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Structure and Regional Diversity of the Meadowood Interaction Sphere est une monographie qui présente la thèse de doctorat en archéologie de Karine Taché. L’approche générale adoptée dans cette étude consiste à considérer le phénomène de la sphère d’interactions Meadowood dans son ensemble, plutôt que d’y accéder par le biais d’études régionales comme cela s’est fait auparavant. En fait, l’auteure réalise la synthèse de ces études régionales pour tenter de reconstituer la structure et de comprendre les mécanismes impliqués dans le fonctionnement de ce système complexe.

D’emblée, Mme Taché mentionne que la sphère d’interactions dépasse largement les limites d’une seule entité culturelle et place en interactions plusieurs groupes culturels distincts, dont les motivations peuvent varier quant à leur participation à la sphère.

Les motivations potentielles qui expliquent la participation des groupes régionaux à cette toile d’interactions sont regroupées selon trois grands modèles, à savoir le rituel funéraire, l’équilibre économique par l’échange et l’acquisition de prestige sociopolitique. C’est par un examen comparatif des collections archéologiques du Sylvicole inférieur que l’auteure va tenter d’identifier des assemblages distinctifs pouvant caractériser chacun de ses trois modèles. Cet exercice est certainement utile, mais il faut cependant retenir que l’objectif de comprendre la sphère d’interactions Meadowood dans son ensemble relève de l’exploit. De plus, tenter de classer son fonctionnement selon trois modèles pourrait estomper en partie la variabilité régionale et les multiples motivations potentielles qui sous-tendent l’adhésion à ce système. L’exercice demeure tout de même d’un grand intérêt, puisqu’il amorce une réflexion à un niveau qui n’avait été que peu exploré jusqu’à maintenant, du moins à l’échelle de l’ensemble de la sphère d’interactions.

Avant l’analyse des assemblages archéologiques, une étude exhaustive des fondements théoriques et des différentes approches de la notion d’interaction est présentée, et la revue historique détaillée des concepts de Sylvicole inférieur et de Meadowood est également offerte. Ce chapitre est fondé sur une littérature variée et abondante, que Mme Taché semble très bien maîtriser. D’ailleurs, tout au long de sa thèse, cette connaissance de la littérature transparaît régulièrement et l’usage d’analogies multiples, référant parfois à des origines géographiques éloignées, vient appuyer un discours bien élaboré.

L’étude de la structure et de la diversité régionale de la sphère d’interactions Meadowood repose principalement sur quatre ensembles de données, soit les manifestations matérielles, la distribution spatiale des sites, le contexte et, enfin, la subsistance et l’organisation sociale. De plus, pour établir la distinction entre les trois modèles choisis, l’analyse plus poussée de deux types de composantes est retenue, soit trois sites d’habitation et quatre sites de cimetières.

Les sites ont été choisis entre autres pour leur analyse initiale moins approfondie, qui datait de plusieurs décennies déjà. Il y a donc un gain important d’informations au réexamen de ces anciennes collections, qui n’avaient pas livré la pleine mesure de leur potentiel de connaissances. Le cas de la collection du site de Batiscan est d’ailleurs éloquent à cet égard. Le chapitre de description comparée du matériel des sites analysés par l’auteure est organisé de manière à mettre en parallèle les différentes catégories d’artefacts par matériaux et par catégories fonctionnelles. On perçoit alors plus facilement les distinctions d’un site à l’autre, de même qu’entre les sites funéraires et domestiques. La question des matières premières taillées, centrale à plusieurs égards, est également explorée.

Ce choix des sites, somme toute restreint, découle de l’envergure du projet d’étude, qui devait se dérouler à l’intérieur de limites raisonnables liées à un contexte académique de niveau doctoral. Bien entendu, l’augmentation du corpus de données aurait été souhaitable, considérant qu’il ne s’agit que d’un bref survol sur la quantité de sites qui auraient pu être inclus dans l’étude, puis sur l’étendue géographique du phénomène, surtout dans ses régions périphériques.

Du point de vue descriptif des artefacts, la décision d’utiliser l’appellation « biface de cache » est peut-être discutable. En effet, elle s’applique mal aux outils découverts hors des caches ou des concentrations. Cette appellation réfère à un comportement, auquel on ne peut pas se rapporter, à l’égard de l’inventaire total de cette catégorie d’outils. Une identification technologique, comme « lame bifaciale », semble plus objective et ne réfère pas à l’usage éventuel qui a été fait de l’outil. Ainsi, il serait probablement plus facile de parler d’une cache de lames bifaciales, plutôt que de bifaces de caches trouvés isolés hors des concentrations.

L’analyse du matériel des sites retenus se penche sur l’identification des marqueurs Meadowood versus le matériel de production local. Cette approche permet de disposer d’un corpus de données qui se démarque bien et dont l’analyse produit des résultats en lien évident avec le sujet d’étude. Il demeure toutefois difficile de comprendre l’épisode chronologique charnière situé au début du phénomène de la sphère d’interactions Meadowood, car une incertitude demeure quant à l’état de la situation des interactions déjà en place. En effet, la visibilité accrue de la sphère d’interactions Meadowood, comparée à ce qui précède, repose-t-elle vraiment sur une augmentation des interactions ou plutôt sur l’identification plus aisée de ses manifestations matérielles liée à un style particulier et à l’usage du chert Onondaga ?

Après l’examen des collections retenues, la question est posée de savoir si les biens d’échange Meadowood sont plutôt liés à l’aspect pratique ou à celui du prestige. La réponse avancée penche nettement du côté des marqueurs de prestige : « I believe a good case can be made to qualify Meadowood commercial products as prestige items. » (p. 69) L’argumentation développée pour supporter cette affirmation fait toutefois abstraction de motivations variables pour l’acquisition du matériel Meadowood tout au long d’un axe allant du centre de production des objets, vers les limites extérieures de la sphère d’interactions. Il semble probable que, dans les limites géographiques du centre de production, l’acquisition des « bifaces de cache » aurait pu être conditionnée par le besoin de s’équiper d’outils à fonction domestique, mais également pour la fonction cérémonielle. En s’éloignant du centre de diffusion, la rareté croissante va opérer un changement de perception face à ce matériel et réduire progressivement, puis considérablement rendu à certain point, l’aspect fonctionnel des bifaces au profit de leur nature exotique. À ce point, il est probable que l’aspect de prestige lié à l’acquisition et à l’utilisation cérémonielle du matériel Meadowood devienne dominant.

La revue géographique des différentes manifestations matérielles associées aux productions Meadowood illustre un vaste étalement, dont les ramifications s’étendent dans des zones écologiques variées. L’existence de réseaux régionaux déjà actifs sur le territoire aurait profité à la sphère d’interactions Meadowood, qui s’est étendue rapidement en profitant des voies d’échanges existantes. De plus, les groupes Meadowood producteurs d’outils en chert Onondaga auraient profité d’une localisation géographique centrale avantageuse en termes d’axes de circulation, pour percer le marché des échanges et obtenir en retour des biens exotiques de provenance lointaine et diversifiée.

L’auteure a déjà mentionné que la sphère d’interactions dépasse largement les limites d’une seule entité culturelle et place en interactions plusieurs groupes culturels distincts. Cependant, au fil de la thèse, les groupes participants à la sphère d’interactions Meadowood sont qualifiés de « groupes Meadowood ». Cela soulève la question de l’importance réelle attachée à l’ethnicité des groupes régionaux extérieurs et à la reconnaissance d’une identité se distinguant face aux groupes producteurs des bifaces de cache en chert Onondaga, qui pourraient être les véritables « groupes Meadowood ».

Au chapitre 4, la nature des échanges, en termes d’accès privilégié de certains groupes versus un accès plus aléatoire suivant les axes de communication, est explorée. Pour y parvenir, le contexte environnemental et social de découverte de quatre types d’objets Meadowood diagnostiques (bifaces de cache, pointes et grattoirs bifaciaux, pierres aviformes) est passé en revue. Cette question très intéressante semble s’orienter vers l’identification de partenaires d’échanges privilégiés, en fonction des biens exotiques particuliers pouvant être obtenus en échange des quatre types d’objets Meadowood.

Le chapitre 5 vient ancrer le concept de sphère d’interactions dans les préoccupations fondamentales des groupes participants, comme leur mode de subsistance et leur structure sociale. La répartition inégale des ressources environnementales favoriserait certaines communautés, qui devenaient des partenaires d’échanges privilégiés, disposant de surplus à introduire dans le réseau des échanges. Ces surplus permettaient également de diriger une certaine proportion des biens de production vers le rituel funéraire. L’élaboration du rituel funéraire était peut-être aussi liée avec le développement d’inégalités sociales, en termes de possession de biens de prestige à inclure comme offrandes funéraires.

Le processus d’analyse déployé dans cette étude conduit Mme Taché à proposer que les motivations profondes qui sont à la base de la sphère d’interactions Meadowood sont liées au modèle d’acquisition de prestige sociopolitique. « The prestige nature of exchanged items and their occurrence in both residential and mortuary / feasting contexts are inconsistent with the ritual and economical models, but expected in the socio-political model. » (p. 175)

Dans l’introduction, l’auteure mentionne que des groupes culturels distincts présentent des motivations qui peuvent varier, quant à leur participation à la sphère d’interactions. En effet, compte tenu de la complexité inhérente du phénomène étudié, de ses multiples ramifications géographiques, des réalités culturelles et des motivations spécifiques des groupes participants, il peut sembler difficile d’admettre qu’un seul facteur puisse s’appliquer uniformément à la grandeur du territoire qui livre du matériel de type Meadowood. Le modèle sociopolitique pourrait s’appliquer à certains niveaux de participation, comme le centre de production des objets Meadowood, mais il y aurait peut-être lieu de laisser une place plus importante aux aspects typiquement économiques et idéologiques. Dans les régions plus périphériques, où le matériel Meadowood original ne se rend plus, le style est parfois reproduit sur des matériaux locaux, employés dans des rituels.

Quoi qu’il en soit, malgré l’orientation de synthèse et la qualité de l’étude réalisée par l’auteure, certaines questions débordent le cadre de sa recherche, et lorsqu’elle tente de répondre aux premières interrogations, les nouvelles pistes à suivre se multiplient. Pour conclure, la monographie Structure and Regional Diversity of the Meadowood Interaction Sphere constitue une contribution majeure à l’étude du Sylvicole inférieur dans le Nord-Est américain. Elle offre une première vision globale du phénomène, qui encourage certainement à poursuivre la recherche dans ce domaine.