (Deslandes et Bertrand, 2004) et l’investissement des acteurs, mais donnent lieu à des opérationnalisations diverses (Dierendonck et Poncelet, 2010). Pour les parents, s’agit-il de s’engager dans la collaboration avec l’école, dans la scolarité de leur enfant? Pour les enseignants, quelles représentations, quelles actions témoignent de leur degré d’engagement et étayent l’engagement des parents? Nous pouvons définir l’engagement parental à partir de six dimensions (Epstein,2001) :

  • la fonction parentale, qui consiste à établir un environnement propice à l'apprentissage à la maison;

  • la communication avec l'école en termes d’information à propos des programmes éducatifs et des progrès de l'élève;

  • la participation à des activités ponctuelles à l'école;

  • la supervision des travaux scolaires au domicile familial;

  • la participation à la gestion de l’école;

  • la collaboration avec la « communauté » dans le cadre d’un projet éducatif.

Certaines dimensions renvoient aux styles éducatifs parentaux, à la communication parents-enfants dans le domaine scolaire, de l’apprentissage et des savoirs, tandis que d’autres renvoient explicitement à la communication et aux interactions avec l’école (présence aux activités organisées par l’école et rencontres avec les enseignants).

La supervision du travail scolaire aurait un fort impact sur la réussite (Bardouet al., 2010) pour autant qu’elle ne soit pas simplement rétroactive à des difficultés dans le parcours de l’élève, mais proactive, adéquate et adaptée à l’âge de l’enfant (Dierendonck et Poncelet, 2010). L’engagement parental dans la scolarité est lié à plusieurs facteurs tels les styles parentaux, les structures familiales, les niveaux d’éducation des parents, l’âge des enfants, le genre, l’origine ethnique et le projet de migration, etc. (Deslandes et Cloutier, 2005). La communication avec l’école et la participation des parents à des activités scolaires, liées toutes deux au capital scolaire des parents, joueraient également un rôle positif, plus modéré, sur les résultats scolaires (Poncelet et Francis, 2010 : 10).

Comment solliciter chez les parents le suivi de la scolarité des enfants ainsi que leur participation et la communication avec l’école? Les pratiques institutionnelles des écoles envers les familles, leur attitude d’ouverture (Epstein et Dauber, 1991), une personnalisation des échanges, la capacité des enseignants à porter un regard positif, respectueux sur les parents et à développer des relations de confiance (Asdih, 2008) sont des facteurs favorisant l'engagement des parents au sein de l'école. Une communication ouverte et bidirectionnelle, des attitudes basées sur l’empathie et le partage des responsabilités, la recherche de conciliation et de consensus seraient un gage de partenariat (Bouchard et al., 1998; Larivée, 2008). La recherche de partenariat avec les parents serait liée, chez les enseignants, à leur niveau d’études, aux représentations de leurs compétences, des ressources à leur disposition et de l’aptitude des élèves à apprendre. L’engagement des parents serait lié à leurs représentations de leur rôle parental et de leurs compétences en matière de suivi de la scolarité ainsi qu’aux possibilités effectivement offertes par l’école (Hoover-Dempseyet al, 2001). Le rôle de l’école serait alors de susciter les rencontres, d’inviter les parents à participer, mais aussi de travailler sur le rôle et le sentiment de compétence de chacun des acteurs.

Nous nous interrogeons sur ce que mettent en oeuvre les enseignants dans la collaboration avec les parents et ce qui favorise ou détourne leur engagement. Comment certains enseignants sont-ils amenés à s’engager au-delà des textes réglementaires, dans des dispositifs innovants, ou au contraire, à se décourager et à baisser les bras? Comment, par les interactions collaboratives, certains parents sont-ils amenés à s’investir dans un dispositif scolaire ou un accompagnement à la scolarité? Nous voulons éclairer d’un point de vue qualitatif des situations qui mettent en évidence les paramètres qui orientent ces relations : à travers des représentations et des attentes, des dialogues de sourds ou des ruptures de dialogue, mais aussi des pratiques qui relient les acteurs et des réussites collaboratives. Notre objectif est double : analyser les représentations des enseignants sur les parents et la collaboration avec eux, et appréhender les interactions collaboratives dans les actions mises en oeuvre.

1.4 Méthodologie

L’étude s’appuiesur l’analyse préalable des textes officiels et des documents des écoles (projet d’école, invitations aux parents, outils de communication tels les cahiers et blogue, le descriptif des actions) et sur l’analyse thématique d’entretiens semi-directifsréalisés auprès des enseignants de ces écoles. Les écoles contactées présentent, pour certaines, des dispositifs innovants, et pour d’autres, des difficultés de communication avec les familles. Les enseignants ont été rencontrés au préalable pour présenter la recherche, et ceux qui ont accepté de s’y prêter ont été interviewés. Nous ne les connaissions pas auparavant et il n’y avait pas d’intervention dans les écoles concernées. Dans trois écoles, les entretiens ont été collectifs (notés « C » dans le Tableau 1), regroupant quatre, voire cinq, enseignants qui ont rempli une grille d’entretien/questionnaire. Les entretiens avec quatorze enseignants ont été individuels, enregistrés, puis intégralement transcrits.

2. Étude qualitative

Ces entretiens sont guidés par une démarche compréhensive, plutôt qu’explicative, des sujets, des situations et des relations sociales dans lesquelles ils sont impliqués. Le but est que l’interviewé puisse parler ouvertement, avec ses propres mots et en suivant le fil de son discours, des thèmes proposés. L’interviewer est à l’écoute de ce que les enseignants ont à dire sur les relations qu’ils entretiennent avec les parents, sur les situations auxquelles ils sont confrontés, sur leurs doutes et les difficultés qu’ils rencontrent. Nous ne cherchons pas à généraliser les résultats à tous les enseignants ni à considérer notre population comme représentative sur le plan statistique. La démarche est fondée sur des études de cas plutôt que sur la comparaison de variables ayant pour objet les écoles ou les individus. Elle utilise l’éclairage de la psychologie et de la sociologie cliniques (De Gaulejacet al., 2007) qui considèrent que les sujets interviewés contribuent à produire des connaissances sur leur propre situation et que le sens qui émerge des entretiens résulte du dialogue entre sujets et chercheur, entre empathie et distance réflexive.

3. Grille d’entretien et analyse

Dans les entretiens avec les enseignants nous voulions savoir : Quel est le contexte dans lequel ils travaillent? En quels termes décrivent-ils les familles? Quelles sont leurs attentes à leur égard? Quelles difficultés ont-ils repérées? Quelles représentations ont-ils du fonctionnement et de la vie de ces familles? Comment sont décrites et vécues ces relations avec les familles? Que mettent-ils en place dans la relation avec elles?

Nous avons établi une grille d’entretien concernant les thèmes à aborder, sur la base de nos recherches antérieures (Asdih, 2008) :

  • L’école : population (origines sociales, culturelles), nombre d’élèves, caractéristiques des élèves(niveau scolaire, comportement), conception du métier d’enseignant, sens accordé à l’école.

  • Les familles : conceptions et fonctionnement éducatif des familles, difficultés éducatives repérées, implication à l’école, sens accordé à l’éducation parentale, attentes à leur égard, représentations des familles, relations avec elles (contexte, fréquence, lieux, objectifs, moyens, attentes, regrets, résultats).

Dans les entretiens avec les enseignants utilisant des dispositifs originaux, nous avons consacré du temps à la description du dispositif et nous avons recueilli des documents s’y référant.

Nous avons effectué ensuite une analyse de l’expression des locuteurs et une analyse de contenu thématique afin de « repérer des noyaux de sens qui composent la communication et dont la présence ou la fréquence d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif analytique choisi »(Bardin, 2003 : 137). Nous illustrerons, par des extraits d’entretiens, les thèmes significatifs sur les représentations que les enseignants interviewés ont des parents et des pratiques de collaboration avec eux. Nous présenterons des situations significatives pour illustrer des processus en jeu dans la collaboration et pour indiquer le contexte dans lequel elle s’effectue.

4. Population

L’étude a été menée dans 11 écoles primaires (cf. Tableau 1) du sud de la France. Sept d’entre elles accueillent une population de milieu socio-économique et culturel homogène, de type défavorisé : des familles sans emploi, avec des emplois précaires ou très modestes, des familles migrantes et une population gitane pour certaines. Quatre écoles accueillent une population mixte socialement. Nous noterons dans le texte : EM pour école maternelle (3-5 ans), EE pour école élémentaire (6-10 ans), F pour femmes et H pour hommes. Nous avons mené des entretiens individuels avec quatre enseignants sur cinq dans une école élémentaire (EE1). Trois écoles ont répondu collectivement lors d’une réunion rassemblant tous les enseignants. Il n’y a pas eu d’enregistrement pour deux écoles (EM1, EM4) et un entretien enregistré avec la directrice dans la troisième (EM5). Dans les autres écoles, l’enseignant interviewé était en poste de direction (EE2, EM2, EM3) ou utilisait un dispositif innovant d’échange avec les parents (EE4, EM6, EM7). Nous avons retenu l’âge précis ou situé la tranche d’âge des enseignantes et des enseignants interrogés, leur statut de directeur quand c’était le cas, le milieu socio-économique et culturel de l’environnement des écoles : socialement mixte, défavorisé, et si l’école se situe en zone d’éducation prioritaire (réseaux de réussite scolaire, RRS), et leur localisation dans une zone urbaine (grande ville), une petite ville ou un village.

Tableau 1

Caractéristiques des enseignants et des écoles

Caractéristiques des enseignants et des écoles

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5. Résultats : des enseignants engagés dans la collaboration avec les parents?

Nous analyserons d’abord les représentations des enseignants interviewés, puis quelques-unes de leurs pratiques. Quelles représentations les enseignants se font-ils des parents et de la collaboration avec eux, qui pourraient témoigner de leur engagement et étayer, ou non, l’engagement des parents?

5.1 Des représentations d’enseignants engagés, mais diversement connotées

Les représentations qui émergent des entretiens sont diverses. Les dimensions de coéducation sont largement intégrées. Celles de partenariat avec les parents sont clairement indiquées dans certaines écoles (C1, EM1, défavorisé; F5, EM3 et F4, EM2, mixité sociale) : « La relation aux parents se construit chaque jour où on leur fait prendre conscience qu’ils sont un partenaire et pas un étranger, pour le mieux, le meilleur de leur enfant. Nous allons dans le même sens et nous avons besoin d’eux » (C1). Parfois ce sont surtout les obstacles rencontrés qui sont pointés, comme l’absence des parents aux réunions ou leur peu d’investissement dans l’école (EM1, EM4, EE1 et EE2, défavorisés) (EM2 et EM5, mixité sociale) : « Quand on les convoque pour les bilans, ils ne viennent pas ou alors il faut leur fixer au moins trois rendez-vous. » Ce n’est cependant pas le cas dans celles où des projets spécifiques ont vu le jour (EM6, EM7, EE4, EE5). Les enseignants interrogés attendent des parents une forme d’implication bien précise : lire et signer le cahier de liaison, venir les rencontrer et surveiller les devoirs des enfants. Pour eux, ces attitudes correspondent à une norme de comportement éducatif et sont l’indicateur principal de l’intérêt qu’ils accordent à la réussite scolaire. Le fait que les parents ne travaillent pas et qu’ils sont supposément disponibles renforce l’idée que cette absence est liée à leur mauvaise volonté. Une enseignante (F1, EE1) précise néanmoins que certains parents peuvent éprouver des difficultés à se rendre à l’école, qu’ils sacralisent et qui les renvoie à un sentiment d’incompétence. Les enseignants souhaitent que les parents aident leurs enfants : « En reprenant plus ou moins ce qu’on a fait en classe, en leur faisant apprendre leurs leçons, leur poésie, la lecture, c’est pas long. » Ils attribuent aux parents un rôle d’auxiliaire des enseignants, de relais du travail fait en classe. Ils voudraient qu’ils agissent comme eux sans les concurrencer sur leur posture professionnelle. Les parents « vont dire à l’enfant “il faut travailler”, mais ça s’arrête là, ils vont pas vérifier derrière que le travail est bien fait », « on ne surveille pas leur travail […] d’entrée, les parents les inscrivent à l’étude », « ce sont les frères et soeurs qui s’occupent des petits, donc les parents se déchargent ». Certains enseignants attendent des parents davantage d’exigences en matière de résultats, ou qu’ils « transmettent une envie d’apprendre ». Or si cette forme d’implication est souvent mise en oeuvre par les parents de classe moyenne et aisée, elle est peu appliquée chez des familles qui ont un vécu lacunaire ou douloureux de leur propre scolarité et des apprentissages, ou qui sont parfois débordées par d’autres préoccupations. Il semble que les attentes de ces enseignants traduisent une méconnaissance ou une prise en compte incomplète des conditions de vie de ces familles, de leurs rapports à l’école, de leurs difficultés réelles et des incidences sur la scolarité.

Les représentations « négatives » concernant les parents retiennent l’attention (F 1, F2, F3 et H1 pour EE1, défavorisé; C1, EM4, défavorisé; H2, EE2 défavorisé; F6, EM5, mixte). Citant son école précédente, de milieu favorisé, cet enseignant (H2) parle des parents « qui ne soutiennent pas l’école mais, au contraire, l’attaquent ». Il ne rencontre pas ce problème « dans les milieux défavorisés avec la population coranique », parce que« l’école doit faire de la discipline, donc, ils nous laissent faire. Certains, ajoute-t-il, nous disent même que si l’enfant n’est pas sage, on peut le taper »!Une certaine confiance mais une divergence des valeurs et des pratiques sont ainsi soulignées. Dans l’école actuelle, il désigne aussi les parents qui « ont une représentation défaillante de leur rôle », « dont les enfants posent d’importants problèmes disciplinaires et ont pris l’ascendant sur eux » et qui « pour ne pas se remettre en cause, mettent en cause l’institution scolaire ». L’enseignante F6 (EM5) invoque le « peu de dialogue », l’intérêt exclusif pour leur enfant, le « déni quand il a des difficultés », l’absence de « feeling » dans les contacts.

Sur le plan de la scolarité, le manque d’ambition, le fatalisme des parents qui ne croient pas vraiment en la réussite sont cités. Le sens de l’école pour les familles est interrogé parfois de façon ironique : « Pour certains, l’école est un lieu d’apprentissage, il y en a d’autres, c’est la garderie gratuite, il y en a d’autres, c’est une obligation pour toucher les allocs. » Le désintérêt des parents se traduit, selon eux, par un manque d’implication dans la scolarité des enfants, par une collaboration insuffisante ou de la négligence.

Ces représentations sont particulièrement nombreuses et marquées dans une école (EE1) située dans un quartier de logements sociaux d’une petite ville. Le directeur évoque d’importantes difficultés d’apprentissage des élèves, liées selon lui aux carences du milieu familial et à l’absence de stimulations. Il cite les difficultés sociales, économiques, éducatives des parents, leur absence à l’école, les conflits. Beaucoup de parents sont sans emploi, ceux qui travaillent occupent des emplois peu qualifiés, et plus de 50 % sont d’origine étrangère. Les enseignants interrogés décrivent des familles socialement défavorisées, dont les difficultés financières retentissent sur la scolarité(ils ne peuvent « même pas se payer une règle » ni même inscrire leur enfant« à l’étude qui coûte 4 euros par mois »). Les problématiques familiales sont jugées « lourdes », les pratiques éducatives, inadaptées, l’implication dans la scolarité, faible. Si les situations abordées renvoient à des caractéristiques bien réelles, elles sont cependant généralisées et amplifiées, comme en témoignent les qualificatifs employés : « Souvent, il y a aussi le problème de l’alcool avec ce genre de familles, ici, dans des quartiers comme ça,il y en a quand même beaucoup. »Cet enseignant parle de divorces « extrêmement conflictuels […]On a des familles ici, dit-il, qui se déchirent et les gamins, du coup, ils partent dans tous les sens ». Or ces familles ne sont pas l’objet d’une mesure d’action éducative et les enfants ne présentent pas de problèmes de santé importants. Dans les pratiques éducatives parentales, les enseignants interrogés pointent prioritairement l’absence de limites éducatives (les familles monoparentales sont citées), la surprotection des mères et les difficultés de séparation mère-enfant (les familles maghrébines et gitanes). Une enseignante (F1, 32 ans) signifie à une mère que son attitude à l’égard de son fils est inadaptée : « J’ai une maman que je gronde régulièrement parce qu’elle amène le petit jusqu’à la porte de l’école, de la classe! […]Je lui dis : il est grand maintenant, il faut le laisser! » Sa posture directive, maternante : « je l’ai grondée » et l’injonction « il faut » renforcent la dissymétrie de la relation, positionnant l’enseignante comme la spécialiste détenant le savoir sur l’éducation et révèle une infantilisation des familles populaires, étrangères (Thin, 1998). Elle révèle aussi son engagement, que l’on peut distinguer de celui d’une autre enseignante (F8, 50 ans, EM7, mixité sociale), qui renvoie, par la sanction, à une éducation « territorialisée » : elle « sermonne gentiment » et sanctionne : « Si les autorisations ne reviennent pas, l’enfant ne sort pas… pas de retour du livre, pas d’emprunt. Tant pis pour l’enfant. Je suis instit, eux, parents : chacun son job. » Les discours des enseignants de l’école (EE1) relatifs aux attitudes éducatives des familles pointent essentiellement des difficultés, des carences, des négligences. Les termes employés apparaissent fortement connotés : « Ce sont des enfants qui sont livrés à eux-mêmes. Ils sont laissés en friche, ils poussent comme ils peuvent quoi! […] ils s’occupent tout seuls […] ils sont laissés à l’abandon. » Les réponses éducatives sont considérées comme trop laxistes ou trop autoritaires. Le manque de stimulation est reproché. Des modèles éducatifs différents émergent : des familles populaires qui penchent pour laisser l’enfant se socialiser sans trop intervenir et des classes moyennes ou aisées (les enseignants ici) qui considèrent qu’il faut fournir des stimulations cognitives et socialisatrices appuyées.

Ces représentations négatives, construites en référence aux difficultés rencontrées sur le terrain, constituent sans doute des obstacles à la collaboration avec les parents. Que manifestent-elles? Ces enseignants sont engagés – leur acceptation des entretiens dans un contexte et un vécu si difficiles en est d’ailleurs un témoignage –, ils cherchent des solutions. Leur « négativité » est à la mesure de leur frustration. Ils sont confrontés à un échec scolaire massif : la moyenne de réussite aux évaluations est de 30 %, c’est-à-dire de niveau inférieur à la moyenne obtenue en éducation prioritaire. Accueillant une population qui en présente les caractéristiques, leur école (EE1) n’est pourtant pas considérée comme telle et ne bénéficie pas de moyens supplémentaires. En tenant les parents pour principaux responsables de l’échec, ils n’incriminent pas les enfants, mais n’interrogent pas leur posture professionnelle ni l’institution scolaire. Présenter ces caractéristiques négatives participe néanmoins de leur besoin de faire reconnaître les difficultés qu’ils rencontrent, pour lesquelles ils tentent de nouvelles démarches auprès des élèves et des parents. Les idées d’effort, d’énergie sont associées à un vécu pénible, le terme « batailler », à une force d’inertie. Des sentiments d’« épuisement », d’« impuissance », de « déprime », ou de « déception », de « colère » s’expriment. Le risque de désengagement est présent. Le danger est l’adoption d’une posture défaitiste, héritée d’une représentation fataliste des parents, allant à l’encontre de ce qui permet la communication : la confiance en son interlocuteur et celle que l’on transmet.

5.2 Une situation de « dérapage » dans la communication

Une des missions de l’enseignant est de repérer et de gérer les difficultés des élèves, c’est un domaine potentiellement conflictuel dans la communication entre parents et enseignants (Perrenoud, 1998).

En début d’année, une enseignante (F6, EM5, mixte) constate qu’une petite fille de cinq ans de sa classe a des difficultés pour colorier, une écriture illisible, indices qui, selon elle, témoignent d’embûches dans le processus de lecture/écriture. Ne voyant les parents que rarement, car c’est la grand-mère qui vient la chercher à l’école, elle les convoque par écrit en expliquant les difficultés rencontrées par l’élève pour discuter d’une aide à apporter. Suite à ce courrier, elle voit venir les parents outrés, et notamment le père qui déclare qu’elle n’a pas le droit de dire cela de sa fille. L’enseignante attendait des parents qu’ils partagent la même inquiétude et adhèrent à l’aide proposée. Au lieu de se centrer sur les difficultés et leur remédiation, les parents réagissent à l’annonce des difficultés qu’ils n’avaient pas vues, car il ne s’agit pas d’un échec avéré, et qu’ils perçoivent comme dévalorisantes. L’enseignante explique : « Le papa s’est senti agressé parce que je n’avais pas à dire du mal de SA fille. Après le mot, il est venu un soir en colère, j’ai cru qu’il allait me “casser la gueule”. »

Il y a une mise en jeu des émotions : la colère face à la personne qui ternit l’image de bon élève de leur enfant et leurs compétences de bons parents, et des mécanismes de défense visant à occulter le problème et à rejeter la faute sur l’enseignante : « Ce n’est pas elle qui a des difficultés, c’est l’enseignante qui la stigmatise. » L’enseignante se situe sur un registre de prévention, mais pour que les parents l’acceptent il faut qu’ils aient confiance en la personne et l’expertise de l’enseignante, or ils n’avaient pas eu l’occasion de dialoguer avant cet incident. Nous relevons aussi des concurrences d’autorité entre l’ordre parental (SA fille) et pédagogique : « On n’a rien mis en place, puisqu’ils ne voulaient pas. Après, moi, j’essaie de la suivre en classe. » Depuis, il y a rupture du contact entre les parents et l’enseignante et l’enfant/élève est prise au piège des hostilités.

Depuis ce jour, tu comprends bien que les relations avec eux sont bouillantes et pratiquement inexistantes. Je plains C., car c’est elle qui est mal, la pauvre… Même, la dernière fois son papa est venu la chercher, elle s’est retournée vers moi en me disant : « Je t’aime, maîtresse, au revoir », comme si elle voyait que la relation était difficile et même rompue et qu’elle essayait de faire le lien. C’est dommage pour elle. Dans ce genre de cas, tu veux aider l’enfant, mais si les parents s’opposent, tu peux rien y faire.

Les conditions dans lesquelles se déroule la communication parents-enseignants apparaissent essentielles : les dispositifs, les attitudes, ce qui est dit oralement ou par écrit. Sur des thématiques délicates et objets de tensions, le dialogue peut se nouer plus facilement si les parents sentent clairement qu’une place leur est accordée dans l’école et si des relations de confiance sont déjà instaurées. À travers quelles actions les enseignants peuvent-ils construire la collaboration et soutenir l’engagement des parents dans la scolarité? Est-ce dans des dispositifs inscrits au cahier des charges, des dispositifs innovants? Est-ce dans le temps qu’ils y consacrent, la façon dont ils les animent?

5.3 Des dispositifs de rencontre et de communication parents-enseignants

Inscrites au cahier des charges, les rencontres avec les parents sont organisées dans toutes les écoles, dans un style formel et informatif ou plus interactif. Le temps prévu est restreint, il est dans l’école EM4 (défavorisé) de cinq heures et demie avec une réunion de début d’année, puis trois réunions par période. Le « conseil d’école » rassemble enseignants et partenaires, dont les représentants élus des parents qui ont un rôle consultatif sur la gestion de l’école. Six heures sont prévues, . Ce sont ensuite des temps individuels ou plus informels, mais essentiels, qui permettent les rencontres et la participation des parents, comme les sorties et les rencontres festives et, en école maternelle, les rencontres quotidiennes à l’entrée et la sortie de classe. D’autres dispositifs font le lien par écrit : le cahier de liaison, le cahier de vie, etc. Les cahiers de vie comprennent des traces d’activités de l’élève et sont complétés à la maison (Leleu-Galland, 2002). Ils sont appréciés des familles, mais apportent peu de retours, selon les enseignants interviewés.

Des dispositifs nouveaux, par exemple les blogues, sont-ils plus investis? Le blogue de l’école EM6 (mixte) a été mis en oeuvre par les enseignants pour diffuser des informations pratiques et régulières sur les activités réalisées en classe par le biais de supports vivants (photos, documents sonores, etc.) et permettre que le travail de la classe soit repris et discuté entre enfant et parents (suivi du travail scolaire au domicile). Les enseignants porteurs du projet n’ont toutefois pas souhaité permettre aux parents d’accéder à la rédaction de commentaires « afin d’éviter tout risque de sujets polémiques ». Les entretiens recueillis dans cette école montrent que cet outil est très apprécié par les parents, nombreux à s’inscrire à la « lettre hebdomadaire » et particulièrement ceux qui ne peuvent amener leurs enfants à l’école pour raisons professionnelles. Il donne lieu à des échanges de vive voix entre parents et enseignants. Les enseignantes interviewées utilisent toute une variété de supports de communication avec les parents. Elles ont néanmoins des postures différentes : l’une (F9) met l’accent sur la personnalisation des échanges grâce aux écrits individuels et à la communication orale, la deuxième (F7), sur la variété et la complémentarité des supports, et la troisième (F8), plus pragmatique, sur l’économie et l’efficacité des supports utilisés, elle n’a « pas encore pris l’habitude d’utiliser le blogue ». L’enjeu est que cet outil favorise les échanges enfant-parents et parents-enseignant, l’écueil serait qu’il reste seulement informatif et qu’il limite l’échange (« Allez voir sur le blogue… »).

5.4 Des pratiques collaboratives d’échanges avec les parents utilisant l’écrit

Deux pratiques favorisant la communication avec les parents ont retenu notre attention : l’utilisation du cahier de réussite et l’accompagnement scolaire. Elles supposent un engagement soutenu de l’enseignant et reflètent la posture qu’il adopte dans ses relations avec les parents.

6. Le cahier des réussites

Il a pour objectif de faire prendre conscience aux parents de l'importance de leur engagement dans la scolarité de leur enfant et des attentes de l'école. Il vient d’être mis en oeuvre dans une école maternelle (F10, EM7, défavorisé) dont le projet d'école porte sur la mobilisation des familles autour du projet éducatif de leur enfant. C’est un document décrivant les savoir-faire de l'enfant à l’aide de schémas et de courtes phrases, avec une mention réservée à l'école et l'autre réservée à la maison. Les parents doivent préciser si les savoir-faire réalisés par l’enfant en classe le sont à la maison. Par exemple, l'enfant de petite section est-il capable de ranger les jouets de la classe, de ranger les siens à la maison? Ou encore, de mettre son manteau seul ou de réaliser jusqu'au bout une activité en autonomie? C'est par un jeu d'allers-retours trois-quatre fois dans l'année que l’échange des points de vue se construit.

L’enseignante interviewée a le sentiment que ce support est bien perçu par les parents. Elle a rencontré individuellement chaque famille et échangé oralement avec elles sur les réussites et les difficultés de l’enfant. Certains parents ont demandé « spontanément comment ça se passe, d’autres n’osent pas ou ont trop peur d’entendre une réponse désagréable ». Cela lui a permis de « clarifier les attentes de l’école et de solliciter le soutien, l’aide des parents pour la réussite de leur enfant ».

La collaboration avec les parents se construit autour des compétences de l’enfant, avec une forme d’éducation « externalisée » de l’école. Elle s’appuie dans d’autres cas sur la pratique de la langue, orale et écrite, dont la maîtrise[2] est intimement associée à la réussite scolaire (Lahire, 1993). Des pratiques d’accompagnement scolaire comme les clubs Coup de Pouce (Chauveau, 2000) se polarisent sur l’apprentissage de la lecture/écriture en cours préparatoire (CP)[3] et ont aussi pour objectif d’impliquer les parents dans le suivi scolaire de leurs enfants, en instaurant un dialogue avec l’école et en leur redonnant confiance en leurs capacités d’éducateurs. La situation qui suit illustre la prise de conscience par les parents de leur rôle dans la scolarité et la mise en jeu de leurs compétences à travers le suivi scolaire. Elle est reconstruite à partir des entretiens avec l’enseignante (F11, EE5) et avec l’animatrice du Club qui ont suivi l’enfant.

7. L’engagement d’une mère dans l’accompagnement du travail scolaire de sa fille

La mère d’une enfant participant au dispositif Coup de Pouce demande à l’animatrice s’il faut refaire les devoirs le soir à la maison. Celle-ci répond qu’il y a un temps dédié aux devoirs dans le dispositif, mais qu’il serait bon de les revoir le mercredi et les week-ends. Fin novembre, la mère rencontre l’enseignante de CP à propos des résultats scolaires de sa fille. Elle dit à l’animatrice qu’elle a été surprise de voir que celle-ci avait des difficultés, elle pensait que l’école et le dispositif palliaient. Cette rencontre et la discussion qui a suivi lui ont permis de comprendre qu’elle pouvait aider sa fille avec ses propres moyens. Quelques jours plus tard, elle confie à l’animatrice qu’elle va créer un cahier avec des exercices s’inspirant de ceux faits en classe. Elle indique que l’enseignante, qu’elle a rencontrée à nouveau de son propre chef, est très enthousiaste, qu’elle corrigera le cahier et créera des exercices « sur mesure » pour sa fille. La réponse engageante de l’enseignante a renforcé la détermination de la mère à s’investir. Ce cahier devient un outil d’exercice à la lecture à la maison et un lien avec l’école. En janvier, l’enseignante et l’animatrice constatent de gros progrès et le disent à la mère, qui s’en réjouit. Le cahier a été utilisé durant toute l’année scolaire et l’enfant le prend chaque fin de semaine à la maison pour y travailler. La mère, d’origine marocaine, parle français et va assurer ensuite un rôle de traduction (médiation) auprès d’autres mères.

Cette collaboration ponctuée d’échanges (discussions et circulation du cahier), d’actes et d’affects entre les partenaires que sont l’enseignante, la mère et l’animatrice, a permis l’exercice, la reconnaissance et la validation du rôle et des compétences de chacune. Les attitudes positives d’ouverture des partenaires, leur expertise et la personnalisation du suivi participent à sa réussite.

Ce cas particulier ne reflète pas l’ensemble des postures parentales, mais il permet de déceler les conditions de réussite et il interroge la place des parents. Un risque pour les dispositifs d’accompagnement est de se substituer aux parents qui souhaitent participer, mais ne savent comment le faire ou ne se sentent pas qualifiés. L’investissement et le travail réalisé par les enseignants dans ce cadre, la complémentarité des rôles entre intervenants sont également pointés (H4, EE4). La posture des animateurs semble essentielle, associée au fait qu’ils soient expérimentés, qu’ils aient une formation pédagogique, qu’ils travaillent avec la même équipe depuis plusieurs années, etc.

8. Discussion et conclusion

Nous nous sommes attachées à décrire et à analyser, dans cette étude qualitative, les représentations et les pratiques d’enseignants d’écoles primaires dans le cadre de leur collaboration avec les parents. Leur engagement est soutenu par des orientations de politique éducative visant la coéducation et s’appuie sur la conviction que cette collaboration concourt à la réussite scolaire de l’élève et que l’engagement des parents y joue un rôle important. Les dispositifs utilisés sont nombreux et variés, plusieurs d’entre eux nous ont paru bien fonctionner. Ils permettent une interactivité écrite et orale et font clairement une place aux parents. Ainsi, nous avons pu analyser des situations se référant à la communication avec l’école et à la supervision du travail scolaire (Epstein, 2001). Nous avons pris toute la mesure des modes de communication et des postures adoptées par les enseignants dans la collaboration (Bouchardet al., 1998), témoignant parfois de la justesse de leurs attitudes et de la pertinence d’un « agir communicationnel » (Habermas, 1987 [1981]), ou de leur décalage. Nous avons pu appréhender la prise en compte, par certains enseignants, du rôle et des compétences des parents et leur renforcement (Hoover-Dempseyet al, 2001).

Nous avons vu émerger, dans cette enquête, des profils d’enseignants engagés auprès des parents : certains au-delà de la demande institutionnelle, innovants, d’autres convaincus par l’importance de la collaboration, mais désenchantés, parfois « théoriquement » convaincus, mais« opérationnellement » épuisés. Il ne suffit donc pas que les enseignants soient motivés à communiquer et engagés activement dans la collaboration avec les parents pour que celle-ci réussisse. Sur le plan scolaire, motivation et réussite poursuivent des buts différents et ne sont pas nécessairement liées (Harackiewics et al., 2000). Nous avons vu que la participation des parents à la vie de l’école n’est pas obligatoirement un gage de réussite pour leurs enfants, car elle nécessite une orientation et une adéquation aux activités d’apprentissage. L’engagement des enseignants dans la collaboration n’est pas non plus le gage que les parents s’engagent dans l’école et dans la scolarité de leurs enfants, ni que ces derniers réussissent. Celui-ci nécessite aussi une orientation et une adéquation de ses actions par rapport à ses objectifs et au public scolaire. Dans l’enquête de Careil (1995), les enseignants plus âgés apparaissaient moins favorables à la collaboration. Est-ce dû à un effet d’époque, l’idée de coéducation ayant fait son chemin depuis, à l’usure du métier, à des parcours individuels? Nos données présentent trois positionnements d’enseignants et d’enseignantes de 45-50 ans, l’une très impliquée (F4, EM2, mixte), le deuxième ambivalent sur le sujet (H2, EE2, défavorisé) et la troisième (F8, EM6, mixte) qui a plus de distance avec les parents. L’engagement reste présent chez les enseignants qui travaillent dans un contexte où la collaboration avec les parents fonctionne mal, mais leurs représentations des parents sont fortement teintées de négativité, fondées sur une méconnaissance et des stéréotypes, comme le montrent d’autres études (Feyfant, 2011). Nous constatons un décalage entre les attentes, les représentations des enseignants de la scolarité, du suivi scolaire, de la communication famille-école etcelles des familles populaires ou des familles immigrées. C’est un enjeu pour la formation et les pratiques que d’améliorer la connaissance des publics scolaires en intégrant les parents, et de développer une professionnalité enseignante dans le domaine de la collaboration avec eux. Il ne s’agit pas de se conformer à leurs attentes, mais de discuter avec eux et de les convaincre du bien-fondé du suivi de la scolarité.

Nous notons également un malaise chez plusieurs enseignants, liés aux difficultés, aux attentes déçues, à l’engagement non reconnu. Ils perçoivent l’absence des parents comme de l’indifférence ou comme un désaveu de leur travail et de leurs compétences. Le sentiment d’un manque de reconnaissance et de soutien de la part des parents et de l’institution, alors qu’ils continuent à s’investir, participent à leur profonde désillusion face aux difficultés rencontrées chez les élèves et dans la profession. Les postures « compassionnelles » ou « protectrices » (Ott, 2008 : 14) adoptées par certains pour guider les parents vers une compréhension de l’école risquent de les amener à rejeter la faute sur les parents (Gayet, 1999) et à se désengager. Les enseignants sont renvoyés aux injonctions de coéducation et les parents à leur responsabilité, mais le partenariat ne se décrète pas (Ott, 2008; Guigue, 2010). Les perceptions de dévalorisation du métier, de conditions de travail dégradées, ou même de souffrance au travail, vécues par certains enseignants révèlent un contexte de crise, mais invitent à opérer des changements de postures. Réfléchir sur leur rôle et leurs compétences dans la collaboration avec les parents et les faire reconnaître institutionnellement est un nouvel enjeu. Sortir d’une posture ethnocentrée qui transmet les savoirs, mais aussi les normes, et qui donne des leçons aux enfants et aux parents, instaurer un dialogue bidirectionnel, reconnaitre les parents dans leurs fonctions et reconnaître les enseignants dans leur rôle et leurs compétences sont des bases pour un respect mutuel et une confiance partagée en l’école, en ses missions et en sa capacité à faire progresser les élèves plutôt qu’à simplement les sélectionner. Peut-être faut-il encore la mise en oeuvre d’une « illusion » pour rassembler dans un même espace de culture enseignants, élèves et parents.

Nous nous sommes appuyées dans cette étude sur la notion de collaboration, du fait de son caractère polysémique et de son utilisation en contexte éducatif. Nous avons pu observer que « la collaboration peut être aussi bien rituelle que véritable, contrainte que spontanée, superficielle qu’engageante » (Portelance et al., 2011 : 218). Les situations analysées ont révélé ses facettes, allant de simples relations à de la coéducation ou à du partenariat, montrant que les dispositifs formels sont étayés par les échanges informels. Ces variations auraient cependant mérité d’être mieux définies. L’aspect qualitatif de l’étude présente ses limites. Le recueil a été effectué dans des écoles accueillant des publics de divers milieux sociaux, avec une majorité de milieux défavorisés, et il a été plus étoffé en école maternelle, où la participation des parents est plus importante qu’en école élémentaire. Les entretiens avec les enseignants dans les écoles à dispositifs spécifiques nous ont apporté moins d’éléments sur les représentations des parents, mais davantage sur les dispositifs et leur fonctionnement, cela a été l’inverse pour les autres écoles. La comparaison n’est pas aisée et il ne s’agit pas de faire de généralisations abusives. Les résultats exposent les représentations et les pratiques de la population étudiée, dans les contextes étudiés. Nous avons donné quelques caractéristiques qui pouvaient être signifiantes sur le sexe, ou l’âge, des enseignants interviewés et la situation des écoles, mais qui trouveraient leur intérêt à être intégrées à des enquêtes quantitatives. Il serait intéressant, dans le cadre d’études de cas, de pousser plus avant l’analyse, en prenant par exemple en compte pour l’école EE1 l’historique des relations parents-enseignants ou les effets du contexte local et, bien sûr, les représentations des parents eux-mêmes. L’étude de certains dispositifs pourrait être approfondie. Sur le plan individuel, des différences apparaissent dans les positionnements des enseignants, qui pourraient, là encore, focaliser l’analyse.

Pour conclure, nous voudrions substituer à la collaboration « obligée » la raisonnable nécessité de collaborer. Et si l’un des enjeux de la collaboration entre parents et enseignants était aussi de passer de l’individu au citoyen, membre d’une communauté éducative? Si chacun ne cherche dans l’école que ses intérêts particuliers, celle-ci pourrait se réduire à un système d’intérêts particuliers qui s’affrontent alors qu’il s’agit là d’un bien commun, l’éducation, d’un intérêt et d’un projet collectifs, la réussite des enfants/élèves. Cette communauté éducative se construit en prenant appui sur des orientations politiques, sur des textes officiels. Elle se construit historiquement, dans l’histoire de l’École et d’une école, de l’équipe enseignante et des relations avec les parents. Elle se construit culturellement et dans les pratiques mises en place. Le « vivre ensemble » façonne les liens, une identité se construit, des récits racontent ce qui se passe dans l’école et dans la classe. Cette communauté éducative se donne une identité narrative à travers des histoires, des affichages de travaux d’élèves, des cahiers qui circulent, ou ce que les enseignants donnent à voir et à entendre dans les blogues. Elle se construit dans la discussion, dans l’échange, dans un agir communicationnel, où le sujet doit être capable de se mettre à la place de l’autre, car discuter avec l’autre nous confronte, mais aussi nous révèle dans notre identité (Arendt, 1972 [1968]).